PAGES PROLETARIENNES

jeudi 7 avril 2022

CRISE DE LA GUERRE TRADITIONNELLE (épisode 12)

 


LA LUTTE CONTRE LA GUERRE N'A JAMAIS favorisé directement la révolution


Face aux menaces de guerre, l'Internationale socialiste avait défini comme politique pour arrêter la guerre le projet de grève générale. En 1907, sur proposition de Rosa Luxembourg et de Lénine, le congrès de Stuttgart concluait : « Au cas où la guerre éclaterait (...), [les travailleurs] ont le devoir de s'entremettre pour la faire cesser promptement et d'utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste ».

De belles phrases qui n'ont jamais été concrétisées ni sur le moment ni lors du déclenchement de toutes les guerres suivantes, ; même,l'insurrection de 1917 en Russie n'a pas été une grève générale.

L'attitude internationaliste classique ne devait pas se contenter de montrer du doigt le pays agresseur, sauf à se soumettre à l'union nationale et donc à excuser le capitalisme dans son ensemble, car le prolétariat n'a jamais à choisir aucun camp.

Face à l'invasion actuelle de l'Ukraine par l'impérialisme russe on ne peut que comprendre la réaction du peuple et de l'armée ukrainienne. Il ne s'agit pas d'une guerre interétatique traditionnelle. Une grande puissance a envahi un petit pays voisin au nom d'arguments crétins (on peut douter que le peuple russe adhère à cette histoire de dénazification, du niveau minable de l'antifascisme de salon occidental) ; les affabulations successives du régime autocratique sont franchement ridicules à moins que le peuple russe ne soit peuplé que d'imbéciles congénitaux ; je pense que c'est plus la terreur et la corruption d'une masse d'obligés qui explique l'absence de réaction d'une population qui voit autant que nous les immenses et irrationnelles destructions d'immeubles d'habitation et d'usines, et qui, sous le poids de la longue chape de plomb du stalinisme a oublié son passé révolutionnaire. Le réveil sera aussi dur que celui de la population allemande en 1945 découvrant qu'elle avait été complice par son inaction et le payant très cher.

Que pouvait faire la classe ouvrière ukrainienne ? Rien comme la française lorsque la Wehrmacht a envahi la France. Il n'y eût plus personne pour appeler à cesser la guerre, à attendre une levée du prolétariat ou à proposer des négociations de paix ! Depuis 2014 la guerre n'avait pas cessé à l'Est de l'Ukraine faisant au moins 15.000 morts mais c'est comme si elle avait fait partie du paysage, personne et aucun média ne se focalisait sur le sujet comme sur le conflit entre Arménie et Azerbaïdjan.

La guerre de front en lignes de 14-18 était devenue guerre d'invasion et de meurtre des civils. La guerre déclenchée par la Russie (après des années d'humiliation américaine) est une guerre d'invasion qui a choisi immédiatement pour cible les zones urbaines et les civils. Ce fait ne peut autoriser une indifférence ni une équivalence dans une prise de position « de classe ». L'analyse géopolitique ne peut atténuer la responsabilité du criminel de guerre Poutine, ni réduire l'effarement devant l'étendue des dégâts et les meurtres des soudards russes (et tchétchènes) .

Ce qui interroge est l'inaction frontale du bloc occidental, au nom d'une attitude frileuse face aux menaces atomiques de Poutine. L'aide soft de fournitures d'armes létales limitées et insuffisantes, pour la propagande pacifiste US, ne peut cacher la volonté américaine de laisser l'Ukraine à l'état de bourbier tampon face à l'OTAN quelle que soit la durée des massacres, face à une paix qui se prépare de façon honteuse que Zelensky est prêt à cautionner.

Sur l'usage des fake news en premier lieu par le gang à Poutine, il faut souligner que c'est une arme efficace de contre-offensive – bien sûr du niveau « c'est pas moi c'est l'autre » - mais depuis que cette mode existe elle ne signifie nullement une liberté de défendre la vérité, mais de répandre la confusion et le doute. Les fake news, comme les réseaux sociaux en général, ne peuvent être une arme du prolétariat parce que s'ils jettent le doute sur telle propagande gouvernementale c'est juste du dénigrement sans aucune alternative crédible que la protestation hargneuse individualiste. Evidemment, la propagande en période de guerre ne peut plus être crédible, dans la durée surtout comme on a pu le constater lors des guerres mondiales : c'est foutu pour l'ordre dominant trois ans après 1914, c'est foutu dès le début de 1940 pour la deuxième mais avec un prolétariat anéanti.

La vérité provient des événements dramatiques et létaux dans chaque camp, et, contrairement à une crise économique et une paupérisation massive, les guerres n'ont jamais permis de véritables révolutions aussi dans la durée puisque par exemple en 1918 la bourgeoisie arrête la guerre pour éviter la généralisation de la révolution. En 1943, la grande grève des ouvriers de Turin fait certes chasser temporairement Mussolini mais la bourgeoisie pro-américaine s'évite des lendemains insurrectionnels. Il ne faut pas se raconter d'histoires, comme l'ont fait certains parmi les quelques individualités de la gauche communiste maximaliste réchappées du massacre, en imaginant que la détresse et la colère des populations bombardées et déportées augurait d'un nouvelle révolution internationale. En privé cette poignée de révolutionnaires ne pouvaient nier qu'il valait mieux que l'armada US (qui avait fourni en tanks et en crédit bailla fausse grande guerre patriotique en Russie ) l'ait emporté sur Hitler.

La bourgeoisie mondiale avait clos la guerre de destruction qui a permis de surmonter la crise de 1929 par une reconstruction foisonnante et dynamique qui se nomma les trente glorieuses quoique suivies des trente furieuses. La préparation de la guerre, sa soudaineté favorise la tétanisation la paralysie des populations qui, le plus souvent ne comprennent pas et surtout passent leur temps à s'indigner pacifiquement.

A notre époque, un autre argument est à prendre en compte face à cette paralysie politique des populations, et c'est Marcuse qui l'a bien identifié en 1955. Pour cet héritier de l'école des sociologues de Francfort nul doute que la classe ouvrière avait cessé d'être révolutionnaire. Nous lui laissons la responsabilité de cette avis, quoique nous le partagions certains soirs de déprime, mais il ajoute à cela un argument de poids qui vaut le détour :

« parce qu'elle a cessé de vivre dans l'anticipation d'un bouleversement social. En mettant à disposition quantité de biens et de service autrefois réservés à une minorité, le capitalisme d'après guerre a fait accepter comme allant de soit qu'il était inutile de dépasser l'organisation sociale actuelle » (…) « les gens se reconnaissent dans leur marchandises, ils trouvent leur âme dans leur automobile, leur chaîne haute-fidélité, leur maison à deux niveaux, leur équipement de cuisine. Le mécanisme qui relie l'individu à la société a changé et le contrôle social est au cœur des besoins nouveaux qu'il fait naître »1.

Avec le triomphe de l'individualisme aliéné du terrorisme personnel au wokisme débile, le constat reste juste jusqu'à aujourd'hui . Il est assommant du subir en intermède systématique chez BFM et Cnews, entre le fouillis des commentaires sur la guerre en Ukraine, les mêmes pubs racoleuses pour l'achat (en leasing) de gros 4X4 et autre SUV qui font de vous un dominant au volant. Or l'automobile n'a pas plus d'âme que le crétin qui la conduit. A quoi sert l'équipement de cuisine s'il n'y a rien à mettre dans le merveilleux micro-ondes ?

Acheter un gros cube va-t-il vous faire oublier que le sanglant et ignoble conflit en Ukraine vous évitera d'être gazé ou nucléarisé dans la prochaine der des der, mais une vrai der finale ? Heureusement, même partiellement je sais qu'en milieu ouvrier il y a débat et conscience de la gravité de cette guerre. J'ai été informé de la tenue d'une réunion d'une trentaine de postiers en Bretagne qui pensent qu'il faut lier revendication économique et dénonciation de la guerre pour que cela devienne explosif socialement. Je respecte cet avis bien que je ne sois pas d'accord parce tant que dure la guerre le capitalisme actuel est capable de séparer les deux questions : comme on l'a vu avec le covid en France – la cherté de la vie était dûe à la contamination mais quoiqu'il en coûte sauva la mise – et en Russie, Poutine pourra toujours arguer que c'est la faute à l'embargo des « nazis » occidentaux.

Représente-toi, toi le consommateur occidental si fier de tes gadgets ce qui s'est passé à 2000 km à peine de Paris. Des villages entiers rasés, des milliers de HLM éventrés, de nombreux morts au début de l'invasion et qu'on ne nous a jamais montré laissant planer le doute sur leur nombre civils comme militaires. Vois ces voitures brûlées, ce sont les mêmes que la tienne mais brûlées ou écrasées par un char avec le conducteur dedans. Vois ces immeubles écroulés où tous les équipements de cuisine, postes de télévision et ordinateurs, maigres possession de prolétaires, ont été détruits, ne laissant le temps que d'emporter un baluchon et renvoyant Marcuse à ses sornettes de contempteur de la consommation moderne. Tu rentres dans ta coquille quand je te parles ! Réfléchis donc que cela va peut-être ou sans doute être ton sort, que ce n'est pas le seul Poutine qui est responsable de ces horreurs qui détruisent « la vie quotidienne » et font des millions de malheureux en perdition, mais un système capitaliste qui n'a que la guerre féroce et irrationnelle pour tenter de sortir de sa crise mondiale ! Et cesse de tenter de te déculpabiliser en t'appuyant sur les fake news des trolls russes pour faire équivaloir le martyr du peuple ukrainien avec les soudards éliminés !

Pour revenir à l'embargo, s'il n'impacte pas pour l'instant l'avancée de la criminelle armada russe, va avoir des conséquences graves à l'intérieur de la Russie si la boucherie des civils se prolonge, et cela Poutine le devine. Et c'est ce qui risque de se passer qui va, comme conséquence de la guerre, non seulement en montrer la monstruosité mais poser le problème du renversement du capitalisme et de l'arrestation des marchands de canon sans oublier les milliers de soudards russes et tchétchènes violeurs et tortionnaires.

LE PEUPLE RUSSE peut-il déjà éprouver un sentiment de culpabilité?

Sur le plan juridique, il n’y a pas de culpabilité collective portée par un peuple mais des responsabilités collectives portées par l’État qui assure la continuité du gouvernement des peuples. Par contre, la culpabilité collective existe de manière subjective dans la stigmatisation que porte le regard des autres pays sur l’Allemagne et son passé nazi, et en ce moment sur la Russie de Poutine. Sur le plan individuel, l’intériorisation d'une culpabilité et de la honte ou du remords ne peut pas apparaître tant que dure une guerre dont la propagande des deux côtés accuse l'autre d'être responsable tout en se targuant de la mener pour « protéger » son peuple ; on ne peut pas se culpabiliser de ce que quelqu'un pour soi-disant vous défendre !

En 1945, les allemands oscillaient entre culpabilité et soulagement. Le 8 mai 1945 marque la capitulation sans condition de la Wehrmacht, c’est donc une défaite militaire pour l’armée allemande. Mais en même temps, la fin de la guerre aurait pu être perçue comme une libération, pour le peuple allemand, du joug de la dictature. Cette capitulation sans condition suscite des sentiments mêlés chez les citoyens allemands. C’est en effet le Reich de Hitler qui a commencé la guerre en envahissant la Pologne. C’est le Reich de Hitler aussi qui a commis des crimes contre l’humanité d’une ampleur sans précédent dans l’histoire, à commencer par le génocide systématique de plus de six millions de Juifs. Par contre, beaucoup d'allemands, sans être nazis restent interloqués par le crime barbare des deux bombes atomiques américaines, les terribles exactions de l'armée russe, etc. Sans oublier la destruction de nombreuses villes allemands sans se soucier s'il y avait des civils dessous.

La division en deux de l'Allemagne, à la fois pour lui faire payer et en même temps diviser le prolétariat, aboutit à deux culpabilités différentes. A Berlin l'Est le 8 mai sera fêté comme une libération du nazisme, en toute sérénité puisque la bourgeoisie s'est mise sous la coupe de l'URSS présentée comme principale puissance victorieuse du nazisme. A Berlin ouest c'est plus compliqué. Une partie de la population restait certaine que le pays avait été agressé et que Hitler n'avait fait que se défendre et l'ancienne hiérarchie nazie administrative et patronale était restée en place avec le soutien américain. Des deux côtés la culpabilité ne pouvait être donc que relative ou nulle. Ce n'est que longtemps après, et alors que la population a en grande partie oublié, que des remords sont exprimé (électoralement) par certains politiciens. Angela Merckel en 2019, venant visiter un ancien camp nazi en Pologne, exprima sa « honte profonde » avec, un sanglot désigna  : « « Des crimes qui dépassent les limites de ce qui est concevable ». Exit le capitalisme.

La haine historique indépassable est, en évacuant toute culpabilité stalinienne, le truc de Poutine de son côté. L'apparente (et provisoire) popularité de Poutine, questionne sur le niveau de conscience moyen de la population en Russie. Comme je l'ai déjà dit, je ne crois pas que majoritairement tout le peuple russe adhère aux conneries débitées par Poutine, mais les vieux si. Héritage de la longue période stalinienne, les vieux se sont longtemps identifiés à Staline et ont même pris l'habitude de la dictature face au « nazisme occidental ». On peut reprendre la même idée exprimée par un célèbre psychologue. Mitscherlich et d'autres ont qualifié Hitler d'«objet dont les Allemands étaient
dépendants et sur lequel ils effectuèrent un transfert de responsabilité, ce qui fit de lui un objet intériorisé par chacun. À ce titre, il représentait et ranimait les idées d'omnipotence que nous abritons tous au fond de nous-mêmes depuis notre enfance».

UNE VIEILLE GENERATION QUI NE SE SENT COUPABLE DE RIEN ?

Le pouvoir russe est depuis des décennies une gérontocratie. Lors de toutes les commémorations militaires, en rangées d'oignons, trônent des rangées de vieux machins ultra-médaillés observant une armée pléthorique de jeunes enrôlés bien mieux payés que toute la classe ouvrière russe.

La culpabilité peut être transformée en honte par les vieux hibous du stalinisme face aux jeunes qui se fichent de leurs soi-disant exploits militaires pour la libération du nazisme ; quand par contre la jeunesse russe peut se ficher de devoir des comptes à une masse de vieux généraux à la retraite et dont le passé reste trouble, sans se considérer comme des traîtres. D'une génération à l'autre se succèdent des problématiques politiques différentes dans tous les pays.

En France, les baby-boomer ont été considérés comme ingrats, pas seulement par les anciens militaires et partisans, mais une partie de la classe ouvrière vieillie et usée par la misère des années 1930 et la guerre, et aussi les guerres coloniales.

Puis autour de 68, l'échec de la révolution « prolétarienne » fantasmée a accouché du changement sociétal « radical » avec les théorisations apolitiques et sociologiques de la noria gauchiste : féminisme, tiers-mondisme, anticapitalisme de barricade, etc. dont les leaders ont par la suite contribué au mitterrandisme et accédé au pouvoir :

« Ce faisant, les baby-boomers et plus précisément les soixante-huitards deviennent à leur tour des obstacles au renouvellement des paradigmes politiques et sociétaux et sont accusés d’être à leur tour facteur d’immobilisme, de blocage et de conservatisme en refusant d’abandonner leurs privilèges, leurs pouvoirs mais aussi leur idéologie et leurs cadres d’analyse présumés surannés par rapport aux données du monde moderne. En refusant d’abandonner à leurs cadets le pouvoir, les fonctions, les statuts dont ils ont eux-mêmes joui au même âge que ces générations montantes qui les accusent, les baby-boomers participeraient à leur tour à une forme de domination conservatrice masculine et âgée sur la société »2.

En France, en réaction à ce gauchisme institutionnel, des ministres aux magistrats, des syndicalistes aux assocs antiracistes, on a tendance à dire que la jeunesse est « de droite » (cf. le nombre de jeunes aux meetings de Zemmour) ; en fait elle est une réaction plutôt conservatrice aux délires de la génération gauchiste précédente qui a ridiculisé l'idée révolutionnaire, ce qui ne veut pas dire qu'elle est incapable de prolonger sa réflexion ni de revenir à la réalité du conflit des classes.

En Russie c'est pareil. Le stalinisme ayant enterré le bolchevisme, les jeunes sont plutôt séduit par le modèle occidental (nazi comme disent les vieux), ce qui est une épine dans le pied du bouffi Poutine, mais moins pire que ce qui l'attend du point de vue de la classe ouvrière s'il ne fait pas cesser au plus vite cette guerre, ou si ses comparses n'inventent pas rapidement un Poutine 2 ou 3.

Le fait que de plus en plus de jeunes envisagent de se barrer de Russie face à cette gérontocratie, si semblable à notre aristocratie gauchiste parvenue au pouvoir divers (ministre, députation, cardes syndicaux, etc.), en même temps que la détresse des millions d'ouvriers obligés de rester à subir, pose le problème d'une société immobile, profondément injuste quie ne fait que transférer une dette insurmontable aux générations futures, rompant ainsi historiquement avec ce que la génération d'Octobre 17 projetait comme l’héritage d’un monde meilleur. Tant sur le plan de la dette et des équilibres budgétaires que de l’environnement (réchauffement climatique, pollution, amenuisement de la biodiversité…) ou des inégalités sociales, la question de la responsabilité générationnelle des gérontocrates et de la masse bonzes nombreux de la police et de l'armée ne peut être que posée violemment à terme.

De plus, le vieux Poutine et ses acolytes ont déjà perdu la guerre parce que, quelle que soit l'issue militaire du conflit - et à ce stade il n'est même pas sûr qu'elle soit favorable à la Russie -, les pertes humaines, matérielles, économiques, industrielles, politiques et réputationnelles pour le Kremlin ne seront pas compensées par un hypothétique gain territorial et une soi-disant neutralisation de l'Ukraine, qui de toute façon, même avant la guerre, n'allait pas rejoindre l'Otan. En détruisant l'Ukraine, Poutine détruit l'avenir de la Russie en même temps qu'il renforce considérablement l'Europe et l'Otan3.

La crise de la guerre moderne n'est pas simplement liée à l'empêchement de monter à l'extrême (nucléaire) c'est la nécessité d'humilier l'autre, humiliation certes irrationnelle (contrairement au passé il peut n'y avoir aucune conquête territoriale ni récupération d'une industrie, comme j'en parlerai à la fin concernant les réparations exigées à l'Allemagne en 1945), et confirme une des sentences de ce bon vieux Clausewitz :

« La véritable victoire n'est pas la défaite militaire de l'autre, mais la défaite de sa volonté de se battre, ce qui est l'objectif de la diplomatie coercitive. De ce point de vue, la définition clausewitzienne (du théoricien militaire Carl von Clausewitz) de la victoire est assez inclusive : il y a victoire si l'ennemi a subi davantage de pertes humaines et matérielles, mais aussi morales, et s'il le reconnaît ouvertement et renonce à ses intentions »4.

Ce fût le cas du Japon et de l'Allemagne, dont l'encadrement de la population dans la guerre avait été autrement plus dictatorial et efficace que la situation de plus en plus troublante qui pend au nez de Poutine.

PEUT-ON LUTTER CONTRE LA GUERRE ACTUELLE ?

Beaucoup de déclarations d'individus sur leur blog, de clans de deux ou trois individus qui peuvent se nommer « mouvement communiste », « groupe communiste », socialiste d'Algérie, etc. Pantopolis publie des tracts de diverses officines au nom ronflant ou pathétique parfois : « guerre à la guerre » du collectif communiste des conseils de Dusseldorf, « Créons l'impossible » de tabul narratur, Prise de position internationaliste en Russie du KRAS-AIT (anarchistes), inter-revforactivo : los proletario no tienen patria que defender, la prise de position du PCI (bordiguiste), du GIGC mais pas du CCI...(haine recuite). Tous proclament ne choisir aucun camp. Le petit groupe bordiguiste (PCI) lance des mots d'ordre aussi creux qu'une valise vide pour les jeunes générations :

« … faut revenir aux principes classiques du défaitisme révolutionnaire et de l’internationalisme prolétarien :Non à la défense des patries et des États bourgeois ! Non à l’union nationale et au nationalisme !Union des prolétaires par-dessus les frontières et les fronts de guerre !Reprise de la lutte indépendante de classe contre le capitalisme dans tous les pays !Reconstitution du parti révolutionnaire communiste, internationaliste et international pour diriger la lutte prolétarienne vers la révolution mondiale !Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

Qu'est-ce que ces phrases grandiloquentes et pompeuses peuvent signifier pour les jeunes générations de « consommateurs » incultes et sans conscience de classe ? Que signifie cette abstraction « reprendre la lutte indépendante de classe ? Des grèves sans syndicats ? Des manifestations spontanées comme les gilets jaunes ? Reconstruire le parti communiste ? Mais on n'a pas viré Brejnev pour rien penseront la plupart ! En plus un nouveau parti « pour diriger les ouvriers », ce qu'on reproche justement aux partis bourgeois ! Non pas que la plupart des slogans soient faux mais ainsi balancés ils ne peuvent apparaître que comme utopiques et ringards. En plus ils sont hors de la réalité, OK pour ne pas choisir un camp mais qu'est-ce qui empêche de dénoncer la disproportion entre la pachyderme russe et un pays envahi et martyrisé comme jamais depuis 1945 : bombardements d'hôpitaux, exécutions sommaires de civils, tortures gratuites, viols, pillages éhontés des pauvres habitations ouvrières, etc. 

Idem pour le CCI qui lance aussi ces grandes déclarations internationalistes qui n'épatent qu'eux-mêmes, avec cette vision mythique, d'une histoire mal apprise des révolutions du début du XXème, qui imaginait encore une sorte de guerre révolutionnaire :

« Il est évident que la révolution se traduit par la désertion des soldats de l'armée et par le combat contre les officiers. Mais il s'agit alors, comme pendant les révolutions russe et allemande, d'actions massives des soldats se fondant dans la masse des prolétaires en lutte »5.

Or ce n'était pas vrai, les soldats en Allemagne ne se sont pas fondu dans la masse des prolétaires ; Jogisches le compagnon de Rosa l'avait déploré : « cela a été une révolution de soldats ».

Quant au « terrain de classe », c'était tout aussi vague

« Le terrain de classe n'a pas de frontières nationales, mais des frontières de classe. Il est par lui même la négation de la base des guerres capitalistes. Il est le terrain fertile où se développe la dynamique qui conduit le prolétariat à assumer, à partir de la défense de ses intérêts « immédiats », la défense de ses intérêts historiques : la révolution communiste mondiale.(...) Seule la lutte contre le capitalisme est une lutte contre la guerre. C'est la seule « guerre » qui vaille la peine d'être menée »6.

Le CCI d'aujourd'hui est plus lucide :

« La classe ouvrière est un géant endormi

Le système capitaliste, de plus en plus un système de guerre et de toutes ses horreurs, ne rencontre pas actuellement d'opposition de classe significative à sa domination, si bien que la classe ouvrière subit l'exploitation croissante de sa force de travail et les sacrifices ultimes que l'impérialisme lui demande de faire sur le champ de bataille ».

Mais la grande déclaration commune à deux ou trois autres confréries est aussi généraliste que celle des bordiguistes :

« Aucun soutien à quelque camp que ce soit dans le carnage impérialiste en Ukraine.

Pas d'illusions dans le pacifisme : le capitalisme ne peut vivre que par des guerres sans fin.

Seule la classe ouvrière peut mettre fin à la guerre impérialiste par sa lutte de classe contre l'exploitation menant au renversement du système capitaliste.

Prolétaires du monde entier, unissez-vous ! ».


Et après on fait quoi ? On attend que la classe ouvrière cesse de ronfler ou de prendre des bombes sur la gueule, surtout en Ukraine !


URGENCE DE LA PAIX MEME SANGLANTE FACE AU RISQUE DE REVOLUTION


La bourgeoisie occidentale a évolué elle dans sa capacité de récupération en s'emparant de façon caricaturale des vieilles tactiques du prolétariat, comme je l'ai souligné au début de ma chronique :


  • en mettant en place des sanctions économiques (pour la galerie, car en sous-main elle n'a cessé d'alimenter la guerre en Ukraine tout en prétendant ne pas offusquer Poutine) ;

  • l'un des cadors de « l'union européenne » (et non plus nationale) le belge Charles Michel s'est mis à appeler les soldats russes à la désertion (utopique ! Ont quand même rétorqué ses collègues) ;

  • en Russie comme en France le principal souci reste « l'arrière », encore plus avec le nouveau type de guerre avec conduites par des professionnels ; une constante pourtant, l’armée attend beaucoup du soutien de «l’arrière». Au sein des états majors, on s’interroge sur les façons de nourrir «l’esprit de défense» au sein de la nation avec l'espoir que l'armée continue à « faire corps au sein du pays » ; c'est pourquoi a été inventé là aussi le concept de résilience 7; c'est ce concept que Macron a repris comme synonyme de pardon en présentant son programme anti-social.

  • Une capacité à effectuer un revirement négociable pour éviter l 'explosion de la colère des prolétaires : ce soir un sous-fifre de Poutine a annoncé qu'il y avait eu de nombreuses victimes parmi l'armée russe... ce qui commençait à se savoir dans la population en dépit d'une censure décrite comme impitoyable par les médias de l'Ouest...


Cette dernière déclaration obligée vient confirmer que l'armée russe est à bout de souffle et la lassitude de la population russe qui, même terrorisée n'est pas restée endormie, n'a pas été aveugle et n'a pas digéré les gros bobards ridicules de Poutine, surtout la jeune génération qui n'a connu ni la guerre mondiale ni les hystériques inventions du stalinisme. Du reste l'envoi de milliers de jeunes au casse-pipe sans leur expliquer le pourquoi du comment se fait ressentir depuis un moment.

La télévision d’Etat, seule source d’information officielle, n’a pas empêché les manifestations anti-guerre, dès le début du conflit malgré l’important dispositif de répression. Selon OVD-Info, une ONG de défense des droits des manifestants, quelque 15 000 personnes auraient déjà été arrêtées voire plus. Les purs révolutionnaires étaleront leur mépris pour ces manifs de « bobos » ne représentants pas la classe ouvrière et surtout lamentablement pacifiste. Moi je dis mon admiration pour ces bobos et leur courage comme celui des milliers d'étudiants américains protestant contre la guerre du Vietnam même sans « les positions de classe » dans leur poche.

Des milliers de Russes - 3.000 selon la police - ont défilé samedi à Prague, où ils ont brandi des drapeaux blanc et bleu pour protester contre l'invasion de l'Ukraine par les forces de Moscou. Les manifestants ont marché de la place de la Paix en direction du centre de la capitale tchèque en portant des pancartes où l'on pouvait lire "killer" ("meurtrier") sur une photo du président Vladimir Poutine et en scandant "Non à la guerre". "Nous sommes contre Poutine". Nos probes révolutionnaires vont-ils leur reprocher de ne pas avoir dénoncé « les deux camps » ?


    MENACE D'EFFONDREMENT ECONOMIQUE DE LA RUSSIE

L'impression qui se dégage un peu comme à la veille de la chute du mur de Berlin est que nos médias en rajoutent dans la dramatisation (avec l'aide du pouvoir ukrainien qui charge la barque avec le qualificatif de génocide) et ne gonflant la dangerosité de l'armée de Poutine, alors que, pas immédiatement la catastrophe arrive pour la Russie sans moyen pour la conjurer, comme aurait paraphrasé Lénine.

La guerre d'invasion a coûté très très cher au gouvernement Poutine, et même les rentrées financières avec la vente de gaz ne pourront éponger l'endettement. Les plus sérieux économistes non pipoles comme ceux des chaînes d'infaux ont alerté : l'économie de la Russie est au bord du gouffre. Dans « Capital » un économiste prévoit "un impact sur l'investissement, la croissance, le niveau de vie" entre autres. "Poutine appauvrit la Russie pour des années", conclut-il.

Autre chiffre choc du jour, les ventes de voitures neuves se sont effondrées de 62,9% en mars sur un an, symbole de tout un secteur mis aux abois, les Occidentaux ayant notamment banni les exportations vers la Russie de pièces détachées. De nombreux producteurs ont annoncé en outre l'arrêt de la vente de composants ou de voitures à la Russie, à l'instar d'Audi, Honda, Jaguar ou Porsche. D'autres ont annoncé l'arrêt de la production, comme Renault, BMW, Ford, Hyundai, Mercedes, Volkswagen ou Volvo.

Les usines d'Avtovaz (groupe Renault-Nissan), premier producteur de voitures en Russie, employant des dizaines de milliers de personnes, sont quasiment à l'arrêt en raison d'une pénurie de composants importés. Selon les données d'Avtostat citées par Kommersant, les prix des voitures neuves ont augmenté en moyenne de 40% en mars, et jusqu'à 60% pour les voitures haut de gamme, dont l'approvisionnement est limité par des problèmes de logistique ainsi que par les sanctions.

Les chiffres de l'inflation de mars sont attendus mercredi soir et devraient battre des records. Alexeï Vedev, chercheur associé à l'institut Gaïdar de l'université Ranepa à Moscou, estime qu'elle sera aux alentours de 20% annuels, après avoir dépassé 9% en février sur un an. "Ce fut un mois de panique chez les consommateurs", qui se sont rués vers des produits dont ils prévoient la disparition, estime-t-il. "Lorsque la situation se stabilisera, les processus objectifs à l'oeuvre deviendront plus clairs".

Et selon Andreï Iakovlev, de la Haute école d'économie de Moscou, la véritable crise n'atteindra l'économie réelle que cet été ou cet automne: "en mai, un grand nombre d'entreprises sont susceptibles de s'arrêter" faute de composants importés, notamment dans l'industrie automobile qui emploie des centaines de milliers de personnes.

En situation de défaut de paiement (= faillite) avec des banques sans aides, le risque de paralysie économique de la Russie se profile. Poutine ne pourra pas tout faire porter sur l'embargo occidental et c'est pourquoi il est acharné à trouver un victoire militaire finale même limitée même coûteuse en vie de ses soldats. Sinon le désastre de la guerre (sans appel internationaliste de petits groupes) se retournera comme un boomerang et le fera éjecter. La profonde récession qui va toucher la population russe et la classe ouvrière produira des convulsions sociales explosives, à moins que le régime accélère de vraies et pourries négociations en prévision des conséquences sociales et politiques d'une guerre ayant trop duré et tout ça pour ça !


Même si une négociation arrête cette guerre aux potentielles conséquences sociales dangereuses (ne vaut-il pas mieux arrêter la guerre avant qu'elle ne favorise une révolution?) tous les Etats capitalistes en auront profité pour enrichir les marchands ce canon, tout en se félicitant de l'obsolescence du matériel des méchants russes. En France le budget de la défense vient de passer de 35,9 milliards d'euros à 41 milliards.

Les États-Unis disposent désormais de 100.000 soldats sur le continent. L’Alliance a placé, pour la première fois de son histoire, 40.000 soldats sous son commandement dans le cadre de sa force de réaction. Quatre nouveaux bataillons tactiques vont être déployés en Hongrie, Slovaquie, Bulgarie et Roumanie, en plus des trois pays Baltes et de la Pologne. Les alliés ont aussi accru leurs présences maritimes et leurs missions de police du ciel. Ils ont aussi promis un appui à des pays proches comme la Géorgie ou la Bosnie.

Dans tous les cas l’Ukraine sortira exsangue de ce conflit, il eût été préférable qu’elle soit neutre comme l’Irlande ou la Finlande. La Russie en sortira appauvrie et rejetée dans le camp asiatique. L’Europe également appauvrie et affaiblie. Les grands bénéficiaires à court terme seront les USA... et à long terme la Chine.

Car ce que l’on voit finalement c’est que tandis que l’Amérique fait de belles affaires et de juteux contrats, l’Ukraine de Zelinsky (que l’Amérique a financé, fait élire et soutenu de tout son poids) paie en morts et en ruines son souhait de rejoindre l’Otan et que l’Europe est en train de ruiner pour au moins 10 ans son économie sans parler du reste de la planète qui va connaître des famines et une aggravation sans précédent de sa pauvreté..

En raison des sanctions contre Moscou, le blé russe est devenu invendable. Résultat : le cours s'envole. La tonne de blé était à 275 euros le 1er janvier. Elle est aujourd'hui à 385 euros. Pour des pays comme le Soudan ou l'Indonésie, le blé est devenu trop cher, ce qui fait craindre une crise alimentaire mondiale. Malgré la guerre, les céréaliers ukrainiens ont commencé à semer cette semaine, avec l'espoir de pouvoir récolter sereinement dans quelques mois.

Et, si la guerre s'arrête en Europe, la crise alimentaire sera universelle. La Russie ne sera pas la seule perdante. La chute de la maison Poutine pourrait aussi entraîner un effet domino...

Tous les pays se sont lourdement endettés pendant la crise pour soutenir leur économie et amortir le choc pour la population. L'Etat français a ouvert plus largement les vannes que ses voisins. Selon les dernières données d’Eurostat, la dette publique moyenne des États de la zone euro avait progressé en valeur de 19 % entre fin 2017 et le troisième trimestre 2021. Sur la même période, l’endettement de la France a bondi de… 26 %. Si on se concentre sur la période de la pandémie, la dette de la zone euro s’est envolée de 17 % entre fin 2019 et le troisième trimestre 2021, toujours en valeur. Celle de la France, de… 19 %.

Laissons la conclusion à cet anonyme : Alors que tous les candidats se sont engagés sur des programmes de dépenses tous azimuts, et que la guerre en Ukraine va percuter lourdement l’activité économique mondiale, en provoquant une forte inflation, les prochaines années s’annoncent donc délicates. J'aurais dit plutôt les prochains mois.



ADDENDUM sur les Réparations allemandes et ce qui pourrait arriver au régime oligarchique et cacochyme

Lors de la défaite d'un camp dans la guerre mondiale, celui-ci paie lourdement très lourdement ses destructions (pas celles de l'autre camp) voici une idée comparable de ce que Poutine devrait payer à Zelensky si la Russie était mise à plat ventre.

Après la Seconde Guerre mondiale, selon la Conférence de Potsdam tenue du 17 juillet au 2 août 1945, l'Allemagne dut payer aux Alliés 20 milliards de reichsmarks, soit environ 315 millions USD, surtout en termes de machines et d'usines. Les réparations à l'Union soviétique ont été interrompues en 1953. De plus, conformément à une politique systématique de désindustrialisation et de pastoralisation de l'Allemagne, un grand nombre d'usines civiles ont été démontées pour être transportées en France, en Union soviétique, au Royaume-Uni ou tout simplement détruites.

Après la capitulation allemande et au cours des deux années suivantes, les États-Unis et l'Union soviétique poursuivirent un programme vigoureux de pillage du savoir-faire technologique et scientifique allemand ainsi que des brevets déposés en Allemagne durant la période de guerre. L'historien John Gimbel établit que les « réparations intellectuelles » prises par les États-Unis et le Royaume-Uni se sont élevées à près de 10 milliards de dollars. Citons la méthadone, dont Eli Lilly a acheté le brevet en tant que réparation de guerre pour la somme modique d'un dollar de la firme Hoechst.

Les réparations allemandes devaient partiellement prendre la forme de travail forcé. En 1947, environ 4 000 000 d'Allemands ont été utilisés pour le « travail de réparation » en Union soviétique, en France, au Royaume-Uni, en Belgique et dans la zone allemande sous contrôle américain.

Cette dette est toutefois annulée en 1953, à la suite de l'accord de Londres sur les dettes, traité d'allégement de dette entre la République fédérale d'Allemagne et ses pays créanciers, signé le 27 février 1953.

Les autres membres des puissances de l'Axe (la Hongrie, l'Italie, la Roumanie, la Finlande et la Bulgarie) devaient aussi payer après la Seconde Guerre mondiale des indemnités de guerre dont l'étendue était réglée par le Traité de Paris (1947).

Tous ont dû céder des territoires acquis au cours de la guerre, et durent payer des sommes d'argent importantes notamment à l'URSS, la Grèce et la Yougoslavie.

Une partie de la Finlande fut utilisée comme une base militaire soviétique.

Selon le Traité de San Francisco et des accords bilatéraux, le Japon a accepté de payer environ 10 trillions de yens. Le Japon a accepté de payer des indemnités, conformément aux accords bilatéraux, aux pays et aux victimes de son expansionnisme militaire.

Sachant cela, Poutine se suicidera-t-il comme Hitler dans son bunker ou suicidera-t-il le monde en le nucléarisant ? Je ne pense pas, la bourgeoisie russe si attachée à l'argent, l'aura viré avant.


NOTES


1 cf. L'homme unidimensionnel p 34

3C'est exactement ce qui s'est passé en Afghanistan et en Irak. Dans un cas comme dans l'autre, la victoire strictement militaire des Américains est indiscutable et rapide, contre les talibans en 2001 et Saddam Hussein en 2003. Et pourtant, vingt ans plus tard on considère qu'ils ont perdu ces deux guerres. Souvenez-vous du discours de George W. Bush du 1er mai 2003 sur le porte-avions USS Abraham Lincoln affichant fièrement une bannière «Mission accomplished». Pourtant, 97% des 4489 pertes américaines ont eu lieu après cette date, qui marquait la fin des opérations majeures mais pas la fin de la lutte contre le terrorisme.

5Article de 1990 rédigé par Raoul Victor.

6Ibid.

7 Dans l’armement et l’aérospatiale, la résilience dénote le niveau de capacité d’un système embarqué à tolérance de panne, de pouvoir continuer de fonctionner en mode dégradé tout en évoluant dans un milieu hostile...

dimanche 3 avril 2022

AFFAIRE McKinsey : Scandale d'Etat ou Etat du scandale ?

 


Q
uel contrôle pourrait exercer ou pas la classe ouvrière dans ce capitalisme décadent et pourrissant ?


Selon l'ange blanc Mélenchon, il serait "interdit de se substituer à l'Etat" : "Ceci est un scandale, l'Etat paye pour se démembrer". Invité de l'émission politique "Elysée 2022" sur France 2, jeudi 31 mars, le candidat de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, s'est exprimé sur la polémique autour du cabinet de conseil McKinsey, ainsi que l'optimisation fiscale pratiquée par l'entreprise américaine. "Vous président, il n'y aura plus jamais de contrat des cabinets privés de conseil, que ce soit pour l'Etat, pour les communes, pour toutes les collectivités locales, c'est fini ?", lui a demandé la présentatrice, Léa Salamé. "Oui", a-t-il simplement répondu.

Non l'affaire MacKinsey ne sera pas les « nouveaux diamants » en défaveur de Macron. L'affaire est picrocholine et l'intéresse ni la classe ouvrière ni les électeurs en général. Elle n'est pas aussi grave que par exemple le financement occulte des partis politiques bourgeois, la corruption généralisée1 ou les diverses formes de favoritisme dans l'élite indétrônable qui siège sans désemparer aux commandes de « l'Etat profond » depuis des décennies sous la couverture des politiques interchangeables. Mieux tous les rigolos comme Mélenchon qui font semblant de s'indigner sont eux-mêmes au parfum depuis leur entrée dans la carrière politique bourgeoise : « les affaires de financement occulte et de corruption se traitent dans le plus grand secret (hors de tout contrôle), avec le plus petit nombre de personnes


possible, par souci de discrétion. En dehors des leaders, peu nombreux sont ceux qui ont la possibilité de mettre la main dans le pot de confiture. (…) Le véritable problème est plutôt que le corps politique, pour n'être pas au fait de tous les détails, n'ignore en rien le phénomène mais garde le plus souvent le silence »2.

Les auteurs de l'ouvrage de référence sur la corruption gouvernementale en France depuis l'après-guerre gaulliste, renvoyaient déjà le démagogue Mélenchon dans les cordes : « Du point de vue de l'historien, prétendre qu'il suffirait , pour en finir avec les maux actuels, de passer à une « Vème République », censée régénérer les mœurs de nos gouvernants, revient à se voiler la face »3.

INTERMEDE ABSTENTIONNISTE

COMMENT NE PAS RAPPELER ICI ? EN PASSANT ? AUX ELECTEURS NAIFS ET CONSENTANTS ? LA POSITION COMMUNISTE QUI EN DEUX PARAGRAPHES DEMOLIT LA MYSTIFICATION PARLEMENTAIRE « démocratique » :

 « Mais cette démocratie est toujours confinée dans le cadre étroit de l'exploitation capitaliste et, de ce fait, elle reste toujours, quant au fond, une démocratie pour la minorité, uniquement pour les classes possédantes, uniquement pour les riches. La liberté, en société capitaliste, reste toujours à peu près ce qu'elle fut dans les républiques de la Grèce antique : une liberté pour les propriétaires d'esclaves. Par suite de l'exploitation capitaliste, les esclaves salariés d'aujourd'hui demeurent si accablés par le besoin et la misère qu'ils se "désintéressent de la démocratie", "se désintéressent de la politique" et que, dans le cours ordinaire, pacifique, des événements, la majorité de la population se trouve écartée de la vie politique et sociale.

« Démocratie pour une infime minorité, démocratie pour les riches, tel est le démocratisme de la société capitaliste. Si l'on considère de plus près le mécanisme de la démocratie capitaliste, on verra partout, dans les "menus" (les prétendus menus) détails de la législation électorale (conditions de résidence, exclusion des femmes, etc.), dans le fonctionnement des institutions représentatives, dans les obstacles effectifs au droit de réunion (les édifices publics ne sont pas pour les "miséreux" !), dans l'organisation purement capitaliste de la presse quotidienne, etc., etc., - on verra restriction sur restriction au démocratisme. Ces restrictions, éliminations, exclusions, obstacles pour les pauvres paraissent menus, surtout aux yeux de ceux qui n'ont jamais connu eux-mêmes le besoin et n'ont jamais approché les classes opprimées ni la vie des masses qui les composent (et c'est le cas des neuf dixièmes, sinon des quatre-vingt-dix neuf centièmes des publicistes et hommes politiques bourgeois), - mais, totalisées, ces restrictions excluent, éliminent les pauvres de la politique, de la participation active à la démocratie. Marx a parfaitement saisi ce trait essentiel de la démocratie capitaliste quand il a dit dans son analyse de l'expérience de la Commune : on autorise les opprimés à décider périodiquement, pour un certain nombre d'années, quel sera, parmi les représentants de la classe des oppresseurs, celui qui les représentera et les foulera aux pieds au Parlement ! »4.

LA DERAISON D'ETAT

Cette picrocholine affaire Mckinsey est de plus ridicule du reste à deux titres. D'une part elle manifeste la réalité bureaucratique obtuse du fonctionnariat d'Etat qui a besoin de « conseils extérieurs » (qu'ils soient américains on s'en fout) pour gérer l'exploitation et l'ordre social. D'aucuns, syndicalistes et politiciens de gauche bourgeoise, ont déploré un manque de reconnaissance de la compétence des personnels, fonctionnaires, infirmiers ou instituteurs qui « eux pourraient véritablement conseiller l'Etat sur ce qu'il est nécessaire d'entreprendre » ! Outre qu cette cuistrerie imagine que les ouvriers pourraient être associé à ce grand bandit qu'est l'Etat, le personnel compétent qui est invoqué comme consultant « plus près du terrain que les parasites des « conseils occultes trop chers pays », serait si la version capitaliste d'Etat mélenchonnienne l'emportait... ne saurait être que les bureaucraties syndicales5 elles-mêmes incontrôlables et non visées par la destitution6.

Paradoxalement cette affaire mineure en plein bourrage de crâne électoral, dominé pourtant par l'horreur de la guerre en Ukraine, nous saisissons ici l'occasion pour nous poser la question principale : quel contrôle pourrait exercer ou pas la classe ouvrière dans ce capitalisme décadent et pourrissant ? Sur l'Etat ? Sur la société ? Vous verrez que cela plus passionnant de répondre à cette question que de perdre son temps avec les scandales pour gazettes pipoles.

L'Etat depuis très longtemps prétend régenter toute la société et il a été un progrès indéniable pour la centralisation moderne et il n'est encore pas totalement négatif en périodes de bouleversements...irrationnels. Restons encore classique, dans le capitalisme libéral, la domination directe du capital (dans l'entreprise) est partiellement séparée de sa domination politique. C’est une caractéristique nouvelle par rapport à d’autres sociétés dans lesquelles les dominations économiques et dominations politiques sont réunies.

L’État, contrairement à une entreprise en particulier ou une famille de bourgeois, est censé exprimer l'intérêt de l'ensemble des classes du pays. Ses décisions peuvent parfois nuire à une entreprise ou un secteur d'activité, comme s'en sont plaints nombre de commerçants au début de la crise du covid 19. L'Etat peut apparaître par ailleurs comme le bon samaritain pour un temps donné (pas éternel) avec ce fameux et inquiétant « quoiqu'il en coûte », succédé en ce moment pas un équivalent de bons d'essence, aussi inquiétant pour l'avenir. Effort impulsif pour retarder l'explosion sociale. Chaque entreprise et chaque bourgeois consent d'ailleurs à payer certaines taxes pour que l’État gère ses fonctions régaliennes, même si en pratique ils cherchent à reporter l'essentiel du fardeau sur les travailleurs via les impôts divers et autres amendes.

L'Etat bourgeois ne plane donc pas au-dessus de la société. Contrairement au ronron des médias sur les seuls faits divers et les dégâts des racailles de banlieue, c'est la classe ouvrière qui demeure son principal souci, sans jamais l'avouer. Il n'est pas non plus totalement maître de la marche des événements ; on pourrait même constater qu'il l'est de moins en moins, et dans tous les domaines.

Cette vieille question de l'Etat, non pas comme scandaleux ni inutile, mais comme moyen, a été une question amplement débattue chez nos pères en révolution, avec des divergences, des contradictions, mais qui avaient pour but de viser à comprendre d'abord en quoi l'Etat était devenu nocif et ensuite comment passer à sa destruction.

«  Si l'on compare superficiellement la lettre de Marx à Bracke, du 5 mai 1875, et la lettre d'Engels à Bebel, du 28 mars 1875, examinée plus haut, il peut sembler que Marx soit beaucoup plus "étatiste" qu'Engels, et que la différence soit très marquée entre les conceptions de ces deux auteurs sur l'Etat. Engels invite Bebel à cesser tout bavardage sur l'Etat, à bannir complètement du programme le mot Etat, pour le remplacer par celui de "communauté"; il va jusqu'à déclarer que la Commune n'était plus un Etat au sens propre. Cependant que Marx va jusqu'à parler de l'"Etat [Staatswesen-en allemand] futur de la société communiste", c'est-à-dire qu'il semble admettre la nécessité de l'Etat même en régime communiste. Mais cette façon de voir serait foncièrement erronée. Un examen plus attentif montre que les idées de Marx et d'Engels sur l'Etat et son extinction concordent parfaitement, et que l'expression citée de Marx s'applique précisément à l'Etat en voie d'extinction »7.

Tout un programme qui continue de nous inspirer contrairement aux scandales de gazettes et autres grognements anti-étatiques anarchistes des ploucs gilets jaunes. Le souci d'UNE ALTERNATIVE AU CAPITALISME CRIMINEL va ressurgir plus encore dans la période qui vient, et est resté celui de minorités inconnues restées isolées ; j'y ai contribué à mon petit niveau et je n'ai pas l'intention d'y renoncer.

Le 19 FEVRIER 2013 LE COMMUNISME N'AVAIT PAS ENCORE commencé (titre d'une interview datant de 1991)

Je venais de publier mon troisième livre « Programmes et perspective communiste », en réaction à l’atonie théorique qui frappait le CCI, qui ne publia jamais la deuxième brochure épaisse prévue sur la question de la transition révolutionnaire, gagné par le prurit activiste des « années de vérité ». (...) Au début des années 1990, nous avons vu arriver aux permanences et réunions publiques un « gros calibre », Claude Bitot. Pas n’importe qui. Un des vieux routiers du maximalisme révolutionnaire d’avant les bébés 68. Il avait assisté à des réunions avec Bordiga. Il avait fait le voyage chez Damen en 1968 en compagnie de Marc Chirik. Personnage séduisant et fraternel, que venait-il faire après sa traversée du désert, boire à la coupe déjà vermoulue du CCI ? Non, il continuait, comme théoricien militant, à chercher à approfondir les questions politiques et économiques du point de vue du marxisme. Quoique pas pour longtemps.

Depuis le travail théorique de BILAN - qui défend pourtant encore la notion d'Etat "prolétarien", on


a remis en cause dans la gauche communiste l'idée que ce soit le parti qui assume les responsabilités étatiques. Ensuite, la Gauche Communiste de France va plus loin, et reprend la définition d'Engels "l'Etat-fléau". La Gauche communiste de France (INTERNATIONALISME) va plus loin et définit l'idée que l'Etat ne peut pas être "prolétarien". Sur cette question un débat a été mené au cours de la deuxième moitié des années 70 dans le Courant Communiste International. Une brochure a été produite et est toujours disponible (j'espère). On y trouve des camarades défendant encore l'idée d'Etat "prolétarien", une tendance conseilliste (l'Etat des conseils ouvriers), et la position majoritaire: le demi-Etat est un Etat issu d'une société transitoire, représentant de l'ensemble de la population.”8

Le débat avec Bitot est d'un très haut niveau. Pourtant jamais vantard je suis impressionné à la relecture par ma maturité politique à 40 ans !9

J'ai l'occasion plus tard de répondre sur la question de la transition trahie par le soutien au ministre Trotsky (défenseur d'un Etat soi-disant prolétarien) à un des fondateurs du courant trotskien LCR, Michel Lequenne récemment décédé à un grand âge – que j'avais été interviewer pour mon histoire du trotskisme français : « Trotskyste un jour, trotskyste toujours »10

« La politique du gouvernement bolchevique pendant le « communisme de guerre » avait mené à la désintégration administrative et à un recours généralisé au marché noir et à la corruption. L'introduction de la Nouvelle politique économique (NEP) ne put empêcher non plus, par après, une masse de grèves à l'été mais elle bloqua leur extension. De cette façon ce furent les mécanismes du marché, plutôt que le gouvernement, qui pouvaient être rendus responsables de la situation difficile des ouvriers. La famine épouvantable de 1921-22 tua de 3 à 6 millions de personnes et n'aurait pas été empêchée par une application d'une démocratie formelle ou en virant tous les bolcheviques. Néanmoins, la dictature du gouvernement bolchevique avait aggravé les pertes humaines en ne stoppant pas à temps les réquisitions de céréales et en retardant l'appel à l'aide internationale.

Le ministre commissaire Trotsky a argué du fait que le parti bolchevik « a été obligé de maintenir sa dictature... indépendamment des vacillations provisoires même dans la classe ouvrière » ; il y a des vacillations... qui se perdent. Lénine ne promettait pas la lune : "Nous ne promettons aucune liberté, ou aucune démocratie ». Il avait rejeté les recommandations d'un rapport de la Tchéka appelant à la légalisation d'une partie de l'opposition socialiste, et son gouvernement répondit à la réapparition dans tout le pays des mencheviks, des SR et des anarchistes en les arrêtant par milliers, y compris les députés des soviets et d'anciens bolcheviks. L'année (1922) qui suivit la répression de Cronstadt, la justice « bolchevique-gouvernementale » condamna plus de 3.000 ouvriers au travail forcé pour des infractions à la discipline du travail et l'Armée rouge envahit la Géorgie faisant face à hostilité de la majorité de sa classe ouvrière en lutte ».

La soumission au culte de l'Etat dit prolétarien avait donc préparé la voie à Staline, même si nous gardons une admiration pour la plume du Trotsky d'avant...



LES THEORIES DES CONSEILS PENDANT LA REVOLUTION ALLEMANDE

On est loin ici des vulgaires « cabinets de conseils capitalistes », pour aborder les vraies bases d'une alternative à la gestion capitaliste, non pas d'un fumeux contrôle ouvrier sous domination bourgeoise, mais pour appréhender la démarche qui conduit à la prise du pouvoir et pour le contrôle de la société succédant au capitalisme. A cet égard l'ouvrage de Volker11 est le plus important de ces dernières années, quoique sa publication en allemand soit ancienne. On y apprend tout ce que l'on ne savait pas malgré de nombreux emprunts de la left communist intello, et c'est d'un niveau culturel bien supérieur aux contributions militantes du CCI, si l'on fait exception pour les travaux de l'historien Bourrinet, de Ward et d'Olivier. J'en citerai de longs extraits, si nécessaire à mon avis, à l'heure actuelle, même en période d'abrutissement électoral, pour contrer la notion de contrôle démocratique si hypocrite et mensongère. Mais avant il nous faut éclairer sur le concept lo,ngtemps véhiculé par les trotskiens de « contrôle ouvrier ».

Le « contrôle ouvrier » : diffusion et disparition d’un imaginaire

La classe ouvrière peut-elle contrôler quelque chose dans le capitalisme actuel. A part ses luttes rien, et encore seulement lorsqu'elles sont débarrassées de la tutelle syndicale et des éventuels aventuriers. Le réformisme depuis un siècle disparu a longtemps illusionné sur le rôle des coopératives, sur la cogestion syndicale et surtout sur la mystification électorale, tant au niveau politique qu'au niveau syndical, ou même concernant une myriade d'associations diverses.

Les appareils politiques sont tous mortels comme les humains, mais en croyant se jouer du sort. De grands hommes politiques, dits socialistes, ont successivement sombré dans les diverses formes de la collaboration de classe, qui est devenu le creuset même des partis bourgeois de nos jours, qu'ils continuent à se nommer socialistes ou communistes, libéraux ou « insoumis ». L'ancien ministre « prolétarien » Trotsky n'a pas dérogé à la règle de l'irrésistible glissement opportuniste vers le réformisme, non pas ce réformisme pour sauvegarder le capitalisme, mais en croyant que les petites négociations au quotidien favoriseraient le développement d'une conscience de classe révolutionnaire.

Dans une lettre ouverte de 1931, Trotsky se penche sur la question du contrôle ouvrier (dixit syndical). Parce qu’elle conteste le pouvoir patronal à l’échelle d’une entreprise, cette perspective participe d’une dualité de pouvoir face au patron, capable, lorsqu’il se généralise, de déboucher sur une dualité de pouvoir dans le pays

« Le contrôle est nécessaire aux ouvriers non dans un but platonique, mais pour influencer pratiquement la production et les opérations com­merciales des entreprises. On ne peut y aboutir si le contrôle ne se transforme pas d’une façon ou d’une autre, dans telle ou telle limite, en une gestion directe. Ainsi, dans sa forme élargie, le contrôle ouvrier signifie une sorte de dualité du pouvoir à l’usine, dans les banques, dans les maisons de commerce, etc... » .

Ce soi-disant contrôle – dont il n'est précisé ni la forme, ni l'élection ni la destitution - n'est même plus de l'utopie réformiste mais un ralliement à la fable de l'union des divers partis dits de gauche par les divers ouvriers social-démocrates, sans-partis, catholiques, etc. - se cristallisant dans le fameux « front unique » qui fait partie en ce moment de la panoplie électorale (vaine) de Mélenchon qui, au fond ne promet que la seule suppression des cabinets conseils US.

Mot d’ordre essentiellement porté par des syndicalistes et des intellectuels, le « contrôle ouvrier » n’est relayé par aucun parti politique, si ce n’est par un parti trotskiste et de façon éphémère par le PSU, et même plus par LFI. Pourquoi ? D’abord, le « contrôle ouvrier » est pris dans un cadre conceptuel fondé sur la légitimité du rôle moteur et dirigeant des ouvriers en tant que classe dans la transformation sociale. Or ce modèle, théorisé par le marxisme, se décompose. La déstructuration des formes industrielles héritées du XIXet du XXsiècles, révélée par la « crise du pétrole » de 1973, s’amplifie, brouillant l’image de l’ouvrier producteur, diversifiant le monde ouvrier. De nouveaux mouvements sociaux, écologistes et féministes, s’affirment. Le rôle politique attribué à la classe ouvrière, structuré par l’idéologie communiste, perd sa crédibilité. Cette mutation sociétale qui brouille les cadres de pensée du « contrôle ouvrier » s’accompagne, dans les gauches européennes, de tentatives de repenser l’idéal d’une société socialiste démocratique. C’est à ces transitions que l’autogestion, comme horizon d’une démocratie par le bas exercée tant dans les entreprises que dans la société, paraît un temps répondre, avant, elle aussi, de s’effacer.

La revendication de « contrôle ouvrier », par sa circulation en Europe du milieu des années 1950 à la fin des années 1960 et sa disparition au milieu des années 1970, précèdent et amorcent un processus de transition sociétale et idéologique dont l’autogestion était devenue emblématique. L’expression, surtout portée par des syndicalistes et des militants politiques, diffusée par des intellectuels et des revues, était révélatrice de mutations et d’aspirations qui se faisait jour à l'époque. Le « contrôle ouvrier » apparaissait à la fois comme une tentative de réaffirmer une centralité ouvrière (encadrée par le syndicats et l'idéologie de gauche réformiste) alors que les nouveaux modes d’organisation du travail dans la société industrielle en estompaient les contours et les attributs, encouragés par l'ultra-corporatisme des stratégies syndicales et comme dévitalisation de tout projet révolutionnaire avec des idéaux de démocratie directe sans vrai contrôle des prolétaires. Centré sur les entreprises, ce contrôle resta toutefois à la marge des nouvelles inventions culturelles politiques. Enfin, si l’expression a circulé entre différents pays dont l'Italie, les interprétations et concrétisations auxquelles elle a donné lieu sont restent dominées par un horizon national.

En novembre 2019, Mélenchon abusait son électorat en lui promettant monts et bolchevisme utopique : «Pour empêcher ceux-ci [les ouvriers et les employés qui auront pris place dans le nouvel appareil d'Etat] de devenir des bureaucrates, on prendra aussitôt des mesures minutieusement étudiées par Marx et Engels: 1. Pas seulement éligibilité mais révocabilité à tout moment ; 2. Salaire qui ne serait pas supérieur à celui de l'ouvrier.»
Des préconisations reprises par Jean-Luc Mélenchon et François Ruffin qui a annoncé qu'il ne garderait pour lui que le smic de son salaire de député.

Mais la révocation ou destitution existe déjà dans la loi bourgeoise ; le mandat du maire peut s’arrêter avant son terme. En cas de dissensions entre le maire et sa majorité, le conseil municipal peut provoquer sa démission en émettant des critiques auprès du gouvernement, mais les conseillers municipaux ne peuvent pas le démettre. C'est seulement en conseil des ministres qu' un décret peut être pris pour organiser de nouvelles élections et révoquer le maire. Par ailleurs, autre preuve des élections polichinelles, n'importe quel gugusse peut quitter le parti qui l'a fait élire pour un autre, sans en rendre compte à personne d'autre que son nombril...12

 

COMMENT ORGANISER LA REVOLUTION EN PERMANENCE ?

Le Livre de Volker est à cet égard un guide et un appel à comprendre que la classe ouvrière mondiale est tout à fait en mesure et capable d'organiser une nouvelle société ; les points de vue sont divers mais démontrent qu'il n'est pas possible d'être monolithique dans les questions révolutionnaires. On ne peut être ni ouvriériste ni conseilliste... vous comprendrez. Je m'en vais vous en citer de larges extraits, ce sera long mais soit vous pouvez cesser votre lecture ici, soit vous résigner à en lire un peu chaque soir sur votre table de nuit. Je vous jure que cela vous sera profitable.Les intertitres sont de moi. Vous noterez en lisant plus avant que la défense du système des conseils ouvriers est constamment et directement contre le parlementarisme bourgeois.

« Les conseils ouvriers situés au-dessus de l’entreprise étaient avant tout, dans la conception antérieure de Sinzheimer, « les organes centraux de la démocratie sociale » destinés à atténuer les effets du capitalisme. Conformément à sa théorie de l’auto-détermination sociale, ils devaient :

1°) être « des organes de l’élaboration du droit » et de l’administration du droit ;

2°) servir « d’organes auxiliaires autonomes … de l’administration du travail », en même temps exercer « le contrôle sur l’application effective des décisions socio-politiques dans les entreprises » et établir « la centralisation des représentations des ouvriers et des employés dans l’entreprise » ;

3°) « pouvoir être aussi intégrés, en tant qu’organes autonomes », en même temps que les entrepreneurs, « dans l’administration de l’industrie », et

4°) être « les conseils consultatifs de l’administration politique »13.

Sinzheimer voit une autre fonction politique dans l’activité des conseils, c'est-à-dire la démocratisation et le contrôle de l’administration. La démocratisation et le contrôle de l’administration, « l’un des problèmes les plus difficiles d’une démocratie sincère », ne sont pas garantis par le parlement, qui est lui-même menacé de bureaucratisation, ou par l’attribution des postes à des « hommes nouveaux »14 ; c’est « un contrôle par le bas » qui est plutôt nécessaire. « Les conseils sont les organes d’un tel contrôle de l’administration par le bas. Ils doivent, dans toutes les branches de l’administration, avoir le droit de s’informer à propos des dossiers administratifs, d’en prendre connaissance et, si c’est nécessaire, de déposer plainte auprès de services qui ont été particulièrement mis en place pour offrir une garantie de vérification objective »15. (Sur ces services, rien de plus précis n'est dit).

Le contrôle ne devait cependant pas incomber exclusivement aux conseils ouvriers, mais revenir « à toutes les représentations des organisations sociales qui sont, en tant que telles, reconnues par l’État »16. En sus du contrôle, Sinzheimer veut ensuite, sans qu’il ne développe davantage, « installer les conseils comme tuteurs de l’administration »17

Sinzheimer ne concède aux conseils économiques et aux conseils ouvriers pas plus de possibilités d’influence que le droit d’initiative et le droit de contrôle puisque, comme cela été montré, sa conception vise précisément à séparer aussi largement que possible la politique et l’économie. Voici comment il définit ce qui est pour lui la tâche principale de la Constitution économique :

« Détacher l’activité de l’État de certains domaines économiques, prendre en charge l’activité étatique relative à des domaines économiques, retirer l’organisation de la vie économique à la loi de l’État sous administration étatique. »18.

Pour accomplir ces tâches d’autodétermination sociale, les conseils économiques doivent, « dans le cadre des lois d’habilitation étatiques, … en tant qu’organes de la Constitution économique, obtenir l’autorité du pouvoir, promulguer des ordonnances et effectuer des actes d’administration »19.

L'Etat prolétarien (?), la révocabilité et le contrôle ouvrier

(Les conseils ouvriers et économiques dans le cadre du pluralisme libéral)

« ...les conseils ouvriers ont été limités et dénaturés dans leur structure ainsi que dans leurs tâches et leurs buts : à vrai dire, ils ne devaient pas faire fonction d’organes de la lutte des classes anticapitaliste et ils ont été transformés en des institutions destinées à la préservation du statu quo social, à la dissimulation de la pérennité des rapports capitalistes de production. Les conseils ouvriers s’étaient consciemment dressés dans leurs fractions actives contre les bureaucraties aussi bien de l’État que du mouvement ouvrier ; mais chez Sinzheimer, ils étaient conçus (en dépit du flou dans les idées relatives à l’organisation) comme « des organes représentatifs organisés de manière officielle »20, comme des bureaucraties autoritaires exerçant des fonctions administratives économiques et parfois aussi politiques21.

Le mouvement de masse spontané dirigé vers l’autodétermination du prolétariat devait être ici domestiqué, ses énergies muselées dans les formes du droit bourgeois. Le socialisme et l’émancipation prolétarienne devenaient de cette manière-là des actes juridiques bureaucratiques, et tout cela dans le cadre du pluralisme sur la base des rapports capitalistes de production.

Ici, à côté du libéralisme bourgeois de la variété spécifiquement allemande, à coté de l’objectif traditionnel de la social-démocratie, un autre rapport à la tradition de la conception de Sinzheimer devient encore clair, un rapport que Fraenkel, dans son évaluation du pluraliste Sinzheimer, dissimule, à savoir « la haute estime dans laquelle est tenue l’organisation » et la crainte de la spontanéité des masses dans le SPD, qui, comme Oertzen l’écrit, ne connaissait « que l’administration certes démocratique, légitimée, mais pratiquée de manière bureaucratique, de la “masse” par l’“instance” »22. C’est ainsi que le but des propositions de Sinzheimer relatives aux conseils, à savoir l’autodétermination sociale des travailleurs, est abstrait, mais son administration ordonnée par les organes de la démocratie économique et une production industrielle plus élevée sont quant à elles concrètes. (…)

Le système socialiste des conseils comme alternative au capitalisme

Au début de son anthologie qui traite des problèmes : Arbeiterkontrolle, Arbeiterräte, Arbeiterselbstverwaltung [Contrôle ouvriers, conseils ouvriers, autogestion ouvrière], Mandel écrit (l'opportuniste trotskien Ernest Mandel, écrit assez justement, note jlr) :

« Toute lutte de grande envergure menée par les travailleurs et qui dépasse les buts immédiats et corporatistes, soulève le problème des formes d’organisation de cette lutte, lesquelles contiennent en germe la remise en question du pouvoir capitaliste. »1.

Dans la Révolution de 1918/1919, les soldats et les ouvriers voyaient dans les conseils la solution de ce problème. Avec les conseils, ils opposaient une démocratie prolétarienne englobant tous les domaines de la vie au système économique capitaliste et à la démocratie bourgeoise.

D’importantes parties de la classe ouvrière voulaient non seulement les conseils, mais les conseils à l’intérieur de rapports socialistes de production. Sur ce point, une partie des attentes des travailleurs était décrite quand, lors du Congrès de Weimar du SPD en 1919, il a été dit que beaucoup de travailleurs luttaient pour les conseils ouvriers « parce qu’ils en espéraient une amélioration directe et rapide de leur situation »2.

Pour tous les groupes politiques de la classe ouvrière situés à gauche du SPD, les conseils et le socialisme allaient ensemble de manière indissociable. Ces parties des travailleurs voyaient tout d’abord dans les conseils les organisations permettant d’instaurer un contre-pouvoir prolétarien, ensuite les organes de lutte des travailleurs en vue de la socialisation des entreprises et finalement les organes de l’organisation pour l’entreprise comme pour l’ensemble de la société de la production et de la distribution.

Les socialistes considéraient en outre par principe, comme Johann Knief par exemple l’a


exprimé, que « les ni intérêts de la classe ouvrière, ni ceux de la petite bourgeoisie, n’étaient réalisables sur la base de la concentration du capital la plus développée »5
. Seul un mode économique qui supprimerait l’antagonisme entre le travail social et l’appropriation privée, entre la défense des intérêts du capital privé et les besoins sociaux, et donc le mode socialiste, serait en mesure de correspondre aux intérêts de la société en général et de la classe ouvrière en particulier.

Et par conséquent se pose la question relative à la manière dont cet intérêt global est déterminé. D’après la conception du mouvement des conseils et des différents théoriciens des conseils, cette détermination ne peut avoir lieu que de façon démocratique, par le moyen de l’auto-administration ouvrière, et non pas avec des méthodes étatiques et bureaucratiques. La tâche des conseils ouvriers est par conséquent non seulement de mettre en œuvre la socialisation, mais aussi et en même temps de réaliser l’autodétermination démocratique des producteurs directs et d’arbitrer démocratiquement entre leurs intérêts spécifiques et les intérêts des autres membres de la société, bref : entre l’intérêt particulier et l’intérêt général. Seule la combinaison des deux correspondait aux intentions du mouvement des conseils.

La socialisation sous la forme de l’étatisation a été définie comme étant du capitalisme d’État, lequel ne changerait rien au système salarial, à l’aliénation et à la dépendance vis-à-vis du pouvoir à l’intérieur de l’entreprise et dans l’ensemble de la société, en particulier au pouvoir bureaucratique6

Dans l’économie socialiste, trois tâches sont de ce fait fixées au système des conseils :

1°) respect de la liberté individuelle et prise de décision démocratique ;

2°) couverture des besoins de l’ensemble de la société en se fondant sur la coordination et la planification interentreprises ;

3°) production la plus rationnelle avec les moyens et les méthodes de production les plus modernes7.

Les structures de domination internes à l’entreprise, qui servaient à l’exercice du pouvoir de l’entrepreneur, « du vieil absolutisme d’entreprise »9, sont supprimées et elles sont remplacées par les structures du processus décisionnel démocratique10 ; l’autorité de mission remplace l’autorité de pouvoir. Les organes de base de la démocratie des conseils sont les assemblées des différentes divisions et usines (il en est ainsi dans la proposition du KPD), l’assemblée plénière du personnel (KPD(S), Däumig et Müller), les réunions des représentants élus lors de ces assemblées, c'est-à-dire les conseils des différentes divisions et usines, des entreprises dans leur ensemble et des konzerns dans leur totalité11 – ou aussi les conseils des gens qui travaillent dans la petite industrie, l’artisanat et le commerce, à l’intérieur d’une commune.


DROIT DE DESTITUTION (des cabinets conseils aussi chez le prolétariat)


Concernant la régulation des processus démocratiques à l’intérieur des organisations des conseils et entre elles, ce sont les principes indiqués de la démocratie des conseils qui sont envigueur : mandat impératif, obligation de rendre des comptes, droit de destitution, pas de rémunération privilégiée des représentants, rotation de charges. La coordination et la planification interentreprises doivent être dirigées par un système des conseils organisé de manière verticale et horizontale12.

Le fait que cette organisation différenciée de la planification et de la direction démocratiques de la production et de la distribution14, qui n’est esquissée ici que de manière très vague, ne s’en sorte pas sans un soutien scientifique a été très souvent souligné par les théoriciens des conseils, et c’est la raison pour laquelle ils ont réclamé, d’une part, la participation d’experts scientifiques dans les conseils des différents niveaux et, d’autre part, une formation scientifique solide des travailleurs afin de rendre le prolétariat capable d’exercer une auto-administration ouvrière démocratique et de pouvoir adapter en permanence la production au niveau technique et scientifique le plus récent.

Les règles relatives à la démocratie des conseils, telles que le mandat impératif, la reddition des comptes, la destitution possible et la rotation des charges, garantissent « la rétroaction entre les niveaux de décision »16, elles veillent à la légitimation et au contrôle démocratiques des décideurs dans les conseils du niveau supérieur, et elles empêchent leur autonomisation bureaucratique si l’on peut définir avec Altvater « l’engourdissement des “processus démocratiques” » comme étant à « l’origine de toute bureaucratisation »17.

L’économie socialiste a besoin d’une instance centrale (sous la forme d’un conseil économique national suprême) pour remplir les tâches suivantes qui serraient négligées dans un système pleinement décentralisé :

1°) pour parvenir, au lieu de l’anarchie de la production capitaliste ou décentralisée, à une production et une distribution rationnelles du point de vue de la société dans son ensemble ;

2°) pour prendre des décisions à long terme, pour adopter et déclencher des initiatives et des mesures, pour résoudre des problèmes qui touchent la société tout entière et se situent au-dessus du niveau régional (en font partie par exemple les meures concernant les infrastructures, les mesures relatives à la politique structurelle, les relations commerciales extérieures, la planification du progrès scientifique et technique) ;

3°) pour assurer la prise en considération des effets externes des activités microéconomiques (comme par exemple la pollution de l’air et de l’eau, l’exploitation effrénée des ressources naturelles, les dommages causés par l’érosion)18.

Mais ce niveau central de planification ne peut pas être une instance structurée bureaucratiquement qui planifie et décrète de manière autoritaire ; il doit au contraire être tout autant démocratiquement légitimé, contrôlé et responsable, que les conseils des niveaux inférieurs et il doit faire partie des processus démocratiques de communication et de décision. La structure démocratique de cette instance est précisément la condition de son efficacité.

Il est évident que cette organisation différenciée de l’économie socialiste a besoin d’un appareil d’administration et d’un appareil de délibération afin d’accomplir ses tâches nombreuses et complexes. L’existence de ces appareils ne constitue aucun problème pour les conseils économiques aussi longtemps qu’ils suivent eux-mêmes les normes démocratiques et qu’une autonomisation et une sclérose bureaucratiques des appareils soient empêchées par l’élection et la destitution, par le contrôle et la reddition de comptes permanents des membres de l’administration19.

Le système des conseils comme alternative à la démocratie bourgeoise-parlementaire

La motivation du mouvement socialiste des conseils et de la socialisation était non seulement l’antagonisme de classe, qui s’exprimait dans la misère matérielle, les malheurs de la guerre, les relations rigides de pouvoir et de dépendance au sein de l’entreprise, mais aussi la conviction théorique que la possession collective démocratique des moyens de production et le pouvoir de disposer démocratiquement de la production, bref, le socialisme, est la condition de la démocratie politique, que seule la liberté de la lutte pour le partage du produit social crée vraiment la possibilité de la liberté.

Mais le mouvement des conseils voyait aussi que la réalisation du socialisme, de la démocratie, de la liberté et de l’égalité, était impossible dans le système politique traditionnel, et il faisait l’expérience que les tentatives de réalisation de ces buts étaient empêchées par tous les moyens allant de la diffamation et de la démagogie jusqu’à la répression militaire directe. Les théoriciens révolutionnaires des conseils en ont tiré la conclusion que seule la simultanéité de la lutte économique en vue de la socialisation et de la lutte politique en vue de la conquête du pouvoir politique pourrait liquider la domination de classe bourgeoise et ainsi réaliser la démocratie des conseils. Tout au plus – c’est ce que pensaient Däumig et Müller, les communistes de gauche et ensuite le KPD(S) –, les organes de la révolution, les conseils, pourraient être préformés sur le long terme par les travailleurs dans les entreprises et au niveau interentreprises et conquérir certains droits relatifs au contrôle de la production ; mais ils ne pourraient être transformés en organes de l’autodétermination prolétarienne pour l’ensemble de l’économie que lorsque le prolétariat posséderait le pouvoir et qu’il aurait créé la démocratie prolétarienne des conseils.

Les théoriciens socialistes des conseils, lors de leur analyse de la Constitution politique, posaient par conséquent en premier lieu la question de la base socio-économique des rapports de pouvoir et c’est pourquoi ils voyaient clair aussi bien dans le mensonge de l’impartialité de l’État autoritaire wilhelminien qu’également dans « la grande illusion de l’État bourgeois-démocratique », souscrite dans la Constitution de Weimar, « à savoir la prétendue compatibilité des institutions politiques formellement démocratiques avec les structures économiques et sociales non-démocratiques »23.

La critique des structures étatiques et politiques s’est cristallisée dans la révolution dans le reproche fait à l’aspect purement formel de la démocratie parlementaire et dans les slogans tels que : “bureaucratie”, « bonzocratie” et “dictature des chefs” ; l’on voulait dire par là les conditions restrictives suivantes à une véritable démocratie :

1°) Le droit de vote général et égal pour tous n’a qu’un caractère purement formel, il appréhende « le citoyen abstrait » sans refléter sa « place dans la production sociale », et il l’associe de cette manière-là, pris isolément, avec « le tout étatique ». Puisque la société tout entière, mais avant tout la classe du prolétariat, est par conséquent “pulvérisée”, la démocratie formelle est la condition de la domination de classe bourgeoise, étant donné que ce n'est qu’ainsi qu’elle réussit à obtenir le soutien nécessaire pour son pouvoir minoritaire dans la majorité de la population24.

Les élections n’ont lieu que tous les trois ou quatre ans. Dans l’intervalle, en vertu du mandat libre qui les caractérise, les institutions représentatives sont complètement indépendantes de la volonté des électeurs. La souveraineté réelle réside donc non pas dans le peuple, comme l’idéologie constitutionnelle l’indique28, mais dans les parlements qui sont considérés en même temps comme les interprètes authentiques de l’intérêt général29.

4°) Mais la constatation selon laquelle la souveraineté réside dans les institutions représentatives se révèle être fausse : dans le parlementarisme moderne, la législation, le processus décisionnel et la mise en œuvre du pouvoir, constituent les résultantes d’un procédé d’arrangement entre les partis, les associations et l’appareil de l’État, au cours duquel il ne reste tout au plus au parlement que la fonction consistant à offrir une plateforme de propagande aux différents intérêts de groupe, à rendre publiques les décisions et à leur décerner la légitimité requise30.

Les partis et les associations (en tant que bureaucraties privées) agissent à la place du public ; ils le déchargent non seulement de la tâche de la défense directe des intérêts politiques, mais aussi et par-dessus tout d’une « fonction d’intégration » qui jette de l’ombre sur « la fonction consistant à indiquer et à mesurer les rapports sociaux de pouvoir ». La conséquence en est la dépolitisation de l’opinion publique, laquelle est renforcée par le fait que le public « est associé au circuit du pouvoir de manière sporadique et alors uniquement dans le but de l’acclamation »31.

5°) Cette absence d’influence du véritable “souverain” est encore renforcée par la sclérose bureaucratique et oligarchique des partis32, dont les appareils, ainsi que les couches dirigeantes une fois établies, agissent de manière autonome, restreignent la démocratie au sein du parti en un instrument de soutien par acclamation de l’oligarchie dirigeante et excluent les opposants de principe non-intégrables33. La conception des critiques de gauche du système des partis rencontre également la critique qui est adressée aujourd'hui aux partis, et avant tout au SPD de 1918/1919 :

Dans le système de la démocratie fondée sur l’État des partis, les parlements, selon l’interprétation des théoriciens révolutionnaires des conseils, sont le type même des institutions politiques qui sont devenues étrangères : l’influence des associations et le jeu collectif entre les partis, les associations et l’appareil du gouvernement, font apparaître de l’extérieur les processus politiques comme informes ; le mécanisme électoral, l’absence de démocratie au sein des partis, le pouvoir des oligarchies de parti ainsi que des diverses bureaucraties privées, mais surtout publiques, ont fait prendre conscience aux travailleurs politiquement conscients du caractère fictif et idéologique du postulat parlementaire-démocratique de représentation35, ainsi que de leur impuissance et de leur manque d’influence de fait en dépit de l’égalité de droits formelle et des possibilités de pression.

À l’hétérogénéité de la société de classe est opposée l’homogénéité d’une société sans classes : c’est uniquement dans cette dernière qu’une démocratie peut vraiment se déployer étant donné que, dans cette démocratie politique fondée sur la démocratie sociale, les décisions de la majorité et l’activité des organes d’administration ne signifient plus une oppression sociale de ceux qui sont mis en minorité40. Tant que cette homogénéité de la société dans son ensemble n'est pas encore établie, elle est déjà garantie par le principe du droit de vote de classe au moins pour les conseils et pour l’organisation des conseils.

(...)De même que la démocratie bourgeoise, il (le système des conseils) crée des organes politiques à tous les niveaux de la société tout entière (commune, district, arrondissement, province, État national). C’est ainsi que, de par l’imbrication des organisations s’appuyant sur le contexte immédiat de la vie, de par l’organisation, dans l’entreprise et dans la profession, de la coopération et de la communication réciproques, le système des conseils est relié de manière cohérente à la base sociale. Tandis que les organes politiques de la démocratie bourgeoise travaillent indépendamment les uns des autres chacun à leur niveau et qu’ils ne sont reliés les uns aux autres que par les partis et par les bureaucraties, les conseils des différents niveaux forment, du fait de la constitution des conseils supérieurs par des délégués du niveau immédiatement inférieur, un réseau cohérent dont les parties particulières sont obligées de communiquer et de coopérer de manière permanente en raison des règles de la démocratie directe que sont le mandat impératif et la reddition des comptes, et correspondent ainsi mieux au contexte social.

Il ne faut pas oublier que le devoir permanent de la reddition des comptes des conseils d’un niveau supérieur à l’égard des conseils qui sont respectivement d’un niveau inférieur, c'est-à-dire également la discussion dans les conseils de rang inférieur des planifications élaborées dans les conseils de rang supérieur, élève considérablement la compréhension des situations d’ensemble et par conséquent le niveau des compétences concrètes des électeurs de base, y compris en ce qui concerne la coordination de l’autodétermination locale avec les nécessités sociales suprarégionales. Dans ce contexte, le système des conseils répond aux tendances à l’interdépendance sociale croissante et à l’uniformisation de la production destinée à l’ensemble de la société sans que pour cela il y ait besoin que soient formés des appareils administratifs envahissants qui ne sont guère plus accessibles à un contrôle démocratique et vis-à-vis desquels les institutions parlementaires font fonction d’organes de légitimation42.

Lorsque, dans leurs propositions, les théoriciens des conseils séparent le conseil qui s’occupe de l’ensemble de la société, c'est-à-dire le conseil central en Allemagne, des conseils des autres niveaux en raison du fait qu’il ne doit pas être élu par les conseils du niveau inférieur le plus proche (les conseils de Land ou les conseils politiques des districts économiques), mais par un congrès de conseils constitué par le vote direct provenant du niveau de l’entreprise, ils créent ainsi certes un pouvoir central national intégrateur ayant une légitimation autonome qui peut par conséquent exercer plus efficacement « une fonction gouvernementale de coordination et de pilotage »43 et servir d’objet d’identification, mais alors la relation de coopération ci-dessus mentionnée avec les autres conseils se perd. (...)

Étant donné le niveau donné de la complexité sociale fondée sur les forces productives hautement développées, le système politique des conseils ne peut pas lui non plus renoncer à l’administration. La conception des conseils ne s’oppose pas non plus à l’administration en soi, mais concrètement au pouvoir autonome, incontrôlé, des bureaucraties exécutives, semi-absolutistes, de l’époque wilhelminienne et à sa pérennité durant la révolution. Le démantèlement de l’appareil de l’État, ainsi que Marx et Lénine le considéraient comme nécessaire, signifiait le démantèlement des appareils de l’État bourgeois, puis l’instauration d’une nouvelle démocratie prolétarienne-socialiste et d’administrations correspondant à la dictature du prolétariat. C’est ainsi que, comme par exemple à Hambourg, les conseils ont en effet créé aussi les bases de nouveaux appareils d’administration par la restructuration des anciens. Cela a eu lieu par le fait que, à l’intérieur des conseils, ont été constitués des sous-systèmes sous la forme de commissariats du peuple. Ceux-ci ont créé un appareil administratif correspondant aux besoins courants à partir de fractions de l’ancienne administration et ils supervisaient son fonctionnement démocratique. L’élection directe en tout cas des plus hauts grades de l’administration et une rotation périodique dans l’occupation des postes démocratiseraient l’administration de manière déterminante et elles représenteraient en même temps un élément de la suppression de la séparation entre le travail intellectuel et le travail manuel.

 

UNE NOTION MAXIMALISTE (nota bene, jlr)


Le grande schéma des angles d’approche de la notion normative et maximaliste de la démocratie des conseils qui s’est développée dans les conceptions socialistes des conseils montre que, dans ce modèle de démocratie, aucun domaine social n'est exclu, qu’il permet un accès universel, qu’il crée les conditions institutionnelles en faveur du développement de la conscience de soi, de l’autodétermination et de l’autonomie, aussi bien de chaque membre de la société que des producteurs collectifs.

Seule la suppression des rapports capitalistes de production, si le prolétariat y parvient, fournit la possibilité de déployer cet espace public, c'est-à-dire aussi d’instaurer et d’établir solidement le système des conseils. Or l’espace public prolétarien n’est pas créé par le seul bouleversement des rapports de production ; il n’est que la condition de la possibilité de sa réalisation. Les conseils doivent également se libérer des formes de relations et de conscience, qui sont liées aux rapports capitalistes de production, de l’espace public bourgeois. En conséquence, le système des conseils est conçu par ses représentants radicaux comme une alternative totale au pouvoir bourgeois : il doit supprimer les rapports de production et les formes de pouvoir bourgeois et il doit instaurer de nouvelles formes de relations sociales en remplaçant l’autorité de pouvoir par l’autorité de mission, la représentation par la délégation, le bureaucratisme par l’auto-administration, la position privilégiée du chargé de fonction par l’égalité sociale, en n’excluant pas les domaines directs du travail, de l’expérience et de la vie, de la majorité de la population, mais en rendant accessible l’espace public à tous les membres de la société, en les faisant participer sur un pied d’égalité aux processus de communication, d’information et de décision, et en intensifiant cette participation au lieu d’appeler seulement à des manifestations acclamatives-plébiscitaires sporadiques. C'est uniquement par ce moyen de l’imbrication directe permanente des intérêts et des expériences des travailleurs dans « le contexte global de la production sociale »

L’institutionnalisation des possibilités directes d’autodétermination, et des liens entre le travail et l’espace public politique, est la condition pour que les travailleurs surmontent leur attitude passive et développent un intérêt pour une participation politique permanente53.

Le système des conseils, en tant que forme de l’espace public prolétarien, ne peut pas non plus en conséquence, durant la période de transition qui va jusqu’à l’instauration complète de l’espace public prolétarien, exclure aucune « partie de la réalité de l’ennemi de classe ou bien des rapports du système environnants comme étant des formes bourgeoises liquidées », mais il doit les vaincre intrinsèquement.

Dans ce contexte, les objections, fondées sur la sociologie de l’organisation, qui sont soulevées dans la littérature à l’encontre des principes constitutifs du système de conseils55, sont d’une pertinence qui est à prendre au sérieux lorsqu’elles sont considérées comme des anticipations des tendances de développement qui mettent en danger le système des conseils dans ses éléments constitutifs, et cela pour empêcher en temps voulu une reproduction des formes de l’espace public bourgeois et pour pouvoir parvenir à un dépassement de ces formes. Le système des conseils doit surmonter les formes de relations de la société bourgeoise qui sont actives jusque dans la structure psychique des membres de la société ; sa tâche et en même temps la condition de son existence durable, c’est la réalisation d’une révolution culturelle de grande envergure56.

Il n'y a pas nécessité d'un regroupement des partis révolutionnaires

Le problème de l’existence d’un ou plusieurs partis ouvriers doit également être discuté. Negt et Kluge conçoivent le parti ouvrier comme « la forme historiquement limitée de l’espace public prolétarien »57, dans laquelle, d’une part, les intérêts politiques réels des travailleurs sont abordés, mais qui, d’autre part, est constituée selon « la norme d’organisation bourgeoise universelle et ubiquitaire »58. Le parti ouvrier est la plupart du temps organisé comme « camp séparé à l’intérieur de la société bourgeoise »59 (il en est ainsi du SPD dans le ghetto social de la classe ouvrière de l’Empire allemand). C’est en lui que sont pris en compte les espoirs et les besoins psychiques des travailleurs, c’est en lui que ceux-ci acquièrent identité et solidarité, c’est en lui que ceux-ci voient « à bon droit des parties de leurs revendications … honorées, et qu’ils considèrent d’autres parties, en tant que des promesses futures, comme en principe acceptées »60. Mais le parti prolétarien impliqué dans l’espace public bourgeois est structuré selon les règles d’organisation de l’espace public bourgeois (comme le SPD dans l’Allemagne wilhelminienne en tant qu’association conforme au code civil), de sorte que le parti ouvrier, sous la pression du système bourgeois de domination, reproduit « inconsciemment les mécanismes de l’espace public bourgeois : délimitation, simulacre d’espace public, dictature des règles de procédure »61. Dans la révolution, le prolétariat doit se libérer de cette organisation de l’espace public prolétarien limité pour pouvoir prendre en compte la....

Il doit transformer l’organisation de « contre-système de communication » (Negt/Kluge) en système d’ensemble de communication avec des formes totalement nouvelles.

C’est ici que résident les difficultés des stades de transition pour les conseils. Ils sont certes utilisés par les travailleurs en partie comme de nouvelles formes d’organisation et envisagés comme but, mais les travailleurs, étant donné leur identification, leurs liens et leurs expériences, ne peuvent pas se séparer de but en blanc de leurs anciennes organisations64. En tant « qu’agences de socialisation de la prise de conscience prolétarienne encore embryonnaire »65, elles ont aussi, surtout ensuite, lorsque de larges couches de la classe ouvrière sont encore enferrés dans les rapports d’aveuglement de l’économie capitaliste et de l’espace public bourgeois (comme dans la révolution allemande), encore une fonction importante66. Mais le danger réside dans le fait que les formes de l’espace public bourgeois soient transférées aux conseils et qu’elles soient utilisées par les partis, ou bien par le parti qui se considère comme la seule organisation révolutionnaire, ce qui aurait pour conséquence de bloquer la formation de l’espace public prolétarien. Les conseils et les partis ouvriers ne sont donc compatibles que si les partis font fonction d’éléments du processus collectif d’apprentissage du prolétariat en ce qui concerne le traitement de manière réaliste des expériences des travailleurs et le déploiement de l’espace public prolétarien, et non pas d’offices « de technologie sociale paternaliste »67, s’ils sont des instruments « du processus interne de libération » du prolétariat lui-même68, et non pas des appareils destinés à l’instrumentalisation des masses69.

Certes, maints théoriciens des conseils se sont vigoureusement opposés à l’existence de partis dans le système socialiste des conseils développé, et ils ont prouvé à ce sujet qu’ils possédaient un flair sensible aussi bien dans la période de transition allant jusqu’à l’élimination de toutes les contradictions de classe et au développement de nouvelles formes de la démocratie prolétarienne, mais ils concevaient les conseils comme des formes dans lesquelles les différents partis de la classe ouvrière doivent agir en faveur de la réalisation des objectifs. Dans l’espace public prolétarien achevé, dans lequel les antagonismes de classe sont eux aussi supprimés et les partis deviennent superflus en tant qu’organisations de lutte, et les partis de type traditionnel, et je suis d’accord avec Gottschalch là-dessus, n’ont « plus aucune fonction »72. Mais, malgré l’homogénéité sociale de principe, l’on en arrivera en eux à des fractions et à des groupes en raison de la dissimilitude des expériences des travailleurs dans les différentes entreprises, professions et branches économiques, et du fait des façons différentes de voir qui ne découlent pas directement et nécessairement des différents activités. Cela de doit pas agir inévitablement de manière dysfonctionnelle, mais cela peut même, au sens de la mobilisation et de la formation de la conscience politique démocratiques, avoir un effet parfaitement73 stimulant.

Dans un éditorial destiné au I° Congrès des conseils, Rosa Luxemburg caractérisait la condition de la formation et de l’échec des conseils comme des formes de l’espace public prolétarien :

« … les conseils sans la révolution sont morts. »75.

Volker a oublié d'ajouter que Rosa disait cela parce que la révolution est l'ouverture d'une période plus ou moins longue de révolution « en permanence ».



NOTES


1A laquelle Frédéric Charpier a consacré un ouvrage mémoriel. Dans la Constitution de la Ve République, la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul homme justifie à elle seule l’expression de «Les Hommes de main du président », de Foccart à Benalla et de De Gaulle à Macron, tous les présidents ont abrité au « Château » des hommes de main en marge des institutions officielles, sous les statuts les plus divers mais toujours adeptes des « méthodes musclées ».Depuis l’époque des « gorilles du Général », ils reçoivent leurs ordres directement du président, voire de son épouse pour le dernier en date, et agissent en contournant les hiérarchies traditionnelles. On les voit peu, mais on les craint. Et on a raison : chargés de la sécurité, mais aussi de la vie privée du locataire de l’Élysée, et d’innombrables missions secrètes révélées ici, ils fascinent autant qu’ils terrorisent ou révulsent.

La dite opposition de gauche est aussi associée aux magouilles d'Etat, fût-ce au service d'un autre. Rouage essentiel du Komintern stalinien, Duclos a régné pendant plus de trente ans sur l’appareil parallèle et clandestin du PCF. Au service de l’Union soviétique et de Staline, il organise des réseaux secrets d’information et de décision, s’initie au « travail illégal », veille à la formation des cadres, mène la lutte contre les trotskistes, dirige le PC clandestin sous l’Occupation… puis collabore avec le gouvernement gaulliste.

2« Histoire secrète de la corruption sous la Ve République », p .581, nouveau monde éditions, 2014.

3Ibid p.577.

4Lénine in « L'Etat et la Révolution ». Constat accablant qui est justement celui, actuel et généralisé, de millions de prolétaires abstentionnistes que la pesante propagande étatique et mélenchoniste n'arrive pas à contrebalancer !

5 Le ministère de l’Education, aussi, s’est payé les services de McKinsey : une mission «sur l’évolution du métier d’enseignant», facturée 496 800 euros (payée pour moitié par la Direction interministérielle de la transformation publique) réalisée… «sans consulter la communauté enseignante ou les représentants syndicaux», précise la commission d’enquête parlementaire «sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques». «Dès le départ, le recours à McKinsey ne présentait pas d’intérêt démontré, résument les sénateurs. Avec le recul, cette décision apparaît à la fois coûteuse et inopportune.»

6Cela dit, si le recours à des cabinets de « conseils extérieurs » montre une limite à l'aveuglement de la technocratie étatique, l'Etat peut aussi en tirer des lumières ; pour ma part j'ai pu lire il y a longtemps un rapport d'un conseil extérieur commandé par le staff d'EDF – excellent, décrivant très bien les tares de la hiérarchie magouilleuse et corrompue – dont il n'a évidemment pas été tenu compte.

7Lénine, Les bases économiques de l'extinction de l'Etat, chap 5 du lumineux « L'Etat et la Révolution ».

11Publié dans les années 1970, qui vient d'être traduit par Jean-Pierre Laffite à la demande apparemment de Philippe Bourrinet puisqu'il le publie sur son blog Pantapolis. A la dernière réunion du CCI à Paris je leur avais proposé de leur faire suivre cet ouvrage par mail. Ils ne se sont pas manifesté jugeant sans doute qu'en tant qu'individu je ne suis pas fréquentable (c'est une maladie de secte de ne pas reconnaître l'individu ni de le respecter). Bon maintenant ils n'ont rien à demander puisqu'ils peuvent aller le pomper sur Pantapolis. C'est un bouquin resté à l'état numérique qui aurait mérité de trouver un éditeur. Mais les cahiers des socialo-anars spartacus préfèrent continuer à publier des vieilleries.

12 La révocabilité mélenchonienne est utopique et immédiatement détruite par ses anciens collègues du PS. La semaine dernière, la proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer un droit de révocation des élus déposée par La France insoumise (LFI) a été examinée en séance publique, mais n'a pas été adoptée. Pour rappel, le mécanisme envisagé est celui d’un référendum d’initiative citoyenne à l’issue duquel pourraient être révoqués les élus : président de la République, parlementaires et élus locaux. L’initiative pourrait être engagée à partir du tiers de la durée totale du mandat. Une pétition référendaire devrait réunir un pourcentage suffisant du corps électoral d’origine. Lors de la procédure, l’élu aurait la possibilité de défendre son bilan. La majorité des votes serait nécessaire pour obtenir la révocation.  En 2022 LFI fait tout un blabla inconsistant pour réduire le fléau abstentionniste : L’abstention ne fait qu’augmenter, atteignant des chiffres terrifiants aux élections régionales avec plus de 65% d’abstention.  Le diagnostic d’une crise de la démocratie est posé depuis longtemps.  La défiance de la société civile à l’égard des gouvernants trouve en partie ses racines dans le fonctionnement actuel de nos institutions : exécutif fort, fait majoritaire, centralisation des décisions par l’administration, faiblesse du Parlement… Les citoyens y voient un mépris de leurs préoccupations et de leur expression par le vote.  La gauche caviar PS vota contre.

13 Sinzheimer : Die Zukunft der Arbeiterräte, p. 3-5.

14 Sinzheimer (ibidem, p. 418 (20 sq.)) : « Le contrôle par le parlement n’est pas une garantie suffisante pour la fonction démocratique de l’administration. Oui, j’affirme que, dans certaines circonstances, le système parlementaire peut précisément compromettre et empêcher un contrôle effectif de l’administration par le parlement ». Et il en est ainsi lorsque la majorité parlementaire « cherche à couvrir ses partisans et ses amis dans l’administration ».

15 Ibidem, p. 418 (21).

16 Ibidem.

17 Ibidem.

18 Ibidem, p. 415 (17 sq.).

19 Ibidem.

20 SPD-Parteitag …, p. 412 (14).

21 Ibidem, p. 418 (21).

22 Von Oertzen : Betriebsräte in Novemberrevolution, p. 264 sq.

11 E. Mandel : Introduction à : Arbeiterkontrolle, Arbeiterräte, Arbeiterselbstverwaltung, Francfort-sur-le-Main, 1971, p. 11.

22 SPD-Parteitag, Weimar, Protokoll, p. 436 sq.

55 F. Unruh (c.à.d. J. Knief): Vom Zusammenbruch des deutschen Imperialismus bis zum Beginn der proletarischen Revolution [De l’effondrement de l’impérialisme allemand jusqu’au début de la révolution prolétarienne], Berlin 1919, p. 26.

66 Cf. von Oertzen : ibidem, p. 298.

77 Cf. concernant ces points : Jörg Huffschmid/Margaret Wirth : Das Rätesystem in der Wirtschaft [Le système des conseils dans l’économie], dans Theorie und Praxis der direkten Demokratie [Théorie et pratique dans la démocratie directe], p. 186-193, ici : p. 188.

99 Negt und Kluge (ibidem, p. 101) analysent la soi-disant opinion publique d’entreprise telle qu’elle est pratiquée aujourd'hui en RFA comme encore de type absolutiste.

10 10 Cf. von Oertzen, ibidem, p. 298.

1111 Ces structures des konzerns capitalistes devraient bien sûr être modifiées dans une économie socialiste en fonction des besoins sociaux.

1212 Cf. la récapitulation chez von Oertzen, ibidem, p. 307.

1414 Cf. aussi les réflexions de Huffschmid et de Wirth (ibidem) qui se rapprochent à bien des égards des propositions de 1918-1920 et qui continuent à les développer en les actualisant.

1616 Altvater (ibidem, p. 283) définit tout simplement « la démocratisation comme la rétroaction entre les niveaux de décision ».

1717 Ibidem, p. 285.

1818 Voir ibidem, p. 272 ; cf. E. Mandel : l’autodétermination des travailleurs « signifie que, dans toute une série de domaines (enseignement, culture, logement, santé, urbanisme, etc.), les critères de la “rationalité” (c'est-à-dire de la rationalité de chaque entreprise et du capital privé, V.A.) sont consciemment écartés en faveur de ceux de la solidarité et de l’utilité sociale (Introduction à : Arbeiterkontrolle, Arbeiterräte, Arbeiterselbstverwaltung, p. 45.

1919 Cf. également Altvater, ibidem, p. 288.

2323 L’énonciation citée provient de Joachim Hirsch, dans : Probleme der Demokratie heute [Les problèmes de la démocratie aujourd'hui], ibidem, p. 154.

2424 G. Lukács : Lenin [Lénine] (Neuwied/Berlin, 3° édition 1969), p. 62 sq.

2828 H. Rumpf : Der ideologische Gehalt des Bonner Grundgesetzes [Le contenu idéologique de la loi fonda-mentale de Bonn], Karlsruhe (1958) ; voir dans ce texte, concernant la notion de l’idéologie constitutionnelle, en particulier p. 7 sqq., et celle de la souveraineté populaire, p. 13 sq., 31.

2929 Voir E. Fraenkel : Die repräsentative und die plebiszitäre Komponente im demokratischen Verfassungsstaat [Les composantes représentatives et plébiscitaires dans l’État constitutionnel], dans : E. Fr. : Deutschland und die westlichen Demokratien [L’Allemagne et les démocraties occidentales], p.71-130, ici : p. 76.

3030 Cf. Agnoli : Die Transformation der Demokratie [La transformation de la démocratie] (Francfort-sur-le-Main 1968), p. 62 sqq.

3131 Habermas : Strukturwandel der Öffentlichkeit [Les transformations structurelles de l’espace public], p. 194 sq. et auparavant : O. Kirchheimer: Zur Frage der Souveränität [La question de la souveraineté], dans : O. K. : Politik und Verfassung [Politique et Constitution], Francfort-sur-le-Main 1964, p. 57-95, ici : p. 63 ; cf. aussi en particulier p. 81 sqq.

3232 Cette critique était dirigée en 1918/1919 avant tout contre le SPD parce qu’il avait déçu les espoirs d’une partie du mouvement ouvrier dans la guerre et dans la révolution.

3333 C'est ce qui est arrivé par exemple à l’encontre de l’opposition anti-guerre dans le SPD en 1916.

3535 Concernant le tournant historique de la représentation, en partant de la libre défense d’intérêts concordants sur la base d’une homogénéité sociale des défenseurs dans les rapports pré-bourgeois, pour en arriver à l’instrumentalisation « en tant que technique d’occupation des positions de domination et de direction », voir Bermbach, ibidem.

4040 Cf. O. Kirchheimer : Weimar – und was dann ? [Weimar – et après ?], dans : O. K. : Politik und Verfassung [Politique et Constitution], p. 9-56, ici : p. 17.

4242 Cf. ibidem.

4343 Ibidem. L’absence de prise en charge de cette fonction n’est pas remarquée par Fijalkowski qui part du principe d’un système des conseils construit de manière strictement hiérarchique jusqu’à sa tête.

5353 Cf. Wilfried Gottschalch : Modelltheorische Darlegungen zum Problem der Rätedemokratie [Explications du modèle théorique relatif au problème de la démocratie des conseils], dans : “Probleme der Demokratie heute”, ibidem, p. 86-95, ici p. 93 sq.

5555 Voir U. Bermbach : Ansätze zu einer Kritik des Rätesystem [Angles d’approche d’une critique du système des conseils], dans : “Berliner Zeitschrift für Politologie”, 9° année, n° 4 de décembre 1968, p. 21-31 ; Bermbach : Rätesystem als Alternative ? [Le système des conseils comme alternative ?], ibidem, passsim ; Fijalkowski, ibidem, passim.

5656 Däumig a parlé d’elle de temps à autre très vaguement ; voir I. Kongress der AuSRäte, Protokoll, p. 230, 235 et. II. Kongress der AuSRäte, Protokoll, p. 174.

5757 Negt/Kluge, ibidem, p. 66.

5858 Ibidem, p. 66.

5959 Ibidem, p. 105.

6060 Ibidem, p. 110.

6161 Ibidem, p. 115, cf. p. 108-115, 414 sq., 422 sqq.

6464 Le fait que ce soient en particulier les groupes d’ouvriers qualifiés hautement spécialisés et autonomes ainsi que les couches ouvrières sans liens forts avec les organisations ouvrières traditionnelles qui se soient emparés de l’idée des conseils (voir von Oertzen, ibidem, p. 271 sqq.) justifie cette thèse, de même que le fait que ce soit les membres en faible nombre du KPD(S), et puis ultérieurement en particulier du KAPD et de l’AAUD, qui ont tenté de rompre de manière résolue avec les anciennes formes d’organisation.

6565 Negt/Kluge, ibidem, p. 412.

6666 C'est ainsi que le rôle du parti a aussi à quelque chose près été défini par Däumig, Müller, Rosa Luxemburg et les communistes de gauche.

6767 F. Naschold déduit de ses recherches « qu’une démocratisation réussie ne peut avoir lieu que par un processus collectif d’apprentissage, et non pas au moyen d’une technologie sociale paternaliste » (Organisation und Demokratie [Organisation et démocratie], Stuttgart etc., 2° édition 1971, p. 84).

6868 A. Gramsci : Die kommunistische Partei [Le parti communiste], dans : A. G. : Philosophie der Praxis [La philosophie de la praxis], p. 80-89, ici : p. 83.

6969 Cf. Negt/Kluge, ibidem, p. 10 sq., note 3.

7272 Gottschalch, ibidem, p. 92.

7373 Cf. les résultats rapportés par Naschold (ibidem, p. 34 sqq.) de la recherche de S.M. Lipset/M. Trow/ J. Coleman : Union democracy. The internal politics of the international typrographical union [La démocratie syndicale. La politique interne du syndicat international de typographes], New York 1962.

7575 R. Luxemburg : Auf die Schanzen [Sur le tremplin], dans : “Die Rote Fahne”, n° 30 du 15-12-1918.