PAGES PROLETARIENNES

mardi 10 janvier 2023

UNE NOUVELLE ATTAQUE HYSTERIQUE CONTRE LA REVOLUTION RUSSE

 


OU LES CARENCES D’UNE HISTOIRE MILITAIRE 

ANTI-COMMUNISTE

« Les bolcheviks enterrent vivants les officiers, et les bolcheviks capturés sont brûlés vifs par les officiers blancs » (p.203)

 

Des centaines de livres ont été écrits pour dévaloriser, contester et dénier toute valeur historique à la révolution en Russie en 1917. Destiné à être bien achalandé et visible à l’oeil nu, le dernier livre d’Antony Beevor trône en haut des rayons et a été présenté comme une « somme ». Une somme certes de 600 pages mais un effroyable pensum qui compile de façon répétitive et lassante, d’un point de vue militaire et dans la confusion la plus totale, la série des sanglants conflits de tout ordre qui ont caractérisés la longue période dite de « guerre civile » de 1917 à 1921. Première carence qui affaiblit le propos et les soi-disant découvertes de l’auteur, tout est décrit comme un chaos ethnique ou de peuplades arriérées (cosaques et Cie) mais aucune analyse sur les envois d’armes et les manipulations des impérialismes coalisés pour faire effondrer la révolution prolétarienne ; Churchill est convoqué comme un brave homme quasi spectateur. L’auteur fait souvent mine de faire équivaloir les cruautés dans les deux camps mais il fait bien comprendre qu’il est viscéralement anti-bolchevik.

Le conflit de classe est systématiquement soit traité comme secondaire soit obnubilé ou mis sur le même plan que les conflits ethniques, confirmant que le wokisme est bien une tendance idéologique générale qu’on retrouve ici avec un grossier révisionnisme historique ; qui provient en particulier du milieu artistique très malléable face aux nouvelles idéologies, tel le film avec Omar Sy[1]. Tout en maintenant au fond les deux mêmes angles d’attaque perpétuelle de l’idéologie dominante : au temps du tsarisme c’était mieux et Lénine a enfanté Staline. Sur le premier radotage obséquieux le début du livre de Beevor est objectif ; en décrivant les humiliations du peuple russe, la gifle autorisée de l’officier sur le soldat et l’usage immodéré de la chair à canon par un tsar faible d’esprit, il démontre l’urgence d’une révolution même si elle ne fera pas dans la dentelle :

« La grande erreur de presque tous les généraux blancs réside dans leur conviction qu’ils doivent continuer le combat contre l’Allemagne en même temps que contre les Rouges. Ce qui revient à monter contre eux la quasi-totalité des paysans et des anciens soldats, parmi lesquels les cosaques » (p.195).

On attend depuis un an, au début de cette année 2023, que des mutineries éclatent en Russie et en Ukraine contre les fauteurs de guerre des deux camps !

Par contre, en second lieu, excepté une série d’attaques personnelles de manière subjective et apolitique, Beevor ne démontre en rien que Lénine a enfanté Staline, même s’il a été amené à prendre des décisions cruelles pendant cette terrible « guerre civile », à croire à une « guerre révolutionnaire » face à la Pologne (où Staline fut en effet plus lucide, cf.p.540), sans oublier l’impardonnable répression à Kronstadt au mois de mars 1921, point culminant des grèves commencées en février ; le prolétariat, affaibli et affamé ne soutiendra pas les marins finalement, et ce sont les pages quand même intéressantes, au milieu de ce pensum incohérent, dans le dernier chapitre « La mort de l’espoir »[2]. Il est singulier que personne n’ait noté, même chez nos meilleurs connaisseurs maximalistes, que la fin de ladite guerre civile en Russie se termine symptomatiquement avec l’affaiblissement du prolétariat, et quand, au Xème congrès du parti, le 8 mars 1921, même s’il évite d’y mêler les insurrections ouvrières, Lénine déclare : « les insurrections paysannes représentent un danger bien plus grand que tous les Dénikine, Koltchak et Ioudénitch réunis »(p.567). N’est-ce pas que cela signifierait bien plutôt que si la bourgeoisie mondiale réussit à précipiter une guerre civile de cette ampleur, et avec tant de cruautés, la révolution est fichue dès le départ ? Et que l’espoir d’une extension internationale et naturelle de la révolution prolétarienne ne serait qu’un doux espoir utopique ?

 La notion de « guerre civile » aurait d’ailleurs demandé à être discutée d’emblée d’un point de vue méthodologique. Qu’est-ce qu’une guerre civile ? En principe depuis la révolution française jusqu’à la Commune de Paris, une guerre civile mettait en confrontation dans un cadre national la vieille institution étatique et sa police face au peuple ou au prolétariat. Avec les dites « guerres civiles » en Russie et en Espagne, ces guerres peu civiles n’ont pas duré longtemps avant de devenir surtout des guerres par impérialismes interposés. Tout cela confirmant ma thèse depuis 30 ans, et depuis la publication de mon livre sur la révolution française : il n’y a plus de guerre révolutionnaire. Déjà j’étais avec Robespierre

 aussi injustement et perpétuellement vilipendé que Lénine par la noria des historiens bourgeois, qui fût le seul à s’opposer à cette notion, laquelle servit en effet, pour l’époque, à étendre la domination bourgeoise sur l’Ancien régime en Europe grâce aux massacres de l’armée napoléonienne. Notons en outre qu’un groupe, le CCI, a depuis 50 ans suffisamment démontré que les successives guerres de « libération nationale », dites frauduleusement de « décolonisation » n’ont jamais été des révolutions, mais un repartage du contrôle des impérialismes dominants, sous la férule de prétendues « dictatures marxistes ».

Une révolution moderne, même en référence à l’imparfaite et échouée révolution de 1917, à vocation internationale en Russie,  ne peut plus être une simple guerre civile, disons interne aux classes en lice, mais concerne (et concernera ?) le monde entier. Autrement dit un moment révolutionnaire ne peut plus se passer au simple niveau national, met en jeu des forces colossales tout en supposant des horreurs impressionnantes du point de vue de la répression de la classe dominante… comme par les révoltes de la classe dominée ; et c’est là surtout que l’attaque de Beevor est perverse et dangereuse pour notre espoir et notre confiance en la nécessité d’une révolution mondiale : faire admettre que des atrocités auront inévitablement lieu dans les deux camps, et qu’il vaut mieux… ne pas souhaiter cette révolution qui serait pire qu’une guerre ! Et pas autre chose qu’une « vengeance de classe aveugle » comme l’assure Beevor !

 Jusqu’à lui il faut bien dire que les charges successives des idéologues de Aron à Courtois se sont épuisées et ont fini par lasser ; sa bibliographie en fin d’ouvrage témoigne de l’acharnement littéraire des nombreux plumitifs acquis au régime bourgeois. Alors on nous fait le coup de la découverte d’archives inédites qui viendraient mettre à bas définitivement l’expérience « dictatoriale » bolchevique avec son « cercle vicieux de la terreur » dont le capitalisme est sommairement excusé. Il est incontestable que version hémoglobine, tortures diverses, viols, yeux crevés et pendaisons, on est servi au moins toutes les dix pages, informé des crimes de l’ukrainien Makhno comme des doigts coincés dans le dormant des portes par les cosaques. Mais sur le plan chronologique, sur les forces antagonistes en présence, sur la conclusion de cette terrible « guerre civile », rien de nouveau de ce qu’on sait déjà et des polémiques battues et rebattues. Surtout pas une analyse objective de la barbarie en général dans ce capitalisme décadent ni un sens de la proportion et des conditions d’époque.

L’auteur est présenté comme ancien militaire gradé et spécialiste de la Seconde Guerre mondiale comme ma grand-mère était spécialiste de la guerre russo-japonaise aux fins fonds de la Lozère[3]. On verra que les références de cet auteur accréditent hélas un manque de sérieux dans l’analyse des causes et des conséquences, et surtout – comme dans son livre sur la guerre civile de 1936 en Espagne – démontrent une incapacité intellectuelle et politique à analyser des événements certes dramatiques mais dont on ne peut juger sans s’élever au niveau de leur signification historique et sociale, et sans renier la nécessaire prise de parti du point de vue de sa classe sociale d’appartenance. Or, sans conteste, Beevor est un militaire bourgeois, qui ne cache pas sa sympathie voire son relativisme face à la barbarie fasciste, et dont la dernière phrase conclut bien le camp dont il est le représentant : « l’impitoyable inhumanité déployée par les bolcheviks est restée sans équivalent » (p.576, ouf !)[4]. Les millions de morts de la guerre capitaliste de 1914, puis de 1945, Hiroshima et le génocide des juifs dans les années quarante passés à la trappe ?

Beevor reproche à Lénine une obsession du pouvoir mais trahit lui une obsession des juifs ! Même s’il la cache derrière l’opinion présentée comme celle d’anti-bolcheviks (ce qu’il est lui aussi primairement) : « Comme les anti-bolcheviks l’affirment bientôt : « Lénine a fait la révolution avec des cerveaux juifs, la stupidité russe et les baïonnettes lettones » (p.149). Il se félicite presque que l’antisémitisme « infecte même les rangs bolcheviques », tout en semblant regretter que l’antisémitisme d’Etat tsariste « ait naturellement jeté de nombreux juifs, jeunes et en colère, dans les bras du bolchevisme » (p.149). Pourtant, même dans le parti bolchevik les juifs ne sont pas si nombreux qu’on voulut le laisser croire, mais on peut leur reprocher d’être si brillants : « Joffé (intellectuel raffiné)…est non seulement bolchevique mais juif, il lui sera réservé un traitement des plus désinvoltes » (p.223).

UNE QUATRIEME DE COUVERTURE QUI AFFIRME CE QUI NE SERA JAMAIS DEMONTRE DANS L’EPAIS PENSUM

La révolution russe mit aux prises « de multiples parties prenantes, chacune ayant une cause particulière à défendre – nationale, ethnique ou de classe ». Et cela continue ainsi dans cette quatrième de couverture : « En 1917, quand la Russie impériale, archaïque et vermoulue, sapée aussi par sa gestion calamiteuse de la guerre, se désagrège, Lénine et ses bolcheviks s’emparent du pouvoir par la ruse, la terreur et par un sens de l’organisation hors du commun. Pendant trois ans, la Russie va connaître une guerre civile d’une férocité inimaginable. Dès 1918, Lénine décrète la Terreur rouge : tout aristocrate, tout bourgeois doit être sommairement exécuté en tant qu’ennemi de classe. De leur côté Les Blancs sont minés par les désaccords politiques et desservis par les exactions commises par leurs cosaques.

La propagande du camp victorieux a tout fait pour déformer et reconstruire ce conflit sous la forme d’une geste héroïque. Il est restitué ici pour ce qu’il fut, à savoir sans aucun doute avec ses six à dix millions de morts, l’un des plus barbares de l’ère moderne. L’exploitation d’innombrables archives inédites a permis à Antony Beevor de nous raconter et de nous expliquer, comme jamais auparavant, ce cercle vicieux de la terreur qui a exacerbé les tensions politiques dans le monde entier et abouti à la Guerre d’Espagne et à la Seconde Guerre mondiale ».

Sauf à égrener toute une série de massacres et à caricaturer les attitudes supposées de Lénine (torve, boudeur, méprisant, lâche) il n’est nulle part démontré en quoi la révolution en Russie aurait été la cause de la guerre dite civile en Espagne et à la Seconde Guerre mondiale ! La réaction du prolétariat en Espagne, au tout début, est une des dernières réactions de classe avant l’engrenage vers la deuxième boucherie mondiale quand la révolution en Russie avait justement mit fin à la première boucherie mondiale voulue par le capitalisme. Elle devient ensuite le terrain d’expérimentation des armes de guerre, surtout par les fascismes italien et allemand, dont Beevor admire l’efficacité et la cohésion …quand j’avoue préférer le joyeux bordel républicain espagnol même s’il ne permet ni de gagner une guerre ni de favoriser une vraie révolution[5]. Mettons que cette quatrième de couverture, qui n’est que le recopiage d’un paragraphe à la fin du bouquin sans véritable conclusion synthétique ni autre jugement intelligent que la qualification de Lénine comme « apprenti du diable » (p.575), suppose que les agents de Staline aient déclenché révoltes et insurrections en Espagne… C’est complètement improbable, c’est la classe ouvrière espagnole qui entre en lutte, pas l’infime minorité de « communistes staliniens » auxquels personne n’accorde d’importance au début.

La révolution russe aurait-elle entraîné la guerre mondiale ? Seul un fasciste primaire pourrait affirmer cela. Beevor prend soin de nous assurer, en fin d’ouvrage, qu’il n’y a pas eu de CONTRE-REVOLUTION car reconnaître cette notion serait avaliser la réalité : c’est parce que la révolution en Russie et les diverses tentatives révolutionnaires du prolétariat en Europe ont été écrasées que « la reprise » de la guerre mondiale capitaliste a pu se dérouler à nouveau !

Plus honteux est l’argumentaire sur le « cercle vicieux de la terreur qui a exacerbé les tensions politiques dans le monde entier et abouti à la Guerre d’Espagne et à la Seconde Guerre mondiale », sachant que les camps et goulags étaient méconnus voire ignorés à l’époque, sachant que les « tensions politiques dans le monde entier » n’étaient que les habituelles rivalités impérialistes des marchands de canon et d’esbrouffe politique et surtout, dixit Hitler : « qu’il fallait exporter ou périr » même par la plus terrible des guerres, comme l’enseigne aujourd’hui aussi un Poutine. Rien à voir avec Octobre 17 qui voulut exporter et généraliser une révolution mondiale pour sauver l’humanité.

La guerre mondiale d’après l’argumentaire mensonger de la démocratie bourgeoise occidentalo-américaine a lieu face au fascisme, même pas contre le stalinisme, sauf au moment du malheureux accord germano-soviétique, qui vint confirmer que le « communisme stalinien » était un impérialisme cyniquement bourgeois comme les autres.

UNE MEME OBNUBILATION DU CONFLIT DES CLASSES EN ESPAGNE

Le pseudo historien militaire Beevor n’en est pas à ses premières armes. Déjà en 2016 j’avais critiqué


sa façon d’analyser la guerre civile (impérialiste) espagnole dans mon livre « Une guerre qui ne voulait pas dire son nom ». Comme celui sur la Russie révolutionnaire, Beevor nous noyait sous des chiffres faramineux de morts, toujours sujets à caution, incertitudes mêlées à l’émoi. Comme dans celui sur la Russie, Beevor noie le lecteur dans un luxe de détails, de préférence sanguinolents, qui font perdre de vue toute analyse politique d’ensemble et placent ses livres successifs au rang de romans sinistres et cruels à rebondissements.

Le livre de Beevor avait été un best-seller en Espagne, dérangeant la plupart des historiens espagnols chauvins sur la question. Beevor, comme dans son pensum sur la révolution russe, disait des vérités sur les deux camps, mais on a compris qu’il en choisissait toujours un, plutôt côté bourgeois et fasciste. Il gonflait la participation russe (stalinienne) au conflit espagnol, comme je le noterai finalement.

Extraits de mon livre :

Pour le camp loyaliste républicain, Antony Beevor relativise généralités, poncifs et « on dit que » : « En territoire nationaliste, la purge impitoyable des « rouges et des athées » devait se poursuivre pendant des années, alors que dans le territoire de la République, les pires violences furent pour l'essentiel dues à une réaction soudaine et brève de peur contenue, qu'exacerbaient des désirs de revanche à prendre sur le passé (…) La vengeance ne fut pas aussi aveugle qu'on l'a parfois affirmé. Les tueries de prêtres furent loin d'être universelles et, à l'exception du pays basque où l'Eglise s'en sortit indemne, il n'y eût pas de schéma régional prononcé. Dans les régions rurales frappées par la dépression, les prêtres étaient souvent aussi miséreux et aussi mal éduqués que leurs paroissiens. Ceux qui avaient pris autant de peine à enterrer les pauvres que les riches furent souvent épargnés. La même chose fut vraie en général pour les boutiquiers et les membres des professions libérales. Un avocat ou un boutiquier qui n'avait pas exploité les pauvres ou fait preuve d'arrogance était le plus souvent laissé en paix. Les industriels et les directeurs d'usine qui avaient pour réputation de bien traiter leurs ouvriers furent presque toujours épargnés et, dans de nombreux cas, maintenus dans le nouveau système de coopérative. D'autre part, tout « exploiteur connu » n'avait guère de chances de survivre s'il était pris dans les premiers jours. Evidemment ce schéma connut des exceptions, mais les rumeurs de gens abattus parce qu'ils portaient chapeau et cravate furent le produit d'une paranoïa inévitable de la bourgeoisie ». Comme au moment de l'éclatement de la Yougoslavie. (…) Federica Montseny déplora « une soif de sang inconcevable chez d'honnêtes gens auparavant ». Les militants de l’internationale ne voient que violences révolutionnaires dans un pays encore hanté par une répression religieuse qui remontait au Moyen âge confrontée à un anticléricalisme violent qui s'était développé en même temps que le mouvement ouvrier au XIXème siècle. Comme au temps de la décadence…

Les militants staliniens adoptent une « attitude fataliste », selon Beevor, nous aurions préféré qu'il dise que cela relevait d'une attitude « complice » vu les œuvres sanguinaires ultérieures de leurs « cékas ».(…)

L'ouvrage d'Antony Beevor s'évade des clichés et du romantisme anarchostalinien. Les combats des premiers jours occupent deux chapitres (6 et 7). Ils reflètent assez bien l’indécision des premières semaines, et surtout le déchaînement de violence, l’escalade qui s’ensuivit du côté républicain. Le froid bilan des victimes de la « terreur rouge » fait accréditer le chiffre de 38 000 personnes, alors que pour la « terreur blanche », que les insurgés présentaient comme la purification nécessaire de l’Espagne, plus systématique et organisée, le chiffre avancé est de 80 000 victimes.

Le chiffrage dans les deux cas est très variable et imprécis ; dans une telle guerre, on ne peut jamais connaître le nombre exact de morts. Comme les chiffres fantaisistes du dit livre noir du communisme

mais consacré au stalinisme, on ne saura jamais vraiment et seul compte l'aspect massif. « Le mouvement dit de « récupération de la mémoire historique » se structura au début des années 2000. En 1999, la commémoration du soixantième anniversaire de la fin de la guerre civile mit en lumière l’extrême brutalité du système répressif du franquisme : les adoptions illégales des « enfants volés » à leurs parents républicains et confiés à des institutions religieuses peu regardantes (une habitude des « guerres civiles » puisque le rapt d’enfants ukrainiens est en cours en ce moment); le travail forcé. (Antony Beevor, La Guerre d’Espagne Paris, Calmann-Lévy, 2006, 682 p.  On ne nous rappelle pas non plus qu'en face, les républicains et les staliniens vont organiser en France – illégalement ? - l'adoption par des français membres de partis de gauche ou d'origine espagnole des enfants espagnols dont les parents ont été tués dans la fratricide. Cf. L’accueil des enfants espagnols en France pendant la guerre  « esclaves de Franco », ce demi-million de prisonniers républicains qui, dans la centaine de camps de concentration récemment répertoriés, travaillèrent dans des conditions inhumaines au profit du régime et d’entreprises florissantes ; ceux qui vécurent 40 années cachés entre deux murs, ne sortant que la nuit et qu’on appela « les topos » [de tapar, cacher], recherchés par un régime qui ne conçut jamais le moindre pardon; les femmes, fréquemment violées et battues, dans des prisons dont on ignorait jusqu’à l’existence, etc. Mais l’action la plus marquante de ce mouvement fut sans conteste l’ouverture des fosses communes de la répression : même si les exhumations avaient commencé dès 1971, celle d’octobre 2000 à Priaranza del Bierzo dans le León fit date. Sous l’égide de Emilio Silva, fondateur la même année de l’Association pour «la récupération de la mémoire historique », la question des vaincus de la guerre civile occupa rapidement le débat politique. Comme l’explique la sociologue Danielle Rozenberg, la réalité du mouvement est multiforme : phénomène de réappropriation mémorielle global, exigence de justice émanant de la société civile, contestation d’une confiscation symbolique de l’espace public à la gloire des vainqueurs de la guerre sous le franquisme mais aussi appel à multiplier les cérémonies publiques de réparation aux victimes. Les initiatives de ce type déséquilibraient les comptes morbides des massacres de la guerre civile. Plus encore, elles remettaient en cause l’un des facteurs de la stabilité politique de la transition, qui reposait sur le maintien au pouvoir des élites franquistes converties au pluralisme politique. Dans ces conditions, l’opposition exigea l’amnistie des prisonniers politiques.

Contrairement à l'historien militaire Antony Beevor, Sylvain Roussillon agrée aux explications qui majorent l'aspect préparation de la guerre mondiale impérialiste et non pas à une nouvelle révolution « bolchevique »: « Pour les russes, comme pour les italiens et les allemands, l'Espagne a été un champ d'expérience. L'épreuve, ici, a été surtout matérielle. Ils ont pu obtenir de précieux renseignements sur la valeur de leurs armes par rapport à celles des puissances fascistes, des Ratos russes par rapport aux Messerschmitt par exemple. Ils ont tiré de sérieuses leçons de l'expérience de la guerre: utilisation massive de l'artillerie, nécessité de manoeuvres en profondeur adaptées aux nouvelles techniques du combat, utilisation des partisans contre une armée organisée. Bon nombre de cadres militaires russes ont fait en Espagne un stage plein d'enseignements ».

(Comment ne pas penser à la guerre en Ukraine en cette année 2023 ?)[6] Les historiens Pierre Broué et Témime ajoutent: « L'Espagne n'est pas seulement le terrain d'expérimentation des armes neuves, elle fournit aussi le moyen de liquider à bon prix le vieux matériel qui encombre les parcs militaires. Il ne faut pas oublier que ce trafic a un aspect commercial. Pas plus que l'Allemagne à Franco, l'URSS ne donne ses armes à la République; dès les premières négociations, il a été prévu que l'or de la Banque d'Espagne financerait les fournitures ». A une époque, fin des années 1950 où la légende antifasciste est obligatoire pour tout électeur des partis de Moscou, le déniaisement de l'aide "communiste" par ces historiens est aussi marqué par une volonté de faire la part des mensonges  dans les deux camps: « On doit également tenir compte de l'action de la propagande franquiste qui a systématiquement "gonflé" l'aide soviétique. Même si on néglige certaines énormités, il n'est pas rare d'entendre parler, du côté nationaliste, de milliers d'hommes envoyés en Espagne.

Ce qui est au contraire remarquable, c'est la faiblesse des troupes russes en Espagne. Dès 1939, Brasillach et Bardèche estiment qu'ils n'ont jamais été plus de cinq cents. D'autres, comme Krivitsky ou Catell, admettent des chiffres un peu supérieurs; les russes en tout cas, n'ont jamais été plus de mille, essentiellement des spécialistes conduits par tankistes et aviateurs, conservant, comme les allemands du côté nationaliste, leur commandement et leurs installations propres, tenus à l'écart de la population ». La tragique « guerre militaire » si impérialiste d'Espagne témoigne aujourd'hui encore finalement de la supercherie de toutes ces "guerres révolutionnaires" qu'on nous ressert tous les 30 ou 50 ans. Il n'y a pas plus de guerre révolutionnaire en Ukraine que de djihad révolutionnaire en Syrie,

Selon Antony Beevor le bilan de la plupart des actes de la terreur rouge espagnole, qui se déroulèrent au début du conflit à l'été et automne 1936, s'élèverait à environ 38 000 personnes, dont presque la moitié furent tués à Madrid (8815 victimes) et en Catalogne (8352 victimes).

UN CONSULTANT DE PLUS POUR LES AMALGAMES HISTORIQUES

Qu’est-ce qui rapproche le plus Poutine du passé ? L’apprenti du diable Lénine !

Dans un grand entretien accordé à L'Express, Antony Beevor analyse les névroses historiques de la Russie et s'inquiète de la montée de la terreur dans la stratégie de Vladimir Poutine. Selon lui, les Ukrainiens sont aujourd'hui sincèrement déterminés à reconquérir la Crimée, une option que commencent à accepter leurs alliés occidentaux.

Kiev, les Russes ne s'attendaient pas à une résistance vigoureuse des Ukrainiens. Le nationalisme ukrainien et la révolution de l'Histoire qui l'accompagne leur paraissent relever de la plaisanterie… » Ce jugement n'est pas celui d'un observateur commentant l'invasion déclenchée par Poutine en février 2022, mais l'analyse faite par l'historien britannique Antony Beevor de la déception des bolcheviques quand, en janvier 1918, ils voulurent tuer dans l'œuf toute velléité de résistance des Ukrainiens. Car l'Ukraine, si elle est depuis huit mois la victime de la première invasion d'un pays européen depuis la Seconde Guerre mondiale, est largement présente dans le livre que Beevor consacre à la révolution d'octobre 1917 et à la guerre civile qui a suivi. Plus qu'un livre, c'est une somme...

(sauf qu’à l’époque il y avait de vrais fascistes en Ukraine !)

 

Propos recueillis par Thomas Mahler

Publié le 21/10/2022 à 11:30, mis à jour à 17:33

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[1] Cet acteur, multi-millionnaire hollywoodien, s’est indigné qu’on se préoccupe plus de la guerre en Ukraine, si proche, que des guerres lointaines en Afrique. Certes, mais je suis en effet plus préoccupé par une guerre au bord de l’Europe et qui menace de devenir mondiale ! Quand au film qui prétend réhabiliter les noirs envoyés au casse-pipe à Verdun, il est dans les normes racisées. Cette indignation fût publicitaire. Avant tout pub pour son navet, ensuite il s'inscrit dans la mode woke qui dissout tout conflit de classes dans l'antiracisme de salon! La question  des désertions et des mutineries n'est en outre pas une question noire (sauf pour l'obscurité des livres d'histoire officielle). Pourquoi avec la complicité d'un collabo des médias menteurs, le colonel Goya, ne pas avoir traité des mutineries en général? Et souligné que c'est tous les généraux et Clemenceau qu'il aurait fallu fusiller pour leur usage immodéré de la chair à canon et leur responsabilité dans la montée du racisme hilérien? (le gros des troupes envoyées policer l’Allemagne en 1918 était constitué de noirs français ou pas. Au lieu de montrer, conjointement, les mutineries des blancs et des noirs contre la guerre capitaliste de 14, ce navet joue du violon antiraciste et communautaire. Le blanc est l’ennemi pas le capitalisme. Dans le cinéma porno le blanc est de plus en plus le cocu qui avale en plus le sperme du noir. Même Brukner n’est plus choqué par la vengeance wokiste !

[2] Mention bien à Beevor de rappeler que face au peloton d’exécution du parti étatique bolchevique, les matelots meurent après avoir crié : « Vive l’Internationale communiste » et « Vive la révolution mondiale ». (p.573)

[3] « Sir Beevor est le grand historien des guerres. Ancien officier du 11e régiment de hussards, chevalier de l'Empire britannique, Antony Beevor a signé les best-sellers Stalingrad ou La Chute de Berlin. Après avoir documenté les atrocités de l'Armée rouge commises durant la Deuxième Guerre mondiale, ce francophone s'attaque à la révolution russe dans le remarquable Russie. Révolution et guerre civile. 1917-1921 (Calmann-Lévy. Parution le 26 octobre). Un récit de bruit et de fureur sur un événement sanglant dont les implications seront majeures sur le XXe siècle, mais qui a aussi marqué le premier rendez-vous manqué de la Russie avec la démocratie ».(dixit L’Express). Beevor est l'auteur de nombreux ouvrages portant notamment sur les batailles de la Seconde Guerre mondiale1, mais aussi d'une importante histoire de la guerre d'Espagne qui fait référence, y compris en Espagne, ainsi que sur le XXe siècle en général. En tant qu'ancien officier du 11e hussards au sein de l'Armée britannique, il a eu accès, pour Stalingrad comme pour Berlin, aux archives soviétiques, qui étaient inaccessibles jusqu'en 1991. Il a ainsi pu donner à l'histoire militaire et politique de la Seconde Guerre mondiale de nouvelles mises en perspectives. En 2018, les autorités ukrainiennes interdisent la commercialisation du livre Stalingrad en raison des passages du livre dédiés aux exécutions d'enfants par les nationalistes ukrainiens lors de l'occupation nazie. Cette décision s'inscrit dans le cadre d’une loi interdisant l’importation des livres au contenu « anti-ukrainien ». Antony Beevor a demandé des excuses des autorités ukrainiennes et exigé que Kiev revienne sur sa décision..

[4] Ce livre m’a été offert à Noël par mon amie H. Je n’aurais pas été claquer 25 euros par moi-même pour un tel ouvrage de propagande grossière. Au début, à chaque page est glissée une réflexion subjective, atypique et désobligeante concernant ce génie du mal Lénine, responsable par exemple de la guerre civile, exit les causes de la guerre mondiale et la situation d’assiégé du prolétariat russe : « Lénine croit fermement que la guerre civile est le passage obligé pour obtenir le pouvoir absolu, mais ne laisse pas entrevoir le génocide de classe à venir » (p.66). Ou encore : « Plus il s’approche du pouvoir, plus il manifeste son mépris à la fois de la morale et des droits d’autrui, et plus il cultive une conviction qui confine à l’obsession, à savoir qu’il serait seul capable d’accomplir la révolution totale qu’il appelle de ses vœux » (p.79).

[5] Dans les chapitres de son livre sur l’Espagne qui évoquent les combats d’envergure, Beevor souligne la capacité de pénétration des troupes engagées sous les ordres du colonel Yagüe (cinq colonnes de mille cinq cents hommes, dont un fort contingent de regulares marocains et de légionnaires) dans les premières semaines. La vitesse de la percée qu’elles réalisent à la fin de l’été 36, de Séville à Tolède, est comparée à celle des percées motorisées de 1940. Il la qualifie de « campagne impitoyablement efficace de l’Armée d’Afrique ». Face à cette efficacité, Antony Beevor souligne le faible armement des milices, « troupes républicaines composites, mélange d’officiers d’active indolents, de milices ouvrières et de paysans » (2007/177). Ceci deviendra d’ailleurs un leitmotiv du livre, cette critique du système des milices, l’indiscipline générale qui y régnait, défaut dont l’armée républicaine constituée ne sera pas exempte, l’auteur y voyant plutôt un trait de caractère espagnol que nous pouvons résumer ainsi : bravoure, inconscience et indiscipline. Et les Brigades internationales qui se constitueront dès octobre 1936 en subiront les conséquences cruelles au cours des combats de Madrid et de Guadalajara ».

[6] Tout ou presque se déroule sur les mêmes territoires que le conflit actuel avec Poutine : « Trotsky a dit qu’il ne viendrait pas en Crimée tant qu’il y resterait un seul contre-révolutionnaire : la Crimée c’est la bouteille d’où ne sortira pas un seul contre-révolutionnaire ».

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