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lundi 1 septembre 2014

L'EXPLOITATION DE LA SOLITUDE, MARCHE CAPITALISTE JUTEUX


Cette conférence sur la plage avait été magnifiquement préparée. Communiqué sur le site Internet nunuche d'OVS, envoi du communiqué à radio France bleue nord (direct à la poubelle). Je disposais de l'équipement nécessaire pour m'adresser au moins à un millier de personnes sur la plage, qui, je n'en doutais point allaient même venir cinq fois plus nombreux – 5 millions de français vivent parait-il cloitrés dans une ignoble solitude - tous éminemment concernés par un de ces fléaux modernes les moins rentables électoralement, politiquement et philosophiquement. Malgré des ennuis personnels contrariants (j'avais cassé bêtement ma voiture la veille), je m'étais levé dès potron minet pour peaufiner mon exposé, le résumer et en apprendre les grandes lignes afin de prononcer un discours savant et accrocheur débarrassé de citations sous le vent et les embruns. Des amis de la veille m'avaient aussi promis de venir avec copines et copains. L'impétrant ennemi de Dame Solitude avait cependant négligé un facteur non négligeable: 10H un dimanche matin c'est trop tôt pour les prolétaires éreintés de la semaine, surtout les jeunes prolétaires épuisés par leur soirée en boite de nuit ou à faire la bringue à droite et à gauche pour calmer leur ennui.
A cette heure matinale vous ne voyez que pépé et mémé en train de faire pisser Médor. Et moi tout imbibé de l'imagerie de Dame Solitude telle une très vieille dame râblée toute ridée prostrée sur son fauteuil, je ne vis que de vieilles femmes, mais toutes en couple, quelques véliplanchistes, et autres coureurs cyclistes de passage. C'était bien moi le conférencier altruiste qui était seul sous son parasol, diablement seul, et irrémédiablement. La solitude du discoureur de fond dans un lieu totalement inapproprié.
Je songeais en poireautant une heure durant que mon propos avait quelque chose d'obscène. Je ne m'étais pas soucié un instant de la solitude du prisonnier, de la solitude du réfugié à Lampedusa, du clochard à la Gare du Nord, du drame du petit afghan en attente d'être expulsé à Calais. Mon propos était en fait assez égoïste, il s'attachait à comprendre et définir la solitude du petit bonhomme occidental, nourri, logé, exploité mais avec un salaire, à la recherche de ce qui est l'essence du bonheur humain, une vie de famille ou/et en couple, comme l'avait remarqué Alfred Rosmer dans son magnifique ouvrage sur la Grande guerre.
Quelle déshérence individuelle que de s'attaquer à la solitude, cette truie philosophique, quand il ya tant de guerres et tant d'injustices sociales! Dans mon exposé je n'avais même pas esquissé une comparaison ou un rapprochement entre la solitude terrible du réfugié sans patrie et du prolétaire occidental au chômage ou dans la dépression. Il y a sans nul doute pourtant des consonances et une plus grande proximité qu'il y paraît entre ces situations extrêmes de misère. Misère luxueuse contre misère sans luxe. Mon propos n'est pourtant pas étanche dans ses grandes lignes pour expliquer en quoi la culture de la solitude, qu'on la pare d'individualisme, d'indépendance ou de libre arbitre, est nécessaire comme jamais au capitalisme pour dissoudre toute notion de classe et surtout, dirais-je obséquieusement, de convivialité de classe. Je m'attache à démontrer que le pouvoir sur les hommes atomisés est indispensable à la marche triomphale de la société marchande déshumanisée. J'ai replié mon modeste matériel et je suis rentré dans ma tanière.

LES GRANDES LIGNES DE MON EXPOSE

  1. La solitude hier et aujourd'hui.
    - Une inconnue dans les sociétés primitives et dans les sociétés rurales.
    - Industrialisation et éclatement de la famille et des relations de voisinage.
  2. Conséquences contemporaines: la solitude ne rend pas seulement malade mais elle tue.
          • isolement généralisé
          • isolement social = suicide, + alcoolisme et drogues
          • cancer psychologique: maladies du coeur, diabète, arthrite, etc.
          • L'absence de réseau interpersonnel augmente l'aliénation solitaire, c'est pourquoi les bourgeois y attachent tant d'importance. Le manque de contacts humains chez les prolétaires isolés est impitoyable. Un habitant de France sur quatre n'a pas d'amis et ne voit presque plus sa famille. Le nombre faramineux de crottes de chiens à Paris vous donnent une idée de la foule urbaine solitaire.
    1. Causes et origines de l'institutionalisation du "marché solitaire"
      - Un contrôle social et politique prégnant de la vie privée par l'Etat à la fin du XIXe siècle (via la religion, la médecine, les oeuvres dites sociales, etc.)
      - l'institution du consumérisme avec le fordisme : en lui vendant sa bagnole, le patron moderniste s'adresse à l'ouvrier en tant qu'invidu séparé de sa classe sociale, et lui fixe des objectifs personnels égoïstes, l'ouvrier sera dès lors moins enclin à espérer changer la vie dans un monde socialiste qu'à tirer le meilleur parti des joujous qui lui feront croire à sa liberté de consommer, tout comme la démultiplication de besoins artificiels deviendra le seul but tangible de sa vie. Mais en le coupant radicalement de toute communauté humaine dans une course sans fin où il ne peut plus y avoir que des perdants et des gagnants, des parvenus et des laissés pour compte.
      - le mode d'embauche, de recrutement syndical, de rapport aux autorités policières et sociales, les embrigadements militaires successifs, le système électoral dit démocratique qui enferme l'individu dans ledit "isoloir".
    2. La spéculation financière régit tous les aspects de la vie privée dans une vie privée de réel bonheur.
      - l'effacement des classes sociales qui laisse croire au même ascenseur pour monsieur tout le monde indifférencié, s'est organisé autour de l'invention du supermarché devenu la fontaine de jouvence des banlieues où règne l'anonymat urbain et où tu peux crever dans ton HLM sans que personne ne se soucie de l'odeur de ton corps décomposé.
"La spéculation financière est devenue plus rentable que la production, et la production
est dirigée par des stratégies de marketing reposant sur la technique bien connue de
l'obsolescence programmée. La publicité, forme d'art des sociétés capitalistes, cherche à
encourager le goût de la nouveauté, ainsi qu'à créer l'insatisfaction à l'égard de tout ce
qui est vieux ou démodés. L'idéal publicitaire est un idéal de biens jetables..." (Christopher Lasch). Du bien jetable à l'homme jetable il n'y a qu'un pas, aisément franchi.

      1. Internet est devenu le principal lieu de contrôle des relations interhumaines.
        - des sites pompent allègrement toutes vos données personnelles.
        - les sites de rencontre sont régis par un système d'accroche à votre CB obligatoire
        - partout une foule d'experts en tout genre spécialisés dans vos problèmes de couple comme de multiples "cellules de crise"en cas de catastrophe ou d'attentat, accourent pour vous consoler et vous rendre...à vous-mêmes votre propre solitude aliénée et "achetée".
        - pour la finance et le commerce vous êtes la vedette du "chacun pour soi".

En conclusion, en parfait opportuniste j'en avais prévue deux, suivant le public:

  • une, réformiste pour ici et maintenant: il est toujours possible d'établir de vraies relations, parfois dans le travail, parfois dans le voisinage mais surtout pas dans les "thé dansant", les boites de nuit, les sorties avec des GO d'OVS ou du Club Med. En sachant que vous êtes réduits comme le pêcheur en eau douce à attendre le poisson de passage qui se révélera un ami fiable et pas inconsistant, ou une conquête qui ne sera ni aléatoire ni perverse. Il faudrait par exemple lancer l'idée de lieux de rencontre le weekend sur la place centrale de toutes les villes..
  • l'autre, désabusée, mais pas forcément incompatible avec la première: seule la révolution communiste dissoudra la solitude et devrait permettre de restaurer l'empathie naturelle entre les êtres humains et l'amour sous toutes ses formes.

    Nous laisserons la conclusion réelle à cette conférence en plein air à cette jeune femme qui s'est arrêtée devant mon stand: "mais... il n'y a personne". Ce qui était indéniablement et viscéralement vrai et conforme à la solitude actuelle.
Avec un dernier salut à l'imaginatif Charles Fourier.




1 commentaire:

  1. tres bon article, qui aborde un sujet tres important mais laissé de cote par les medias (ce qui semble logique si l on pense que c est leur fond de commerce: si les gens n etaient pas seuls, regarderaient ils la television 3 heures par jour en moyenne?) j ai beaucoup aimé l humour de l article et de la video

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