PAGES PROLETARIENNES

vendredi 5 octobre 2018

LE TESTAMENT "SURREALISTE" DE JANOVER


Comment un petit littérateur « libertaire » se moque de Rosa Luxemburg et de Lénine


Après s'être attaché à la publication, très louable, des œuvres complètes de Rosa Luxemburg, les éditions Smolny, de la région Occitanie, ont décidé de se livrer à la publication d'auteurs, et pas de n'importe quels auteurs, de préférence de tendance anarchiste et anti-léniniste primaire. Le choix de Louis Janover ne fût pas innocent. D'une notoriété limitée dans le milieu micro-universitaire ou dans un vague milieu d'esthètes, cet auteur avait déjà été sollicité avec force ronds de jambes pour rédiger près de cent pages en introduction aux OC de Rosa. L'introduction releva cependant franchement de la perversion narcissique, voire de l'auto-congratulation. Comme tant d'autres que moi l'ont remarqué, Janover parle de son nombril mais peu de Rosa Luxemburg. C'est un peu le même sentiment que l'on éprouve en lisant cette petite soixantaine de pages : « Le testament de Lénine et l'héritage de Rosa Luxemburg », qui vient d'être édité, d'ailleurs fort soigneusement par le maniaque Eric et son équipe.
Le choix d'une relative petite notoriété littéraire peut-il être gage de succès, en outre pour faire passer une camelote « conseilliste » assez ringarde et qui sert de balais à tous les léninistes défroqués comme aux anars marginaux qui se piquent de culture « gauche communiste » ? Non pas, si vous n'y ajoutez point une bonne dose de censure, c'est à dire, à la façon du « néo-stalinisme », d'oubli des principaux, je dirai lutteurs aux côté des bolcheviques, et ensuite seulement critiques, et non pas des critiques en chambre ou des observateurs surréalistes, j'allais dire grotesques. D'emblée c'est la démarche des introducteurs. Ils sont cinq ou six ! Oui oui ! Quasi un comité central, alors que conseillistes comme anars sont les rois de l'individuation des écrits et ne se repaissent que de « livres » et d'auteurs « de référence ». Donc, comme un vulgaire bureau politique, ils s'y sont mis à plusieurs... pour mentir. Leur tapis rose élancé vers Janover pose le débat « historique », mais simpliste, résumé à une opposition frontale entre Rosa et Vladimir. Les groupies de Janover ne trouvent pas mieux que de lui réserver comme (piètres) contradicteurs « néo-staliniens », les trotskiens Tariq Ali, O. Besancenot et le dinosaure stalinien Lucien Sève. C'est sûr qu'évoquer Miasnikov, Ossinsky, la Gauche Communiste de France, Bordiga ou le CCI, ne ferait pas vendre dans les librairies du NPA ou à la fête de l'Huma. Stratégie éditoriale pour une première publication « personnalisée ». Ils devaient bien çà à un critique passionné du culte de la personnalité léninienne ou stalinienne.

Le titre avait un aspect accrocheur éditorialement, et il fera probablement vendre. Gare au contenu hélas. Car il n'y a ni testament de Lénine ni d'héritage de Rosa Luxemburg, en tout cas pas celui que lui prête le comité éditorial Smolny et le renégat Janover. Que l'on s'apitoie ou que l'on se fiche du chanteur de « je me voyais déjà en haut de l'affiche », l'arrivisme et la cupidité valsent de concert toujours pour masquer la complexité des situations et flatter les clichés les plus éculés ; c'est même une des lois « éthiques » de la politique bourgeoise. Dans les répétitions lassantes et les phrases d'un kilomètre il suinte un Victor Loupan bis1, de la haine de petit bourgeois aigri. Il n'y a non seulement aucune réflexion politique sensée sur la question de la perspective de la « transformation socialiste » de la société (expression de Rosa) mais une accumulation de citations de divers défroqués du bolchevisme allemand, lesquels ont servi de critère de pensée à toute une génération de bobos ultra-gauches dans l'après 68. Il ne part pas de la réussite de la révolution, du point de vue des heureux millions de spectateurs exploités de l'époque, pour éventuellement comprendre l'échec de la révolution (au niveau international, face aux coalitions impérialistes, etc.) mais passe son temps à pointer du doigt les « péchés » bolcheviques et à nous faire lanterner avec le miracle attendu de la « spontanéité prolétarienne », avec la bénédiction des Saint Rubel2, Rühle le grand négateur du parti3, Mattick4, Ciliga, Korsch5, Souyri6, les moines de l'Ecole de Francfort et les bobos surréalistes qu'il se vante d'avoir cotoyé. Pas tellement plus jeune que le dinosaure Henri Simon, Janover est plus démagogue, bien que l'un surfe aux niveaux trade-unionistes et zadistes et le suivant dans un petit milieu de libraires, voici en résumé « l'escroquerie » bolchevique :
« Ainsi, c'est au nom du « socialisme » que les intellectuels se sont emparé de toutes les formes de luttes du passé, de toutes les aspirations à l'émancipation humaine pour les transformer en leur contraire et façonner le vocabulaire au gré des besoins du Parti-Etat » (p28).
Machiavélique mon cher Watson ! Prions pour « l'éthique impersonnelle du mouvement ouvrier » !

De tradition historique pour le passage du témoin de la révolution (outre Janover soi-même derrière son bureau) il ne reste plus que « les milieux libertaires et les courants du socialisme de conseils, en dépit de la pression exercée sous toutes ses formes par l'appareil idéologique du Parti ». C'est en gros ce qu'il va radoter pendant cette soixantaine de pages, c'est à dire à la manière des trotskistes disparus et des staliniens agonisants : on est seul au monde ! Vous imaginez Rubel sur papier bible Gallimard remplaçant le Manifeste de 1848 parmi nos ouvriers modernes, peu ouvriers d'ailleurs dans leur tête ? Sauf que trotskistes et staliniens, eux, ont réinvesti dans de nouvelles formes genre NPA et FdG, tandis que les milieux libertaires sont toujours aussi miteux, on en croise en librairie ou chez les blacks blocs, et les courants du socialisme de conseils qui étaient déjà venteux en 1968 ne sont plus que des fumerolles soigneusement contenues à l'Institut d'histoire sociale par les successeurs de Ken Rodenburg. Sauf que comme critiques de Rosa ou souteneurs de l'affreux parti « minoritaire », Janover ne trouve pas mieux que de nous coller encore Sève Lucien et Besancenot Olivier7

Au deux tiers de son brouet haineux, Janover se propose d'aller « à la racine du mythe bolchevik » et s'appuie sur un saint anarchiste Alexandre Berckman qui a certes dénoncé les bolcheviks mais qui a eu les honneurs de la presse américaine, on n'a jamais vu une contribution palpable de sa part sur la nécessité ou pas d'une transition du capitalisme au communisme, chez Janover non plus qui attend, comme Rosa en prison, du « brouillard de l'avenir » et du miracle prolétarien. Il accable la dernière lettre de mise en garde de Lénine (malade et diminué) des pires turpitudes jusqu'à l'invention du stalinisme ; curieusement par contre il n'a pas un mot pour développer, ce qui est central pourtant, sur le fait que la lettre ait été considérée comme dangereuse pour tout le parti, même Trotsky l'a tu. Cela signifie quoi ? Non pas que Lénine « machiavélisait » encore mais que, comme à diverses reprises tout au long de son combat il n'avait pas le dessus sur l'appareil comme sur l'Etat, qu'il n'était donc pas du tout ce petit dictateur qu'invente à longueur de phrase l'intello hors histoire.

Janover n'invente rien, il ne joue qu'au perroquet. Il emprunte même sans citer au rigorisme batave de Pannekoek en nous balançant d'emblée que Rosa c'est une « éthique », quant à ce Lénine, un immoral complet. J'ai lu tous les Janover et je l'ai toujours imaginé en curé, ou en psychologue ; Rosa est d'ailleurs son Freud : « Rosa répond toujours à nos interrogations et à nos angoisses » tandis que le bolchevisme... c'est l'entrée dans l'industrie moderne ! La perspective post-capitaliste est donc, on l'a compris, une morale. Le pasteur Janover va passer ses quelques pages superficielles à faire la morale anti-parti à tous les quelques profs et étudiants qui le lisent. Cependant, c'est le projet en lui-même qui capote dès l'abord, pas pour les ignares et les naïfs d'accord. Le projet était de démolir Lénine en se servant de Rosa Luxemburg et de ses critiques aux différentes époques. Or il n'y a aucune méthode chez Janover autre que le dénigrement systématique, voire névrotique avec des phrases d'une demi-page, typiques de la façon de s'exprimer des pervers narcissiques ou du narcissique de base8, qui prétendent tout dire, sans discussion, mais toujours la même chose, le même dénigrement. Ce sont ainsi des dizaines de phrases à rallonge qu'on subit chez ce monsieur qui se pique d'avoir fréquenté le beau monde du surréalisme. De la belle phrase en veux-tu en voilà, il y en a un paquet mais à force d'utiliser cette vieille ficelle elles en deviennent bêtes et incompréhensibles.
ABSENCE TOTALE DE METHODE donc, car s'appuyer sur les critiques de Rosa eût nécessité de respecter la chronologie historique et au moins de resituer les critiques dans les circonstances même. Or Rosa est citée à tort et à travers, hors contexte et même, super mensonges, affublée à d'autres contextes ! Il eût été au moins honnête de suivre le raisonnement de Rosa dans la compil de ses notes « La révolution russe » pas à pas pour montrer ce qu'il voulait montrer, en tout cas pour constamment dénigrer ce qu'il a dénigré sans fondements autres que moraux et même infrapolitiques. Mais voilà, s'il ne l'a point fait c'est parce qu'il se serait ridiculisé. La fameuse brochure controversée (et qui gêne tout le monde en fait) n'est pas du tout « antiblochevique »9. Je vais le démontrer très facilement par après.

OU IL PREDOMINE DES CRITIQUES FRATERNELLES DE LA PART DE ROSA

Prenons sur le site « Matière et Révolution », qui irrite les bonzes de LO – où sont rassemblées les appréciations de Rosa sur l'ensemble de la révolution - une poignée des premières remarques de Rosa, alors que le black out de la presse est total, et voyons comment elle raisonne avec son « éthique de classe » :

« Certes, les ouvriers russes n’ont pas d’organisations, pas d’associations électorales, presque pas de syndicats, pas de presse. Mais ils disposent d’atouts décisifs pour leur pouvoir et leur influence : une combativité toute neuve, une volonté arrêtée et un esprit de sacrifice sans bornes pour les idéaux du socialisme ; ils disposent de ces qualités sans lesquelles le plus bel appareil organisationnel n’est qu’un vain bric-à-brac, un boulet au pied de la masse prolétarienne. Certes, sans organisation, la classe ouvrière ne peut conserver longtemps toutes ses facultés d’action. Voilà pourquoi nous sommes prêts à affirmer qu’en ce moment même, à Pétersbourg, à Moscou, dans toute la Russie, les ouvriers ont fébrilement entrepris de se créer une organisation, des associations politiques, des syndicats, des instituts culturels, tout l’appareil. Comme il y a dix ans, le premier acte du prolétariat révolutionnaire russe sera de combler le plus rapidement possible les lacunes dans l’organisation. Et cette organisation, née du combat et trempée à ce feu constituera certainement une authentique cuirasse pour sa puissance et non pas le carcan de son impuissance ».

Elle n'a encore aucune idée de la place centrale occupée par le parti bolchevique. Janover nous noie sous les citations très très « démocratiques », voire nunuches de Rosa, sans les resituer dans leur contexte, mais il évite les plus mises en avant par Rosa comme cette suivante :


« Le Parti de Lénine fut ainsi le seul en Russie qui comprit les vrais intérêts de la Révolution dans cette première période, il en fut l'élément propulseur, étant en ce sens le seul parti qui fît une politique réellement socialiste ».(...) Le Parti de Lénine est le seul qui ait compris la loi et le devoir d'un parti vraiment révolutionnaire ».
Elle salue que « Lénine et ses camarades aient lancé « tout le pouvoir au prolétariat et aux paysans », donc pas aux soviets pas encore affirmés. Elle en rajoute, quitte à Indigner Bourrinet, Philippe le certifié, Henri Simon et Janover réunis :
« Ce qu'un parti peut, à une heure historique, fournir de courage, de force d'action, de coup d'oeil révolutionnaire et de logique, les Lénine, Trotsky et leurs camarades l'ont donné largement. Tout l'honneur révolutionnaire et la capacité d'action qui a manqué à la démocratie socialiste en Occident s'est trouvé chez les bolcheviks. Leur insurrection d'octobre n'a pas sauvé effectivement la Révolution russe, elle a aussi sauvé l'honneur du socialisme international ». Elle ose même insinuer que Janover est un vrai con de radoter sur le machiavélisme de Lénine :
« Ce serait une mauvaise plaisanterie d'exiger ou d'attendre de Lénine et consorts10 (d'en passer) à attaquer un des plus difficiles problèmes, et nous pouvons dire avec assurance le problème le plus difficile, de la transformation socialiste ».

Dans cette compil de notes prises dans l'enfer de la prison et de l'angoisse sur son devenir, la grande révolutionnaire marxiste, au contraire de Janover, ne raisonne pas en idéaliste ni en vieille toupie utopiste. Elle ne se focalise pas sur Lénine, c'est, selon les traductions « Lénine et ses camarades », dans le courant lefeuvrien, les aimables éditions hétéroclites Spartacus, on a déjà maquillé par « Lénine et consorts ». On trouve38 occurrences pour Lénine, et la plupart des appréciations ne sont pas insultantes. A mon point de vue, il y à boire et à manger, beaucoup de contradictions et d'idées ébauchées. Rosa est irréaliste sur la gestion gouvernementale transitoire, rigide et irréfléchie sur les concessions inévitables aux paysans ; sur la guerre révolutionnaire, elle reste sur des position opportunistes et dépassées des anarchistes ; on peut même penser qu'elle est une sociale-démocrate bon teint avec des phrases genre humanitaire qui ont été récupérées par toutes les fractions bourgeoises et « Révolution démocratique ». 

Elle parle de vie politique « de la nation » ! Comme héritage d'une réflexion sur le communisme mondial, y a mieux. Elle offre de belles envolées lyriques, mais se contente de singer Marx en disant que la réalisation du socialisme réside dans le brouillard de l'avenir. On ne peut pas lui donner raison lorsqu'elle accuse Lénine d'avoir une conception simpliste de l'Etat, de simplement le renverser sur la tête pour le faire équivaloir à celui des bourgeois. Certes mais paradoxalement c'est elle qui dit par ailleurs que le problème « pouvait être simplement posé en Russie et pas résolu » ! Or, Lénine, jusqu'à ce jour, si l'on excepte la Gauche germano-hollandaise, la GCF et le CCI, reste le seul à avoir fourni les questionnements les plus cruciaux sur la nature de l'Etat et les difficultés de son remplacement. Quand Janover cite l'image de la locomotive par Lénine il charge celui-ci ad hominem, mais se garde de rappeler la phrase gênante pour un brave conseilliste utopique : « la machine nous échappe des mains » ; et c'est même Rosa qui rend hommage à ce Lénine théoricien, mais bientôt emprisonné par cet Etat qui le conduit à se retourner contre le prolétariat, notamment contre les grèves du début à Pétrograd, puis malheureusement à la tragédie de Kronstadt ; elle note bien (avce son éthique de classe) que Lénine a en permanence le souci des risques de corruption que génère tout Etat, même « prolétarien » ; c'est même Lénine qui, le premier, avouera que « non nous n'avons pas un Etat prolétarien, même pas un demi-Etat mais un Etat qui relève du capitalisme d'Etat" ! Il faut savoir qu'une partie des bolcheviques ont toujours considéré quand même la révolution de 1917 comme bourgeoise ! Ils n'avaient pas la plupart reçu une formation marxiste pour rien, et n'avaient pas attendu la spontanéité des grèves miraculeuses, qui se produisent archi rarement.

Dans ses notes un peu décousues, elle manifeste toujours respect et égard pour Lénine, c'est le jeune Trotsky de 1905 qui l'avait appelé Maximilien ; elle a « noté » le positif, que les masses devront évoluer (pour la pasteur et pesteur Janover les masses sont des saintes) :« dépasser les instincts égoïstes et les remplacer par les instincts sociaux » ; elle l'approuve mais lui reproche d'user d'inspecteurs d'usine, de décrets de terreur « c'est justement la terreur qui démoralise », et de provoquer un « étouffement de la vie politique ». Mais on sent qu'elle hésite, qu'elle n'est pas convaincue elle-même par sa critique ; ce sont des notes en effet, et quand on connaît le haut niveau intellectuel de Rosa, on peut imaginer qu'elle pouvait revoir ou amender ou biffer son texte, d'ailleurs on ne sait pas trop ce qui a été sauvé du manuscrit. Elle développe une argumentation spécieuse et qui, prise comme telle, n'est autre que celle de n'importe quel bourgeois radical : « on ne peut pas opposer dictature et démocratie, ce qui revient à raisonner comme Kautsky » ; mais elle ne développe pas cette remarque fort ambiguë dans la « guerre des classes », surtout quand peu de temps après c'est la démocratie allemande qui l'assassine ! « La liberté est la liberté de celui qui pense autrement »... et qui vous égorge ou vous fusille !? La phrase bizarre a fait le tour du monde et a fait dire à Hannah Arendt que Rosa n'était au fond pas vraiment marxiste.
Ces notes semblent avoir été jetées à la va vite, mais se contredisent entre elles. Elle en conclut « comprendre » : carence du prolétariat allemand et occupation de la Russie par l'impérialisme allemandes ». Rien à voir avec tous ces faux derches qui accusent Lénine et le parti de machiavélisme sournois, et assurent qu'à tout bout de champ Lénine fût accusé par Sainte Rosa d' « esprit de caserne »11.

Avec ce raisonnement d'autruche des petits messieurs pervers, voilà comment le Janover se contente de nous « prouver » que cette révolution était bourgeoisie et ce Lénine un vrai salaud :
« Paradoxalement, ce sont les « défauts » du Parti dénoncés par Rosa Luxemburg qui ont permis à Lénine de s'emparer du pouvoir et de mener à son terme la révolution qui devait nécessairement aboutir à l'industrialisation, donc à la suprématie d'une classe managériale, à la suite de quoi le Parti a dû s'adapter au sol historique pour y enraciner ses organes directeurs et en éliminer les soviets » (p61).
C'est invraisemblable, le parti stalinien n'est plus le parti de Lénine et cette théorie d'une certaine ultra-gauche encore existante – comme les courants d'air – qui nous théorise à la suite de Souyri ou Tartempion que le bolchevisme a servi à réaliser l'accumulation primitive est bien faite pour nous amuser12. Tous ces idiots apolitiques libertaires oublient une poutre : la guerre mondiale qui repart. L'accession au pouvoir des Hitler et Staline n'obéit pas à un accumulation primitive mais est la fois le parachèvement de la contre révolution et l'hallali qui va permettre au capitalisme de redémarrer en 194513.

Elle est certes très « démocrate » mais assez irréaliste concernant la dissolution de la Constituante (où les partis dominants voulaient poursuivre la guerre), quand par ailleurs elle reconnaît que les révolutions sont toujours le fait de minorités « volontaristes ». Le mot d'ordre prêté généralement dans la confusion et tous les amateurs d'histoire en goguette comme Janover et Consorts, n'a pas été généralement « tout le pouvoirs aux conseils » mais il a alterné avec « tout le pouvoir au prolétariat et aux paysans », et certainement aussi des divers « tout le pouvoir au peuple », etc.

Sur Brest Litovsk, malgré tout le respect qu'elle m'inspire, la position de Rosa est ridicule si on se fit aux âneries de Sabatier et de l'argumentation des anarchistes donneurs de leçon de « guerre révolutionnaire »14. Mais si l'on suit le brouillon disons, sa position est bien plus nuancée que celle que lui ont attribué les marxistes en peau de lapin et Sabatier ; en outre la fameuse saillie de l'accouplement de Hindenburg et de Lénine, que ce pauvre Janover utilise pour en faire l'explication sommaire de l'absence de contre révolution, mais une prescience de Rosa sur un Machiavel Lénine, c'est plutôt de l'ordre de la polémique amicale ; Lénine n'est jamais qualifié de bourgeois ni d'assassin :

« ...Mais outre ces arguments prétendument réalistes, il en est d’autres qu’il faut prendre en considération. Une alliance des bolchéviks avec l’impérialisme allemand porterait au socialisme international le coup moral le plus terrible qui pût encore lui être infligé. La Russie était le dernier refuge où le socialisme révolutionnaire, la pureté des principes, les idéaux avaient encore cours (sic) ; les éléments authentiquement socialistes en Allemagne et dans toute l’Europe portaient vers elle leurs regards afin de se guérir du dégoût que suscite la pratique du mouvement ouvrier d’Europe occidentale, afin de s’armer de courage pour persé­vérer et croire encore aux oeuvres idéales, aux paroles sacrées. Avec l’ « accouplement » grotesque de Lénine et de Hindenburg s’éteindrait à l’Est la source de lumière morale. Il est bien évident que les dirigeants allemands mettent le couteau sous la gorge du gouvernement soviétique et profitent de sa situation désespérée pour lui imposer cette alliance contre nature (Hé janover tu lis bien ou tu dors?). Mais nous espérons que Lénine et ses amis ne céderont à aucun prix, qu’ils seront catégoriques dans leur réponse à cette provocation : jusque-là et pas plus loin !
Une révolution socialiste assise sur les baïonnettes allemandes, une dictature proléta­rienne sous la juridiction protectrice de l’impérialisme allemand - voilà qui serait pour nous un spectacle d’une monstruosité inégalée. Et ce serait de surcroît purement et simplement de l’utopie. Sans compter que le prestige des bolcheviks dans leur propre pays, serait anéanti ; ils y perdraient toute liberté d’action, toute indépendance, même intérieure, et d’ici très peu de temps, ils disparaîtraient totalement de la scène. Même un enfant aurait discerné depuis longtemps que l’Allemagne n’est qu’hésitante mais guette l’occasion qui lui permettra, à l’aide des Milioukov, de quelconques hetmans et de Dieu sait quels sombres hommes d’honneur et de paille, de mettre un terme au pouvoir bolchevik, de contraindre Lénine et ses amis à étrangler ce pouvoir de leurs propres mains, après leur avoir fait jouer comme aux Ukrainiens, aux Loubinski et consorts le rôle du cheval de Troie ».

On le voit, la critique est ici à l'imparfait, pleine de suppositions qui n'ont pas pu devenir crédibles par la suite, d'abord parce que l'armée russe était en complète débandade et que cela aurait même pu pousser à encore plus de désertions massives des prolétaires et surtout de la masse paysanne. L'enfant chéri Boukharine pouvait continuer à délirer avec la conception obsolète de l'extension de la révolution au bout des baïonnettes. Heureusement Lénine et Trotsky ont été réalistes, mais dans l'ambiance échevelée du moment la décision d'arrêter les frais s'est faible à une faible majorité. Ce qui met à mal toute la théorie d'un Lénine hyper dictateur qui contrôlait tout, et qui n'avait aucune « morale » selon notre bon pasteur Janover15.
Je me marre des circonvolutions du pasteur Janover lorsqu'il est obligé d'user d'une ou deux citations trop gentilles à son goût pour les méchants bolcheviques, dont cette fameuse : « en Russie le problème ne pouvait être que posé, il ne pouvait pas être résolu en Russie. Et c'est en ce sens que l'avenir appartient partout au « bolchevisme ». Janover en reste bouche bée.
Il n'est pas sûr que c'était la conclusion en formulation définitive de cette série de notes rédigées en prison et peut-être trafiquées dans un sens ou un autre, mais dans le sens de sa démonstration c'est OK ; elle ne saluait pas le bolchevisme en soi et ses futurs errements étatiques à Kronstadt, mais cet état d'esprit de rupture résolue avec l'ordre ancien et de porte-voix du prolétariat qui avait animé jusque là le bolchevisme, et de nécessité d'un parti politique.

Janover exprime surtout la crise du dogmatisme conseilliste et ses sophismes anti-parti. Il répète dix fois, cent fois les mêmes litanies contre la révolution russe de ces milieux limités de l'anarchie sans principe et des bobos de l'ultra-gauche, sa clientèle. On arrive au bout de notre calvaire et aux bonnes formules finales qui ne sont que resucées des auteurs de bibliothèque qu'il n'a fait que citer, incapable d'analyser au plan politique. On a compris que c'est Lénine qui nous lègue le mensonge déconcertant (coucou Ciliga et coucou Staline!)16.
Mais les affirmations ultimes de Janover nous déconcertent davantage :
« Et les révolutions commencent toujours par cette prise de parole et finissent toujours par un bâillon ». C'est un auteur du livre noir du communisme qui a dit ça ? N'est-ce pas ?

J'ai gardé le meilleur pour la fin effective de Janover, il est Janus, il est Jupiter plus que Macron :

« … les pourfendeurs de toutes les formes concrètes « de la vie humaine aliénée » sont eux-mêmes amenés, en l'absence d'une classe révolutionnaire (sic), à mettre en œuvre le système qui a renouvelé le mode de réification des idées et des échanges. Ce sont eux qui sont appelés par leur culture à intégrer la subversion au mode de production afin de produire « du nouveau » et de répondre à la demande que formulent les critiques en vue d'éradiquer les expressions périmées, dépassées de ce spectacle ».

On ne sait en soi pas non plus de qui il parle, de lui et de ses consorts libraires ou des salauds de bolcheviques, mais peu importe les dernières pages c'est une bouillie complète, du bla-bla dont est capable n'importe quel anar. S'il nous a écrit quelques bons livres, il reste qu'il mérite le sort d'Anatole France.


En vérité c'est ce petit littérateur qui nous a livré ce spectacle ridicule, bien que plaisant pour tout libertaire ignorant ou peu regardant, d'une invraisemblable opposition "éthique" entre Lénine et Rosa. C'est cette absence de méthode qui permet d'oublier que ces deux têtes ont été à l'unisson, sans se concerter, dans leur dénonciation de la guerre, qui ne tient pas compte de l'avis qui aurait pu être celui de Rosa, si elle n'avait pas été assassinée, devant l'évolution et les difficultés de la révolution en Russie. Nul doute qu'elle n'aurait pas raisonné comme ce vieux machin français de l'extérieur ou en donneuse de leçon d' "éthique". Il est donc doublement ridicule d'opposer Rosa à Lénine.
Rosa ne prétendait pas léguer une science infuse. Lénine n'avait pas intitulé sa lettre de mise en garde "testament", c'est une invention des exégètes.  Lénine et Rosa nous ont laissé en héritage des textes et des travaux inoubliables. Rosa peut sembler plus romantique du fait qu'elle ne s'est pas trouvée au cœur du chaudron ni dans la suite de l'histoire, quand Lénine a été amené, quelles qu'aient été ses erreurs, à poser concrètement la question de la réalisation du communisme comme ni Marx ni Rosa n'ont été en situation de le poser. A tous deux il revient le mérite d'avoir actualisé le marxisme, de s'en être servir comme méthode de combat, d'avoir montré par leurs polémiques qu'il n'est pas monolithique et que l'avenir appartient partout… au marxisme.



NOTES
1Sinistre réac poutinien dont j'ai déconstruit dans ce blog le bouquin haineux sur la révolution en Russie.
2Rubel a produit un bon travail académique chez Gallimard avec d'autres de la GCF comme Evrad et Suzanne Voute la fondatrice du parti bordiguiste en France, mais ce travail ne valide pas sa théorie d'un Marx anarchiste. Nous avions regardé Rubel lors de son passage à la télévision avec Marc Chiric qui avait milité avec lui après guerre et nous avions été déçu de son incapacité à remettre en place les aboyeurs staliniens sur le plateau. Le conseillisme c'est ça, on conseille dans les coins mais c'est mou, aucune force comme celle (désolé) de l'esprit de parti !
3Il lui reste l'honneur d'avoir voté contre les crédits de guerre avec Liebknecht, mais il fait partie de ces brillants et courageux éléments qui n'ont pas su se relier à un travail de fraction, et qui ont théorisé dans leur coin... le renoncement au nom de la conception fumeuse de la spontanéité des masses coupée de toutes minorités plus aguerries au combat politique. C'est chez ces gens-là et chez l'apôtre Janover, comme l'explication de la génération spontanée avant l'arrivée de Pasteur.
4Mattick est devenu la grande référence des libertaires mais il n'aura été qu'un Henri Simon à l'américaine, noyé dans la « contre-culture » et inaudible pour le prolétariat en général.
5Comme Rühle, Korsch force l'admiration pour son rôle dans la vague révolutionnaire mais, comme nombre d'intellectuels de haut niveau il finit prof et écrivain, et ses écrits de style philosophique, servent plutôt aux étudiants bourgeois à réfléchir à l'impossibilité de la révolution avec un parti. En jetant le bébé avec l'eau du bain, tous ces défroqués de l'iNTERNATIONALE sont récupérés par le système comme profs et maîtres à penser des bobos salonards.
6J'ai connu Pierre Souyri au tout débuts des années 1970 et je lui ai demandé conseil une paire de fois. Il fût un jeune commandant de la résistance dans la région sud puis rejoignit S ou B. Il s'est hélas suicidé. Il a publié deux ou trois ouvrages intéressants, mais il est cité à tour de bras par Janover seulement lorsqu'il s'agit de qualifier la révolution russe de bourgeoise. Souyri était plus subtil.
7Rien donc sur le mouvement maximaliste qui s'étend du PCI au CCI. ET subterfuge car Besancenot ne défens pas du tout la tradition maximaliste communiste. Il peut saluer la révolution bolchevique comme n'étant pas un coup d'Eta, comme moi, mais c'est la suite où il est hors classe et hors marxisme, avec son courant néo-guévariste et maintenant islamophile. J'ai démonté son dernier opus (cf. Le catéchisme de Besancenot). Un Macron peut tout aussi bien dire la révolution n'était pas un coup d'Etat, mais je suis président des français et c'est pas mon problème aujourd'hui.
8Elles fourmillent, mais je vous en ressert une : « Cette double référence détruit la pensée de l'émancipation en la disposant dans un champ de réflexion qui la fait dépendre de son contraire : se réclamer de la pensée et de l'action de ceux qui ont été aux racines de l'exploitation et de la domination pour démontrer qu'ils étaient en même temps les initiateurs de la révolution prolétarienne ». Vous avez compris ? Moi pas. Janover est coutumier des phrases tordues. IL y a quelques années avec son compère Lastelle, comme deux fous ambulants, ils ont été au salon de l'auto ou des gensdelettres distribuer chacun leur tract ésotérique et sotériologique. L'un se prenant pour Napoléon et l'autre pour Aragon.
9C'est Paul Lévi qui a réuni ces notes post mortem ; cet ancien chef du parti allemand n'était pas des plus clairs. Il a existé une polémique dans l'Internationale où certains affirmaient que la brochure avait été truquée ou caviardée. Ce fût l'objet de mon débat avec Calude Bitot au début des années 1990 (cf. lisible sur mon autre blog : Archives maximalistes)
10Traduction de la revue libertaire Masses après guerre, puis c'est devenu Lénine et ses amis et pour d'autres Lénine et ses camarades. « Consorts » ça fait bande de coquins, ne trouvez-vous pas ?
11En page 59, Janover se permet un jugement de valeur méprisant : « Peut-être faut-il dire que la révolution est restée en deçà de ce qu'en attendait Rosa Luxemburg ? ». C'est fielleux, et une esquive de littérateur. En fait Rosa ne charge pas Lénine, hélas mon pauvre, ni de déblatère à la trotskiste ou bordiguiste sur l'absence de parti, mais pointe la carence des masses, carence que nous pouvons aussi expliquer par l'arrêt de la guerre mondiale... Rosa n'est pas blanche concernant sa vision des prolétaires, elle était hautaine avec les « militants de la base » nous dit un de ses biographes (Nettl je crois). ET ce qu'en cite Janover n'est pas reluisant non plus (p.61). Elle avait parfois son côté ouvriériste avec certaines expressions nunuches telles que le « poing viril du prolétaire » ou féminines (les « griffes » reviennent souvent pour figurer la bataille).
12Dans le jargon Janovérien cela donne ceci : « Le Parti communiste réalise sous le signe du marxisme tout ce qui chez Marx relevait de l'accumulation primitive du capital et la dernière intervention de Lénine porte les stigmates d'une structure archaïque qui ramène toute la problématique à des questions de politique dominée par le choix du dirigeant. Le culte de la personnalité cherche encore la personnalité qui doit occuper le trône laissé vacant. C'est la quintessence de la révolution que contiennent les écrits qui ont été appelés « Le Testament de Lénine ».
13C'est assez consternant de voir que Janover imagine la fin de la contre révolution, qu'il n'a même pas analysée politiquement et géopolitiquement en Hongrie en 1956 ! Révolution en Hongrie ou émeutes anti-staliniennes ? Il est dans le bla-bla ignare sur Thermidor, dont Bordiga a contesté l'interprétation trotskiste.
14J'ai dû publier un livre, qui m'a coûté fort cher et que tout le monde a voulu ignorer – Le mythe de la guerre révolutionnaire. Le silence a été mon salaire comme dans le cas de Philippe Riviale qui avait été très novateur sur ce sujet mais ignorant que dès 1921 dans Il Soviet la Gauche italienne se moquait déjà de ce concept anarchiste. Riviale a aussi publié des travaux très percutants sur le mythe entretenu de la Commune ; il a été couvert d'insultes, et bien que je l'ai contacté, il reste dans son coin, aigri.
15Un petit livre est sorti récemment qui démontre tout le long le merdier qu'a été la révolution et où Lénine était sans cesse mis en minorité, devait batailler ferme, etc. Oui cette situation a complètement disparu avec la contre révolution. Staline lui s'est arrangé pour être toujours en majorité. Mais comme n'importe quel trotskien défroqué ou le Victor Loupan, ou Raymond Aron et tutti quanti ce pauvre Jaover a décidé : Lénine = Staline. Que dieu le bénisse, mais moi je n'irai pas fleurir sa tombe de coryphée de l'anarcho-conseillisme.
16Le PN se trahissent toujours à un moment donné, et Janover détruit lui-même sa compil de citations de tant d'intellos floués, paumés mais devenus doctes profs ou sociologues, il nous balance ceci de Marx : Dans les programmes du parti, il faut avant tout affirmer la dépendance directe de tel ou tel auteur et de tel livre », ce à quoi il a fait dépendre ton son bla-bla anti-parti tout le long !

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