PAGES PROLETARIENNES

vendredi 22 décembre 2017

TROTSKISTE UN JOUR TROTSKISTE TOUJOURS (2)


Deus ex machina théâtre grec
SUITE DE LA REPONSE A LEQUENNE


« Le sang, même celui des coupables, versé avec cruauté et profusion, souille éternellement les révolutions ». Olympe de Gouges

LES BESOINS DU PARTI GOUVERNEMENTAL OU DE LA CLASSE ?

La grande faiblesse du trotskiste éternel est qu'il part des besoins du parti bolchevique mythifié, pas de ceux du prolétariat, qu'il crève de faim ou n'ait pas de combustible pour se chauffer ? peu importe. Ainsi traiter de Cronstadt ne relèverait que du complot des armées blanches, ainsi que le fit croire le gouvernement bolchevique aux abois. Pour le parti gouvernemental, l'insurrection de Cronstadt le 6 mars est un complot incité par l'armée blanche ; ce n'est que le 17 mars qu'ordre est donné aux soldats de l'Armée rouge de soumettre la garnison des marins. 8000 personnes auraient pu partir vivre en Finlande. Il y aurait eu 527 tués et 4127 blessés, chiffres bien inférieurs à ceux des blancs et des anarchistes. Selon Victor Serge 500 marins ont été exécutés.

Lequenne se targue d'une grande découverte prouvant le complot, celle de l'historien Paul Avrich qui, pourtant, en avait fourni une version critique de la répression du gouvernement bolchevique. La révélation pulvériserait « le mythe de la réaction et de l'ultra-gauche réunies ». N'est-ce pas Saint Pierre Frank qui avait publié les documents prouvant le complot dès 1976 ? Et puis, tragique fausse affirmation, les marins de Cronstadt en 1921 n'étaient plus ceux de 1917 ! Ce qui était l'argumentaire du ministre de la guerre Trotsky, réfugié ultérieurement au Mexique et gêné pour répondre aux journalistes quant à la « tragique nécessité » de la répression à Cronstadt ! Disparition du robuste marin de 17 et spontanément bolchevique qui n'est toujours pas prouvée. La politique du gouvernement bolchevique pendant le « communisme de guerre » avait mené à la désintégration administrative et à un recours généralisé au marché noir et à la corruption. Pourtant Lénine signait toujours des ordres de militarisation des industries en février 1921. L'Etat « ouvrier » ne se souciait donc pas en premier lieu des pénuries alimentaires, et en un sens, quant à sa fonction d'Etat, on ne saurait le lui reprocher car la classe ouvrière doit... pouvoir encore se défendre dans une période transitoire ; gardant son autonomie pour pouvoir combattre avec ses partis communistes cet Etat bâtard, s'il le faut, s'il dévie du but final. L'arrogance du parti/gouvernement atteignait son point culminant dans l'après-1917 au moment même où la menace militaire... s'estompait. L'Etat « ouvrier » qui avait succédé à l'Etat tsariste n'avait pas été confronté encore à une révolte majeure de la classe ouvrière comme ce fut le cas avec les grèves à Pétrograd et avec la mutinerie de Cronstadt.

Quand une série d'arguments assommants ne parvient pas à prouver le caractère petit bourgeois des insurgés de Cronstadt et des grévistes de Pétrograd, alors nos trotskiens modernes militarisés, ou survivants de cette idéologie moribonde, évoquent la situation militaire, car il faut avant tout protéger le territoire de la révolution n'est-ce pas ? Crontadt fait face à la Finlande dans la mer Baltique, vulnérable face à une possible incursion des armées alliées ? N'est-ce pas ?


Les exilés blancs ont essayé d'aider les mutins et le chef principal de la rébellion, Petrichenko, rejoignit les Blancs juste après que la révolte eut été liquidée. Lequenne croit faire triompher la théorie du complot en se référant à la lettre envoyée par Pétrichenko au général Wrangel le 31 mai , bien après la défaite de l'insurrection1. Bien, Petrichenko était un aventurier, et alors ? Le pope Gapone, qui avait préparé le dimanche rouge avec d'autres comparses policiers, n'avait-il pas été courtisé par Lénine parce qu'il entraîna des masses d'ouvriers dans la protestation contre le tsarisme ? Les milliers d'ouvriers qui défilèrent en 1905 n'étaient-ils eux aussi que des petits bourgeois comme les mutins de Cronstadt ?
Encore maintenant, il n'y a aucun argument convaincant que les mutins auraient eu des liens avec les Blancs pendant la rébellion elle-même, ni non plus qu'aucune puissance étrangère n'a même essayé de profiter militairement de la situation2. D'ailleurs Lénine lui-même avait reconnu ceci : " Ils ne veulent ni des gardes blancs ni de notre gouvernement". Les revendications des mutins n'étaient certes pas révolutionnaires, mais avec les grèves au même moment à Pétrograd, elles exprimaient des revendications politiques et sociales d'amélioration d'une situation de détresse économique. Le plus important, et ce qui n'est ni vu par les anarchistes ni par nos lénino-trotskiens, Cronstadt révéla que le premier Etat transitoire, moitié prolétarien (moitié on ne sait quoi), de l'histoire ne pouvait pas être vraiment prolétarien. Là est l'important de cette tragédie. Cette répression ne signifie pas que le parti bolchevique est devenu contre révolutionnaire et qu'il n'y aurait pas besoin d'attendre la proclamation du socialisme dans un seul pays en 1926 pour déterminer la fin de la révolution en Russie. Cronstadt peut être mis en parallèle avec les massacres de septembre 1792 en France, qui ont été certes honteux, mais n'ont pas signifié la fin de la révolution. Le jacobin attardé Lequenne place lui Cronstadt au même plan que la Vendée3. La répression sans véritable concertation, même de prolétaires emmenés par des petits bourgeois était une énorme connerie aux yeux du monde entier (et surtout de l'Allemagne comme on le verra par après) ; une révolution prolétarienne peut pas tirer sans vergogne même sur une masse de « petits bourgeois » (ou pas forcément) sans le payer chèrement pour sa réputation ? En fait le gouvernement bolchevique a été frappé de paranoïa (= peur au sens populaire) face « au péril extérieur » (comme en 1792), peut-être même a-t-il craint d'être doublé sur sa gauche pour l'influence sur la classe ouvrière (comme cela transparaît dans la « maladie infantile ») ? Dans la réalité il n'y avait aucun risque d'invasion militaire, ni la Finlande ni la Pologne n'étaient en situation de rompre la paix avec la Russie. Le résultat de la honteuse répression fût que le gouvernement bolchevique appliqua la NEP qu'il aurait pu appliquer sans tirer sur ceux de Cronstadt, puisque ce sont ces concessions libérales économiques que réclamaient finalement les rebelles, quoique en proposant exagérément de virer tous les bolcheviques.
La politique du gouvernement bolchevique pendant le « communisme de guerre » avait mené à la désintégration administrative et à un recours généralisé au marché noir et à la corruption. L'introduction de la Nouvelle politique économique (NEP) ne put empêcher non plus, par après, une masse de grèves à l'été mais elle bloqua leur extension. De cette façon ce furent les mécanismes du marché, plutôt que le gouvernement, qui pouvaient être rendus responsables de la situation difficile des ouvriers. La famine épouvantable de 1921-22 tua de 3 à 6 millions de personnes et n'aurait pas été empêchée par une application d'une démocratie formelle ou en virant tous les bolcheviques. Néanmoins, la dictature du gouvernement bolchevique avait aggravé les pertes humaines en ne stoppant pas à temps les réquisitions de céréales et en retardant l'appel à l'aide internationale.
Le ministre commissaire Trotsky a argué du fait que le parti bolchevik « a été obligé de maintenir sa dictature... indépendamment des vacillations provisoires même dans la classe ouvrière » ; il y a des vacillations... qui se perdent. Lénine ne promettait pas la lune : "Nous ne promettons aucune liberté, ou aucune démocratie ». Il avait rejeté les recommandations d'un rapport de la Tchéka appelant à la légalisation d'une partie de l'opposition socialiste, et son gouvernement répondit à la réapparition dans tout le pays des mencheviks, des SR et des anarchistes en les arrêtant par milliers, y compris les députés des soviets et d'anciens bolcheviks. L'année (1922) qui suivit la répression de Cronstadt, la justice « bolchevique-gouvernementale » condamna plus de 3.000 ouvriers au travail forcé pour des infractions à la discipline du travail et l'Armée rouge envahit la Géorgie faisant face à hostilité de la majorité de sa classe ouvrière en lutte.
Dans le sillage de la répression de Cronstadt, les recommandations de la terreur rouge pleuvent. En 1922 Lénine recommanda que « l'application de la peine de mort devrait s'étendre.... à toutes les formes d'activité des mencheviks, des SR et ainsi de suite", et que "les tribunaux ne doivent pas interdire la terreur... mais la légaliser comme principe ». Comme dictature du prolétariat on ne peut pas faire pire.
Avant sa mort en 1924, Lénine commença véritablement à manifester de l'inquiétude pour non pas la « bureaucratisation » de l'Etat, mais la propension de la machine étatique à échapper aux mains de ses créateurs et à l'appareil du parti. Bien des trotskiens d'aujourd'hui cautionnent encore le chef d'Etat Lénine dans ses abus dictatoriaux en arguant que la guerre civile avait été si destructive que le prolétariat russe "avait cessé d'exister en tant que prolétariat", et que seul le parti et l'Etat pouvaient encore représenter les intérêts de ce prolétariat disparu. Cependant, même si le prolétariat avait disparu, l'idée de rester au pouvoir sans classe ouvrière contredit tout principe d'auto-émancipation des prolétaires par eux-mêmes.
Au lieu de garder en tête l'isolement croissant de la révolution et ses impossibilités - ponctuée par une série d'escapades militaires inutiles et de mesures économiques ponctuelles et de celles vouées à déchirer un peu plus la société (l'impôt en nature) pour sauvegarder empiriquement un Etat national (ni socialiste ni communiste) dans une ombre de socialisme - Lequenne fonce tête baissée dans la défense de l'Etat déjà plus stalinien que léninien, dans une configuration où c'est le parti qui est happé par l'Etat et pas l'inverse. La personnalisation de la dégénérescence sur la seule personne du maléfique Staline est évidemment l'avatar total du trotskysme.

LENINE ETAIT-IL L'ETAT TRANSITOIRE (raté) A LUI TOUT SEUL ?

J'ai commencé par parler au début de cette deuxième partie de ma réponse à Lequenne, d'une des grandes faiblesses politiques du trotskisme dégénéré : il défend la structure parti comme deux ex machina qui va fabriquer la révolution et une fois que cette structure est au pouvoir, il la défend mordicus comme porte voix d'un prolétariat masse de manœuvre éventuellement disparue comme à Cronstadt. Il est une autre faiblesse, plus lamentable encore, qui est la personnalisation de la politique – autre héritage croisé du stalinisme spécialisé dans l'attaque des personnes – et Lénine par ci et Lénine par là. Ce qui est d'ailleurs conforme aux sagas pastichées par les historiens bourgeois qu'ils ont lu bouche ouverte. Lénine avait fort bien devancé ces dérives interprétatives des historiens psychologues et de leurs lecteurs trotskiens, avec cette formule : « L'Etat est comme une machine qui nous échappe » (cité de mémoire). Avant tous les trotskistes américains parjures devenus féroces fustigateurs du capitalisme d'Etat russe, avant tous les Raymond Aron du siècle dernier, Lénine avait fini par qualifier lui-même cet Etat, pourtant espéré révolutionnaire et prolétarien, finalement de « capitaliste d'Etat » et pas « Etat bureaucratique », formule creuse d'un Trotsky, radotée des millions de fois par ses petits perroquets, qui ne signifie rien puisque de toute façon, depuis l'Etat chinois antique, l'Etat est par nature... bureaucratique !
Trotsky est un as de la tautologie plus qu'un critique utile pour prendre du recul avec l'expérience en Russie. Il s'éparpille en explications sociologiques pour expliquer la dégénéscence, quand ce n'est pas la classe ouvrière qui a disparu aspirée par l'armée rouge, c'est la démobilisation de l'armée rouge qui a développé la bureaucratie. Ben oui, les gradés rendus à la vie civile font de bons contremaîtres, et les inscrits de la dernière heure au parti aussi. Trotsky a été un bon ministre d'Etat mais n'a jamais su organiser un véritable parti révolutionnaire. Il a raccroché au wagon de Lénine en 1917 mais sans Lénine, il est redevenu un simple animateur de sectes. Lequenne lui reconnaît d'autres faiblesses, qui sont pourtant du même ordre, son incapacité à être ferme face aux manigances du clan stalinien, sa bondieuserie d'esprit de parti (que ne pratiqua jamais Lénine toujours iconoclaste) quand c'est l'Opposition ouvrière qui mène le combat.
Signalons au passage que le seul à affronter Staline vraiment et représentant du plus conséquent mouvement maximaliste aux côtés de bolchevisme est qusiment gommé de la scène par Lequenne ; il faut dire que c'est une qualité commune entre trotskiens et staliniens d'ignorer les courants révolutionnaires qui les dérangent et même de les effacer de leur histoire trafiquée4.
Sur la question coloniale, comme son petit-fils Besancenot, Lequenne se garde de rappeler le déroulement du lamentable congrès de Bakou sous les auspices de l'anticolonialisme foireux.
 
QUOIQU'IL N'Y AIT PAS EU DE REVOLUTION ALLEMANDE...

Il n'y a eu ni une ni deux révolutions allemandes, quoique Trotsky se soit imaginé qu'il allait en être le chef, mais une série de tentatives désespérées, désespérées non faute du parti lénino-allemand bis, comme l'ont radoté durant 50 ans les lénino-trotskiens, mais peut-être bien à cause de la répression de Cronstadt. Personne ne vous a jamais suggéré une telle idée, eh bien je la suggère. Bien sûr il n'y avait pas une télévision d'Etat ni internet, mais la réputation des gouvernants bolcheviques avait en bien des endroits atteint la réputation d'un Assad ou d'un Khomeiny. L'échec ne fut pas dû seulement à l'assassinat de Rosa et aux insurrections dispersées et incohérentes dans les divers länders. Déjà à l'époque on était informé de la « situation internationale » sauf dans les bleds paumés de lozère. On nous fait raisonner sur la situation à l'intérieur de tel ou tel pays, la dégénérescence ne se passe qu'en Russie, l'échec ne se passe qu'en Allemagne, etc. Pour donner l'ambiance d'époque, qui n'était pas cet espèce de cocon imaginaire de « vague révolutionnaire » dans lequel nous, encore jeunes maximalistes, avons baigné en tant que bain de conscience de classe dans la perspective de demain, listons ce qui se passe au niveau international, où il n'y a donc pas que la méchante bourgeoisie exploiteuse et les valeureux bolcheviques (je rappelle que Cronstadt c' était en février 1921) :
  • le 25 janvier 1921 la conférence de Paris fixe les réparations dues par l'Allemagne à 226 milliards de marks-or ; l'Allemagne refuse (on imagine que cette exigence de réparations développe la conscience communiste du prolétariat allemand...) ;
  • le 27 février (peu après Cronstadt) à la conférence de Londres pour les réparations les négociations sont rompues par les allemands ;
  • le 8 mars, occupation de Düsseldorf, Ruhrort, Duisbourg par l'armée française (les allemands peuvent comparer avec l'occupation de Cronstadt...)
  • le 20 mars un large mouvement en solidarité avec la révolution... non mais plébiscite en Haute-Silésie, 60% des électeurs se prononcent en faveur du rattachement à l'Allemagne.
  • les 22 et 28 « action de mars » tentative d'insurrection de l'aventurier communiste Max Hoelz, attentats ferroviaires à Ammendorf et Hettstedt, tentative armée du PCA à Halle et Mansfeld ; on imagine le même effet sur la population en général que les années de plomb en Italie, mais pas une ferveur pour une révolution mondiale sympathique comme celle du gouvernement bolchevique à Cronstadt... Le 28 mars, après la répression de l’insurrection à Halle-Mansfeld, le KPD lance un appel à la fin de la grève générale, paralysant l’action. 4 000 insurgés sont arrêtés par l’armée. Politiquement, c'est un désastre pour le KPD, car la moitié de ses adhérents quittent le parti, certains rejoindront le parti nazi qui balbutie encore.
  • le 5 mai, la conférence de Londres ramène les réparations allemandes à 132 Md de marks-or et menace d'occuper la Rhur si les conditions de paiement ne sont pas respectées (tout pour favoriser un paiement internationaliste...).
  • Le 6 mai, accord commercial germano-soviétique (tiens notre gouvernement signe un accord avec celui qui a massacré à Cronstadt!).
  • Le 10 mai, le Reichstag accepte de se soumettre aux exigences des Alliés concernant le paiement des réparations (tiens il existe désormais un mouvement à croix gammée qui croit en nombre plus vite que les communistes amis de Cronstadt martyrisé...).
  • Etc. Et puis le reste. Devant le refus du gouvernement allemand d’entériner les décisions de la conférence de Londres, les troupes françaises, anglaises et belges occupent Düsseldorf, Duisbourg... L’Angleterre taxe à 50% les importations allemandes. C'est aussi une autre façon d'isoler la Russie en favorisant l'isolement... national-socialiste de l'Allemagne. Toutes stratégies de la III e Internationale comme tous les plans de Trotsky n'y pourront rien changer.
Pendant que se déroulent tous ces événements où la classe ouvrière, au niveau international, est systématiquement défaite, et où l'espérance de la généralisation révolutionnaire à partir de la Russie s'estompe, Lequenne nous balade dans la saga du personnage Trotsky, comme si le sort du monde avait dépendu de cet acharnement de la clique étatique à le « tuer moralement », et parce qu'on censure le dernier ouvrage du prophète exclu du gouvernement « soviétique », « Cours nouveau » qui n'est qu'une querelle pour gérer la dégénérescence en Russie, dont se fout le monde entier.


L'APOLOGIE DU GENERAL TROTSKY N'EXPLIQUE PAS LA CONTRE REVOLUTION

Pour Lequenne, la révolution est avant tout une guerre « révolutionnaire », avec armée « rouge », coup d'Etat trotskiste (pur)
Il nous ressert les clichés néo-jacobins : thermidor et bonapartisme. Lequenne sait adapter une autre version de Thermidor, alors que ce concept est inepte dans le cas russe comme l'a démontré Bilan : « c'est un coup d'Etat à l'intérieur du parti au pouvoir ». Mais qui est à l'intérieur de quoi ? Le parti dans l'Etat ou l'Etat dans le parti ? Le parti a été absorbé par l'Etat. On a donné plus tard un coup de piolet à Trotsky mais pas dans les mêmes conditions pour Robespierre. L'analogie historique ne tient pas même si Trotsky se réserve le beau rôle. Il y a eu une révolution bourgeoise politique qui a posé les bases de l'émancipation de la société du féodalisme sans réussir à imposer un régime démocratique, puis continuée par un Robespierre à cheval. La révolution en Russie n'a pas changé le monde (hélas cher Reed) ni affaibli le capitalisme. Elle a été marquée par une restauration de l'Etat dictatorial et une accumulation primitive à marche forcée, dont les dominants contemporains se fichaient, plutôt d'accord en général avec sa diabolisation par Hitler.
La qualification de Staline comme nouveau Bonaparte ne tient pas non plus. Ni général ni pertinent législateur, Staline n'aura été qu'un concierge du capitalisme d'Etat moderne. Pourtant le pabliste Lequenne a tant aimé les coups d'Etat tiersmondistes ! Il en rêve encore : ah si Trotsky avait pu mener à bien un coup d'Etat contre Staline : « ...qui n'aurait pu ressembler en rien au stalinisme »5. Voyez comment il a parcouru la Russie dans son train militaire, comment il ne s'est pas trop exposé à Cronstadt, comment il est resté populaire
Lequenne n'est pas très explicite sur la bolchévisation parce qu'il lui eût fallu mettre en évidence le très net et très valeureux combat des maximalistes bordiguistes alors que les trotskistes d'époque restaient à la traîne, si attachés à l'esprit de caserne du parti et au recrutement forcené, même en gardant les principes dans la poche.
 
DOIT-ON SE FELICITER DES SOUCIS MINISTERIELS DE TROTSKY ?

En suivant l'historiographie de Lequenne, centrée sur le nombril de Trotsky, on se demande maintenant ce qui l'intéresse le plus : la pose de ministre d'Etat ou le propagandiste du communisme qui ne peut exister en Russie. On pourrait dire pour utiliser une expression vulgaire que l'ex-ministre Trotsky, qui conteste les orientations gouvernementales du premier ministre Staline, est grillé. Il s'est déjà usé au gouvernement, comme on le dit de tout politicien bourgeois, et comme ce dernier ne désire qu'y retourner, aux affaires, comme on dit. Trotsky n'est-il donc plus le lutteur internationaliste si brillant des toutes premières années révolutionnaires pour tomber au niveau d'un simple économiste soucieux de la gestion du pays, qui « est préoccupé par le bilan accablant de la situation industrielle du pays » ? Imaginez-vous Marx, ministre de gouvernement, exigeant des statistiques industrielles en Allemagne, ou Blanqui, sorti de prison, et, ministre de la Commune, s'inquiétant de la production des fusils ? Ce n'est pas la peine de se moquer du « socialisme dans un seul pays » pour en venir à raisonner ainsi au niveau d'un seul pays, en se situant ainsi – comme ministre et non pas comme communiste – sur le même plan que les concurrents staliniens gagnant-gagnant. Le rôle d'un membre éminent d 'un vrai parti communiste, qui ne peut s'identifier à un Etat particulier, n'est pas de se soucier de la gestion par l'Etat transitoire, même si le parti peut déléguer tel ou tel économiste, mais de défendre la perspective communiste dont les avancées ne peuvent se mesurer en tonnes d'acier produit.
Le trotskien troisième génération Lequenne enferme Trotsky dans la stature d'homme d'Etat. Nul doute que par rapport à la moyenne à l'époque Trotsky avait des capacités de dirigeant et une intelligence hors pair, mais même au risque de se faire simple commis d'Etat. Il eût fallu choisir. Or il se bat, dans ce qu'il imagine être un nouveau Thermidor, dans le même cadre que le méchant Staline. Thermidor c'est lui au fond, puisque en réalité le Thermidor français ne remet pas en cause initialement 89, mais qu'ensuite Carnot et Napoléon applique la terreur blanche, dont s'inspire bêtement Trotsky lorsqu'il était encore aux manettes du pouvoir.
Son historiographe fan nous enlise à longueur de pages dans le complot stalinien en vase clos, où il n'est plus question ni de l'état du monde ni du prolétariat. Lequenne est incapable d'élever la compréhension du pourrissement sur pied de la révolution, dans l'isolement, ou un autre nom que celui de Staline aurait pu prendre place, où les questions et hypothèses pour gérer un territoire à vocation socialiste sont vouées à des non réponses, et renvoient à une impossibilité.
Toujours à la manière de l'effacement stalinien, de manière oecuménique envers un compère de la mafia lambertiste, Lequenne nous vante le « Staline » de Jean-Jacques Marie, alors que celui de Souvarine reste le meilleur et dépasse celui de Trotsky. La référence à un historien trotskien moderne de seconde main est plus perverse en somme, elle vise à négliger ou à laisser dans l'ombre les critiques de Lénine et Trotsky et leur tapis déroulé pour Staline, c'est à dire les critiques maximalistes européens qualifiés « d'infantiles ».
Il fait passer le sinistre manoeuvrier Zinoviev pour une Sainte Nitouche victime aussi du méchant Staline, qui prend peur et avertit son collègue Trotsky des menaces de mort de l'étoile montante de « l'Etat ouvrier ». On n'a aucune envie de compatir avec les trumvirs, bien qu'anciens ministres de Lénine. Comme pour les Marat et Robespierre, la compassion sentimentale à laquelle on nous convie n'est que de l'histoire réchauffée, abstraite et mythifiée.
Le prolétariat est globalement muselé. Ses Conseils n'existent plus sous un Etat qui se nomme pourtant « Etat soviétique » (expression que Bordiga se refusa toujours à utiliser). Lequenne ne nous émeut aucunement avec la description de la réunion, tardive et factice, des oppositions, toutes bornées aux invraisemblables solutions au bourbier russe.
Et ces « déformations bureaucratiques » de l'Etat-parti, c'est quoi ? Des carences qui seraient amendables ? Réformables ? Quand c'est ce même Etat, comme un tout, qui ridiculise la dictature sans prolétariat.
La pensée trotskienne est limitée à la structure organisationnelle recette, qui vient de faire faillite en Russie et quand Trotsky est et a toujours été incapable de construire une véritable organisation à la manière de Lénine. Lequenne en sait quelque chose, ayant traversé tant de multiples scissions et magouilles dans le mouvement trotskien depuis la guerre. Ce qui ne l'empêche de poser au maître es quantité. Une organisation c'est son nombre et ça fonctionne comme l'armée. Le camarade de Trotsky au comité central, Joseph Staline n'avait-il pas dit un jour : « le pape ! Combien de divisions? Lequenne déplore une Opposition chaotique, dont les membres « sont marginalisés du fait de la faiblesse de leurs organisations ». Ce qui évite au docteur Lequenne de nous parler du contenu. Quel intérêt y a-t-il à mettre Nin et Bordiga sur le même plan ? Minorer le rôle et la place de Bordiga est une obsession chez les trotskistes indélébiles. L'élite mondiale du communisme gouvernemental est en Russie pas au-delà, dira-t-il plus loin : « Hors d'Urss aucun PC n'avait alors de cadres du niveau des proches de Trotsky ».
Les séquences du livre tentent de faire croire à un souci internationaliste, bien qu'en restant focalisé sur la bagarre entre apparatchiks dans l'Etat russe, mais c'est un cloisonnement de constats pas une analyse matérialiste de l'interaction des événements dans le monde ni une capacité à situer dans quel cours historique on se trouve. La grève générale de 1926 en Angleterre ? Elle ne risque pas d'être révolutionnaire, et il est fort probable que les ouvriers anglais ont été aussi affectés que les ouvriers allemands par ce qu'ils ont su, ou plus ou moins, sur la dictature de l'Etat-parti contre les ouvriers à Petrograd et à Cronstadt6.
Les oppositionnels à l'Etat-parti de plus en plus contrôlés par le clan de Staline ont beau se promener dans les usines, où Trotsky se fait encore applaudir, et certains prôner la sortie de ce parti étatique, rien n'y fait. La violence de l'Etat-parti s'accroît sans vergogne. Lequenne veut toujours faire passer Trotsky pour un héros et lui prête ce cri à une quinzième conférence du parti, sans citer sa source, et qui est donc un mensonge ; c'est Bordiga à un plénum de 1926 qui confronte Staline alors que Trotsky se tait.
On a droit à une bonne description de la façon dont l'Etat russe, et pas seulement Staline, a saboté la révolution chinoise, que Trotsky a défendue, mais en restant encore aux côtés de « son » Etat national. Le chapitre est bouclé avec l'avènement de Mao et sa « révolution victorieuse », vingt ans plus tard. Pabliste un jour, pabliste toujours le Lequenne !
La révolution reste une question militaire pour tout apparatchik trotskien. Lequenne se régale à montrer un Trotsky plus belliqueux que Staline en cas de guerre contre « l'Etat ouvrier dégénéré » ; ce que le trotskysme en son entier fera sien lors de la seconde boucherie mondiale où la révolution sera sensée s'exporter à coups d'orgues de Trotsky, pardon de Staline.
Trotsky, très marqué par son expérience ministérielle passée, reste un des premiers contestataires du premier ministre Staline ; il est scandalisé que Staline fasse appliquer les 35 heures7 : « alors que la journée de huit heures n'est même pas appliquée ». Lequenne s'est-il rendu compte qu'il tirait une balle dans le pied de son guru ?
Quelle joie pour Trotsky de voir défiler les chars de l'armée « rouge » depuis le promontoire des grands dirigeants du prolétariat disparu, défilés qui symbolisent non pas la révolution internationale mais la guerre impérialiste russe.
La persécution ne cesse pas, malgré parades militaires et visites aux usines. Trotsky se bat en vain au sein de l'aréopage étatique – il n'y a pas de frontières entre réunions du parti et du gouvernement – contre l'invention du « trotskisme » ; on avait déjà tué Lénine avec l'invention du léninisme. Il est insulté comme la plupart de ses commensaux, puis exclu. Ce n'est pas encore une autre version de Thermidor puisque la population et le prolétariat ne sont pas directement concernés. C'est un règlement de compte entre anciens et nouveaux ministres d'Etat « prolétarien ». La description des éliminations successives est fastidieuse, ne sert à rien, et évite de réfléchir sur l'erreur de la collusion parti et Etat. Les clichés radotés d'un marxisme bègue n'expliquent pas le triomphe du capitalisme d'Etat comme préparation à la guerre mondiale : « Staline impose son bonapartisme par la terreur » ; et toujours Trotsky se calque sur la révolution française alors que toutes les conditions sont différentes et qu'il est fallacieux de tirer de mêmes conclusions à partir de prémisses sociales, politiques et temporelles différentes historiquement.
Le rappel du tournant « ultra-gauche », classe contre classe, qui permet, regrette Lequenne le renforcement de la social-démocratie, n'est qu'un argument pour le trotskisme à l'époque où il était encore ado à exalter le tournant des Front uniques de préparation... à la guerre. Mais cela Lequenne évite de le rappeler. On reste résolument dans la caserne russe ; dékoulakisation, industrialisation forcenée et goulags, et détails glaçant de la dictature de « l'Etat ouvrier dégénéré » n'empêchent pas les divers trotskiens jusqu'à Lequenne de prétendre le régime stalinien meilleur que le capitalisme libéral, particulièrement dans les années 1950 où, haut membre dirigeant de la IV e d'opérette, il se prenait pour le nouveau parti mondial avec deux douzaines de personnes dans le monde européen.
La fin des années 1930 montre un Trotsky qui se goure à peu près sur tout. Il croit à une révolution en Espagne puis en France, en même temps qu'il affiche des positions ahurissantes de soutien aux tueurs staliniens en terre ibérique (cf. mon livre sur la guerre d'Espagne). Toutes les analyses que répercute Lequenne ne sont que complots, assassinats, appels à l'union antifasciste foireuse, épisodes militaires, le tout en prétendant parler au nom d'un prolétariat déjà amorphe. Lequenne ne comprend pas le rôle délétère fondamental des brigades internationales créées par l'Etat impérialiste russe, car, au moment de la guerre d'Espagne il est- clairement impérialiste.
Alors que des centaines puis des milliers de prolétaires sont tués ou vont être tués au cours de cette fin des années 1930, Lequenne nous sort cette phrase incongrue : « C'est la IV e internationale qui allait souffrir le plus de l'apparition sur la scène mondiale du caractère contre-révolutionnaire du stalinisme ». Franchement creux. Le stalinisme n'est même pas contre révolutionnaire, comme le nazisme c'est le boucher auquel on a donné la viande et qui la découpe. L'Etat « prolétarien » avait opéré déjà à la contre révolution en tirant sur les ouvriers à Petrograd et à Cronstadt, et en les entraînant au casse-pipe dans des guerres de conquête antirévolutionnaires.
Dans sa postface, Lequenne déçoit doublement. S'il assure que « Trotsky avait bien montré que l'Etat ouvrier dégénéré ne répondait à aucune des caractéristiques définissant le capitalisme » (ah bon ! Où et quand?), il ose montrer les limites du maître : « sa notion de 'bureaucratisation' était d'une faiblesse extrême »8. Il ne peut comprendre l'essentiel, que la contre révolution commence avec l'identification du parti à l'Etat, ou sa confusion avec le gouvernement. Et ensuite que, en effet, comme l'avait constaté Lénine, l'Etat bolchevique s'est mis à fonctionner comme un capitalisme d'Etat, avec les mêmes caractéristiques que l'Etat bourgeois au fond : exploitation des ouvriers par un capitalisme collectif, soumission au rendement, encadrement d'une production effrénée dans une course aux armements épuisante au bout d'un demi siècle.
Décevant car fragilisé notre ami Lequenne trostkiste toujours, il ne sait plus où il en est sur cette histoire d'Etat ouvrier dégénéré, minable tunique au soutien critique invraisemblable pendant tant d'années à un socialisme irréel et surtout dictature féroce. Il ose un vague « collectivisme bureaucratique ». Mais il rend l'âme, déplorant que toutes les chapelles trotskiennes aient tant varié et éprouvé des difficultés à défendre éternellement le pseudo « Etat prolétarien », il refile la patate chaude à l'impuissance théorique et politique de ses propres collègues : « les disciples de la 4 e internationale (le) défendaient sans explications théoriques suffisantes ». S'il concède quelques erreurs à Trotsky c'est pour assurer qu'il eût toujours raison. Sur le régime stalinien il voudrait bie qu'on le suive dans son introspection personnelle – la nomenklatura fut-elle un système instable ? Une caste ?
Nous le laissons à son questionnement urbi et orbi. Le mouvement maximaliste dans ses meilleures expressions théoriques a tiré le bilan de l'échec d'Octobre, de la nécessité pour les partis communistes et les organismes prolétariens de ne pas s'identifier à l'Etat transitoire. Je renvoie à mon livre « Dans quel Etat est la révolution ? » et aux tonnes d'articles non publiés par le CCI sur ses débats internes sur le déroulement de la période de transition qui ne pourra absolument pas prendre comme base de référence l'expérience en Russie, et, à une autre échelle devra éviter les mêmes erreurs. Mais il ne faut pas compter sur le trotskisme pour en discuter, ni approcher le problème. Ils sont restés dans les cadres du stalinisme et c'est pourquoi ils sont morts théoriquement pour toute approche de la théorie communiste.
Pour résumer le point culminant de la contre révolution c'est quand ils ont commencé à reparler russe au comité central du parti et dans l'Internationale (la troisième).







NOTES


1Michel Lequenne est tout de même en désaccord avec une officine de sa mouvance « pabliste » les jeunots de Wikirouge : « en mars 1921 a lieu le 10e Congrès du PC, et au même moment éclate la révolte de Cronstadt. Celle-ci fut un révélateur de l'ampleur de la rupture du lien avec les masses. L'ensemble de la direction bolchévique, tous courants confondus, accepte la répression des insurgés. On craint alors que la contre-révolution s'empare de Cronstadt (même s'il apparaît rétrospectivement que la guerre civile était déjà gagnée). Malgré les désaccords importants qui les divisent (Opposition ouvrière, décistes...), l'esprit de citadelle assiégé est tel que les congressistes acceptent la suppression du droit de fraction ».
2Toutes les révolutions ou les événements sociaux majeurs font l'objet du soupçon infamant de complot ou résultat de quelque sordide manipulation. Il est notoire que mai 68 a été un complot américain pour faire tomber De Gaulle...

3 Sa petite fille trotskienne et mélanchonienne , membre de l'éphémère parti pirate démocrate soc, Sophie Wahnich avait proposé une nouvelle interprétation des massacres : le peuple parisien d'alors (bof une foule de petits boutiquiers et de paysans arriérés) aurait exercé lui-même sa vengeance, face aux atermoiements de ses classes dirigeantes qui refusaient de juger ceux qui étaient considérés comme criminels ou traîtres. Le risque d’un mouvement de violence populaire généralisée avait d’ailleurs été avancé à la tribune de l’Assemblée par Santerre, le 20 juin 1792, puis par un représentant de la Commune le 17 août. Pour Sophie Wahnich, nulle vacance du pouvoir : l’Assemblée détient encore le pouvoir de faire la loi. On dispute encore pour savoir si Marat et Danton ont appelé à l'action les « septembriseurs ». La violence de septembre est irrationnelle, non-politique, inutile à la révolution, mais inévitable car l’Assemblée n’a pas su la traduire politiquement. La formation trotskienne, et même « pabliste », de cette Sophie en dit long sur les limites politiques de la formation dans les écoles trotskistes. La violence est compréhensible si elle provient de n'importe quelle couche pauvre, et c'est pourquoi tant d'intellos trotskiens sont les collabos du fascisme islamique.


4Bordiga est évoquer trois fois de façon elliptique et méprisante : « ne démord pas de l'antiparlementarisme », « est considéré comme trotskiste par Zinoviev », « l'opposant Bordiga » (p.271) ; est aussi évoqué un parti communiste italien « sans grande implantation » (qui) se garda du front unique » ; pour le trotskien lambda une organisation c'est avant tout un chiffre, le nombre de recrues « embrigadées » dans « l'armée révolutionnaire » . Il n'y a qu'un messie : Léon Davidovitch. Soyons sarcastique, pendant que Trotsky blablate et fulmine contre la « bureaucratie » cela lui évite de remettre en cause sa complicité avec cette même bureaucratie mais nous permet de déplorer qu'il ait enfanté autant de milliers de larves admirateurs de son rôle de commis d'Etat … anti-prolétarien.
5Lequenne est en total désaccord avec Trotsky sur le sujet, puisque, citant Victor Serge, lequel «  a révélé en privé Trotsky confiait que la révolution prolétarienne ne pouvait s'accommoder de coups de force militaire, que ce n'est pa s ce qui peut motiver une vraie révolution ». Et paf pour son mauvais disciple.
6Il est curieux que les historiens et les militants ne se penchent jamais sur la réception des informations à l'époque, mais reste le nez collé à tel événement sans jamais analyser ses répercussions et le degré de perception des populations. J'aimerai qu'on nous décrive comment a circulé l'info sur Cronstadt. Si elle a été bien diffusée par les anarchistes, comment les affidés de Moscou l'ont contré ou pas. Pour avoir vécu longuement dans les années du rideau de fer, je peux témoigner qu'il était difficile de démontrer à un stalinien ou à un trotskiste qu'il existait des camps de prisonniers en Russie, on s'entendait répondre : « tu lis trop Paris Match ou Le Figaro ». Dans les années 1920 ce pouvait être encore pire alors qu'un grand nombre d'ouvriers ne savaient pas lire.
7Oui oui, ce n'est pas une blague. Staline est prêt à tout pour séduire les masses désorientées, même avec des réformes sans lendemain et des beaux discours.
8En effet comme je l'ai démontré plus haut.

mardi 19 décembre 2017

TROTSKISTE UN JOUR TROTSKISTE TOUJOURS... (1)

Eclats du dernier grand-papa du trotskisme français
 

http://lequenne.michel.free.fr/Telechargement/ContreRevolutionDansRevolution.pdf
 

 
« La prise du pouvoir par les maximalistes... la masse des troupes maximalistes marche derrière Lénine et Trotsky vers une seconde révolution ». Plékhanov à Sadoul
96 ans et toutes ses dents ! Jamais nous n'atteindrons une telle longévité. Quelle verdeur ce Michel Lequenne ! Quel tonus ! Le moins connu mais toujours vivant des principaux personnages en France de ce qui fût une internationale d'opérette, la IV e symphonie … gauchiste « pabliste », vient nous offrir un excellent panégyrique de la révolution d'Octobre, gratuit et accessible sur le web. Merci Michel pour cet effort malgré les critiques qui vont suivre. J'en recommande vivement la lecture. L'écriture est claire. Les explications de l'empirisme inévitable des gouvernants bolcheviques, compréhensible et tout à fait honorable, font voler en éclats les tonnes de mensonges des anti-bolcheviques primaires du faussaire « livre noir du communisme ». Pas étonnant que Lequenne n'ait été publié ni par Gallimard ni par les éditions Houria La Fabrique, caténaires and Co. Mais que d'esquives et d'oublis!
« Contre-révolution dans la révolution », je n'aime pas ce titre, bien qu'il soit subtil, trop subtil pour un trotskiste de base NPA. Oui la contre-révolution n'est pas venue de l'extérieur mais de l'intérieur ; et elle est venue aussi des immenses couches paysannes contrairement à ce que pense l'interclassiste Lequenne. Mais ce ne sont pas les trotskistes d'aujourd'hui ni même pour la plupart ceux d'hier qui ont compris cela. Les trotskistes première manière, pourtant encore à considérer comme véritables révolutionnaires, ont toujours soutenu l'armée rouge, ce mythe miteux1, face à la contre-révolution extérieure. La bourgeoisie est rentrée par la fenêtre sur cour. Pas de Thermidor mais un nouveau cheval de Troie. Ce constat est venu des communistes de gauche, de Lénine lui-même dans ses fulgurances sur ses diverses définitions approximatives de l'Etat, si peu prolétarien. Ce qui rapproche le théoricien trotskiste de son frère stalinien est donc bien de gommer de l'histoire le courant maximaliste de la Hollande à l'Italie qui dénonça, bien mieux que les intellos anars et les libéraux bourgeois, la confusion de l'Etat et du parti, sans confondre goulags staliniens et visée révolutionnaire universelle. Lequenne, pourtant si cultivé et affable, fait semblant de ne pas connaître ce qui reste pour tout sectateur trotskien une poubelle de l'histoire : le gauchisme ultra-gauche, vrai maximalisme qui, de Luxemburg à Bordiga a su dès le départ dénoncer les dérives opportunistes qui allaient mener au stalinisme et à son bâtard, le trotskisme, ce souteneur impavide du capitalisme d'Etat.
Lorsque j'avais été l'interviewer chez lui à Paris il y a près de vingt ans, en 2001, pour la rédaction de mon ouvrage sur l'histoire du trotskisme modernisé en France - « Les trotskiens » - j'avais été frappé par la disponibilité et l'affabilité du personnage, pas du tout du genre vieux comploteur trotskien à la Lambert ni magouilleur syndicaliste NPA, ni sectaire vieux gardien du temple. Un type très cultivé, mémoire crédible sur les avanies du courant trotskiste depuis la guerre, bien que membre de l'école «pabliste », courant éclectique girouette théorisant depuis 1945 tout ce qui bouge comme révolutionnaire, enfin courant notoire le plus emblématique du caméléonisme trotskiste.
Son accroche pour susciter l'envie, comme aurait dit Johnny, de lire une nouvelle mythologie à la sauce trotskienne, est de s'appuyer sur de prétendues nouvelles révélations prétendant confirmer l'aspect fallacieux et contre révolutionnaire de l'insurrection (anarchiste ? Policière?) de 1921 à Cronstadt. On verra qu'il n'y a aucune nouvelle révélation et que la question n'est pas tant dans le déroulement de « l'erreur tragique » dans le massacre de Cronstadt que dans la conception caduque de la « guerre révolutionnaire » et dans l'identification du parti avec l'Etat pas du tout prolétarien. Qu'on ne s'attende donc pas à une critique du révisionnisme trotskiste moderne, ils sont tous restés, toutes sectes confondues, incapables de justifier leur soutien « critique » un siècle durant au stalinisme même si celui-ci est tombé après un banal concert de rock.
LES OEILLERES TROTSKISTES INDELEBILES
Toute révolution passe par le parti, est intrinsèquement guidée par le parti, n'existe pas sans parti, « l'absence du parti » expliquerait tous les échecs selon le gourou Trotsky âgé. Lequenne en rajoute sur la mythification du parti bolchevique : « il était né trop tard ». Notre antique « pabliste » n'a des yeux de Chimène au début que pour les soviets « ouvriers et paysans », quoiqu'il soit plus circonspect ultérieurement sur les desideratas hétérogènes voire contre révolutionnaire de la masse paysanne. Lénine est encore présenté comme deus ex machina : « Les bolchéviks sans Lénine restaient en sectaires à la porte ». La revisitation de l'histoire de la révolution d'Octobre se fait sur le mode de penser actuel du gauchisme trotskien ; les bandes antisémites sont caractérisées comme fascistes alors que le fascisme n'existe pas encore.
Ponctuellement des annotations sonnent justes contre une mythologie anarchiste : « La faiblesse de la grève générale est que les travailleurs y épuisent leurs ressources si elle ne dépasse pas ses objectifs premiers dans l'insurrection ». Lénine joue un rôle mineur en 1905 et, apparaît à plusieurs reprises en décalage face à la réalité contrairement à Trotsky. A force de vouloir exhiber Trotsky comme prima donna, Lequenne oublie d'analyser ses contradictions et son incapacité, comparé à Lénine, à être un véritable organisateur. Sa théorie de la révolution permanente où le prolétariat est sensé accomplir, préventivement à ses propres transformations socialistes, la finition des tâches bourgeoises non réalisées, n'est pas confirmée par Octobre 17, ou alors il faut comme certains bordiguistes la considérer comme une révolution double, à la fois bourgeoise et prolétarienne. Cette théorie fantasque servira surtout à justifier quarante ans plus tard toutes les supercheries de la décolonisation impérialiste.
Lequenne, qui n'a jamais participé à un véritable débat dans la gauche maximaliste européenne sur les exigences de la période de transition, pratique l'esquive qui permet de passer à la trappe les conceptions trotskistes opportunistes qui ont ouvert la voie aussi au stalinisme. Il dit : « l'organisation spécifique de la dictature du prolétariat c'est le soviet ». C'est pas vrai ! Pendant 50 ans staliniens comme trotskiens nous ont radoté que la dictature est celle du parti.
La révolution ne peut se dérouler et éventuellement se renforcer que par la dynamique de la classe et des conseils ouvriers plus que des soviets (interclassistes). Les organes dont la révolution se dote ne sont pas préalables à la lutte comme le veut la conception trotskienne dégénérée, où chaque secte dispose de divers fabricants de comités préliminaires pour « prendre la tête des masses », ou prendre la tête aux masses... Certes, le soviet, en Russie comme en Allemagne, n'est pas fiable car il est en mutation constante. D'ailleurs, sans en tirer toutes les conséquences, Lequenne note à plusieurs reprises que les soviets sont à majorité paysanne ; cela ne gêne pas le vieux pabliste qui dort encore en lui puisqu'il croit encore les paysans révolutionnaires à l'égal de la classe ouvrière. Alors par dépit il le caractérise de « faux soviet » ; non c'était un vrai soviet représentatif des couches non exploiteuses de la population mais plus confus que les conseils ouvriers et qui ne pouvait que s'identifier à l'Etat transitoire.
Le parti en général est inexistant ou en retard, et même s'il existe plus tôt il est si rempli de comitards et de manoeuvriers qu'il ne peut que s'opposer à la dynamique révolutionnaire, comme le montre la lourdeur du parti socialiste russe pourtant soit disant aguerri par des années de clandestinité. La plupart des membres du parti, pas encore nommé parti communiste, sont plus proches des positions mencheviques conciliatrices, et Trotsky lui-même est encore un menchevique non dénué de contradictions, que Lequenne passe sous silence parce que les staliniens en ont rappelé quelques unes à charge de revanche. Les mencheviques justifient encore la guerre comme « défensive », dans le droit fil de l'idéologie cramée de la « guerre révolutionnaire ».
Lequenne ne montre pas vraiment que les « Thèses d'Avril » sont un coup de tonnerre, qui liquide en même temps la fable de la théorie de la révolution permanente. Pas besoin d'en passer par une république bourgeoise. La situation de double pouvoir a été très courte. La fondation du bolchevisme comme « pédagogie politique », ainsi que le note Lequenne n'est qu'une fleur de rhétorique néo-stalinienne, qui accompagne tous les stages de bourrage de crâne dits « écoles de formation au trotskisme ». La révolution et la lutte de classe ne s'apprennent, elles se vivent.
Je me rappelle les premières années de la fête de LO en France où toutes les chapelles trotskistes glorifiaient un Lénine très oecuménique, unitaire et antifasciste (?) évitant de se baser sur les Thèses d'Avril, trop prolétariennes sans doute pour les papas de nos bobos militants actuels. Lénine est en effet isolé et conspué, Lequenne fait bien de le rappeler. Lequenne ne nous dit rien sur les positions de Trotsky à ce moment et se contente de boucher les trous en le citant comme auguste historien. Sur le fond Lénine a compris que la révolution est en train de s'affirmer par haine de la guerre, qui est l'aiguillon qui permet de démasquer la plupart des partis qui se disent socialistes (l'utilisation des termes droite et gauche ne rime à rien dans cette situation2). Lénine comprend aussi que l'opposition croissante à la guerre ne contient pas encore la volonté de renverser le pouvoir bourgeois.
Lénine a pu penser, comme le suppose Lequenne, que la révolution ne pouvait pas être immédiatement prolétarienne face à la masse des paysans, et nous assure que ce n'était pas le cas de Trotsky avec son inénarrable « révolution permanente » en escalier. Il semble bien que Trotsky ait vu plus nettement venir la révolution prolétarienne mais elle ne confirma pas ses thèses3. Lénine était possiblement moins dogmatique que Trotsky, très surestimé comme personnalisation de la révolution où, nous apprend avec stupeur Lequenne : « prolétaires et soldats bolchevisaient la société » ; vision mythique très trotskienne quand ce sont les masses qui « bolchevisaient » le parti !
Lequenne nous entraîne dans son historique de la révolution en montrant bien qu'elle n'est pas un dîner de gala ni un coup d'Etat, ce que je partage complètement. Sur le putsch de Kornilov, notre ami Lequenne opère à un nouveau gommage des interprétations courantes des diverses chapelles trotskiennes. S'il décrit bien la réaction immédiatement offensive des prolétaires et des soldats, il fait silence sur la théorisation « front unitaire » du courant trotskiste des 70 qui avait ainsi maquillé un épisode où il ne s'est agi aucunement d'une alliance avec la bourgeoisie et son Kerenski. Car la pression des masses était si forte qu'elle n'eût pas besoin de coopérer ni de prendre des engagements avec l'aile libérale bourgeoise.
Qu'on me permette aussi de douter de cette affirmation, non démontrée ni référencée en note : « Trotsky n'en pensait pas moins que le parti ne devait pas prendre le pouvoir lui-même » (p.41). Pourquoi fût-il le principal chef du comité insurrectionnel ? Pour le remettre ce pouvoir... à un parti unique ?
Lequenne se plante pour une raison toute simple, comme ses congénères il ne voit la révolution d'Octobre que comme un produit de l'arriération de la société russe, alors qu'elle éclate dans un contexte de guerre mondiale, totalement différent des conditions du 19 e siècle, et pose la question d'une révolution internationaliste pas d'un socialisme dans un seul pays avec des étapes de « révolution permanente ». Cette théorie ouvrait plutôt la voie à l'impérialisme stalinien et à ses conquêtes déguisées en « libération nationale » dont on sait les avatars et que le courant « pabliste » feint d'avoir oublié en se réfugiant dans un antiracisme très chrétien.
UNE « DIRECTION » MYTHIQUE BIENTOT DANS LA NASSE DU POUVOIR
On n'en était qu'à l'introduction, passons au coeur du livre. Nous restons d'accord sur un point avec Lequenne, ce ne fût pas un coup d'Etat blanquiste. Le génie des Lénine et Trotsky est incontestable, l'époque produisit naturellement de telles personnalités à dimension mondiale et non pas simplement russe. Les formules de Trotsky historien ne nous enchantent pas autant que cela, après coup. Il raisonne trop souvent en général et contribue à la mythification du parti avec son disciple Lequenne qui reprend des formules carrément fausses : « En février, les bolcheviks n'étaient encore que la direction de l'avant-garde du prolétariat des grandes villes ». Il y aurait donc eu des couches hiérarchiques successives : une direction, une avant-garde, un prolétariat et des habitants des grandes villes ; « les paysans fournissant l'essentiel des troupes ». Lequenne croit déceler une fusion paysans-ouvriers ; encore un fantasme « pabliste » ?
Lequenne je ne le conseillerais point s'il n'avait lui aussi des fulgurances de vérité contre les mensonges des historiens de gouvernement. Il démontre bien que les bolcheviques n'ont pas voulu gouverner seuls, mais il se prend immédiatement les pieds dans le tapis : « le parti unique au pouvoir c'est la sélection par la claire (?) conséquence de la logique révolutionnaire » ; si je croise Lequenne dan la rue il faudra qu'il m'explicite ce charabia.
Voyons à présent comment Lequenne va se servir du chaos inévitable pour justifier l'empirisme et les petites trahisons des gouvernants bolcheviques. Tiens il s'aperçoit que les soviets des campagnes sont très hétéroclites, composés de pillards, qu'au Front c'est la débandade même si cela déplaît au général Trotsky, que les fonctionnaires, ces fayots de l'ancien régime font de l'obstruction permanente (mais pas la révolution en permanence).
Sur Brest Litovsk, comment Lequenne va-t-il sortir son épingle (trotskiste) du jeu ? D'abord à l'aide d'une tautologie trotskienne, qui confond guerre et révolution, révolution et guerre : « Les bolchéviks avaient sous-estimé que la guerre mondiale en elle-même représentait une grande victoire contre le prolétariat ». C'est mal dit, si la guerre a lieu c'est que le prolétariat est défait, mais comme la révolution commence à un bout de l'Europe, on ne peut pas parler de défaite du prolétariat. Mal débuté. Alors il va s'efforcer de ridiculiser les communistes de gauche, des « puristes », sur une « position gauchiste ». Il se méfie de leurs radotages sur la guerre révolutionnaire4, concédant que ses deux héros, Lénine et Trotsky, croyaient eux aussi encore aux vertus de la guerre révolutionnaire néo-girondine ; arrêtée momentanément lors du traité contraint de Brest, elle ne connaîtrait qu'un répit de courte durée, et prolétaires et paysans pourraient être renvoyés au casse-pipe généralisé. Lequenne-Ho Chi Minh en profite pour tout mettre sur l'inaction du prolétariat européen, qui, en effet, ne met pas crosse en l'air, cajolé en Europe de l'Ouest dans les limbes d'une prétendue victoire. Et puis, et ce n'est pas moindre pour un conservateur du léninisme étatique, les conditions allemandes à Brest ne mettaient pas en cause « la survie du régime soviétique ». Lequenne ne remet pas en cause la théorie de la guerre révolutionnaire pour étendre une révolution à coup de canon et de massacres, mais je ne lui disputerai pas les arguments contre les communistes de gauche qui étaient en effet puristes et irresponsables, alors que leurs critiques aux camarades dans leur gestion du nouvel Etat furent plus conséquentes.
Sur la mise en place de la terreur rouge (p.41) même si on désapprouve un peu, Lequenne explique bien cette tragique nécessité et ridiculise tous les historiens à gages qui n'incriminent que les bolcheviques mais qui sont les premiers à s'associer aux campagnes antiterroristes mensonges des actuels Etats capitalistes sur-développés et surarmés.
Concernant l'affaire de Tsaritsyne, où le commandant Staline s'illustra par sa cruauté contre les populations, Lequenne reste flou et il est regrettable qu'il ne démontre pas plus la rectitude de Trotsky contre les exactions de Koba, ni ne rappelle les hésitations de Lénine à sanctionner.
Sur ladite révolution allemande, il n'y a rien de nouveau dans le jardin trotskien, tous les échecs se résument à l'absence de « direction » du parti (= crise de l'humanité) : « Le groupe Spartacus n'avait pas l'implantation du parti bolchevique ». Ah que l'implantation est fleurie quand elle est trotskienne ! Surtout quand on se rappelle que le parti en Russie à la veille de la révolution restait au trois quart conciliateur menchevique et va-t-en guerre.
C'est sur le gênant débat sur la place des syndicats sous le nouvel Etat « prolétarien » que Lequenne va tricher à nouveau. Certes la révolution est isolée. On est en 1921, et il nous a dit que la révolution avait dégénéré de 1924 à 1934, il nous faudra revenir sur cette curieuse tranche. Lequenne esquive carrément d'exposer vraiment la position du maréchal Trotsky (qui a pris du galon pendant la guerre civile) : il faut militariser les syndicats. Bon ne soyons pas honteux ni bégueule envers Trotsky, il n'est pas sur ce point très éloigné de la position du courant maximaliste pour qui il faut carrément supprimer des organes de collaboration d'Etat, mais cela ne signifie point que dans la période intermédiaire, entre capitalisme et communisme, il n'y aurait plus besoin d'organismes de défense immédiate de la classe. Et que l'expérience russe a montré de plus que l'Etat du coin, certes autonome mais pas complètement du marché mondial, n'est pas vraiment un ami des ouvriers. Lequenne nous dit que le propos de Trotsky a été déformé par « une légende stalinienne » (p.145), mais sans source de référence. Donc nulle et non avenue. Le vrai problème est que le ministre maréchal Trotsky s'identifie à un Etat qui a désormais des objectifs étrangers de plus en plus et au quotidien des prolétaires et à l'avenir communiste. C'est cet attachement national sentimental qui fonde son stupide « soutien critique » éternel refilé à ses ouailles perroquets.
Le plus inquiétant n'est pas Trotsky, dont on peut comprendre la confusion, mais Lequenne qui lui défend l'idée de syndicats étatisés : « ils ne doivent pas s'opposer à l'Etat « prolétarien » mais « devenir des organes économiques de la grande production industrielle » (p.147). Il est plus trotskien que le maître, c'est à dire bon néo-stalinien conservateur du pays des soviets sans Tintin Lénine, et devrait nous ébaubir à nouveau avec spoutniks et chiffres truqués de la production industrielle cosaque. L'Opposition ouvrière, en défendant l'autonomie syndicale, ne comprend que la moitié de la chose, et n'en tire aucune réflexion subséquente : pourquoi y aurait-il nécessité d'organes de défense des ouvriers à l'époque d'un Etat bienveillant à l'égard de ces mêmes ouvriers, c'est donc que cet Etat n'est pas un ami sincère ; et, par extension, si l'Etat récuse l'existence d'organismes représentatifs des ouvriers c'est qu'il serait en toutes circonstances le défenseur de la seule classe ouvrière ! Or cela même est impossible comme la célèbre définition historique de l'Etat par Engels le démontre.
La vérité de base du trotskysme est qu'il reste enfermé, via ses derniers éléphants, dans une conception nationale stalinienne de la période de transition. Les Lequenne, Krivine, Besancenot et Cie n'ont jamais sérieusement discuté de leur vie de la période de transition. Ils ne connaissent rien, sous leur armature de carnaval trotskien, des débats dans la Gauche italienne (Bilan), la GCF (internationalisme), le CCI (Révolution internationale) ni des apports des Appel, Pannekoek et tant d'autres combattants anonymes du but final.

À suivre...

NOTES

1Malgré l'impasse de la « lutte armée » (tiers-mondiste) , qui n'est condamnée au début des années 70 que par Gérard Filoche en voie de social-pacification (cf. p.54 de mes « trotskiens »), le dernier grand-père du trotskisme français montre à nouveau sa foi en la « lutte armée » sans principes citant les incongrus écrits militaires du ministre (capitaliste d'Etat) de la guerre, Trotsky ; il fait le sale boulot de n'importe quel général, fusiller les déserteurs, envoyer les milliers au casse-pipe, etc. Nos actuels révolutionnaires en chambre qui mythifient ce commandement militaire, comme révolutionnaire, s'imaginent à l'avenir beaucoup plus comme officiers révolutionnaire mais de l'arrière contrairement au spadassin à l'avant ! Lequenne annoblit le général Trotsky : « D'une masse vacillante et hésitante, sortit une véritable armée » ! Merci pour l'Etat capitaliste d'Etat ! La même armée qui, deux décennies plus tard, sera sacrifiée par millions pour sauver le capitalisme d'une destruction totale.²²²²²²²²²²²
2Ainsi des « forces de droite » et des « masses à gauche du parti »... on n'était pas sous le règne du gouvernement d'union de la gauche mitterrandienne !
3En page 41, un peu plus loin, Lequenne ne se rend pas compte qu'il invalide la théorie de la révolution permanente puisque « la bourgeoisie est incapable de réaliser la révolution démocratique », et ce ne sont ni Lénine, ni Trotsky, ni Staline qui la réaliseront la révolution démocratique !
4Lequenne a dû lire mon livre sur cette fable ou ceux de Philippe Riviale.

dimanche 17 décembre 2017

SALUT DOMINIQUE COTTE !

Il y a quelques jours à peine les élites bourgeoises se sont crues obligées de célébrer, de façon disproportionnée, le décès causé par une "maladie incurable" d'un rocker très populaire, et dont nous ne nions pas le talent d'interprète. Pour saluer une dernière fois un passeur de marxisme et un combattant opiniâtre pendant près d'un demi siècle de la lutte de classe, et un défenseur intransigeant de la nécessité de la révolution nous, nous n'avons nul besoin d'exhiber des médailles ou des Harley Davidson.
Lorsque nous perdons un des nôtres, atteint lui aussi de cette putain d'incurable maladie, parmi les meilleurs lutteurs du prolétariat nous ne comptons pas voir arriver non plus des milliers de prolétaires à l'enterrement, non pas que cette grande masse anonyme qu'est le prolétariat historiquement soit ingrat mais dans les conditions de la domination la disparition d'un de ses meilleurs défenseurs reste inaperçue, quand bien même nous minorité maximaliste, sommes là pour rappeler celui et ceux qu'il ne faut pas oublier pour leur contribution pérenne et inexpugnable à la cause de l'émancipation de l'humanité.
Dominique, ce grand gaillard si doux, va manquer à notre mouvement. Malgré sa signature anonyme et souvent fruit d'une collaboration commune avec son ami Jean Pierre, il était véritablement un écrivain prolétarien, rigoureux et soucieux d'approfondir le marxisme à la lumière du temps présent.
Il y a quelques semaines à peine nous avions assisté au nord de Paris à une conférence de son groupe où il fît l'exposé. Il y développa les grandes lignes des leçons toujours actuelles de la révolution d'Octobre (telle qu'on la nomme entre nous et pas "révolution russe"). Il le fit de façon très vivante, tenant compte des réactions du public et s'attachant à donner une solide charpente à chaque phase de son argumentation. Sa prestation fût d'ailleurs applaudie finalement par un public qui n'était pas composé que de nostalgiques du bolchevisme.
Que ses proches et particulièrement son ami de longue date (Jean Pierre) - une amitié politique extraordinaire que dépasse en longévité celle de nos célèbres Frédéric et Karl - reçoivent ici l'expression de ma profonde tristesse.

Je peux redire ici les mêmes propos que ceux que j'ai tenu en 1985 à Maastricht au nom du CCI, lors de l'enterrement de Ian Appel, président des Conseils ouvriers de Hambourg pendant la révolution  allemande et membre du Spartacusbond.Comme Engels l’a dit lors des funérailles de Marx nous retrouvons cette constance chez le révolutionnaire Dominique Cotte:

« Contribuer d’une façon ou d’une autre au renversement de la société capitaliste et des institutions d’Etat qu’elle a créées, collaborer à l’affranchissement du prolétariat moderne, telle était sa véritable vocation. La lutte était son élément, et il a lutté avec une passion, une opiniâtreté rares » (Engels, 17 mars 1883).

Dominique Cotte (20 janvier 1956-14 décembre 2017)

 Communiqué de Robin Goodfellow: https://www.robingoodfellow.info/

Notre camarade Dominique Cotte alias Verdier est décédé, emporté par un cancer du poumon.
Tout jeune, au lycée Buffon, il adhère au marxisme et rejoint la «Gauche marxiste», un groupe qui publiait le journal «Lutte continue» et qui se situait dans la continuité des groupes comme «Socialisme ou barbarie», «Pouvoir ouvrier» ou du «Groupe marxiste pour les conseils de travailleurs».
La faillite de ce courant le conduit avec d’autres anciens de la « Gauche marxiste » comme Jean-Pierre Hébert[1] (1950-2011) lui aussi mort tragiquement il y a quelques années, a une étude plus profonde de la théorie marxiste.
La stagnation de ce regroupement le conduit avec une partie du groupe à rejoindre la tradition de la gauche communiste d’Italie et d’«Invariance».
Après un bref passage au «Groupe communiste mondial », il est parmi les fondateurs de la revue «Communisme ou Civilisation» puis du collectif «Robin Goodfellow».
Polyglotte, comme le voudrait l’internationalisme, il avait un tempérament énergique et plein d’entrain dès lors que la moindre occasion favorable semblait se présenter.
Travailleur infatigable, il alliait la finesse de l’analyse des situations politiques avec une grande capacité d’expression et un style plein d’allant. Il animait également sans relâche les blogs comme les réseaux sociaux sur lesquels était présent «Robin Goodfellow».
La bienveillance, l’empathie et l’humour caractérisaient ses relations avec les camarades.
Il avait mis sa grande culture et sa connaissance approfondie du marxisme, dont il était un défenseur intransigeant, au service du prolétariat révolutionnaire. Son décès constitue une perte considérable pour le mouvement communiste.
Nos pensées vont également à sa famille qu’il chérissait.
Ses obsèques auront lieu le jeudi 21 décembre à 12h45 au crématorium de Saint-Sauveur (60320), 735 rue de Roche.


[1] https://proletariatuniversel.blogspot.fr/search?q=h%C3%A9bert