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dimanche 15 septembre 2024

CHAROGNES DE L'ULTRA-GAUCHE SOIXANTEHUITARDE OU SIMPLES PARASITES ?

Au cours de l'année 1968 et par après surgirent un certain nombre de petits groupes à vocation révolutionnaire, très peu spontanés ils provenaient de courants antérieurs. Le pôle le plus cohérent, mais plus discret durant le mois de mai, était issu de la dite « gauche italienne », minorités communistes diverses qui avaient combattu la montée du stalinisme, puis avaient dû se réfugier à l'étranger après la prise du pouvoir par Mussolini. Plusieurs individus découvrirent aussi l'apport théorique de la « gauche hollandaise », courant oublié et qualifié de « conseilliste anti-parti », idéologie en faveur de simples « Conseils ouvriers » qui apparut plus séduisante à la jeunesse révoltée mais surtout estudiantine ; dans leur courte célébrité les artistes situationnistes basèrent leurs approximations politiques sur ce courant très critique du léninisme.

C'est de Socialisme ou Barbarie que s'inspiraient de nouveaux cercles encore immatures, avec une présence notable de Pouvoir ouvrier. De l'anarchisme le plus sérieux était apparu « Noir et Rouge » reconnaissant un rôle central à la classe ouvrière. Enfin, même s'il n'apparut tel au début, car conseilliste lui aussi, le petit groupe Révolution Internationale, présent dans le cercle d'Henri Simon « Echanges », allait commencer à élaborer une synthèse des dites gauche italienne et gauche hollandaise, sans qu'on puisse certifier 50 ans plus tard que la synthèse ait abouti au parti mondial débarrassé de tout léninisme et de tout spontanéisme.

NAISSANCE EPHEMERE D'UNE MOUVANCE ULTRA-GAUCHE LITTERAIRE

Dans les braises de la modernité des luttes diverses, parcellaires et étroites animées par les nombreuses couches de la petite bourgeoisie en expansion numérique, les doutes sur le prolétariat apparurent très vite dans les milieux militants gauchistes,en particulier sous une impulsion de Jacques Camatte, à la fois passionnante (la republication en français des textes italiens et hollandais (on s'arrachait ou on volait « Invariance ») ; mais aussi ambiguë car cet ancien bordiguiste remettait en cause progressivement le marxisme et le rôle révolutionnaire du prolétariat. Cette démarche est particulièrement destructrice surtout en milieu étudiant (dont les situs s'étaient si bien moqués) et parmi les professions intellectuelles. Démarche perverse en ce qu'elle posait avoir à la fois porté à la connaissance les textes politiques les plus importants dépassant la contre révolution pour « rajeunir le marxisme » comme aurait dit Pierre Souyri, mais en même temps détruisant l'intérêt de ces textes en décrétant que la classe ouvrière avait été intégrée par le capital. Camatte fût par après un des premiers théoriciens de l'idéologie écologiste hippie.

Une nuée de mini-groupes, parfois simplement un ou deux individus s'inscrivirent dans cette filière révisionniste moderniste ; la bien nommée revue « Négation », et surtout La Banquise emmenée également par un ancien bordiguiste Gilles Dauvé, qui fût effacé du tableau lors du scandale de la négation des chambres à gaz. J'en ai évoqué quelques uns dans mon Histoire du maximalisme. Avec mon « Précis de communisation » je me suis moqué des successeurs phraseurs et comiques, tout comme de ceux qui subsistent de nos jours avec pour seules boussoles arrogance et mépris pour tous ceux qui n'adhèrent pas à leurs fadaises1 . Je vais néanmoins actualiser le tableau actuel d'une autre catégorie que les négateurs du prolétariat : des épiciers, individualiste marginaux, passés par toutes les couleurs du gauchisme et de l'anarchisme, pour finir imbus de leur vanité et surtout armés de la plus minable pensée élitaire bourgeoise : la docte morale. On verra que les Coleman et Bernardo sont des modernistes du même acabit que feu les comunisateurs.

APRES LA DISPARITION DU MARAIS ULTRA-GAUCHE NEGATIONNISTE DU PROLETARIAT

Y A-T-IL DES HERITIERS ?

Pas vraiment sauf avec les deux dinosaures de Temps critiques, Ab Irato, L'encyclopédie des nuisances... Pas une grosse perte mais la marge politique est toujours habitée par quelques arrivistes mal dégrossis du gauchisme, qui semblent se soucier plus de leur propre édification que du sort de la classe ouvrière.

Deux mouvances de petits éditeurs aux chevilles gonflées : Ni patrie ni frontières...de classe et l'épicerie portugaise Radio Vosstanie. Les deux boutiques se repassent d'ailleurs les plats.

Un personnage est central dans la continuité marginale des observateurs supérieurs de la société, se prend-il pour un nouveau Maspéro ?

Yves Coleman est connu à l'échelle internationale, et dans certaines universités américaines comme Proofreader, translator and militant for migrants' rights (Correcteur, traducteur et militant pour les droits des migrants), donc surtout comme humanitaire. Il est toujours confraternels avec ses amis professeurs, écrivains ou journalistes.

Depuis vingt ans il tient sa boutique, et auto-édite sa petite revue « Ni patrie ni frontières » revue éclectique mais où sont évoquées des questions la plupart du temps négligées par les partis et sectes politiques. Ses réponses et commentaires sont en général cohérentes et pleine de bon sens, dérogeant généralement à la bienséance des propagandes bourgeoises. Je l'ai connu petit chef à LO où il dirigeait le dimanche matin à Cachan les pétitionnaires trotskiens de LO contre des transports « qui nous roulent ». Il a été ensuite fondateur de Combat communiste, petit groupe resté trotskien, avec des textes sans intérêt ; de ce groupe ne reste que lui et un auteur de romans policiers genre sous-Manchette, Gérard Delteil. Après une longue traversée du désert en Amérique du sud il a créé sa revue en pontife revenu d'un militantisme aveugle, sans avouer avoir puisé une nouvelle inspiration d'un niveau politique supérieur à ses années trotskiennes, dans les publications subversives du milieu maximaliste.

Ses réflexions les plus abouties sont très pertinentes souvent et claires politiquement. Pour notre sujet, une de ses réponses au couple de Temps critiques - « Fin de parcours – est intéressante, convenons-en: 

« Tout individu a un passé politique, passé qu’il a plus ou moins bien digéré, y compris au niveau du vocabulaire, ou avec lequel il a (ou croit avoir) radicalement «rompu» – ce qui n’est pas mon cas, du moins si vous entendez par là «jeter le bébé avec l’eau du bain». Il me semble cependant un peu vain de reprocher à son interlocuteur de n’avoir pas le même passé que vous, ou de ne pas en avoir tiré les mêmes leçons. Derrière cette idée de la «rupture» définitive, je sens poindre l’illusion de détenir la Vérité, qui serait préservée, elle, de toute d’une «contre-dépendance», réelle ou supposé (…) politique (et sans doute plusieurs, puisque vous êtes un collectif) dont on décèle les traces dans vos textes. Vous avez, comme la plupart des individus ayant pas mal bourlingué, conservé une partie des idées de votre jeunesse, et une part du vocabulaire des groupes ou des penseurs qui vous ont influencés, en y ajoutant une dose d’idées nouvelles, ou qui contrastent fortement avec les précédentes (…) Vous avez choisi de vous arrêter à mi-chemin dans votre «révision critique» du marxisme en préservant une partie de votre héritage antérieur. De votre passé, vous ne faites qu’en partie table rase, vous aussi (…)

Or cette description convient parfaitement à ce qu'est devenu Coleman, il est resté au fond un trotskien donneur de leçons, surtout antiracistes et antifascistes. C'est à dire un gauchiste de la race supérieure.

Pourtant, ce parasite imparfait du maximalisme étroit rappelle des constats historiques moins bien argumentés par le CCI par exemple avec ses généralités, ou moi-même dans mon histoire du trotskysme en France.. Toujours dans cette même lettre à TC, il recadre nos doctes professeurs en comunisation pour leur ignorance de la trahison nationaliste des trotskysmes d'après guerre: il est toujours mielleux avec ces négateurs du prolétariat et ne les recadre jamais sur le sujet car pour lui le prolétariat est...raciste. Mais des tirades historiques où il fait croire à une distanciation du trotskisme peuvent leurrer le lecteur informé. Il garde toute son estime à ses anciens chefs de LO qui « sont des êtres humains gentils dans la vie privée ».

«Méconnaissance de l’extrême gauche» et Résistance Vous dites que les «trotskystes les plus conséquents» (en fait uniquement Lutte ouvrière, donc ni le PT, ni la LCR ni les autres groupes trotskystes plus petits) seraient vaccinés contre le poison nationaliste de la Résistance. Pour LO, je n’en doute pas, quant aux autres, vous me permettrez d’en douter. C’est bien mal connaître l’histoire du mouvement trotskyste français et international que de croire qu’il se serait livré à une solide critique de la Résistance, en tout cas sur les mêmes bases que celles des «internationalistes du troisième camp», pour reprendre le titre du trop bref opuscule de Pierre Lanneret sur le sujet. Sans doute ignorez-vous que le PCI (qui rassembla après la Libération presque tous les trotskystes français à l’exception du minuscule groupe Barta, lointain ancêtre revendiqué par Lutte ouvrière) édita une brochure après guerre pour expliquer que, s’il n’était pas le «parti des fusillés» comme le PCF, il avait lui aussi un passé de résistant ? Sans doute ignorez-vous que les errements chauvins de certains groupes furent passés sous silence et qu’aucun bilan n’en fut tiré pour faciliter l’unification de tous les courants de l’époque ? Sans doute ignorez-vous les débats très vifs au sein du mouvement trotskyste international pendant et au sortir de la Seconde Guerre mondiale, autour de la question nationale en Europe ? Sans doute avez-vous oublié la cour éhontée que fit la LCR à Charles Tillon, ministre de l’Air pendant les massacres de Sétif, lorsque ce stalinien mal repenti présida le Secours Rouge dans les années 70 ? Sans doute ignorez-vous que, encore il y a deux ans, lors d’une université d’été de la LCR, une affiche critique vis-à-vis de la Résistance rédigée par une de ses tendances, fut immédiatement arrachée ? Sans doute n’avez-vous pas pris connaissance du numéro de la revue Dissidences, publication animée par des historiens trotskystes ou trotskysants, sur les «trotskystes et la Seconde Guerre mondiale» ? Comme je leur écrivais: «En ce qui concerne la position de la majorité des groupes trotskystes par rapport à la Résistance, il me semble que vos articles sont très complaisants et vos rares citations soigneusement choisies pour minimiser le problème. Depuis la Commune de Paris, on sait qu’il existe une tradition patriotique d’extrême gauche, cela n’a rien de vraiment nouveau, il suffit de lire Jules Vallès, par exemple. Je trouve dommage que vous n’évoquiez pas cette continuité, non pas pour la stigmatiser ou la condamner automatiquement (si vos rédacteurs partagent cette position, libre à eux), mais au moins pour montrer l’écart qui sépare les positions de principe du groupe Barta (ou de la gauche communiste italienne) de celles des autres groupes. «Cet écart n’est pas simplement dû à des divergences secondaires, aux réflexes sectaires d’une dizaine de militants. Il traduit une profonde divergence politique que vous passez allégrement sous la table. Et cette divergence politique a des effets encore aujourd’hui, puisque les descendants supposés de Barta (LO) sont régulièrement accusés d’être des collabos déguisés, tout ça parce qu’ils se sont refusés (et se refusent) encore à voir la moindre potentialité révolutionnaire dans la Résistance. «Et je n’ai aucune tendresse particulière pour les écrits de Barta qui voyait dans la progression militaire de l’Armée rouge une avancée pour la révolution socialiste mondiale («La stratégie communiste a pour tâche de coordonner la lutte de l’Armée rouge avec le développement de la lutte de classes dans les pays capitalistes» – 30 juin 1941 – «L’avance soviétique rapproche l’heure de la révolution socialiste en Europe»– 20 janvier1943 – «Les victoires de l’Armée rouge seront la victoire du socialisme si les ouvriers des pays capitalistes d’Europe accomplissent la révolution prolétarienne» –28 février 1943). On peut difficilement imaginer une position plus dangereuse pour les ouvriers d’Europe de l’Est – et de l’Ouest – que celle de Barta. D’autre part, en ce qui concerne la France, il est évident que si l’organisation de Barta avait eu quelques centaines de militants, ils auraient été obligés de se poser la question de la lutte armée, des alliances tactiques éventuelles avec les FTP. Et cela n’est jamais évoqué dans les textes de l’UC puis de LO sur la question.» Aucun d’entre vous n’a sans doute jamais milité longtemps dans une organisation trotskyste, ni ne suit les débats internes ou publics entre ces tendances. Vous en êtes pardonné, à chacun sa croix ! Pourtant vous devriez au moins savoir que ces groupes (LO, la LCR et le PT) qui sont aujourd’hui dominants dans l’extrême gauche en France ont été complètement modelés par des gens qui ont connu la période de la Résistance et formé leurs successeurs à leur image: pour ne prendre que quelques noms, intéressez-vous à l’histoire de Robert Barcia dit Hardy (LO), à celle de Pierre Boussel dit Lambert (PT) ou à celle de Pierre Frank, aujourd’hui décédé (LCR), et vous constaterez que la référence à la Résistance est essentielle pour comprendre à la fois le fonctionnement de ces groupes, aujourd’hui, et leur politique, notamment par rapport à la question nationale, à l’Europe, etc. Que la référence à la Résistance ne soit pas explicite dans leurs publications ne signifie pas qu’elle ne fasse pas partie du patrimoine politique de ces groupes et de leurs plus jeunes militants. Il est d’ailleurs à noter que dans plusieurs débats sur le soutien à la prétendue «Résistance» irakienne actuelle, il a été fait allusion à des comparaisons avec la Résistance française, y compris dans la presse trotskyste anglo-saxonne – mais sans doute ne vous intéresse-t-elle pas. Vous dites que le mouvement altermondialiste ne serait pas marqué par la Résistance et que seuls quelques maos des années 60 et 70 auraient colporté le mythe de la Résistance (les «mao spontex» de la Gauche prolétarienne et les «mao-staliniens» étaient quand même largement majoritaires à l’époque dans l’extrême gauche, vous l’avez oublié, et ils ont efficacement poursuivi leur décervelage chauvinostalinien pendant une bonne quinzaine d’années ; d’ailleurs on retrouve une minorité d’entre eux… à la CNT-Vignoles). Lorsqu’on voit le nombre d’anciens maos et d’anciens staliniens qui militent à ATTAC et dans toutes les associations liées aux luttes dans le «tiers monde» et y occupent des postes de petits cadres, on se demande bien d’où a pu vous venir cette idée baroque. La nature a horreur du vide et, s’il y a bien une référence politique qui fasse la quasi-unanimité à gauche et à l’extrême gauche, c’est bien celle de la Résistance [Comme en témoignent depuis quelque temps les références de plus en plus fréquentes au programme de collaboration de classes du Conseil national de la Résistance, janvier 2011]. Pour comprendre un courant ou une situation politique, il faut tenir compte de l’explicite et de l’implicite ».

Ce long extrait montre une connaissance et une qualité d'analyse rares. Et c'est le cas pour nombre de sujets ou questions ; je l'assure car je suis un lecteur de l'oeuvre complète du bonhomme (je pourrais citer des pages entières de sa compil 4 de 2009 sur terrorisme et violence, l'analyse marxiste y est impeccable). Apparemment, parce que, sur le fond, tout le discours reste froid, sans passion. On est dans le débat d'idées pas dans la sueur à fond de cale.

Ces félicitations faites il n'en reste pas moins donc une gêne, le versant démiurge du personnage. Petit éditeur autogéré de quartier, capable d'un boulot soigné, belles couvertures glacées, aucune faute (il est correcteur chez Gallimard), il publie largement (nombre limité)- de l'ex Charles Reeve (Joao Bernardo) qui n'est pas n'importe qui, créateur de Combate, seul vrai groupe révolutionnaire au Portugal dans les années 1970 et un des meilleurs mémorialistes de la magnifique lutte des ouvriers portugais en 1974 - jusqu'à Michel Roger (et moi à mon insu alors qu'il me déteste) pour un ouvrage consacré à Marc Chirik.

Pourquoi ce malaise donc ? Mais parce qu'il pontifie, polémique gentiment avec universitaires et sectes modernistes. Sous l'expression d'idées politiques repiquées au maximalisme, ce n'est pas une conscience de classe qui l'anime mais une conscience « culturelle », moraliste qui repose sur les mêmes catégories mentales que la moyenne des gauchistes : l'antiracisme, la dénonciation, comme Mélenchon, de tout contradicteur comme fâchiste ; sous des écrits patelins il sait se montrer très hargneux et violent. En effet comme il l'a dit lui-même plus haut ; on ne peut jamais effacer complètement son passé...trotskyste.

L'épicerie portugaise : Radio Vosstanie

Le créateur de cette radio (radio libre) a grenouillé dans l'anarchisme puis aurait été éclairé par les textes « conseillistes » des hollandais et divers auteurs côtés dans les bréviaires des résidus ultra-gauches de la fin du siècle dernier. Sur son blog, il avoue quand même avoir été à deux réunions du CCI et aurait pu ajouter que je l'avais invité à dîner. S'estimant déjà très important il n'allait pas s'abaisser à demander à adhérer à l'organisation la plus claire du maximalisme, en vue de son envol comme radioman en 2009. Il a pompé les idées principales du CCI en laissant de côté la question horrible du parti. Lorsque je l'ai reçu j'aurais été bien en peine de le contredire car je venais de quitter un organisme comme devenu fou, alors que je persiste à penser que sans partis pas de révolution possible. Lui, oubliant l'apport théorique fondamental du CCI, balaie d'un revers de main un groupe parano composé « que de profs » !

« je fais ce préambule c'est pas pour éviter ta question sur le CCI c'est pour dire que le CCI bien sûr a été sur le chemin (j'ai du faire 2 ou 3 réunions publiques) et ça été très très rapide de zapper cette orga complètement léniniste, paranoïaque et quasi complotiste. Ce n'est pas propre à cette orga. C'est simplement le destin d'une orga qui n'est confrontée à rien si ce n'est, la construction du saint parti et qui sécrète ses propres méthodes, fantasmes, mode de survie pour exister. Je ne parle même pas ici de sociologie parce que là c'est encore plus gros ! Y a pas d'ouvriers au sens sociologique chez eux et c'est même pas une critique ouvriériste que je fais, mais ya que des profs et des cadres de la fonction publiques comme dans toutes ses scissions du genre PI ! »

Sa radio et son site sont bien léchés, faciles à consulter. Il est le seul à ma connaissance en France à avoir créé une radio militante qui se veut subversive et démocratique ; il faut remonter quarante années en arrière pour rappeler l'éclosion passionnée des « radios libres » vite absorbées par le système. On y invite tel minable petit groupe ou des intellectuels à la notoriété négligeable, même les petits profs modernistes de TC. De quoi finir par « s'y croire » ; comme disait Aznavour : « je m'voyais déjà en haut de l'affiche »

Et ce qui devait arriver arriva. Perclus de rhumatismes politiques Joao Bernardo pointa son nez dans la boutique, tout heureux de trouver un sponsor confraternellement lusitanien. Radio Vosstanie, malgré la liste des bons auteurs classiquement conseillistes qu'il fait lire à sa groupie, est devenue radio Lisboa. Toute la place est de plus en plus réservée a questions portugaises. Et cela convient à Joao pour qui la révolution au pays en 1974 a été l'événement du siècle passé. On peut désormais acheter tous les livres en portugais qu'on désire si on n'aime pas la traduction française. Bon soyons charitable, chaque compagnie ou groupuscule peut admirer son pays sans être tout à fait nationaliste ; le CCI n'a-t-il pas écrit dernièrement que la France est le pays type des révolutions ?

Comme je l'ai déjà dit Bernardo n'est pas n'importe qui, c'est un vrai écrivain. J'ai adoré ses premiers petits livres, c'est une plume. Mais pas en politique. La place de l'histoire de Combate est devenue principale, fabulatrice (ils n'étaient que trois) et typique de prétentions spontanéistes à créer une non-organisation anti-léniniste mais en réalité pire que léniniste avec des conseillers secrets ou masqués à la mode bakouniniste, de plus autogestionnaire débile ; il suffit de lire la description qu'en fait l'ami Bernardo (ils s'appellent soouvent comme cela au Portugal ou au Brésil, ou Da Silva) :

« Combate ne comptait ni permanents ni journalistes professionnels, et n’importe qui pouvait coopérer avec nous tant qu’il respectait les principes généraux de notre Manifeste. Les tâches étaient réparties équitablement entre tous et il n’y avait pas de responsables; le nom du directeur de publication était fictif et uniquement destiné à répondre à une exigence légale. Toute personne participant à nos réunions pouvait donner son avis et voter - à condition qu’elle prenne en charge une tâche. Certes nous avions un groupe stable de camarades qui se rencontraient au moins une fois par semaine, mais d’autres personnes collaboraient de façon sporadique ou étaient présentes seulement lorsque nous discutions de certaines luttes. Nous avions un collectif dans le Sud (à Lisbonne) et un autre dans le Nord (à Porto). Parfois, des travailleurs d’une entreprise donnée venaient discuter de leur lutte et ils nous aidaient ainsi à préparer le prochain numéro. Sur les huit pages de Combate, sept traitaient des luttes dans les usines, les champs, les casernes et les quartiers, et une était consacrée à l’éditorial. Bien que le contenu de ce texte fut discuté par toutes les personnes présentes, il est probable que la procédure aurait pu être plus démocratique, mais il est clair qu’avec les pressions du moment, les circonstances politiques constamment changeantes et la nécessité d’accomplir les tâches et de respecter des délais, une seule personne (généralement la même) rédigeait F édito. Rétrospectivement, il nous semble qu’il aurait été préférable de demander à certains groupes de travailleurs de participer davantage et peut-être même d’écrire leurs propres éditoriaux sur les événements en cour ».

C'est du bla-bla qui sert à masquer la futilité et la maigreur de leur intervention réelle. Tout pour abuser notre naïf radioman qui avait déjà été abusé lors de l'interview des trois alcoolos de Boulogne sur mer qui lui avaient fait croire qu'ils écoulaient 250 exemplaires par mois de leur revue anar, dans une cité où même Voici a du mal à se vendre.

RI, pas encore CCI à l'époque, avait salué l'apparition de Combate2, et nous avions reçu en réunion de section un de ses représentants. Mais très vite perçu ses faiblesses politiques :

« Alors que pour "Combate" la presse est essentiellement un instrument d'information et de description, elle est pour nous un instrument d'intervention et d'orientation politique.La question n'est pas une différence entre ouvriers en lutte et "professeurs", mais entre immédiatistes qui se contentent d"'informer" et groupes politiques qui disent leur nom et qui, au sein de la classe et dans ses luttes, défendent une orientation révolutionnaire »3.

Combate ce n'était pas que de faux conseillistes mais des léninistes à leur façon, comme ne le souligne pas assez RI à l'époque; ils sont en réalité des bakouninistes manipulateurs avec la fable de "l'autonomie ouvrière" et les pieds dans le merdier de l'autogestion:

« Leurs articles révèlent,  aussi, une tendance à voir la crise actuelle au Portugal comme un phénomène portugais plutôt que comme une manifestation de la crise mondiale du capitalisme et plus encore, il semble qu'il y ait une conscience limitée du fait que les problèmes que rencontre la classe ouvrière au Portugal peuvent seulement être résolus au niveau international. " (World Révolution, introduction à l'article de "Combate" : "quels conseils ouvriers ? ") Ce que nous disions a été confirmé par l'évolution ultérieure de "Combate". Les camarades du CCI ont rencontré et ont discuté à plusieurs reprises avec "Combate" depuis l'été 75. Mais, malheureusement, ces discussions fraternelles n'ont fait que mettre en évidence une propension, de la part de "Combate", au localisme, à la stagnation théorique, et à l'éclectisme. Dans la situation portugaise, qui requiert de la part des révolutionnaires des idées particulièrement claires, ces traits négatifs ont conduit rapidement à l'apparition et à l'élargissement d'un décalage entre les activités de "Combate" et les besoins de la classe ouvrière ».

UN LOCALISME CHAUVIN ET ANTI-MARXISTE

Notre docte Coleman publie une série d'âneries de Bernardo sans appareil critique. Dans le fascicule « Anticapitalisme : Anti quoi ? », on lit que le marxisme est contradictoire et ambigu. Souvent le ton est arrogant façon « je vous l'avais bien dit ». Sur l'économie, un sujet que Bernardo ne maîtrise pas apparemment on a droit chaque fois à un charabia insolite et obscur qui se ridiculise par cette fleur de rhétorique anarchiste: « le capitalisme ne connaît pas de crise générale aujourd'hui » ! (p.24)

Le fond de pensée de l'ex Charles Reeve est lamentablement gauchiste primaire et étranger à la classe ouvrière :

« D'un côté les secteurs ouvriers traditionnels, qui donnent à la classe ouvrière un arc de continuité historique, se sont tournés vers l'extrême droite populiste voire vers le fascisme. Ce qui devait être notre base naturelle est l'un des piliers qui soutiennent nos pires ennemis ».(p.25)

Commentaire digne de n'importe quel con de gauchiste. Cette bêtise antifa de salon (où il est votre fascisme récurrent?) fait suite au gommage de la classe prolétarienne par les thinks tank socialo-bourgeois, renforcé par le fait que tous les partis y compris gauchistes l'ont laissé tomber, permettant au RN de récupérer provisoirement la mise et sur des questions réelles comme l'immigration massive et ses conséquences qui ne sont que des expressions de racisme pour les bobos Colemant et Bernardo. Pourtant il faut noter que Bernardo a de beaux restes et reste ferme sur la dénonciation du féminisme bourgeois et de l'écologie où, par contre le CCI a mis du formol dans son vin. Il fait par ailleurs une parfaite description de la crise gestionnaire de la gauche (qu'il nomme dysfonction du capitalisme) assez imagée et conforme à ce qui se passe en ce moment en France ; mais cela finit en catastrophe, le vieux dinosaure portugais reste un homme pour la gauche « restaurée » ou restaurable : « La gauche ne reviendra à sa vocation première de soutenir les luttes ouvrières au lieu de gérer le capital, que lorsqu'une nouvelle étape des luttes amènera les travailleurs à assumer à nouveau la dimension sociologique de la classe ».

La « dimension socilogique de la classe » ? Même Bourdieu n'aurait pas osé dire ça ! Le plus ridicule est à venir. Une des principales cuistreries de la gauche hollandaise, pas la conseilliste mais du type au scooter: les races n'existent pas ! C'est sûr depuis que la gauche bourgeoise antiraciste a supprimé le mot de la constitution ! Fallait y penser dès le 18ème siècle merde ! Et que je te recopie des pages de livres savants prouvant que « ce sont les racistes qui ont inventé les races ». Bien sûr qu'elles existent les races, ou alors du fait que les chiens ont quatre pattes il faut supprimer le mot pattes qui risquerait d'être confondu avec les pâtes Panzani! Voir les différences morphologiques et la longueur des poils qui différencient les diverses races de ces animaux serait alors discriminatoire? Cette théorie wokiste qui veut gommer les différences visibles et évidentes mais en surface est débile; avec Bordiga nous répondons par contre il n'y a qu'une seule espèce humaine. Tant pis pour les martiens du wokisme et leur victime Bernardo.

Bernardo pose quand même au passage une question intelligente, sans être capable d'y répondre : le racisme est-il inhérent au capitalisme ? Non puisqu'il a existé de tout temps même s'il ne portait pas ce terme mais des variantes de xénophobie...et qu'il n'est pas prêt de disparaître ! Surtout par le fait que les grands patrons et leurs obligés syndicalistes gauchistes sont outrancièrement antiracistes. Le racisme n'est pas issu en soi du colonialisme, car comme il le note lui-même dans ses recopiages les pires racismes existent et ont existé en Afrique (« composante structurelle de ces sociétés »)..

Sous la domination des médias capitalistes, la question du racisme reste toujours confuse. L'antiracisme est un misérable mantra qui fuit la réalité du racisme qui n'est pas un mal en soi mais une étrangeté. Or la question est pourtant simple : Je suis raciste parce que je ne connais pas l'autre ou qu'il me fait peur. Lorsque j'apprends à le connaître je ne peux plus être raciste.

Enfin, et c'est triste, notre gentil libertaire Bernardo qui a dû fuir le fascisme de ce salaud de Salazar, est incapable d'en fournir une définition claire par rapport à son époque et ne fait que réciter ce hochet à gauchistes illettrés.


NOTES

1Extrait : « La communisation ne se pose pas de « transition », elle pose la question de la révolution tout de suite en disant que celle-ci est en train de SE LA faire. La communisation ne pose pas de limite à son inaction, sauf que, d'elle-même, elle limite son champ à la contemplation, c'est à dire à laisser le travail aux mêmes. . Elle se démarque de la rupture révolutionnaire qu'elle pose comme ringarde. Sa limitation au champ d'une valorisation du travail soit disant obsolète, niant la perspective d'une phase de transformation dela société capitaliste, permet à la communisaation, de son ultra-gauche évanescente à sa droite bobo-pas-trop-boulot, de se situer hors des classes, de ne pas voir plus loin que le transat de l'intellectuel bronzé, d'être l'avenir ici et maintenant ». p.33. Les éditions du pavé 2008.

2Combate" était le seul groupe au Portugal - à part les sectes anarchistes et conseillistes paralysées de façon chronique - qui s'était regroupé autour de certaines positions révolutionnaires. "Combate" attaquait carrément les mystifications du M.F.A. (Mouvement des Forces Armées portugais), l'appareil des syndicats et de la gauche de la bourgeoisie. Le groupe défendait les luttes autonomes des ouvriers portugais et se voulait fermement Internationaliste. Dans le climat répugnant de triomphalisme créé par le carnaval gauchiste au Portugal d’Avril 74 à Novembre 75, la position de "Combate" offrait une lueur d'espoir. C’était comme si, au cœur même de la "Révolution portugaise", de la "révolution aux œillets ", qui s’affrontait sans merci aux luttes ouvrières à la TAP, à TIMEX, dans les Postes, etc., une voix prolétarienne s'était enfin élevée .

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