PAGES PROLETARIENNES

lundi 19 mars 2018

RIEN A FOUTRE DE VOS COMMEMORATIONS DE MAI 68


Un vieux embrasse un jeune.
« Je voyage, non pour connaître l'Italie, mais pour me faire plaisir ». Stendhal (soixantehuitard écrivain)
« Les feux d'artifice de Lamartine se sont transformés en fusées incendiaires de Cavaignac ». Marx (anti-romantique professionnel)
Gare ! On va nous en mettre plein les oreilles et les mirettes via la télé d'Etat (la 5) avec les crétins Cohn-Bendit et Goupil pour ossifier et ridiculiser un peu plus et toujours la signification de mai 68. Une armada d'anciens cons battus va défiler plus nombreux que ceux de 14-18. On va gazer le spectateur avec la poudre sociologique et l'auguste geste du lanceur de pavé, quand depuis le début de l'an 2018, c'est le cinquantenaire de la mystification syndicaliste gauchiste qui rape le grand soir commémoratif, et fait croire aux gamins et gamines des lycées huppés qu'ils sont promis à une répétition victorieuse du baiser sans entraves et jouir sans fin. Les vedettes soixantehuitardes et leurs petits imitateurs de l'ombre trotskiste sont devenus ministres, journalistes, magistrats, mais il reste des miettes pour les anonymes qui le resteront, qui ont marché, jeté leur pavé, fumé en AG, migré au Larzac et voté Giscard pour l'avortement.
Avant de me rendre au bar à vins où devait être présenté le livre de Lola Miesseroff  « Voyage en outre-gauche » (Libertalia), que j'avais apprécié pour son aspect chorale de témoignages plutôt rafraîchissant et pas barbant essai de politisation, j'avais lu une critique sur le site bordélique Indymédia, critique bordélique également mais qui pouvait ponctuellement sonner juste : « … une litanie de vieux radicaux ravis, semble-t-il, qu’on leur donne une dernière fois la parole, 50 ans après, pour étaler leur trivialité, et bien souvent leur vulgarité, rabâchant les formules creuses de leur jeunesse, dont ils espèrent tirer sans risque aujourd’hui un petit bénéfice, peut-être, en terme d’aura sulfureuse et de reconnaissance sociale. Car la radicalité, la rébellion de nos jours, ça se porte bien, et ça se monnaye. Et eux qui n’ont jamais travaillé qu’à détruire le vieux Monde, j'imagine, comme leur maître Guy Debord, ils aimeraient bien que ça se sache et qu'on leur en tienne gré. Ils comprendront en outre que pour leurs anciens camarades, qui sont bien sur terre, eux, cinquante ans après, et qui n’ont rien appris : « tout ce qu'on veut, c'est bien bouffer, bien boire, bien baiser et trouver à faire quelque chose de marrant » (p.109).  Cette phrase restera, grâce à vous, Lola, comme un étendard, un marqueur (comme on dit aujourd’hui) de cette radicalité situationniste, aussi prétentieuse que trompeuse. Peu ragoutante, à vrai dire »1.
Problème, ce critique n'a pas retenu des témoignages pas du tout baba cool ni hédonistes, ni un sérieux effort de l'auteure pour donner en note des précisions sur tel groupe ou individu pour les néophytes. Il y a il est vrai hélas toute une partie vers la fin consacrée à une triste mouvance « communisatrice » exaltant cette vieillerie de refus du travail et cette lubie d'une disparition du rôle révolutionnaire du prolétariat ; les variétés de salaire étudiant ou citoyen étant le luxe aléatoire des bobos germanopratins revenus de leur gauchisme infantile. Par contre ces remarques acerbes de ce critique du livre de Lola (qui l'a apprécié comme moi) conviennent pleinement à la présentation littéraire que nous eûmes à subir ce dimanche après-midi au bar du coin, la Vierge de la Réunion.
Attablée, l'assemblée n'était composée que de vieux, pas des demi-vieux mais de vrais vieux, comme on les voyait jadis quand on était jeune, sans imaginer que quand on est vieux on ne se voit pas vieux, quoique, je peux en témoigner, l'esprit reste en éveil pas forcément gaga mais catalogué et ostracisé par l'apparence. Pas des vieux bêtes mais pas une chère tête blonde au milieu des vieux machins grisonnant c'est moche, ça fait Ehpad. Tant mieux. Preuve de plus que les jeunes n'ont que foutre de conférences ou de vente boutiquière de livres sur mai 68. Laissez-nous mourir nous les vieux, mourir de notre belle mort rentière et nostalgique mais qu'il vous soit interdit de découper bêtement la société entre jeunes et adultes comme s'en moquait Bordiga début 1968. Je le craignais, mais ce fut bien : « pépé ! Raconte-nous ta guerre de 14-18 ». Et fixette sur l'événement franco-français, rivalité Paris/province et pas à l'aune de la crise économique ni des événements précédents au niveau mondial.
On ne nous présenta pas un mais trois livres, le premier d'un soixante-huitard décédé dont il ne restait que le préfacier, et l'autre traitant des trimards, c'est à dire artisans marginaux itinérants et katanguais de la Sorbonne. Ce n'était pas du tout le programme attendu. Mais le pire. On égrena moult souvenirs d'anciens combattants de la « révolution », voire de la poésie barricadière ; ce pauvre auteur disparu croyant intelligent de critiquer les limites des barricades « alors qu'il eût fallu mener la lutte de guérilla armée dans les rues de Paris ». Quant aux trimards ce n'était pas ces beaufs sédentaires cloîtrés devant leur TV, mais des types qui bougeaient qui faisait le coup de poing. L'auteure témoigna de la nécessité de ces costauds pour protéger les étudiants aux mains fragiles, mais aussi de la fable du meurtre du commissaire à Lyon, mort en réalité d'une crise cardiaque. Entre témoignage ras-du-bitume et nostalgie hédoniste d'une vie irrémédiablement gâchée après un mois de bonheur, on était édifié à pleurer devant le monument aux morts des arpèges soixantehuiteux.
Une bonne partie de la salle était constituée de mes anciens camarades du CCI éjectés à des périodes successives de ce qui est devenu une secte disparue (sur Paris) et d'ailleurs une bonne moitié de l'ancienne section parisienne. J'observais leur mine effarée pour ne pas dire contrite ou empreinte de commisération pour ce qu'il fallait entendre. J'ai d'ailleurs signalé cela au début de ma critique : « mesdames les écrivaines, une grande partie des éléments fondateurs du groupe Révolution Internationale en 68 vous fait l'honneur de sa présence ! ».
  • oui mais après, dit le dadet préfacier de la table dite tribune (il n'avait que 15 annuités en 68 et prétendait tout connaître des situs et du monde entier au volant de son solex).
  • Mais son produit surtout, ce qui importe plus que l'événement passé, rectifiai-je.
Quitte à doucher les enthousiasmes gériatriques, j'ai déploré l'excès de romantisme consacré au souvenir de mai 68 et la stupidité de l'idéologie barricadière qui aurait dû s'émanciper par la guérilla urbaine alors qu'il ne pouvait être question d'aller plus loin ni de jouer au far west. Le titre de l'ouvrage de Lola « outre gauche » est fort bien trouvé car il brise les qualifications idiotes telle la notion d'ultra-gauche alors que 68 a mis à bas la gauche et le syndicalisme comme références prolétariennes. Alors que le qualificatif de maximalisme, comme je le défends après Rosa et Bordiga, convient mieux pour définir ce milieu révolutionnaire qui est réapparu après 1968, distinct d'une certaine petite marge anarchiste. Quoique mai fût libertaire plus que anar dans le sens étroit du terme. Quoique nous eussions été plus grèvegénéraliste nous les militants que prenant en compte à côté un ébranlement de la société, certes impulsé par la pression de la classe ouvrière, mais à la fois culturel et sociétal.
La caractérisation comme romantiques attardés de nos écrivains attablés les fit bondir d'indignation, et foncer se faire servir un verre de rouge. J'avais pris soin pourtant de ne pas les qualifier de bobos ringards, mais ils avaient bien perçu pleinement le sens de ma saillie. Cultivés, ces auteurs savent très bien que le romantisme est le goût des chimères des intellos désoeuvrés et des suites amères de la révolution française. Comparaison est offense. Et pourtant ils ne font que véhiculer les mythes de 68, et vanter la vie marginale, zappant leur propre passé hippie.
Heureusement, ils eurent un soutien en la personne de Max, ex militant dilettante du CCI, les yeux embués par l'alcool au point de ne plus voir les classes sociales et, mielleux, de communier au charme désuet de la nostalgie barricadière2. Deux autres femmes, déjà éméchées vinrent poser des questions pas bêtes du genre « quel espoir aviez-vous ? », « à quoi pouvez-vous servir aujourd'hui aux jeunes ? ». Hic ! Beueueueu... Mais le brouhaha des buveurs avait déjà coulé toute discussion sérieuse. Michel tenta bien de rappeler l'aspect dominant du mouvement de la classe ouvrière, les grèves depuis plusieurs années dans les autres pays et l'inanité des propositions alternatives de violences3. Mais on ne pouvait plus vraiment discuter à l'eau vive du sens général de 68, en particulier du fait étonnant que les termes « classe ouvrière » étaient le credo de tous, des étudiants comme des journalistes, et que comme je l'avais dit au début que Mai avait été provoqué initialement par la vision des violences policières contre ces braves ouvriers ou passants, simples téléspectateurs ni trimards ni militants excités. L'aspect massif du mouvement concernant autant la classe prolétarienne que les couches moyennes avait montré un phénomène déjà décrit par Marx, la petite bourgeoisie tombant (certes provisoirement) dans le prolétariat par le truchement de ces milliers d'étudiants poursuivant des cursus universitaires inutiles, gonflement d'effectifs inattendus mais ne remettant pas en cause sélection bourgeoise et inégalités sociales. J'ai dû répondre à l'insistance d'une des deux femmes (« mais comment allez-vous leur transmettre aux jeunes ? ») : « et bien ils se transmettront eux-mêmes, ils boufferont certainement plus de vache enragée que nous, ils feront leur expérience, voilà tout ». Bonsoir m'sieur dames !
Ma compagne, enfant à l'époque et loin d'être une prolétaire, avait été choquée par la violence du débat qui se terminait en querelle d'ivrognes. Elle ne comprenait pas que deux mondes s'affrontaient, non pas les anciens et les modernes ni les anciens contre les anciens, mais les tenants de la théorie de l'émancipation du prolétariat et les petits commerçants des idéologies parcellaires et hippies. Elle me fit cependant cette réflexion très très pertinente : « ce ne fut pas une révolution mais une évolution qui a cassé jusqu'à nos jours rapports hiérarchiques et autorité de façade ». Bien dit. Je vous laisse y réfléchir.
En conclusion, n'attendez surtout pas que des cuistres littérateurs allument l'étincelle de la révolution, surtout prolétarienne.

NOTES

1https://nantes.indymedia.org/articles/40314 Evidemment Indymédia, coin anarcho-stalinien a supprimé mes commentaires sur ce texte dans l'ensemble imbécile.

2Malheureusement on trouve toujours dans les différentes époques dans les milieux révolutionnaires ou aux alentours des gens de mauvais esprit, calculateurs , avides de reconnaissance, mais aussi délateurs et lyncheurs, qui favorisent une ambiance délétère, mais au niveau de leur voisin de palier. On a connu ainsi plusieurs individus dans les 70 et 80 qui se faisaient passer pour des groupes, qui n'étaient souvent guère plus de deux, qui se dénommaient « guerre de classe », « La guerre sociale », « La banquise », etc. qui se prenaient pour des caïds ou des clones de Guy Debord en passant leur temps à calomnier. Il n'en reste rien que quelques dérangés du ciboulot qui animent telle radio masquée, tel forum à voyeurs qui se fait appeler « socialisme ou barbarie » ou « bignole ou grosse vache », qui ne connaissent rien à rien, demi-cloches qui passent leur temps à poster leurs insultes grossières ; ces courageux ventripotents du clavier doivent pourtant savoir que leurs déjections partent automatico à la poubelle sur farce book ou depuis mon blog, malgré leur obstination caractérielle de marginaux désoeuvrés. Politiquement ils sont comme les "invisibles", ils n'existent pas. Et ne se montrent jamais en public.

3 Ton intervention Michel était claire dans l'ensemble, sauf lorsque tu as dit « la bourgeoisie tente de faire oublier la plus grande grève générale de l'histoire », non, les termes « grève générale » c'est du bidon, on n'a pas de grève générale en pleine révolution russe et la grève générale est impossible (cf. approvisionnements) en période moderne, non ce que la bourgeoisie veut faire oublier c'est la « généralisation » des luttes hors des consignes syndicales, c'est ce souvenir qui est le plus dérangeant. De même lorsque tu as dit que ces auteurs défendaient les libérations nationales, non c'est l'olibrius préfacier qui rapportait le désir de guérilla de l'auteur disparu, une pitrerie gauchiste soixantehuitarde et incongrue pour la classe ouvrière, et même irresponsable.

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