PAGES PROLETARIENNES

jeudi 4 juillet 2013

FEUILLE DE DEROUTE EN EGYPTE…



 un coup d’Etat démocratique kaki

 
Quel spectacle technicolor sur nos grands écrans plasma de nos nuits blanches ! Spectacle trop bien organisé programmé, show trop bien fait (laser vert, fusées de carnaval, chorégraphie avec hélicoptère, commande de la filmographie par les caïds militaires sans imagination à un grand réalisateur, vol a basse altitude des hélicoptères ! Une deuxième « révolution égyptienne » psychédélique ! Rêve hippie de galonné bourré. A la veille de ce spectacle sons et lumières mondialisé, une nouvelle fois la bourgeoisie européenne et française ont été prises de court et sont restées… hors des décors. Il suffisait de parcourir le journal bourgeois le plus filandreux et servile, Le Monde, pour mesurer leur aveuglement devant l’échec de la gestion islamique qu’ils croyaient pérenne :
 « Echec économique et social ensuite, d'autant plus ressenti que les Egyptiens imaginaient volontiers que le changement de régime améliorerait radicalement leur situation. Pour la plupart d'entre eux, ils sont d'abord occupés à survivre – lendemains qui pleurent. Accablant, l'état économique du pays est le reflet d'une situation politique chaotique. Il témoigne de l'absence totale de programme économique et de savoir-faire gestionnaire de la part des Frères musulmans. Ils n'ont pas montré qu'ils avaient le secret d'une voie qui allierait conservatisme religieux et modernité économique. Ainsi, s'est coalisé un vaste mouvement d'opposition, qui regroupe l'essentiel du camp laïque – plus quelques revanchards de l'ancien régime – et qui peut capitaliser sur le désespoir d'une bonne partie des Egyptiens. A coups de pétitions signées par des millions d'électeurs, ils réclament la démission de M. Morsi et un scrutin présidentiel anticipé. Très hétéroclite, cette coalition ne paraît guère, elle non plus, avoir de programme commun, qu'il s'agisse de l'avenir politique ou économique du pays. Ce qui la cimente, c'est l'hostilité à M. Morsi et la crainte que celui-ci – ce qu'il n'a pas fait jusqu'à présent – n'engage l'Egypte sur la voie de l'intégrisme islamique. Estimant sa légitimité défiée par la rue, le président s'est crispé et, face à l'opposition laïque, a eu le plus mauvais des réflexes : se reposer sur les éléments les plus radicaux de sa mouvance. (…) Idéalement, les deux camps attachés au rejet de ce qu'a été l'ancien régime devraient dialoguer. Et puiser dans le Nil séculaire un peu de la sagesse requise pour qui prétend gouverner ce vieux pays »[1].

SCENARIO MILITAIRE POUR EMPECHER UNE GUERRE INTERNE CHAOTIQUE

En début de soirée sur la place Tahrir on pouvait penser que s’y déroulait une fête de la musique : lasers verts placés aux quatre coins de la place, fusées ponctuelles de feux d’artifice. Show son et lumière organisé par l’armée soi-même, applaudie par une foule sans mémoire. « GAME OUVER » en lettres fluo géantes. Passez muscade ! Même plan fixe lassant qu’il y a deux ans d’une masse de grappes humaines, agitant le fanal chauvin. Quelques rares zooms laissèrent apercevoir dans la soirée les gens qui dansaient, tapaient dans leurs mains. D’assemblées ou de groupes de discussion point.
Le bon peuple avait sa boite de nuit toute apprêtée par les services de l’armée dont les blindés entouraient les rues avoisinantes pour éviter de nouveaux affrontements sanglants avec les affidés de Morsi. Tout ce cinéma pour éviter la guerre civile et le chaos. Pour tout dire pour éviter des affrontements de classes. Commentaire journaliste : l’armée a « sécurisé les manifestants »[2]. L’annonce de la déchéance de Morsi à l’écran par le kaki de service, laissait voir en tapisserie de fond des mannequins des deux principales religions, musulmane et chrétienne, symbolisant l’union nationale rêvée. Le mot « pacifique » revenait en boucle dans la bouche des journalistes, style « Allah pacifiste ! », qu’il est grand le pacifisme et l’armée gentille !

Le clan des Frères musulmans est tombé. Pas tout seul. Le scénario était dans les mains d’une armée téléguidée par la bourgeoisie américaine ; elle touche 20 milliards de dollars par an par ce patron étoilé. Dans l’après-ultimatum à Morsi, l’armée avait pourtant dévoilé son scénario : ne pas préparer de coup d’État, mais elle l’a fait assurée que Washington ne la condamnerait ni ne la louerait. Elle promettait de se limiter à une « feuille de route », de mettre aux commandes de l’État un conseil présidentiel de trois personnes dirigé par le président de la Haute cour constitutionnelle, Adly Mansour, et de suspendre la Constitution pour une durée allant jusqu’à un an. Quant au futur gouvernement, composé de technocrates apolitiques, il serait formé sous « la direction d’un des chefs de l’armée ». Des conditions grâce auxquelles l’armée pourra tirer profit de la crise. Une fois ces mesures établies, quiconque tentera de s’y opposer risque d’être placé en résidence surveillée. Les manifestants hostiles à Morsi ont bien accueilli l’ultimatum contenu dans le scénario.
Mais avant que le scénario ne mette en scène une deuxième fois « la volonté du peuple », la désormais fameuse place remplie d’une foule devenu en liesse en fin de soirée comme lors des fins de matchs des footeux, il fallait instiller le thème de la pièce, ou plutôt son sous-titre : « piqure de rappel de la démocratie » sur les chaines anglophones et Al Jazeera – car les télés françaises sont restées économes sur le déroulement du « coup d’Etat » annoncé, engoncées dans leurs chiens écrasés nationaux[3]. Cette thématique théâtrale n’est bien sûr qu’un énorme mensonge. Le « peuple », ce figurant sans texte écrit, aurait donné matière à angoisse pour les dominants. Or la vraie « matière » inquiétante pour le nouveau scénario n’est évoquée par aucun média, ce n’est pas le peuple vague et hétérogène mais le cœur de la marche de l’économie – ceux du fond de la salle du théâtre - la classe ouvrière, sans représentation politique conséquente ni comédiens de premier plan. On nous avait fait applaudir la colère de la « jeunesse », ou la grève des juges en robe en décembre 2012 face au gouvernement solo islamiste de Morsi, mais pas la classe ouvrière. Or le scénario révélé ce soir, qu’il ne faudrait pas nommer coup d’Etat (selon leadership US) mais « piqure de rappel démocratique »[4], est l’aboutissement de la grande inquiétude de la bourgeoisie égyptienne et régionale face non à la colère de la jeunesse « indignée » en général, mais à toute une série de luttes du prolétariat, grèves tout au long de l’année 2012 jusqu’aux événements ambigus et dits de désobéissance civile à Port Saïd, et accessoirement les défis ponctuels des courageux « black Blocs »[5]. Comme en Turquie, comme au Brésil et au Chili, le prolétariat n’apparaît pas au premier plan, mais s’il ne s’exprime pas encore clairement politiquement, c’est lui qui a fait savoir le premier que Morsi et ses frères illusionnistes n’étaient que des incapables. Un exemple. Plus de 23 000 salariés de la plus grande entreprise de textiles d'Egypte s’étaient mis en grève, dimanche 15 juillet 2012, en réclamant une revalorisation de leurs salaires. L'usine de la société nationale Misr Spinning and Weaving, à Mahalla dans le delta du Nil, a déjà connu en 2008 des manifestations qui ont déclenché une vague de grèves à travers le pays, considérée par beaucoup comme le catalyseur de la révolte qui a abouti à la chute du président Hosni Moubarak en février 2011. Sept mille grévistes de Misr Spinning and Weaving avaient organisé un sit-in dans l'usine en réclamant une hausse des salaires de base, le renvoi de responsables corrompus et l'amélioration des conditions dans l'hôpital rattachés à l'entreprise. "Je demande au président Mohamed Morsi de prêter attention aux travailleurs qui l'ont élu", avait déclaré un militant syndical de l'usine, Wedad El Demerdach, en assurant que le sit-in se poursuivrait jusqu'à ce que les revendications des grévistes aient été satisfaite. Les Frères Musulmans en opposition et pendant leur longue clandestinité ont toujours eu très peu d’influence dans les usines, et ni joué un rôle quelconque dans les mobilisations successives des prolétaires égyptiens. Les cadors de cette mouvance viennent des milieux d’affaires et des classes moyennes, hostiles à toute action organisée de la classe ouvrière. 

DES INCAPABLES LIMOGES PAR TELEPHONE

La mouvance des Frères musulmans, contrairement à ce que croyaient les affidés d’Obama et nos rédacteurs serviles du Le Monde (américanisé), n’a jamais été un vrai parti. Cette mouvance arriérée a bénéficié simplement des divisions de l’opposition laïque plus qu’exprimé une véritable force politique alternative au régime autoritaire de Moubarak ; elle semblait la dernière carte pour la bourgeoisie US. Pas longtemps. Pauvre Morsi il aura été viré comme un malpropre même s’il était monté sur ses ergots jusqu’à la première minute du festival avec lasers verts.

C’est tout de même après des dizaines de morts que le coup d’Etat a été mis en scène (quatre en plus ce soir). Contrairement à ladite « « révolution » d’il y a deux ans, cette fois-ci, tout a été soigneusement planifié. Alors que la classe ouvrière et toute la population réclamaient des améliorations économiques et une fin des lois islamistes idiotes (les Egyptiens ne se conçoivent pas historiquement comme Arabes), tout le scénario répercuté par les médias anglo-saxons et américains n’ont de cesse de raccorder la mobilisation de dizaines de millions d’Egyptiens IMMEDIATEMENT au désir de … nouvelles élections. Or les élections antérieures trop récentes, législatives et présidentielles, si elles avaient été truquées comme ici en Europe (vote des morts et des illettrés), avaient vu surgir une majorité en faveur des apprentis incapables Frères musulmans. Une très grande partie de la population dans la rue ce soir avait voté pour Morsi et compagnie. Pour ces autres déçus du régime islamiste expérimental on va leur proposer de voter pour qui ?
Le clan des Frères musulmans au pouvoir  était tout aussi incapable dans la crise mondiale que l’ex-terroriste à la tête du Brésil ou Erdogan en Turquie. Dans ces trois pays, le peuple est convié à danser joyeusement pour « protéger la démocratie », pour revenir au bercail électoral truqué. Le Coran n’offre aucune solution économique et sociale. Les jeux olympiques au Brésil, les prolétaires ont montré qu’ils s’en fichaient et qu’ils ne voulaient pas se faire avoir comme les prolétaires grecs qui payent encore la facture des grandiloquentes olympiades de leur bourgeoisie. La Capadoce ne fait pas plus rêver que les tombeaux pyramidaux. Le clan Morsi croyait que l’aide de l’Arabie Saoudite et du Qatar suffirait à remplir les caisses vidées depuis l’après Moubarak. Le pouvoir népotique et le recasement de tueurs islamistes ont fini par être le torrent qui a fait déborder le vase[6]. L’économie égyptienne ne s’est pas relevée depuis le départ Moubarak, l’endettement est de 7 milliards. Avec le chaos et les exactions permises par le pouvoir expérimental islamique, les touristes ne viennent plus, la monnaie s’est effondrée, le chômage s’étiage de 20 à 40%, l’immense population est appauvrie, le gouvernement Morsi avait enlevé la subvention pour le pétrole et le gaz, 1 égyptien sur 5 est sous le seuil de pauvreté.
Les auteurs du scénario de la réconciliation nationale ne devraient pas rester longtemps dans leur fiction. Si le prolétariat a faim il se fiche d’aller au théâtre sans payer. Un « gouvernement technocratique » ne remplira pas plus vite les caisses ni ne réduira le chômage. Si les journaux algériens se félicitent que « l’illusion islamiste » ait été détruite, en croyant pouvoir comparer avec les terribles années 90  en Algérie, rien n’indique que les djihadistes en Egypte ne se livreront pas à leur tour à de nouveaux massacres. La bourgeoisie de Washington a tout intérêt à calmer le jeu, à tenir la mise en scène, car si l’Egypte n’a pas de pétrole elle peut en contrôler le flux et mettre à genoux certains petits roitelets de la région : le pétrole transite pour l’essentiel par le Canal de Suez ; la bourgeoisie US ne veut pas de blocage dans la région  ni une contagion sociale qui échapperait aux sirènes démocratiques, vu l’affaiblissement des requins islamistes.
 Les divisions de l’opposition libérale bourgeoise (les journalistes disent laïques !) au pouvoir expérimental et solo de l’islamisme rampant n’ont pas disparues, elle reste très mélangée. Elle a fait front unique sous scénario américain, contre la chute économique et islamisation, mais  une partie de la bourgeoisie pro-Moubarak revient avec les dits révolutionnaires en carton de la rue, grimés avec le drapeau chauvin.
El Sissi, qui a fait bien rire les journalistes, qui assuraient, fiers de leur culture limitée en histoire, qu’il n’était pas la princesse autrichienne incarnée par Romy Schneider, a assuré que la politique ne serait pas celle de l’armée. C’est la politique de qui alors ?
Avec ses lunettes rondes, El Baradei a un côté Léon Blum pleurnichard, prêt à dire à tous les coups : « je n’y peux rien ». Comme on aimerait, nous les maximalistes ringards, qu’il soit le nouveau Kérensky d’une véritable révolution prolétarienne au Maghreb et au Makrech. Oui s’ouvre l’ouverture de phase d’incertitude. Pas encore favorable au prolétariat.


[1] EGYPTE LE TRIPLE ECHEC DES FRERES MUSULMANS.
[2] Les journalistes rivalisent en lauriers sur l’armée, passant vite sur ses exactions passées : tabassages de femmes, viols, meurtres… Des manifestants objectent qu’il ne faut « jamais faire confiance à l’armée » ;mais on nous assure aussitôt que la foule est « reconnaissante » à l’armée.
[3] Dans les prochains jours, pour dévier toute réflexion conséquente sur la crise politique en Egypte, gageons que les journalistes vont passer leur temps à deviser pour savoir s’il s’agit ou pas d’un coup d’Etat. Vous savez comme la poule et l’œuf, Etat dans le coup ou coup de l’Etat ? Allez savoir.
[4] En un an, le Morsi chef d’Etat expérimental musulmaniaque a multiplié les nominations des siens aux postes clés, se posant plus en chef de clan qu’en président. Un comportement clanique doublé d’une dérive autoritaire islamiste. En novembre dernier, il avait pris la bourgeoisie égyptienne par surprise en publiant un décret le plaçant au-dessus de la loi. Des dizaines de milliers de manifestants étaient  aussitôt descendus dans la rue, juges en tête, pour demander l’abrogation du décret – ce que Morsi, également accusé de vouloir islamiser la société, avait fini par faire sous la pression, mais trop tard.

[5] Dans un bricolage confus dont il a le secret, le CCI, ou ce qu’il en reste de prostatiques peureux, nous expliquent que le mouvement de fond qui va du Brésil à la Turquie et à l’Egypte « s’inspire du mouvement des indignés en Espagne ». Dans le même genre révisionniste, en 1968 les maoïstes indiquaient que la classe ouvrière suivait l’exemple des étudiants.
[6] A la mi-juin, la nomination d’un fondamentaliste salafiste comme gouverneur de la région touristique « vallée des rois » avait provoqué la colère au sein de la population. L’homme est issu de la branche politique du groupe islamiste radical Gamaa al-Islamiya, auquel on a attribué le massacre et viol de 62 personnes, dont 36 touristes suisses et belges, dans la Vallée des Rois en 1997.L’accession de ce fondamentaliste nommé Adel Mohamed al-Kayat au gouvernorat de la région de Louxor  rouvre les plaies du terrible massacre du 17 novembre 1997, cet attentat terroriste islamiste au cours duquel 62 personnes avaient été tuées et mutilées,  piégés dans le temple de la reine Hatchepsout. L’attaque avait été attribuée à la Gamaa al-Islamiya, que codirigeait alors le nouveau gouverneur. Selon l’agence Reuters, que relaie notamment Le Nouvel Observateur, «de nombreux professionnels du tourisme de l’ancienne cité pharaonique de Thèbes redoutent, en plus des conséquences négatives pour le tourisme des soubresauts politiques de l’après-Moubarak, que cette nomination n’effraie un peu plus les visiteurs étrangers».

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