PAGES PROLETARIENNES

mercredi 3 septembre 2014

Dans la peau d'un égorgeur djihadiste.... LE MEURTRE INDIVIDUEL EST CONTRE-REVOLUTIONNAIRE


Le couteau est à la mode dans les faits divers dramatiques comme en une des méthodes de propagande de guerre des belligérants. Les décapitations de "l'Etat islamique" suscitent l'horreur et la désapprobation morale des dirigeants capitalistes occidentaux. Les "cibles" des assassins encagoulés sont journalistes, ingénieurs ou simples touristes. Oubliées les exactions américaines à Guantanamo. Oubliés les meurtres de l'armée russe en Tchétchénie. Oubliés les massacres en Syrie et en Ukraine à l'aune de la vidéo d'un pauvre otage agenouillé à la veille d'être égorgé. Oubliée l'inhumanité du capitalisme par la focalisation sur des tueurs masqués qui ont eu besoin de commander à une maison d'édition française "l'islam pour les nuls", qui ne sont pas plus islamistes que vous êtes martiens.
 
Au cours des fougueuses sixties, le philosophe français le plus crétin en politique, Sartre avait osé écrire: "... en le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen c'est faire d'une pierre deux coups supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre ; le survivant, pour la première fois, sent un sol national sous la plante de ses pieds".
A l'époque les théories tiers-mondistes, guévaristes et maoïstes faisaient florès, le pouvoir était "au bout du fusil". On ne saurait trop insister sur le fait que cet encouragement au meurtre dans la guerre de "libération nationale" n'était qu'une variante moderniste dégénérée de l'anarchisme de la bombe par le fait1. Au meurtre "exemplaire" du gros riche succédait le meurtre exemplaire du sale "blanc impérialiste" dans une propagande simplement nationaliste, typiquement stalinienne et complice des petits bourgeois arrivistes des nations flouées par le développement inégal du capitalisme. Le stalinisme a disparu en faisant croire que c'était le communisme qui avait été responsable des millions de morts des guerres qui avaient succédé à la Seconde boucherie mondiale. Mais cet esprit stalinien d'apologie du meurtre individuel, comme la gloriole de la baïonnette flanquée dans le corps de l'ennemi en 1914, survit parmi les multiples corps d'armée mercenaires aujourd'hui un peu partout qui "exécutent" l'ennemi (selon les journalistes accrédités) et non pas tuent, massacrent. Sur le web n'importe quel adolescent peut voir, par exemple sur le sordide site humoron, l'exécution de deux cent soldats syriens, attachés face contre terre et tués un à un comme des perdrix. Cette "exécution" comme celle des enfants de Gaza, des civils d'Irak ou de Syrie, de ceux de Centre Afrique comme d'Ukraine, n'émeut pas tant nos braves dirigeants occidentaux que tel égorgement de journaliste otage. Pourtant les méthodes criminelles sont les mêmes des deux côtés. Avant l'an 2000 les attentats étaient sensés être "l'arme des Etats faibles" quand les "Etats forts" bombardaient "proprement" des milliers de civils. AujouRd'hui, mieux que les attentats devenus plus difficiles en raison d'un efficace quadrillage policier, les décapitations sont assurées de marquer les esprits grâce à leur répercussion par le Big Brother informatif universel.
L'horreur, qui reste masquée dans son dénouement final pour le simple spectateur, est visible malgré tout quelque part sur le réseau Big Brother d'Internet. Vue ou pas en son intégralité, l'horreur d'un tel acte a pour effet de paralyser, d'ôter toute réflexion critique. Les images éloignées de massacres à la machette au Rwanda restent dans les mémoires. Recensons tout d'abord la régularité des égorgements de journalistes ou ingénieurs depuis le début des années 2000, en laissant de côté des décapitations beaucoup plus nombreuses par les cartels de la drogue en Colombie et au Mexique.

Les jihadistes de l'État islamique ont revendiqué mardi dernier l'exécution par décapitation d'un second journaliste américain, Steven Sotloff, dans une vidéo qui a provoqué «l'écoeurement» des chefs d'Etat occidentaux.
Dans cette vidéo intitulée «deuxième message à l'Amérique», on peut voir Steven Sotloff, à genoux, vêtu d'une blouse orange. Debout à côté de lui, un homme masqué, vêtu de noir et armé d'un couteau condamne l'intervention des États-Unis en Irak et porte son arme à la gorge du journaliste de 31 ans. Le bourreau, qui s'exprime avec un accent britannique, présente ensuite à la caméra un autre otage, un Britannique identifié comme David Cawthorne Haines, et menace de l'exécuter.
«Je suis de retour, Obama, et je suis de retour à cause de ton arrogante politique étrangère envers l'État islamique», déclare l'homme masqué dans cette vidéo de cinq minutes.
Cette mise en scène est en tout point semblable à celle de la vidéo diffusée le 19 août - premier message à l'Amérique - où un insurgé à l'accent britannique décapitait le journaliste américain James Foley, âgé de 40 ans. L'homme avait ensuite indiqué que Sotloff - également montré dans cette première vidéo - serait le prochain, si les frappes aériennes n'étaient pas interrompues.

Rappel de précédentes exécutions d’Occidentaux par des groupes jihadistes depuis 2002 :
Américains
- 23 jan 2002: PAKISTAN - Le journaliste Daniel Pearl, correspondant du quotidien américain The Wall Street Journal, est enlevé à Karachi (sud). Une vidéo montrant sa décapitation est remise un mois plus tard au consulat des Etats-Unis.
- 28 oct 2002: JORDANIE - Le diplomate Laurence Foley, responsable de l’agence américaine pour le développement (USAID), est tué à bout portant alors qu’il quittait son domicile d’Amman.
Le Jordanien Abou Moussab al-Zarqaoui, chef d’Al-Qaïda en Irak, est condamné en 2004 à la peine capitale par contumace pour cet assassinat. Zarqaoui a été tué en 2006 dans un raid américain au nord de Bagdad.
- 11 mai 2004: IRAK - Une vidéo montrant la décapitation du jeune entrepreneur Nicholas Berg, enlevé début avril à Bagdad, est diffusée sur un site internet lié à Al-Qaïda.
Selon des sources de sécurité américaines, l’Américain aurait été exécuté par le chef même du réseau d’Al-Qaïda en Irak.
- 18 juin 2004: ARABIE SAOUDITE - Un site internet islamiste diffuse des photos montrant la décapitation de l’ingénieur Paul Marshall Johnson, enlevé quelques jours auparavant à Ryad. Le 19 août 2014, quatorze membres d’une cellule d’Al-Qaïda sont condamnés à Ryad pour leur implication dans le meurtre.
- 20 sept 2004: IRAK - Le groupe de Zarqaoui annonce la décapitation de l’ingénieur Eugene Armstrong, kidnappé le 16 septembre à Bagdad, avec un de ses compatriotes Jack Hensley et le Britannique Kenneth Bigley. L’exécution de Hensley est annoncée le lendemain.
Britanniques
- 8 oct 2004: IRAK - Annonce de l’assassinat de l’ingénieur Kenneth Bigley, trois semaines après son enlèvement par le groupe de Zarqaoui.
- 3 juin 2009: SAHEL - Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) revendique sa première exécution d’un otage occidental, Edwin Dyer, enlevé en janvier dans la zone frontalière entre le Mali et le Niger. Le touriste était aux mains du groupe de l’Algérien Abdelhamid Abou Zeïd et aurait été égorgé par Abou Zeïd lui-même. Ce dernier a été tué en 2013 par l’armée française dans le nord du Mali.
Italiens
- 14 avr 2004: IRAK - Les ravisseurs de Fabrizio Quattrocchi, employé d’une société de sécurité, annoncent son exécution, deux jours après son enlèvement, pour "punir" l’Italie de son refus de retirer son contingent d’Irak.
- 20 août 2004: IRAK - Le journaliste Enzo Baldoni est enlevé sur la route entre Bagdad et Najaf. Son exécution filmée est revendiquée le 26 août par l’Armée islamique en Irak.
- 15 avr 2011: GAZA - Vittorio Arrigoni, militant pro-palestinien, est retrouvé pendu dans une maison de Gaza, quelques heures après avoir été pris en otage par un groupe de salafistes jihadistes.
Français
- 19 avr 2010: NIGER - Michel Germaneau, ancien ingénieur de 78 ans, est enlevé dans le nord du Niger puis transféré au Mali. Le 22 juillet, un raid franco-mauritanien pour tenter de le libérer — au cours duquel sept membres d’Aqmi sont tués — échoue. Le 25 juillet, Aqmi revendique l’exécution du retraité.
- 24 nov 2011: MALI - Philippe Verdon — qui, selon sa famille, travaillait sur un projet de cimenterie — est enlevé par Aqmi dans son hôtel à Hombori (nord-est). Le 20 mars 2013, un porte-parole d’Aqmi affirme qu’il a été exécuté «en réponse à l’intervention de la France dans le nord du Mali».
Polonais
  • 7 fév 2009: PAKISTAN - Le géologue Piotr Stanczak est décapité après avoir été détenu pendant plus de quatre mois par des militants islamistes qui l’avaient enlevé dans le nord-ouest du Pakistan.
Une telle liste si elle rappelle des pics de propagande occidentale contre cette obscure guerre mondiale que nous mènerait l'hydre islamiste masquée et conquérante, fait là aussi passer au second plan le meurtre massif et régulier de civils par les armées des Obama, Poutine et leurs alliés charitables, humanitaires en particulier par l'entremise de leurs ventes d'armes.

LE FACTEUR-clé de L'ANONYMAT

Les guerres apparaissent en général opaques. Leurs combattants doivent donc rester anonymes. Là réside le secret du meurtre impavide. Quelques facétieux d'Anonymous ont compris la faiblesse de cette stratégie il y a quelques années. Pour faire libérer un de leurs militants détenu par un cartel de la drogue, ils avaient menacé de dévoiler l'identité des membres du cartel en question. La réussite fût totale. L'otage avait été relâché bien qu'après avoir subi les tortures habituelles.
Comprendre la psychologie du tueur anonyme ne peut se situer au niveau du simple examen du type frustré par une société cynique et inégalitaire. Il faut saisir à quel moment et comment le futur tueur ou égorgeur peut passer à l'acte débarrassé de tout sentiment humain.
Le premier moment d'insensibilisation est le port de l'uniforme. Doté d'une tunique commune à une foule d'autres individus, l'impétrant ne s'appartient plus. Il ne peut plus obéir à une conscience de classe ou même à une simple conscience individuelle cartésienne. Il est désindividualisé. C'est cette désindividualisation qui le rend violent sans remords. Il agit pour tous et au nom de tous en raison de l'honneur qui lui est confié d'exécuter la besogne (sale de préférence). Son sentiment des responsbilité individuelle est quasiment dissous. Est altérée la conscience normale de tout individu en temps de paix civile. Ses comportements sont conditionnés par les circonstances de la situation immédiate, qui est souvent très simple: sauver sa peau. Car si vous n'obéissez pas dans la foule en uniforme vous êtes cuit, aux ordres d'un Durruti comme aux ordres d'un quelconque djihadiste barbu. C'est ce bon Gustave Le Bon qui avait parfaitement identifié le mécanisme: "dans la foule, tout sentiment, tout acte est contagieux", "La qualité mentale des individus dont se compose la foule ne contredit pas ce principe. Cette qualité est sans importance. Du moment qu'ils sont en foule, l'ignorant et le savant deviennent également incapables d'observation". A cet égard il n'est pas étonnant que des adolescents, qui ont vécu en Europe riche au milieu de bandes, régies par le même principe de contagion suiviste, filent s'enrôler dans les zones de combat (impérialiste masqué), vues comme moments révolutionnaires. On retrouve le même phénomène dans les émeutes primaires qui culminent dans des lynchages. Le spontané est vite au second plan de l'explosion. Les individus les plus actifs, les plus cruels (donc les plus "radicaux") sont en situation de précarité économique et sociale. Les brutes épaisses et les dictateurs sont en général des déclassés ou des arrivistes bafoués. Sous le régime de Vichy en France, comme en Allemagne sous Hitler, les pires tortionnaires pervers se retrouvèrent promus aux postes de commandement des organismes policiers et militaires. Le développement du phénomène terroriste n'est donc pas le propre de la seule religion d'Allah (traditionnellement belliqueuse) mais intrinsèque à la guerre moderne dès lors qu'on ne peut plus trouver de justification crédible pour les millions de prolétaires internationalistes. Les individus paumés, sans identité collective, en trouve une lorsqu'ils sont embrigadés. Il y a leur groupe, leur camp, leur troupe militaire et le reste du monde. L'esprit de corps est une source puissante de déshinibition comportementale, porte ouverte à l'acte de tuer, comme affirmation de la force du groupe. 

On remarquera enfin que l'uniforme est le même chez les super flics dits nindja comme chez les tueurs de l'Etat islamique. Et au passage la gradation en terme d'Etat pour des cartels hétéroclite de pillards, qui confirme "l'état" du monde à feu et à sang, officialisant des bandes armées telle une entité nationale officielle. Les "combattants" de l'Etat démocratique comme ceux de l'Etat islamique sont masqués. On ne sait plus qui est le chef dans les bandes d'assassins armés comme on ne sait plus qui sont les financiers qui ordonnent des manoeuvres économiques criminelles. Pour un peu on dirait qu'il le faut pour ne plus avoir à se regarder devant la glace. Au fond, cet anonymat est pourtant bien symbolique de la guerre moderne capitaliste: elle doit masquer des combattants sans vergogne et sans autre but que la jouissance de violer et tuer l'autre.

LE PROLETARIAT LUTTE LUI A VISAGE DECOUVERT

Tout autre est le comportement de la "foule prolétarienne". Si elle est capable de discipline, elle s'oppose férocement aux actes délictueux, quoique dans son enfance le mouvement ouvrier n'ait pas toujours su discerner des actes de violence normaux contre les institutions d'actes déplorables contre des personnes. On peut regretter des exécutions sommaires pendant la Commune de Paris et en Russie en 1917, mais on ne fut pas capable d'égaler à ces époques la cruauté qui régit les guerres inter-capitalistes actuelles. Mieux les exactions regrettables furent sanctionnées par la défaite des révoltes et révolutions de la foule prolétarienne, et obligèrent à tirer des leçons fondamentales sur les limites de la violence, alors que la bourgeoisie de nos jours, non seulement démultiplie des actions de ses bandes armées, mais opère de mille façons pour continuer à les "masquer", ou à en faire porter la responsabilité aux mercenaires d'en face. 

Ce n'est donc pas par plus de guerres ou moins de guerres que le prolétariat pourra reprendre le chemin pour le renversement de la domination capitaliste, mais en ne faisant pas de la violence en soi sa doctrine. La violence doit rester un aspect secondaire des révolutions à venir. La conscience et la force de conviction dans la description de l'état du monde à feu et à sang et dans l'affirmation de la possibilité d'un autre monde, sera une arme bien plus considérable face au discours pacifiste de toutes les bandes armées humanitaires qui ensanglantent l'humanité, au nom de la paix sociale disparue.


1Publiés par les éditions Mille et une nuits, qui infestent toutes les librairies et proposent un format de poche peu cher et accessible à tout étudiant fauché, le brouet de Besancenot et Löwy, deux petits caïds de l'ex LCR reconduits aux mêmes fonctions au NPA, réalisent l'hyménée du trotskysme et de l'anarchisme, tout en y mêlant des pans de l'histoire du mouvement ouvrier, saupoudré de citations de Rosa Luxemburg ou Benjamin Péret; la récupération est poussive. Les comparses ne liquident pas seulement toute l'histoire du mouvement révolutionnaire réel, mais esquivent la complicité du trotskysme et du stalinisme, sans compter les successives erreurs criminelles du courant dit Ivème Internationale, qui a soutenu à peu près tous les coups d'Etat militaires et maoïstes des sixties. Dans ces épousailles perverses avec l'anarchisme, nos trotskiens repentis saluent l'anarchisme moderne dans ce qu'il eût de plus sordide, notamment pendant la fameuse "révolution espagnole", présentée comme le nec plus ultra de l'autogestion plouc, et les apologises du meurtre "révolutionnaire" Durruti à l'égal du triste Guévara. Ces oeillades coquines en direction des intellectuels anars ne devraient pourtant pas leur gagner des électeurs nouveaux confiant en la mauvaise foi historique des derniers bâtards du trotskysme.

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