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dimanche 16 mai 2021

Raison et révolution

 


Hegel et la montée de la théorie sociale

(1941)



Herbert Marcuse


TRADUCTION Jean-Pierre Laffitte


III Conclusion


La fin de l’hégélianisme



1 Le néo-idéalisme britannique


La philosophie de Hegel s’en est tenue aux idées progressistes dans le rationalisme occidental et elle a résolu leur destinée historique. Elle a essayé d’éclairer le droit de la raison, et son pouvoir, parmi les antagonismes qui se développaient dans la société moderne. Il y avait un élément dangereux dans cette philosophie, dangereux pour l’ordre existant, c'est-à-dire qui provenait de son usage du critère de la raison pour analyser la forme de l’État. Hegel approuvait l’État seulement dans la mesure où il était rationnel, c'est-à-dire dans la mesure où il préservait et promouvait la liberté et les forces sociales des hommes.

Hegel reliait la réalisation de la raison à un ordre historique défini, à savoir, l’État national souverain qui était apparu sur le continent avec la liquidation de la Révolution française. En faisant cela, il soumettait sa philosophie à un test historique décisif. En effet, tout changement essentiel qui pourrait avoir lieu dans cet ordre devrait modifier la relation entre les idées de Hegel et les formes sociales et politiques existantes. Cela signifie par exemple que, quand la société civile développe des formes d’organisation qui refusent les droits essentiels de l’individu et qui abolissent l’État rationnel, la philosophie hégélienne doit se heurter à ce nouvel État. Alors, de son côté, l’État rejettera lui aussi la philosophie de Hegel.

Il existe un test ultime pour cette conclusion, et il peut être trouvé dans les attitudes fasciste et national-socialiste vis-à-vis de Hegel. Ces philosophies d’État sont l’illustration de l’abolition du critère rationnel et de la liberté individuelle dont dépendait la glorification de l’État chez Hegel. Il ne peut pas y avoir de terrain de rencontre entre elles et Hegel. Et pourtant, depuis la première Guerre mondiale, quand le système du libéralisme a commencé à prendre la forme du système de l’autoritarisme, une opinion courante a accusé l’hégélianisme d’avoir préparé idéologiquement ce nouveau système. Nous citons par exemple la dédicace à l’ouvrage important de L. T. Hobhouse, The Metaphysical Theory of the State1 [La théorie métaphysique de l’État] :


« Lors du bombardement de Londres, je venais d’être le témoin du résultat visible et tangible de la doctrine fausse et malfaisante dont les fondements se trouvent, comme je le crois, dans le livre qui est devant moi [La phénoménologie de l’esprit de Hegel]… Avec cet ouvrage, c’est la plus pénétrante et subtile de toutes les influences intellectuelles qui ont sapé l’humanitarisme rationnel des XVIII° et XIX° siècles, et tout ce dont j’ai été témoin se trouve implicitement dans la théorie hégélienne de l’État-Dieu. ».

Nous noterons plus tard le fait curieux que les défenseurs officiels de l’État national-socialiste rejettent Hegel précisément sur la base de son “humanitarisme rationnel”.

Cependant, pour décider plus complètement de qui a raison dans cette controverse, nous devons esquisser le rôle de l’hégélianisme dans la dernière période de la société libérale. En Allemagne, la philosophie sociale et politique représentative de la dernière moitié du XIX° siècle est restée anti-hégélienne, ou au mieux indifférente à Hegel. Il y a eu cependant, en dehors de l’utilisation de la philosophie hégélienne dans la théorie marxiste, deux grandes renaissances de l’hégélianisme, l’une en Angleterre, l’autre en Italie. Le mouvement britannique était encore relié aux grands principes et à la philosophie du libéralisme, et c’est pour cette raison même qu’il est beaucoup plus proche de l’esprit de Hegel que le mouvement italien. Ce dernier mouvement se rapprochait du courant voisin du fascisme et il devenait par conséquent de plus en plus une caricature de la philosophie de Hegel, en particulier dans le cas de Gentile.

Au premier coup d’œil, les tendances dans les hégélianismes britannique et italien semblent corroborer l’interprétation de Hobhouse. La philosophie politique des idéalistes britanniques exploitait les idées antilibérales de la Philosophie du droit de Hegel. De T. H. Green à Bernard Bosanquet, le crescendo d’insistance est échu de plus en plus au principe indépendant de l’État et à la prééminence de l’universel. Les intérêts sociaux des individus libres, sur lesquels la tradition libérale a compté pour sa construction de l’État, ont été ignorés. L’État, selon Green, est fondé sur un principe idéal qui lui est propre, et le bien commun que l’État incarne et protège ne peut pas résulter du libre jeu des intérêts individuels. Il n’y a pas de droits individuels qui soient séparés du droit universel représenté par l’État. « Demander pourquoi je suis soumis au pouvoir de l’État, c’est demander pourquoi je dois permettre à ma vie d’être règlementée par ce complexe d’institutions sans lesquelles je n’aurais littéralement pas une vie à appeler la mienne, ni je ne pourrais demander une justification de ce je suis appelé à faire »2.

Green s’approche beaucoup plus des motivations profondes de la philosophie de Hegel lorsqu’il essaie de comprendre cet universel comme une force historique qui opère à travers les actes et les passions des hommes. Dans l’État, les actions des hommes « que nous estimons être mauvaises en elles-mêmes, sont “annulées” pour de bon », et on les fait dépendre non pas d’une passion ou d’une motivation individuelles, mais « dans une certaine mesure » de « la lutte de l’humanité pour la perfection »3. Chez Green, les tendances pour réifier l’universel contre l’individuel sont contrecarrées par son adhésion aux tendances progressistes du rationalisme occidental. Il insiste tout au long de son œuvre sur le fait que l’État est soumis à des critères rationnels, de sorte que cela implique que le bien commun est mieux servi par la promotion de l’intérêt des individus libres. Il accorde aux hommes le droit de contester des lois qui violent leur juste revendication à déterminer leur propre volonté, mais il exige que toutes les revendications contre l’ordre existant « soient nécessairement fondées sur une référence à un bien commun reconnu »4.

Loin d’être une apologie de l’autoritarisme, la philosophie politique de Green peut, dans un certain sens, être désignée comme étant un super-libéralisme. « Le principe général selon lequel le citoyen ne doit jamais agir autrement que comme un citoyen n’implique pas l’obligation de se conformer dans toutes les situations à la loi de son État, étant donné que ces lois peuvent être contradictoires avec le véritable but de l’État en tant que celui qui maintient et harmonise les relations sociales »5. Green accorde ainsi à chaque individu (en tant que citoyen) la liberté d’affirmer un « droit illégal » à condition que « son exercice contribue à un certain bien commun que la conscience publique est capable d’apprécier à sa juste valeur »6. Pour lui, il ne fait pas de doute qu’il existe une chose comme « une conscience publique » qui est toujours ouverte à la conviction rationnelle et qui est toujours disposée à permettre à la vérité der progresser7.

L’arène matérielle dans laquelle le bien commun doit être réalisé n'est pas « l’État en tant que tel », mais « tel ou tel État particulier » qui serait, peut-être, incapable de réaliser le but d’un véritable État et qui, par conséquent, devrait être « balayé et remplacé par un autre ». Et donc il n’y a pas de raison de considérer qu’un État est justifié lorsqu’il fait « tout ce que ses intérêts semblent lui demander »8. Contrairement à Hegel, Green considère que la guerre, et même la guerre juste, est un mal à l’encontre du droit de l’individu à la vie et à la liberté9. Et contrairement au concept fondamental de Hegel relatif à la souveraineté suprême de l’État national, Green envisage une organisation englobant l’humanité entière qui, en raison d’un accroissement des libres possibilités de l’individu et d’une expansion du commerce libre, fera « tendre à disparaître les motifs et les occasions du conflit international »10.

La remarque a parfois été faite que le développement de l’idéalisme britannique, de Green à Bosanquet, était un développement dans lequel les idées rationalistes et libérales des premiers temps avaient été progressivement abandonnées11. Nous pourrions nous risquer à ajouter ce corollaire : plus cet idéalisme est devenu hégélien dans sa formulation, et plus il s’éloigne du véritable esprit de la pensée de Hegel. La métaphysique de Bradley, en dépit de ses concepts hégéliens, possède un fort noyau irrationnel qui est entièrement étranger à Hegel. The Philosophical Theory of the State [La théorie philosophique de l’État] (1899) de Bosanquet a des traits qui font de l’individu une victime de l’universel de l’État hypostatisé, si caractéristique de l’idéologie fasciste ultérieure. « L’individu moyen n'est plus accepté comme un soi-même réel ou une individualité réelle. Le centre de gravité est rejeté à l’extérieur de lui »12. « À l’extérieur de lui » signifie pour Bosanquet à l’extérieur « de son intérêt et de son divertissement privés », à l’extérieur de la sphère de ses besoins et de son désir immédiats. Depuis ses débuts, cette renaissance de l’idéalisme a montré une nette tendance antimatérialiste13, une qualité qu’il partage avec les tendances qui accompagnent la transition du libéralisme à l’autoritarisme. L’idéologie qui accompagne ce mouvement a préparé l’individu à davantage de travail et à moins de plaisir, un slogan de l’économie autoritaire. La satisfaction des besoins individuels devaient céder devant les obligations envers la collectivité. Ces obligations, quelles qu’elles aient été, ont été trouvées pour se moquer de moins en moins de n’importe quel critère rationnel, et plus cette situation devenait réelle, et plus fort était l’accent mis sur la doctrine selon laquelle la relation entre l’individu et la collectivité était une relation entre deux entités “idéales” qui prévalaient sur son existence empirique. « Nous voyons qu’il y a une signification dans la suggestion selon laquelle notre soi-même réel ou notre individualité réelle puisse être quelque chose que, dans un sens, nous ne sommes pas, mais que nous reconnaissons comme étant impératif pour nous »14. La liberté pour l’individu ne peut être réalisée que par l’obéissance à cet “impératif”. Il est fixé par l’État qui, en tant que garde de notre soi-même réel, est « l’instrument de notre plus grande affirmation de soi »15.

La juxtaposition d’un soi-même réel et d’un soi-même empirique recèle une ambigüité. Elle pourrait faire référence à un dualisme significatif, à la détresse réelle d’hommes qui se trouvent dans leur réalité empirique contre un soi-même “réel”, lequel exige la satisfaction des besoins et un remède à la détresse. D’un autre côté, la même conception pourrait signifier une dépréciation de la vie empirique en faveur d’une vie inconditionnellement “idéale” de l’État. La philosophie politique de Bosanquet va de l’un à l’autre de ces deux pôles. Il adopte le principe révolutionnaire de Rousseau, celui de l’éducation obligatoire à la liberté, mais au cours de la discussion, le but, c'est-à-dire la liberté, s’évanouit devant ce moyen obligatoire. « Force, automatisme et suggestion », sont les conditions mêmes du progrès en intelligence. « Pour promouvoir la meilleure vie, ces aides doivent être employées par la société comme un pouvoir absolu d’instruction, c'est-à-dire par l’État »16. « La réalisation de la meilleure vie » est le but posé par l’État et la société, mais ce but est tellement éclipsé par l’élément de force impliqué dans son accomplissement que l’État doit être défini comme « une unité qui est reconnue comme exerçant légitimement un contrôle sur ses membres par un pouvoir physique absolu », ou bien qu’il doit être « reconnu comme un unité qui exerce sa force de manière légale »17. Hobhouse réplique à cette définition qu’elle peut correspondre convenablement au schéma de n’importe quel absolutisme autoritaire18.

L’on peut maintenant répondre à la question de savoir dans quelle mesure la théorie politique de ces néo-idéalistes britanniques constitue une véritable reprise de la philosophie hégélienne. Une motivation originale de l’idéalisme allemand qu’ils ont certainement conservée, c’est que la vraie liberté ne peut pas être atteinte par l’état d’esprit et la pratique quotidienne d’individus isolés dans le tourbillon de compétition de la société moderne. La liberté est plutôt une condition qui doit être cherché au-delà, dans l’État. Seul l’État exauce leurs volontés réelles et répond à leurs natures réelles. Hegel pensait que la sorte particulière d’État qui pouvait servir ce but était celui qui conservait les réalisations décisives de la Révolution française et qui les incorporait dans un tout rationnel.

Quand les idéalistes britanniques ont élaboré leur doctrine politique, il était pour le moins évident que la forme historique de l’État qui était apparue sur la scène n’était en aucun cas « la réalisation de la liberté et de la raison ».

Le grand mérite du livre de Hobhouse réside dans sa révélation de l’incompatibilité entre la conception de Hegel et la base matérielle de l’État existant. Il indique le fait que la philosophie de Bosanquet abandonne l’individu aux griffes d’une société en tant que telle, ou à “l’État” en général, alors qu’en réalité l’individu doit toujours mener sa vie dans une certaine forme historique particulière de société et d’État. Cette « erreur centrale » est de la plus haute importance car ce qui est impliqué avec elle, c’est la confusion entre les éventuelles relations de pouvoir et les obligations morales19. L’État et la société, tels qu’ils sont, ne peuvent pas prétendre à la dignité d’être l’incarnation de la raison : « Quand nous pensons aux incohérences réelles de la moralité sociale traditionnelle, à la cécité et à la grossièreté de la loi, aux éléments de l’égoïsme de classe et de l’oppression qui l’ont faussée … nous sommes enclins à dire que ce n’est pas un simple philosophe, mais seulement un auteur satirique social qui pourrait traiter cette conception comme elle le mérite »20. Pour ceux qui tiennent de manière abstraite à la philosophie politique de Hegel, Hobhouse répond que le fait même de la société de classe, de l’influence patente des intérêts de classe sur l’État, rend impossible le fait de désigner l’État comme l’expression de la volonté réelle des individus en tant que totalité. « À chaque fois qu’une communauté est gouvernée par une classe ou une race, la classe ou la race restante est en permanence en position de devoir prendre ce qu’elle peut obtenir. Dire que les institutions d’une telle société exprime la volonté secrète de la classe assujettie, c’est simplement retourner le fer dans la plaie »21. Hobhouse met la préoccupation pour le bien-être réel de l’individu à la place du souci de l’universel ; le nombre infini de vies humaines irrémédiablement perdues à la place du Weltgeist. « Si le monde ne peut pas être incomparablement meilleur que ce qu’il a été jusqu’à présent, alors la lutte n’a pas d’issue, et nous ferions mieux de renforcer la doctrine de l’État militant et de l’armer avec suffisamment de puissants explosifs pour mettre fin à la vie »22.

L’insistance de l’homme à revendiquer le bonheur universel, qui est toujours le bonheur de chacun, que l’on trouve si fréquemment dans les pages du livre de Hobhouse, fait de lui l’un des grands documents de la philosophie libérale.


« Le bonheur et la misère de la société sont le bonheur et la misère d’êtres humains qui sont intensifiés ou amoindris par son sens du bien commun. Sa volonté, c’est leurs volontés dans le résultat conjoint. Sa conscience est une expression de ce qui est noble ou ignoble en eux quand l’équilibre est atteint. Si nous pouvons juger chaque homme en fonction de la contribution qu’il rend à la communauté, nous avons également le droit de demander à la communauté ce quelle fait pour cet homme. Le plus grand bonheur ne sera pas réalisé par l’obtention de la plus grande quantité ou de n’importe quelle grande quantité, sauf si c’est sous une forme dans laquelle tous peuvent partager, dans laquelle bien sûr le partage est pour chacun un ingrédient essentiel. Mais il n’y a pas de bonheur du tout, à l’exception de celui qui est ressenti par des individus, hommes et femmes, et il n’y a pas de soi-même commun qui submergerait l’âme des hommes. Il y a des sociétés dans lesquelles leurs personnalités distinctes et séparées peuvent se développer en harmonie et contribuer à la réussite commune. »23.

Hobhouse a naturellement raison à l’encontre des néo-idéalistes, de la même façon que le libéralisme a raison à l’encontre de toute hypostase irrationnelle de l’État qui ne prend pas en compte le sort de l’individu. D’autre part, les exigences que Hobhouse avance sont conformes avec les principes abstraits du libéralisme, mais ils s’opposent avec la forme concrète que la société libérale a prise. Autrefois, Hegel a défini le libéralisme comme la philosophie sociale qui « colle à l’abstrait » et est toujours « tenue en échec par le concret »24. Les principes du libéralisme sont valides, l’intérêt commun ne peut pas être différent en dernière analyse du résultat de la multitude de soi-même individuels se développant librement dans la société. Mais les formes concrètes de la société qui se sont développées depuis le XIX° siècle ont contrecarré de plus en plus la liberté à laquelle le libéralisme voue allégeance. Sous les lois qui gouvernent le processus social, le libre jeu de l’initiative privée a été liquidé en grande partie dans la compétition avec les monopoles :


« Une ère de concurrence sauvage, suivie d’un rapide processus de fusion, a jeté une énorme quantité de richesses entre les mains d’un petit nombre de capitaines d’industrie. Aucun luxe de la vie auquel cette classe a pu accéder n’a suivi la cadence de l’augmentation de ses revenus, et un processus d’épargne automatique s’est établi à une échelle sans précédent. L’investissement de cette épargne dans d’autres industries a aidé à soumettre celles-ci aux mêmes forces de concentration… Dans la libre concurrence des industriels qui précède la coalition, la condition chronique est celle de la “surproduction” dans le sens que toutes les fabriques ou les usines ne peuvent garder leur travail qu’en baissant leurs prix jusqu’à un point où les concurrents les plus faibles sont forcés de fermer parce qu’ils ne peuvent pas vendre leurs marchandises au prix qui couvre le véritable coût de production. »25.


L’ouvrage de Bosanquet : The Philosophical Theory of the State a été publié lorsque cette transition du capitalisme libéral au capitalisme monopolistique avait déjà commencé. La théorie sociale a été obligée de faire face à l’alternative suivante : soit abandonner les principes du libéralisme afin que l’ordre social existant puisse être conservé, soit combattre le système afin de préserver les principes. C'est de dernier choix qui a été sous-entendu dans la théorie marxiste de la société.


2 La révision de la dialectique


Mais la théorie marxiste elle-même a commencé à subir des changements fondamen-taux. L’histoire du marxisme a confirmé l’affinité entre les motivations de Hegel et l’intérêt critique de la dialectique matérialiste appliquée à la société. Les écoles du marxisme qui ont abandonné les fondements révolutionnaires de la théorie marxiste ont été les mêmes qui ont rejeté sans détour les aspects hégéliens de la théorie marxiste, et en particulier la dialectique. Les écrits et la pensée révisionnistes, qui exprimaient la foi croissante de vastes groupes socialistes en l’évolution pacifique du capitalisme au socialisme, ont essayé de transformer le socialisme, qui était au départ l’antithèse théorique et pratique du système capitaliste, en un mouvement parlementaire à l’intérieur de ce système. La philosophie et la politique de l’opportunisme, qui est représenté par ce mouvement, a pris la forme d’une lutte contre ce qu’il appelait « les vestiges de la pensée utopique chez Marx ». Le résultat en a été que le révisionnisme a remplacé la conception dialectique critique par les attitudes conformistes du naturalisme. S’inclinant devant l’autorité de faits, lesquels justifiaient effectivement les espoirs d’une opposition parlementaire légale, le révisionnisme a détourné l’action révolution-naire dans le chenal d’une foi en « la nécessaire évolution naturelle » vers le socialisme. En conséquence, la dialectique a été désignée comme « l’élément traître dans la doctrine marxiste, le traquenard qui est posé à toute pensée cohérente »26. Bernstein déclarait que le “piège” de la dialectique consiste dans « son abstraction [appropriée] des particularités spécifiques des choses »27. Il défendait la qualité pragmatique des objets fixes et stables à l’encontre de toute notion de leur négation dialectique. « Si nous désirons comprendre le monde, nous devons le concevoir comme un ensemble d’objets et de processus tout prêts »28.

Cela équivalait au retour au bon sens comme organon de connaissance. Le renversement dialectique de ce qui est “fixe et stable” avait été entrepris dans l’intérêt d’une vérité supérieure qui pourrait dissoudre la totalité négative des objets et des processus “tout prêts”. L’intérêt révolutionnaire était renié en faveur d’un état de choses donné pour sûr et stable qui, selon le révisionnisme, évolue lentement vers une société rationnelle. L’intérêt de classe s’estompe, et l’intérêt commun gagne en force. Simultanément, la législation devient de plus en plus puissante et elle régule la lutte des forces économiques, en régissant de plus en plus de domaines qui étaient antérieurement abandonnés à la guerre aveugle des intérêts particuliers29.

Avec le rejet de la dialectique, les révisionnistes ont falsifié la nature des lois que Marx voyaient gouverner la société. Nous rappelons l’opinion de Marx selon laquelle les lois naturelles de la société donnaient une expression aux processus aveugles et irrationnels de la reproduction capitaliste, et selon laquelle la révolution socialiste devait provoquer l’émanci-pation de ces lois. Par opposition à cela, les révisionnistes soutenaient que les lois sociales sont des lois “naturelles” qui garantissent l’évolution inévitable vers le socialisme. « La grande réussite de Marx et d’Engels a résidé dans le fait qu’ils ont eu davantage de succès que leurs prédécesseurs en entrelaçant le domaine de l’histoire avec le domaine de la nécessité, et en élevant ainsi l’histoire au rang d’une science »30. C'est ainsi que les révisionnistes ont évalué la théorie marxiste critique avec les critères de la sociologie positiviste et qu’ils l’ont transformée en une science naturelle. Conformément aux tendances profondes de la réaction positiviste à l’encontre de la “philosophie négative”, les conditions objectives qui prédo-minent ont été hypostasiées, et la pratique humaine a été subordonnée à leur autorité.

Ceux qui tenaient à préserver l’importance critique de la doctrine marxiste voyaient dans les tendances antidialectiques non seulement une déviation théorique, mais un danger politique sérieux qui menaçait le succès de l’action socialiste à la moindre occasion. Pour eux, la méthode dialectique, avec son “esprit de contradiction” intransigeant, était la chose essentielle sans laquelle la théorie critique de la société deviendrait par nécessité une sociologie neutre ou positiviste. Et, étant donné qu’il existait une connexion intrinsèque entre la théorie marxiste et la pratique, la transformation de la théorie déboucherait sur une attitude neutre ou positiviste par rapport à la forme sociétale existante. Plekhanov annonçait avec insistance que « sans la dialectique, la théorie matérialiste de la connaissance et de la pratique est incomplète, unilatérale ; bien plus, elle est impossible »31. La méthode de la dialectique est une totalité dans laquelle « la négation et la destruction de l’existant » se manifestent dans chaque concept, en fournissant ainsi le cadre conceptuel complet qui permet la compréhension de l’intégralité de l’ordre existant conformément à l’intérêt de la liberté. Seule l’analyse dialectique procure une orientation adéquate pour la pratique révolutionnaire, étant donné qu’elle empêche la pratique d’être submergée par les intérêts et les visées d’une philosophie opportuniste. Lénine insistait sur la méthode dialectique à tel point qu’il la considérait comme la caractéristique principale du marxisme révolutionnaire. Alors qu’il discutait d’affaires politiques pratiques les plus urgentes, il s’autorisait des analyses sur l’importance de la dialectique. L’exemple le plus frappant peut être trouvé dans l’examen des thèses de Trotski et de Boukharine sur la conférence syndicale, texte qu’il a écrit le 25 janvier 192132. Dans ce texte, Lénine montre comment un manque de pensée dialectique peut conduire à de graves erreurs politiques, et il associe sa défense de la dialectique à l‘attaque contre l’interprétation “naturaliste” erronée de la théorie marxiste. Il montre que la conception dialectique est incompatible avec toute dépendance à la nécessité naturelle des lois économiques. Elle est de plus incompatible avec l’orientation exclusive du mouvement révolutionnaire vers des objectifs économiques, parce que tous les buts économiques reçoivent leur signification et leur contenu seulement de la totalité du nouvel ordre social vers lequel ce mouvement est dirigé. Lénine considérait que ceux qui subordonnaient les visées et la spontanéité politiques à la pure lutte économique figuraient parmi les falsificateurs les plus dangereux de la théorie marxiste. Il opposait à ces marxistes la prédominance absolue de la politique sur l’économie : « La politique ne peut qu’avoir la priorité sur l’économie. Soutenir une chose différente signifie oublier l’ABC du marxisme »33.


3 L’“hégélianisme” fasciste


Alors que l’héritage de Hegel et la dialectique étaient défendus uniquement par l’aile radicale du mouvement marxiste, sur le pôle opposé de la pensée politique, avait lieu un retour à l’hégélianisme qui nous amène au seuil du fascisme.

Le néo-idéalisme italien a été associé dès le début au mouvement en faveur de l’unification nationale et, ultérieurement, à la volonté de renforcer l’État nationaliste contre ses concurrents impérialistes34. Le fait que l’idéologie d’un jeune État national considérait la philosophie hégélienne comme son soutien peut être expliqué par le développement historique particulier de l’Italie. Dans sa première phase, le nationalisme italien a dû affronter l’Église catholique qui considérait les aspirations italiennes comme préjudiciables aux intérêts du Vatican. Les tendances protestantes de l’idéalisme allemand fournissaient des armes efficaces pour la justification d’une autorité séculière dans la lutte avec l’Église. En outre, l’entrée de l’Italie parmi les puissances impérialistes est intervenue dans une économie nationale extrêmement arriérée, avec une classe moyenne divisée en de nombreux groupes concurrents, difficilement capable de gérer les antagonismes croissants qui accompagnaient l’adaptation de l’économie à l’expansion industrielle moderne. Croce, aussi bien que Gentile, a souligné qu’un “positivisme” et un matérialisme mesquins exerçaient une influence qui faisait que les gens se sentent satisfaits de leurs petits intérêts privés et incapables de comprendre l’étendue considérable des buts nationalistes. L’État devait affirmer son intérêt impérialiste à l’encontre d’une fréquente opposition de la classe moyenne. Il devait également accomplir ce que d’autres États nationaux avaient déjà réalisé, à savoir une bureaucratie efficace, une adminis-tration centralisée, une industrie rationalisée, et un complet état de préparation militaire contre l’ennemi extérieur et intérieur. Cette tâche positive de l’État a fait pencher le néo-idéalisme italien vers la position hégélienne.

Le tournant vers la conception hégélienne était une manœuvre idéologique dirigée contre la faiblesse du libéralisme italien. Sergio Panuncio, le théoricien officiel de l’État fasciste, a montré que, depuis Mazzini, la philosophie politique italienne a été majoritairement antilibérale et anti-individualiste. Cette philosophie a trouvé chez Hegel une démonstration convenable de l’État en tant que substance indépendante existant face aux intérêts mesquins de la classe moyenne. Panuncio est d’accord avec la distinction que fait Hegel entre l’État et la société civile et aussi avec ses remarques sur la corporation en disant que « ces auteurs qui rattachent de si nombreux aspects de l’État fasciste à l’“État organique” de Hegel ont raison »35.

Or l’idéalisme italien n’était hégélien que là où il se bornait à exposer la philosophie de Hegel. Spaventa, et par-dessus tout Croce, ont apporté des contributions essentielles à une nouvelle compréhension du système hégélien. La logique et L’esthétique de Croce ont été des tentatives d’une reprise véritable de la pensée de Hegel. En revanche, l’exploitation politique de Hegel a abandonné les intérêts fondamentaux de sa philosophie. En outre, plus l’idéalisme italien se rapprochait du fascisme, et plus il s’écartait de l’hégélianisme, y compris dans le domaine de la philosophie théorique. Les principaux travaux philosophiques de Gentile portent sur la logique et sur la philosophie de l’esprit. Bien qu’il ait également écrit une Rifforma della Dialettica hegeliana qui déclare que l’esprit est la seule réalité, sa philosophie, si on la juge par son contenu et non par son langage, n’a rien à voir avec celle de Hegel. La conception centrale de The Theory of Mind as Pure Act (1916) pourrait vaguement ressembler à la notion de Kant relative à la conscience transcendantale, mais cette ressemblance, elle aussi, est plutôt dans la formulation que dans la signification. Dans notre discussion, nous devons nous limiter à cette œuvre. Bien qu’elle soit parue longtemps avant le triomphe du fascisme, elle montre très clairement l’affinité entre le néo-idéalisme italien et ce système autoritaire, et elle fournit une leçon sur ce qui arrive à une philosophie lorsqu’elle entretient une telle affinité.

Une vérité importante s’applique à la fois aux œuvres de Gentile et aux dernières énonciations de la philosophie fasciste : elles ne peuvent pas être traitées au niveau philosophique. En elles, compréhension et connaissance font partie de l’évolution de la pratique politique, non pas pour des raisons rationnelles, mais parce qu’aucune vérité n'est reconnue en dehors de cette pratique. La philosophie n’est plus déclarée comme opposant sa vérité à une pratique sociale erronée, et la philosophie n'est pas supposée accepter uniquement une pratique qui est orientée vers une raison qui réalise. Gentile proclame que la pratique, peu importe la forme qu’elle peut prendre, est la vérité en tant que telle. D’après lui, la seule réalité est l’acte de penser. Toute hypothèse relative à un monde naturel et historique séparé de cet acte et extérieur à lui est niée. L’objet est ainsi “résolu” dans le sujet36, et toute opposition entre le fait de penser et le fait de faire, ou entre l’esprit et la réalité, devient dénuée de sens. Et cela parce que le fait de penser (qui est le fait de “faire”, l’action réelle) est ipso facto vrai. « La vérité est ce qui dans le fait de faire »37. Transformant une phrase de Giambattista Vico, Gentile écrit : « verum et fieri convertuntur »38.  Et il résume ainsi : « le concept de vérité coïncide avec le concept du fait »39.

Il ne peut y avoir de déclarations plus éloignées de l’esprit de Hegel. Malgré ses nombreuses affirmations sur la réalité de l’esprit, Gentile ne peut être considéré ni comme un hégélien, ni comme un idéaliste. Sa philosophie est beaucoup plus proche du positivisme. L’arrivée prochaine de l’État autoritaire semble s’annoncer dans l’attitude qui soumet tout trop facilement à l’autorité des faits. L’attaque de la pensée critique et indépendante fait partie intégrante du contrôle totalitaire. L’appel aux faits se substitue à l’appel à la raison. Aucune raison ne peut autoriser un régime qui utilise le plus grand appareil productif que l’homme a jamais créé dans l’intérêt d’une restriction croissante des satisfactions humaines – aucune raison à l’exception du fait que le système économique ne peut être conservé d’une autre façon. C’est précisément lorsque l’accent mis par les fascistes sur l’action et le changement évite de voir la nécessité des évolutions rationnelles de l’action et du changement que la déification de l’acte de penser par Gentile évite de libérer la pensée des chaînes de “ce qui est donné”. Le fait du pouvoir brutal devient le dieu réel de l’époque, et au fur et à mesure que ce pouvoir s’accentue, la capitulation de la pensée devant le fait se manifeste d’autant plus fortement. Dans son livre récent qui défend la politique fasciste, Lawrence Dennis montre la même abdication de la pensée lorsqu’il préconise « une méthode scientifique et logique », dont « l’hypothèse déterminante » sera que « les faits sont normatifs, c'est-à-dire que les faits devraient déterminer les décisions, puisqu’ils sont primordiaux pour les décisions. Une décision qui contredit un fait est une absurdité »40.

Gentile renonce au principe fondamental de l’idéalisme, à savoir qu’il existe un antagonisme et une tension entre la vérité et le fait, entre la pensée ou l’esprit et la réalité. Toute sa théorie est fondée sur l’identité immédiate de ces deux éléments opposés, alors que le point de vue de Hegel avait été qu’il n’existe pas une telle identité immédiate, mais seulement un processus dialectique pour la réaliser. Avant de faire un bref compte rendu de certaines implications de la nouvelle philosophie de l’“esprit”, nous devons passer en revue les éléments qui ont donné à Gentile la réputation d’être un philosophe idéaliste. Nous les trouverons dans son utilisation de l’ego transcendantal de Kant.

D’après Gentile, l’affirmation selon laquelle l’acte pur de la pensée est la seule réalité ne s’applique pas au moi empirique, mais au moi transcendantal41. Toutes les qualités de l’esprit (son unité en développement, son identité avec ses manifestations immédiates, le fait qu’il soit “libre” et “le principe d’espace”, etc.) se réfèrent seulement à son activité transcen-dantale. La différence entre l’ego empirique et l’ego transcendantal ainsi que la description du point de vue transcendantal42 suivent le modèle de Kant avec une assez bonne fidélité. Mais l’usage que fait Gentile de cette conception détruit la signification même de l’idéalisme transcendantal. Celui-ci était parti du principe qu’une réalité est donnée à la conscience, mais qu’elle ne peut pas être résolue en elle ; la réception des données des sens est la condition pour des actes spontanés de la pure compréhension. Bien qu’il ait rejeté la notion kantienne de la “chose en soi”, Hegel lui non plus, n’avait pas abandonné les fondements objectifs de l’idéalisme transcendantal. Son principe de “médiation” les a conservés – la prise de conscience de l’esprit était l’élaboration continue d’un processus entre la raison et la réalité.

D’autre part, Gentile prétend qu’« il s’est débarrassé de l’illusion d’une réalité naturelle »43. « Nous ne supposons pas que la réalité, qui est l’objet de la connaissance, est un antécédent logique de cette connaissance ; … nous éliminons cette nature indépendante du monde, qui le fait apparaître comme la base de l’esprit, en reconnaissant qu’il n'est qu’un élément abstrait de l’esprit »44. L’ego transcendantal de Kant était distingué par ses relations uniques à la réalité prédéterminée. Lorsque cette réalité est “éliminée”, l’ego transcendantal doit, malgré les affirmations du contraire, demeurer un simple mot qui reçoit une certaine signification seulement au moyen d’une généralisation de la part de l’ego empirique. Avec la destruction de la barrière objective, l’homme est délivré dans un monde qui est supposé être le sien, qui n’est réel que du fait de ses propres actes et actions. « L’individuel est le positif réel » et tout ce qui est positif est « postulé par nous »45. Certes, il n'est positif que dans la mesure où « nous l’opposons à nous », où nous le reconnaissons « non pas comme notre œuvre, mais comme celle des autres ». Mais cette opposition va disparaître dès que nous voyons que l’individuel, grâce à la conscience transcendantale, est aussi l’universel. L’individuel se fait soi-même et il fait l’universel ; l’universel est « l’autoproduction de l’universel »46.

Derrière ce monceau plutôt confus de mots, un processus significatif est en train de s’élaborer, un processus de rupture avec toutes les lois et les normes rationnelles, une exaltation de l’action indépendamment du but, une vénération du succès. Dans un sens, la philosophie de Gentile conserve de légères traces du schéma libéral duquel l’idéalisme a tiré son origine, en particulier en raison de son insistance sur le fait que « l’individuel est le seul positif ». Mais cette individualité, qui oscille entre le transcendantal dénué de sens et le concret vide, n’a pas d’autre contenu que l’action. Toute son essence se résout dans ses actes qui n’ont pas de lois supra-individuelles pour les maîtriser et pas de principes valables pour les juger. Gentile appelle lui-même sa doctrine “formalisme absolu” : il n’y a pas de “problème” en dehors de la pure “forme” d’agir. « Le seul problème qu’il y a dans l’acte spirituel, c’est la forme elle-même, en tant qu’activité »47. La doctrine de Gentile, selon laquelle c’est l’action justifiée en soi qui est la véritable réalité, énonce et glorifie clairement le non respect des lois conscient et programmatique de l’action fasciste. « L’esprit lui-même … est détaché dans sa réalité de toute loi préétablie, et il ne peut pas être défini comme étant restreint à une nature déterminée dans laquelle le processus de la vie est épuisé et achevé »48. Gentile emprunte à la dialectique hégélienne l’idée selon laquelle la réalité est un processus incessant, mais ce processus, séparé de tout modèle de raison universelle, produit une destruction à grande échelle plutôt que n’importe quelle construction de formes rationnelles de la vie. « La vie véritable … est rendue unique par la mort ».

La philosophie de Hegel tisse la nature transitoire de toutes les formes historiques dans la toile historique mondiale de la raison en cours ; le contenu de ce transitoire est encore présent lors de l’institution finale de la liberté. L’actualisme de Gentile est complètement indifférent à la raison et il accueille le mal et le manque prédominants comme un grand bien. « Le besoin réel de notre esprit n’est pas que l’erreur et le mal disparaissent du monde, mais qu’ils soient éternellement présents », car il n’y a pas de vérité sans erreur et pas de bien sans le mal49. Et donc, malgré cette interprétation paradoxale de la réalité en tant qu’“esprit”, Gentile accepte le monde tel qu’il est et il vénère ses horreurs. Les choses finies, quelles qu’elles soient et peu importe comment elles sont, sont « toujours la réalité même de Dieu ». L’on aboutit à une philosophie qui « exalte le monde dans une théogonie éternelle qui est remplie dans l’intériorité de notre être »50. Cependant, cette intériorité n'est plus un refuge par rapport à la misérable réalité, mais elle justifie la dissolution finale de toutes les normes et les valeurs objectives dans le désordre de l’action pure.

Toutes ses motivations fondamentales montrent que la philosophie de Gentile est à l’opposé exact de la philosophie de Hegel, et c’est en vertu du fait qu’elle est son contraire qu’elle passe directement dans l’idéologie fasciste. L’identification de la pensée à l’action, et celle de la réalité à l’esprit, empêchent la pensée de prendre une position contraire à la “réalité”. La théorie se transforme en pratique à un degré tel que toute pensée est rejetée si elle n’est pas pratique immédiate ou accomplie immédiatement en action. La théorie de l’esprit de Gentile fait l’éloge de l’“anti-intellectualisme”51, et elle annonce ainsi les traits typiquement relativistes de la philosophie fasciste qui est réputée pour son rejet de tous les programmes qui vont au-delà des exigences de la situation immédiate. C’est l’action qui établit ses propres visées et ses propres normes, lesquelles ne peuvent pas être jugées par n’importe quels buts et principes objectifs. The Foundations of Fascism, publié par Gentile, proclame que l’abolition de tous les “programmes” est la philosophie même du fascisme. Le fascisme n’est lié à aucun principe ; le “changement de cap”, pour rester en phase avec les configurations changeantes du pouvoir, est son seul programme immuable ; « les véritables décisions du Duce sont celles qui sont simultanément formulées et exécutées »52.

Cette affirmation dévoile un attribut essentiel de l’État autoritaire, à savoir l’incohérence de son idéologie. L’actualisme de Gentile revendique la domination totalitaire de la pratique sur la pensée, l’indépendance de cette dernière disparaissant une fois pour toutes. La loyauté à l’égard de toute vérité qui se situe hors et au-delà des buts pratiques de la politique fasciste est déclarée dénuée de sens. La théorie en tant que telle et toute activité intellectuelle sont soumises aux exigences changeantes de la politique.


4 National-socialisme versus Hegel


Nous ne pouvons pas comprendre la différence essentielle entre l’idée hégélienne et l’idée fasciste de l’État sans esquisser les fondements historiques du totalitarisme fasciste.

La philosophie politique de Hegel est fondée sur l’hypothèse selon laquelle la société civile pourrait être maintenue en état de fonctionnement sans pour cela renoncer aux libertés et aux droits essentiels de l’individu. La théorie politique de Hegel idéalisait l’État de la Restauration, mais il le considérait comme incarnant les dernières réalisations de l’ère moderne, à savoir la Réforme allemande, la Révolution française, et la culture idéaliste. L’État totalitaire, d’autre part, marque le stade historique dans lequel ces mêmes réalisations deviennent dangereuses pour le maintien de la société civile.

Les racines du fascisme sont imputables aux antagonismes entre la monopolisation industrielle croissante et le système démocratique53. En Europe, après la Première Guerre mondiale, l’appareil industriel hautement rationalisé et en expansion rapide, a rencontré des difficultés grandissantes d’utilisation, en particulier à cause des perturbations du marché mondial et en raison du vaste ensemble de législation sociale ardemment défendu par le mouvement ouvrier. Dans cette situation, les groupes industriels les plus puissants ont eu tendance à assumer directement le pouvoir politique afin d’organiser la production monopolistique, de détruire l’opposition socialiste, et de reprendre l’expansionnisme impérialiste.

Le système politique émergeant ne peut pas développer les forces productives sans exercer une pression constate sur la satisfaction des besoins humains. Cela requiert un contrôle totalitaire de toutes les relations sociales et individuelles, l’abolition des libertés sociales et individuelles, et l’incorporation des masses par le moyen de la terreur. La société devient un camp militaire au service de ces grands intérêts qui ont survécu à la compétition économique.

L’anarchie du marché est éliminée, le travail devient un service obligatoire, et les forces productives sont rapidement développées, mais le processus tout entier sert seulement les intérêts de la bureaucratie dirigeante qui se constitue en héritière de l’ancienne classe capitaliste.

L’organisation fasciste de la société exige un changement dans la configuration entière de la culture. La culture à laquelle l’idéalisme allemand était lié, et qui a continué à vivre jusque dans la période fasciste, mettait l’accent sur les libertés et les droits, de sorte que l’individu, du moins en tant que personne privée, pouvait se sentir en sécurité dans l’État et dans la société. La capitulation totale de la vie humaine devant les puissances sociales et politiques officielles était empêchée non seulement par un système de représentation politique, d’égalité légale, de liberté des contrats, mais aussi par l’influence apaisante de la philosophie, de l’art et de la religion. Quand Hegel partageait la vie sociale de l’homme entre la famille, la société civile et l’État, il reconnaissait que chacun de ces niveaux historiques avait un droit relatif qui lui était propre. En outre, il subordonnait le niveau le plus élevé, l’État, au droit absolu de la raison qui s’affirmait dans l’histoire mondiale de l’esprit.

Quand le fascisme a finalement démoli le cadre libéral de la culture, il a aboli en effet le dernier domaine dans lequel l’individu pouvait affirmer son droit à l’encontre la société et de l’État.

La philosophie de Hegel était une partie intégrante de la culture dont l’autoritarisme était venu à bout. Ce n'est par conséquent pas un hasard si l’attaque de Hegel par le national-socialisme commence par le rejet de sa théorie politique. C’est Alfred Rosenberg, le gardien officiel de la “philosophie“ national-socialiste, qui a entamé l’offensive sur le concept de l’État de Hegel. C’est en tant que conséquence de la Révolution française, dit-il, qu’« une doctrine du pouvoir, étrangère à notre sang, est survenue. Elle a atteint son apogée avec Hegel et elle a été ensuite, dans une nouvelle falsification, reprise par Marx… »54. Cette doctrine conférait à l’État, continue-t-il, la dignité de l’absolu et l’attribut d’une fin en soi. Pour les masses, l’État se présentait comme « un instrument de force sans âme »55.

L’attaque idéologique de la conception hégélienne de l’État par le national-socialisme contraste assez franchement avec son acceptation apparente par les fascistes italiens. La différence peut s’expliquer par les situations historiques différentes auxquelles les deux idéologies fascistes ont dû faire face. Contrairement à l’Italie, l’État allemand avait été une réalité puissante et solidement établie qui, même dans la République de Weimar, n’avait pas tremblé dans ses fondations. Il était un État de droit, un système politique rationnel complet, avec des domaines distinctement délimités et reconnus de droits et de libertés, et qui ne pouvait pas être utilisé par le nouveau régime autoritaire. De plus, celui-ci pouvait se débarrasser de la forme étatique étant donné que les puissances économiques qui se tenaient derrière le mouvement national-socialiste étaient depuis longtemps suffisamment fortes pour gouverner directement, sans la médiation inutile de formes politiques qui pourraient accorder au moins un minimum d’égalité et de sécurité légales.

En conséquence, Rosenberg, comme tous les autres porte-parole nationaux-socialistes, s’en prend à l’État et il lui refuse son autorité suprême. « Aujourd'hui, nous ne voyons plus l’État comme une idole indépendante devant laquelle les hommes doivent s’agenouiller. L’État n’est même pas une fin, mais il est seulement un moyen pour préserver le peuple »56, et « l’autorité de la Volkheit est au-dessus de l’État. Celui qui n’admet pas ce fait est un ennemi du peuple… »57.

Carl Schmitt, le philosophe politique de premier plan du Troisième Reich, rejette de même la position hégélienne relative à l’État, en déclarant qu’elle est incompatible avec la substance du national-socialisme. Alors que la philosophie politique du siècle dernier avait été fondée sur la dichotomie entre l’État et la société, le national-socialisme y substitue la triade de l’État, du mouvement (le parti) et du peuple (Volk). L’État n’est absolument pas la réalité politique suprême dans cette triade ; il est supplanté et déterminé par le “mouvement” et par son leadership58.

La déclaration d’Alfred Rosenberg prépare la voie au rejet de la philosophie politique de Hegel par le national-socialisme. Il dit que Hegel appartenait à cette ligne de développement qui a produit la Révolution française et la critique marxiste de la société. Ici, comme en de nombreux autres exemples, le national-socialisme révèle une compréhension beaucoup plus profonde des réalités que beaucoup de ses critiques. La philosophie politique de Hegel tenait aux idées progressistes du libéralisme à un tel degré que sa position politique était devenue incompatible avec l’État totalitaire de la société civile. L’État en tant que raison – c'est-à-dire en tant que tout rationnel, gouverné par des lois universellement valables, calculable et lucide dans son fonctionnement, prétendant protéger l’intérêt essentiel de chaque individu sans discrimination – c’est précisément cette forme de l’État que le national-socialisme ne peut pas tolérer.

C'est l’institution complémentaire du libéralisme économique qui devait être anéantie dès que cette forme d’économie ferait faillite. La triade hégélienne de la famille, de la société et de l’État, a disparu et, à sa place, il y a l’unité englobante qui engloutit tout pluralisme des droits et des principes. Le gouvernement est totalitaire. L’individu défendu dans la philosophie hégélienne, lui qui assumait raison et liberté, est annihilé. « L’individu, c’est ce que nous enseignons aujourd'hui, n’a en tant que tel ni le droit ni le devoir d’exister puisque tous les droits et tous les devoirs proviennent uniquement de la communauté »59. Cette communauté n'est à son tour ni une union d’individus libres, ni le tout rationnel de l’État hégélien, mais l’entité “naturelle” de la race. Les idéologues nationaux-socialistes insistent sur le fait que la “communauté” à laquelle l’individu est complètement subordonné constitue une réalité naturelle qui est unie par « le sang et le sol » et qui n’est soumise à aucune norme ou valeur rationnelle.

La focalisation sur les conditions “naturelles” sert à détourner l’attention de la base sociale et économique du totalitarisme. La Volksgemeinschaft est idolâtrée en tant que communauté naturelle précisément parce que et dans la mesure où il n’y a pas de communauté sociale véritable. Puisque les relations sociales démontrent l’absence de toute communauté, la Volksgemeinschaft doit être distinguée par sa dimension du « sang et du sol » qui n’entrave pas le jeu réel des intérêts de classe dans la société.

L’élévation du Volk à la position d’entité politique originelle et suprême montre encore une fois combien le national-socialisme est éloigné de la conception hégélienne. D’après Hegel, le Volk est cette partie de l’État qui ne connaît pas sa propre volonté. Cette attitude de Hegel, bien qu’elle puisse sembler réactionnaire, est plus proche des intérêts de la liberté que le radicalisme populaire des énonciations national-socialistes. Hegel rejette toute notion selon laquelle “le peuple” serait un facteur politique indépendant parce que, maintient-il, l’efficacité politique exige la conscience de la liberté. Le peuple, n’a cessé de répéter Hegel, n’a pas encore atteint cette conscience, il n’a pas encore la connaissance de son véritable intérêt, et il constitue plutôt un élément passif dans le processus social. L’établissement d’une société rationnelle présuppose que le peuple a cessé d’exister sous la forme de “masses” et qu’il s’est transformé en une association de libres individus. Le national-socialisme au contraire glorifie les masses et considère le “peuple” dans sa condition pré-rationnelle, naturelle60. Mais même dans cette condition, le Volk n’est pas autorisé à jouer un rôle politique actif. Sa réalité politique est supposée être représentée par l’unique personne du leader qui est la source de toute loi et de tout droit et qui est le seul auteur d’existence sociale et politique.

L’idéalisme allemand, qui a culminé dans l’enseignement hégélien, faisait valoir la conviction que les institutions sociales et politiques devaient correspondre à un libre développement de l’individu. Le système autoritaire, de son côté, ne peut maintenir son ordre social en vie qu’avec l’enrôlement forcé de tous les individus, quel que soit leur intérêt, dans le procès économique. L’idée du bien-être individuel cède la place à l’exigence du sacrifice. « Le devoir de sacrifice pour l’ensemble n’a pas de limites si nous considérerons le peuple comme le bien suprême sur terre »61. Le système autoritaire ne peut pas élever de façon considérable et permanente le niveau de vie, et il ne peut pas non plus agrandir l’espace et les moyens du plaisir individuel. Cela saperait sa discipline indispensable et, en dernière analyse, cela détruirait l’ordre fasciste qui, du fait de sa vraie nature, doit empêcher tout libre développement des forces productives. En conséquence, le fascisme « ne croit pas en la possibilité du “bonheur” sur terre », et « il refuse l’équation selon laquelle le bien-être est égal au bonheur »62. Aujourd'hui, alors que toutes les potentialités techniques pour une vie d’abondance sont à portée de main, les nationaux-socialistes « considèrent la baisse du niveau de vie comme inévitable » et ils se livrent à des panégyriques sur l’appauvrissement63.

Les brimades implacables qui sont exercées à l’encontre de l’individu sont encouragées pour le bénéfice particulier de la bureaucratie industrielle et politique. Elles ne peuvent donc pas être justifiées sur la base du véritable intérêt de l’individu. L’idéologie national-socialiste affirme simplement que la véritable existence humaine consiste dans le sacrifice incondi-tionnel, que d’obéir et de servir, c’est l’essence de la vie de l’individu – « un service qui ne prend jamais fin parce que service et vie coïncident »64.

Ernst Krieck, l’un des porte-parole représentatif du national-socialisme, a consacré une partie considérable de ses écrits au rejet de l’idéalisme allemand. Dans son périodique, “Volk im Werden”, il a publié un article intitulé : Der Deutsche Idealismus zwischen den Zeitaltern [L’idéalisme allemand entre les époques], dans lequel se trouve la déclaration à l’emporte-pièce suivante : « L’idéalisme allemand doit … être vaincu dans la forme et dans le contenu si nous voulons devenir une nation politique et active »65. La raison de la condamnation est claire. L’idéalisme allemand protestait contre la capitulation complète de l’individu devant les forces sociales et politiques au pouvoir. Son exaltation de l’esprit et son insistance mise sur l’importance de la pensée impliquaient, ce que le national-socialisme voyait à juste titre, une opposition essentielle à toute persécution de l’individu. L’idéalisme philosophique faisait partie intégrante de la culture idéaliste. Et cette culture reconnaissait un domaine de la vérité qui n’était pas soumis à l’autorité de l’ordre existant et des pouvoirs en place. L’art, la philosophie et la religion, envisageaient un monde qui défiait les prétentions de la réalité existante. La culture idéaliste est incompatible avec la discipline et le contrôle fascistes. « Nous ne vivons plus dans l’ère de l’éducation, de la culture, de l’humanité et du pur esprit, mais dans celle de la nécessité de la lutte, des visions politiques de la réalité, des militaires, de la discipline nationale, de l’honneur et de l’avenir nationaux. Ce n’est donc pas l’attitude idéaliste mais l’attitude héroïque qui est exigée des hommes étant donné les tâches et les besoins de la vie dans cette époque »66.

Krieck ne tente pas d’indiquer quelques péchés particuliers de la structure de pensée de l’idéalisme allemand. Bien que philosophe et occupant la chaire de Hegel à l’Université de Heidelberg, il éprouve de la difficulté à affronter l’idée philosophique la plus simple. Pour des déclarations particulières, nous devons nous tourner vers ceux qui, par profession, sont encore investi dans le travail philosophique. L’Anti-Cartesianismus de Franz Böhm, qui offre une interprétation national-socialiste de l’histoire de la philosophie, contient un chapitre sur Hegel und uns [Hegel et nous]. Hegel y est fait le symbole de tout ce que le national-socialisme abhorre et rejette ; « l’émancipation par rapport à Hegel » est saluée comme un signe avant-coureur d’un retour à la vraie philosophie. « Pendant un siècle, la conception universaliste de Hegel … a enterré les motivations de l’histoire allemande dans la philosophie »67. Quelle est l’orientation antiallemande chez Hegel ? Tout d’abord, l’importance accordée à la pensée, son attaque de l’action pour l’action. Böhm touche au centre de l’hégélianisme lorsqu’il critique ses « idéaux humanitaires ». Il reconnaît la connexion intrinsèque entre les notions de raison et d’esprit et la « conception universaliste » de l’humanité68. Voir le monde comme un esprit, dit-il, et mesurer les formes existantes en accord avec le critère de la raison équivaut en fin de compte à transcender les distinctions et les conflits contingents et “naturels” parmi les hommes, et en arriver au-delà d’eux à l’essence universelle de l’homme. Cela équivaut à soutenir le droit de l’humanité contre les revendications particulières de la politique. La raison implique l’unité de tous les hommes en tant qu’êtres rationnels. Quand la raison s’accomplit finalement dans la liberté, la liberté est le bien de tous les hommes et le droit inaliénable de tout individu. L’universalisme idéaliste implique l’individualisme.

La critique national-socialiste insiste sur les tendances qui contredisent tout totalitarisme dans la philosophie de Hegel. En raison de ces tendances-là, elle déclare que Hegel est le « symbole d’un passé vieux de plusieurs siècles et obsolète » et la « contre-volonté philosophique de notre époque ».

La critique de Böhm réapparaît sous une forme quelque peu plus douce et plus élaborée dans un autre document représentatif de la philosophie national-socialiste : Idee und Existenz [Idée et existence] de Hans Heyse, qui déclare que Hegel « est la source de toutes les philosophies de l’histoire aussi bien libérales, idéalistes, que matérialistes »69. Mais, contrairement à beaucoup de marxistes, les nationaux-socialistes prennent au sérieux le lien entre Hegel et Marx.

Le fait que l’évolution vers des formes autoritaires ait été une volte-face des principes hégéliens plutôt qu’une de leurs conséquences a été reconnu à l’intérieur et à l’extérieur de l’Allemagne dès la période de la Première Guerre mondiale. Muirhead en Angleterre a déclaré à cette époque-là que « ce n’est pas dans l’hégélianisme, mais dans la violente réaction à toute la philosophie idéaliste qui est apparue peu après sa mort, que nous devons voir les fondements philosophiques du militarisme actuel »70. Cette déclaration est à prendre avec toutes ses implications. Les racines idéologiques de l’autoritarisme ont leur sol dans la « violente réaction » à Hegel qui s’est façonnée avec la “philosophie positive”. La destruction du principe de raison, l’interprétation de la société en termes de nature, et la subordination de la pensée à la dynamique inexorable de l’existant, a opéré dans la philosophie romantique de l’État, dans l’École historique, dans la sociologie de Comte. Ces tendances anti-hégéliennes ont joint leurs forces aux philosophies irrationnelles de la Vie, de l’histoire et de l’“existence”, qui sont apparues dans la dernière décennie du XIX° siècle, et qui ont construit la cadre idéologique pour lancer l’assaut contre le libéralisme71.

La théorie sociale et politique responsable du développement de l’Allemagne fasciste a donc été liée à l’hégélianisme d’une manière complètement négative. Elle était anti-hégélienne dans tous ses buts et tous ses principes. Il n’existe pas de meilleur témoin de ce fait que le seul théoricien politique sérieux du national-socialisme, Carl Schmitt. La première édition de son Begriff des Politischen [La notion du politique] soulève la question de pendant combien de temps « l’esprit de Hegel » a vécu à Berlin, et il répond : « En tout cas, l’école qui est devenue autoritaire en Prusse après 1840 a préféré se référer à la philosophie “conservatrice” de J.F. Stahl, tandis que Hegel errait de Karl Marx à Lénine et à Moscou »72. Et il résume tour ce processus avec la déclaration saisissante faite à propos du jour où Hitler est parvenu au pouvoir : « Hegel, pour ainsi dire, est mort »73.

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Épilogue

Écrit en 1954


La défaite du fascisme et du national-socialisme n’a pas arrêté la tendance vers le totalitarisme. La liberté bat en retraite aussi bien dans le domaine de la pensée que dans celui de la société. Que l’idée de la Raison soit hégélienne ou marxiste, elle ne s’est pas rapprochée de sa réalisation ; ni le développement de l’Esprit, ni celui de la Révolution, n’ont pris la forme envisagée par la théorie dialectique. Pourtant les déviations étaient inhérences à la structure même dont cette théorie avait découvert qu’elles ne se produisaient pas à partir de l’extérieur ; elles n’étaient pas inattendues.

Depuis le début, l’idée et la réalité de la Raison au cours de la période moderne ont contenu les éléments qui mettaient en danger sa promesse d’une existence libre et épanouie : l’assujettissement de l’homme à sa propre productivité ; la glorification de la satisfaction différée ; le contrôle répressif de la nature en l’homme et à l’extérieur de lui ; le développement des potentialités humaines dans le cadre de la domination. Dans la philosophie de Hegel, le triomphe de l’Esprit oublie l’État dans la réalité – non conquis par l’Esprit et oppressif malgré son engagement en faveur du Droit et de la Liberté. Hegel acceptait la Société civile et son État en tant que réalisation historique adéquate de la Raison – ce qui signifiait qu’ils n’étaient pas la réalisation ultime de la Raison. Cette dernière était reléguée à la métaphysique : Hegel concluait la présentation encyclopédique de son système avec la description du noûs comme theos par Aristote. Au commencement et à la fin, la réponse de la philosophie occidentale à la quête de la Raison et de la Liberté est la même. La déification de l’Esprit implique la connaissance de sa défaite dans la réalité. La philosophie de Hegel a été la dernière qui pouvait oser comprendre la réalité comme étant la manifestation de l’Esprit. L’histoire ultérieure a rendu cette tentative impossible.

Hegel voyait dans le « pouvoir de la négativité » l’élément vital de l’Esprit et par conséquent de la Raison. Le pouvoir de la Négativité était en dernière analyse le pouvoir de comprendre et de modifier les faits donnés en accord avec les potentialités en développement par le rejet du “positif” une fois que celui-ci est devenu un obstacle au progrès de la liberté. La Raison est dans son essence même contra-diction, opposition, négation, aussi longtemps que la liberté n'est pas réelle. Si le pouvoir contradictoire, oppositionnel, négatif, de la Raison est brisé, la réalité se déroule sous le régime de sa loi positive et, non entravée par l’Esprit, elle déploie sa force répressive. C’est un tel déclin dans le pouvoir de la Négativité qui a en effet accompagné le progrès de la civilisation industrielle tardive. Avec la concentration et l’efficacité croissantes des contrôles économiques, politiques et culturels, l’opposition dans tous ces domaines a été calmée, coordonnée ou liquidée. La contradiction a été absorbée par l’affirmation du positif. En 1816, lorsque les guerres de libération nationale ont pris fin, Hegel exhortait ses étudiants à s’opposer aux « affaires de la politique » et à l’État qui avait « englouti tous les autres intérêts en lui », à faire respecter le « courage de la vérité », de la pensée, le pouvoir de l’Esprit comme étant la valeur suprême. Aujourd'hui, l’Esprit semble avoir une fonction différente : il aide à organiser, à administrer et à anticiper, les pouvoirs en place, ainsi qu’à liquider le « pouvoir de la Négativité ». La Raison s’est identifiée à la réalité ; ce qui est réel est raisonnable, bien que ce qui est raisonnable ne soit pas encore devenu réalité.

L’autre tentative, la tentative marxiste, pour redéfinir la Raison a-t-elle subi le même sort ? Marx croyait que la société industrielle avait crée les conditions préalables pour la réalisation de la Raison et de la Liberté, mais que son organisation capitaliste empêchait cette réalisation. La pleine maturité des forces productives, la maîtrise de la nature, et une richesse matérielle suffisamment grande pour satisfaire au moins les besoins fondamentaux de tous les membres de la société au niveau culturel atteint, étaient les conditions préalables du socialisme, et ces conditions préalables avaient été créées. Cependant, en dépit de ce lien substantiel entre la productivité capitaliste et la liberté socialiste, Marx pensait que seule une révolution et une classe sociale révolutionnaire pourraient accomplir la transition. Pour cette transition, beaucoup plus était impliqué que la libération et l’utilisation rationnelle des forces productives, à savoir la libération de l’homme lui-même : l’abolition de l’asservissement aux instruments de son travail, et par conséquent la transvaluation complète des valeurs dominantes. C’est seulement ce “plus” qui changerait la quantité en qualité et qui établirait une société différente, non répressive – la négation déterminée du capitalisme. Ces nouveaux principes et valeurs ne pouvaient être réalisés que par une classe qui était exempte des anciens principes et valeurs répressifs, dont l’existence incarnait la négation même du système capitaliste et par conséquent la possibilité historique de s’opposer au système et de le vaincre. L’idée du prolétariat chez Marx, en tant que négation absolue de la société capitaliste, condense en une seule notion la relation historique entre les conditions préalables et la réalisation de la liberté. Au sens strict, la libération présuppose la liberté : la première peut être accomplie seulement si elle est entreprise et soutenue par des individus libres – exempts des besoins et des intérêts de la domination et de la répression. Si la révolution elle-même ne progresse pas au moyen de la liberté, le besoin de domination et de répression serait alors reconduit dans la nouvelle société, et la séparation désastreuse entre l’intérêt “immédiat” et “véritable” des individus serait presque inévitable ; les individus deviendraient des objets de leur propre libération, et la liberté serait une affaire d’administration et de décret. Le progrès serait une répression progressive, et le “retard” pris par la liberté menacerait de devenir autopropulseur et auto-entretenu.

L’importance décisive de la relation entre le prolétariat prérévolutionnaire et postrévolutionnaire a été démontrée seulement après la mort de Marx, dans la transformation du capitalisme libre en capitalisme organisé. C’est ce développement qui a transformé le marxisme en léninisme et qui a déterminé le destin de la Société soviétique – son progrès dans un nouveau système de productivité répressive. La conception de Marx relative au prolétariat “libre”, en tant que négation absolue de l’ordre social établi, trouvait sa place dans le modèle du capitalisme “libre” : une société dans laquelle le libre fonctionnement des lois et des relations économiques fondamentales augmenterait les contradictions internes et ferait du prolétariat leur principale victime, de même que l’agent conscient de leur solution révolutionnaire. Quand Marx envisageait la transition au socialisme à partir des pays industriels avancés, il le faisait parce que non seulement la maturité des forces productives, mais aussi l’irrationalité de leur emploi, la maturité des contradictions internes du capitalisme et de la volonté de leur abolition, étaient essentielles à son idée du socialisme. Or c’est précisément dans les pays industriels avancés que, depuis à peu près le tournant du siècle, les contradictions internes sont devenues le sujet d’une organisation de plus en plus efficace, et que la force négative du prolétariat a été de plus en plus réduite. Non seulement une petite “aristocratie ouvrière”, mais aussi la majeure portion des classes laborieuses, ont été transformées en une partie positive de la société établie. Cela n’a pas été simplement le déversement de la productivité dans un niveau de vie ascendant qui a provoqué cette transformation. Quand Engels meurt en 1895, les conditions de vie et de travail des classes laborieuses dans les pays capitalistes avancés avaient affiché une amélioration tendancielle à long terme bien supérieure au niveau décrit et anticipé dans Le capital de Marx. Cependant, Engels ne voyait pas de raison à une révision fondamentale de la prévision marxiste. L’accent mis par Engels sur le pouvoir légal-parlementaire croissant des travailleurs organisés semble indiquer qu’il comptait sur une amélioration supplémentaire de la condition des travailleurs en tant que résultat direct du pouvoir grandissant de la classe ouvrière au sein du système capitaliste fonctionnant. Cette tendance ne semblait pas non plus contredire la conception marxiste. Les “superprofits” de la période monopolistique pouvaient servir d’explication à l’augmentation des salaires réels – aux dépens des groupes et des régions “super-exploités”, et au prix de préparatifs de guerre, et de guerres, récurrents. Ce n'est pas simplement l’appauvrissement, mais l’appauvrissement par rapport à la productivité sociale croissante, qui était supposé transformer le prolétariat en force révolutionnaire. La notion de paupérisation chez Marx implique la conscience du blocage des potentialités de l’homme et celle de la possibilité de leur réalisation – la conscience de l’aliénation et de la déshumanisation. Mais en même temps le développement de la productivité capitaliste a arrêté le développement de la conscience révolutionnaire. Le progrès technologique a multiplié les besoins et les satisfactions, tandis que son utilisation a rendu répressifs aussi bien les besoins que leurs satisfactions : ils alimentent eux-mêmes la soumission et la domination. Le progrès dans l’administration réduit la dimension dans laquelle les individus peuvent être “avec eux-mêmes” et “pour eux-mêmes”, et il les transforme en parfaits objets de leur société. Le développement de la conscience devient la prérogative dangereuse d’outsiders. La sphère dans laquelle la transcendance individuelle et de groupe était possible a été ainsi éliminée et, avec elle, l’élément vital d’opposition. Nous ne pouvons indiquer ici que quelques-uns des facteurs principaux qui ont permis à la civilisation industrielle tardive d’absorber sa négativité.

La croissance de l’appareil de production et de distribution est devenue trop importante pour être contrôlée par un individu ou un groupe, et elle a engendré une hiérarchie de bureaucraties publiques et privées, avec un degré élevé de neutralisation de la responsabilité. Même au sommet de la hiérarchie, où la responsabilité est identifiable et sans recours, l’intérêt spécifique de l’individu ou du groupe ne peut s’affirmer qu’à l’intérieur de l’intérêt majeur de la préservation et de l’expansion de l’appareil en tant que tout. Ce dernier est en effet l’incarnation de la volonté générale, du besoin collectif. Puisque, du moins dans les pays industriels avancés, il continue à maintenir la société dans des conditions qui s’améliorent et avec une meilleure satisfaction des besoins, la rationalité de l’opposition apparaît encore plus fallacieuse, si ce n’est insensée. Si l’on considère les faits et les tendances donnés, il n’y a pas de raison de supposer qu’un progrès ultérieur exige la destruction de sa base actuelle. Cette réconciliation avec l’opposition était opérationnelle bien avant que la Première Guerre mondiale ait révélé dans quelle mesure les classes “objectivement” révolutionnaires avaient été intégrées à l’intérêt national.

La formidable augmentation de la productivité du travail dans le cadre des institutions sociales dominantes a rendu la production de masse inévitable, mais aussi la manipulation de masse. Le résultat en a été que le niveau de vie s’est accru avec la concentration du pouvoir économique dans des proportions monopolistiques. Simultanément, le progrès technologique a modifié fondamentalement l’équilibre du pouvoir social. L’étendue et l’efficacité des instruments de destruction contrôlés par le gouvernement ont rendu les formes classiques de la lutte sociale démodées et romantiques. La barricade a perdu sa valeur révolutionnaire, exactement comme la grève a perdu son contenu révolutionnaire. La coordination économique et culturelle des classes laborieuses a été accompagnée et complétée par l’obsolescence de leurs armes traditionnelles.

La consolidation du système capitaliste a été grandement rehaussée par le développement de la société soviétique. Ce développement a influencé la situation du monde occidental de deux manières : (1) L’échec des révolutions en Europe centrale après la Première Guerre mondiale a isolé la Révolution bolchevique de sa base économique et politique anticipée dans les pays capitalistes avancés et il l’a conduite sur la voie de l’industrialisation terroriste sur la base de ses propres ressources. Ce que Marx a stigmatisé comme étant les traits répressifs et exploiteurs de l’industrialisation capitaliste était ainsi reproduit sur une autre base dans la société soviétique afin d’obtenir aussi rapidement que possible les réalisations de l’industrialisation occidentale. Comparée à l’idée du socialisme chez Marx, la société stalinienne n’était pas moins répressive que la société capitaliste, mais elle était beaucoup plus pauvre. L’image de la liberté que le marxisme avait soutenue à l’encontre de la non-liberté prédominante semblait avoir perdu son contenu réaliste. Dans le monde occidental, le communisme en est venu à être identifié, non pas à une phase supérieure, mais à une phase inférieure du développement historique, et à un pouvoir étranger hostile. Contre ce pouvoir, la cause nationale paraissait être aussi la cause de la liberté. (2) Ensuite, l’État soviétique s’est développé dans une société hautement rationalisée et industrialisée, mais en dehors du monde capitaliste, et il a été suffisamment puissant pour se confronter à lui dans ses propres termes, en défiant son monopole du progrès et sa prétention à modeler l’avenir de la civilisation. Le monde occidental a répondu avec une mobilisation totale, et c’est cette mobilisation qui a parachevé le contrôle national et international sur les zones dangereuses de la société. Le monde occidental a été unifié dans une mesure qui était inconnue jusqu’alors dans sa longue histoire. L’intérêt commun qui s’était déjà occupé avec succès des contradictions internes, a continué maintenant à s’occuper des contradictions externes. La coordination internationale a aidé à son tour à intensifier la coordination nationale. Le conformisme devient une question de vie ou de mort non seulement pour les individus, mais aussi pour les nations.

Les tendances qui ont été ici seulement énumérées ont souvent et amplement été décrites en termes de “démocratie de masse”, de “culture populaire”, etc. Cette terminologie se prête aisément à une focalisation erronée : comme si ces tendances étaient dues à la montée des “masses”, ou au déclin de certaines valeurs et institutions culturelles. Elles paraissent plutôt se développer à partir de la structure historique de la société industrielle tardive une fois que la société a eu réussi à contrôler sa propre dialectique sur le terrain de sa propre productivité. Ces tendances ne sont pas non plus limitées à une zone culturelle et politique particulière. Le pré-conditionnement des individus, leur façonnage en objets d’administration, semblent être un phénomène universel. L’idée d’une forme différente de la Raison et de la Liberté, conçue aussi bien par l’idéalisme que par le matérialisme dialectiques, semble être à nouveau une utopie. Mais le triomphe des forces régressives et retardatrices ne doit pas invalider la vérité de cette Utopie. La mobilisation totale de la société contre la libération suprême de l’individu, qui constitue le contenu historique de la période actuelle, indique combien est réelle la possibilité de cette libération.



NOTES

1 Londres (The Macmillan Company, New York) 1918, p. 6.

2 Lectures on the Principles of Political Obligation [Cours sur les principes de l’obligation politique], Longmans, Green and Co., Londres 1895, p. 122.


3 P. 134 sq.

4 P. 148.

5 P. 148.

6 P. 149.

7 Green ne fait pas porter la responsabilité des antagonismes du capitalisme (dont il est pleinement conscient) au système libéral, mais aux conditions historiques contingentes dans lesquelles le capitalisme est né (ibidem, pp. 225, 228). Il demande certaines restrictions à la liberté du libéralisme, en particulier afin de respecter la liberté de contracter, et une suppression des conditions et des relations causées par « le pouvoir des intérêts de classe » (pp. 209 sq.).

8 P. 173.

9 P. 169.

10 P. 177.

11 Cf. R. Metz, A Hundred Years of British Philosophy [Cent années de philosophie britannique], Londres 1938, pp. 283, 327 sq.

12 The Philosophical Theory of the State, The Macmillan Co., Londres 1899, pp. 283, 327 sq.

13 R. Metz, opus cité, pp. 249, 267.

14 Bosanquet, opus cité, p. 126.

15 P. 127.

16 P. 183.

17 Pp. 184 sq.

18 The Metaphysical Theory of the State [La théorie métaphysique de l’État], Londres 1918, p. 22..

19 P. 77.

20 P. 80.

21 P. 85.

22 P. 117.

23 P. 133.

24 Die Philosophie der Weltgeschichte [La philosophie de l’histoire mondiale], ed. G. Lasson, vol. II, p. 925.

25 J. A. Hobson, Imperialism [Impérialisme], Londres (The Macmillan Company, New York) 1938, pp. 74-5.

26 E. Bernstein, Die Voraussetzungen des Sozialismus und die Aufgaben der Sozialdemokratie [Les conditions du socialisme et les tâches de la social-démocratie], Stuttgart 1899, p. 26.

27 E. Bernstein, Zur Theorie und Geschichte des Sozialismus [Contribution à la théorie et à l’histoire du socialisme], Berlin 1904, Partie III p. 75.

28 Ibidem, p. 74.

29 Ibidem, p. 69.

30 Karl Kautsky, Bernstein und die materialistische Geschichtsauffassung [Bernstein et la conception matérialiste de l’histoire], in “Die Neue Zeit”, 1898-9, vol. II, p. 7.

31 Fundamental Problems of Marxism [Problèmes fondamentaux du marxisme], ed. D. Ryazanov, New York, sans date, p. 118.

32 Selected Works, vol. IX, pp. 62 sqq. Voir plus haut p. 314.

33 Ibidem, p. 54.

34 Pour la position historique du néo-idéalisme italien, voir ses partisans : Benedetto Croce, History of Italy, 1871-1945 [Histoire de l’Italie, 1871-1915], New York 1919, chapitre X ; Giovanni Gentile, Grundlage des Faschismus [Fondements du fascisme], Stuttgart 1936, pp. 14 sq.

35 Allgemeine Theorie des Faschistischen Staates [Théorie générale de l’État fasciste], Berlin 1934, p. 25.

36 The Theory of Mind as a Pure Act, [La théorie de l’esprit en tant qu’acte pur], trad, H. Wildon Carr, Londres, (The Macmillan Company, New York) 1922, p. 10.

37 Ibidem, p. 15.

38 Ibidem, p. 17.

39 Ibidem, p. 15.

40 Lawrence Dennis, The Dynamics of War and Revolution [La dynamique de la guerre et de la révolution], New York 1940, p. 25.

41 Voir en particulier Theory of Mind, chap. I.

42 P. 6.

43 P. 257.

44 P. 273.

45 P. 88 sq.

46 P. 107.

47 P. 243.

48 P. 19.

49 P. 246.

50 P. 277.

51 Pp. 269, 271.

52 Grundlagen des Faschismus, p. 33 ; cf. Benito Mussolini, Relativismo e Fascismo, dans Diuturna, Scritti politici, ed. V. Morello, Milan 1924, pp. 374 sqq.

53 Voir l’analyse du national-socialisme dans Robert A. Brady, The Spirit and Structure of German Fascism [L’esprit et la structure du fascisme allemand], The Viking Press, New York 1937, et dans Franz L. Neumann, Behemoth, The Origin and Practice of National Socialism [Béhémoth, l’origine et la pratique du national-socialsime], qui sera publié par Oxford University Press, New York 1941.

54 Alfred Rosenberg, Der Mythos des 20. Jahrhunderts [Le mythe du XX° siècle], 7° édition, Munich 1933, p. 525.

55 Ibidem.

56 P. 526. Voir Hitler, Mein Kampf [Mon combat], Reynal et Hitchcock, New York 1939, p. 592 : “La prise fondamentale de conscience, c’est que l’État ne représente pas une fin mais un moyen”.

57 Rosenberg, opus cité, p. 527.

58 Staat, Bewegung, Volk [État, mouvement, peuple], Hambourg 1933, p. 12.

59 Otto Dietrich, dans le “Völkische Beobachter”, 11 décembre 1937.

60 Voir Otto Dietrich, Die philosophischen Grundlagen des Nationalsozialismus [Les fondements philosophiques du national-socialisme], Breslau 1935, p. 39 ; Otto Koellreutter, Vom Sinn und Wesen der nationalen Revolution [Le sens et la nature de la révolution nationale], Tübingen 1933, pp. 29 sq. ; et du même auteur : Volk und Staat in der Weltanschauung des Nationalsozialismus [Peuple et État dans la vision du monde du national-socialisme], Berlin 1935, p. 10.

61 Koellreutter, Vom Sinn und Wesen . . . , p. 27.

62 Mussolini, Fascism : Doctrine and Institutions [Fascisme : doctrine et institutions], Rome 1935, pp. 10, 21.

63 “Volk im Werden” [Le peuple en devenir], ed. Ernst Krieck, 1933, n° 1, p. 24.

64 Der Deutsche Student [L’étudiant allemand] août 1933, p. 1.

65 1933. n°. 3, p. 4. Voir Krieck E., Die deutsche Staatsidee [L’idée allemande de l’État], Leipzig 1934.

66 P. 1 ; voir également n° 5, 1933, pp. 69, 71.

67 Leipzig, 1938, p. 25.

68 Ibidem, pp. 28 sq.

69 Hambourg, 1935, p. 224.

70 J. H. Muirhead, German Philosophy in Relation to the War [La philosophie allemande en relation avec la guerre], cité dans R. Metz, opus cité., p. 282.

71 Voir mon article : Der Kampf gegen den Liberalismus in der totalitären Staatsauffassung [La lutte contre le libéralisme dans la conception totalitaire de l’État]' in “Zeitschritft für Sozialforschung”, 1934, pp. 161-94.

72 Munich 1932, p. 50.



73 Staat, Bewegung, Volk, opus cité, p. 32.


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