PAGES PROLETARIENNES

samedi 26 janvier 2013

POURQUOI J’AI TUE MON PATRON AVANT DE ME SUICIDER ?




PREMIERE PARTIE : UNE CLASSE OUVRIERE SANS CONSCIENCE ?

Aux licenciés de Goodyear à Amiens et à tous les autres…

« ...(Tout produit est un appât avec lequel on tâche d'attirer à soi l'être de l'autre, son argent ; tout besoin réel ou possible est une faiblesse qui attirera la mouche dans la glue de l'exploitation universelle de l'essence sociale de l'homme, de même que chacune de ses imperfections est un lien avec le ciel, un côté par lequel son coeur est accessible au prêtre ; tout besoin est une occasion pour s'approcher du voisin avec l'air le plus aimable et lui dire : cher ami, je te donnerai ce qui t'es nécessaire ; mais tu connais la condition sine qua non, tu sais de quelle encre tu dois signer le pacte qui te lie à moi : je t’étrille en te procurant une jouissance). L'eunuque industriel se plie aux caprices les plus infâmes de l'homme, joue l'entremetteur entre son besoin et lui, excite en lui des appétits morbides, guette chacune de ses faiblesses pour lui demander ensuite le salaire de ses bons offices.
Cette aliénation apparait d'autre part en produisant d'un côté le raffinement des besoins et des moyens de les satisfaire, de l'autre le retour à une sauvagerie bestiale, la simplicité complète, grossière et abstraite du besoin ; ou plutôt elle ne fait que s'engendrer à nouveau elle-même avec sa signification opposée. Même le besoin de grand air cesse d'être un besoin pour l'ouvrier ; l'homme retourne à sa tanière, mais elle est empestée par le souffle pestilentiel et méphitique de la civilisation et il ne l'habite plus que d'une façon précaire, comme une puissance étrangère qui peut chaque jour se dérober à lui, dont il peut chaque jour être expulsé s'il ne paie pas. Cette maison de mort, il faut qu'il la paie ». Marx (Manuscrits de 1844)
« Tout ce que le prolétaire peut faire pour rendre sa condition plus sûre n'est qu'une goutte d'eau dans la mer, si on le compare au déluge de hasards auxquels il est soumis, et sur lequel il n'exerce pas le moindre contrôle... Son caractère et son genre de vie sont naturellement marqués par de telles conditions d'existence. Toutes ces conditions réunies interdisent aux prolétaires de prévoir les conséquences qu'engendrent leurs actes. Ils sont condamnés à l'égarement. » . Engels (cf. mon livre « Marx était-il dépressif ?)
« Selon moi tous les internements sont arbitraires (…) Je sais que si j’étais fou, et depuis quelques jours interné, je profiterais d’une rémission pour assassiner avec froideur un de ceux, le médecin de préférence, qui me tomberaient sous la main. J’y gagnerais au moins de prendre place, comme les agités, dans un compartiment seul ». André Breton
Hier soir avons regardé avec intérêt le téléfilm d’Arte  Harcèlement (Mobbing), téléfilm allemand réalisé par Nicole Weegmann. C’est l’histoire d’un employé municipal, cadre chargé de l’animation de la vie de la cité, qui, pris en grippe par sa responsable hiérarchique, est progressivement mis au placard, voit ses idées pillées, est humilié puis licencié pour « faute professionnelle » inventée. Ce n’est qu’un téléfilm pas trop soigné et un peu artificiel au début mais qui prend peu à peu de la profondeur humaine. La vie intime du cadre est peu à peu bouzillée. Il délaisse enfants, femme et amis. Personne ne peut plus le comprendre bien que tous veuillent péter la gueule à la cheffe perverse. Le couple principal d’acteurs finit par jouer de façon excellente la dramatique situation, résume toute l’angoisse des prolétaires en général : perte inéluctable de la « tanière » avec jardin et chaîne hifi, terreur de ne plus pouvoir se nourrir sauf à tomber dans l’assistance humiliante. Happy end : le prolétaire indûment licencié gagne son procès, est indemnisé, réintégré mais dans une fonction plus que subalterne – il est confiné dans une baraque de chantier pour traduire du danois en français, traductions vouées au panier – qu’il cache à sa femme, laquelle découvre le placard misérable où son homme est cloîtré et part avec la poussette et l’enfant grand, larme à l’œil.
Sujet rarement traité dans le milieu artistique (pourtant habitué aux humiliations des caïds de ce milieu) le harcèlement professionnel a fait l’objet de quelques livres et de propositions de lois syndicales. Pures fumisteries puisque ledit harcèlement est immémorial et consubstantiel de l’exploitation salariale : il a toujours fallu un chefaillon, porion, contremaître, chef de service ou DRH pour contraindre au travail et au rendement. Il ya toujours eu de vrais salauds et de moins salauds pour les critères exigés pour le commandement industriel, plus retord que le simple commandement militaire mais nullement différent dans le fond.
Marx, hors du syndicalisme anarchiste imbécile revendicativiste et des politiciens parasites, conchie le capitalisme en ce qu’il atrophie le développement des sens et des capacités de chaque individu dans les sphères du travail et de la consommation : « Chacun de ses rapports humains avec le monde, la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût, le toucher, la pensée, la contemplation, le sentiment, la volonté, l'activité, l'amour, bref tous les organes de son individualité » (Manuscrits de 1844). Car « à la place de tous les sens physiques et intellectuels est donc apparue la simple aliénation de tous ces sens, le sens de l'avoir ».
La notion de harcèlement, objet passif d’une mode oubliée, revêt diverses formes et d'actes visant tous à déstabiliser le prolétaire concerné. Le harcèlement peut se définir par la méthode utilisée et les effets recherchés, qu'ils soient atteints ou non, mais n’est pas reconnu évidemment par la législation bourgeoise quoiqu’en dise la bave des journalistes serviles . Il peut s'agir d'une répétition injustifiée d'actes dévalorisant, de dénigrement et montage d’une accumulation de comportements fautifs qui aboutissent à une dégradation de la santé mentale et physique du prolétaire des bureaux ou des usines, qui débouche (l’accumulation primitive) sur le suicide de l’impétrant et extrêmement rarement (because éducation bridante) au meurtre médico-légal. L’élite de l’intelligentsia d’Etat bourgeois comme ses supplétifs professeurs de l’ultra-gauche ont affirmé leur mépris de la classe ouvrière, comme classe inconsciente et suicidaire, en l’enterrant comme « couche de consommateurs », corvéables et jetables dont l’impuissance est confirmée par les lamentables lamentations syndicales à chaque « plan social ». Ils appliquent ainsi les règles et contraintes de leur dite « société de consommation » à ses victimes « travailleurs forcés » qui ont sont pourtant les producteurs et à qui on a refilé de faux besoins, ceux des dominants aliénés, en plastique et en toc.
Le nombre élevés de suicides de la période contemporaine du capitalisme confirme non seulement l’atomisation des prolétaires, mais surtout l’absence de théorie révolutionnaire « consolatrice » comme dans les années 1960 à 1980. Pour les commentateurs dominants de l’idéologie unique et totalitaire, se révolter de nos jours contre sa condition ne peut conduire qu’au suicide et d’en exhiber les multiples exemples de suicides « désespérés » en entreprise ou en lien avec « la boite », sans rien raconter de l’arrière-plan et sans se douter de ce qui se passe réellement dans la tête des prolétaires désespérés. La vérité est celle-ci : il existe un vieux « terrorisme prolétarien » enfoui, hérité de l’anarchisme dixneuviémiste. Combien de fois n’ai-je pas entendu mes frères de classe, humiliés ou au placard, invoquer le recours au « pétard » ou à la « mitrailleuse », puis baisser la garde et rentrer dans le rang et replonger dans la solitude prolétarienne.
Ayant moi aussi été longtemps victime du « placard » et des humiliations des « petits chefs », j’ai eu recours à cette forme de littérature pamphlétaire qui m’a évité de « recourir à l’acte » (par lâcheté), et aussi d’abandonner le marxisme bcbg parlementariste et du grand soir éternel pour la prison éternelle. Voici ce qu’un petit public pouvait lire le 18 juin 2001 dans ma modeste feuille

LE P
ROLETARIAT UNIVERSEL N°20
Best off du crime médico-légal
à mon défunt et estimé voisin de Malakoff, Jean-Patrick Manchette,

   Mon témoignage ne souffre pas la contestation, mon cher lecteur. De là où je te parle plus rien n’a d’importance. Certes ma voix est inaudible à côté des affreux coups de marteau avec lesquels ils ont grossièrement fixé mes quatre planches, mais tend l’oreille attentivement. Je ne souffre plus, c’est l’essentiel avec ma vérification irréfutable de l’inexistence du Bon Dieu et de la bêtise de Heidegger. Je souffrais de l’absence de reconnaissance de ma hiérarchie. Je ne nie pas qu’il y avait une bonne part d’ingratitude de ma part. Je n’avais jamais accepté de ramper. J’imaginais pourtant qu’ils finiraient par admettre mon indépendance sauvage, voire qu’ils se mettraient à admirer le loup qu’ils tenaient en cage. J’avais la haine parmi vous les vivants. Cela faisait longtemps qu’ils m’avaient donné envie de me faire sauter le caisson. Je remettais sans cesse au lendemain avec ce simple argument de moi à moi-même : d’accord mais pas tout seul ! Je m’étais procuré un gros flinguo (S&W)au marché aux puces avec ma prime des 30 ans de boite et j’avais attendu la réunion de l’encadrement du mercredi. Cela faisait trop longtemps que l’élite gâchait mon intelligence. On néglige ainsi des millions d’intelligences en ne recherchant que l’émulation financière, pensais-je dans mes moments de lucidité.
Jusque là ma vie n’avait été que celle d’un pauvre type mis au placard . J’avais beau me dire : t’es pas tout seul Jeff ! Rien n’y faisait. Bien sûr je m’étais mis en fureur en apprenant la semaine précédente que le voisin, employé à Franchetélécon, avait été trouvé pendu visage noirci dans son logement, une semaine trop tard. Il avait 53 ans. Il était au placard depuis des années. Le commanditaire de son geste était en route sur l’autoroute du sud au volant de sa Beetle et ne s’était pas encore écrasé au fond d’un ravin.
Bien sûr mon gouvernement socialiste avait mis fin au honteux et inique harcèlement sexuel, mais moi on ne m’avait jamais mis la main au cul. Quand ma ministre de l’injustice, Elisabeth Guigounette dénonçait le harcèlement moral sous les lambris matignonesques j’avoue que j’avais envie de lui mettre la main au cul et de lui rouler un patin à ses lèvres siliconnées. Pour tout dire je me sentais incompris et misogyne face à toutes les viragos de ma hiérarchie. Naturellement limité dans mon vocabulaire, ces histoires de harcèlement me semblaient être plaquées par l’élite sur ma condition ouvrière. Même le mot psychologique de persécution ne me semblait pas convenir aux vacheries de mon contremaître. Comportement de nazi, çà me semblait plus juste de le qualifier ainsi. Mais les lois de mon gouvernement socialiste n’avaient pas prévu de décret contre le « comportement de nazi ». J’avais soulevé l’objection à un militant ultra-gauche et il m’avait répondu que j’étais un gros naze car le nazisme n’existe plus.
Certains font la chasse aux autographes, découpent les articles consacrés à la chasse aux papillons ou à Claude François. Moi je découpais tous les articles sur les crimes médico-légaux. Comment il avait fait celui-là pour passer à l’acte, flinguer son patron et ses collègues qui avaient eu la promo à sa place. Est-ce qu’on allait le féliciter en prison ? Est-ce que sa famille toucherait quand même l’héritage ? Je relisais sans cesse les articles de Libé sur le gars du BHV. Le pauvre, il avait réussi à se faire embaucher après un parcours adolescent marginal. Il était intégré à son job. Il avait besoin d’un crédit pour se mettre en ménage. Mais Monsieur le contremaître s’y était opposé. Il l’avait donc attendu à la sortie du boulot pour lui mettre naturellement son poing dans la gueule. C’est clair ! Le lendemain il était convoqué en conseil de direction où le contremaître avec son œil au beurre noir lui annonçait son congédiement. Rien que de très banal jusque-là, me diras-tu lecteur. Attends ! Grave le gars ! Le gars il était de ma trempe, un mec à pas laisser faire éternellement. Il descend aux vestiaires des ouvriers. Dans son placard en fer il prend son flinguo et remonte à la surface direction le bureau d’encadrement. Et le voilà qui ramène l’ordure dans le sous-sol, au milieu des ouvriers.
- à genoux, lui dit-il.
Puis, pendant une heure il lui dit ses quatre vérités. Il lui fait honte de son comportement de nazi contre les employés. Il conclut enfin :
- tous les deux on partira au ciel, pour l’instant c’est toi qui part le premier, Dieu jugera qui de nous deux a eu tort ou raison.
Et bing une bastos dans la tête. Notre héros prend ensuite la poudre d’escampette dans le métro et part se planquer quinze jours en forêt de Fontainebleau. Affamé il est obligé de se rendre à l’injustice de son pays et passe en jugement. Défilé de la famille éplorée évidemment. Sa femme témoigne de son extrême gentillesse au foyer. Puis défilé des collègues :
- oui , il pouvait être gentil dans sa vie privée mais avec nous il se défoulait, oui oui c’était une ordure !
Pour ce type j’aurais voulu être visiteur de prison, non pas pour lui faire la morale mais pour le féliciter de nous avoir symboliquement et physiquement vengé nous les humiliés et les offensés du quotidien dans la corvée salariale. Mais dans la presse ils ne donnent jamais les noms des types formidables, victimes inconnues jetées aux fers par les lois du patronat et de l’Etat socialiste.
J’aurais voulu féliciter aussi cette employée de Préfecture de Versailles mais elle ne s’était pas ratée. Après lui avoir promis l’embauche son directeur lui avait annoncé sadiquement (mot psychologique ?) qu’elle serait de toute manière virée. Loin de se suicider seule, la fille achète deux flinguos (pour être sûre de ne pas tomber en rade avec un). Pendant des semaines elle s’inscrit à un club de tir. Une fois son entraînement au point et au poing, elle se rend au boulot comme d’hab, le sac un peu plus lourd. Elle entre dans le bureau du salaud et bing bing. Puis, hélas, elle retourne l’arme contre elle.
En vérité j’ai découpé peu d’articles. On dirait que sur ce sujet il y a une conspiration du silence. Peur de l’imitation ? J’avais soigneusement gardé une cassette d’une émission d’Arte « cinq à sept » où on nous apprenait qu’aux Etats-Unis, le crime médico-légal (flinguage de patrons et de collègues lâches) est monnaie courante. C’est un récital, c’est clair. Plus de lutte de classe, une balle dans la gueule ! Plus de solidarité ouvrière, une rafale de mitraillette ! On voit des employés(ées), des ouvriers au temps de leur joie de vivre, puis après la destruction par la hiérarchie, des bêtes fauves surarmées qui préparent soigneusement avec une lourde balistique le passage à l’acte de vengeance ou d’autodestruction par la vengeance, ou de suicide social, ou de résolution des problèmes en groupe par la bombe, ou de co-mise à mort d’un enculé des ressources humaines ; tout ce que vous voudrez mais certainement pas le suicide stupide dans la solitude où on vous jette le cadavre à la fosse sans considération. Je serai Roberto Succo ou rien !
Avez-vous remarqué que les exploiteurs principaux ou intermédiaires ne vous regardent jamais en face. Je les sens à vue de nez moi. Les flics c’est pareil mais eux vous fouillent dans les poches. J’ai toujours méprisé les flics, non pas parce ce sont des immigrés de l’intérieur. Les pauvres, souvent ch’timis ou antillais, ils viennent de leur campagne, ils n’ont pas fait d’étude, ils ne sont pas très intelligents : c’est l’uniforme ou rester l’idiot du village. Je ne les plains pas, ils avaient aussi le choix d’enfiler un bleu de travail comme moi. C’est vrai que çà marche moins auprès des filles. Non, je méprise les flics parce que c’est l’administration où il y a le plus grand nombre de suicides stupides. En général, le flic moyen a été sélectionné pour son passé sado-catho. Il est testé pour sa propension à utiliser son arme contre les fils d’ouvriers de banlieues, voire contre sa propre tempe, mais jamais au grand jamais contre le commissaire ou les colonels de gendarmerie. Le flic moyen dispose pourtant d’un fabuleux destin avec ce qui lui pend, non pas entre les jambes, mais sur le côté. Son « outil de travail » peut remplacer en quelques secondes les kilos de Tranxène ou les litres de Prozac débités à plus de la moitié du personnel EDF-GDF par exemple. Triste époque où les antidépresseurs suppléent la police syndicale en entreprise ! J’avais signé la pétition d’Arnaud Montebourg pour faire mettre le serial-killer Chirac en prison… Mais si ! Tu sais bien lecteur ! Le gangster qui se fait passer pour Président de la République et qui menace de son gros revolver nucléaire les Etats voyous !
Le dernier article que j’avais parcouru dans le journal m’avait renforcé dans mes intentions. Le 8 juin, au Japon, un type que les journalistes nomment « déséquilibré » tue au couteau de cuisine 8 enfants et en blesse une vingtaine d’autres. Ce type il était complètement taré pour moi comme le Human Bomb de Neuilly, c’est clair. C’est le sociologue Kuramoto qui est déséquilibré : « Ce massacre révèle des failles profondes de notre société. La montée de l’utilisation des drogues et des tranquillisants pour faire face au stress, lié à la crise économique, l’extrême solitude des enfants, poussés à la compétition scolaire, favorisent ce genre d’éruption de violence que beaucoup de japonais croient réservés aux pays occidentaux ». J’ai trouvé ce sociologue aussi tarte que ses confrères européens. Ce genre de crime médico-illégal m’est complètement étranger. Je ne suis pas spécialement intelligent mais j’ai bien compris que c’est un adulte qui s’était introduit dans une école pour tuer des enfants innocents. Je savais encore faire la différence entre l’innocence des enfants et celle de mon patron !
.Enfin, le mercredi se levait. Je glissai mon Smith&Wesson dans ma sacoche à outils et pris la direction de la salle de réunion des encravattés. Le sourire du contremaître Luboz se figea lorsqu’il me vit entrer comme un cow boy fou dans la salle. La cadre Leprêtre poussa un cri et se mit à pleurer. Incapable d’articuler un mot, alors que je voulais faire un tribunal du peuple comme mon héros du BHV, je tirai une première balle dans le gros abdomen de Luboz qui s’effondra comme un tas de merde. Leprêtre cessa de hurler lorsque la balle l’atteignit au milieu de sa paire de lunettes. Les autres connards avaient bondi sous les tables en renversant brutalement les chaises à ordinateur et suppliaient comme jamais je ne les avais cru capables de se mettre à plat ventre. Par chance avant de me tirer une balle sous le menton, j’ai rattrapé un vieux délégué CGT stalinien, qui s’enfuyait dans le couloir, le même qui nous avait saboté tant de grèves. Je me refusai à tuer un délégué du personnel arriéré. Je lui ai juste tiré une balle dans le pied gauche pour qu’il garde toute sa vie un souvenir anti-trotskyste indélébile. Ensuite je ne me rappelle plus de rien. C’est un trou noir. Il doit y avoir le SAMU, les flics, la télé.
Je me suis réveillé pour l’éternité dans mon bocal en bois. Depuis je fais des bulles. Je me repasse en film les meilleurs moments de ma vie. Assez souvent je dois l’avouer je regarde le dernier épisode de cette vie si peu passionnante, gâchée par des mois de névroses, d’angoisses et d’échecs répétés. Mais je suis fier du final, un peu trop rapide à mon goût. Avant de prendre ma décision j’avais été assister à une réunion publique de ‘Révolution Internationale’, comme d’autres vont à confesse avant le grand saut. A la fin de la réunion ronflante comme d’hab, j‘avais été trouver le militant près de la table des publications et je lui avais fait part de mon projet de « terreur de classe ». L’autre, très indigné, m’avait fait la leçon et infligé une citation du Marx anti-aliénation (car il avait toujours son carnet de citations même à la tribune):
- pas de violence dans la classe ouvrière, avait-il martelé, ce qu’il faut détruire ce ne sont pas les individus, ce sont les rapports sociaux. D’ailleurs j’ai une explication de Karl Marx : « … l’argent est donc la perversion générale des individualités, qui les change en leur contraire et leur donne des qualités qui contredisent leurs qualités propres. […]Il transforme la fidélité en infidélité, l’amour en haine, la haine en amour, la vertu en vice, le vice en vertu, le valet en maître, le maître en valet, le crétinisme en intelligence, l’intelligence en crétinisme. Comme l’argent, qui est le concept existant et se manifestant de la valeur, confond et échange toutes choses, il est la confusion et la permutation  universelles de toutes choses, donc le monde à l’envers, la confusion et la permutation de toutes les qualités naturelles et humaines. […] C’est le capital comme puissance impersonnelle qu’il faut démolir ! Tu n’as rien compris à la lutte globale !
J’ai toisé le type de la tête au pied. Il avait le physique d’un cadre supérieur de la RATP. L’apparatchik frémit. Je pensais : une future victime du crime politico-illégal ? Et je le laissai en plan après lui avoir crié :
-          Tu seras toujours aussi con, je vais t’en foutre du capital impersonnel moi ! Toi aussi tu les couvres finalement les responsabilités « personnelles » des exploiteurs capitalistes !
Voilà lecteur ce que je voulais te chuchoter. Si tu m’admires, ne perd pas ton temps à venir porter des fleurs sur ma tombe dans le dos des keufs. On s’en fiche des fleurs et des cérémonies commémoratives dans ce terrain vague quand on vous a quitté vous les vivants. Retiens cette leçon de ma vie, pour que ma vie n’ait pas été inutile : le suicide c’est trop con (« ils » en sont trop contents) mais si tu es poussé un jour à te suicider, ne te suicide jamais seul !
Roberto Desespero

A suivre dans la deuxième partie: Les silences de la presse sur d’étranges faits divers meurtriers (ou comment la chape de plomb du silence masque la réalité du meurtre de soi-même)

PS: pour ceux qui pensent que j'exagère ou fabule, qu'ils se reportent sur daily motion, tapez: j'ai tué mon patron... vous verrez les cas nombreux, certes surtout aux Etats Unis, pays réputé pour leur lutte des classes "frustre"...mais blackout sur les plus significatifs; les médias US "n'informent" (= rendre informe) que sur les meurtres ou tentatives des plus tarés contre leurs collègues prolétaires (jalousie tu me tue) ou de type serial killer, qui permettent de simplifier ce recours ultime de certains opprimés en simple "paranoïa", "délires", "passion des armes" et autres billevesées pour stigmatiser un peu plus "l'anormal", le "fou furieux", le "déséquilibré", le "forcené" et blanchir la perversité et la violence sournoise de la hiérarchie patronale et étatique.




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