PAGES PROLETARIENNES

vendredi 10 novembre 2023

La gauche national-socialiste 1925-1930

 

Otto Strasser

par Reinhard Kühnl

TRADUCTION ; Jean-PIERRE LAFFITTE

 

La programmation de la marche gouvernementale de dimanche prochain prend un tour de plus en plus ridicule. Les diverses canailles politiques chauvines vont se délimiter avec de la ficelle. Seuls Serge Klarsfeld et le fils de Mireille Knoll ont fait preuve de dignité. Cette soudaine orchestration d'une montée « néo-nazie » de l'antisémitisme est du genre de l'arroseur arrosé. Avec pose d'oeillères médiatiques : il derait hors de question de lier ce noble combat au massacre actuel en Palestine de l'armée sale de l'Etat « hébreu » Avec un Mélenchon confus comme bouc-émissaire de cette curieuse union nationale de toutes ces pourritures politiques qui nous exploitent et nous prennent pour des cons prétend nous faire la morale, comme le dernier suiviste Jadot : «  considérer que les juifs en France sont coupables, complices de la politique de Nétanyahou sur Gaza ou de la politique de colonisation, c'est un antisionisme qui est un antisémitisme". Et c'est un raisonnement "insupportable". Franchement, après une première indignation normale des saloperies du groupe terroriste Hamas (cofondé par Netanyahou) et les débuts de la « vengeance », qu'a-t-on vu défiler sur les plateaux ? Surtout intellectuels et comédiens juifs, venus apporter leur plein soutien à l'armée sale. A les en croire tous les juifs du monde entier avaient à nouveau peur. Darmanin veut rapporter l'accroissement de comportements antisémites et, en particulier, ces croix de David peintes sur des murs à Paris où il apparaît qu'il s'agit d'une

le toujours génial Willem

commande « étrangère » probablement russe... ou israélienne ? Va savoir. L'étendue des exactions antisémites dans ces conditions n'a rien à voir avec l'antisémitisme nazi d'avant-guerre. N'importe quel imbécile inculte peut y avoir recours en  particulier depuis nos banlieues. Et c'est à leur façon la seule manière, bête et méchante, de dire merde à la propagande qui veut nous coller des œillères pour nier le lien entre cet « antisémitisme d 'un autre âge » , et certes débile. Il n'est nullement question de mélanger tous les juifs du monde à un lâche soutien à l’Etat « hébreu », heureusement, car ils ne sont pas tous endoctrinés ni nationalistes communautaristes. Mais en France c’est bien le discours officiel : « les juifs ont peur », par les thuriféraires du « seul, Etat démocratique » de la région, pourtant les mains pleines du sang des enfants palestiniens quand des milliers d’autres sont atteints de dysenterie, et que l’Etat facho proclame qu’il n’y a pas de drame humanitaire, ni des milliers de mort car seul le Hamas ment en permanence.

Voici un livre qui remet les choses en place sortant des radotages maximalistes sur le seul écrasement de la tentative de révolution du 11 novembre 1918 à Berlin, qui mit fin à la guerre provisoirement ; il met en évidence qu’il a fallu une dizaine d’années pour dompter le prolétariat allemand et que Hitler a toujours eu peur de lui. Cet extraordinaire travail de JP Laffitte ne sera jamais probablement publié. Les Cahiers Spartacus se sont sabordés au profit d’un éditeur gauchiste, il n’y a plus aucun éditeur sérieux en France pour publier des textes pour éduquer une jeune génération d’ouvriers en perte de repères et baladés par l’idéologie croupissante. Le nazisme n’existe plus et on a oublié qu’il fut avant un mystique, comme la musulmanie de nos jours, nouvel habillage de la terreur belliciste et bouc-émissaire pour justifier la « civilisation capitaliste » dans toute son horreur.

 Rony Brauman, ancien fondateur de Médecins sans frontières, né en Israël, dont le nom a disparu des listes sur wikipédia car peu consensuel - que je connais et qui est voisin - a eu toute les peines du monde sur la télé d’Etat à exprimer son indignation face aux milliers de morts à Gaza dans une crise humanitaire terrifiante.

 

 BONNES FEUILLES

TABLE DES MATIERES 

Introduction

PREMIÈRE PARTIE : La gauche national-socialiste après la refondation du Parti en 1925

 

Chapitre A : L’évolution jusqu’à la II° Conférence d’Hanovre

Chapitre B : Le projet de programme de Strasser :

a)      L’économie

b)      L’État

c)      Le système juridique

d)      Culture et Église

e)      La politique étrangère

f)       Les différences avec Munich

 

DEUXIÈME PARTIE : Défaite et nouvelle organisation : Le congrès de Bamberg et la reconstitution des fronts

 

TROISIÈME PARTIE : La conception programmatique de la gauche

 

Chapitre A : La politique intérieure

a)      L’économie

1.      La composition sociale du Parti

2.      Le problème de la classe moyenne

3.      La question de la propriété privée

4.      La critique du capitalisme

5.      Le problème de la lutte de classe

6.      La question syndicale et le problème de la grève

7.      La question agraire

8.      La Constitution économique future

9.      Jugement d’ensemble

b)      La Constitution future de l’État

c)      Race et système juridique

1.      Principes d’un système juridique national-socialiste

2.      Le statut des groupes discriminés de la population

I.        Les juifs

II.     Les femm

III.  Les classes sociales inférieur

d)      Culture et Église

1.      La conception national-socialiste de la culture

2.      L’Église

3.      L’école

4.      Le conflit avec Munich

 

Chapitre B : La politique étrangère

a)      La période initiale

b)      Objectifs et politique d’alliance

c)      Tactique

d)      Le problème colonial

e)      Le jugement sur l’URSS

f)       Les catégories de la formation du jugement relative à la politique étrangère

g)      Les différences avec Munich

 

Chapitre C : Ligne légale ou révolution

Chapitre D : La question de la structure interne du Parti

Chapitre E  (digression) : La position particulière du Gauleiter berlinois Goebbels

 

QUATRIÈME PARTIE : La légitimation idéologique

 Chapitre A : Race, peuple, nation

Chapitre B : La théorie de l’histoire

a)      La théorie générale

b)      La représentation que l’on se fait de l’histoire

Chapitre C : La théorie de la Révolution allemande

 

CINQUIÈME PARTIE : La gauche national-socialiste dans le champ de forces de la République de Weimar

 Chapitre A : La critique du “système”

Chapitre B : La position par rapport à la droite nationale

Chapitre C : La position par rapport au “marxisme”

a)      La critique du “marxisme” en tant que mouvement intellectuel et social

b)      La critique des partis marxistes

c)      Possibilités d’alliance ?

Chapitre D (digression) : La position par rapport au fascisme italien

 SIXIÈME PARTIE : L’aggravation du conflit interne au Parti 1929/30

 Chapitre A : Partage du pouvoir et changement de pouvoir dans le Parti 1929/30

Chapitre B : Participation au gouvernement en Saxe ?

Chapitre C : Participation au gouvernement en Thuringe ?

Chapitre D : Alliance avec la droite nationale ?

Chapitre E : La “gauche social-révolutionnaire” du NSDAP

Chapitre F : La grève en Saxe

Chapitre G : L’entrevue d’Otto Strasser avec Hitler du 20/21 mai 1930

 SEPTIÈME PARTIE : La scission du groupe Otto Strasser

 Liste des sources et de la littérature

 

 (...) PRESENTATION

Le présent travail avait d’abord seulement pour but l’analyse de la soi-disant aile allemande du Nord du NSDAP qui comprenait les groupes les plus radicaux après la refondation du Parti en 1925. Il est ensuite devenu en substance une présentation générale des débats internes de ce Parti dans la période de sa reconstruction organisationnelle au cours de la phase conjoncturelle de la République de Weimar et dans celle de sa promotion en parti de masse lors du premier stade de la crise économique

Les résultats de la recherche sont extrêmement intéressants à plusieurs titres. Les mouvements de masse fascistes, dont l’enracinement repose sur le fait que, étant donné leur situation sociale-psychologique menacée directement par le danger concret de déchéance sociale, des groupes de “la classe moyenne” cherchent à s’exprimer politiquement en eux, ont besoin pour leur préparation à la lutte pour le pouvoir devant la situation de crise immédiate de centres d’organisation.

 

AU DEPART UN MOUVEMENT DE PROTESTATION

 PETIT-BOURGEOIS

 (…) Lorsque l’essor économique a commencé, ces fractions de la petite bourgeoisie sont revenues vers les partis bourgeois du centre ou bien vers des partis à caractère régional, bien que, à nouveau, le développement économique réel « ait été dominé par l’accroissement des grandes unités économique » ; mais, en cas d’une nouvelle grosse crise, elles devraient – désormais sans soutien économique stable et dépouillées par l’inflation de leur sentiment de sécurité  – se retourner d’autant plus spontanément contre le système existant.

(…) Déjà en 1923, le mouvement de protestation petit bourgeois avait fusionné avec les groupes militaristes et ethno-nationalistes, dont les cadres s’étaient formés à partir des masses de combattants, avant tout des officiers de carrière, qui, après la fin de la guerre, n’avaient trouvé ni le chemin de retour vers des formes d’emploi civiles, ni un hébergement dans la Reichswehr. Le fait que les deux mouvements se soient alliés n’était pas un hasard. Les officiers déclassés présentaient des traits de mentalité qui étaient proches de ceux des classes moyennes déclassées, même si ces officiers ne provenaient qu’en partie des couches petites bourgeoises : ils haïssaient les profiteurs de guerre et la ploutocratie, mais ils haïssaient également le mouvement ouvrier parce que ce dernier était arrivé au pouvoir grâce à la défaite de l’Allemagne ; il le considérait comme un bénéficiaire de la défaite et comme un agent des puissances victorieuses. Les deux groupes pouvaient aussi se rencontrer dans leur prédilection, explicable par la tradition relative à l’État d’autorité de l’Allemagne, pour les formes de pensée nationalistes, autoritaires et militaristes.

(...) l’agitation ethno-nationaliste devait elle aussi, si elle ne voulait pas tomber à plat, faire preuve d’un lien plus fort avec des slogans anticapitalistes. Cet accent “socialiste”, qu’il faudra définir encore plus précisément, distinguait le NSDAP nord-allemand du Mouvement nationaliste allemand pour la Liberté qui représentait au début une concurrence sérieuse, bien qu’il n’ait pas disposé d’une stricte organisation de parti.

LES OUVRIERS ETRANGERS A LA MONTEE DU NAZISME

(…) Ici aussi, les ouvriers n’étaient certes en aucun cas porteurs de la pensée ethno-nationaliste – la propagande national-socialiste n’a pu guère y gagner des travailleurs4. Mais les employés des grandes entreprises se sentaient ici plus forts en tant que salariés que les employés des petites entreprises, dirigées de manière patriarcale, des régions campagnardes ; les petits commerçants et les artisans s‘y sentaient plus directement menacés par la grande entreprise que dans les régions non industrialisées. La vie quotidienne politique y était déterminée par les manifestations et les meetings des partis ouvriers ; dans les assemblées propres au parti, l’on devait quand même s’expliquer avec des ouvriers communistes et sociaux-démocrates43. C'est ainsi que les classes moyennes, qui avaient soutenu en partie la révolution en 1918/19 et qui avaient voté pour le DDP(*) libéral de gauche, accueillaient les slogans anticapitalistes avec une certaine ouverture d’esprit.

  (…) Après l’achèvement de la crise de 1923, ces cadres avaient toutefois perdu la plus grande partie de leurs partisans. Les mouvements nationalistes-antisémites, y compris le NSDAP, ont été décimés et réduits à de petits groupes. 

La composition sociale du Parti 

Le NSDAP prétendait être un parti ouvrier. Mais son programme, son idéologie et sa propagande politique, portaient dès le début une empreinte petite-bourgeoise. L’idée de la synthèse du nationalisme et du socialisme est devenue sous la direction d’Hitler le mot d’ordre selon lequel le travailleur, rendu étranger à sa nation par le marxisme, devrait être gagné à la pensée nationale. Puisque l’on ne choisissait pas l’intérêt élémentaire des ouvriers eux-mêmes comme point de départ, mais que l’on voulait les mobiliser pour des intérêts petits-bourgeois et leur prescrire en outre, en partie avec une condescendance légèrement compatissante, et en partie avec une ténacité insistante, les « valeurs nationales » qui, selon la conception des nationaux, leur faisait défaut, l’on n’a pas réussi à gagner des ouvriers dans une mesure importante.

Même dans la SA, dont l’ambiance anticapitaliste pouvait laisser supposer que ses membres étaient principalement d’origine prolétarienne, les petits bourgeois avaient une nette prépondérance. L’étude non publiée déjà citée, qui s’appuie, concernant cette question, sur une statistique publiée dans “SA-Mann” et recensant 600 chefs de SA2, a montré que seuls 14,5 pour cent provenaient de la classe ouvrière, 28,1 pour cent étaient des employés et des fonctionnaires, 25,5 pour cent des travailleurs indépendants, 21 pour cent des agriculteurs et 11,1 pour cent provenaient des professions libérales. L’examen de 165 CV donne un tableau similaire. Étant donné que la statistique se rapporte à l’année 1932, elle comprend ces jeunes ouvriers au chômage qui, après avoir quitté l’école, n’avaient jamais obtenu un emploi et qui ont ainsi été poussés dans la SA. C’est pourquoi, à l’époque de la grande crise, la proportion des ouvriers ne pouvait pas être plus basse. Si l’on prend en considération le fait que les ouvriers représentaient environ 50 pour cent de la population totale, il devient encore plus clair qu’ils y étaient fortement sous-représentés et que les couches moyennes y étaient fortement surreprésentées.

Le moindre succès auprès des ouvriers était, pour la presse-Strasser, un motif constant d’incitation à ce que l’on s’occupe de leur situation, de plainte que tous les efforts jusqu’alors soient restés sans suite, et de reproche à la direction du Parti qu’elle suivait ici une ligne erronée. Muchow par exemple a écrit dans le BAZ : « Beaucoup d’énergies du Parti national-socialiste sont gaspillées en vain pour conquérir des compatriotes issus des associations militaires, des unions, et même des partis “bourgeois-nationaux”… Le danger est très grand que, du fait de cet opportunisme, nous glissions au niveau d’un parti radicalisé constitué uniquement d’antisémites et de petits-bourgeois. Or, la mission véritable, c’était, comme Hitler l’avait précisé, de gagner l’ouvrier allemand ».  Avec cette critique, Muchow avait fait mouche. En même temps, cette citation montre de manière exemplaire comment la presse-Strasser critiquait avec une extrême vigueur la ligne politique défendue par Hitler, tout en faisant référence à une parole d’Hitler.

Avec le commencement de la transformation du NSDAP en parti de masse, son caractère petit-bourgeois se manifestait encore plus clairement ; et, en même temps, il acquérait désormais une force d’attraction plus prononcée pour les classes supérieures. Avec un regard perspicace sur l’adhésion de hautes personnalités issues de l’économie et des maisons princières, Reventlow écrivait : « Le fait de gagner un seul ouvrier au mouvement national-socialiste est infiniment plus précieux que les déclarations d’adhésion d’une douzaine d’Excellences, et en général de personnalités “distinguées” !

(…) La lutte contre le capitalisme devait cependant prendre un caractère très différent chez les divers groupes des couches moyennes. Tandis que les petits travailleurs indépendants ne protestaient que contre la suprématie du grand capital et qu’ils voulaient faire renaître une          sécurisée comme celle des ouvriers, ils étaient intéressés par des réglementations de politique sociale comme par exemple « l’assurance contre les conséquences du chômage, de la maladie, de l’invalidité, de l’âge », etc. Mais c’est précisément cela que les employés jugeaient opportun, contrairement aux fractions indépendantes de la petite bourgeoisie, pour lesquelles les aspirations de réformes sociales représentaient déjà une menace.

Dans ce conflit, la gauche national-socialiste a pris de plus en plus clairement parti pour le point de vue des salariés et elle se retournait par principe contre une domination qui « donne le pouvoir à un faible nombre d’hommes, à savoir les propriétaires fortuits des moyens de production…. de décider de la vie et de la mort de millions d’Allemands », lesquels n’ont « pas la moindre influence ou participation »7.

RACE ET SYSTEME JURIDIQUE

(…)  Le principe de l’égalité juridique de tous les citoyens avait été autrefois le mot d’ordre avec lequel la bourgeoisie montante voulait détruire les privilèges des couches féodales et aider l’économie capitaliste de concurrence à obtenir la victoire. Avec la forte augmentation, provoquée par l’industrialisation, des classes sociales inférieures, ont grossi les doutes relatifs au fait de savoir si ce principe convenait encore pour protéger les privilèges sociaux de la bourgeoisie. C'est ainsi qu’en Allemagne en 1918, lorsqu’il y a eu le danger imminent d’une mise en minorité par les classes inférieures, ont gagné du terrain dans les couches bourgeoises des théories élitistes qui luttaient contre « le mensonge de l’égalité » avec une justification idéologique différente.

L’opposition frontale de ces idéologies avec les classes sociales inférieures s’est modifiée pour les couches petites-bourgeoises de telle sorte que celles-ci se voyaient menacées non seulement par le prolétariat, mais aussi par le grand capital. À leurs yeux, ce danger venait d’en haut et il était incarné d’abord et surtout  par les juifs qui se présentaient devant eux comme banquiers et propriétaires de grands magasins – et toutefois aussi comme dirigeants de partis et de syndicats marxistes. C’est ainsi que, dans la justification idéologique d’un système défini par le principe de l’inégalité juridique, convergeaient des éléments sociaux, ethno-nationalistes et racistes, et qu’ils se mélangeaient en outre avec toutes sortes d’autres motifs qui sont tous dirigés contre le “système” existant.

Sur la voie de la différenciation juridique des citoyens – que celle-ci soit établie selon des critères raciaux, ou bien d’autres critères –, c’est au bout du compte « la responsabilité personnelle des dirigeants » qui devait être réalisée « à la place de l’irresponsabilité d’une masse anonyme ». C’est par « un mode de scrutin organiquement échelonné » que, « contrairement au suffrage universel et égal, la décision devait être mise entre les mains de personnalités conscientes de leurs responsabilités ».

(…) Dans les “NS-Briefe”, l’on en est arrivé à de longues discussions à propos du caractère particulier de « la hiérarchie allemande des chefs », qui devait s’étendre « de manière organique », mais qui devait en même temps être préparée activement par le Parti42. Cependant, des règles plus précises, relatives aux groupes de la population qui devaient être préférés et à ceux – mis à part les juifs et les femmes – qui devaient être défavorisés, n’ont pas été produites. Si l’on se réfère au projet de programme de 1925 et si l’on fait une comparaison avec d’autres éléments de l’idéologie du national-socialisme de gauche, l’on peut cependant constater que la démocratie bourgeoise de la République de Weimar, dont l’État repose sur les partis, et dans laquelle les classes inférieures possédaient, du moins formellement, les mêmes droits politiques que les autres citoyens, était considérée comme incarnant « l’irresponsabilité d’une masse anonyme » ; en revanche était considéré comme « organique » un système dans lequel la prépondérance numérique des classes inférieures était neutralisée par l’organisation corporative et dans lequel la position dominante des couches moyennes était garantie43. Mais     la classe moyenne s’est de tout temps et dans une mesure toute particulière attribuée le mérite « du caractère et de la capacité »44 – envisagés à l’occasion indépendamment du “sang”,  mais souvent aussi considérés comme des signes distinctifs principaux – qui devaient être décisifs pour la position sociale dans la hiérarchie45. L’idéologie de la lutte pour la vie et de la sélection des « gens capables », qui déterminait la pensée d’Hitler et qui ne concernait en aucun cas seulement le rapport entre les peuples, mais aussi le rapport entre les individus, était ici pour ainsi dire atténuée en un code de vertu petit-bourgeois auquel les mots-clés de sang et de race ne sont accolés apparemment que de manière superficielle. En réalité, ce code de vertu peut bien sûr s’associer très vite et très étroitement à la mystique raciale ; l’évolution ultérieure du national-socialisme en est un exemple.

Ces précisions à propos du sang, de la race, de la capacité, etc., en tant que critères de classification, se révèlent être des tentatives de justification purement idéologiques, étant donné qu’il est convenu dès le départ que l’artisan et le petit entrepreneur, agissant dans « l’assujettissement patriarcal », et le paysan, attaché à la glèbe, étaient des compatriotes de plus grande valeur que le prolétaire de la grande ville.

L’ordre ainsi créé devait être protégé par des moyens draconiens – avec des châtiments corporels, la peine de mort et le lynchage, souvent pour des délits relativement minimes. Le projet d’une loi protectrice de la République, dans laquelle les pulsions sadiques et les ressentiments des petits bourgeois déracinés se sont déchargés sans aucune retenue, fournit déjà dans cette période un aperçu des idées des nationaux-socialistes quant à la pratique du droit.  

 

HITLER MAITRE D’ŒUVRE POUR L’ALLIANCE 

AVEC LES COUCHES SUPERIEURES

 (…) Mais la conception politique d’Adolf Hitler était décisive pour s’adresser à tous les groupes hétérogènes des couches moyennes et pour parvenir en même temps à une alliance avec les classes supérieures. Déjà, les intérêts très variés des différentes fractions de ces couches moyennes ne pouvaient pas être ramenés à un dénominateur commun au moyen d’un programme concret : le paysan voulait des droits de douane élevés, l’employé des denrées alimentaires bon marché ; le petit fonctionnaire aspirait à une rémunération plus importante, l’artisan se hérissait contre des impôts accrus ; l’employé avait, en tant que salarié, un intérêt à l’organisation syndicale que le petit entrepreneur combattait vigoureusement. Ces divergences ne pouvaient pas être surmontées au niveau de la politique réelle, mais seulement sur le plan idéologique : l’hostilité ouverte commune de toutes les couches moyennes en même temps contre le “haut” et contre le “bas” pouvait être exprimée dans le mot d’ordre : « Contre le capitalisme et le marxisme », mais elle ne pouvait être caractérisée que de manière vague ; « l’humeur générale d’un idéal économique précapitaliste ou du début du capitalisme : le petit entrepreneur et le petit commerçant, le petit paysan sur son lopin de terre, l’esprit artisanal des travailleurs et l’autarcie de l’espace national clos » ; l’idéologie corporative pour aller aussi dans le sens de la mentalité des employés, mais avant tout l’antisémitisme comme lien unifiant – la concrétisation ne peut pas aller plus loin.

Le Parti ne pouvait donc préserver un visage unitaire et développer une force de persuasion que s’il compensait le manque de clarté de son programme par le comportement homogène de ses formations et s’il complétait le point commun de l’antisémitisme par une “croyance” positive. C’est le mythe du chef qui avait cette fonction ; la confiance dans le “sauveur”, qui apporterait l’aide souhaitée à chacun, permettait de cacher les contradictions idéologiques. La position éminente du chef qui n’est lié par aucune norme se révélait d’autant plus nécessaire que le Parti était prêt à abandonner complètement les intérêts, de toute façon contradictoires, de ses partisans pour une alliance avec les couches sociales supérieures. Cette politique exigeait, à côté d’une habileté tactique et d’un manque de scrupules démagogique, une poigne de fer de la part de la direction du Parti qui, sous peine d’être renversée, était obligée de réprimer tout mouvement autonome venant du bas.

LE SANG PREND LE RELAIS DE LA RAISON

(…) La guerre mondiale, que la jeunesse qui a vécu cette guerre a ressentie comme « un hiatus historique », était interprétée de la même manière que dans les autres groupes de la Révolution conservatrice : 1914 a entamé une nouvelle époque. « Le sang prend le relais de la raison,… nous croyons de nouveau aux mystères… Il y aura à nouveau un destin, … il y aura de nouveau un dieu quelconque ». L’annonciateur d’un nouvel esprit, le responsable du chamboulement, « l’accomplissement [de Goethe]… Faust, c’est le national-socialisme ».

Cette théorie étrange et qui n’est effleurée par aucune analyse historique, mais qui est construite de manière tout à fait arbitraire, a été joyeusement reprise par Otto Strasser et poussée complètement jusqu’à l’absurde. Dans sa conception, le pendule historique – manipulé par le destin ou bien par Dieu, et par conséquent dans tous les cas de façon entièrement automatique – oscille entre deux structures historiques fondamentales qu’il appelle le libéralisme et le conservatisme et qui donnent naissance à des structures opposées sur les trois plans de l’État, de l’économie et de la culture. Chacun de ces battements du pendule dure 150 ans, c'est-à-dire qu’environ 150 années de libéralisme sont suivies par 150 années de conservatisme, et qu’à ce moment-là le jeu recommence.

Ce rythme dans l’histoire a été doté par son découvreur Otto Strasser du nom prétentieux de « loi de la bipolarité trinitaire » : trinitaire pace qu’elle était valable de la même façon pour les trois plans de l’État, de l’économie et de la culture ; bipolarité parce que le pendule oscillait entre les deux pôles du libéralisme et du conservatisme. La loi devait être valable pour la sphère culturelle occidentale. 

REFAIRE ET CONTROLER UNE HISTOIRE MYSTIQUE  (sic ! comme notre gauche bourgeoise wokiste et autres débiles indigénistes indigestes)

(…) L’antisémitisme, qui trouvait une si forte résonance dans la petite bourgeoisie, parce qu’elle identifiait deux menaces – le capitalisme et le marxisme – chez le juif, recevait à partir de là un fondement idéologique ; l’on était « fier de cette logique » qui associait les deux phénomènes avec les juifs, parce que le capitalisme comme le communisme étaient « des phénomènes du déclin de l’époque rationnelle » et que « le juif, en tant que le plus ancien, le plus fort membre de l’humanité saisi par la dissolution se sent au mieux dans les deux ».

Étant donné que les classes moyennes, compte tenu de leurs divergences internes et de leur importance sociale diminuée dans la société industrielle, n’étaient pas en mesure de créer des organisations unitaires et qui seraient par conséquent seulement limitées à la mise en œuvre de leurs intérêts sociaux, elles avaient tendance en général à dénigrer la défense des intérêts sociaux, ainsi que le faisaient les syndicats publiquement, les associations industrielles moins publiquement, mais en aucun cas moins efficacement, comme étant du matérialisme, et à mettre tout simplement sur le même plan leur propre position non seulement avec le l’intérêt général, mais avec la morale. Les motivations de la Révolution allemande n’étaient pas matérielles, mais en premier lieu de nature spirituelle ; il s’agissait d’un nouveau sens de la vie, d’une nouvelle attitude, d’un nouvel honneur. Le nouvel État aurait non seulement besoin de la puissance extérieure, mais avant tout d’une nouvelle vision du monde, d’un nouvel idéalisme.  

Les mots d’ordre avec lesquels l’on proclamait les buts de la Révolution allemande sont les mêmes que ceux avec lesquels les autres groupes conservateurs faisaient eux aussi de l’agitation contre l’esprit moderne et contre la société moderne : la Révolution allemande était « la révolution de l’âme contre l’esprit, du nationalisme contre l’individualisme, du socialisme contre le capitalisme ». « Le sang remplace l'esprit ». Par référence à Moeller van den Bruck, la “communauté” était opposée de manière polémique à la “société”, ce qui correspondait à l’usage général de ces notions dans les milieux conservateurs, mais non pas aux intentions de celui qui avait été à l’origine de cette analyse, à savoir Ferdinand Tönnies. La Révolution allemande était « nationaliste – contre l’asservissement du peuple allemand ; … socialiste – contre la tyrannie de l’argent ; … völkisch(*) – contre la destruction de l’âme allemande ». Tandis que le début du XX° siècle était encore placé « sous le signe de la raison, du marxisme, de la démocratie », elle restaurerait la véritable Allemagne, « le pays de l’âme, du sentiment, de la culture ». Mais rien de précis n’est dit à propos de la nature de cette âme : le système libéral devait faire ses preuves alors que le national-socialisme ne pouvait être compris que « par ceux qui appartiennent à sa communauté ». Avec l’adhésion au NSDAP, il s’accomplissait donc pour ainsi dire une transformation mystique en l’homme, et ce serait cependant une entreprise irrespectueuse de la questionner plus avant.

Ici aussi la proclamation de la Révolution allemande se hisse parfois jusqu’à cette solennité prophétique qui est parfaitement approprié au contenu mystique de cette “théorie”.

En association avec la philosophie de l’histoire, la théorie de la Révolution allemande fournissait à la lutte contre les couches moyennes bourgeoises, contre le capitalisme et le marxisme, contre le rationalisme et la démocratie, contre la République de Weimar et les puissances de l’Entente, l’apparence d’une meilleure justification.

La condamnation de la République par Hitler est entièrement marquée par cet orgueil national blessé qui trouvait refuge dans l’antisémitisme. À ses yeux, la République était – y compris dans les années ultérieures – le produit de la « vermine » judéo-marxiste, des   « révoltés en guenilles de Novembre » qui « ont vendu et trahi leur propre pays », qui, du fait de leur coup de poignard dans le dos de l’armée allemande invaincue, avaient provoqué la défaite et plongé le glorieux Reich allemand dans la perdition. Il s’agissait de renverser la domination judéo-marxiste, qui avait alors été établie avec l’objectif de la destruction complète de la substance du peuple allemand et de la vente totale du Reich à la finance juive internationale, et de mettre à la place une dictature nationale qui relèverait la puissance allemande dans son ancienne grandeur et splendeur.

(…) La composante raciale, qui apparaissait toutefois moins fortement – par comparaison avec Munich –, se combinait à la composante sociale. En conséquence, les juifs étaient étroitement reliés, d’une part, au capitalisme international, même si l’on ne les identifiait pas avec lui, ainsi qu’Hitler et Rosenberg le faisaient,  mais, d’autre part, au marxisme. Si les juifs n’occupaient pas directement les ministères du Reich, comme dans le cas du social-démocrate Rudolf Hilferding, ils en manipulaient du moins leur distribution.

La méthode de propagande d’Hitler, qui consistait à regrouper, peu importe à quel point ils étaient de nature différente, tous les adversaires politiques – par exemple dans formule « les juifs de la banque et des soviets » – afin d'épargner au peuple la peine de faire des différences et de lever ses doutes éventuels19, est parfaitement visible dans la presse du Kampfverlag : bien que l’on ait du reste souligné les différences entre la droite et la gauche, le juif, qui était dans cet imaginaire aussi bien derrière le capitalisme que derrière le marxisme, représentait un élément qui associait tous les adversaires dans un front unique.

La position par rapport à la droite nationale (à comparer avec la démarche du nain Zemmour)

(…)  Les réflexions effectuées jusqu’à présent ont montré que c’était la mentalité du petit bourgeois qui se reflétait dans  la pensée des deux ailes du NSDAP – vénération de l’autorité de l’État, nationalisme, antisémitisme, revendications corporatives particulières vis-à-vis des ouvriers –, mais qu’en même temps l’aile gauche – c’est ce qui la différencie de la direction du parti –, en se fondant sur le programme du parti, mais en renforçant toutefois ses tendances, réfléchissait les intérêts sociaux des classes moyennes et tenait moins compte des considérations tactiques.

Ces différences se manifestaient nécessairement dans la position que l’on prenait vis-à-vis de la droite nationale. Les classes supérieures et moyennes qui y étaient représentées adhéraient en principe à la même idéologie conservatrice que les nationaux-socialistes, même si, étant donné qu’elles comprenaient les fractions des classes moyennes qui n’avaient pas été déboussolées par la crise, elles n’insistaient guère sur l’antisémitisme et elles se manifestaient en général de manière moins violente, et même si les objectifs sociaux et politiques des classes supérieures ne correspondaient pas avec leur idéologie conservatrice : chez les classes moyennes, l’idéologie conservatrice reflétait leur véritable volonté d’en revenir à des structures précapitalistes, tandis qu’elle avait un caractère principalement instrumental pour classes supérieures.

LA BAGARRE ENTRE LES DEUX FRACTIONS DU PARTI 

(…) En contrepartie, Hitler a remodelé en 1928 « l’organisation locale du parti d’une manière qui correspondait aux souhaits de l’industrie de la Ruhr », il a remplacé les dirigeants du parti Karl Kaufmann et Erich Koch, qui appartenaient à l’aile gauche, par Florian et Terboven, et il a scindé la province de la Ruhr en deux parties. De plus, Hitler était prêt à modifier tout le programme économique en fonction des vœux des chefs d’entreprise. C’est grâce à l’ancien Alldeutsche Verband(***), qu’il connaissait déjà depuis le début des années vingt, qu’Hitler a obtenu le contact avec Hugenberg, et c’est par l’intermédiaire de Göring qu’il a pu approcher Thyssen.

(…) Gregor Strasser a même entrepris de fonder un mythe socialiste du martyr du NSDAP en interprétant le putsch d’Hitler en 1923 comme une tentative de mise en œuvre du socialisme et en le mettant au même niveau que les insurrections communistes7.

(…) Lors de chaque lutte ouvrière, à l’occasion de chaque protestation contre des hausses de prix et contre la réduction de prestations sociales, la presse du Kampfverlag se retrouvait sur le front avec les “marxistes”. Cette évolution s’est mise en place avec le référendum sur l’expropriation des princes en 1926 et elle a atteint son point culminant avec le soutien à la grève des métallurgistes saxons en avril 1930.

(…)  Étant donné la condamnation de l’idéologie du marxisme ainsi que de l’histoire et de la structure des partis ouvriers, cette contradiction, qui ne peut pas être résolue sur le plan rationnel, mais seulement social-psychologique, peut être détectée en de nombreux endroits, souvent dans le même article, et parfois dans la même phrase.

Dans le marxisme, les nationaux-socialistes étaient confrontés à une conception à laquelle ils n'avaient rien d’équivalent à opposer en termes de précision et d'unité. C'est pourquoi il est compréhensible que, pour les nationaux-socialistes de gauche, il ait été cette théorie à cause de laquelle la polémique éclatait sans cesse, et qui – en tant qu’adversaire contre lequel l’on devait se protéger, en ayant conscience que “l’attitude” conservatrice n’y suffirait pas – a contribué pour beaucoup à la formation de sa théorie. On lui empruntait à l’occasion des thèses économiques et politiques particulières courantes – par exemple celle de la concentration croissante du capital, de la mise en danger et de la prolétarisation des classes moyennes, de la nécessité de la lutte de classe, etc. –, mais l’on avait par ailleurs sur elles les idées les plus extravagantes. Dans les “NS-Briefe”, Bodo Uhse constatait à juste titre chez les “antimarxistes” « une méconnaissance stupéfiante de ce que le marxisme signifie, est et veut ». Avec quelques restrictions, cela valait aussi pour les nationaux-socialistes de gauche dont il faisait lui-même partie.

(…)  Malgré cela, ni l’ensemble du patronat n’a été gagné au NSDAP – ce sont les partis bourgeois, depuis les nationaux-allemands jusqu’aux démocrates, qui recevaient la plus grande part de ses dons –, ni les soucis financiers du parti n’ont été définitivement surmontés ; pourtant, la ligne politique du NSDAP en a été influencée de manière décisive sans que la masse des adhérents ait eu conscience de ce virage et de ses causes. Beaucoup de responsables se consolaient en pensant : « Le Führer sait ce qu’il fait ».

Le fait que le petit bourgeois déclassé Adolf Hitler soit demeuré prisonnier sa vie durant d’un ressentiment personnel à l’égard de « la bourgeoisie repue et pleutre » – d’autant plus que cette bourgeoisie l’avait lâché en 1923 – était dissimulé par sa haine contre les marxistes et les juifs et il n’a eu aucune influence sur sa ligne politique générale.

(…) La gauche national-socialiste était certes d’accord idéologiquement en grande partie avec la droite nationale, en particulier lorsqu’il s’agissait du “tableau culturel” : l’on s’opposait conjointement au rationalisme et au libéralisme, à la démocratie et au marxisme. Mais en même temps elle n’oubliait jamais l’hostilité sociale ouverte de la petite bourgeoisie à l’égard des classes supérieures et du capitalisme. La presse Strasser exigeait par conséquent une dissociation nette à l’intérieur du mouvement national entre les “révolutionnaires” et les “réactionnaires” ; l’on ne voulait coopérer qu’avec les premières de ces forces nationales que l’on considérait comme exemptes de toute tendance capitaliste

(…) Dans la lutte politique quotidienne, le SPD « social-pacifiste » et sa politique syndicale étaient attaqués principalement d’un point de vue de gauche. Le mépris à l’égard  de ce « parti » en réalité « bourgeois » qui, à côté de la trahison nationale vis-à-vis du peuple allemand, avait également sur la conscience la trahison sociale vis-à-vis des travailleurs allemands, ne connaissait quasiment aucune limite : « C'est ce qu’ont fait les scélérats du SPD du prolétaire allemand : de lui qui a tenu autrefois le destin du monde entre ses mains ». Ce parti lâche et corrompu, qui pensait de manière petite-bourgeoise…

(…) La position des nationaux-socialistes de gauche était plus ambiguë vis-à-vis du KPD. D’une part, le KPD était présenté comme une organisation d’assassins et de proxénètes, dirigée par des juifs et des gens de lettres sans racines, qui était au service de la politique étrangère de l’Union soviétique et qui diffamait et agressait les nationaux-socialistes sans défense, moyennant quoi l’on se retrouvait tout près de l’injure courante à Munich où les communistes étaient traités de « sous-humanité sans retenue » et de « déchaînement destructeur du peuple ». D’autre part, les communistes devaient être « taillés dans le même bois » que les nationaux-socialistes ; on leur concédait qu’ils avaient combattu avec idéalisme et esprit de sacrifice pour la réalisation du socialisme du fait de leurs insurrections après 1918 qui avaient été réprimées « sous les louanges des esclavagistes ». D’un côté, on leur reprochait de n’être pas suffisamment révolutionnaires, et d’un autre côté, dans les affrontements entre les communistes et la police, l’on se plaçait du côté de l’autorité publique : le “ Nationale Sozialist” commentait une action de la police contre une manifestation des ouvriers à Prague, au cours de laquelle cinq femmes ont été tuées,  avec ces mots : « Les meurtres commis par les rouges sont partout les mêmes ».

 (…) Il (Strasser) a obligé Hitler à formuler franchement les dernières conséquences de sa conception politique. « La profession de foi d’Hitler en faveur de la race supérieure des directeurs d’usine » et son intention de satisfaire les souhaits des travailleurs seulement sous la forme du pain et des jeux donnent une idée juste de sa conception du socialisme. « Extérieurement, la conversation n’a pas semblé être un événement politique d'une importance particulière ; elle n’a pas eu d’influence sur l’organisation et sur la croissance du NSDAP. Mais pour la vie intérieure du parti, d’une certaine manière, elle a établi des principes éternels pour la vie spirituelle du parti ».

Hitler, pour lequel le problème principal n’était pas la clarification objective des questions en suspens, mais l’élimination de l’Opposition, a interrompu brutalement la conversation lorsqu’il est devenu clair pour lui qu’Otto Strasser ne pouvait être ni soudoyé, ni effrayé par des menaces. Il devait être profondément vexé qu’un jeune membre du parti l’ait contredit ici de la sorte, c'est-à-dire ouvertement et systématiquement. Hitler est retourné à Munich et il n’a rien annoncé durant des semaines de sorte qu’Otto Strasser, qui s’était attendu à une réaction immédiate, est resté complètement dans l’incertitude.

(…) Les rapports entre le cercle Strasser et le chef de district Goebbels n’avaient jamais été particulièrement bons. En plus du fait qu’il était passé en 1926 du bord des Strasser à celui d’Hitler et qu’il était perçu maintenant comme le point d’appui de la direction du parti dans la zone d’influence des Strasser, c’étaient surtout ses méthodes sans scrupules dans la lutte politique et son comportement hâbleur qui dérangeaient. Des attaques ouvertes contre le chef de district n’avaient cependant pas été possibles étant donné qu’il faisait semblant d’être assez à gauche dans les questions tactiques et programmatiques.

(…) Entre-temps, il était devenu clair que la direction du parti était décidée à entreprendre une action contre tous les porte-parole  de l’opposition de gauche, et non pas seulement contre un rédacteur de la Kampfverlag ou un autre. Goebbels avait convoqué pour le soir du 30 juin une réunion des membres du district de Berlin dans le but de se procurer leur soutien. Et il a été mis brutalement fin à l’espoir d’Otto Strasser, de Buchrucker, de Korn et de quelques autres partisans des Strasser, de pouvoir y présenter publiquement leur point de vue : la SA les a expulsés de la salle avec violence. Goebbels a justifié cette mesure en partie avec le bluff selon lequel une procédure d’exclusion planait sur les personnes qui ont été expulsées – cette information serait déjà en cours de route avec le courrier –, en partie avec l’argument juridique formel selon lequel Otto Strasser et ses compagnons ne faisaient pas partie du district de Berlin, mais du district du Brandebourg.

Dans une réunion qui avait été purgée de la sorte, Goebbels a poussé un coup de gueule contre les « littérateurs » et les « bolcheviks de salon » qui voulaient transformer le parti en un instrument de leur bas égoïsme, et il a lu finalement une lettre d’Hitler dans laquelle il lui était réclamé, à lui Goebbels, d’épurer le district de ces éléments. Lorsqu'il a demandé à ceux qui étaient contre lui de se lever, certains membres encore, malgré les purges précédentes, ont quitté la salle.

(…) Les organes des partis ouvriers et des plus petits groupes communistes ont essayé de retrouver les intérêts sociaux qui se manifestaient dans le NSDAP et, à partir de là, de rendre le conflit compréhensible. Ils reconnaissaient généralement que le NSDAP était un parti dont les membres étaient principalement des petits-bourgeois, et dont la direction s’alliait de plus en plus fortement avec le grand capital. Mais l’on ne parvenait que dans un petit nombre de cas à un jugement pertinent sur les raisons du conflit entre le groupe de l’Opposition et la direction du parti.

La large gamme des interprétations montre que l’on ne savait pas vraiment à quoi s’en tenir. Elle commence du côté communiste par la thèse indifférenciée selon laquelle les deux ailes voulaient servir le pouvoir du capital – l’aile Strasser était seulement encore plus rusée dans l’art du faux-semblant – ; le “Rote Fahne”, l’organe central du KPD, imbu de son dogme idéologique  stipulait une simple répartition des forces politiques de la République de Weimar en bolcheviks et fascistes…

(…) Après son exclusion, qui ne pouvait pas avoir lieu avant les élections en Saxe, elle avait « été pour l’instant poussée au mur ». « L’afflux provenant du camp bourgeois de droite », qui s’est ensuite accru, fera ressortir « encore plus nettement » le caractère fasciste du parti. Le NSDAP s’est transformé en un « grand parti antisémite-fasciste » qui pouvait accueillir les masses petites-bourgeoises. Dans la prévision d’une lutte pour le pouvoir qui s’ensuivrait entre Goebbels et Adolf Hitler, lequel, contrairement à Goebbels, manquait « de presque tout … pour être un leader », Orsoleck s’était toutefois trompé. Les analyses d’Orsoleck n’avaient eu aucune influence sur la politique du SPD.

Assurément, beaucoup de membres qui ont soutenu jusqu’alors la politique de la gauche, mais qui ont eu peur au moment décisif des dernières conséquences et qui sont restés dans le parti, se sont tout d’abord réconfortés par le fait qu’une opposition politique pertinente n’était possible qu’à l’intérieur du parti ; mais en réalité, la grande occasion était perdue.

Contre la ligne de la direction du parti, qui, par-delà l’alliance avec la droite nationale, visait finalement la conquête du pouvoir politique et l’établissement d’un système de gouvernement fasciste, s’est certes ravivée encore à plusieurs reprises dans ses propres rangs  une résistance caractérisée de manière en partie vaguement anticapitaliste, et en partie résolument petite bourgeoise-socialiste, qui n’a pu être brisée définitivement que par les assassinats commis le 30 juin 1934 ; pourtant l’obstacle déterminant sur cette voie-là avait déjà été écarté avec l’écrasement de l’aile gauche durant l’été 1930.

 

 

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