PAGES PROLETARIENNES

dimanche 11 février 2018

LES ELEMENTS SAUVAGES DU LUMPENPROLETARIAT



le parti est dans la valise (voir plus bas)
Mes journées de 1830 par le royaliste Edmond Marc

Voici un chapitre du journal inédit d'un brillant mémorialiste méconnu, et quelle belle écriture ! Passionnant, plein d'humour et qui nous révèle les exactions des deux camps – royaliste et bourgeois mais aussi du lumpen ouvrier récemment issu de la plouquerie (*) - les secrets de la tactique des barricades ; seulement publié en 1930. On aimerait bien trouver un tel journal de la Commune de 1871, où ses idolâtres intellos académistes bordiguiens puissent se guérir des clichés de plusieurs de ses historiens histrions et des fabulations de Marx. Et je ne publie pas ce texte pour abonder en faveur du marais des idiots inutiles de la mouvance bobo du « comité invisible » qui arnaque en ce moment une partie de la jeunesse bourgeoise et estudantine et dont les éditions de merde (La Fabrique) trustent les rayons des supermarchés Gibert et autres FNAC. La barricade c'est fini depuis 1968 et si la révolution future – d'un prolétariat reformaté - devait se dérouler sur le simple plan de la lutte armée elle serait déjà mort-née.

(*) Dinosaures anars comme bobos triomphants de NDDL portent aux nues les paysans lesquels sont toujours réacs et ont fourni les troupes de répression de toutes les révolutions du 19 e siècle. L'Etat de Macron s'est ridiculisé près de Nantes et les journalistes fouilles-merde en rajoutent tous les jours sur les prétendus écarts sexuels de tout le personnel politique, et pendant ce temps tout va bien pour le chômage perpétuel, l'exclusion et l'exploitation des hommes par les femmes, ou l'inverse... Le XXI e siècle sera-t-il le siècle des rigolos écolos mégalos?



Assemblée de féministes trotskiennes devant le CC du NPA


Mercredi 28 juillet 1830

Je sortis sur les 7 heures du matin et allai d'abord sur la place du Palais-Royal. Elle était occupée par un fort détachement d'infanterie de la garde et couverte de populace. On passait et repassait devant les soldats sur la figure desquels les fatigues de la veille et de la nuit n'avaient point altéré l'empreinte d'un courage à toute épreuve, et qui paraissaient supporter avec impatience cette curiosité injurieuse accompagnée de loin de sourires insulteurs, de propos grossiers ou de sifflets. Les murs des maisons environnantes portaient les traces des décharges de la veille et la place des réverbères n'était plus indiquée que par de longs bouts ce corde rompus qui pendaient ça et là au milieu de la rue.
Leur destruction était un des moyens de désordre et de confusion recommandés par les chefs de la conspiration.
Je montai jusqu'au perron par la Galerie de Foy et pris là un cabriolet ; je redescendis la rue Montpensier et lorsque j'entrai dans la rue Richelieu, le long du Théâtre-Français, je vis un grand rassemblement de populace contre la boutique dévastée de Le Page ; de grands applaudissements se firent aussitôt entendre et en suivant tous les regards dirigés sur la porte de ce pauvre Evrard, tailleur du Roi, j'aperçus au haut d'une forte échelle dressée contre sa maison, un serrurier avec sa trousse, et les bras nus, détachant à grand coups de marteau l'enseigne qui portait l'écusson de France. La chute de cet emblème de la royauté fut accompagnée de battements de mains, de cris furieux et de sifflets par la horde hideuse qui entourait le pied de l'échelle.
Le serrurier ayant terminé sa besogne redescendit tranquillement ; on enleva l'échelle qu'on alla appliquer successivement entre toutes les maisons qui portaient l'écusson du Roi ou d'un prince, afin de le détacher de même.
En descendant la rue, le cheval de mon cabriolet passa sur les débris de l'écusson d'Orléans, arraché de l'enseigne du pâtissier de ce prince, tandis qu'un enfant qui en tenait la moitié, crachait dessus et le souillait de boue qu'il prenait dans le ruisseau. Son Altesse elle-même ne s'en fût pas mieux acquittée.
« Ce n'est rien que cela, me dit mon cocher d'un air mystérieux ; ce n'est là que le commencement de la danse ; vous allez voir autre chose tantôt. Je ne répondis rien, trop préoccupé que j'étais déjà de ce dont j'étais témoin.
Les rues étaient pleines de colporteurs qui vendaient ouvertement des numéros de tous les journaux qui ne s'étaient pas soumis aux Ordonnances et prêchaient la révolte. Déjà donc le Roi n'était plus roi dans Paris.
Je remontai dans le faubourg Saint-Germain. J'allai voir plusieurs personnes de ma connaissance dont quelques-unes ne partageaient pas mes opinions. Je trouvai surtout l'une d'elles, une dame, dans un état d'irritation, véritablement effrayant.
J'eus à peine le temps de lui adresser quelques mots en entrant et je n'étais pas encore assis qu'elle préludait par des exclamations furibondes, à une récapitulation passionnée de tous les crimes, de tous les attentats consacrés par les Ordonnances, dont elle ne parlait qu'en gesticulant comme une pythonisse sur le trépied. Etouffé par mille réponses que je ne pouvais trouver le moyen de placer au milieu du flux de son indignation, sentant d'ailleurs que chaque trait me faisait de plus en plus perdre mon sang-froid dont j'avais tant besoin, pour ne pas manquer à mon interlocutrice, je me précipitai bientôt hors du salon et me rejetai, indigné, dans mon cabriolet.
J'ai retrouvé la même dame imperturbable apologiste de l'état de siège, des mitraillades du cloître Saint-Merry1, des innombrables persécutions de la presse, des violations de la Charte, des violations de domicile, de propriété, de liberté individuelle, des guet-apens de la police, des conseils de guerre, etc., etc..., de toutes les infamies auxquelles le juste milieu nous a presque habitués depuis trois ans. Je ne doute même pas que la boucherie de Lyon2 ne lui ait paru un trait d'héroïsme et la plus belle gloire du roi des barricades.
Le faubourg était tranquille, mais pourtant je ne sais quelle panique fît en un instant fermer les boutiques et détacher ou barbouiller les écussons fleurdelysés qui paraient toutes celles des marchands brevetés. Après un tel exemple il était bien difficile à un roi boutiquier de n'en pas faire autant3.
Je revins à pied au Palais Royal et remontai la rue de Richelieu jusqu'à la Bibliothèque du Roi. Je remarquai que plusieurs journaux non autorisés étaient affichés contre les murs et je lus un petit placard à la main qui portait :
« Citoyens ! La liberté est en péril ! Aux armes ! La brave garde nationale se rassemble de tous côtés sous les ordres de l'immortel La Fayette. Courons grossir ses rangs. C'est le traître Raguse4 qui commande les assassins du peuple. »
Il était au plus 9 heures. De place en place, il y avait dans la rue des groupes de 15 à 20 hommes du peuple ; je m'approchai de l'un d'eux et je vis au milieu plusieurs énergumènes qui chargeaient ouvertement des pistolets et qui criaient à ceux qui les aidaient : « Eh toi, une balle ici ! Passe la poudre ! ». L'un d'eux dit, en montrant la balle qu'il allait mettre dans son arme : « En voilà une qui sera dure de digestion ». Et tous partirent d'un éclat de rire.
Comme je passais sous l'arcade Colbert5, je ne pus voir, sans un pressentiment pénible, les cinq soldats suisses, tout brillants de jeunesse et de vigueur, qui composaient le poste préposé à la garde de la Bibliothèque de ce côté. Je pensais aussitôt au 10 août6. Je me sentis transporté devant ce noble lion de Lucerne expirant sur l'écusson de France que sa griffe puissante étreint encore ; devant cette foule de noms généreux livrés à l'admiration et au respect de la postérité ; et je ne pus me défendre d'une profonde impression de tristesse en songeant que les noms inconnus de ces cinq braves grossiraient peut-être bientôt la liste glorieuse des martyrs de la fidélité.
Il y avait précisément peu de temps qu'ayant entre les mains des détails très circonstanciés sur cette fameuse journée, j'y avais vu que l'huissier qui était de service chez Louis XVI lors de l'envahissement des Tuileries, ayant refusé d'ouvrir aux sans-culottes, fut massacré contre la porte du Roi et qu'une femme du peuple, pour faire honte à un homme à qui la vue du cadavre paraissait faire impression, avait percé de son couteau la poitrine du malheureux officier et avait bu le sang qu'elle avait reçu dans sa main.
J'entrai dans les premières maisons à gauche, rue de Vivienne, qui est l'hôtel Boston, où était descendu Radcliffe. Quand je l'eus embrassé, les premières paroles que je lui adressai furent celles-ci : « Je n'ai pas vu vos chevaux. » En effet, il n'y avait pas d'attelage avancé dans la cour de l'hôtel.
Il ne pouvait partir qu'à 4 heures. En attendant, il me fit faire la connaissance d'un jeune Anglais extrêmement distingué, lors Hill, avec lequel il voyageait.
La veille au soir, se promenant sur la place de la Bourse autour d'un bivouac de la Garde, la foule qui l'entourait avait fait une poussée sur une sentinelle qui l'avait refoulée à coups de crosse en criant : « Arrière, canaille ! » Comme il se trouvait près du soldat, Radcliffe eut la sottise de prendre pour lui cette apostrophe et de riposter en mauvais français. En conséquence, la sentinelle l'avait pris au collet et conduit à son officier. Celui-ci reconnaissant bientôt en ce jeune homme bien vêtu un flâneur anglais, lui dit, en le mettant en liberté : « Ce n'est oint ici, monsieur, la place d'un curieux. Par le pied de guerre sur lequel nous sommes, vous pouvez fort bien recevoir un coup de baïonnette dans le ventre pendant que vous prenez la peine de vous promener ici. Retournez chez vous croyez-moi, et restez-y tranquille. » Mon John Bull, vexé, ne se l'était pas fait répéter.
Il n'y avait pas encore de bruit dans la rue Vivienne ; seulement les boutiques étaient fermées et on s'occupait à noircir ou à effacer tous les emblèmes de la royauté et jusqu'au nom du Roi ou des princes sur les enseignes, tant ces braves boutiquiers avaient peur. Il est vrai que plus tard nous les revîmes à leurs fenêtres hurlant d'un air d'enthousiasme avec les loups de la rue et les excitant de là à des entreprises dont ils se gardaient bien de partager les dangers. Ce qui leur a valu du Constitutionnel, ce brevet de « héros » qui était alors presque aussi bon marché que celui de la Légion d'honneur.
Nous allions sortir lorsque des cris éloignés nous rappelèrent à la fenêtre. C'était une troupe d'une centaine d'ouvriers qui arrivait sur la place de la Bourse ; ils y firent une halte, après quoi ils entrèrent dans la rue Vivienne. Ils passèrent sous notre fenêtre.
En tête était un homme que son pantalon et sa blouse, que sa casquette bleue souillée de plâtre, faisait reconnaître pour un maçon ; il avait dans une main un sabre de cavalerie et dans l'autre un pistolet d'arçon armé. Il marchait avec une arrogance affectée et était sans cesse en se retournant vers les autres et brandissant ses armes : « Vive la république ! A bas Charles X ! Vengeance ! »
Derrière lui marchait un grand homme sans habit et les bras nus qui, d'une main, portait un long bâton au bout duquel étaient attachés trois rubans, trois loques de laine rouge, blanc et bleu, il avait à l'autre main un grand sabre nu.
A la suite de ces deux individus s'avançait une troupe de gens la plupart déguenillés7, tous armés plus ou moins ridiculement, les uns de haches, de baïonnettes fixées au bout de bâtons, de piques, de sabres et d'épées de toutes dimensions, de fusils de munition ou d'armes de chasse, de pistolets , quelques-uns de simples pieux. Il y en avait qui n'étaient point mal vêtus et qui menaient évidemment les autres.
Au milieu du groupe était porté un trophée digne de cette horrible procession.
C'était le cadavre sanglant d'un portier (disait-on) qui avait été tué sur la place de la Bourse, la veille, par la Garde. - Trois bâtons dont chaque extrémité était supportée par un homme, soutenait son cou, ses reins et ses jarrets. Ce corps, fort grand, était déjà raidi et avait un aspect horrible ; le visage défiguré par un coup de feu et souillé de boue, était hideux ; on avait coupé avec soin toute la partie du vêtement qui couvrait sa poitrine afin que l'on pût voir les traces et les trous des quatre balles qui l'avaient frappé en même temps dans cette partie.
A peine le maçon qui était à la tête fut-il arrivé à la hauteur de la rue Colbert, et eût-il porté les yeux de ce côté qu'il se retourna vers sa troupe avec une expression de joie féroce en criant de toute sa force : « Halte Halte ! Voici des habits rouges ! ». Mille cris de « Morts aux Suisses ! » lui répondirent, et l'on se précipita à l'entrée de la rue Colbert. C'est alors que peu à peu et avec toutes les précautions exigées par la prudence, s'ouvrirent les fenêtres aux environs, et qu'on entendit quelques « héros » de boutique risquer le cri de « Mort aux Suisses ! ».
Le corps de garde était à peu près à cinquante pas dans la rue. On commença par leur adresser des huées et des injures. Les passants s'arrêtaient. Il y avait bientôt beaucoup de curieux qui s'installaient comme à un spectacle ordinaire. La plupart animaient même les ouvriers en leur criant : « Allons donc, sautez dessus ! Les poltrons ! Ils ont peur de cinq habits rouges ! » Mais eux restaient soigneusement derrière.
Les malheureux Suisses faisaient la meilleure contenance possible. Mais que pouvaient cinq hommes contre cent ?
J'éprouvais en vérité une angoisse horrible. Je regardais de tous côtés s'il ne viendrait pas à leur secours quelque troupe qui les arrachât aux mains de leurs impitoyables ennemis. - Mais rien ! - Mes pressentiments allaient donc déjà se réaliser !
On se rangea en demi-cercle autour du poste, on dressa le cadavre en face contre la muraille, un orateur le montra aux Suisses comme leur victime, et leur adressa quelques phrases qui étaient de grossiers reproches pour eux en même temps pour la populace un appel furieux à la vengeance. - Le demi-cercle se resserrait toujours presque insensiblement.
On criait toujours de la rue Vivienne : « Allons-donc, finissez-en ! Tombez dessus ! » - Au moins, me disais-je, désespéré de les voir ainsi dévoués à une mort certaine, au moins vendront-ils chèrement leur vie. - Mais, esclaves d'une consigne absurde, ils ne voulurent pas faire emploi de leurs armes avant d'avoir été attaqués et, malheureusement pas une pierre, pas un coup ne vint légitimer à leurs yeux l'usage de leurs moyens de défense. Sans leur rien faire, on s'approcha d'eux peu à peu et quand on fut assez près on les assaillit, aux applaudissements et battements de mains de cette troupe de lâches aboyeurs qui se tenaient à 'écart. On leur arracha leurs fusils, qu'on déchargea sur eux, un seul échappa, nous dit-on8. Au moins un jeune homme, devant lequel nous en parlions plus tard, dans le café du Carrousel, nous a-t-il affirmé qu'il avait été recueilli dans une maison d'où ils sortait.
Sur les quatre autres, on disait que deux avaient fait quelques pas avant de tomber, que les autres étaient tombés sur la place même. On se jeta sur leurs cadavres qu'on dépouilla, on se distribua les gibernes, les sabres, les fusils, on mit en pièces les uniformes, on en accrocha les lambeaux aux cordes des réverbères et on traîna dans le ruisseau leurs épaulettes blanches et leurs schakos9.
Pendant ce temps-là, d'autres brisaient tout dans le corps de garde et jetaient le poêle par la fenêtre. On revint dans la rue Vivienne, on rechargea sous nos fenêtres les fusils qu'on venait de prendre et on s'en retourna sur la place de la Bourse, en laissant le cadavre qu'on avait apporté, dressé contre un mur, tandis que ceux des malheureux Suisses restaient étendus, presque nus, sur le pavé ensanglanté. Nous entendîmes encore les héros de cette expédition sur la place de la Bourse, tirer stupidement des coups de fusil dans la façade du théâtre des Nouveautés. Ils disparurent enfin.

Ces scènes affreuses nous avaient causé une telle horreur, que nous étions tous comme pétrifiés, lorsque nous rentrâmes dans la chambre.
Nous sortîmes pourtant, lord Hill, Radcliffe et moi, pour aller déjeuner, ou plutôt pour marcher, car l'esprit ne peut être aussi fortement remué, sans communiquer au corps une irrésistible agitation. - Nous descendîmes par la rue Sainte-Anne au Carrousel, où se trouvait réunie une force armée bien plus considérable que la veille. Nous entrâmes au café de l'hôtel de Nantes, sur la place, j'essayai de manger et je m'aperçus que l'odeur même de la viande me dégoûtait, j'avais l'estomac serré et oppressé comme sous le poids d'une montagne. Nous vidâmes force bouteilles de bière, car, quoiqu'il fût à peine 10 heures, la chaleur commençait à devenir insupportable.
Comme j'étais presque toujours sur la porte, je vis arriver, par le guichet du Pont-Royal, un détachement de lanciers de la garde ; un de ces hommes était soutenu par ses voisins sur son cheval ; il avait reçu une balle qui lui avait crevé une partie de la joue et de l'oreille. Le maréchal l'envoya avec un chirurgien à l'ambulance.
Les officiers vinrent descendre de cheval à la porte du café ; ils étaient furieux ; l'un d'eux que je ne connaissais pas me dit qu'ils venaient de faire huit ou dix charges sur la place de Grève et aux environs, où l'affaire était très sérieuse, mais qu'il était impossible de se battre de manière plus ingrate. - « Quand nous piquons sur un rassemblement, disait-il, ils courent autant qu'ils ont de jambes. Toutes les portes s'ouvrent ; en un instant, il n'y a plus personne ; il n'y a pas un coup de lance à donner. Cependant, les coups de fusil, les briques, les pavés tombent comme la grêle de toutes les fenêtres sans qu'on puisse même voir ceux qui les jettent ; et nous ne sommes pas plutôt passés que les portes se rouvrent et vomissent tous ces misérables qui nous envoient des coups de feu dans le dos. »
Il y avait devant la porte du café une douzaine de beaux chevaux tenus par d'élégants domestiques. C'étaient ceux des officiers de lanciers et d'artillerie de la garde qui étaient là réunis, et parmis lesquels était le colonel de la première de ces armes, le brave de Chabannes la Palisse, vieux soldat de Napoléon, qui plus tard eut le pied fracassé d'un coup de feu au pont de Sèvres10, et son lieutenant-colonel, le duc d'Estignac11. La place avait un aspect superbe. Nous en pûmes mieux juger quand nous fûmes remontés à une fenêtre chez M. de la Bouillerie, auquel je présentais mes Anglais.
Un régiment d'infanterie de la garde était posté au pied de la galerie du Musée et en retour d'équerre en avant de la grille. L'espace entre l'arc de triomphe12 et le guichet de la rue de l'Echelle était occupé par le beau régiment des lanciers de la garde et quelques détachements de gendarmerie d'élite ; devant la porte de la cour étaient quatre pièces de canon de la garde ; bientôt arriva un régiment suisse13.
Je crois que c'est vers midi que la ville fut déclarée en état de siège. On entendait à chaque instant des décharges de mousqueterie sur plusieurs points, car les troupes étaient déjà engagées et plus de mille barricades existaient déjà. Il y en eût en tout plus de 4.000.
A une heure environ, il se fit un grand mouvement sur la place ; deux pièces de canon suivies d'environ 300 hommes d'infanterie et d'un petit corps de cavalerie sortirent de la place par le guichet du Pont-Royal ; elles allaient à la Grève ; les deux autres pièces, également escortées, partirent en même temps et traversèrent la place au trot, se dirigeant sur la rue de l'Echelle. Vingt minutes après, une canonnade non interrompue se fit entendre sur les deux points. Deux autres pièces arrivèrent presque aussitôt et furent braquées sur le Louvre à l'entrée de la large rue qui y mène, du Carrousel.
J'étais de service à 3 heures à Saint-Cloud. Je devais partir de la rue Duphot, parce qu'on ne pouvait plus circuler en voiture sur la place du Carrousel. J'y allais avec Radcliffe par les rues de Rivoli, de Castiglione et Saint-Honoré. Elles étaient toutes assez tranquilles. Quelle fut ma surprise en tournant de la première de ces rues dans la seconde, de me trouver nez à nez avec M. le ministre de la marine, le baron d'Haussez. Il avait un frac bleu et un ruban à la boutonnière ; il paraissait se rendre aux Tuileries14.

Dans la rue de Rivoli, qui était presque déserte, nous vîmes un homme, en uniforme de garde national qui accourait et qui fut arrêté au guichet de la rue de l'Echelle, la garde nationale étant dissoute15.
Toutes boutiques étaient fermées. En arrivant à la rue Duphot, nous aperçûmes du mouvement vers la rue Royale et nous y entendîmes bientôt une fusillade après quoi nous vîmes des soldats prendre position sur ce point. Tout le monde était aux fenêtres ou sur les portes et la rue était très libre.
Le bon Radcliffe ne pût s'empêcher de m'exprimer à plusieurs reprises son regret de la nécessité qui me forçait d'aller à Saint-Cloud, tout en venant chez moi. Quand mon service ne m'y eût pas appelé j'y serais encore allé très certainement, à plus forte raison quand il s'agissait de remplir un devoir rigoureux. Je prévoyais bien aussi qu'il pourrait y avoir quelque danger, mais eussé-je été digne de servir le Roi, si cette pensée, loin de m'ébranler, n'avait été pour moi un attrait tout-puissant ! Il est certain que j'eusse pu trouver dans la difficulté extrême qu'éprouvaient déjà les voitures et les piétons à circuler et à sortir de Paris, la facile justification d'une lâcheté que je ne me serais jamais pardonnée. Mais ma conscience ne me reprocha point d'avoir un instant songé à un aussi indigne expédient pas plus qu'à aucun autre.
Au lieu de prendre par la rue Saint-Florentin, le cocher ayant voulu aller par la rue Royale, fut arrêté à l'entrée par une sentinelle qui lui ordonna de retourner sur ses pas. Le peuple hua la sentinelle et on criait tout autour de la voiture du cocher : « Ne l'écoute pas, poltron ! Avance donc ! Passe-lui sur le ventre ! ». Le cocher voulait parlementer, mais je lui ordonnais si haut de retourner, qu'il le fît ; et le peupel le siffla.
En traversant la place Louis XVI, je remarquai à l'entrée de la rue Royale deux pièces de canon en batterie sur la Madeleine et soutenues, comme les autres, d'infanterie et de cavalerie de la garde. Deux escadrons d'un régiment de grenadiers à cheval débouchèrent en ce moment des Camps-Elysées et entraient par le quai sous la terrasse. Il arrivait.
Saint-Cloud était tranquille, mais le château commençait à prendre un aspect triste et agité. J'assistai au dîner qui fut silencieux et court. On entendait distinctement des décharges d'artillerie et de mousqueterie. Il était aisé de voir que chacune portait un coup sensible au cœur de Sa Majesté et de sa famille, qui se réduisait à Monsieur le Dauphin16 et à Madame17 ; Madame la Dauphine étant aux eaux. Cependant la physionomie des augustes personnages était calme et résignée. Le repas fut plusieurs fois interrompu par des aides de camp ; et le Roi ayant reçu un message entre les deux services se leva aussitôt et passa dans son cabinet où L.L. AA. RR. Obtinrent la permission de les suivre. - On se remit à table, vingt minutes après.
La soirée fut agitée. La canonnade ne cessait plus ; plus elle se prolongeait, plus il était à craindre que l'issue ne devint funeste car elle était la preuve d'une résistance opiniâtre. Quand on emploie les moyens extrêmes contre une révolte, il faut qu'ils soient dès le principe si formidables, si irrésistibles, si décisifs qu'ils ôtent de suite aux rebelles l'idée même de la résistance et c'est en ce sens qu'il est vrai de dire que faire une démonstration de prime abord très énergique, c'est épargner du sang en terminant plus promptement la lutte.
Un combat de six heures était donc déjà un présage menaçant. M. le Dauphin entrait à chaque instant chez le Roi. Il arrivait de temps en temps de Paris des aides de camp dont on ne pouvait rien tirer, mais dont la physionomie et la contenance fournissaient le texte d'une foule de récits plus effrayants les uns que les autres. Ce n'étaient d'abord que des bruits, des vraisemblances, des on dit ; ils circulaient en un clin d'oeil dans tout le château comme nouvelles officielles et y répandaient la consternation. Tant il est vrai que dans des circonstances décisives l'incertitude est insupportable, et qu'en comparaison la plus mauvaise nouvelle, avec une apparence de réalité, est encore accueillie comme un soulagement. Il était devenu impossible de rien faire parvenir à Paris et d'en rien recevoir. - On sait ce qui s'y passait alors. - Les gardes du corps à pied du Roi arrivèrent le soir18. - On leur prépara un bivouac sur la terrasse au-dessous du Trocadéro19.
Je montai, après mon service (vers 8 heures du soir) chez Mme Le Gros (femme du valet de chambre du Roi) où je trouvais entre autres le bon docteur Distel, chirurgien de S.M.20 Un était dans une grande anxiété. Des fenêtres la vue plongeait par delà la cour du château sur ces magnifiques voûtes de verdure sur lesquelles elle semblait reposer ; sur les charmants coteaux de Sèvres, le bois de Boulogne et le vaste bassin qui lui sert d'encadrement. A l'horizon enfin, sur Paris dont on distinguait encore parfaitement les dômes, les clochers, les monuments, à travers un long réseau de vapeurs vivement coloré par les derniers rayons du soleil. A l'aide d'un excellent télescope, Mme Le Gros me fît remarquer qu'une fumée rougeâtre s'élevait entre les tours de Notre-Dame et celles de Saint-Sulpice, et aussi du côté de Montmartre. C'était bien la direction des boulevards et de la place de la Grève où le feu était si vif et si opiniâtre.
Je restai longtemps les yeux fixés sur cette ville sans pouvoir les en détacher. Le plus beau soir terminait la plus belle journée d'été ; le ciel était d'une pureté admirable, une fraîcheur embaumée tempérait la chaleur excessive dont le soleil avait embrassé l'air. Un silence, un calme délicieux régnaient sur toute cette belle nature qui m'entourait, et pourtant une inquiétude secrète, des pressentiments de plus en plus sinistres s'étaient tellement emparés de tout mon esprit, qu'il était devenu insensible à ces jouissances. Mes yeux ne pouvaient s'arracher de cette ligne sombre qui terminait l'horizon et d'où sortaient sans cesse ces terribles détonations qui avaient déjà duré neuf heures. Ce contraste d'un calme profond et d'une agitation épouvantable me serrait le cœur.
Je devinai cette confusion d'une ville immense livrée à la guerre civile, l'acharnement des deux partis. Je me représentais Paris devenu le théâtre de toutes les horreurs de la première Révolution. J voyais les maisons s'écrouler, des files de citoyens enlevées par les boulets et les rues jonchées de cadavres. J'entendais les cris du désespoir ou de la rage. Je pensais que deux ennemis à jamais irréconciliables, le jacobinisme et la monarchie, vivaient dans cette enceinte leur vieille querelle et que chacun sentant qu'il s'agissait pour lui de la vie ou de la mort, apportait dans la lutte toutes les ressources qu'une haine implacable et le désir d'une victoire décisive pouvaient lui suggérer.
Et c'était ce tragique dénouement que préparaient sciemment à leur longue et dégoûtante parade de quinze ans21, un prince de sang parjure, des députés, des pairs pour la plupart pétrifiés de frayeur et qui devaient plus tard se proclamer les sauveurs de la patrie. Et tant d'autres traîtres au pays, à la Constitution et au Roi, troupes d'histrions éhontés qui depuis ont eu le courage de faire pompe (sic) de leurs masques et de leurs travestissements, ramas d'ambitieux frénétiques, déguisant sous les dehors du plus pur désintéressement une soif d'argent, de dignités, de distinctions, d'honneurs22.
Ou en était le combat ? Qui l'emportait ? La nuit allait-elle suspendre ces scènes de carnage, ou bien ses ombres devaient-elles en favoriser de plus affreuses encore ? Que devenaient mes parents, mes amis au milieu de ce chaos ?...
Il faut songer que nous n'avions alors qu'un terme de comparaison, notre première révolution de sang-froid dont les enjeux, du côté de certains coryphées, ne passaient pas la valeur d'une paire d'escarpins ou d'une course de cabriolet ; d'une révolution arrangée d'avance comme une pièce de théâtre par des acteurs consommés et finissant à point nommé comme quand le rideau tombe. Nous n'avions l'idée que du drame et non de la parodie23.
Telles étaient donc les tristes idées qui m'occupaient l'esprit. J'allai me jeter sur mon lit, mais la chaleur, plus encore l'inquiétude et l'agitation, ne me permirent de fermer l'oeil ni de rester couché. Je sortis vers minuit. Toujours ce sont des détonations. J'allai chez un de mes camarades. Il chargeait à balles des pistolets et un fusil de chasse, « afin, me dit-il, puisque nous allons être attaqués, qu'il fût au moins en état de vendre sa vie le plus cher possible ». Je le priai de s'expliquer. « Vous ne savez donc pas, ajouta-t-il, que nous sommes traqués ici comme des bêtes fauves, que Sèvres, Boulogne, Auteuil, Rueil, Nanterre, Saint-Germain sont en feu et rugissent autour de Saint-Cloud, n'attendant qu'un signal pour fondre sur le château ? Que Saint-Cloud lui-même n'est tranquille que parce qu'il est maîtrisé par la présence de notre faible garde? Qu'on assure, enfin, qu'une très forte colonne est déjà en marche pour venir nous surprendre. Vous savez dans ce cas à quoi nous devons nous attendre. Rappelez-vous le 10 août d'autrefois. Il ne faut pas nous faire d'illusion. Nous en aurons ici la répétition. Me comprenez-vous maintenant ?

Il n'y avait rien à répondre. Je me remis entre les mains de la Providence et descendis. Je gagnai, avec bien de la peine, à cause de la sévérité des sentinelles, le bivouac des gardes du corps à pied. J'allai partager la botte de paille de mon ami Hamel de la Berquerie, officier dans ce beau corps24
On s'attendait tellement à une attaque que les hommes étaient couchés tout équipés et qu'on les avait avertis qu'ils devaient être prêts au premier signal. Dans toutes les directions, à toutes les distances, on entendait les cris des sentinelles répondant aux nombreuses patrouilles dirigées sur tous les abords du château, ou ceux qu'elles échangent entre elles la nuit pour se tenir éveillées. Ces cris lointains se croisant dans le silence de la nuit avaient quelque chose de mystérieux et de solennel qui faisait une grande impression.
Nous étions tout à fait sous le régime d'une place assiégée. Ces précautions s'expliquent doublement par la présence de la famille royale et par la position la plus difficile qu'on puisse imaginer pour une défense possible sur tous les autres points que du côté de la Seine. Le château est tellement enveloppé de bois sur trois de ses faces au moins, qu'il n'y a qu'une allée à traverser pour y entrer, des appartements du Roi particulièrement.
Je restai là assez longtemps. Le canon cessa de 1 heure à 3 heures du matin. Après quoi, il recommença comme la veille accompagné du bourdonnement sourd et lugubre de la grosse cloche de la cathédrale sur laquelle on sonnait le tocsin.
Le mercredi s'était passé à Paris en combats partiels, mais très vifs et très acharnés. Le peuple s'était emparé des vivres de la guerre en sorte que les troupes ne pouvaient plus recevoir ni pain ni aucune espèce d'aliments. Les soldats pouvaient à peine, à prix d'argent, se procurer un verre d'eau pour étancher la soif qui les dévorait25.
Je ne puis résister au plaisir de donner sur la prise des magasins de vivre de la guerre, des détails que je tiens de première source.
Ma mère habitait rue du Cherche-Midi26, une maison contiguë à cet établissement. Le rez-de-chaussée de cette maison était occupé par une belle boutique d'épicerie tenue par un jeune homme, veuf, fort tranquille, et sa sœur. Je ne sais pour quelle raison le général Boinot, qui commandait les vivres, lui avait depuis quelque temps ôté sa pratique. L'épicier lui en conservait rancune.
La révolution lui mit en tête de s'en venger ; et, saisissant l'occasion d'un petit rassemblement inoffensif qui s'était formé devant le bâtiment des vivres, il s'arma d'une hache et alla enfoncer la porte aux applaudissements de tous les voisins qui estimaient le général et connaissaient d'ailleurs le fond de l'héroïsme de l'assaillant. Cependant, les quelques pauvres vétérans qui formaient la garde ordinaire des vivres ne songèrent même pas à résister à l'envahissement et à l'occupation de l'établissement. La porte une fois tombée sous les coups de hache de l'épicier, celui-ci avait atteint son but, en faisant passer la femme et la fille du commandant par quelques moments de la plus cruelle anxiété.
Revenu chez lui, M. Durand27 ne savait plus à qui entendre ni à qui répondre. Sa sœur et quelques braves femmes, bien alanguies du quartier, s'étaient établies, en l'attendant, dans la cour et sous la porte. Dès qu'il y posa pied, elles firent fondre sur lui un tel déluge de reproches, qu'après avoir essayé de continuer quelques moments avec elles sur le ton de bravache qu'il avait pris dans la rue, l'héroïque champion de la liberté alla se cacher tout confus dans son arrière-boutique. Le bruit de son exploit ayant bientôt couru les environs, une partie de ses pratiques le quitta et celles qui savaient, comme nous, que ce n'était de sa part qu'un méchant coup de tête, dont il ne tarda pas à éprouver le plus grand regret, se contentèrent de le tancer. Jusqu'ici, il n'a encore ni la croix de juillet ni même la croix d'honneur. Mais, patience !
Les ministres, dans la journée, s'étaient établis aux Tuileries où ils passèrent la nuit et d'où ils communiquaient avec le maréchal. C'est alors que le ministre des finances délivra, après délibération du Conseil, 400.000 francs, accordés par le Roi aux troupes pour qu'elles puissent se procurer elles-mêmes les subsistances nécessaires, qu'on n'était plus dans la possibilité de leur distribuer. Cet ordre de M. le comte de Montbel n'ayant pu être ordonnancé par l'agent chargé de cela au ministère de la guerre, faute de communication avec ce ministère, demeura imparfait et valut au ministre un procès dont le résultat fut la répétition sur ses propres biens de cette somme entière28.
La garnison engagée partiellement dans les rues, par une tactique dont on trouvait les détails imprimés sur presque tous ceux qu'on arrêtait, et dont le général en chef n'eût pas dû être dupe, avait éprouvé des pertes énormes. On commençait à s'apercevoir que grâce à cette tactique, le combat lui était toujours désavantageux et très meurtrier. On attirait une compagnie ou un détachement dans une rue au bout de laquelle était une barricade ; dès qu'il y était engagé on dressait une autre barricade derrière lui ; les portes s'ouvraient pour recueillir ceux qui l'avaient ainsi attiré par une apparence de résistance et une feinte retraite ; alors commençait contre lui un feu horrible des deux extrémités de la rue, de toutes les fenêtres, d'où pleuvaient, en outre, des meubles et des pavés ; des toits et jusque des soupiraux des caves.
Les ministres parlèrent au maréchal de faire employer la mitraille parce qu'on rapportait que les insurgés faisaient assez bonne contenance devant le canon, qui n'avait encore tiré qu'à boulet et dont même, m'a-t-on assuré, bien des coups avaient été tirés à blanc29. Le maréchal répondit que le boulet faisait beaucoup d'effet, parce qu'il pénétrait davantage ; il semble pourtant que la mitraille atteignant sur une plus grande surface doive avoir un résultat plus efficace dans la circonstance en jetant le désordre et l'effroi dans les premiers rangs, les seuls qui agissent directement, et ordinairement aussi ceux où se placent les chefs et les plus furieux.
Une autre fois, en présence de M. de Sémonville30 et consorts (voir la déposition du grand référendaire auprès des ministres) un officier d'artillerie, entrant pour lui demander à la hâte la permission d'employer la mitraille dans la rue Saint-Nicaise où le peuple, devenu de plus en plus audacieux, menaçait de s'emparer des pièces, M. le duc de Raguse, à cette seule proposition, s'emporta et témoigna hautement son indignation de ce qu'on vint lui parler d'employer contre le peuple déjà si maltraité, des moyens encore plus meurtriers que ceux dont on avait usé jusque là. Il refusa donc cette permission.

C'est toujours sans doute d'après ces principes philanthropiques, si peu d'ailleurs d'accord avec le langage qu'il tenait auparavant aux ministres, que le maréchal, qui avait à sa disposition à Vincennes (c'est à dire à une demi-poste de Paris), une trentaine de pièces de canon de l'artillerie de la garde avec toutes les munitions imaginables en quantité31, n'employa contre l'insurrection qu'une seule batterie (8 pièces) ; quant aux troupes, il est demeuré démontré que le dépôt de paquets de cartouches prise sur des soldats, qu'il leur en avait été délivré qui ne portaient pas de balles. Dans les commencements de l'engagement, le maréchal avait enjoint de ne faire usage des armes qu'après des provocations matérielles et bien constatées et de tirer qu'après avoir reçu plusieurs coups de fusil. On ne pouvait, certes, pousser plus loin les ménagements pour les rebelles.

On s'aperçut donc beaucoup trop tard que ce genre de combat n'était plus tenable et l'on songea à faire ce que le maréchal Victor avait conseillé dès le principe : à prendre les positions de défensive, en attendant des forces suffisantes pour reprendre l'offensive avec avantage. Le Louvre fut confié aux Suisses qui s'y enfermèrent et se défendirent vaillamment ; mais ils l'évacuèrent bientôt sur un ordre formel et les révoltés, seulement alors s'en emparèrent. La garde se concentra aux Tuileries et dans le Carrousel. Il y avait déjà assez longtemps que plusieurs régiments de la ligne, le 15 e léger entre autres, avaient refusé de prendre part au combat et laissaient les rebelles traverser leurs rangs pour tirer sur la garde. Il n'y avait pas en tout 5.000 hommes de troupes combattantes32 avec huit pièces de canon.
Dans la nuit du mercredi au jeudi, on avait enfin expédié l'ordre à Vincennes d'amener en toute hâte les batteries de la garde et aux troupes des camps de Lunéville et de Saint-Omer33 d'accourir sur Paris – mais il n'était plus temps.


NOTES


1Le 5 juin 1832, à la suite des funérailles du général Lamarque, les républicains élevèrent à leur tour des barricades contre le gouvernement de Juillet ; l'émeute dura deux jours et se termina de la façon la plus sanglante au cloître Saint-Merry. Paris fut mis en état de siège.
2Insurrection du 9 avril 1833 qui dura jusqu'au 12, marquée par des combats meurtriers dans les quartiers populeux de Lyon.
3En 1831, Louis-Philippe remplaça par le coq gaulois ou les tables de la Charte , les armoiries de son blason ; trois fleurs de lys d'or, accompagnées du lambel (blason) de la maison d'Orléans.
4Auguste Frédéric Louis Viesse de Marmont, duc de Raguse (1808), maréchal d'Empire (1809) et pair de France (1814), est un militaire français né le 20 juillet 1774 à Châtillon-sur-Seine et mort le 2 mars 1852 à Venise. C'est le commandant en chef de la répression sanglante à Paris, lire sa notice sur Wikipédia qui raconte plus largement que Marc les journées sanglantes : https://fr.wikipedia.org/wiki/Auguste-Fr%C3%A9d%C3%A9ric-Louis_Viesse_de_Marmont
5Le long des bâtiments nord de la bibliothèque de la rue de Richelieu.
610 août 1792, jour de l'attaque révolutionnaire des Tuileries, que défendirent les régiments suisses que la populace massacra.
7C'étaient des figures telles qu'on n'en rencontre pas dans tout autre temps ; les uns couverts de haillons, les autres à peine habillés – Mais c'étaient les moindres traits de ce hideux et dégoûtant spectacle. Les expressions de ces visages, avec toutes les nuances qu'on peut imaginer de la fureur à la stupidité, de la férocité à la bassesse. ET puis dans quel accès de frénésie nous les trouvions ! Ils étaient ivres de tous les genres d'ivresse, celle du vin était la moindre ; l'odeur de la poudre, la victoire qui n'était pour eux que la réaction de la peur, les cris, le sang, les avaient mis hors d'eux » BARON DE VITROLLES, Mémoires, III, 413.
8En note, au crayon ajouté sur le manuscrit : « Nous ne pouvions voir le lieu même de cette scène, mes fenêtres ne donnant que sur la rue Vivienne et l'entrée de la rue Colbert ».
9Couvre-chef militaire.
10Inexactitude ; c'est le lieutenant-colonel des lanceurs de la garde, le duc d'Eslignac, qui fut blessé au pont de Sèvres, le 29 juillet.
11Charles de Marestang d'Onessan, duc d'Estignac, était né en Espagne (1700) ; il mourut en 1873. Il succéda, en 1827, à son père, à la Chambre des pairs. - IL avait épousé Georgina de Talleyrand-Périgord.
12Le petit arc de triomphe du Carrousel.
13Tous ces détails se trouvent confirmés de leur côté dans ses Mémoires, par le général de Saint-Chamans. Il a laissé un récit très vivant des combats de juillet, auxquels il prit lui-même une part très honorable.
14A 11 heures du matin, les membres du Conseil avaient jugé convenable de s'établir aux Tuileries, pour décider ensemble, sans crainte de voir leurs communications coupées par les insurgés, et de conserver le contact avec le duc de Raguse. Mémoires du baron d'Haussez, II, 255.
15Depuis le 30 avril 1827, après les cris d'irrévérence partis de ses rangs à la revue du Champ de Mars, la veille.
16Le duc d'Angoulême.
17La duchesse de Berry.
18La compagnie des gardes à pied ordinaire du corps du Roi était casernée rue Neuve du Luxembourg ; leur capitaine colonel était le duc de Mortemart ; leur lieutenant colonel le marquis de Rougé.
19Nom donné, après l'expédition française en Espagne de 1823, à la partie du parc de Saint-Cloud réservée aux promenades du duc de Bordeaux et à son jardin botanique.
20Premier chirurgien honoraire ; le premier chirurgien en titre était le baron Dupuytren.
21On connaît l'aveu – si juste – de Laffitte à Béranger, après le triomphe de 1830 : « Quelle canaille, mon cher Béranger, quelle canaille que la plupart de nos amis de la comédie de 15 ans ! ». Sur cette comédie qui a trait aux magouilles du banquier Laffitte, lire ici : https://fr.wikisource.org/wiki/Jacques_Laffitte_-_Sa_vie_et_ses_id%C3%A9es_financi%C3%A8res
22« L'acte agressif en 1830 a été l'Adresse factieuse des 221. Les Ordonnances n'ont été qu'une riposte défensive ». - EMILE OLLIVIER, L'empire libréal, I, 221.
23Laffite disait le 28 juillet : « Nous touchons à un drame dont le dénouement sera la royauté du duc d'Orléans. »
« Les troupes firent des prisonniers dans la journée du 28 juillet. Tous étaient porteurs de cartes ou de sigles de reconnaissance qui semblaient indiquer une organisation préparée depuis longtemps. Ces cartes triangulaires portaient d'un côté une signature, de l'autre une date remontant aux derniers mois de 1829 ou aux premiers mois de 1830, avec les inscriptions : « liberté, égalité, fraternité » - NETIEMENT , Histoire de la Restauration. Etudes politiques du prince de Polignac. Journal de M. de Guernon-Banville. La Garde royale pendant les journées de 1830.
24Avec le rang de lieutenant, il était sergent de deuxième classe.
25« Un assez grand nombre de bourgeois qu'on avait laissé se mêler parmi les soldats, étaient entrés en pourparlers avec eux et leur faisaient même distribuer de l'eau de vie et du vin. Je fis appeler le colonel d'un de ces régiments. Celui-ci me répondit qu'il reconnaissait la justesse de mon observation, mais qu'il ne savait pas comment interdire à des hommes qui, depuis la veille, n'avaient ni mangé ni bu, la faculté de profiter de l'offre de ces bourgeois » - BARON D'HAUSSEZ, Mémoires, II, 256.
2631, rue de Cherche-Midi.
27L'épicier.
28Quoique la délivrance et l'objet de la délivrance de cette somme fussent demeurés incontestables (note d'Edmond Marc).
29Des Anglais de ma connaissance m'ont répété ce que leur avait affirmé un vieil officier de leur nation, sous les fenêtres duquel il fut tiré une assez grande quantité de coups chargés à blanc (Note d'Edmond Marc)
30Le marquis de Semonville (1754-1830), conseiller aux enquêtes, sous Louis XVI, chargé de missions sous la République, conseiller d'Etat, ambassadeur et sénateur sous Napoléon, pair de France sous Louis XVIII, créé grand référendaire à la Chambre des pairs, il tint, pendant les journées de juillet, la conduite la plus équivoque ; BARON D'HAUSSEZ, Mémoires, II, 208.
31« J'avais beaucoup d'artillerie à Vincennes. La difficulté de traverser Paris m'avait empêché d'en disposer ». Mémoires du DUC DE RAGUSE.
32« L'insuffisance du nombre de troupes était évidente », dit le duc de Raguse (VIII, 218) qui donne les emplacements qu'il assigna à ses colonnes, et l'état des forces dont il pouvait disposer.
« On a évalué leurs adversaires à environ 40.000 ; il faut encore tenir compte de cette observation : le poindre ordre ne pouvait être expédié que par le moyen d'un détachement ; une ordonnance isolée était tuée ou prise avant d'avoir fait deux cent pas.
« On a aussi fait cette remarque qu'il y eût à peu près quatre cent morts dans les trois journées, mais pas un député, ni un électeur, ni un journaliste, ni un fonctionnaire public, ni un avocat, ni un banquier, ni enfin personne de ceux qui avaient le plus poussé à l'insurrection » (note d'Edmond Marc).

c'était la version anarcho qui traine sur FB et que j'ai détournée en haut

33Les plaines autour de Saint-Omer offraient de vastes terrains de manœuvre aux troupes réunies là périodiquement.

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