PAGES PROLETARIENNES

lundi 8 juillet 2013

UNE INUTILE DISCUSSION AVEC QUELQUES FASCISTES




« La révolution française n'est que l'avant-courrière d'une autre révolution bien plus grande, bien plus solennelle, et qui sera la dernière ». Manifeste des Egaux
« L’année 1789 sera rayée de l’Histoire ». Goebbels (1933)
 « Par bourgeoisie, on entend la classe des capitalistes modernes, qui possèdent les moyens de la production sociale et emploient du travail salarié ; par prolétariat, la classe des travailleurs salariés modernes qui, ne possédant pas en propre leurs moyens de production, sont réduits à vendre leur force de travail pour vivre». Engels

Bilan de la réunion de présentation du livre de Claude Bitot (Paris 4 juillet); le lecteur peut se reporter à ma critique du livre dans un article de ce blog : Repenser la révolution… sans le prolétariat et hors du marxisme ; et à l’annonce : Réunion littéraire pour cogiter sur la possibilité d’une île révolutionnaire.

Tous les désenchantés du prolétariat, tous les has been militants, et spécialement de l’aire intello limitée nommée ultra-gauche ont été ensevelis sous les décombres de l’agitation gauchiste et sous le vent amer de l’oubli si rapide des trois dernières décennies. Comme toutes les comètes anarchistes modernistes à la Vaneigem, ils croient faire de l’humour en reprenant sa saillie dissolvante et si bourgeoise : « Le prolétariat a perdu son nom depuis que la plupart des citoyens en font partie »[1]. Néo-Situs éparpillés comme impatients décontenancés se sont résolus à mépriser ce prolétariat dont ils attendaient TOUT à brève échéance et SURTOUT la reconnaissance de leur propre gloire. Comme la culpabilité les guette toujours ils s’accrochent désespérément aux formules intellos d’autrefois, parfois ambiguës de Marx, ainsi de cette formule, introuvable : « La classe ouvrière est révolutionnaire ou elle n’est rien. [2]» Cette formule est toujours citée de seconde main, et des cuistres croient pouvoir la dire extraite d’une lettre à Schweitzer du 24 janvier ou du 13 ou 23 février 1865, d’autres d’une autre lettre du 13 octobre 1868. Pas vu ni trouvé.  « La classe ouvrière  n’est rien » est en soi une formule typiquement patronale bourgeoise. Or Marx n’était ni bourgeois ni méprisant en ce qui concerne la classe ouvrière. Comme comprendre cette formule choc, mais chic pour les has been si elle existe réellement? Il faut d’abord savoir à quel individu Marx a adressé quelques missives restées éparses pour l’histoire pour en comprendre la portée. Schweitzer était le successeur de Lassalle à la tête de l’Allgemeiner Deutscher Arbeiterverein, abrégé en ADAV) qui fut le premier parti ouvrier d'Allemagne. Or ceux que Marx et Engels désignaient comme des « lassalliens bornés » n’étaient que des réformistes déguisés, apôtres « d’élections dociles » et d’un culte syndical du prolétariat[3]. On aimerait retrouver la formule dans la lettre entière, mais toutefois, en la prenant tout de même en compte[4] – sachant que, pour Marx, fondamentalement, le porteur des intérêts de la civilisation, c’est le prolétariat, celui-ci ne peut être défini comme une simple catégorie sociologique ou par son taux de souffrances endurées, sinon il l’aurait rangé dans la catégorie inoffensive des « pauvres ». La classe ouvrière de par sa condition d’existence se recrée à chaque époque ou génération en développant une conscience sociale et politique qui se pose en antagoniste au pouvoir bourgeois existant, elle est sujet porteur d’un projet d’émancipation qui remet en cause à la fois son exploitation et la classe dominante[5]. Tout cela est jeté aux poubelles de l’histoire par quelques éléments marginaux, aussi vindicatifs dans leur anarchisme nihiliste que lorsqu’ils se décrétaient marxistes patentés. Il ne s’agit que d’un prurit localisable, limité à une poignée de vieux coucous dont l’impatience a sombré dans le mépris de la classe ouvrière. Allons… le prolétariat est révolutionnaire ou il n’est rien. Il n'est "même plus réformiste" et comme il ne nous a pas donné de résultat, pas offert LA révolution, alors « il n’est plus rien » râlent, contrits et bouchés, nos vieux cabochards d’une révolution qui s’est fait attendre en vain. Tout le passé historique n’est plus qu’infini néant méprisable, sans continuité ni héritage. Ils affichent avec fierté la certitude des ânes. Comme les djeuns consommateurs écervelés qu'ils stigmatisent ils sont enfermés eux aussi dans le temps présent.

UNE BROCHETTE DE QUELQUES REPRESENTANTS DES COUCHES MOYENNES INTELLOS FUNAMBULISTES

Les éléments intellectuels ou semi-intellectuels flottant entre les deux principales classes de la société moderne tiennent des colloques quand cela leur chante, selon leurs humeurs et telle ou telle occasion. L’occasion était cette fois-ci la publication du livre de Claude Bitot par les Cahiers Spartacus : « Repenser la révolution ». On verra qu’il ne s’agit pas d’une discussion anodine pour contribuer à reposer avec sincérité et conviction la nécessité d’une révolution au sens de prolétarienne, en en restaurant les principes classiques. Ne voir dans la thèse simple de Bitot – disparition du prolétariat et chute automatique du capitalisme – qu’une nouvelle négation du prolétariat comme classe révolutionnaire, serait passer à côté de la plaque d’une théorisation proprement fasciste de cette brochette ordinaire de théoriciens à la manque.
Non pas que je me serve de l’épithète comme argument confondant. J’ai défendu Bitot face à Coleman qui le traitait de fasciste[6], étant entendu selon ce démocrate bourgeois que la nature essentielle du fascisme serait le racisme. Non la base essentielle du fascisme n’est pas le racisme, celui-ci n’est qu’un des aspects de cette idéologie nationaliste ; plein de gens de gauche ou de militants sont certainement un peu racistes, voire beaucoup sans le savoir mais ne sont pas des assassins nazis. La lecture d’un livre n’est pas toujours aussi éclairante que sa présentation orale par son auteur, lequel ne peut plus aussi bien déguiser sa pensée. La présentation de Bitot fût assez ahurissante concernant l’histoire de révolutions et la place historique et le rôle de la classe ouvrière. Sur ces deux plans cet auteur funambule se situe carrément sur les fonds baptismaux du… nazisme, comme on le démonte par après[7]. Enfin, vu qu’après tant d’années de plaisir solitaire comme marxologue funambule, Bitot a enfin recruté deux fans (un ex du BIPR et un illustre inconnu), je me suis demandé s’il n’avait pas pour vocation, avec ses deux bedeaux, à devenir la voiture balai de tant de militants maximalistes désenchantés par la mère nourricière, cette ingrate classe ouvrière !

UNE DISCUSSION A VOCATION HIPPIE
« On étouffe ici, permettez que j’ouvre une parenthèse » Alphonse Allais

Ne me faisant pas trop d’illusion sur les possibilités intellectuelles et politiques du petit cénacle auquel j’allais assister, je me sentais plus prédisposé à leur poser quelques questions plutôt qu’à voir fructifier un débat entre « camarades ». Jean-Paul de Gallar fît les présentations pour les Cahiers Spartacus en infibulant la croyance en une immense polémique prévue pour la sortie dans les bacs, compte tenu que le monde s’avance vers un chaos indéniable.
C.Bitot expliqua ensuite que la crise mondiale n’est pas explicable par la chute du taux de profit mais qu’il s’agit d’un échec historique du prolétariat. Et il revint sur chacun des échecs successifs depuis la Commune de Paris de 1871. La réussite de l’Union sacrée a prouvé ensuite que les prolétaires n’étaient pas révolutionnaires. En un siècle finalement le prolétariat n’a rien fait ! Le prolétariat a aussi trahi les spartakistes en 1919 en Allemagne. Pauvre capital variable, c’est tout ce qu’il est le prolétariat ! Tout cela c’est la faute à 1789 ! La révolution française a servi de modèle à toutes les autres. La culture révolutionnaire, issue de cet avatar, est morte !
Lorsque je pose deux questions à Bitot, le monsieur me répond qu’il ne veut pas polémiquer avec moi, hautain et en clin d’œil à ses groupies. Cela fait mauvais effet. Il apparaît sur la défensive. Puis-je (dis-je) toutefois t’appeler encore camarade ? Voici mes deux questions : est-ce qu’il n’y a plus de classes sociales ? et qu’est-ce que tu penses d’André Gorz. De réponse point mais un gazouillis de paroles qui embraye sur la « décomposition » de la classe et autres pertes d’identité en pourcentages et au kilo. Suivra une charge contre cette drôle d’émancipation promise sous l’égide du prolétariat et qui débouche sur la Tchéka, la terreur rouge, les goulags. C’est sûr comme l’affirme Philou-le-hautain « les classes opprimées n’ont jamais été porteuses de mission ». Comme j’étais sorti pisser, Bitot en avait profité pour baver tout son mépris des ouvriers et des jeunes chômeurs, je ne saisis que la lie du discours en fin de bave : « …ah ils souffrent dit-on ! oh les pauvres assistés  ils ont pas de boulot… oh la la… mais on s’en fout, ils sont pas capables de faire une révolution un point c’est tout ». On assiste ensuite à un éjaculat de haine, de leçon de morale et de fausse pudibonderie dans la dénonciation des anciens dominés devenus à leur tour bourreaux et assassins, çà dégouline de sang, c’est malpropre, c’est honteux. On dirait un grand bourgeois en furie contre tous ces manants, ces cul-de-jatte, ces pue la sueur qui ont prétendu venir salir le plateau de l’histoire avant de se répandre sur les plateaux de télévision.[8]
Jean-Paul de Gallar tente d’élever et de réorienter le débat vers de plus nobles questions écologiques, après avoir demandé qu’on écourte mes interventions trop longues[9], car l’humanité est confrontée à la limite des ressources. Les fans de Bitot se relayèrent pour repenser le passage du féodalisme au capitalisme qui aurait opéré sans violence. Philou-le-hautain décrivit la classe moderne comme sans-réserve et provoqua un énorme éclat de rire mécanique de ma part lorsqu’il en vint à évoquer la « mise en pratique de rapports communistes immédiats » (je fis une gestuelle qui évoquait la relation amoureuse). Et chacun de supputer sur la venue, la tournure et l’envergure du chaos à venir. Max-le-communisateur assure quant à lui que la période de transition a disparu, la communisation est immédiate, sans étape intermédiaire. La classe a été incapable de s’emparer de l’idée de projet. Une grande partie de la classe n’a plus de place dans la production. Son adjoint Philou-le-hautain pontifie que l’identité ouvrière a disparu. J’ai objecté que j’avais l’impression d’assister à une discussion entre bourgeois ! On fit mine d'ignorer le goujat.
J’ai parlé dans le vide à côté de ces bedeaux apolitiques quand j’ai répondu que la critique des missionnaires du prolétariat était moins ridicule que l’attente d’un effondrement automatique du capitalisme. Du début à la fin de cette misérable causette j’ai déploré leur rôle de fossoyeurs nihilistes de l’histoire réelle et des principes de classe à notre époque où les jeunes ignorent ou fuient l’Histoire, à une époque où la référence au passé reste une force de conviction révolutionnaire. J’ai parlé dans le vide quand j’ai dit que la question générale n’était pas la croyance d’un tel ou d’un tel, l’identité ouvrière disparue ou pas, mais les trois questions fondamentales :
-          La pérennité des classes sociales (« vous vous foutez du monde si vous croyez que la classe bourgeoise va se fondre ou s’effacer »)
-          La violence nécessaire (« c’est pas le culte de la violence à la Camoin mais une violence de classe contrôlée contre celle de la bourgeoisie »)
-          Le parti, sans parti pas de révolution.
Pour tout vous dire, la réunion de présentation se termine sur une aimable passe d’armes entre Bitot et moi. Alors qu’il pense enchanter le petit cénacle avec des trémolos sur la nouvelle classe humaine qui allait lutter « pour l’humanité humaine », remplie « d’humanité », avec pour projet « l’humanité » (un des fans happait l’air bouche ouverte et les yeux embués), je lui lance que c’était encore de la théorie hippie. Bitot, hargneux contre moi, prenait la défense des hippies (conforme au communisme frugal défendu dans ses précédents ouvrages, sauf qu’il interdira certainement cheveux longs et nike). J’en rajoute quand je précise que dans ses livres précédents il ne part jamais des besoins de la classe ouvrière tellement il la méprise. Philou-le-hautain m’interrompait : tu ne veux pas non plus qu’on garde le nucléaire ?
Mais si mon cher je veux qu’on garde le nucléaire parce que ce n’est pas avec votre bougie hippie qu’on va chauffer l’hiver l’humanité…

PAS SIMPLEMENT UNE REUNION DE NIHILISTES IMPUISSANTS…

« Je ne crois pas à son avenir, à l'humanité... Elle peut crever tout de suite l'humanité et je m'en fous... Elle ne mérite pas une ligne de complaisance, elle peut s'étouffer dans sa fiante, l'humanité et j'irai pas à ses funérailles ». Céline

Réflexion faite je me rendis compte que ce n’étaient pas des propos simplement issus de l’idéologie dominante invalidante et négationniste du prolétariat pour enfoncer un peu plus  la jeunesse paumée ni de simples contes à faire dormir debout les bourgeois que j’avais écouté et subi, mais un simple écho à la tradition féodalo-bourgeoise des fascismes, sous les trois aspects classiques notés par les meilleurs historiens (j’avais moi-même fait la comparaison de la diarrhée des communisateurs avec le bla-bla fasciste)[10] :
-          1. Négation de l’importance de la révolution de 1789 contre les classes dominantes et en vue d’une société débarrassée des inégalités [11];
-          2. Négation de la classe ouvrière comme classe appelée à renverser le pouvoir dominant bourgeois ;
-          3. Substitution de la classe ouvrière par une vague population mondiale « citoyenne », pacifiste, écologique, etc. (le peuple national dans le fascisme).
Leur remise en cause du rôle historique, non démenti - (comme je l'objecte en permamence dans ce blog « le prolétariat n’a pas encore commencé ») - n’est pas une lucidité mais un réformisme néo-fasciste. Le prolétariat reste une classe jeune comparé à la durée des classes féodales et bourgeoises ; et je le confirme LE PROLETARIAT EST UNE IDEE NEUVE EN EUROPE ET PARTOUT ! Un prolétaire ou un révolutionnaire ne peut pas renier 1789 ou alors il reste un laquais de l'école bourgeoise. A chaque époque du passé des classes je ne suis ni prince charmant ni commerçant bourgeois, je fais partie des esclaves avec Spartacus; j'agite ma fourche au milieu des bras nus; je suis au Fort de Vanves avec les Pétroleuses en 1871, etc.(x)
Je ne suis pas du genre à me féliciter des erreurs du passé et surtout pas à jeter le bébé avec l’eau du bain. Les erreurs du passé ne sont pas des ferments d’impuissance mais à chaque fois un peu plus d’expériences qui enrichissent les principes révolutionnaires. Par exemple, oui nous les exploités on a toujours perdu militairement dans les confrontations avec la bourgeoisie, et la Commune a été une misérable armée mexicaine, et il ne pouvait en être autrement. Les mouvements de masse moderne démontrent au contraire que ce n’est pas militairement qu’on fait basculer les choses. Autre exemple, les revendications unifiantes, « tous ensemble », « une même retraite pour tous », c’est toujours du pipeau, les masses triuvent elle-même en mouvement le mot d’ordre qui va vraiment unifier, comme « la paix et le pain » en 1917). D’immenses masses en mouvement pourront paralyser les états sans qu’on joue à la guerre civile comme au Palais d’hiver an 1917. Sinon on ne fait pas le poids face aux armes sophistiquées. Cela n’élimine pas le rôle de la violence mais celle-ci devra être relative et certainement pas frontale. Par ce raisonnement nous pouvons inciter les jeunes éléments à se passionner pour l’expérience passée, pour réfléchir avec nous sur comment reposer les bases pour aller vers la victoire et non pas déposer les armes aux pieds des bourgeois bienveillants qui, comme nous, attendraient l’effondrement de leurs privilèges.

(x) Vers 1975, envoyé en mission par EDF pour récupérer le matériel électrique du quartier datant du 18e siècle dans le bas de Clamart, j'entre dans une vieille bâtisse de la rue du Chef de ville - ruelle où Condorcet fût dénoncé à la maréchaussée - et dans le grenier je trouve un bouquin génial en fac-similé: La Grande Révolution de Kropotkine, merveilleux ouvrage d'historien partisan et passionné, conseillé par Lénine au rang des classiques de notre longue histoire commune.

UN AEROPAGE DE PARESSEUX

Bitot’s band ne voit que des « pauvres », ne voient dans la misère « que la misère ». C’est plus une réaction proudhonienne que fasciste (j’ai titré ainsi pour attirer le lecteur gauchiste avide du sensationnel autour du mot fasciste). Mais on ne peut pas oublier que les premiers fascistes ont repris leur théorisation de l’innocuité de la classe ouvrière chez les anars et néos comme Sorel, Valois, etc. Nos « humanitaires » hippies de la théorie du chaos ne se sont même pas rendus compte qu’ils ont abandonné la politique en perdant de vue la pérennité des classes et le champ d’affrontement public opiniâtre et opaque qui ne cesse de se dérouler. Leur ignorance de l’importance de l’action « en éveil » et certainement encore très faible au niveau politique des masses d’Afrique et de Chine, peut être étalonné au niveau du racisme de classe typique du fascisme élitaire. Sans s’en rendre compte ils plagient le mépris des classes supérieures qui se plaisent à imaginer le prolétariat INCAPABLE de les renverser, cet imbécile international ! Bitot ne va pas plus loin en combat contre les nuisances que le nouveau Camatte ridé, nouvel Hessel des médias, Pierre Rabhi, le paysan philosophe qui ravit le monde du show business et les pages de Figaro Madame.
Au final on  ne va pas être trop méchant ici avec les fans de Bitot. Va pour la comparaison avec ce funambule de Georges Valois qui, après avoir rejoint le fascisme retourne au syndicalisme révolutionnaire puis se fait tuer dans la résistance au nazisme. En 1925 il estime qu’il n’y a plus de problème social, il faut réconcilier la classe ouvrière et… la monarchie. Après être passé par l’Action française (non fasciste et expulsée par le Vatican) et le Faisceau, il revient à la CGT. Valois qui a bien connu et fréquenté les anarchistes, dont nombre deviendront fascistes en France comme en Allemagne, les considèrent finalement comme des paresseux dont l’idéal consiste uniquement à quitter leur classe, alors qu’hypocritement ils prêchent son émancipation[12]. L’esprit syndicaliste arriviste existait déjà dès les années 1930. La plupart des délégués syndicalistes, dans leur pose de leaders autoritaires ne souhaitait (sous le bla-bla d’estrade) que sortir de la condition ouvrière, dans le capitalisme. Avec ce manichéisme de nos communiants en idiotie qui, comme Sartre ne voyant que les bons cons, les philosophes et les salauds, se considérait hors des classes et donc philosophe.
Valois était déjà sur un fil haut perché et tremblotant en 1905, pensant "repenser" lui aussi tout seul, lorsqu’il écrivit « L’homme qui vient » (nouvelle réforme intellectuelle et morale de la France) où il critiquait l’idée de progrès et surtout, ce qui est le socle de base du fasciste primaire, l’héritage de la philosophie des Lumières. Bitot’s Band est dans la lignée, mais sur une ligne plutôt inoffensive et bobo conviviale, la contestation de la lumière fournie par les centrales nucléaires. Ils ne sont donc pas bien inquiétants. Je suppose qu’on pourra éviter au technicien de poser des disjoncteurs dans les appartements réservés au club de la bougie et à la confrérie des ennemis des cristaux liquides aliénés.

POST SCRIPTUM : ayant néanmoins trouvé la lettre suivante assez intéressante contre le raisonnement finalement assez doctrinaire et bigot de C.Bitot, je vous laisse la savourer. Notez bien que Marx ne signe jamais de cet imbécile « salutations communistes » ou « salutations communisatrices ».

Marx à J. - B. von Schweitzer 3 octobre 1868.
Cher monsieur,
Si vous n'avez pas reçu de réponse à votre honorée du 15 septembre, la faute en est à un malentendu de ma part. J'ai cru comprendre que vous vouliez me communiquer votre avant - projet pour examen [11] et j'ai attendu. Ensuite il y eut le congrès, et c'est alors que j'estimai que la réponse - étant donné que je suis surchargé de travail - n'était plus pressante. Avant l'arrivée de votre lettre du 8 octobre, j'avais déjà à plusieurs reprises exhorté à la paix - en ma qualité de secrétaire de l'Internationale pour l'Allemagne. On m'avait répondu (et pour preuve on m'avait envoyé des passages du Social - Demokrat) que vous-même vous provoquiez la guerre. Je déclarai que mon rôle dans ce duel devait nécessairement se borner à celui d'un arbitre « impartial ».
J'estime que je ne peux mieux répondre à la grande confiance que vous m'exprimez dans votre lettre qu'en vous communiquant ouvertement, sans ambages diplomatiques, quelle est ma position dans cette affaire.
Je reconnais absolument l'intelligence et l'énergie avec lesquelles vous agissez dans le mouvement ouvrier. Je n'ai jamais caché cette opinion à un quelconque de mes amis. Là où je dois m'exprimer publiquement - au Conseil général de l'Association internationale des travailleurs et dans l'Association des communistes allemands de Londres - je vous ai toujours traité comme un homme de notre parti, et je n'ai jamais lâché un mot sur nos points de divergence. Et pourtant ces points de divergence existent.
D'abord en ce qui concerne l'Association de Lassalle, elle a été fondée durant une période de réaction. Après un sommeil de quinze ans, le mouvement ouvrier a été tiré de sa torpeur en Allemagne par Lassalle - et c'est là son mérite impérissable. Cependant il commit de grosses fautes, car il se laissait trop dominer par les circonstances du moment. Il fit d'un point de départ insignifiant - son opposition à un nain tel que Schulze - Delitzsch - le point central de son agitation : l'aide de l'État, au lieu de l'action autonome du prolétariat. Bref, il reprit simplement la formule que Buchez, chef du socialisme catholique français avait lancée dès 1843 en opposition au mouvement ouvrier réel en France. Trop intelligent pour considérer cette formule comme autre chose qu'un pis-aller transitoire, Lassalle ne put la justifier que par sa prétendue utilité immédiate. En conséquence, il affirmait que cette formule était réalisable dans le plus proche avenir. Or donc, l'État en question ne fut rien d'autre que l'État prussien. C'est ce qui l'obligea à faire des concessions à la monarchie prussienne, à la réaction prussienne (parti féodal) et même aux cléricaux. Enfin il combina la formule de Buchez - assistance de l'État aux sociétés ouvrières - avec la revendication chartiste du suffrage universel, sans s'apercevoir que les conditions n'étaient pas lés mêmes en Allemagne qu'en Angleterre : il oublia les leçons du Bas-Empire sur le suffrage universel français [12].
Comme tous ceux qui prétendent avoir dans leur poche une panacée contre les souffrances des masses, il donna d'emblée à son agitation un caractère sectaire de type religieux. En effet, toute secte est religieuse. Précisément parce qu'il était le fondateur d'une secte, il nia tout rapport naturel avec le mouvement antérieur d'Allemagne ou de l'étranger. Il tomba dans l'erreur de Proudhon, en ne cherchant pas la base de son agitation dans les éléments réels du mouvement de classe, mais en voulant prescrire à ce dernier sa marche d'après une recette doctrinaire déterminée.
Ce que je dis ici après coup, je l'avais en grande partie prédit à Lassalle, lorsqu'il vint me rendre visite à Londres en 1862 et me demanda de me mettre avec lui à la tête de ce nouveau mouvement.
Vous avez expérimenté personnellement l'opposition qui existe entre un mouvement de secte et un mouvement de classe. La secte cherche sa raison d'être et son point d'honneur, non pas dans ce qu'il y a de commun au sein du mouvement ouvrier, mais dans sa recette particulière qui l'en distingue. Ainsi lorsque vous avez proposé à Hambourg de convoquer un congrès en vue de fonder des syndicats [13], vous n'avez pu briser la résistance des sectaires qu'en menaçant de démissionner de votre poste de président. En outre, vous avez été contraint de dédoubler votre personne, en déclarant que l'une agissait en tant que chef de secte, et l'autre en tant qu'organe du mouvement de classe.
La dissolution de l’Association générale des ouvriers allemands vous a fourni l'occasion de réaliser un grand progrès et de déclarer - de prouver, s'il le fallait - qu'une nouvelle phase de développement venait de s'ouvrir, que le moment était venu de dissoudre le mouvement sectaire dans le mouvement de classe, et pour mettre fin à tout personnalisme.
Le contenu réel de la secte eût dû être transféré comme élément enrichissant dans le mouvement général, comme l'ont fait toutes les sectes ouvrières du passé. Au lieu de cela, vous avez mis en demeure le mouvement de classe de se subordonner à un mouvement sectaire particulier. Ceux qui ne sont pas vos amis en ont conclu que vous vouliez conserver à tout prix votre « propre mouvement ouvrier ».
En ce qui concerne le congrès de Berlin, il n'y avait pas lieu de se presser, puisque la loi sur les coalitions n'était pas encore votée [14]. Vous auriez donc dû vous entendre d'abord avec les chefs extérieurs au cercle lassalléen, pour élaborer avec eux un plan commun, puis convoquer le congrès. Au lieu de cela, vous ne leur avez laissé qu'une alternative : se rallier publiquement à vous, ou faire front contre vous. Quant au congrès, il n'apparaissait que comme une réplique élargie du congrès de Hambourg.
En ce qui concerne votre projet de statuts [des syndicats], j'en tiens les principes pour fondamentalement faux, et je crois avoir autant d'expérience dans le domaine syndical que n'importe quel autre contemporain. Sans vouloir entrer ici dans les détails, j'observe simplement que l'organisation centralisée, qui s'applique si bien aux sociétés secrètes et aux sectes, est en contradiction avec la nature même des syndicats. Même si elle était possible - or je la tiens tout bonnement pour impossible - , elle ne serait pas souhaitable, surtout en Allemagne. En effet, les ouvriers y sont dressés dès l'enfance par la bureaucratie à croire en l'autorité et l'instance supérieure, si bien qu'il faut avant tout qu'ils apprennent à se tirer d'affaire tout seuls.
Par ailleurs, votre plan manque de sens pratique. L' « Union » comprendrait trois puissances, d'origine diverse : 1º Le bureau élu par les associations de métier. 2º Le président (personnage superflu ici) élu au suffrage universel. Les statuts de l'Association internationale des travailleurs avaient également fait mention d'un président de l'Association. En réalité, il n'a jamais eu d'autre fonction que de présider aux séances du Conseil général. J'ai refusé le poste de président en 1866 et proposé de le supprimer complètement en 1867, pour lui substituer un président de séance choisi à chaque réunion hebdomadaire du Conseil général. Le bureau londonien des syndicats n'a, lui aussi, qu'un président de séance. Son seul permanent est le secrétaire, qui est chargé des affaires courantes. 3º Le congrès, élu par les sections locales. Cela signifie des heurts partout; or on prétend favoriser une « action rapide » !
Lassalle commit une lourde faute en empruntant à la Constitution française de 1852 le « président élu au suffrage universel » - et de plus - pour le mouvement syndical ! Or celui-ci s'occupe principalement de questions d'argent, et vous ne tarderez pas à constater que toute velléité de dictature s'arrête là.
Cependant quelles que soient les erreurs d'organisation, on pourrait peut-être les éliminer dans une mesure plus ou moins grande en agissant rationnellement. Comme secrétaire de l'Internationale, je suis prêt à assurer la médiation entre vous et la majorité de Nuremberg qui s'est affiliée directement à l'Internationale [15] ; j'entends, bien entendu, agir sur une base rationnelle. J'ai écrit en ce sens à Leipzig (à Wilhelm Liebknecht [16]. Je ne méconnais pas les difficultés de votre position, et je n'oublie jamais que chacun d'entre nous dépend plus des circonstance extérieures que de sa volonté.
Je vous promets en toute occurrence d'être impartial, comme c'est mon devoir. Mais je ne puis vous promettre qu'un jour je ne serai pas amené à critiquer ouvertement les superstitions lassalléennes, comme je l'ai fait autrefois pour les proudhoniennes. Jexpliciterai alors mes positions personnelles, dictées absolument par l'intérêt du mouvement ouvrier.
En attendant, soyez assuré personnellement de ma meilleure volonté à votre égard.
Votre dévoué K. M.




[1] On ne va pas revenir ici sur les trop longs plaidoyers sur la nature du prolétariat, que connaissent par cœur nos révisionnistes d’un « marxisme qui n’a pas réussi », car cela suppose une conscience qu’ils n’ont jamais eue. Marx et Engels proposent plusieurs définitions du prolétariat, qui apparaissent comme étroitement liées à la production : « Il faut entendre par prolétaire le salarié qui produit le capital et le fait fructifier, et que M. Capital […] jette sur le pavé dès qu'il n'en a plus besoin » (Le Capital). Dans le Manifeste communiste (1848), Marx parle du prolétariat comme étant « la classe des travailleurs modernes ». Il « se recrute dans toutes les couches de la population » (Karl Marx, Manifeste communiste, 1848). « Par prolétaire, au sens économique, il faut entendre le travailleur salarié qui produit du capital et le met en valeur. » (Karl Marx, Le Capital, 1867).Or le prolétariat ne peut plus être simplement lié à la catégorie ouvrière aux XXe et XXIe siècle, avec la démultiplication des professions et de la catégorie dite des services, sans compter la masse croissante des non-prolétaires jamais intégrés dans aucune activité productive. Que fait-on de la masse des sans ressources (que Philou-le-hautain évoqua)? La bourgeoisie les a jeté à la rue déjà, et nous (le prolétariat au pouvoir)  on va les y laisser?

[2] La traduction  par Rubel, de cette formule colportée n’importe comment et sans véritable possibilité de lire l’intégralité de la lettre mentionnée avec plusieurs dates fantaisistes, donne « n’est rien du tout ». Ce qui n’est pas étonnant dans l’esprit hautain et libertaire d’un Rubel.
[3] Or une lettre du 13 octobre 1868 au même Schweizer, lisible sur le web, est plus explicite et intéressante (que la célèbre formule galvaudée) sur le moment où le prolétariat est réduit à rien: « En ce qui concerne votre projet de statuts [des syndicats], j'en tiens les principes pour fondamentalement faux, et je crois avoir autant d'expérience dans le domaine syndical que n'importe quel autre contemporain. Sans vouloir entrer ici dans les détails, j'observe simplement que l'organisation centralisée, qui s'applique si bien aux sociétés secrètes et aux sectes, est en contradiction avec la nature même des syndicats. Même si elle était possible - or je la tiens tout bonnement pour impossible - , elle ne serait pas souhaitable, surtout en Allemagne. En effet, les ouvriers y sont dressés dès l'enfance par la bureaucratie à croire en l'autorité et l'instance supérieure, si bien qu'il faut avant tout qu'ils apprennent à se tirer d'affaire tout seuls ». Ou encore, une autre lettre intéressante de Marx mais  à Kugelmann : « Dans un sens, l'attitude de ces messieurs était plus justifiée que celle de Lassalle; le bourgeois est habitué à considérer que la « réalité », c'est son intérêt le plus immédiat, celui qui se trouve juste sous son nez. En outre, cette classe a toujours en fait conclu des compromis, même avec la féodalité, tandis que la classe ouvrière, par la nature même des choses, ne peut être sincèrement que « révolutionnaire » (23 février 1865).


[4] Marx avait le droit de dire des conneries et ne s’en est pas privé, surtout dans  les correspondances non destinées à être publiées, et reflétant forcément soit une saillie impulsive soit une analyse inachevée.
[5] Cela dit, indépendamment des clichés sociologiques que l’identité, la plupart des prolétaires savent très vite qu’ils le resteront à vie et que leurs enfants ont une éducation au rabais…
[6] Le démocrate néo-trotskien Coleman n’a plus pour argument que de traiter tout contradicteur de fasciste. Trotsky écrivait en 1932 : « Celui qui, en politique, juge selon les étiquettes et les dénominations, et non selon les faits sociaux, est perdu ». Coleman s’est perdu depuis longtemps dans le discours moralisateur et parfaitement hypocrite de l’anti-racisme. Est-ce parce qu’il regrette d’être né noir ? Ou mieux, café au lait ?

[7] Dans le fond nulle innovation, en niant toute l’histoire du mouvement ouvrier et en décrétant toutes ses révolutions comme preuve de l’impuissance du prolétariat,  Bitot se rattache à la tradition réactionnaire anarchiste : « La bourgeoisie est devenue une cohue » (Proudhon) ; « La lutte de classes c’est l’idée boche (…) Lénine a échoué parce qu’il a éliminé la bourgeoisie. Mussolini ayant fait le contraire, a réussi » (Georges Valois). Le père putatif non avoué de Bitot est feu André Gorz, aventurier littéraire néo-sartrien qui avec ses « Adieux au prolétariat » (1980), s’était livré à une contestation virulente du marxisme et du culte (stalinien et gauchiste) du prolétariat, qui fît sensation le temps d’une rentrée littéraire, il est aussi le père des rigolos écolos et des communisateurs…

[8] On retrouve cette même haine et ces cris d’orfraie p.141 que j’avais survolée, mais on en effet : « la révolution… une lutte pleine de ressentiments, de haines, de fureurs, d’actes barbares » avec « son côté sombre, macabre, barbare ». Eh oui jeunes gens c’est sale une révolution, allez vous laver les mains pour ne pas salir le papier que vous allez glisser dans l’urne, lui n’est ni macabre ni barbare.
[9] Je me marrais au souvenir de Monsieur de Gallar, sire souvent présent aux réunions publiques du CCI pendant des années et qui avait du mal à parler longtemps, chargé de présidence arrière dans un cénacle libéral-libertaire se la jouait à son tour minuteur léniniste ! Le même à la fin cru bon de dire à son collègue des Cahiers : « jean-louis a dit que j’étais un petit bourgeois sauvé par l’humour », je n’ai jamais dit cela mais j’ai ajouté que cela le décrivait bien en effet.
[10] CF. Mon précis de communisation toujours disponible, et marrant.
[11] Cf. Le nazisme et son ombre, p. 102 et suiv., les nazis qui conchient 1789 puis l'ex-stalinien Furet les imite contre la théorie de la terreur rouge, pourtant typique de la bourgeoisie jacobine originelle mais pas du mouvement du prolétariat. Goebbels a essayé bien avant Bitot de rayer 1789 de l’Histoire… Perdu.
[12] Valois a d’ailleurs parfaitement compris malgré tout l’esprit parasitaire et fainéant de l’aristocratie syndicale : « La libre association des paresses individuelles ne peut être que l’organisation et  la consécration de leur paresse commune ».

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