PAGES PROLETARIENNES

jeudi 6 décembre 2012

Ni islamistes ni syndicalistes, lutte de classe indépendante




Ni Ennhada, ni Ettakol ni l’UGTT ne représentent une quelconque « révolution », ni une préservation d’une révolution de jasmin qui serait encore trempée dans le vase moisi des illusions « libératrices », révolte populaire vite canalisée dans les élections truquées de l’Etat bourgeois. A chaque flambée de violences, « la droite » gouvernementale Ennahda et l'opposition « de gauche » s'accusent mutuellement d'oeuvrer en faveur des forces "contre-révolutionnaires". Autant dire que deux pingouins s’accusent d’être des contre-pingouins !
Mardi, ce sont des militants proches du parti islamiste qui ont perturbé la commémoration du soixantième anniversaire de la mort du syndicaliste Farhat Hached. Pour l'UGTT, c'était la provocation de trop. Les partis politiques de l'opposition ont également fait part de leur indignation, à commencer par Nida Tunes, présenté comme l'alternative la plus crédible à Ennahda. La dissolution des «ligues de la protection de la révolution» est l'une des conditions posées par la centrale syndicale pour annuler la grève générale du 13 décembre, ce que le gouvernement islamique ne peut accepter.
Je ferai quelques remarques préliminaires sur l’épouvantail agité par l’opposition bourgeoise contre une soi-disant « ligue protectrice de la révolution », appelée à jouer le rôle du méchant comme le FN par chez nous. Par après la  comédie du pouvoir bourgeois et de ses cliques en Tunisie apparaîtra plus clairement.
L’UGTT dénonce des exactions des « nouveaux gardiens de la révolution », son mégaphone bureaucratique est répercuté par les médiocres du monde entier. Au départ, après le 14 janvier, les « ligues de protection de la révolution », étaient des comités citoyens  pour la protection des quartiers, des villages et des villes contre les bandes armées de Ben Ali. Aujourd’hui, ces ligues n’ont plus de raison d’être. Elles constituent des milices illégales du parti au pouvoir. Ce sont des bandes armées qui interviennent aléatoirement d’une manière musclée, pour empêcher les meetings d’autres partis opposants à Ennahdha. Sur la page Facebook de la nouvelle ligue gouvernementale, on peut trouver une liste des actions à mener: surveiller, par exemple, les entrées et sorties d'étrangers dans les quartiers, ou infiltrer les rangs des ennemis de la révolution pour découvrir leurs plans ! La gauche bien pensante en France et ses gauchistes de base vont y voir bien sûr une renaissance des bandes paramilitaires iraniennes.
NOUVEAUX GARDIENS (islamistes) DE LA REVOLUTION (invisible)? Le corps des Gardiens de la révolution en Iran est une organisation paramilitaire de la République islamique d'Iran aux ordres du chef de l'Etat iranien. Ce corps des étranges « gardiens de la révolution » (étatico-religieuse)  avait été fondé par un décret du 5 mai 1979, en tant que force soumise à l'autorité de l'ayatollah Khomeini. Ils sont devenus une force armée à part entière pendant la Guerre Iran-Irak où l’utilisation de vagues humaines, constituées très souvent d’adolescents inexpérimentés, contre l’armée irakienne causèrent des pertes deux fois supérieures à celles subies par l’armée régulière.
Or le parallèle avec les fous de dieu iraniens est fort peu d’actualité, non pas tellement parce que les chiites iraniens seraient exemplaires (aucune alliance n’est possible avec des sunnites) ou un exemple imité, mais pour deux raisons :
-          Le gouvernement islamiste tunisien doit son accession au pouvoir au grand protecteur US, alors que la fausse « révolution iranienne » n’avait été qu’un coup d’Etat de la petite bourgeoisie alliée aux mollahs contre le grand Satan impérialiste ;
-          La crise économique est autrement plus grave qu’en 1979 et la classe ouvrière en Tunisie n’est pas embrigadée vers la guerre, ni disposée à aller au sacrifice comme les mômes au temps de leur héros le vieillard embaumé Khomeini.

LE POUVOIR BOURGEOIS TUNISIEN AUX PRISES AVEC UNE CRISE SOCIALE
Ennhada c’est le parti islamiste au gouvernement , (l’équivalent de celui des « frères » en Egypte, qui se croit tout permis) pareil à ce nouveau genre de parti de droite totalitaire qu’on trouve également au pouvoir en Hongrie, qui vise à attaquer sans fard la classe ouvrière et à laisser crever les masses déshéritées. Le Forum démocratique pour le travail mieux connu sous le nom de Ettakatol, est  le parti oppositionnel social-démocrate tunisien fondé le 9 avril 1994 et affilié à la comique Internationale socialiste. Il n’est qu’un simple croupion du Capital. Le véritable parti de la gauche bourgeoise est le syndicat UGTT, vieux dinosaure du contrôle bourgeois sur les ouvriers depuis la guerre. L’UGTT a toujours eu un rôle politique primordial dans la société tunisienne, les dictateurs successifs s’attachant toujours à maintenir ce syndicat collaborateur légèrement au-dessus des eaux boueuses de la corruption totale de ses activistes professionnels. C’est une spécialité tunisienne que ce syndicat-parti politique bâtard qui se suicide lui-même s’il est aux marches du pouvoir. Suite à la fausse révolution tunisienne, l'UGTT avait accepté le 17 janvier de participer à un « gouvernement d'union nationale » conduit par le Premier ministre sortant Mohamed Ghannouchi. Ainsi, les trois syndicalistes Houssine Dimassi, Abdeljelil Bédoui et Anouar Ben Gueddour avaient été respectivement nommés ministre de la Formation et de l'Emploi, ministre sans portefeuille et secrétaire d'État auprès du ministre du Transport et de l'Équipement. 24 heures plus tard, ces derniers démissionnent face à la colère de la population refusant la présence de ministres membres du Rassemblement constitutionnel démocratique, aux postes clés. Les gauchistes tunisiens réclament l’épuration de la direction de ce syndicat gouvernemental, pour prendre la place des bonzes corrompus ?
Quatre régions de Tunisie dont Sidi Bouzid, berceau du premier immolé de la révolte populaire contre l’ancienne dictature, étaient en grève jeudi, alors qu'un bras de fer entre islamistes au pouvoir et syndicalistes dits en opposition doit culminer avec un débrayage national le 13 décembre alors que les gouvernants s’avèrent aussi incapables de tempérer la crise économique que n’importe quel Etat européen du sud, crise politico-sociale au demeurant. Outre Sidi Bouzid (centre-ouest),  Kasserine observe le débrayage, tout comme Gafsa, une région minière qui est le théâtre de conflits sociaux récurrents, et Sfax (sud). Les affrontements y avaient été particulièrement intenses durant l’explosion sociale qui avait débuté le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid avec l'immolation d'un vendeur ambulant excédé par la misère et les brimades policières. Les médias maghrébins et français dessinent une étrange toile de fond concernant « l’instabilité sociale » en Tunisie, mais aussi en Egypte, en esquivant ou en maquillant la dynamique propre à la classe ouvrière (on a l’habitude en Occident depuis au moins 40 années de cet effacement de tout rôle autonome du prolétariat). Pauvre prolétariat, pourtant plus important en Tunisie et Egypte que dans les autres pays voisins. Le quotidien capitaliste régenté par des Etats islamistes continue à être qualifié de « processus révolutionnaire ». La lutte contre la misère des déshérités de la région de Sidi Bouzid, qui avaient initialement déclenché le mouvement pour le renversement du dictateur Ben Ali, est placée au second plan immédiatement par un plan machiavélique du vieux syndicat gouvernemental UGTT pourri jusqu’à la moelle. Il suffit de lire son historique sur Wikipédia pour mesurer combien il n’est nullement un défenseur des prolétaires. Il faut se rappeler qu’il était aussi complètement à la traîne des événements de janvier dernier.
Ces grèves  en cours sont présentées désormais comme visant à dénoncer une attaque mardi de militants islamistes pro-gouvernement contre un siège de cette  Union générale tunisienne du travail (UGTT), à Tunis. L’attaque islamiste n’arrive-t-elle pas à point nommé pour permettre au syndicat collabo de chapeauter un mouvement social face que l’Etat islamiste et ses soudards sont et seront impuissants à endiguer ? Cette attaque a lieu à peine quatre jours après la fin d'une semaine de heurts entre policiers et manifestants à Siliana (sud-ouest de Tunis) après qu'un appel à l'arrêt du travail ait entrainé la violence de classe, où on compta près de 300 blessés dont certains éborgnés. Le jeu des fractions bourgeoises, comme en Occident vise évidemment à dessaisir le prolétariat de sa lutte. Et plus pervers encore, vise à enfumer la classe ouvrière au niveau international en instillant que le « syndicat » (comme tous les syndicats du monde inféodés à la démocratie bourgeoise corrompue) manifesterait un « réveil de classe » ou de « base » contre l’islamisme gouvernemental. Des centaines de manifestants ont défilé à Sidi Bouzid et à Gafsa, scandant des slogans anti-Ennahda, le parti islamiste qui dirige le gouvernement. Les syndicalistes professionnels s’étaient introduits dans les cortèges avec leurs propres mots d’ordre chauvins : « Démission du gouvernement », « Ennahda a vendu la Tunisie », « Vive l'UGTT, la plus grande force dans le pays ». L’UGTT a programmé ensuite le mode opératoire jumeau de la CGT de base : ce n’était que des « actions régionales en prélude au débrayage national » du 13 décembre – non pas pour soutenir la lutte sociale des ouvriers ni assumer une insurrection – mais, dérisoire et pathétique… pour dénoncer l'attaque de son siège ; quand les séides islamistes accusent en retour les gros bras de l'UGTT d'avoir provoqué les heurts.
Il s’agit dès lors de la substitution à la lutte de classe des querelles entre les deux principales fractions du pouvoir en Tunisie, les deux plus gros partis bourgeois du pays. Ces deux mafias veulent régler leurs comptes sur le dos de la colère des masses paupérisées, lesquelles se fichent de l’absence de compromis sur la future constitution qui ne permettra pas de résoudre les difficultés économiques. Dans son histoire, l'UGTT collabo, qui revendique un demi-million de membres, n'a appelé qu'à deux grèves nationales, l'une en 1978 dont la répression avait fait des dizaines de morts, et une autre, sommet d’opportunisme minable, de deux heures, le 12 janvier 2011, deux jours avant la chute du régime de Zine El Abidine Ben Ali. La grève nationale ne sera qu’une nouvelle journée d’enterrement des énergies ouvrières dispersées, comme il y en a tant en Grèce, en Espagne et ailleurs. Les prolétaires tunisiens n’ont aucune chance de sortir de l’ornière tant qu’ils restent emprisonnés dans l’ornière des solutions nationales qui n’en sont pas.
Et s’il leur prenait l’envie de donner la main à leurs frères « de classe » en Egypte ? Quel bel exemple ce serait pour le monde entier. Mais en Egypte, c’est pour l’instant autre chose, un combat de fractions petites bourgeoises contre un Etat d’islamistes impuissants qui voudraient eux aussi « codifier la soumission » et organiser la misère. Et où la classe ouvrière n’apparaît pas autant qu’en Tunisie, ou du moins l’aspect social d’une révolte populaire qui ne peut pas s’arrêter aux épisodes d’une pseudo-révolution fleurie et depuis longtemps fânée faute d’avoir exprimé des objectifs de classe prolétarienne, mais qui a bégayé les mensonges du républicanisme bourgeois occidental.

PS : mon analyse vous paraît loufoque ? Alors lisez ce que j’ai trouvé sur un site tunisien avec un signataire anonyme :
« Y-a-t-il des forces occultes qui sont en train de tirer les ficelles ? Ces événements, et ceux qui les ont précédés à Siliana, ont-ils un quelconque lien avec le projet de loi d’immunisation de la révolution, baptisé loi d’exclusion présenté par Ennahdha et d’autres groupes parlementaires à l’assemblée nationale constituante ? Autant d’interrogations qui restent à élucider. L’UGTT a pointé un doigt accusateur vers les milices d’Ennahdha, incarnées, à ses yeux, par les ligues de protection de la révolution, et les ont tenues pour responsables de ce qu’ils ont qualifié "d’agression sauvage et programmée" contre son siège et ses syndicalistes. Les représentants des dites ligues ont démenti être à l’origine de tels débordements, et se défendent de toute transgression de la loi ou incitation à la violence. La centrale syndicale ne veut rien entendre. Ses dirigeants ont été d’emblée incisifs, et menaçants. Son SG, Hassine Abassi, a carrément proclamé l’affrontement, signe d’une rupture annoncée entre le pouvoir et l’illustre organisation syndicale. Ses adjoints ont opté le lendemain pour le même ton d’inimitié envers Ennahdha, ses milices, et le gouvernement. Les communiqués du bureau exécutif et de la commission administrative ne sont pas en reste, réitérant les mêmes accusations, et tenant le gouvernement pour responsable de "la propagation de la violence". Et ce n’est pas tout, l’UGTT franchit le Rubicon et annonce une grève générale nationale dans tout le pays pour le jeudi 13 décembre, chose qui n’est pas arrivée en Tunisie depuis  34 ans,  date des événements meurtriers du jeudi noir du 26 janvier 1978 (…)
Comment éviter que cette tension ne s’exacerbe davantage, et que le pays ne soit paralysé par une grève générale, qui plus est sera observée le jour même où la Tunisie va accueillir le forum de l’avenir en présence de Hillary Clinton, du ministre des Affaires étrangères canadien, et d’autres chefs de diplomatie de différentes régions du monde. Quel signal va-t-on envoyer au reste du monde, alors qu’on n’est pas arrivé à guérir des séquelles laissées par les événements de l’ambassade des Etats-Unis et des autres épisodes intermittents de violence ? ».

Bizarre, vous avez dit bizarre ?

PS: et lire l'article de Révolution Internationale sur le film mystificateur, et le débat escamoté par le réalisateur et ses sponsors, aussi menteurs que Filiu le diplomate reconverti historien menteur.

A propos du film “Tahrir, place de la Libération”: une vision tronquée de la réalité qui escamote la lutte de classes

du 2  février 2012

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