PAGES PROLETARIENNES

dimanche 27 mai 2018

JOHNNY HALLYDAY EST-IL RESPONSABLE DE MAI 68 ?



Réunion publique du CCI sur les étranges célébrations et commémorations des 50 ans du mai 68

« Rester jeune est devenu l'ambition du croulant ».
Edgar Morin (le penseur kleenex de 1963)
« Morin ce versaillais de la culture » Guy Debord
« Nous attendons les décisions des Etats-majors syndicaux et leur calendrier »
Philippe suiviste Poutou (sur BFM l'après-midi de la manif à marée basse).

Les militants du CCI venus de province avaient retardé le début de leur réunion publique car ils avaient été vendre leur journal à la vague mélenchonienne compartimentée. Ils nous certifièrent que BFM avait menti en ne montrant que des moments clairsemés de la manif parisienne, et qu'il y avait grand monde notamment des non-grévistes venus en solidarité. Mettons, manif pas terrible quand même avec la déclaration minable ci-dessus du Poutou de service, et un aspect carnaval étranger à la lutte de classe, compartimentée comme une suite de wagons, avec dans les wagons de tête en vedette apolitique la sœur d'Amada Traoré et l'exposition du nationalisme palestinien avec force fumigènes, et une suite de saucissons corporatifs cloisonnés et filant tous vers la simple dissolution du cortège et l'ardente contestation des chiffres sans que ni les cheminots ni les lycéens floués ne puissent faire autre chose qu'attendre la suite du calendrier des féodalités syndicales comme le leur enjoignit le serviteur de base Poutou. Un vieux sympathisant du CCI émit l'idée que la situation restait explosive et que cela pourrait déclencher une grosse confrontation sociale s'il y avait des morts. Exagéré à mon sens, vu l'étiolement du scénario de la syndicratie ; s'il y avait deux ou trois morts hélas, le gouvernement trouverait quand même moyen d'exprimer ses condoléances tout en inculpant ses propres flics.
L'exposé fût fidèle à la position historique du CCI depuis l'article de l'époque écrit par Marc Chirik – Comprendre Mai – comprendre mais pas désapprendre la signification majeure d'un réveil international de la classe ouvrière comme classe capable de paralyser la société bourgeoise et (peut-être) de faire la révolution. Exposé bien construit qui rappela que mai 68 n'eût rien à voir avec le cirque hédoniste, cette apologie démagogue de la jeunesse en soi et baratin sur un mouvement éveilleur du féminisme hystérique. Il fût noté surtout une qualité de l'exposant qui prenait le soin de lever la tête vers la salle et de tenir compte de ses réactions (cf. ma compagne) car, la fois précédente ce fût une torture, un type, la mine triste sans jamais un trait d'humour, nous lut un texte sans lever le nez une seule fois ni même après la fin de sa lecture ; dans ce cas là autant envoyer aux spectateurs le texte afin qu'ils le lisent eux-mêmes ! Et que la discussion commence impromptu.
Mai 68 peut donner lieu à mille interprétations, diverses, incongrues, falsifiées, etc. On ne peut se contenter de le comprendre comme un produit du début de la crise économique du capitalisme à la fin de sa période de reconstruction et comme expression du réveil international du prolétariat. C'est ce que je me proposai initialement de démontrer, en ménageant mes effets provocateurs. Je dis d'abord qu'il y avait deux responsables à la « surprise » mai 68 : Johnny Hallyday et Georges Marchais. Cela provoqua évidemment le rire de la salle. J'expliquais donc qu'on ne pouvait simplement observer l'année 1968 mais les années 1960 en général, et le cas particulier de la France. Qu'en juin 1963 un concert place de la nation de yéyés avec Johnny Hallyday en vedette américanophile rassemble près de 200.000 jeunes et que le concert finisse en confrontations avec la police, confirme partiellement ce que disait Morin et d'autres concernant ce qui allait devenir la théorie du « soulèvement de la jeunesse » ; mais que cette jeunesse (venue des banlieues de l'époque et plutôt ouvrière) ait cassé du flic un an après la fin de la guerre d'Algérie était à réfléchir1. La période de la guerre coloniale signifiait bien qu'on était encore en pleine contre révolution : prolétariat embrigadé et milliers de jeunes gens envoyés se faire tuer par milliers là-bas « chez les indigènes ». La lutte contre cette guerre était restée minoritaire mais avait quand même provoqué des failles dans les mastodontes staliniens dégageant déjà des bâtards gauchistes. En 1961 la population ouvrière française n'avait pas réagi face à l'assassinat des dizaines d'algériens en plein Paris par la police de Papon, alors qu'au début mai 68 le tabassage de passants lambdas par les CRS fût une des causes de l'émotion populaire et ouvrière contre le régime en effet autoritaire et usé.
Plusieurs camarades insisteront dans la discussion sur nombre d'événements précurseurs autrement plus sérieux que le concert d'Hallyday, grèves en France, en Belgique (1961-1963, émeutes à Caen début 68, etc.), et sur les prémices de nombre de luttes ouvrières bien antérieures à la révolte étudiante, où, question de focale journalistique et étatique, la fixation sur le microcosme barricadier et folklorique du quartier latin laissa au second plan la « grève généralisée » en une paire de jours. La guerre du Vietnam était également en toile de fond et ne fut pas en soi qu'une affaire d'étudiants, mais les diverses guerres de "libération nationale" furent le cadet des soucis de la plupart des grévistes et manifestants.
LA FAUTE A MARCHAIS
Le second personnage à avoir, mais lui vraiment, attisé l'incendie, est sans conteste le bizarre et longtemps secrétaire-adjoint du PCF Georges Marchais, laissant dans l'ombre un premier secrétaire pâlot probablement mis de côté face à la gravité des événements. Ce que je veux illustrer c'est le fait que mai 68 est, plus que la dramatique répression de 1956 en Hongrie, le début de l'effondrement du stalinisme, insistance qui ne se trouvait pas dans l'exposé de cette réunion. Or, ce qui est frappant c'est que l'épisode Marchais est absent de toutes les commémorations ; sur les plateaux TV on invite Le Hyaric réac chef de l'Huma tenue à bout de bras par un grand groupe capitaliste, la paire Roger Sylvain et Michel Certano, deux bonzes CGT de Billancourt qui étaient à la tête des bandes de cogneurs CGT qui venaient frapper les vendeurs de journaux gauchistes et même nous les maximalistes. Le vieux caïd de la LCR Krivine ne cesse de mener des conférences souvenirs en compagnie des bons anciens amis de Marchais, alors que durant dix ans après 68, les cortèges gauchistes criaient : « oui Marchais, mieux qu'en 68 » et que Cohn-Bendit avait déclaré que c'était « une ordure ».
C'est donc Marchais que jette de l'huile sur le feu dès le 3 mai en Une du journal stalinien L'Humanité, titré : « De faux révolutionnaires à démasquer ». Je reproduis ici la citation que je n'ai pas lu évidemment lors de la réunion publique, mais cette énorme bévue politique de la part du principal caïd stalinien mis au premier plan par Moscou nous fît rire par milliers et cela à jamais l'avenir de ce parti bourgeois (je pense qu'on devrait l'enseigner à Sciences-Po pour apprendre à comprendre que la bêtise en politique n'est pas faite que de mensonges et peut comporter des vérités mais qu'il faut savoir qui va les dire et quand :
« Comme toujours lorsque progresse l’union des forces ouvrières et démocratiques, les groupuscules gauchistes s’agitent dans tous les milieux. Ils sont particulièrement actifs parmi les étudiants; à l’Université de Nanterre, par exemple, on trouve; les ‘maoïstes’, les ‘Jeunesses communistes révolutionnaires’ qui groupent une partie des trotskistes; le ‘Comité de liaison des étudiants révolutionnaires’ lui aussi à majorité trotskiste; les anarchistes; divers autres groupes plus ou moins folkloriques. Malgré leurs contradictions, ces groupuscules - quelque centaines d’étudiants- se sont unifiés dans ce qu’ils appellent ‘Le Mouvement de 22 Mars : Nanterre’ dirigé par l’anarchiste allemand Cohn-Bendit2. Non satisfait de l’agitation qu’ils mènent dans les milieux étudiants - agitation qui va à l’encontre des intérêts de la masse des étudiants et favorise les provocations fascistes - voilà que ces pseudo-révolutionnaires émettent maintenant la prétention de donner des leçons au mouvement ouvrier. De plus en plus on les trouve aux portes des entreprises ou dans les centres de travailleurs immigrés distribuant tracts et autre matériel de propagande. . Ces faux révolutionnaires doivent être énergiquement démasqués car, objectivement, ils servent les intérêts du pouvoir gaulliste et des grands monopoles capitalistes. Un des maîtres à penser des gauchistes est le philosophes allemand Herbert Marcuse qui vit aux Etats-Unis. Ses thèses peuvent être résumées de la façon suivante: les partis communistes ‘ ont fait faillite’, la bourgeoisie a ‘intégré la classe ouvrière qui n’est plus révolutionnaire’, la jeunesse surtout dans les universités ‘ est une force neuve, pleine de possibilité révolutionnaire’ elle doit s’organiser ‘pour la lutte violente’ ».
Le texte comporte des vérités indéniables sans les caractériser vraiment qui concernent la petite bourgeoisie estudiantine et le premier fabricant du « modernisme » négateur des classes sociales, mais la maladresse de Marchais tient à ce qu'il n'a pas vu venir la nature du mouvement, qu'il a bien compris que l'appareil stalinien était débordé avec son syndicat CGT, et qu'il veut punir et éteindre surtout de possibles rivaux. Peu d'historiens se sont penchés sur la crise au sein de l'appareil suite à cette prise de position qui ridiculise le PCF aux yeux de la plupart des lycéens et étudiants mais aussi des ouvriers déjà en partie très éloignés du « vote stalinien » (le PS surfera sur l'après-68 pour le plumer). Un redressement s'impose pour corriger la bévue « ouvriériste » de Marchais (le PCF est le premier inventeur des réunions "non-mixtes" ouvriers/intellectuels), et, paradoxe, c'est le plus stalinien des staliniens, le principal agent de Moscou, le principal polémiste « anti-trotskyste », Léo Figuères, maire de Malakoff, à qui échoit la correction un mois et demi plus tard quand même, à la mi-juin. Le titre est sobre : « A propos des événements de ce mois de mai ». Le PCF n'a pas pu s'opposer de front au mouvement de contestation de tout l'appareil politique ni faire cesser rapidement les grèves. La correction de Marchais intervient cependant alors que le mouvement des grèves a reflué. On ne retrouve plus les qualificatifs de gauchistes, de trotskistes ni d'anarchistes allemands (cf. A chacun son boche), ni de fils à papa étudiants. Le texte invente certes un complot des trois leaders étudiants, qui en réalité n'organisent rien du tout et Cohn-Bendit encore moins puisqu'il a été refoulé en Allemagne. On est déjà en campagne électorale parlementaire. Il s'agit surtout de dénoncer le gaullisme, le Sac et l'extrême droite. C'est le pouvoir gaulliste qui a « provoqué » ce « mois de mai » inqualifiable :
« A la vérité, le malheur pour la réalisation du dessein gaulliste de mai 1968, c'est que ni le parti communiste ni la C.G.T. Ne lui ont donné l'occasion qu'il recherchait depuis longtemps, d'isoler la classe ouvrière et de la frapper de façon décisive. Le puissant mouvement populaire en faveur des revendications ouvrières et de la démocratie n'a pu être dévié de ses buts, malgré les provocations de toute nature (sic) envers lesquelles le pouvoir a fait preuve de la plus large complaisance.
Le régime encore en place a subi ces temps derniers des coups dont il ne se relèvera pas à terme. IL a vu se dresser contre lui l'ensemble des forces vives de la nation et au premier rang la classe ouvrière et le monde universitaire (re-sic) et intellectuel. Mais nous n'en avons jamais conclu comme d'autres, que la réaction française s'était évanouie, que l'Etat du grand capital s'était effondré et que De Gaulle n'était plus à même de faire appel au ban et de l'arrière ban des forces rétrogrades comme il le fait depuis le 30 mai. (…) Si les grandes grèves ouvrières qui se sont déroulées dans la discipline la plus totale et celles qui se poursuivent encore, ont eu le soutien populaire, les menées anarchistes, les violences préméditées des groupes organisés par Cohn-Bendit, Sauvageot et Geismar ont servi à alarmer une fraction de la population dans les campagnes et dans les villes. De Gaulle, à partir d'un moment, a voulu se servir de la situation ainsi créée et d'autre chose de plus sérieux qu'il espérait mais qui ne vint pas, pour jouer de nouveau à l'archange qui sauve le pays du désordre et de la subversion ».

Et dans cette succession de coquins staliniens il en reste un à qui va notre sympathie, la chèvre de Monsieur Pompidou, Georges Séguy qui déclare, hilare sur le perron présidentiel:"la grève généralisée? nous n'y sommes pour rien, nous n'avons pas appelé non plus à la grève générale".

PRIMAUTE DES ETUDIANTS OU DES OUVRIERS ?

Une partie de la discussion a été dédiée à la nature de la condition estudiantine. Le CCI a écrit dernièrement qu'en 1968 les étudiants étaient des petits bourgeois, donc que actuellement ils ne le seraient plus. J'ai contesté cette idée. La situation de l'étudiant est une situation « entre deux » où domine encore rêverie, espoirs, idéalisme. En 68 pour une part des étudiants on peut considérer que c'est une partie de la petite bourgeoisie qui tombe dans le prolétariat, quand l'autre partie reste résolument bourgeoise. Le fond de cette embellie de « la jeunesse » c'est aussi et surtout l'accession aux dites études supérieures d'une masse exponentielle de fils de prolétaires, qui, surtout en sociologie à Nanterre vont prendre conscience de l'inutilité de ces études, quand des milliers vont décrocher carrément à cause des événements de mai, croyant que la révolution, sans doute, toute proche, supprimerait les inégalités. La radicalisation estudiantine n'a rien à voir avec la radicalisation no future des bobos d'aujourd'hui qui nient toute classe d'appartenance. L'étudiant révolutionnaire de 68 a sans arrêt les mots classe ouvrière dans la bouche, même dans ses confusions politiques. Aujourd'hui on ne parle que de « masses populaires ». Il y a surtout le fait négligé tout au long de la discussion et que je rappelerai en fin de discussion : le mimétisme envers la révolution russe qui s'est emparé de tout le cirque gauchiste. En plein été on verra des miltants de la LCR ou d'autres sectes avec des chapkas, sans oublier les grands portraits mélangés de Guévara, Marx, Lénine et Mao. Une furia d'histoire et de connaissance sérieuse de l'histoire du mouvement ouvrier et du mouvement révolutionnaire s'empare de cette génération. 50 ans après 1917 on y fait référence, et nous 50 ans après 68 on a encore plutôt envie de faire référence à... 1917 mais sans chapka et sans posters ridicules. Le listage par plusieurs intervenants des grèves ou actions ouvrières au cours de cette fin des années 1960 montre que ce sont bien les ouvriers qui ont l'initiative plus que les étudiants et que leurs actions ont plus de portée contre l'ordre social et que ce sont ces luttes ouvrières, où le travail est mis en cause et la perspective d'une autre vie, qui sera l'encre où les sociologues tremperont leur plume et inventeront leurs idées.

MAI 68 UNE PARTICULARITE FRANCAISE ?

Mai 68 a tendance à être interprété comme un cas d'exception français. Le CCI s'inscrit depuis ses débuts en faux contre cette vision. Le mai 68 apparaît évidemment dans un cadre international en bouleversement. Dans la discussion a été ressortie une vieille idée abstraite du CCI, que la raison de l'apparition de cet événement surprenant serait dû au fait que la classe ouvrière n'avait pas été battue physiquement contrairement à celle en Allemagne ou en Italie. Le camarade Galar et moi nous sommes opposés à cette conception. En quoi la victoire du Front populaire (de préparation à la guerre) aurait-il été moins « physique » que les fascismes en Allemagne et en Italie ? En quoi la série 1848-1871-1968 ferait-elle du prolétariat en France le porteur d'une révolution renouvelable ? La Commune de Paris de 1871 n'est pas spécialement dans la mémoire de la plupart des ouvriers français, par contre elle inspire les ouvriers russes et les bolcheviks 50 ans plus tôt. J'ai esquissé plusieurs explications sur la situation des pays vainqueurs et vaincus. Les désordres sociaux apparaissent en général dans les pays vaincus. Les USA et la GB sont victorieux et enrichis, pas de problème de prolétariat. L'Allemagne et l'Italie ont été suffisamment humiliées par l'élimination de leurs dictatures propres ; l'armée américaine encadre longtemps la population allemande, en Italie la « défaite physique » est relative, dès 1969 c'est un 68 italien qui éclate qui aurait pu aussi bien avoir lieu sans le mai français. La France n'est ni pays vainqueur ni pays vaincu mais dirigée par un régime autocratique moins apte à faire face à une lutte de classe réveillée... où le pouvoir méprise les syndicats comme son principal opposant le PCF. Et je le répète la guerre d'Algérie a aussi épuisé l'économie et démasqué en partie les nationalistes staliniens...

D'autres questions seront évoquées, par un jeune élément membre du parti des insoumis, déplorant l'ignorance politique des jeunes en général, mais oubliant la sienne, et, malgré la dénonciation du syndicalisme pourri et exécuteur de 68 par la plupart des intervenants se demandait comment créer un syndicat dans sa boite. Un élément très âgé fît un certain nombre de remarques intéressantes sur l'importance primordiale, mais occultée, des actions ouvrières dans les années 1950 et 1960. Plusieurs fois on revint sur les comparaisons entre 36 et 683.
Un camarade proche du CCI insista sur les attaques contre le secteur tertiaire (transport, nationalisations, etc.) menées par l'Etat qui vont conduire en effet, comme je l'avais rappelé, à une classe ouvrière classique, sans réserve, sans crédit, sans bagnole, et où la violence sera malheureusement sera la seule réponse possible préalablement avant l'organisation d'assemblées, de comtés, de conseils où la réflexion de classe ne peut que s'épanouir sans avoir à obéir à des « Etats majors » syndicaux et politicards. L'affaiblissement de la classe ouvrière depuis deux ou trois décennies a aussi entraîné un affaiblissement des minorités révolutionnaires maximalistes comme je l'ai fait remarquer, et notamment la disparition du CCI en région parisienne4.

Enfin, car je ne peux évoquer toutes les questions posées, il faut relever celle de Galar : « 68 était-ce le début ou la fin de quelque chose ? ». Je ne développerai pas ici, mais la table de la réunion me laissa répondre et ne désapprouva pas : c'est la fin d'une aliénation de la classe aux idéologies de la contre révolution mais l'ouverture à des décennies d'expérience avec des hauts et des bas, où l'on n'a pas encore la réponse à la fin de l'histoire. Mais vaste débat qui se poursuit.
De même la force d'un mouvement dépend de revendications unificatrices, ce qui n'existe pas pour le bashing SNCF en ce moment ; en 17 c'est la paix et la journée de 8 heures ; en 68 les 40 heures et le salaire minimum.

Commencé par surprise mai 68 est bouclé par l'institutionnalisation du flicage syndical : un syndicat est nécessaire à partir de 50 ouvriers. La reconnaissance du pouvoir syndical dans l'entreprise a pour but de pacifier la lutte de classe comme en conviennent les managers eux-mêmes: "Nous passons lentement d'une culture de la séquestration, de la grève générale, à un syndicalisme de compromis, vers la recherche de l'accord" (Bernard Vivier, institut supérieur du travail).
Les 35% d'augmentation du SMIC sont rapidement bouffés par l'inflation contrairement aux vantardises des deux bonzes staliniens retraités de Renault et très âgés, preuve que les permanents ne se fatiguent pas trop. Les accords de Grenelle ne sont pas signés comme le remarquait (pour dédouaner les syndicrates?) un participant à la réunion, mais il n'y avait pas besoin de les signer les bonzes avait donné tout leur accord pour faire reprendre le travail avec ce contrat de dupes.


NOTES

1Au lendemain du concert où étaient présents 200.000 teenagers (bagarres avec la police, voitures renversées), Morin publie un article qui consacre le terme yéyé, génération yéyé classe d'âge ; il n'analyse aucunement les raisons soudaines de s'amuser et de contester l'ordre établi, au niveau d'abord du comportement vestimentaire et des goûts musicaux, comme une réponse à la misère des années 1950 et à la guerre coloniale enfin terminée et qui bridait la vie sociale. Cette « irruption de la jeunesse », surtout ouvrière d'ailleurs (le rock et le twist sont d'abord des danses « populaires ») dépasse les frontières, et n'obéit pas à des « déterminations nationales ou économiques particulières ». C'est un mensonge de dire qu'elle homogénéise les classes sociales avec des goûts musicaux communs. Les meilleurs chanteurs ou groupes de rock sont présentés comme des « working class heroes », dont beaucoup travaillaient en usine avant de jouer de la guitare. Des actualités d'époque montrent des parties de manifestations d'ouvriers assez ridicules avec la pencarte « Pompidou des sous » ; un mouvement d'ampleur comme celui de mai ne peut être réduit ni ridiculisé à cette focale « ouvriériste » d'ouvriers présumés tout juste capables de réclamer « de sous », c'est toute l'organisation du travail qui est mise en cause et donc une lutte pour une autre vie. Morin n'est qu'un pipole caméléon de toutes les époques, capable des compromis avec les pires crapules comme dernièrement avec Tariq Ramadan.

2Marchais n'a donc pas dit l'anarchiste « juif allemand », ce sont les gauchistes rieurs qui on aggravé son cas en ajoutant le mot juif, car du côté de l'extrême droite il était notoire qu'on râlait contre le fait que DCB était juif tout comme la plupart des dirigeants de la jeune LCR. On ne savait pas encore que Marchais était « tenu » par l'appareil pour sa collaboration au STO, chose que j'ai eu l'occasion de reprocher à sa première femme qui me répondit à l'époque : « mais monsieur nous n'avions pas de travail en France et nous avions faim » ; piètre argument, mon père aussi privé de travail, avait préféré rejoindre le maquis et aider les juifs persécutés.
3J'ai rappelé que le contrôle syndical et stalinien était bien moins fort en 68 qu'en 36, à preuve les nombreuses séquestrations de patrons qui n'auraient pas été possibles au temps du légalitaire « front popu », mais qui sont typiques pourtant d'oeillères anarco-syndicalistes, suivont Xavier Vigna qui étoffent les différences  dans son interview à l'Obs :
« L'innovation des grévistes par rapport à ceux de 36, c'est la séquestration fréquente de membres de leurs directions. Les ouvriers de Sud-Aviation à Nantes, la première usine française à être occupée, le 14 mai, décident aussitôt de retenir dans l'usine le directeur et cinq de ses collaborateurs, ceux-ci ne sortiront qu'au bout de quinze jours ! Dès le lendemain, lorsque les métallurgistes de l'usine Renault de Cléon débrayent à leur tour, ils recourent aux mêmes moyens d'action. La séquestration se diffuse et constitue, notamment dans l'agglomération rouennaise et l'Aisne, le corollaire de l'occupation dans les tout premiers jours du mouvement. Le 2 juin encore, au terme d'une poursuite en voiture, des syndicalistes de l'équipementier automobile Ducellier enlèvent quatre cadres pour les conduire dans des usines aux confins de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme et les obliger à négocier (…) Les occupations favorisent aussi une intense prise de parole et encourageant les revendications (…) Mais les cahiers de revendication, surtout s'ils sont rédigés à la faveur des occupations, traduisent une colère ouvrière et des aspirations bien plus vastes. Au-delà de l'âge du départ en retraite (quand ils partent à 65 ans, ils n'ont guère le temps d'en profiter) les ouvriers dénoncent les chronométrages, les cadences, les conditions de travail ou le système de salaire. Ailleurs, c'est la maîtrise et son rôle de garde-chiourme qui cristallise l'hostilité. De fait, les ouvriers ouvrent en 68 la boite de Pandore avec une dénonciation tantôt larvée, tantôt ouverte, à la fois de la brutalité des relations sociales et de l'usine rationalisée (…) la dimension politique de la contestation gagne les usines où l'on peut discuter non seulement de la stratégie gouvernementale ou des combines électorales mais aussi de la nationalisation des entreprises, de l'organisation politique même, voire d'une transformation de la Constitution et d'une refondation démocratique. Ce processus de politisation, aussi réel qu'inégal, est inséparable des circulations géographiques et sociales et des échanges politiques qui en découlent. En effet, les usines attirent les groupes d'étudiants désireux de connaître la condition ouvrière et de prolonger la contestation en un mouvement révolutionnaire. Ces rencontres et ces discussions, inaugurées dès le 14 mai au soir à Sud-Aviation, sont importantes en région parisienne et conduisent le 6 juin à Flins, où se trouve une usine Renault, à une sorte de jonction entre étudiants et ouvriers, contre l'intervention des forces de l'ordre. Inversement, des travailleurs, dans la jeune génération notamment, se rendent dans les universités pour porter témoignage des grèves, y prendre le pouls de la contestation et échapper ainsi à la tutelle des organisations syndicales, la CGT étant particulièrement opposée à ces rencontres entre étudiants et ouvriers.
Cette réflexion politique interroge d'ailleurs le principe même de la représentation syndicale. Les syndicats jouent un rôle déterminant dans les grèves : les délégués impulsent souvent le mouvement, organisent la grève et l'occupation, distribuent les rôles comme les bons d'essence. Cette mainmise syndicale s'explique parfois par une désertion des ouvriers : certains fuient l'usine parce qu'ils ne la supportent pas, même occupée, d'autres prennent des vacances ; les ouvriers -paysans profitent parfois de la grève pour travailler sur leurs exploitations. Mais quelques ouvriers reprochent aux syndicats de rester dans le cadre traditionnel – celui d'un mouvement revendicatif qui s'efface devant le politique – de trop canaliser la colère, laissant ainsi échapper une occasion révolutionnaire. Cette critique favorise la naissance d'organisations ouvrières non syndicales, comités d'action ou de base, qu'on retrouvera fréquemment par la suite ».

4RI/CCI reste un produit de 68, tout en étant la filiation d'Internationalisme de 1950, mais même si son influence comme courant politique est moindre que par exemple dans les années 1980, il reste
une référence. J'ai donné l'information suivante à la RP concernant l'abandon par Macron d'une célébration officielle du mai 68 (Cohn-Bendit a été lui choyé lui pour réaliser un film puant qui est passé à la télé). Cohn Bendit flic ! Initialement, Kristin Ross, historienne et enseignante américaine avait été contactée pour animer la fête officielle (source Nouvel Obs) ; or il faut savoir que son ouvrage « Mai 68 et ses vies ultérieures » reprenait ma thèse dans mon livre de 1988 (Mai 68 et la question de la révolution) qui n'est autre que la thèse de classe du CCI. Mais la dame a viré de bord elle s'est éprise d'amour pour les bourgeois bohèmes zadistes et a opposé une fin de non recevoir aux émissaires de Macron dont la question était : « L'éventuelle pénurie d'utopies qui en a peut-être résulté ». La question était vraiment putain, et ils n'ont pas osé non plus la poser au CCI actuel. Dont acte.

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