PAGES PROLETARIENNES

mardi 22 février 2022

Si vis pacem, para bellum

 

On peut être en désaccord sur de nombreux points avec un petit groupe politique à vocation internationaliste, mais il est celui en ce moment qui décrypte le mieux les conditions de la montée à la guerre – quoique de façon tardive - où l'agresseur n'est pas forcément celui qu'on croit, tout en émettant des doutes sur la possibilité de la conflagration ; c'est en effet d'abord Poutine qui est pris au piège :« Cependant, l’offensive politique et médiatique américaine le prend au piège : à force d’annoncer à grands renforts de tambours une opération militaire d’occupation de l’Ukraine par la Russie, les États-Unis font que toute action plus réduite de la part de la Russie sera appréhendée comme un recul et tentent donc en quelque sorte de la pousser à s’engager dans une opération militaire hasardeuse et probablement d’assez longue haleine, alors que la population russe, elle non plus, n’est pas prête à aller à la guerre et à voir revenir des « body bags » en nombre. La bourgeoisie russe le sait parfaitement »1.

Une telle manipulation américaine n'est pas nouvelle. Le 27 décembre 1979, l’Armée « rouge » entre en Afghanistan pour secourir le satellite stalinien. Issu d’un coup d’État militaire, il est parvenu en moins d’un an à fédérer contre lui des groupes ethniques, unis par leur foi dans l’islam contre les « mécréants » communistes : les moudjahidines. En pleine Guerre froide, les États-Unis voient une occasion en or de piéger la Russie soviétique. Ils arment les moudjahidines ; facilitent l’arrivée de combattants musulmans du monde entier, dont un jeune Saoudien nommé Oussama Ben Laden. À l’heure du retrait, en 1989, la Russie avait compté 13 000 soldats morts et 53 000 blessés. Le piège afghan a été un des principaux facteurs de l’effondrement de l’URSS.

AUX PORTES DE L'EUROPE

La situation aujourd'hui est autrement plus grave puisqu'elle engage une confrontation aux portes de l'Europe industrielle où est concentré le prolétariat le plus conscient et le plus marqué par les révolutions du passé. Soumis à la propagande dominante de l'impérialisme américain, tous les médias et journalistes ont jonglé avec les références historiques « antifascistes » où le méchant est lourdement désigné comme seul fauteur de guerre quand les autres sont supposés ne militer que pour la paix : espace vital, drôle de guerre avec prétexte de persécutions ethniques2, accords de Munich3, etc. Or, c'est une constante des lois de la guerre et du début des deux guerres mondiales, personne ne veut apparaître comme le fauteur de la guerre ! Tous ces larbins suivistes se moquent des virevoltes et pas de deux du Poutine, mais c'est un jeu d'échecs où les deux camps tentent de valider les mêmes ficelles.

L'affirmation du groupe ci-dessus cité se termine par une remarque erronée « la population russe n'est pas prête à aller à la guerre ». De prime abord aucune population n'est prête à aller à la guerre, mais il a échappé à ce groupe un communiqué d'une agence russe mettant en garde contre des risques d'attentats contre des édifices publics en Russie, gares ou écoles par exemple. Or on sait que des attentats ciblés et organisés par le FSB peuvent retourner en moins de vingt quatre heures la population civile.

Une série de cinq attentats en Russie en 1999 contre des immeubles d'habitations entre le 31 août et le 16 septembre 1999 dans plusieurs villes de l'ouest du pays font au moins 290 morts et un millier de blessés. Ces attaques commises à l'explosif et à la voiture piégée sont officiellement attribuées par les autorités russes à des indépendantistes Tchétchènes. Cependant, plusieurs observateurs indépendants prétendent au contraire que les autorités russes auraient organisé ces attentats pour justifier l'invasion du Daghestan par celles-ci à partir du 7 août, et le déclenchement de la Seconde guerre de Tchétchénie4. Poutine aujourd'hui va-t-il nous inventer des « terroristes ukrainiens » ?

Pour l'instant, au niveau extérieur à la Russie, Poutine continue de louvoyer et de mentir effrontément. Il a développé un réquisitoire contre une Ukraine minée par des clans d’oligarques, voulant marginaliser la population russophone et cherchant à se débarrasser de l’Église orthodoxe russe. L'oligarque a même menacé de punir les auteurs de l’incendie dans lequel quelque quarante militants prorusses avaient trouvé la mort en 2014, lors d’affrontements avec les partisans d’une Ukraine indépendante. Une phrase lourde de sens, car elle semble signifier que le chef de l’armée russe regarde au-delà du Donbass, jusqu’à Odessa, ville ukrainienne sur les rives de la mer Noire…

Le processus de paix n’a «aucune perspective» de mise en œuvre et «la Russie a fait tout ce qu’elle a pu pour résoudre la crise par des outils pacifiques», a-t-il expliqué avec aplomb. Si ce n'est pas une déclaration de guerre c'est un regret d'une pais impossible... Une guerre en Ukraine ne serait ni de même nature ni de même durée que celle en Afghanistan. Cette nécessité n'est pas irrationnelle5ni un « suicide économique » du point de vue russe, comme dit le CCI, mais bien une démarche militariste rationnelle et conforme aux besoins du prétendu « nain économique » ; la guerre ne se base pas sur son coût initial mais sur la « conquête » économique » qui en résulte ; l'occupation pendant cinq ans de la France par le régime nazi consista par le pillage de 80% de son PNB ! La menace nucléaire n'est pas non plus irrationnelle mais une logique du capitalisme décadent, quand par exemple le président biélorusse Alexandre Loukachenko, obligé de Moscou, a affirmé jeudi que son pays serait prêt à accueillir des «armes nucléaires» en cas de menace de la part des Occidentaux, en pleine crise sur l'Ukraine. Ce 21 février, Vladimir Poutine avait tenu à rassembler son Conseil de sécurité dans la vaste salle Sainte-Catherine du Kremlin, celle-là même où il signa en 2014 l’annexion de la péninsule ukrainienne de Crimée.

BIS REPETITA d'une intervention masquée par des cagoules...

On fait comme si l'occupation de la Crimée était oubliée ou impossible à l'échelle de l'Ukraine. ¨Pourtant les manœuvres militaires russes sont en tout point semblables. L'occupation avait été effectuée par des troupes « pro-russes » et « non-identifiées » en février 2014. L'impérialisme russe avait considéré le nouveau gouvernement ukrainien (après la destitution de Viktor Ianoukovitch) illégitime ; il nia l'accusation d'invasion et d'occupation armée, affirmant que la présence de soldats russes n'était en réalité que des « forces d'autodéfense ». Le 28 février, des hommes en armes dont l'uniforme ne comprend pas de signe permettant leur identification prennent le contrôle de l'aéroport de Simferopol dont l'entrée est bloquée par 300 combattants cagoulés.

Au mois de mars, le parlement de Crimée à la botte de Poutine déclarait l'indépendance de « la république de Crimée ».Lors de sa longue intervention télévisée, Poutine a reconnu les «républiques de Donetsk et de Lougansk», et imputé à Kiev les possibles «effusions de sang». Le régime « corrompu » d'Ukraine menace aujourd’hui la Russie en réclamant l’adhésion à l’Otan. L’entrée dans l’Alliance atlantique ne serait qu’une «question de temps» assura Poutine, et permettrait ensuite des frappes sur la Russie. Plus tôt dans la journée, la guerre de l’information avait déjà tourné à plein, quand Moscou avait accusé coup sur coup l’Ukraine d’avoir détruit un bâtiment des gardes-frontières russes d’un tir d’artillerie puis d’avoir envoyé deux groupes de saboteurs et des véhicules de combat sur son territoire. Invérifiables et rapidement démenties par Kiev, ces affirmations sont suivies d’une traînée de doutes. Le poste de douane en question était bien loin des positions ukrainiennes, trop pour avoir été touché par leur artillerie classique.

L’hypothèse même de provocations ukrainiennes lancées au visage des Russes alors que 190 000 hommes sont massés autour des frontières est difficile à admettre, tant elle ne semble profiter qu’à Moscou. Ces récits ne ressemblent que trop à des prétextes d’entrée en guerre, mobilisables à l’envie et qui s’empilent de plus en plus vite. Dans l’après-midi, les séparatistes du Donbass ont invité Vladimir Poutine à s’en saisir, en demandant la reconnaissance de leur «indépendance» et une «coopération en matière de défense».

Dans les deux décrets reconnaissant leur indépendance, Vladimir Poutine a d’ailleurs ordonné lundi soir «aux forces armées» russes d’assumer «les fonctions de maintien de la paix» sur le territoire des «républiques populaires» de Donetsk et Lougansk. Le processus de paix n’a «aucune perspective» de mise en œuvre et «la Russie a fait tout ce qu’elle a pu pour résoudre la crise par des outils pacifiques», a-t-il expliqué avec aplomb. Tout confirme que l'impérialisme russe est bien à l'offensive6

Une attaque russe faisant fi des avertissements hypocrites de l’Occident sera une guerre européenne d’une ampleur géopolitique redoutable, et pour l'instant les tentatives de médiation européenne avec Macron sont de plus en plus tournées en dérision et pain béni pour le cul de jatte nationaliste collabo pro-russe Zemmour.

Les méthodes du Kremlin n'ont pas changé, et gardé les méthodes cyniques de grand-père Staline, avec ces mises en scène grotesques mais on arrive au point de non retour. Les pions de Poutine des deux territoires aux mains des rebelles prorusses dans l'est de l'Ukraine, ceux de Donetsk et de Lougansk, l'avaient appelé à reconnaître leur indépendance et à mettre en place une "coopération en matière de défense", c'est fait suite à l'intervention télévisée. Le parrain militaire et financier a rendu la prétendue paix moribonde.

COMMENT S'OPPOSER A LA GUERRE DU POINT DE VUE DE CLASSE ?

Le CCI sort le clairon classique : « Les ouvriers doivent prendre conscience que s’ils ne contrent pas par leurs luttes l’exacerbation des confrontations entre requins impérialistes, ces confrontations se multiplieront à tous les niveaux dans un contexte d’accentuation du chacun pour soi, de la militarisation et de l’irrationnel. Dans cette optique, le développement des luttes ouvrières en particulier au cœur même des pays centraux du capitalisme constitue aussi une arme essentielle pour s’opposer à l’extension de la barbarie guerrière ».

Il y a un côté curé et moraliste dans cette injonction, à la fois dans l'injonction faite par une secte lilliputienne et inconnue aux ouvriers (qui ne se prennent plus pour tels) et par une confrontation imaginée contre... l'irrationnel, alors que la guerre capitaliste n'a rien d'irrationnel mais reste déterminée par le profit capitaliste.

Une lutte contre la guerre en cours larvée puis ouverte nous laissera encore tous un moment à l'état de spectateurs et les luttes supposées des ouvriers ne sont pas caractérisées : luttes syndicales, corporatives, économiques ; de telles luttes n'ont jamais empêché les guerres ni lancé une révolution. C'est sur le plan de la conscience de classe et de la lutte directe contre la guerre que les choses changeront.

Pour les spécialistes d'Axa, «une nouvelle escalade pourrait facilement faire augmenter le coût global de l'énergie dans la zone euro de plus de 10 %, ce qui pourrait suffire à réduire de plus de 1 % le pouvoir d'achat des ménages». Selon lui, une telle issue «aurait le potentiel d'entamer gravement la reprise européenne».

Même si la crise économique aggravée va entraîner les grèves quine seront pas génératrices de révolution ; ne pas oublier surtout qu'en même temps la crise migratoire sera aggravée et un moyen de division efficace du prolétariat comme cela a été le cas avant 14 et 39 : la peur de l'étranger dont se sert efficacement le nationaliste Zemmour. Pour combattre ce populisme devenu majoritaire contre la gauche bobo et caviar, le CCI reste sur la position des islamo-gauchistes concernant les flux migratoires7, sans voir qu'ils ont favorisé la logique de guerre.

Plus dramatique, véhiculant toutes les tares du gauchisme dit radical ou ultra-gauche, il n'y a plus une seule minorité internationaliste capable de symboliser et d'être une référence pour la prolétariat mondial face à la guerre qui vient. On peut espérer que de réelles minorités marxistes sortiront des dramatiques événements qui nous attendent8.


NOTES

2 Le 1er septembre 1939, l'Allemagne envahit la Pologne. La propagande nazie justifia cette décision en prétendant, à tort, que la Pologne prévoyait avec ces alliés britanniques et français d'encercler et de démembrer l'Allemagne, et que les Allemands ethniques subissaient des persécutions de la part des Polonais. La SS, de connivence avec l'armée, organisa une fausse attaque polonaise contre une station de radio allemande. Hitler s'en servit de prétexte pour lancer une campagne de « représailles » contre la Pologne.

3 Dans la nuit du 29 au 30 septembre 1938, les accords de Munich sont signés en Allemagne pour «éviter la guerre». Ils clôturent la Conférence des Quatre, réunie à l'initiative du dictateur italien Mussolini pour régler pacifiquement le conflit qui oppose Adolf Hitler et la Tchécoslovaquie.Les accords de Munich sont une étape décisive dans la remise en cause du règlement de 1918 et dans la marche vers la guerre. Six mois après l'Anschluss, l'annexion de l'Autriche, Hitler obtient le territoire des Sudètes d'une haute valeur stratégique. La politique d'apaisement du gouvernement britannique, suivie par le gouvernement français et approuvée par l'opinion, entraîne le démantèlement de la Tchécoslovaquie. Le pays dont la France avait garanti les frontières est abandonné et son système de défense détruit. Six moins plus tard, le 15 mars 1939, les Allemands occupent Prague. Selon le mot de Churchill : « L'Angleterre avait le choix entre le déshonneur et la guerre. Elle a choisi le déshonneur, et elle aura la guerre. » La France aussi ! L'allié de revers manquera cruellement en 1940. La Pologne, qui a eu la sottise de soutenir l'Allemagne pour obtenir un bout de Silésie (Teschen), sera la prochaine victime, moins d'un an plus tard. Les Allemands des Sudètes, objets du conflit, seront expulsés en 1945, avec l'accord des alliés donné lors de la conférence de Potsdam.

4https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentats_de_1999_en_Russie

5« ce sabbat guerrier macabre entre bourgeoisies impérialistes, les intentions sont diverses et complexes, liées aux ambitions des divers protagonistes et à l’irrationalité caractérisant la période de décomposition. Cela n’en rend la situation que plus dangereuse et imprédictible : mais, quelle que soit l’issue concrète de la « crise ukrainienne », (cf. la prise de position du CCI)

6Contrairement à ce que croit le CCI : « Cela ne signifie toutefois pas qu’elle soit aujourd’hui globalement à l’offensive. Au contraire, elle (la Russie) se retrouve dans une situation générale où elle subit de plus en plus de pressions tout le long de ses frontières. »

7Leur analyse du cirque électoral en France est pitoyable, la bourgeoisie aurait peur de l'accession de la mère Le Pen au pouvoir, voire de Zemmour, diabolisé alors que même si toutes propositions sont débiles, il a posé les questions qui dérangent : «  le RN était avant tout utilisé comme épouvantail au profit de partis « de gouvernement » dont la politique anti-migratoire et les répressions brutales n’ont rien à envier aux propositions des Le Pen ». Or ce gouvernement ne fait rien face aux communautarismes grandissant qui vont servir aux montées vers la guerre, ayant justement servis à affaiblir le prolétariat.

8Pour le CCI c'est mort depuis une vingtaine d'années, après l'expulsion violente de ses fractions (et la preuve de la fin de toute fraction et discussion libre interne depuis lors sous le régime de la terreur), et de ses personnalités fondatrices, ne restent des zombies sans personnalité et des articles secs sans âme et:moralistes. Jaurès a très bien décrit la faillite des sectes, mieux que ne l'imaginait Chirik :

« Ces événements nous apprennent, en outre, que les divisions d'un parti ne profitent qu'à ses adversaires. Dans tout parti il y aura toujours des nuances. Il y aura toujours, si uni qu'on soit et à plus forte raison si l'on est peu, des divergences d'opinion quel que soit le motif de celles-ci ; mais l'intérêt réel de chacun et de tous exige qu'on s'efforce d'atténuer ces divergences, d'en canaliser les excès pratiques, au lieu de les accroître et de les laisser grossir au point de ne plus pouvoir les endiguer. En outre, ce n'est jamais à la violence que les diverses fractions d'un parti, correspondant aux différentes nuances inévitables, doivent entre recourir pour assurer le triomphe de leur propre manière de voir. Même au point de vue étroit de l'intérêt bien entendu de chacune d'elles, il vaudrait se résoudre à un échec de leur idée particulière, que de voir celle-ci l'emporter par l'élimination violente d'une autre fraction : « Qui ne fonde point les gouvernements avec la mort », suivant le mot de Baudot dans ses Notes historiques sur la Convention (p.114).

Si on compte sur la violence pour avoir dans un même parti raison les uns des autres, tous, exaltés et modérés, finissent par avoir leur tour au détriment de l'idée commune, et cela devient d'autant plus aisé et plus rapide que les brèches déjà faites au parti ont été plus nombreuses. Une fois les hommes d'initiative, quelle que soit leur nuance, disparus. Il ne reste qu'un parti décimé, émietté, épuisé, sans ressort, etc. et par-dessus tout, sans hommes aptes à le tirer de son inertie ; ce sont en effet, ceux-là qui, étant au premier plan, ont été supprimés au seul bénéfice de l'ennemi commun. Quand ensuite il faut remuer la masse, les hommes énergiques et capables, donnant l'exemple et écoutés, font défaut, l'impulsion manque ou est insuffisante, et les coups d'Etat d'hommes disposant déjà de forces organisées ont chance de réussir. Telle a été la situation – on en trouvera les preuves dans les chapitres suivants – du parti républicain à partir de Thermidor avec, à la fin, la réaction politique victorieuse pour longtemps. Et si d'anciens Conventionnels se mirent en assez grand nombre à la remorque de cette réaction, c'est que, retombés à leur médiocrité par la disparition de ces mêmes grands noms qui leur avaient servi de guide et les avaient un instant haussés au niveau des événements, livrés à eux-mêmes, ils ne firent ni plus ni moins que la majorité des hommes et allèrent au succès ». (Cf. son histoire de la révolution française).

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