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vendredi 27 mai 2016

ARCHIVES MAXIMALISTES: Une « leçon » trotskiste des événements d'Espagne


(revue OCTOBRE n°3, avril 1938)

 Ce texte des italiens maximalistes réfugiés en Belgique avant guerre, de la fraction Bilan devenue Octobre (ils croyaient revenu l'époque révolutionnaire...à la veille de 1939!) est une réponse au célèbre texte de l'oracle déchu Trotsky "Leçons d'Espagne: dernier avertissement". Trotsky est taxé d'avoir franchi le rubicon, ce n'est pas exact, un coup de piolet l'aura empêché. Ce texte répond bien à la forfanterie de l'oracle énervé, mieux encore que le précédent "un renégat à la plume de paon". Trotsky envoie les prolétaires espagnols au casse-pipe national et soutient l'antifascisme de gouvernement. La question restera posée longtemps et confusément comme pour Jaurès, aurait-il pris position pour le camp américain lors de la guerre mondiale qui venait? La plupart de ses derniers écrits vont dans ce sens. Les camarades de la revue OCTOBRE ne répondent pas à toutes les confusions, insanités et mensonges du fier massacreur de Kronstadt, du général aux épaulettes rouges qui confond totalement lui aussi guerre et révolution, dont la notion confuse de révolution permanente n'est plus qu'un anachronisme abscons.


Tout le monde admet que les événements d'Espagne représentent un moment décisif pour la cristallisation des positions politiques qui se sont affrontées jusqu'ici dans le mouvement ouvrier. La nature intime et la fonction objective de tous les courants se réclamant du prolétariat se sont, en effet, dévoilées au grand jour pendant cette guerre et la ligne de démarcation qui est apparue entre les différents groupes a été consacrée définitivement par les milliers de cadavres ouvriers ensevelis en terre ibérique.
L'heure est aux « leçons », mais seulement aux leçons de classe. Il faut extraire de la gigantesque hécatombe des armes idéologiques pour éviter que les éruptions révolutionnaires de demain ne soient précipitées dans la guerre impérialiste. Mais cette œuvre d'analyse historique ne peut être faite par quiconque. Son climat, son terrain sont déterminés d'avance et seules les organisations qui n'ont pas failli à leur mission et qui ont opposé le drapeau de la révolution à celui de la guerre impérialiste ont conservé une nature de classe qui permet à leur fonction de s'exercer dans ce travail d'analyse et d'aboutir à des solutions politiques progressives.
Trotski s'est mêlé ouvertement aux discussions sur le problème espagnol. Il l'a fait aussi « génialement » qu'un certain Crux1 et avec autant de « profondeur » que lors de sa polémique contre les « extrémistes de gauche »2 ou contre les anarchistes à propos de Konstadt. Il est bien entendu que nous ne comprenons rien aux problèmes du marxisme et surtout à ceux de la « révolution permanente », alors que Trotski seul voit tout, sait tout et peut lancer ses « derniers avertissements » aux traîtres qui, au lieu de mener la guerre et la révolution de pair, s'allient au Front populaire contre les ouvriers (n'est-ce pas Messieurs les anarchistes?). Cette mise au point faite, nous pouvons aborder l'examen des problèmes que la guerre espagnole dégage, en confrontant leur réponse de classe aux positions du mouvement trotskiste et de Trotski lui-même. Notre ex-grand homme nous excusera si nous usons de liberté à son égard, mais lorsqu'on trahit les intérêts de classe des prolétaires, on ne mérite que mépris, même lorsque l'on est un artisan d'Octobre 1917.

Au sein du mouvement ouvrier, les seules organisations qui tentèrent d'aborder l'examen de fond des problèmes de la démocratie bourgeoise, selon les critères de la lutte des classes, ont été les fractions de gauche qui réagissaient contre une déformation de la pensée de Lénine en se basant sur ses positions tactiques au sujet de la démocratie bourgeoise. Les stratèges de tout acabit « prouvaient » avec décision que Lénine avait toujours recommandé de se retrancher sur des positions intermédiaires, n'intéressant pas seulement le prolétariat, mais aussi les couches démocratiques de la bourgeoisie, lorsque les circonstances voyaient la réaction capitaliste déferler sur la société entière. Avec le passe-partout de la « révolution permanente », Trotski prouvait, quant à lui, qu'ainsi on passait à un échelon supérieur, pour aboutir finalement à l'insurrection. Nous ne parlons pas des centristes ou des socialistes, qui devaient passer, les uns depuis 1914, les autres avec la victoire de Staline, à la défense ouverte de la domination démocratique du capitalisme.
Bien souvent, nous avons prouvé que libertés acquises par le prolétariat et « libertés démocratiques » sont deux notions antagonistes que sépare un fossz de classe et que les ouvriers, en défendant leur presse, leurs organisations, ne faisaient pas un bout de chemin avec la bourgeoisie démocratique, mais empruntaient la voie de la victoire contre cette dernière. Il serait oiseux de revenir ici sur ce sujet. Le problème réside en cela que la divergence s'est épuisée dans une série d'événements et dans deux guerres. Le mouvement trotskiste a culbuté de l'autre côté de la barricade, malgré les subtilités de la révolution permanente. Certes, il n'y eu pas seulement ce problème, mais un ensemble complexe d'éléments qui prouvèrent que, même sur les points centraux de la doctrine marxiste (l'Etat, la classe, le parti, la dictature du prolétariat et la période de transition) le trotskisme , loin de continuer Lénine, passait à l'empirisme et déformait, d'une açon caricaturale, l'oeuvre réalisée par les bolchéviks. Les événements d'Espagne devaient le prouver catégoriquement.
Prenons les faits qui précèdent ces événements. Lors de la guerre d'Abyssinie, le critère appliqué par Trotski consistait à choisir entre le moins réactionnaire des belligérants, comme en Espagne on choisira Caballero contre Franco, pour y greffer la lutte du prolétariat. La justification ? La VI e Internationale se laisse guider par des « crtières matérialistes » et « s'ils (les trotskistes – NDLR) ont soutenu, par exemple, l'Abyssinie, malgré l'esclavage qui s'y maintenait et le barbare régime politique, c'est : premièrement, parce que, pour un pays pré-capitaliste, un Etat national indépendant est un stade historique progressif ; deuxièmement, parce que la défaite de l'Italie aurait signifié le commencement de l'efondrement du régime capitaliste « qui se survit » ( n°1 – IV e Internationale - page 9). On sait ce qui s'est passé ! Les événements ont dédaigné ces fioritures et le « critère matérialiste » a permis la mobilisation des ouvriers pour la guerre. La « révolution permanente » ne s'est pas manifestée, car les temps bibliques des miracles sont révolus, malgré les incantations trotskistes.
L'Espagne devait voir l'application de ce schéma sur une grande échelle. L'Etat National Indépendant (?), pion de l'impérialisme britannique, allait être remplacé par l'Etat démocratique. Pour défendre leurs « libertés » (n'est-ce pas les emprisonnés antifascistes de Barcelone?), les ouvriers étaient conviés à marcher avec la démocratie, sans oublier la révolution permanente qui, au nom de l'affaire Kornilov, allait leur donner la victoire. Mais, ici, il est bon de voir les choses de près.
Le Centre pour la IV e Internationale avait été constitué officiellement en juillet 1936, après les exclusions des trotskistes de la II e Internationale, et leur reconstitution en Ligue des Communistes Internationalistes. Inutile de prouver que c'était bien le plus étrange des amalgames qu'on ait connu. Mais un mariage entre Trotski et des groupes de socialistes de gauche pouvait-il créer autre chose qu'un avorton sans tête ni pieds ? Les sections les plus importantes devaient s'illustrer bien vite et s'attirer les foudres de Trotski. Les Belges votaient pour le clérical Van Zeeland, moindre mal en face de Degrelle. Les Hollandais devenaient les avocats officiels du Poum et les Français qui, en juillet 1936, étaient enclins à une telle position, changaient diplomatiquement leur point de vue, sans souffler mot.
Cette IV e Internationale d'opérette, lors de la guerre d'Espagne, allait se jeter, avec un flair
remarquable dans le camp des antifascistes jusqu'auboutistes.

Comment le problème se posait-il ? Les ouvriers de Barcelone ripostaient à Franco en déclenchant une bataille de classe. Les partis ouvriers faisaient de leur corps un rempart à l'Etat capitaliste et convoyaient les ouvriers sur les champs de bataille. Le cri général était « battre Franco » et, sans nuire à cette lutte, réaliser des réformes sociales : « faire la révolution ». Le problème central de l'Etat était escamoté. Il n'était qu'une « façade ». Trotski, à cette époque, devait se taire malgré lui, grâce aux soins « démocratiques » des ministres socialistes de Norvège.
A cette époque, le mouvement trotskiste marche à fond dans la direction du Poum et des anarchistes. La directive est d'entrer au Poum et d'y faire un travail de gauche. Ce n'est que plus tard qu'on se rappellera qu'il faut détruire l'Etat.
Et que les charlatans de France et de Belgique ne protestent pas, car s'il faut prouver nos assertions, nous le prouverons par leurs propres écrits.
Enfin, Trotski se met à parler. Le chef de la révolution permanente a perdu ses ailes d'aigle et n'est plus qu'un canard de basse-cour. C'est d'abord une interview où il qualifie de lâches ceux qui ne soutiennent pas l'armée républicaine. Puis, nous aurons la justification théorique de Monsieur Crux, l'ombre d'un certain Gourov3 qui, en 1932, prévoyait la possibilité d'une victoire sur Hitler même avec Thälmann.
« La victoire de Caballero sur Franco n'est pas impossible » ! Evidemment, surtout que cela fut écrit au début de 1937, après les « trahisons » des chefs militaires républicains sur différents fronts où il fallait faciliter la saignée de Franco. Mais cela serait secondaire si, comme conséquence, on n'entrevoyait pas la nécessité de cette position : « il faut aider de toutes ses forces les troupes républicaines ». Oh ! Ne craignons rien ! Monsieur Crux a en vue la révolution, laquelle ne découle pas d'une victoire républicaine. Seulement, il va appliquer devant nous la théorie de la révolution permanente : « à l'époque de l'impérialisme, la démocratie conserve un avantage sur le fascisme ; que dans tous les cas où ils se heurtent hostilement l'un à l'autre, le prolétariat révolutionnaire est tenu de soutenir la démocratie contre le fascisme ». Il s'agit d'exploiter le « heurt » de l'un à l'autre. Mais, suprême subtilité : « nous devons défendre la démocratie bourgeoise, non par les méthodes de la démocratie bourgeoise, mais par les méthodes de la lutte des classes qui préparent le remplacement de la démocratie bourgeoise par la dictature du prolétariat ». Que répondre à ce verbiage, alors qu'aujourd'hui il est clair qu'en Espagne, comme ailleurs, les forces démocratiques, loin de se heurter aux forces fascistes d'une façon décisive, se sont rejointes par des chemins différents, pour massacrer le prolétariat.
D'ailleurs, la non-intervention nous a montré que même sur le terrain des compétitions inter-impérialistes, les pays démocratiques et fascistes veillaient à amortir les heurts pour unifier leurs efforts en vue d'en finir avec le prolétariat espagnol et emprisonner dans l'Union sacrée les ouvriers des autres pays.
Cependant, Monsieur Crux veut défendre la démocratie bourgeoise avec des moyens prolétariens. Comment ? S'il faut en juger l'expérience faite en Espagne par les trotskistes, il s'agit d'envoyer les ouvriers sur les fronts militaires tout en « proclamant » la nécessité de la lutte sociale. En somme une politique digne du Poum avec, en plus, la revendication des Soviets et toute la démagogie verbale que nous connaissons si bien. On ne s'est même pas demandé si le prolétariat pouvait employer les moyens de la lutte des classes pour défendre des positions bourgeoises ; si, en essayant de le faire, il ne quittait pas son terrain spécifique pour se voir jeter dans le massacre de la guerre impérialiste. Pourquoi, à l'époque de l'impérialisme, la démocratie conserve-t-elle un avantage sur le fascisme ? Et pourquoi, si le prolétariat est capable de la défendre contre le fascisme, ne lutterait-il pas directement pour ses propres objectifs ? Plus concrètement encore : pourquoi a-t-on affirmé que les ouvriers espagnols étaient seulement capables de battre Franco s'ils défendaient l'Etat bourgeois et la démocratie ? Si cela était vrai, ils auraient tout aussi bien faire l'insurrection, puisque l'Etat se mettait sous leur « protection ». Et l'on se demande pourquoi ils ne l'auraient pas fait ? Mais, en réalité, même s'il ne nous est pas indifférents de voir les prolétaires dominés démocratiquement ou violemment, en aucun cas le choix entre l'une ou l'autre de ces formes de domination ne dépend de la volonté des ouvriers. L'expérience historique montre que lorsque les ouvriers sont poussés à défendre la démocratie, celle-ci en profite pour faire le lit du fascisme. C'est pure sottise que d'inventer un « avantage » démocratique pour faire du prolétariat le champion de son suicide, comme c'est du crétinisme permanent que de croire qu'après avoir lutté pour la démocratie bourgeoise, les ouvriers passeraient à la lutte pour la révolution. Même au cours de la révolution russe, les thèses d'avril ne s'inspiraient pas d'un pareil critère dépassé par les événements de 1848, en France ; et, pourtant, en Russie, une opposition existait entre la bourgeoisie et le féodalisme.
L'Espagne n'a plus de révolution bourgeoise à faire et seulement le prolétariat peut résoudre les problèmes économiques que des siècles de parasitisme des classes dominantes ont rendu insolubles pour la bourgeoisie espagnole d'aujourd'hui.
Mais, pour Crux, la victoire des armées républicaines aurait provoqué une explosion certaine de la guerre civile. Son collègue Trotski dira la même chose pour la Chine où il expliquera gravement qu'une victoire de Chang-Kai-Chek provoquera la guerre civile au Japon. Conclusion : les bolchéviks-léninistes, drapeau déployé, fiers de leur intransigeance, défendront l'indépendance nationale de la Chine avec les bourreaux du Kuomintang.

Mais quels singuliers « marxistes » que ceux qui demandent aux prolétaires d'offrir leur vie pour la bourgeoisie et qui espèrent que les monceaux de cadavres feront l'insurrection au moment de la « victoire ».
Ici, l'exemple espagnol est sans réplique : chaque victoire militaire des républicains fut suivie d'une répression contre les ouvriers. Les journées de mai 1937 survinrent après la consolidation de l'armée républicaine et l'avance autour de Madrid. Lénine lui, misait sur les défaites de son propre impérialisme pour voir les ouvriers s'orienter vers le défaitisme révolutionnaire. Trotski-Cruz misent sur les victoires républicaines. L'un comprenait qu'une armée dirigée par l'Etat bourgeois est une armée capitaliste qu'il faut détruire, l'autre s'imagine que, malgré l'Etat bourgeois, on peut modifier la nature de l'armée par la propagande, sans nuire à la lutte contre Franco.
Dans toute cette prise de position, le problème de l'Etat n'est pas abordé sérieusement comme si la Commune et Octobre 1917 n'avaient pas existé, mais il est remplacé par des considérations de « stratégie » vies de sens et des conseils gratuits sur une « direction » qu'il faut créer pour pousser de l'avant la lutte.

En mai 1937, le Centre pour la IV e Internationale publie une résolution sur l'Espagne. Au sein des groupements trotskistes, des divergences s'étalent non sur le fond du problème espagnol, mais sur le soutien du Poum en lutte contre sa politique. Trotski a donné le signal de l'attaque contre les conseillers poumistes de la Généralité : les bolchéviks-léninistes vont, au pays de Don Quichotte, partir à l'assaut des moulins à vent : fonder leur section « espagnole ».
La résolution assimile d'un coup les journées de mai 1937 au juillet 1917 de la révolution russe. Où est le parti qui va préparer Octobre ? Aucune trace, car les ouvriers ont été trahis par leurs propres partis et la répression vise à faire comprendre que l'Etat capitaliste n'est pas une « façade » insignifiante et qu'il peut faire respecter l'ordre. Pour les trotskistes, la déviation de la révolution espagnole date du moment où les milices sont militarisées et les comités ouvriers dissous. Hélas ! Mais cette révolution a-t-elle existé quand les ouvriers n'ont pu lutter pour abattre l'Etat capitaliste ? Certes, les premiers jours, la révolte fut grandiose et eut un caractère de classe, mais les milices furent des canaux « ouvriers » pour acheminer les ouvriers vers la guerre impérialiste. Pour ces Messieurs, « le problème le plus important réside dans la constitution dans le feu de la lutte d'une direction bolchévique qui aura assimilé les leçons des erreurs passées et saura, tout en continuant la lutte armée contre Franco, mobiliser effectivement les masses dans les comités et les dresser contre l'Etat bourgeois pour le briser au moment opportun (souligné par nous – NDLR) par l'insurrection... ».
Les trotskistes vont construire un parti « au feu de la lutte », comme si jamais n'avait existé un certain Lénine et une expérience historique qui nous montre qu'un parti ne se crée pas comme une quelconque section trotskiste, mais est le résultat d'une sélection d'idées, de cadres, d'une évolution d'événements et « le feu de la lutte » est l'épreuve décisive pour ces groupements et non l'occasion de voir le jour. Plus loin on s'obstine à vouloir continuer la lutte contre Franco sur un terrain capitaliste et mobiliser les ouvriers sur leur terrain de classe. Mais enfin, ces gens pourraient-ils nous expliquer comment on peut faire deux choses opposées en même temps ?
L'expérience espagnole compte-t-elle pour quelque chose ? Les faits restent-ils des faits ? Le Poum a chanté cette chanson et il a fini d'abord dans les ministères, puis dans les prisons. Les anarchistes ont dû comprendre qu'il fallait faire la guerre sans songer à la révolution. Les trotskistes attendent-ils d'obtenir des postes dans un Etat capitaliste quelconque pour comprendre que leur bavardage n'est qu'un bourrage de crâne infect ?

Mais la conclusion est tout un programme. Il faut détruire l'Etat « au moment opportun ». Ah ! Comme nous connaissons cette formule si chère aux réformistes. Mais qui désignera ce « moment opportun » ? Les événements sans doute ? Une victoire militaire de Negrin ? Mais, en attendant, il faut combattre dans les armées républicaines et l'Etat se renforce, renvoyant le « moment » aux calendes grecques.
Pour illustrer cette prose, nous aurons des bolchéviks-léninistes d'Espagne (ah ! Les vertus du bluff) qui lanceront un manifeste, en août 1937, pour expliquer « qu'aussi longtemps que le prolétariat n'est pas à même de prendre le pouvoir », nous défendrons, dans le cadre du régime capitaliste en transition, les droits démocratiques des ouvriers ». Et l'on prétend que, seuls, les centristes sont les champions de la démocratie bourgeoise !
Et, enfin, avec la dernière phase des événements d'Espagne, alors qu'il est bien clair que la guerre impérialiste est là et qu'elle massacre impitoyablement des milliers de prolétaires et leurs familles, dans un moment où « l'ordre » règne à Barcelone comme à Burgos , Trotski va parler solennellement. IL lance son « dernier avertissement ». Il est sensé tirer les enseignements de deux années de guerre au nom et pour le compte de la IV e Internationale.
Mais Trotski promet beaucoup et se contente de peu. Il s'en voudra de contredire Monsieur Crux (et pour cause!) et se bornera à le compléter modestement. Laissons de côté le bavardage du type de clui où il prétend que le duel essentiel en Espagne fut celui du bolchévisme et du menchevisme. Bien entendu, le courant bolchévik était exprimé « d'une façon achevée » par la section trotskiste. Or, comme elle n'a jamais existé avant ces derniers mois (et encore en théorie), qu'elle groupera quelques éléments fraîchement importés (c'est l'aveu que nous trouverons dans « La lutte ouvrière » de Belgique) en Espagne, on s'imagine l'importance du « duel » entre menchevisme et bolchévisme.
Trotski, lorsqu'il ne comprend plus rien, se tire d'affaire avec des analogies historiques. Rappelons-nous les divagations sur Thermidor : une fois Thermidor était une perspective, une autre fois l'on découvrait qu'il était derrière nous et tout cela pour expliquer la situation russe qui n'avait rien à voir avec la révolution française. En Espagne, il fallait reproduire le schéma de la Révolution russe pour faire comprendre que l'on ne savait pas expliquer les événements d'Espagne.
La réalité est que les soi-disant mencheviks, comme les soi-disant bolchéviks (sous leur version « achevée » ou « inachevée ») ont défendu la même position centrale : aujourd'hui pour la défense de la démocratie et la défaite de Franco, alors que « demain », on discutera les problèmes de la révolution.
Oh ! Bien sûr, les trotskistes veulent faire la guerre et la révolution en même temps, mais, pour arriver à la révolution, ils veulent défendre la démocratie et c'est ici que se trouve le traquenard où ils poussent les ouvriers. C'est ainsi qu'ils deviennent complices du Front populaire pour faire la guerre et étouffer toute possibilité révolutionnaire.
Trotski montre dans son article, que lorsque les ouvriers se soumettent à la direction de la bourgeoisie, au cours de la guerre civile, leur défaite est inévitable. Mais Crux ne disait-il pas que, malgré tout, la victoire de Caballero sur Franco n'était pas impossible ? Et, pourtant, les ouvriers se soumirent à la direction bourgeoise ! Ah ! Oui, il fallait lutter avec Caballero sans se soumettre à lui, n'est-ce pas ? Trotski voyage décidément dans la lune, car l'Etat capitaliste qui prenait entre ses mains l'armée républicaine, posait le problème ainsi : la guerre antifasciste sera menée par lui selon les critères bourgeois ou il n'y aura pas de guerre, mais un front unique direct et non dissimulé avec Franco. On ne pouvait faire la guerre avec la bourgeoisie démocratique et en même temps s'en séparer. Deux années ont prouvé que, sur ce terrain, les prolétaires devaient abdiquer progressivement leurs aspirations sociales, au nom des intérêts de la guerre dont le représentant était l'Etat et admettre le rétablissement de la légalité.
Seulement il reste le terrain des subterfuges où Trotski trouvera toujours un refuge. On s'est allié, en Espagne, avec « l'ombre de la bourgeoisie », car cette dernière aurait passé, dans sa grosse majorité, du côté de Franco. Mais il est des « ombres » bien puissantes, car celle de l'Espagne républicaine conservait l'Etat capitaliste intact et s'inféodait, en plus des partis du Front populaire, les anarchistes, le Poum et les trotskistes eux-mêmes. Personne ne songeait à se lancer à l'assaut du pouvoir, à détruire l'Etat et à renverser la bourgeoisie, car on ne lutte pas contre une « ombre ». Néanmoins, très vite, « l'ombre » s'est corporifiée dans la répression anti-ouvrière et a disposé d'agents socialistes et centristes agissant avec une vigueur remarquable pour faire de chaque épisode de la guerre, un épisode du rétablissement traditionnel du rythme de la société bourgeoise emportée dans le tourbillon du massacre.
Certes, on trouve, de ci de là, dans ce « dernier avertissement » des mots qui laisseraient supposer une innovation et surtout une prise de position plus sérieuse, mais ce ne sont que des mots. Le problème de l'Etat n'est pas traité. Les ouvriers doivent-ils lutter dans l'armée républicaine, dont le contenu de classe est déterminé par la classe au pouvoir ? Oui, fait comprendre Trotski, mais il faut que les masses révolutionnaires aient « un appareil étatique qui exprime directement et immédiatement leur volonté ». Cet appareil, ce sont les Soviets. Pourtant, en Russie, les Soviets ont surgi et sont passés aux bolchéviks sur la base d'une perspective de défaitisme et de destruction de l'armée bourgeoise. Mais il est vrai que, pour sauvegarder la révolution permanente, Trotski se doit de défendre la démocratie républicaine contre Franco et cela exclut le défaitisme. Evidemment, dans ces conditions, les Soviets resteront une chimère, mais au moins on aura la consolation d'y avoir pensé.
Plus loin, Trotski envisage bien de riposter à la guerre civile que la bourgeoisie mène contre le prolétariat, dans la zone républicaine, mais il oublie de nous dire comment. En luttant comme « les meilleurs combattants sur le front », ainsi qu'il l'expliquait aux anarchistes qui auraient trouvé dans cela la possibilité de dénoncer devant les masses les positions des traîtres ! Oui ! Comment le prolétariat peut-il mener une guerre civile sans rien ébranler, sans rien détruire des fronts militaires ? Enigme que Trotski laisse aussi ténébreuse du commencement à la fin. Faut-il préconiser la fraternisation des exploités des deux fronts pour anéantir l'Etat capitaliste, en tout premier lieu ? C'est ici que se trouve la ligne de démarcation entre les partisans honteux ou enthousiastes de la guerre impérialiste d'Espagne ou de Chine et des internationalistes.
Trotski et sa VI e Internationale ont choisi. Les événements d'Espagne l'ont prouvé catégoriquement. Nous aussi nous avons choisi et c'est pourquoi ce qui nous sépare, ce ne sont pas seulement des divergences, mais des problèmes de classe. Les « leçons » trotskistes sont destinées à répéter l'exoérience d'Espagne dans d'autres pays et leurs « avertissements » sont nettement des divagations destinées à brouiller davantage le cerveau des ouvriers qui pourraient les lire.

1Un des multiples pseudonymes de Trotski. Le rédacteur de OCTOBRE se moque ainsi d'un Trotski qui se « dédoublait ». (note de JLR)
2Voir « Bilan » n°44 : « Un grand renégat à la plume de paon ».
3Autre pseudo de Trotsky dont Bilan avait fait les gorges chaudes : « Gourov s'est gouré » (note de JLR).

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