PAGES PROLETARIENNES

lundi 10 octobre 2016

NOTES SUR LE MOUVEMENT DES COOPERATIVES (2e partie)

En Allemagne comme en France, à la veille de la guerre le débat n'est pas vraiment concluant, même si la fraction maximaliste du socialisme international semble faire des concessions sur l'utilité des coopératives, elle reste très critique quand les tenants de cette soi-disant préparation des ouvriers à la gestion socialiste tentent l'alliance avec l'aile réformiste des syndicats... L'expérience des coopératives n'aura été que le premier pas du supermarché moderne récupéré par le commerçant Leclerc et les trotskiens qui avaient fondé la FNAC, nullement un apprentissage du socialisme ni du communisme. Donc.


Enquête : la coopération et le socialisme par Louis Bertrand, député au Parlement belge (1911)

En 1881, Edouard Bernstein considérait la coopération avec mépris. Louis Bertrand pensait que la ccopération réduirait « la puissance du commerce privé », « par la suppression des intermédiaires ».
Von Elm déporait le manque d'intérêt du parti :
« Le parti est neutre vis à vis de la création des coopératives, supposant existantes des conditions préalables nécessaires, comme propres à apporter quelques améliorations dans la situation économique de leurs membres ; il voit encore dans la création de coopératives, comme dans toutes les organisations des ouvriers destinées à la défense de leurs intérêts, un moyen efficace à l'éducation de la classe ouvrière pour diriger elle-même ses affaires ; mais il n'accorde à ces coopératives aucune valeur décisive pour l'affranchissement du prolétariat du joug du salariat. »

La résolution du congrès socialiste de Berlin stipulait contre divers congrès syndicaux que les coopératives ne sont pas à même « d'influer sur les conditions de production capitaliste ou d'améliorer la situation de la classe ouvrière ». Pour Von Elm : « le secret du succès réside dans la ssuppression du bénéfice du commerçant » ; en Angleterre et en Allemagne : « le grand nombre de consommateurs est intéressé dans une proportion beaucoup plus grande à la prospérité des entreprises coopératives, que les clients d'une affaire capitaliste privée, à celle-ci ».
Une pression croissante de la municipalisation et de la socialisation pourrait seule « amener à la coopération les grandes industries capitalisées ».
Ernst Lenz appuie la même conception : « Le mouvement coopératif est devenu une partie du mouvement social si important et si fertile pour la classe ouvrière que le parti ne peut plus se borner longtemps à le regarder favorablement ou à le laisser aller où il va (…) Il faudrait se rappeler la parole de Lassalle sur le lamentable manque de besoins des ouvriers. Est-il possible que le prolétariat regarde indifféremment comment ses organisations vont dans des mains étrangères et ne sont pas dirigées dans son esprit et qu'il tolère qu'on lui dise que le mouvement coopératif a ses lois particulières de développement et n'a rien de commun avec le mouvement social ».

En juin 1910 au septième congrès des coopératives allemandes sont énumérés les devoirs coopératifs des syndiqués par rapport aux sociétés d'achats en gros :
« Le congrès syndical....... recommande aux ouvriers et ouvrières organisés dans les syndicats, la décision prise au congrès syndical de Cologne (1905) de soutenir le mouvement coopératif, par leur entrée dans les coopératives et par la propagande des idées coopératives ».

J.Barth croit bon de conclure : « Il est indéniable que les décisions du congrès de Munich exerceront une profonde influence sur le mouvement ouvrier allemand, dans sa double forme coopérative et syndicale. Cette union des coopératives et des syndicats, effectuée malgré des divergences de nature, de terrain et d'activité, et malgré aussi une ancienne rivalité entre coopérateurs et synicaux, marque un pas énorme dans la voie de l'organisation de la classe ouvrière allemande. Le prochain congrès syndical l'affirmera, à son tour, en confirmant les décisions du Congrès coopératif ».

Le mouvement copératif français avait début au début des années 1880, sociétés dispersées et non fédéralisées. Pendant de la Bourse du travail de Paris, une Bourse coopérative des Sociétés ouvrières de consommation avait été créée en 1895 et fixé ses statuts. En 1900, premier congrès de la Bourse des Coopératives ouvrières de consommation.
En France, à la même époque le mouvement coopératif semble fusionner avec le syndicalisme comme s'en félicite G.Boudios :
« Au Comité confédéral de mai, notre Comité refusait d'entrer en pourparlers avec l'Union Coopérative. Depuis, une controverse s'est établie dans le Bulletin entre adversaires et partisans de l'Unité. (…) Sous la poussée des difficultés de la vie, devant le cynisme de spéculateurs, la C.G.T. A été amenée à inviter ses membres à combattre en partie les influences néfastes de l'agiotage, en apportant leur puissance de consommation à la coopération.
Enfin, nous ne verrons donc plus dans nos syndicats, d'un côté les syndicalistes coopérateurs et, de l'autre, des syndicalistes anti-coopérateurs. Les efforts patients des syndiqués coopérateurs ont obligé la fraction la plus révolutionnaire du syndicalisme à convenir que ceux, que jadis, ils couvraient de quolibets, avaient raison puisque la Confédération Générale du Travail a officiellement invité tous ses membres à devenir coopérateurs.
Allons, vieux coopérateurs syndiqués, ayons la victoire modeste, réjouissons-nous de voir nos camarades de travail entièrement d'accord avec nous sur la question coopérative.
Nous constatons également que, d'une manière officielle, le Parti socialiste, après avoir reconnu l'autonomie de la Coopération à Paris dans son congrès national, et à Copenhague dans son congrès international, invite ses membres à venir grossir les rangs des coopérateurs déjà groupés. Sous la poussée des événements, les capitaliste sont travaillé pour nous, en spéculant sur les denrées nécessaires à la vie. (…) Nos adversaires voient d'un mauvais œil la force sans cesse accrue de notre mouvement coopératif, et surtout de notre service d'achats et de production en commun, le Magasin de Gros.

« A l'origine, l'épicerie coopérative est incomplète, mais elle devient peu à peu un magasin confortable muni de provisions de marchandises considérables et variées. Puis elle se ramifie. La Société ouvre des succursales dans les différents quartiers de la localité, le nombre des magasins qui viennent se grouper autour de son administration centrale et de son entrepôt principal augmente continuellement. Le petit commerce coopératif est devenu un grand établissement de distribution de denrées alimentaires.
Mais là ne se borne pas son extension. Aux denrées alimentaires viennent s'ajouter peu à peu d'autres objets de première nécessité, pour lesquels il faut créer bientôt des services spéciaux ayant leur administration et leurs établissements propres. Ce sont les services de combustibles, des chaussures, des eaux minérales, etc., auxquels viennent s'ajouter les boulangeries, les laiteries, les boucheries. Des magasins spéciaux fournissent aux sociétaires les ustensiles de ménage et de cuisine, et les vêtements. Cette extension grandissante conduit parfois à la création de grands magasins coopératifs, où le sociétaire peut aller s'approvisionner de toutes les marchandises dont il a besoin, y compris les meubles, les instruments de tous genres et les articles de maroquinerie. (…)
L'espérience a démontré que leur activité est capable d'embrasser toute le domaine de la civilisation, et qu'il n'existe pour ainsi dire plus aucun domaine d'intérêt général auquel la Société de consommation ne soit capable de collaborer ».

Les sociétés de consommation doivent-elles s'affilier à un parti politique.

« La Coopération de consommation n'est pas un mouvement de classe. L'intérêt économique que les Sociétés de consommation et leurs Fédérations défendent et cherchent à faire triompher dans l'économie sociale, c'est sans contredit l'intérêt des consommateurs.
Or, comme toutes les classes de la société se composent de consommateurs, l'intérêt des consommateurs est de fait l'intérêt général commun de tous les membres de la société. En d'autres termes : toutes les classes, tous les peuples sont solidaires en tant que consommateurs, comme tels, les hommes ne connaissent pas d'intérêts opposés et par conséquent, ils n'ont aucun motif à se livrer à des luttes de concurrence et de classe et à des guerres entre peuples. L'intérêt des consommateurs est une unité supérieure qui fait disparaître tous les intérêts opposés sociaux et nationaux. (…)
La Coopération de consommation aide à créer les fondements économiques d'une civilisation sociale de l'humanité exempte de l'exploitation indigne de l'homme par l'homme ».

LA POSITION DE GUESDE AU CONGRES DE PARIS : si l'atelier prépare l'ouvrier à la lutte collective, la coopérative peut préparer à ce même titre le paysan... mais d'autres orateurs contestent cette dernière idée.

Gaston Lévy fournit un excellent résumé de la dernière discusion au congrès :

« … Mais par contre, si on lit les deux discours de Guesde et de Héliès, on aperçoit distinctement les deux thèses. Guesde, se plaçant au point de vue théorique , déclare : « La Coopérative n'a de valeur que par l'usage qu'on en fait ; elle peut être socialiste, comme patronale ou chrétienne. Seul compte, pour le prolétariat, son parti de classe, qui l'affranchira par la conquête du Pouvoir. On jugera donc la valeur socialiste de la Coopérative à l'appui qu'elle apportera au Parti Socialiste. Les coopératives resteront autonomes, oui, mais elles ne seront pas socialistes pour cela et, en fait, le principe même de la Coopérative n'est qu'une forme d'association évoluant dans les cadres de la société bourgeoise, et par conséquent ne pouvant les dépasser. Des individus se rassemblent pour acheter en commun ou produire en commun, et pour répartir leurs produits ou leurs achats ; mais ils ne s'arrêtent pas là ; ils font du commerce et touchent des bénéfices. Et même si les ouvriers profitent du bon marché des produits, en se généralisant, est-ce que les coopératives, diminuant le prix de la vie, n'abaisseront pas le taux des salaires, et cela d'autant plus qu'elles peuvent contribuer à déposséder les 1.500.000 petits commerçants qui viendront grossir l'armée des sans travail ? La preuve, c'est que le pays où les salaires sont les plus bas et les coopératives sont les plus répandues : c'est la Belgique, dont les travailleurs émigrent en masse et viennent abaisser le taux des salaires dans nos provinces du Nord. Dans les campagnes, on peut dire que réellement, les coopératives font œuvre d'éducation, dans le fait qu'elles transforment la mentalité paysanne dans le sens collectif ; mais dans les villes, ce n'est pas la même chose et c'est l'atelier lui-même qui prépare et contient tous les germes d'une société socialiste ». Et en tout cas, termine-t-il, il est impossible à des socialistes de reprocher aux coopératives du Nord de verser des fonds au Parti, puisque ce sont les mêmes reproches qui nous sont adressés par M.Motte et ses amis.

Ce discours, dont la forme était parfaite, et la séduction qui se dégage toujours de la parole de Guesde, produisirent une grosse impression sur le Congrès : elle ne pouvait guère être renforcée par les arguments de ceux qui appuyaient ce point de vue, même quand c'était, soit Bracke avec son érudition, soit Sanson avec la compétence particulière que lui donne sa qualité de secrétaire de la Fédération des Coopératives du Nord.

Compère Morel, lui, se contenta d'insister encore sur les Coopératives agraires, tout en faisant remarquer que les paysans qui y viennent, y vont par intérêt plus que par idéal.
L'autre thèse, qui était représentée par la motion de la Seine, fut défendue vigoureusement par Héliès, qui répondit victorieusement aux arguments de Guesde et eut un gros succès. Sa situation de directeur du Magasin de gros des Coopératives de France lui permettait d'apporter une documentation précise à l'appui de sa théorie, et il n'y manqua point.
Il signala tout d'abord, l'importance du mouvement coopératif international et français, puis démontra que la coopération a par elle-même une valeur sociale, d'abord en ce sens que son développement permet la réglementation du marché des denrées et empêche l'augmentation de la cherté de la vi, puis au point de vue éducatif, en associant la feme et l'enfant au grand désir de revendication sociale, et en assurant plus de bien-être.
Héliès insista sur l'action de la Coopération pour l'apprentissage de l'administration. « Ce qui créera, dit-il, la société socialiste, c'est la capacité de la classe ouvrière dans l'organisation et la production et de la répartition des produits ; mais, pour cela, il nous faut une autonomie complète des Coopératives, qui sont des organismes de la classe ouvrière et qui d'ailleurs s'organisent et se fédèrent selon le principe même que ses délégués ont admis au Congrès de Monthermé. Et d'ailleurs, toute son action est empreinte d'un caractère socialiste . L'Humanité y a trouvé son appui, toutes les grèves sont soutenues par les coopératives. La production elle-même est en partie touchée, mais ce ne sont plus des petites coopératives autonomes devenant la propriété de quelques individus ; ce sont des organismes de production possédés par l'ensemble des consommateurs fédérés par le M.D.G. Le chiffre d'affaires des magasins de gros est déjà considérable, mais, malgré tout, les coopératives ne suffisent pas, et le rôle des socialistes qui y pénètrent est de le faire comprendre aux coopérateurs. Mais on ne peut pas non plus faire dépendre la révolution sociale seulement de la prise du pouvoir politique et la classe ouvrière, majeure dans ses organismes, prépare elle-même sa libération.
« Les coopératives réclament leur autonomie ; nous n'avons pas à faire peser sur elles cette suspicion, qui consiste à ne leur reconnaître une valeur socialiste que si elles subventionnent le parti politique qui est créé pour servir la classe ouvrière et non pour s'en servir ».
Vaillant insista, en termes heureux, sur le fait que, partout où la classe ouvrière se rassemble pour une action commune, elle répand un stimulant de la force socialiste et ce sont les actions de masse de la classe ouvrière qui sont les véritables actions socialistes.
Tarbouriech, défendant une motion similaire à celle de la Seine, rappela toute la valeur socialiste des coopératives du Jura, qui, comme celle de St-Claude, n'ont pourtant jamais admis les versements au parti politique.
Albert Thomas et Poisson étaient également intervenus chaleureusement en faveur de la motion de la Seine, qui fut adoptée par 202 voix contre 142.
De cette discussion, qui a terminé le congrès, on ne peut pas conclure que le Parti ait affirmé réellement qu'il devrait se passer des subsides des Coopératives. Les uns les réclament ouvertement, les autres les admettent possibles, soit sous une forme soit sous une autre ; et l'on paraît encore assez éloigné d'une forme de coopérative communiste, d'où tout bénéfice serait banni, et qui serait simplement la répartition des produits achetés ou fabriqués en commun. Peut-être aussi est-ce incompatible avec le développement des Coopératives ? ».

Et la guerre de 1914 arriva...

Les appelations de queqlues coopératives françaises :
L'économie sociale (Neufmanil, Ardennes) ; La Ruche (Monthermé-Laval-Dieu, Ardennes) ; La Laborieuse (Troyes, Aube) ; L'avenir du Prolétariat (Trélazé) ; Coopérative syndicale de consommation (Lure) ; L'Alliance des travailleurs (Montceau les mines) ; L'économie parisienne (Paris 3e) ; La nature pour tous (Paris, rue de Bretagne) : La famille nouvelle (Paris, 173 bd de la Villette) ; La ménagère (Paris, rue de la Jonquière) ; Restautant coopératif de Belleville (19 rue de Belleville) ; L'abeille ( 57 av des Batignolles) ; Chez nous (Puteaux) ; « L'émancipatrice » (Choisy le roi) ; L'Union d'Amiens.

PS : je n'ai pas retrouvé le chapitre sur le travail des coopératives dans les prisons. Et Rosa ne semble pas avoir goûté du débats sur les coopératives réformistes et anarchistes-réformistes...



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