PAGES PROLETARIENNES

dimanche 6 janvier 2019

QUEL AVENIR POUR LE MOUVEMENT DES GILETS JAUNES ?

« Avant toute chose, il faut déposséder parlementaires et sénateurs de revenus indus et des retraites chapeaux de leurs femmes, le RIC peut-être après mais c'est secondaire ».
Un primo manifestant interrogé sur Cnews à 12H35.

« Abandon des privilèges des élus et des élites »
Panneau de manifestant individuel

« Ni Macron, ni personne »
Tag mural

"Elisons des inconnus". Graffiti pendant la Commune de Paris.

« Cependant le mouvement dans son ensemble ne s'oriente pas uniquement dans le sens d'un passage de l'économique au politique, mais aussi dans le sens inverse ». Rosa Luxemburg

Emmanuel Macron respirait. Lors de son premier conseil des ministres de l'année n'avait-il pas remobilisé ses ministres inconnus du public pour relancer les mêmes réformes criminelles contre le peuple en général si l'on en croit un mouvement de contestation qui s'arroge le terme. L'ennemi public n°1, Eric Drouet avait été une nouvelle fois neutralisé en train de poser une bougie à l'Arc de TRiomphe.
Troublé dans son petit déjeuner post réveillon, le despote merdeux n'a pu réprimer un haut-le-corps, tel un vulgaire ultra gauche conseilliste (conseiller en révolution prolétarienne), lorsqu'il a vu Paris brûler une nouvelle fois, des préfectures et un TGI attaqués en province, sans oublier le portail enfoncé de son petit Griveaux.
Le grand acte II commençait, qui est communément considéré comme chapitre 8 d'une représentation débutée un 17 novembre de l'an passé, comme singulier véritable anniversaire de mai 68, pile presque 50 ans après. La « foule haineuse » allait voir ce qu'elle allait voir selon le dernier discours du trône, debout, pour signaler qu'il l'était encore et mains en éventail balayant du vent comme un représentant de commerce peu sûr de fourguer sa camelote. La pose autoritaire de la part de ce petit monsieur qui n'en a aucune, ne s'exerce que via la brutalité et le terrorisme de ses hommes de main en uniforme robocop, qui ont mutilés et éborgnés sans vergogne tant de jeunes, de femmes, et d'hommes pour le restant de leur vie. Sans compter que son premier flic de France manie l'antiphrase sans honte en assurant que crever des yeux ou mutiler sert à protéger les manifestants contre eux-mêmes.

Voici terminée une autre journée mémorable où l'autorité étatique a été bafouée, tournée en bourrique, et qui, une fois n'est pas coutume, a perdu la fameuse bataille des images. Sermonons que l'Etat ne peut s'en prendre qu'à sa propre impéritie, quelques dizaines de compagnies de brutes en uniforme avaient été simplement mobilisées, quoique peu sûres d'être récompensées pour leurs heures sup. Le despote dormait sur ses deux oreilles, persuadé d'avoir couché la « foule haineuse » réduite à quelques 800 gilets jaunes lors du dernier samedi de l'an si vite passé, mais pas vraiment pour lecommun des révoltés introuvables. Les élites et leur caïd avaient tout loisir de ronronner dans leurs salons ou de préparer un dîner à la campagne car leurs journalistes, ces faux culs maniaient l'antiphrase eux aussi sans se rendre compte de l'effet boomerang d'une telle pratique. Ils intoxiquaient eux-même le despote. Quel motif d'inquiétude lorsque Cnews fait défiler la matinée durant la bande passante subliminale : « FAIBLE MOBILISATION A PARIS », et même sous le coup de midi quand on lui substituait cet autre bandeau : « LES GILETS JAUNES EN MARCHE » alors que le quartier de la mairie était noir de monde et que Maxime Fly rider faisait le malin avec son mégaphone sur l'estrade et que Priscilla filmait avec son portable, fondue dans la foule. Nous regardions plein d'admiration et avec joie cette foule riante et pas haineuse qui s'écoulait grâce à une chaîne, paraît-il qatarie ou cosaque, qui fût d'ailleurs assez vite éteinte sur facebook. Nous avions eu le temps de voir ce qu'aucune chaîne d'infaux française ne montrait – les cameramen du maître filmaient une foule statique en coin où au ras des jambes – une manif en mouvement donc pleine de personnes d'âges mûrs et peu de romantiques étudiants ; manifestation certes autorisée cette fois-ci, mais vivante, remuante, pas moutonnière comme les ennuyeux enterrements syndicaux. Ha bien sûr ils entonnaient cette horrible Marseillaise qui refile des aigreurs aux groupes ultra-gauches de salon, mais on s'en foutait, le nombre était là et nous pissions de rire à voir les merdias d'infaux d'Etat persister à faire défiler la bande : « 800 manifestants à Paris » comme au soir quand ils prétendirent qu'il y avait eu au total moins de 30.000 manifestants dans toute la France, alors que des médias étrangers parlaient eux de plus du double. Les pancartes en faveur de l'utopique RIC n'apparaissaient plus que comme une rigolote pub pour RIC HOCHET, le bien aimé policier de BD au nom de jouet d'éveil pour enfant (ce que sont, en politique, nos bébés gilets jaunes Eric et Maxime). J'ai trouvé sidérant, depuis le tout début, que l'on s'acharne à nous refourguer comme exemple moderne 1789, révolution bourgeoise et fort sanguinolente. Puis, l'analogie s'avérant oiseuse et invraisemblable, nos petits génies des camions périphériques ont été s'inventer une autre référence du côté d'un étrange péplum pour épater les banlieusards. Éric Drouet et Maxime Nicolle ne tarissent pas d'éloges sur "Winter on Fire", qui raconte la transformation d'une manifestation pacifique en révolution, autrement dit de la fausse révolution ukrainienne sous manipulation de la CIA. "Winter on fire", film multi-primé et nommé aux Oscars en 2016, racontant la fronde ukrainienne, a éclairé leurs yeux de grands enfants. « Fly Rider" tient des propos alarmistes sur la situation sociale en France et explique que "beaucoup de gens sont prêts à perdre la vie pour que notre futur soit meilleur." Notre nouveau rouquin à la casquette à l'envers explique que des gens "préparent" un soulèvement armé en France : « Quand on regarde cette vidéo d'Ukraine, on voit qu'au final il y a des gens qui ont manifesté pacifiquement. Ils ont demandé des choses, le gouvernement a essayé de modeler ça, de tourner ça dans tous les sens. Et finalement les gens ont été obligés de péter un plomb. (...) Là-bas, un gouvernement a pris la décision de tuer des civils. En France, il se passe la même chose", explique Maxime Nicolle, tout en précisant que la situation n'est toutefois "pas comparable ». Sur ce point, rien n'est moins sûr, avec la mentalité tueuse de l'élite française, qui peut être sûr que cet olibrius ne donnera pas l'ordre de tirer tôt ou tard, sous prétexte de lutte contre le terrorisme ?

A l'émoi et l'amertume succéda le courroux, réveillé en sursaut, le despote tweeta tard dans la journée, bis repetita, que force devait revenir à la loi et que les méchants « émeutiers » seraient punis. La France entière et ses vulgaires gilets jaunes en tremblent encore. Force de loi ne signifiant pas force de justice, la principale voix de son maître, BFM, invita précipitamment le second de Castagnette pour qu'il explique avec sa pédagogie policière bon enfant et rondouillarde qui le caractérise que ces gueux, ces gâleux, ces casseurs s'en sont pris « aux institutions », ce qui n'est pas très citoyen ni très respectueux d'un président élu avec 18% des électeurs et grâce au barrage antifasciste d'un second tour où nombre d'actuels gilets jaunes crurent sauver la patrie en éliminant une dangereuse poujadiste incompétente. Pauvre président en ballotage impopulaire, malgré les efforts de tous les merdias pour criminaliser une nouvelle fois la révolte populaire, quand tous les soirs chaque journaliste rivalise pour humilier ou rabaisser le mouvement de révolte, tout est à recommencer pire qu'au début, le 17 novembre de l'année dernière ! En termes de pédagogie hi hi. Autant dire que le roi est nu, que les prisons sont pleines et que les faire déborder ne nous impressionnera aucunement. La répression, il faut le dire, a été assez mesurée jusqu'à présent, même s'il y a eu quelques condamnations disproportionnées, lesquelles confirment d'ailleurs l'indépendance complice de la magistrature avec le pouvoir quelle que soit sa couleur ou sa veulerie. Il y a eu plus de rappels à la morale que d'yeux crevés, mais crever un œil n'est pas tuer, dirait l'antiphraseur Castagnette. Et il pourrait ajouter : « ne vous plaignez pas, il vous en reste un ».

Je ne cessais pas de continuer mon combat sur les réseaux, où je me sens bien seul pour y opposer une perspective prolétarienne. Je bagarre à coup de citations de la merveilleuse Rosa Luxemburg ; je m'efforce d'argumenter face à onomatopées et borborygmes au milieu d'une langue française massacrée. Je ne laisse pas passer les insultes ni les menaces. Quand cela se calme un peu, par exemple avec la venue d'ouvriers syndicalistes qui, eux, sont capables de s'exprimer correctement et de défendre autre chose que la simple haine, je suis plus rassuré même s'ils n'ont pas la sincérité de mes borborygmes. Ces braves syndicalistes le prennent de haut et posent aux pédagogues eux aussi, mais pour exalter un passé futile de grèves perdues et d'illusions trade unionistes increvables. Si certains, retraités, ont endossé la pelisse jaune, ils sont incapables de vraiment comprendre les gouffres où nous entraine le capitalisme ou plutôt la nécessité d'une réplique sociale à un niveau inégalé comparé à leurs trente glorieuses économiques et réformistes, ce que saisissent mieux nos jeunes incultes et impatients.

Ces prolétaires de la périphérie des villes et des campagnes, mêlés à tant d'entrepreneurs de rien du tout et d'épiciers en retraite correspondent mieux à cette primauté de définition que je prête à la notion de prolétariat plus que de classe ouvrière, que je conçois dedans, un « prolétariat », moderne synonyme de misère et de frustration qui ne se limite pas aux seuls prolétaires « gaulois » de province ni aux plus démunis puisque le mouvement est parti de l'initiative de prolétaires de la périphérie banlieusarde non pollués par l'idéologie de soumission syndicale contractuelle.

UN MOUVEMENT QUI SE JOUE DE TOUS LES PIEGES MAIS QUI PIETINE

« Le malheur a toujours été pour l'anarchiste que les méthodes de lutte improvisées dans l' « espace éthéré », se sont toujours révélées de pures utopies, en outre la plupart du temps, comme elles refusaient de compter avec la triste réalité méprisée, elles cessaient insensiblement d'être des théories révolutionnaires pour devenir les auxiliaires pratiques de la réaction ».
Rosa Luxembourg

On pensait qu'il serait possible de le calmer avec une simple réduction des taxes, il a réussi à coupler lutte contre la faim et lutte pour une vraie démocratie. On lui reproche de ne pas « se structurer », mais il s'en fiche, il est structuré depuis le début au nez et à la barbe des journalistes et des ministres. Mais à un niveau élémentaire et pas très démocratique. Depuis le début tout le monde se veut chef et certains sont plus chefs que d'autres comme dirait Coluche, on les reconnaît en ce moment, ce sont ceux qui ne portent plus le gilet jaune, comme dans l'industrie ou dans la police, l'habit civil désigne le contremaître, on le voit commander aux costumés en jaune le pétitionisme pour le RIC quiqui. Il fonctionne sur la base de l'immédiat, de l'action à tout prix. Il est l'interlocuteur des médias. Voici le nouveau groupe « Gilets jaunes signataires » qui s'est doté d'un service d'ordre, pardon « service sérénissime ». Une jeune femme, crâne rasé, qu'on a déjà aperçue aux côtés de Flyer Rider, le Maxime qui donne des aigreurs d'estomac aux journalistes bcbg, Sophie Tissier vient nous montrer l'autorisation dûmant temponée de la Préfecture, et égrène benoitement trois « simples » revendications :
  • 1 – Macron se barre ;
  • 2 - On détermine notre cadre de discussion et on va en causer au Parlement et au Sénat ;
  • 3 – Vous nous laissez utiliser « les moyens en place de l'Etat » pour mettre en place le RIC.
J'ai franchement rigolé devant mon écran TV, c'est aussi mégalowoman que conformiste, surtout ces « moyens en place de l'Etat », très fumeux, corrompus et inutilisables comme tels si on est un révolutionnaire sérieux qui veut changer le monde.

LES GILETS JAUNES UNE "FAMILLE"?

Depuis plusieurs semaines nous assistons aussi à la bagarre entre les collabos (Cauchy venu de l'extrême droite et une mémère parapsychologogue Jacqueline Mouraud) qui vantent le « dialogue sincère » avec les voyous au pouvoir, et une aile dite radicalisée des énervés aux adulateurs de Drouet, à qui Mélnechon a envoyé un mot d'amour, et qui fonctionnent de manière opaque, rédigent des communiqués on ne sait où ni comment ni sous quelle plume. Mystère et boule de gomme. Sur le
Eric et sa maman
sujet Drouet a dit qu'il venait manifester avec sa maman et qu'il émettait depuis son camion ; ses compères se filment toujours avec le museau en gros plan, ce qui n'est pas très esthétique et ne les rend guère séduisants. Une des rares fois où ce brave garçon a consenti à me répondre, c'était ceci: "on est une famille"!? De quoi? De qui? Est-il mon cousin ou mon neveu dans cette généalogie? A-t-on affaire à plusieurs "familles" de GJ, autrement dit plusieurs clans qui cachent jalousement des recettes de cuisine à popularité? N'est-ce pas plutôt ce bon vieux comportement anarchiste sans principes? On a vu apparaître deux ou trois communiqués bizarres, qui auraient pu être rédigés par la bande des amants des caténaires, dont celui-ci. Dans une lettre de quatre pages, diffusée, jeudi 3 janvier, sur la page Facebook "La France en colère" qui réunit près de 300 000 personnes, les "gilets jaunes" s'adressent à Emmanuel Macron"La colère va se transformer en haine si vous continuez, de votre piédestal, vous et vos semblables, à considérer le petit peuple comme des gueux, des sans dents, des gens qui ne sont rien", préviennent-ils. Cette lettre se veut une réponse aux vœux du président de la République du 31 décembre. C'est quoi ce collectif, comment fonctionne-t-il, pour qui se prend-il ?

Il paraît qu'il y aurait désormais des AG où on voterait à main levée. Je n'en ai pas vu au début ou alors c'était : « est-ce qu'on commande des fraises aujourd'hui ? », ou « est-ce qu'on choisit Intermarché ou Auchan ? ». Dernier avatar, les bisbilles à Marseille entre une cinquantaine de gilets jaunes venus de toute la France pour concoter une liste pour les européennes, c'est à dire un « parti jaune » avec la rouquine qui avait fait pleurer dans les chaumières avec ses vingt euros en fin de mois, et qui envisage sans doute le métier de député comme plus rémunérateur qu'aide-soignante.
Une centaine d'autres auraient été refoulés non parce qu'ils auraient contesté la stupidité de se transformer en parti... petit bourgeois mais parce qu'ils avaient été refoulés par les autres auto-promus ! Néanmoins, "Gilets jaunes, le mouvement", plateforme numérique pour accumuler les doléances masquant un projet de parti, a été officiellement lancé par une de ses porte-paroles, Ingrid Levavasseur, associée à un beau parleur Hayk Shahinyan, et à un arriviste politique Christophe Chalençon, ces prétendants à chapeauter enfin le mouvement sont en plein nirvana: "

Heureusement sur les réseaux ils sont nombreux ceux qui dénoncent ces projets retors de participation à la foire électorale de l'esbrouffe européenne.
Etonnant mouvement qui surgit partout où on ne l'attend pas, qui désaçonne, renie tout qualificatif abusif, mais qui est en train de se faire bouffer par l'intrusion de syndicalistes et de féministes (cf. les pitoyables défilés de "femmes en jaune"). Le grand débat national de ce pauvre Macron, il est déjà explosé. Le RIC est redevenu secondaire lorsque l'on interroge les manifestants.


L'avenir n'est donc pas dans ce mouvement hétéroclite, avec divers projets mort-nés de structures artificielles et sans colonne vertébrale, mais dans une riposte de classe face aux attaques renouvelées de l'Etat bourgeois qui ne va pas rester inerte et continuer à retourner les facéties en jaune contre le prolétariat.

Les prochaines attaques économiques contre les chômeurs et les retraités, c'est à dire non pas contre le peuple mais contre le prolétariat, que Macron comptait perpétrer sur le cadavre du mouvement des gilets jaunes, sont et seront pratiqement entravées par les leçons politique géniales de ce mouvement ; mouvement bien supérieur à mai 68, dans sa durée, dans son culot anti-institutionnel,
et en raison de l'implication d'une population adulte, qui ne prend pas tant de risques pour de l'éphémère comme l'étudiant révolté de jadis, classe au vrai consciente de l'avenir dangereux que nous prépare la classe dominante, intransigeante et outrée du cynisme inconscient du « môme » Macron. Les protagonistes impulsifs et généreux de ce mouvement spontané et inattendu seront eux aussi très vite dépassés par une maturation sociale. Nous leur serons toujours reconnaissant de ce qu'ils ont initié (quoiqu'ils n'aient fait que plagier la Commune de Paris sur la question des élus), mais il leur faudra laisser la place de tête aux meilleurs représentants du prolétariat et cesser de rester ignares sur la principale révolution du XX e siècle, Octobre 1917 en Russie.


CITATIONS DE ROSA LUXEMBURG POUR ECLAIRER ERIC ET MAXIME ET LES VIEUX BARBONS DU CCI
(extraits de "Grève en masse")


« Pendant tout le printemps de 1905 jusqu'au plein été on vit dans cet Empire gigantesque sourdre une lutte politique puissante du prolétariat entier contre le capital; l'agitation gagne par en-haut les professions libérales et petites-bourgeoises, les employés de commerce, de banque, les ingénieurs, les comédiens, les artistes, et pénètre par en-bas jusque chez les gens de maison, les agents subalternes de la police, jusque même dans les couches du « sous-prolétariat », s'étendant en même temps dans les campagnes et frappant même aux portes des casernes. Voici la fresque immense et variée de la bataille générale du travail contre le capital; nous y voyons se refléter toute la complexité de l'organisme social, de la conscience politique de chaque catégorie et de chaque région; nous y voyons se développer toute la gamme des conflits depuis la lutte syndicale en bonne et due forme menée par l'armée d'élite bien entraînée du prolétariat industriel jusqu'à l'explosion anarchique de révolte d'une poignée d'ouvriers agricoles et au soulèvement confus d'une garnison militaire, depuis la révolte distinguée et discrète en manchettes et en col dur au comptoir d'une banque jusqu'aux protestations à la fois timides et audacieuses de policiers mécontents secrètement réunis dans un poste enfumé, obscur et sale.
(…) Les partisans de « batailles ordonnées et disciplinées » conçues selon un plan et un schéma, ceux qui en particulier veulent toujours exactement savoir de loin comment « il aurait fallu faire », ceux-là estiment que ce fut une « grave erreur » que de morceler la grande action de grève générale politique de janvier 1905 en une infinité de luttes économiques, car cela aboutit à leurs yeux à paralyser cette action et à en faire un « feu de paille ». Même le parti social-démocrate russe, qui certes participa à la révolution, mais n’en fut pas l'auteur, et qui doit en apprendre les lois au fur et à mesure de son déroulement, se trouva quelque temps un peu désorienté par le reflux apparemment stérile de la première marée de grèves générales. L'histoire cependant, qui avait commis cette « grande erreur » accomplissait par là même un travail révolutionnaire gigantesque aussi inévitable qu'incalculable dans ses conséquences, sans se soucier des leçons de ceux qui s'instituaient eux-mêmes maîtres d'école ».

« ...une fois épuisé le contenu possible de l'action politique, compte tenu de la situation donnée, et de la phase où se trouvait la révolution, celle-ci s'émietta ou plutôt se transforma en action économique. En fait, que pouvait obtenir de plus la grève générale de janvier ? Il fallait être inconscient pour s'attendre à ce que l'absolutisme fût écrasé d'un coup par une seule grève générale « prolongée » selon le modèle anarchiste. C'est par le prolétariat que l'absolutisme doit être renversé en Russie. Mais le prolétariat a besoin pour cela d'un haut degré d'éducation politique, de conscience de classe et d'organisation. Il ne peut apprendre tout cela dans les brochures ou dans les tracts, mais cette éducation, il l'acquerra à l'école politique vivante, dans la lutte et par la lutte, au cours de la révolution en marche. D'ailleurs, l'absolutisme ne peut pas être renversé n'importe quand, à l'aide simplement d'une dose suffisante « d'efforts » et de « persévérance ». La chute de l'absolutisme n'est qu'un signe extérieur de l'évolution intérieure des classes dans la société russe. Auparavant, pour que l'absolutisme soit renversé, il faut que la structure interne de la future Russie bourgeoise soit établie, que sa structure d'Etat moderne de classes soit constituée. Cela implique la division et la diversification des couches sociales et des intérêts, la constitution, non seulement du parti prolétarien révolutionnaire, mais encore des divers partis : libéral, radical, petit-bourgeois, conservateur et réactionnaire; cela implique l'éveil à la connaissance, la conscience de classe non seulement des couches populaires, mais encore des couches bourgeoises; mais ces dernières ne peuvent se constituer et mûrir que dans la lutte au cours de la révolution ».

« L'histoire se moque des bureaucrates amoureux des schémas préfabriqués, gardiens jaloux du bonheur des syndicats. Les organisations solides conçues comme des forteresses inexpugnables, et dont il faut assurer l'existence avant de songer éventuellement à entreprendre une hypothétique grève de masse en Allemagne, - ces organisations au contraire sont issues de la grève de masse elle-même. Et tandis que les gardiens jaloux des syndicats allemands craignent avant tout de voir se briser en mille morceaux ces organisations, comme de la porcelaine précieuse au milieu du tourbillon révolutionnaire, la révolution russe nous présente un tableau tout différent ce qui émerge des tourbillons et de la tempête, des flammes et du brasier des grèves de masse, telle Aphrodite surgissant de l'écume des mers, ce sont ... des syndicats neufs et jeunes, vigoureux et ardents ».

« Cependant le mouvement dans son ensemble ne s'oriente pas uniquement dans le sens d'un passage de l'économique au politique, mais aussi dans le sens inverse. Chacune des grandes actions de masse politiques se transforme, après avoir atteint son apogée, en une foule de grèves économiques. Ceci ne vaut pas seulement pour chacune des grandes grèves, mais aussi pour la révolution dans son ensemble. Lorsque la lutte politique s'étend, se clarifie et s'intensifie, non seulement la lutte revendicative ne disparaît pas mais elle s'étend, s'organise, et s'intensifie parallèlement. il y a interaction complète entre les deux.
De ce point de vue il y a entre la révolution et la grève de masse en Russie un rapport bien plus étroit que celui établi par la constatation triviale, à savoir que la grève de masse se termine généralement par un bain de sang.
(…) même si ces conflits s'étendent jusqu'à devenir des grèves de masse à caractère nettement politique, ils ne déclenchent pas d'explosion générale. La grève générale des cheminots hollandais qui, malgré les sympathies ardentes qu'elle a suscitées, s'est éteinte dans l'immobilité absolue de l'ensemble du prolétariat, en fournit un exemple frappant. (sic)
De même il y a beaucoup d'exagérations dans l'idée qu'on se faisait de la misère du prolétariat de l'Empire tsariste avant la révolution. La catégorie d'ouvriers actuellement la plus active et la plus ardente dans la lutte économique aussi bien que politique, celle des travailleurs de la grande industrie des grandes villes, avait un niveau d'existence à peine inférieur à celui des catégories correspondantes du prolétariat allemand; dans un certain nombre de métiers on rencontre des salaires égaux et même parfois supérieurs à ceux pratiqués en Allemagne. De même, en ce qui concerne la durée du travail, la différence entre les grandes entreprises industrielles des deux pays est insignifiante. Ainsi cette idée d'un prétendu ilotisme matériel et culturel de la classe ouvrière russe ne repose sur rien. Si l'on y réfléchit quelque peu, elle est réfutée par le fait même de la révolution et du rôle éminent qu'y a joué le prolétariat. Ce n'est pas avec un sous-prolétariat misérable qu'on fait des révolutions de cette maturité et de cette lucidité politique. Les ouvriers de la grande industrie de Saint-Pétersbourg, de Varsovie, de Moscou et d'Odessa, qui étaient à la pointe du combat, sont sur le plan culturel et intellectuel beaucoup plus proches du type occidental que ne l'imaginent ceux qui considèrent le parlementarisme bourgeois et la pratique syndicale régulière comme l'unique et indispensable école du prolétariat. Le développement industriel moderne de la Russie et l'influence de quinze ans de social-démocratie dirigeant et encourageant la lutte économique ont accompli, même en l'absence des garanties extérieures de l'ordre légal bourgeois, un travail civilisateur important ».

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