PAGES PROLETARIENNES

mardi 15 janvier 2013

LE COLONIALISME SYNDICAL




Selon certains auteurs superficiels, la récente mondialisation aurait eu pour conséquence d’avoir dévitalisé l’internationalisme traditionnel du prolétariat mondial, avec le patchwork bien connu des idéologies gauchistes communautaristes, sexologiques, souverainistes, agitations spectaculaires de bobos en charter à chaque rencontre des dirigeants du monde capitaliste, etc.

 L’impuissance que tout prolétaire peut ressentir face aux multiples guerres à la périphérie, en Afrique, à Gaza ou en ce moment au Mali, bien que guerres menées par des « professionnels », ne cesse pas d’interroger sur l’absence de réaction de solidarité internationaliste de la classe internationale la plus ignorée et la plus méprisée, mais la plus pérenne, la classe ouvrière. L’effondrement de la caricature de communisme à l’Est date tout de même de plus de vingt, et l’usurpation d’identité socialiste devrait être déconnectée du stalinisme sans craindre une rechute.
S’il n’y a plus de guerres possibles entre les prolétariats des pays développés depuis 1945 – du fait des terribles risques de resurgissement de l’insubordination automatique de classe contre les menées bourgeoises – de nombreux conflits armés ont lieu dans des zones du « sud », où la classe ouvrière est très faible voire inexistante comme colonne vertébrale de peuples paupérisés, sans qu’on ne puisse y constater de fraternisations de classe. Est-ce dû au seul développement inégal du capitalisme, ou, comme je l’évoque dans mon livre « Immigration et religion », à la manie de l’impérialisme dominant et de ses suiveurs comme la France, d’empêcher partout la constitution véritable d’une classe ouvrière ? Pour répondre à cette question je ne pouvais pas compter sur une quelconque réflexion, d’éventuels débats dans un milieu maximaliste desséché, tout juste apte à radoter des généralités et dont la plupart des barons n’ont jamais connu de près ou de loin la condition ouvrière. Hélas, et paradoxalement ce sont les enquêteurs et sociologues de terrain qui font le boulot qui était jadis celui des vrais militants (Marx était friand des enquêtes de terrain et ne concevait pas son rapport d’intellectuel à la classe ouvrière comme celui, étroit et comique, de donneur de leçon). Le travail rigoureux de Philippe Dedieu : « L’internationalisme ouvrier à l’épreuve des migrations africaines en France », est venu à point pour enrichir notre patrimoine théorique.

DES CONSEQUENCES OUBLIées DU COLONIALISME 

D’ordinaire, la dénonciation du colonialisme, et de sa mue moderne en domination opaque prolongée des anciennes colonies, s’attache à souligner l’exploitation des peuples par les colons, à stigmatiser généraux pillards et violeurs, curés pervers et moralistes. Jamais il n’est exhumé l’action concomitante du syndicalisme étatique depuis les pays colonisateurs pour pacifier les nouveaux prolétaires sur place ou garder sous contrôle les migrants. On verra que cette carence sert les dominants aujourd’hui et que le paternalisme syndical européen a désarmé depuis longtemps la classe ouvrière en Afrique.

On ne va pas revenir ici au beau temps du syndicalisme révolutionnaire du début du XXème siècle où l’internationalisme était d’ailleurs plus souvent un vœu qu’une réalité face aux prolétaires des lointaines colonies. Le syndicalisme est devenu - après la Première Guerre mondiale, qui avait officié à un nouveau partage des colonies, partout dans le monde - un défenseur de la nation (et même des nations), confondant l’intérêt des ouvriers avec cette entité bourgeoise.

La deuxième vague  historique de colonisation  de la seconde moitié du XIXe siècle avait été différente de celle des grandes découvertes du 15e siècle car elle déboucha sur la mise en place d'une véritable administration coloniale et d'une exploitation plus systématique des territoires conquis. La « ruée sur l'Afrique » va de pair avec  l'industrialisation en Europe et participe de l’émergence de grandes puissances :  France, Royaume-Uni et Allemagne. Elles se lancent dans la conquête de l'Afrique pour des raisons économiques et politiques, même si la « mission civilisatrice » est officiellement mise en avant, comme aujourd’hui la guerre bourgeoise se proclame « antiterroriste ». La modernisation économique entraîne une forte demande en énergie et en matière première pour fournir les besoins de la production industrielle : besoins en pétrole, en fer, en caoutchouc augmenteront avec la production automobile et le développement des transports. Les ressources naturelles européennes ne sont pas suffisantes pour faire face aux besoins. Les grandes puissances économiques recherchent également des débouchés, des marchés pour leur production, comme l’avait souligné Rosa Luxemburg. « La politique coloniale est fille de la politique industrielle » (Jules Ferry).

Le partage colonial de l'Afrique est surtout motivé par la montée des tensions entre les grandes puissances européennes concurrentes. Chacune aspire, sinon au leadership européen. La politique coloniale du Royaume-Uni est à la fois motivée par une volonté de contrôle des grandes routes commerciales (canal de Suez), mais aussi par un désir de conserver le statut de première puissance mondiale. La France, vaincue en 1870 à Sedan, ambitionnait de rayonner par la conquête d'un vaste empire, ce qui est aussi l'occasion « d'en découdre » avec l'Allemagne (pour le contrôle du Togo et du Cameroun). Cette dernière veut par ailleurs sortir de son statut de puissance européenne pour bénéficier d'un rayonnement mondial. L'Italie et l'Allemagne étaient de surcroît des États jeunes, nouvellement unifiés, et la politique coloniale fût une manière de renforcer leur unité nationale. Le partage de l'Afrique est d’abord finalement un moyen pour les puissances européennes de s'affronter loin du sol européen, avant le terrible retour de boomerang de 1914.
Le point de départ de la « ruée » fût la mise en place d'un protectorat français en Tunisie en 1881. La Tunisie proche du détroit de Gibraltar, est alors un point stratégique pour le contrôle des routes maritimes depuis l'ouverture du canal de Suez par le Français Ferdinand de Lesseps en 1869. Inquiet de perdre le contrôle de la route des Indes depuis la construction du canal par les Français, le Royaume-Uni avait déjà racheté en 1875 les actions du chef d'État égyptien dans la société du canal. En 1882, ils occupent militairement la zone. Des explorateurs européens comme Livingstone ont déjà largement cartographié le continent. Les Français entament une conquête de l'Afrique de l'Ouest vers l'Afrique de l'Est, les Britanniques de l'Afrique du Nord vers l'Afrique du Sud, les autres États européens se partagent le reste. La conquête est assez rapide. La compétition entre puissances coloniales ne donne jamais lieu à une guerre entre elles : la colonisation de l'Afrique a été organisée lors de la conférence de Berlin (1884-1885). Il y a cependant des crises ponctuelles sur le terrain, comme celle de Fachoda en 1898, entre la France et le Royaume-Uni, ou celle qui oppose la France et l'Allemagne sur le protectorat du Maroc. Toutes sont réglées par la diplomatie.
En 1914, un seul État africain indépendant subsiste : l'Éthiopie, qui a vaincu l'Italie en 1896. Deux grands empires se partagent la plus grande partie de l'Afrique : l'empire britannique et l'empire français. La Belgique possède le Congo ; l'Allemagne le sud-ouest africain (Namibie actuelle), le Togo et le Cameroun ; le Portugal domine l'Angola et le Nyassaland (Mozambique).
L’Europe colonialiste ne pille pas que les matières premières mais aussi les hommes. Les premières vagues d’immigration importantes concernent la chair à canon africaine importée au moment de la Première grande boucherie mondiale. C’est de cette époque que le soldat noir ou maghrébin venu comme soldat va rester sur son lieu de recrutement mais comme prolétaire. Et que les industriels commenceront à percevoir le besoin d’importer en nombre des « indigènes » pour pallier au déficit de travailleurs par suite au fort taux de meurtres militaires pendant la guerre. Ce besoin d’une immigration conséquente de main d’œuvre est un des principaux aspects du colonialisme triomphant et en pleine compétition, qui est couronné à son apogée par la grande exposition coloniale dans le Bois de Vincennes en 1931 (à la Porte dorée). Des nègres » indigènes y sont exposés mais on y trouve surtout les pavillons des grandes entreprises comme Suez, des représentants des missions catholiques et protestantes. L'exposition fait  la promotion de la « mission civilisatrice » française dans ses colonies au travers des missionnaires présents, mais aussi promeut l'intérêt économique des colonies en temps de crise, tant du point de vue des matières premières que des débouchés commerciaux. La Première Guerre mondiale a révélé que la chair à canon immigrée n’a pas peu contribué à la gloire et aux riches bourgeois blancs de l'empire : les colonies ont fourni plus de 550 000 soldats venus « mourir pour la France » dans les tranchées européennes, et plus de 180 000 travailleurs (beaucoup d'Asiatiques) dans les usines où les femmes ne suffisaient pas à la tâche. Le traité de Versailles a aussi permis à la France de récupérer des colonies allemandes (Togo, Cameroun, Syrie, Liban sont des mandats français). L'image du tirailleur sénégalais est diffusée depuis lors sur les boites de chocolat. Les colonies rapportent mais apportent aussi de l’exotisme dans la vie morne des prolétaires à l’époque qui ne sont pas tentés parle rêve américain, à travers l'art, la littérature et le cinéma populaire.  Jean Gabin tourne dans des films qui popularisent cette vision d’un ailleurs exotique (par exemple, la casbah d'Alger dans Pépé le Moko). À l'exception du parti communiste, tous les partis politiques jouissent de l’exploitation colonialiste.
Dans les colonies, les intérêts français priment sur ceux des populations locales. Il existe plusieurs méthodes d'administration des colonies. La gestion coloniale est diverse et  complexe. On trouve une certaine « autonomie » des indigènes dans des protectorats de l'Empire français (au Maroc notamment) dirigés par le ministère des Affaires Étrangères. À l'inverse, les colonies de peuplement sont plutôt dirigées par les colons européens en place comme en Algérie qui est constituée de trois départements français ; elle n'est donc pas considérée comme une colonie mais comme une partie de la métropole, dirigée par le ministère de l'Intérieur.
Officiellement, la France mène dans ses colonies une politique d'assimilation, avec une vocation fielleuse à transformer les colonisés en citoyens français qui auraient un statut d'égalité avec les citoyens métropolitains. Cette citoyenneté n'est accordée dans les faits qu'à une toute petite minorité d'autochtones, le plus souvent des membres de l'ancienne élite féodale ou paysanne qui ont accepté d'aider les Français à diriger la colonie et servent d'intermédiaires avec le reste de la population. Les « nord-africains »  comme les « subsahariens » restent des « citoyens de seconde zone » qui n'ont pas les mêmes droits que les citoyens métropolitains. Le code de l'indigénat domine depuis 1881 ; il ne donne aux « indigènes » que des droits minimes, et un statut d'inférieurs par rapport aux colons.
Les indigènes  « colonisés » ne sont pas encore reconnus comme travailleurs semblables aux ouvriers européens. Les colons ont recours aux travaux forcés. La colonisation a donc un bilan ambigu : elle a entraîné certaines améliorations (dans le domaine de la santé ou de la formation des élites indigènes) mais elle a surtout entretenu les populations locales dans un statut d'infériorité difficilement acceptable. Elle a aussi mis en place un système économique tourné vers la métropole, spécialisant les colonies dans la production de matières premières à faible valeur ajoutée tout en les rendant dépendantes des productions industrielles métropolitaines, et aussi en empêchant le développement d’une classe ouvrière locale (qui aurait supposée une alphabétisation à grande échelle comme l’avait entrepris Jules Ferry). La bourgeoisie française, au lieu de moderniser des structures de production archaïques et de permettre une exploitation plus digne des travailleurs « indigènes », vit en parasite de ses colonies en y consacrant un budget qui va s’avérer lourd et qui la perdra.
La révolte des colonisés
Avec l’appui initial, et de brève durée, de l’Internationale communiste des années 1920, la lutte pour la libération nationale sera menée sous l’égide de la petite bourgeoisie africaine jusqu’au milieu des années 1960. La contestation du colonialisme prend d'abord la forme de revendications égalitaires pour une réforme ou une suppression du code de l'indigénat. Face à l’arrogance des pillards coloniaux la lutte de libération nationale contre les colons occupants prend de l’ampleur : guerre du Rif au Maroc entre 1921 et 1926, révoltes en Syrie en 1925, etc. Les mouvements nationalistes se radicalisent en mouvements indépendantistes : Étoile africaine de Messali Hadj en Algérie (1926), Néo-Destour d'Habib Bourguiba en Tunisie en 1934. Ces mouvements deviendront cependant plus tard dépendant des désidératas de la Russie impérialiste et des Etats-Unis, principaux vainqueurs  de la Seconde Guerre mondiale. Peu glorieux finalement, l'anticolonialisme triomphe au profit des deux blocs de la guerre froide. Les pays « libérés » du colonialisme européen ne sont pas voués à devenir des concurrents des vieux Etats capitalistes, exceptées les grandes aires géographiques comme la Chine et l’Inde. La plupart des nouvelles nations doivent rester des réservoirs  de matières premières et de main d’œuvre. 

UN PROLETARIAT SOUS TUTELLE SYNDICALE

Il n’est pas question de laisser se développer une classe ouvrière homogène comme celle du XIXe siècle en Europe ou de lui attribuer les acquis sociaux plus ou moins institutionnalisés dans les pays du Nord. L’Etat français a longtemps limité l’application de la législation syndicale métropolitaine dans ses colonies. La loi Waldeck-Rousseau du 21 mars 1884 autorisant les groupements professionnels en France ne fut pas instaurée en Afrique occidentale française (AOF). Quant à la loi du 12 mars 1920 reconnaissant la capacité civile aux syndicats et aux unions de syndicats, elle fut restreinte aux travailleurs de statut civil français.
 Si le Front populaire permet des améliorations de salaire minimum ou de conventions collectives pour l’empire français, le décret du 20 mars 1937 en réduisit considérablement la portée sociale et politique pour les colonies. Les membres des syndicats professionnels devaient en effet « savoir parler, lire et écrire couramment le français et être (…) au moins titulaire[s] du certificat d’études primaires » dans une zone où dominait encore de manière écrasante l’analphabétisme. La deuxième Guerre mondiale allait faire oublier aux ouvriers leurs maigres augmentations de salaire et aux indigènes la priorité de la lecture.
Ces contraintes juridiques n’empêchèrent pas la formation progressive d’associations puis de syndicats qui, soutenus par les instances métropolitaines de la CGT, contribuaient non pas une organisation des travailleurs – la CGT des années 1930 aux années d’après-guerre est un organisme de collaboration de classe auprès de l’Etat français, même si elle rue dans les brancards suivant les virages du parti stalinien auquel elle reste inféodée – mais à leur encadrement policé. Il  s’agit plus à la vérité d’une diffusion de savoir-faire bureaucratiques et  de l’organisation d’actions collectives apparentées  à des grèves, actions solidement contrôlées. L’apprentissage des savoir-faire bureaucratiques mènera plus sûrement vers de futurs postes ministériels nombre de délégués syndicaux africains. Les grèves de la fin des années 1940 – comme  celle des cheminots de la ligne Dakar-Niger d’octobre 1947 à mars 1948 – lient étroitement revendications salariales et mots d’ordre d’indépendance nationale. L’internationalisme ne peut pas exister en conséquence au cœur de ces grèves, pas plus qu’il n’existe pendant la grève à Renault de 1947. On fait grève pour et dans l’usine de « son pays ». Au Nord comme au Sud les caciques staliniens n’aboient-ils pas que la priorité est de « reconstruire le pays » ?

Plus généralement, le syndicalisme africain subit à ses débuts une répression féroce contre les nationaux, comme contre les confrères immigrants. Mais le comité bourgeois de libération nationale français en 1944 a institué d’ores et déjà une officialisation des syndicats professionnels en Afrique, sachant cette mesure indispensable là-bas aussi à l’ordre social pour « reconstruire le pays ». La Constitution de la IV e République du 27 octobre 1946 est très « démocratique » et « humaniste », elle reconnait - « sans distinction de race, de religion ni de croyance »  - la liberté d’« adhérer au syndicat de son choix ». Les centrales métropolitaines ont ainsi le feu vert pour s’implanter légalement sur le continent africain. En 1948, la CGT était prédominante avec 42 500 adhérents auxquels s’ajoutaient les 15 000 membres de la Fédération des cheminots africains. La Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) et la Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO) n’en comptaient respectivement que 8 500 et 1 000.

 La CGT stalinienne s’arrogea  de définir les  revendications salariales, et s’engagea à infuser ses pratiques dans la formation des militants africains. Philippe Dedieu exprime mieux que je ne pourrais le faire, l’arnaque syndicaliste d’Etat qui perpétue l’esprit colonialiste (de la même façon que ces syndicats  de « pays développés et démocratiques » ont prétendu « coloniser », c'est-à-dire phagocyter toute volonté d’émancipation indépendante des prolétaires du Nord) : « Associées à la subalternisation des adhérents africains, les positions assimilationnistes que les dirigeants syndicaux métropolitains n’avaient cessé de défendre dans l’esprit de l’Union française vinrent progressivement se heurter aux revendications autonomistes des leaders syndicaux africains ». Par le fait, la bureaucratie syndicale européenne servit à conforter les aspects nationalistes de la lutte de classe en Afrique post-colonisation.

Pour les subsahariens et algériens travaillant en France, leurs délégués sont « relégués » (= tenus à l’écart des décisions des appareils). L’hypocrisie des liens « amicaux » entre syndicats français et centrales subsahariennes était telle que les travailleurs africains se désintéressaient du syndicalisme et que même certains de leurs représentants en venaient à combattre les orientations pourries de la CGT ou de la CFDT.
Cette marginalisation des travailleurs subsahariens (Mali et Sénégal) dans les syndicats français reflétait la convergence entre des stratégies patronales à l’encontre des mobilisations ouvrières - au moment de la reconstruction et pendant les « 30 glorieuses » - et la politique de division menée par les organisations syndicales françaises à l’égard de ceux que l’on n’appelait pas encore « les immigrés ».

Autant les ouvriers européens avaient perdu l’expérience d’un véritable syndicalisme de classe – éradiqué par l’étatisation pachydermique des syndicats – autant  les ouvriers algériens et subsahariens, originaires pour la plupart de régions agricoles, n’avaient guère d’expérience syndicale (ni de classe) tout en découvrant la nécessité de se grouper et de s’organiser. L’idéologie dominante ne se gênait pas pour laisser accroire  déjà que leur insertion dans l’économie nationale serait une menace pour les droits du travail et les syndicats pour faire avaler qu’ils ne pouvaient avoir les mêmes revendications que les travailleurs métropolitains, ou plus cyniques – car les immigrés voyaient bien leur petit jeu collaborationniste – en invoquant les « traditions de lutte », autrement dit l’habitude de la soumission des ouvriers blancs aux décisions des appareils stalinien et chrétien. Les syndicats français, en enfermant les adhérents algériens ou subsahariens dans des structures séparées, se permettaient de jouer aux bons samaritains en prétendant déjà protéger ces prolétaires du « racisme des ouvriers français », et se présentaient comme les plus aptes à « faire avancer » des revendications spécifiques propres… aux enjeux politiques de leur pays d’origine (ou plutôt aux désidératas de Moscou)[1].
Le discours « internationaliste ouvrier » des centrales syndicales n’en apparaissait que plus faux sur les lieux de travail, surtout quand les bonzes français en appelaient au protectionnisme et à la création de nationalisations, entreprises interdites aux travailleurs des colonies puis aux immigrés en général.

Philippe Dedieu, en tant que chercheur qui se croit au-dessus des classes, ne peut pas comprendre dans son pourtant excellent travail de défrichage, que l’instauration d’États-nations en Afrique posait le problème, non de l’intégration des classes ouvrières dans un cadre national mais  de leur soumission à des syndicats artificiels, pour ne pas dire bourgeois.

Les prérogatives arrogantes des appareils syndicaux ne facilitèrent pas la tâche d’apaisement souhaitée par l’Etat français. Cette arrogance de type colonialiste (ou substitutionniste) aviva  la volonté d’émancipation de la tutelle française et précipita les travailleurs africains dans le giron des leaders nationaliste : les Indépendants d’outre-mer (IOM) de Léopold Sédar Senghor et le Rassemblement démocratique africain (RDA) de Félix Houphouët-Boigny, qui, ayant respectivement rompu avec la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO) et le Parti communiste français (PCF), considéraient les mouvements syndicaux comme de nouvelles organisations pour la conquête de l’indépendance !

En novembre 1955, les syndicats CGT de la Mauritanie et du Sénégal se désaffilièrent de la centrale métropolitaine pour fonder la Confédération générale des travailleurs d’Afrique (CGTA). En juillet 1956, les filiales africaines de la CFTC initièrent la même mutation avec la formation de la Confédération africaine des travailleurs croyants (CATC). Lors de la Conférence de Cotonou de février 1957, ce processus, auquel ne se rallièrent pas les syndicats chrétiens par souci de préserver le pluralisme syndical, fut consacré par la création, sous l’impulsion de Sékou Touré, de l’Union générale des travailleurs d’Afrique noire (UGTAN) qui entendait contribuer à « la lutte pour la liquidation du régime colonial, l’émancipation des travailleurs et la sauvegarde des libertés publiques ». Pas très encourageant pour la lutte « internationaliste » ni un signe en direction des travailleurs métropolitains.

Philippe Dedieu, avec son langage de sociologue, mais en sublimant à tort le « savoir faire bureaucratique » (nullement de type émancipateur mais « encadreur ») montre bien que les syndicats des nouveaux pays pseudo-indépendants des impérialismes devaient être inféodés à l’Etat national : « En entraînant la nationalisation des organisations partisanes et syndicales, les indépendances réduisirent à néant ce travail d’émancipation mené depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale à l’échelle de l’Afrique occidentale. L’autonomie des syndicats fut en effet grevée par la reconversion du capital social des dirigeants syndicaux africains sur leur marché politique national… ». Il aurait pu lister plutôt les noms des chefs syndicaux devenus ministres !

De toute façon, la classe ouvrière des pays « libérés » du colonialisme reste très faible dans une période historique où le syndicalisme a perdu tout sens d’homogénéisation et de conscience pour le prolétariat mondial. Cette libération  nationale (tardive) ne développe donc pas le prolétariat contrairement au schéma industriel et social des XIXe et XXe siècles en Europe ; en Afrique occidentale française et à Madagascar, cette classe ne représente que 13,2 %, 7,9 % et 2,7 % de la population active en 1955. Les secteurs public et privé sont embryonnaires.

Ces Etat sont gouvernés en outre par des partis uniques qui, de surcroît, militarisent leurs rapports avec les appareils syndicaux issus, comme le dit joliment P.Dedieu de, la « territorialisation » des syndicats. Les quelques petits syndicats contestataires sont démantelés et toute indépendance de classe est combattue au nom de « l’union nationale » et pour le « développement économique de la patrie ». Lors du coup d’Etat de 1968 au Mali, les chefs syndicaux sont emprisonnés. Mais la règle qui a fini par s’imposer un peu partout est l’étroite collaboration des appareils syndicaux africains à l’action gouvernementale selon l’idéologie bien connue dans le Nord de la « participation responsable ».

Après les indépendances, les paternalistes syndicats français, qui ont maintenus les liens noués au temps de la colonisation,  conseillent ou plutôt « drive » toujours l’intégration des syndicats africains aux institutions gouvernementales. Dans le cas de la CGT, André Tollet, qui avait été, durant l’époque coloniale, le secrétaire chargé des questions internationales (sic pas internationalistes)  était le responsable (resic) de l’implantation du même barnum syndical dans les territoires d’outre-mer. Ce brave apparatchik continua d’informer la Confédération de l’évolution politique africaine, notamment lorsqu’il accéda à des responsabilités à la Fédération syndicale mondiale. Le syndicalisme collaborateur est une plante de tous les Conseils ministériels ! Ph. Dedieu note sarcastiquement qu’aucun syndicat n’a mené une action pour prôner la démocratie dans les régimes dictatoriaux des pays « libérés » du colonialisme : « Au cours des décennies qui suivirent les indépendances, les droits syndicaux et, plus largement, les droits de l’homme sur le continent africain ne furent pas loin de devenir une non-cause dans une coopération syndicale franco-africaine devenue plus diplomatique que proprement militante ».

ET VICE VERSA…

Les syndicats africains, en maintenant des liens serrés avec leurs confrères européens, n’allaient pas délaisser un autre enjeu de taille : l’immigration. Question essentielle surtout pour les syndicats français attachés à éviter l’éclosion de tout esprit internationaliste, quand leurs homologues africains « entendaient exercer sur les associations de travailleurs subsahariens établis en France… un contrôle politique ». Les associations immigrées sont généralement surveillées avec méfiance, tantôt considérées comme foyers  rudimentaires de contestations politiques, tantôt comme simples officines  du parti unique au pouvoir dans le pays libéré !
L’ennui est que ces groupements « tentaient de participer, à leur niveau, au travail de représentation, de mobilisation et de revendication ouvrière ». Il faut laisser là encore la parole éclairante à Ph Dedieu : « Les centrales africaines cherchèrent l’appui des confédérations françaises afin d’encadrer politiquement les populations ouvrières migrantes. Comme l’a expliqué Guillaume Devin, les politiques étrangères dans lesquelles s’engagent les syndicats ne répondent pas seulement à des enjeux strictement internationaux mais sont destinées à la « recherche de soutiens »susceptibles d’être « directement utilisables sur l’échiquier interne ». Quel échiquier interne ? Celui des Etats bourgeois complices !

Il n’y a pas eu de coupure en fin de compte entre la colonisation et la décolonisation puisque les mêmes structures étatiques de la métropole et de l’ancienne colonie collaborent totalement contre la classe ouvrière,  quand ce sont directement les ministres qui s’occupent directement de réguler le « mouvement syndical » (on est dans les années 1970):

« Dans le cas sénégalais, Doudou Ngom, secrétaire général de la CNTS, ministre d’État chargé de l’Éducation nationale et l’un des principaux artisans de la réorganisation du mouvement syndical sénégalais après les grèves de la fin des années 1960, participa aux tentatives de restructuration du tissu associatif émigré et tenta de diminuer l’influence de l’Union générale des travailleurs sénégalais en France (UGTSF) proche de l’extrême gauche française (…) Ngom rappela à Edmond Maire, alors en visite à Dakar, que la CNTS « ne souhait[ait] pas l’organisation des Sénégalais en France en dehors des grandes centrales » et qu’elle «[était] sensible à ce que les coopérants ne portent pas de jugement sur la politique intérieure et les choix du Sénégal  (…) En 1982, lors du séminaire syndical international sur les travailleurs migrants à Dakar, la CNTS demanda explicitement à la direction de la CFDT que seule l’Amicale des travailleurs émigrés en France représente les émigrés sénégalais ».

« Dans le cas malien, les autorités de Bamako eurent recours à des méthodes similaires. Les rencontres organisées entre des délégués de la centrale unique et des représentants de la CGT ainsi que de la CFDT avaient pour objectif de contribuer à une réorganisation des diverses structures associatives de l’émigration malienne. Devant l’échec des nombreuses tentatives de fusion menées depuis le renversement de Modibo Keita, le secrétaire général de l’UNTM, Seydou Diallo, se rendit en France dans les années 1970, à la demande de son gouvernement, pour rencontrer les représentants des syndicats français et les dirigeants des associations afin de « reprendre en main, par l’intermédiaire de l’UNTM, les travailleurs maliens en France dont beaucoup contest[ai]ent sérieusement le régime militaire de Bamako » (…) au début des années 1980, une délégation conduite par l’UNTM a cherché « à définir les bases et les structures d’une association unique des Maliens en France avec le concours des délégués syndicaux de la CGT et de la CFDT ».

MAGOUILLES AU SOMMET DES APPAREILS, DEFIANCE EN BAS

Par contre les positions chauvines ou indifférentistes de syndicats CGT et CFDT au mitan des années 1970 concernant les immigrés ainsi que la politique « pré-lepéniste » du PCF dans les municipalités où il était roi, leur ont aliéné toute confiance de la part des travailleurs immigrés (cf. la lutte des foyers Sonacotra a été menée hors du contrôle syndical et stalinien). La défiance perdure encore en 2013 et se manifeste par un repli sur le communautarisme et la religion. En attendant une future embellie historique de la « fraternité de classe » ?
Les ouvriers français, certes consuméristes en diable, enfermés dans la politique de l’autruche, plus réticents que racistes face aux immigrés « temporaires », ne sont pas seuls en cause dans l’absence d’internationalisme. Depuis les années 1980 l’ouvrier immigré traîne une réputation d’ « opportuniste ». En prévoyant une durée circonscrite, les immigrés saisonniers cherchaient plus à maximiser leur épargne en un laps de temps très court qu’à s’insérer sur le marché de l’emploi français. Cette vision « instrumentale » de leur activité professionnelle a pu les conduire à se ficher de toute conscience de classe internationaliste  dans le pays d’immigration au profit d’un statut social petit bourgeois que leur épargne (ou la retraite) leur permet d’acquérir dans leur pays d’origine. Le nomadisme ouvrier ne laisse pas le temps à une conscience de classe de se développer ni d’envisager de changer les choses partout.

 « La recherche de l’optimisation du revenu salarial motivait des changements fréquents d’emploi qui, couplés aux pratiques de gestion patronale ainsi qu’à l’embauche dans des petites et moyennes entreprises ne disposant pas nécessairement de traditions de lutte ouvrière, ont fini de liquider la mythologie syndicale. Une deuxième étude effectuée au début des années 1970 dans quinze entreprises industrielles de l’Ouest parisien révélait que le taux de rotation des travailleurs africains était de trois mois. Cette brièveté était également encouragée par les chefs d’entreprise qui jouaient sur la mobilité et l’absence de qualification de la main-d’œuvre africaine pour accroître, par la précarité des contrats, la flexibilité de ses modes de production. À la Régie Renault, le taux estimé de renouvellement était ainsi de 5 à 10 % par an ; 27 %des travailleurs demeuraient dans l’entreprise moins d’un an, 85 % moins de trois ans et seulement 6 % plus de cinq ans ».

L’OPPORTUNISME DES TRAVAILLEURS AFRICAINS (une réputation qui a la vie dure en milieu ouvrier)

« L’« opportunisme » attribué aux salariés africains se fonde sur un calcul rationnel. S’il les pénalisait dans leur évolution de carrière, l’engagement syndical représentait aussi une forme de protection à un moment, les années 1980, où l’économie française connaissait d’impor-tantes restructurations industrielles conduisant à des politiques publiques de réinsertion dans les pays d’origine, politiques au demeurant soutenues par des centrales françaises sensibles au contrôle des flux migratoires par le recours à des politiques de codéveloppement ».

Si les solutions individuelles encouragées par les syndicats ne sont pas une solution pour tous, il reste aux appareils à diviser ces travailleurs migrants qui eux vont rester. : « Les « réunions des nationalités africaines » ou les « groupes de langues » respectivement mis en place par la CFDT et la CGT ont contribué à une mise en altérité de l’immigration.(…). Le principe d’unification tendant à regrouper par défaut les migrations subsahariennes en un seul et même agrégat montre ses limites opératoires. L’identité « réelle » est loin de correspondre à l’identité« attribuée ». La réunion des « nationalités africaines » organisée en mai1971 par la CFDT à Rouen en présence d’un responsable de la CNTS témoigne des obstacles rencontrés par les ouvriers subsahariens pour construire une identité collective ouvrière en France ».

Les problèmes ethniques viennent compliquer même les plus simples solidarités de base :

« Les quinze travailleurs réunis étaient originaires du Sénégal, du Mali, de la Mauritanie et du Cameroun, et exerçaient leur activité professionnelle dans l’industrie métallurgique ou alimentaire ainsi que dans la marine marchande. Le fait qu’ils aient dénoncé les rivalités ethniques qui, selon eux, sapaient le travail de cohésion syndicale amène à douter de la pertinence d’une réunion de militants originaires de pays dont les frontières ethno-linguistiques et nationales ne se recoupaient pas. La pluralité des appartenances politiques des migrants a également contrarié l’agencement d’un consensus sur les modes d’action et de protestation. À la Régie Renault, dont la population étrangère en 1973 était constituée par près de 13,3 % de travailleurs subsahariens (2 845 personnes) contre 30 % de Marocains (6 416) et 22,6 % d’Algériens (4 836)

Les« groupes de nationalités » mis en place par la section syndicale se retournaient même contre les encadreurs syndicaux déguisés en dames patronnesses: « Les expériences d’alphabétisation menées dans le secteur métallurgique par la CGT semblent avoir été perturbées par la politisation de certains travailleurs africains qui convertissaient ces sessions pédagogiques en arènes politiques »…

«  Reflétant la distance entre l’« appareil » et la « base », les responsabilités qui ont été confiées aux militants d’origine africaine étaient marginales, voire inexistantes. À la CGT, la prise en charge des migrations africaines était assurée conjointement en 1976 par Marius Apostolo et Bassirou Diarra, responsable en1977 du groupe de langues. En 1978, il semble qu’elle n’ait plus été assurée que par Marius Apostolo ».

 Apparemment, la CFDT ne comptait pas de militants africains dans ses instances représentatives. L’analyse des pratiques syndicales à l’échelle locale permet de mieux affiner les modes opératoires de cette relégation. Lors de la réunion des « nationalités africaines » de mai 1971, les ouvriers subsahariens dénoncèrent les dérives électoralistes de délégués qui «profit[ai]ent de l’ignorance de certains immigrés pour les inscrire sur leurs listes afin que ces derniers leur apportent des voix lors des élections en sachant pertinemment qu’ils ne passer[aient] pas ». L’un de ces ouvriers a souligné : « Malgré l’aide incessante que nous attendons de nos camarades français, ceux-ci semblent ne pas [nous] entendre. Certains d’entre eux négligent totalement leurs collègues immigrés. Pourtant, à chaque fois qu’on est amené à faire une action, on souhaite et on réclame leur présence (…). On ne doit pas seulement penser aux immigrés au moment des élections professionnelles, mais ceux-ci doivent être considérés comme des hommes à part entière dans la vie, en particulier dans la vie syndicale et à tous les échelons ».  Ce genre de spécificité en faveur des immigrés ne vaut pas mieux que le rejet de l’immigré comme voleur de travail…

Des critiques similaires furent émises lors d’une session consacrée aux responsables immigrés, organisée en janvier 1984 : « C’est pas la responsabilité qui manque, notait un participant, c’est la prise en compte qui manque ». Les responsables CFDT qui avaient organisé la réunion ne semblent avoir partagé que partiellement ces critiques : « Les communautés africaines comme les maghrébines et les turques, notait l’un des animateurs, participent très activement à la vie syndicale dans les entreprises sans que pour cela le type de fonctionnement de la vie syndicale en France soit toujours adapté aux formes de luttes que doivent mener ces travailleurs. Les différentes luttes menées, soit dans le métro, soit celle des éboueurs de la Ville de Paris l’ont largement démontré. C’est probablement dans cette communauté que la relation avec les associations françaises est la plus claire. Ils considèrent ces associations comme des associations de service, point ». Bien fait bureaucrate !

En conclusion, il faut remarquer que Ph. Dedieu, qui n’est ni militant d’une cause ni communiste maximaliste, a du mal à comprendre la désimplication des ouvriers immigrés face aux appareils syndicaux (qu’il nomme par défaut « organisations ouvrières ») parce qu’il ne voit pas la même désimplication et à une plus grande échelle chez les prolétaires métropolitains. Ce dégoût ou méfiance vis-à-vis du syndicalisme de collaboration de classe que la bourgeoisie a essayé de mettre en place depuis l’époque des libérations nationales est la conséquence du même état d’esprit dominateur et colonialiste des forces bourgeoises d’encadrement, larbins syndicaux comme politiciens gauchistes juvéniles, au niveau de plusieurs décennies, par lesquelles il fallait en passer avant de déboucher sur les certitudes d’aujourd’hui qui vont armer la conscience des prolétaires pour créer des organisations contrôlées par eux-mêmes. Et laissons lui terminer avec son propre langage :



« Les doctrines développées autour de l’internationalisme occultent le fait que les activités des mouvements ouvriers relèvent de contextes nationaux spécifiques. Après la décolonisation, la répartition internationale du travail syndical opérée par les centrales africaines et françaises sur la question de l’immigration résulte, d’une part, de l’instrumentalisation des centrales africaines par les partis uniques pour lesquels la formation politique de la population migrante devait s’ajuster aux mobilisations partisanes de leur pays d’origine, d’autre part, de la position des centrales françaises qui ont privilégié les relations de coopération avec leurs homologues africaines ou de médiation avec les pouvoirs publics français plutôt que des actions collectives en faveur des libertés syndicales en Afrique ou en direction des travailleurs africains en France. Cette répartition du travail manifeste les tensions entre« pratiques de mobilisation » et « pratiques de relation institutionnelle » qui traversent le mouvement syndical de manière récurrente et qui ont pour conséquence la marginalisation des travailleurs africains au sein d’organisations se réclamant pourtant encore de l’internationalisme. Elle témoigne plus largement de la bureaucratisation d’un mouvement ouvrier déconnecté des luttes sociales de l’immigration, bureaucratisation qui n’est pas étrangère à l’autonomisation du champ militant et à la crise de la représentation syndicale en France.

Les tensions xénophobes qui ont miné depuis ses origines l’internationalisme ouvrier se sont exprimées avec une acuité particulière par l’essor ces dernières décennies d’une racialisation des rapports sociaux dans le monde du travail. Cette tendance traduit la déstructuration d’un groupe ouvrier que les syndicats étaient parvenus jusqu’alors à plus ou moins unifier et qui est aujourd’hui traversé par de profonds clivages entre des ouvriers français « blancs », déclassés ou menacés de déclassement, et des ouvriers étrangers ou « “visibilisés” comme étrangers »


sources :
Jean-Philippe Dedieu est docteur en sociologie. Il est membre de l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS) de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS). Ses travaux portent sur la sociologie politique des migrations africaines en France depuis la décolonisation.





[1] En 1972, le secrétariat national des travailleurs immigrés de la CFDT rapporta les« réactions violentes de travailleurs français (…) y compris de la part de syndiqués ou de responsables CFDT » lors de la semaine d’action sur l’immigration que la Confédération avait organisée à l’échelle nationale et à laquelle la CGT n’avait pas voulu se joindre. Le Pen a bon dos 40 ans après quand on lui prête un « ostracisme » qui ne dépend pas de lui spécialement…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire