PAGES PROLETARIENNES

mercredi 26 septembre 2012

FRERES MUSULMANS : UN MOUVEMENT AU SERVICE DU CAPITALISME




Par Robert Camoin

Depuis quelques années, on constate dans l’ensemble des pays arabes une recrudescence des activités des groupes se réclamant de l’Islam. La victoire de la « révolution islamique » en Iran a donné un véritable coup de fouet à l’intégrisme religieux.
En Algérie, les divers groupes intégristes ont marqué leur entrée sur la scène politique par des agressions répétées contre ceux qui ne sont pas des fervents des traditions islamiques réactionnaires. Lors des derniers mouvements de contestation sociale en Algérie, les bandes de « Frères Musulmans » se sont opposés de manière virulente et parfois violente aux grévistes ouvriers et étudiants. Il est évident que, malgré leur opposition proclamée au régime, des groupes font le jeu de la bourgeoisie, et cela sans parler de leurs liens avec certains hauts bureaucrates de l’Etat, de la police et de l’armée. Mais on ne peut écarter la possibilité que ces sectes religieuses et notamment la plus importante d’entre elles, celle des « Frères Musulmans » arrivent, en l’absence d’un mouvement ouvrier organisé, et vu le mécontentement social dû à la dégradation des conditions de vie des masses laborieuses, à élargir leur audience au sein des couches les plus défavorisées de la population.
Itinéraire historique
La secte des « Frères musulmans » a été créée vers 1928 par un instituteur, Hassan El Banna. Pour comprendre et analyser les conditions de naissance de la Fraternité Musulmane, il nous faut situer le contexte historique où elle a vu le jour. La société égyptienne sous l’occupation coloniale britannique et du fait de celle-ci – (l’Egypte jusqu’au coup d’Etat  militaire de 1952 était « gouvernée » par la dynastie des descendants de Mehémet Ali, vice-roi d’Egypte au début du XXe siècle. En 1937 fût couronné le roi Farouk inféodé au colonialisme britannique qui exerçait sur le pays un « protectorat », contrôlant de ce fait le canal de Suez, veine jugulaire de l’Empire colonial britannique qui reliait l’Inde à la métropole) - , renfermait une dualité. Deux formes économiques, politiques, sociales et culturelles cohabitaient de façon contradictoire : l’une capitaliste moderne, dûe à la domination de l’impérialisme britannique, l’autre féodale, précapitaliste.
C’est d’une réaction des milieux traditionnalistes de la classe possédante, - propriétaires fonciers, grands commerçants, dignitaires religieux -, face aux transformations, à l’ « occidentalisation » des structures économiques, politiques, sociales et culturelles, qu’est née la Fraternité Musulmane. Rivale du WAFD, parti nationaliste libéral, la Fraternité acquit de 1938 à 1949 un grand poids politique. Malgré ses compromissions avec la monarchie de Farouk et l’occupant britannique, elle sut tirer profit des sentiments anti-colonialistes qui prévalaient au sein des différentes couches sociales et développer son audience jusqu’à organiser près d’un million d’individus. Mais le putsch militaire de Nasser, et le régime nationaliste bourgeois auquel il donna lieu sonna le glas de la Fraternité Musulmane. La répression, le consensus social qu’arriva à réaliser le régime de Nasser, finirent par affaiblir politiquement et organisationnellement la Fraternité.
Au service du roi et du colonialisme
Le soutien accordé par la monarchie de Farouk à la Fraternité n’est par conséquent pas dû au hasard. Ceci d’autant plus qu’El Banna voyait en Farouk « sa majesté musulmane, un espoir », à qui il fallait « soumettre nos foyers et notre obéissance, selon le Livre de Dieu et la Sunna de son prophète ». L’un des objectifs constants de la politique du roi étant de limiter l’influence des nationalistes du WAFD, il trouva dans l’organisation d’El Banna une alliée. Celle-ci avec l’aval de la monarchie et des représentants de l’impérialisme britannique allait tenir le pavé contre les milices du WAFD, jouant un rôle qui n’est pas sans rappeler celui des « Chemises Noires » et autres sections d’assaut fascistes en Europe à la même époque.
Nous avons établi dans notre précédent numéro la collusion existant entre la Fraternité Musulmane et la monarchie ; il nous faut aussi évoquer ses liens avec les représentants du colonialisme britannique. Les relations de l’organisation avec l’ambassade britannique n’ont jamais été très claires du fait de l’attitude apparemment contradictoire des Frères. En effet, s’ils tenaient volontairement des propos anti-britanniques, de fait, ils ne réclamaient pas l’indépendance, et ils soutenaient le roi, marionnette dont l’impérialisme anglais tirait les ficelles. De toutes les manières, les Frères ont eux-mêmes reconnu, dans leur revue A’Nadir du 9/4/1946 que « le côté britannique fit preuve de compréhension et proposa son appui financier afin que l’organisation puisse mener à bien son travail de propagande et d’éducation ».
Les « Frères Musulmans » contre la classe ouvrière
Après ce que nous venons de dire sur les liens qu’entretenaient la Fraternité Musulmane avec les exploiteurs, nous ne serons pas étonnés d’apprendre que ce qui fonde l’attitude de cette secte vis-à-vis des ouvriers est la phrase suivante de Hassan El Banna : « Les ouvriers doivent toujours se rappeler du devoir qu’ils ont envers Dieu, leur âme et leur patron » (El Ikhouane El Mouslimine du 3/5/46).
Malgré les efforts qu’elle a déployés, la secte ne put jamais s’implanter de manière significative au sein de la classe ouvrière en Egypte, ceci d’autant plus qu’elle prit le droit de grève comme cible. Quand les Frères participaient et appuyaient une grève, ce n’était que dans le but de saper le mouvement. C’est ainsi qu’ils prirent part à la grève de El Kaima – lutte importante dans l’histoire du mouvement ouvrier égyptien – pour en venir à bout en conseillant les ouvriers ainsi : « Il faut que les ouvriers de cette région s’arment de la force morale, pour que puissent s’établir entre eux et leurs patrons des liens de bonté, de respect et de fraternité mutuels ; telle est la meilleure des solutions ». Mais en général les Frères « se contentaient » de dénoncer les ouvriers combatifs à la police, et de former des milices assistant les forces de répression dans les mouvements revendicatifs et les émeutes.
 L’idéologie réactionnaire des « Frères musulmans »
L’idéologie des « F.M. » avait pour fondement le rejet de l’influence de « l’Occident » qui aurait engendré une dépravation des mœurs, celle-ci étant la cause de tous les maux de la société. Pour résoudre les problèmes sociaux, la secte proposait l’établissement d’une forme de gouvernement religieuse et théocratique, « où le possédant n’est pas nécessairement injuste… il peut être généreux, ho, juste… » et où encore « il ne s’agit pas de réguler et de combattre la propriété, mais seulement de l’éduquer ». Incontestablement les Frères reprenaient à leur compte la nostalgie passéiste, et les bonnes vieilles traditions dans lesquelles se réfugiaient les couches les plus arriérées de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie, que menaçait le développement du capitalisme.
Ce bref rappel historique montre ce que sont les « Frères Musulmans » : une secte réactionnaire, dispensant l’opium de l’islam, prônant la résignation et la passivité au sein des masses et n’hésitant pas à user de violence contre tous ceux qui ne partagent pas ses vues réactionnaires. Il est inutile de dire que la caractérisation que nous venons de faire de la Confrérie, en nous basant sur le cas de l’Egypte, est fondamentalement valable aujourd’hui pour tous les pays musulmans, même s’il y a des différences – mineures – où certains groupes intégristes se manifestent.
Aujourd’hui en Algérie
En Algérie, la Confrérie rejette l’étiquette « Frères Musulmans » comme péjorative dans la mesure où elle évoque une influence arabe étrangère (Egypte, Lybie, …) lui préférant « Ahl al-Dawa », signifiant « ceux qui appellent (à l’Islam) ». Les principales structures utilisées par les Frères sont les mosquées et des associations  de bienfaisance constituées autour de celles-ci. A chaque mosquée est attaché un « imam », qui est soit rétribué par l’Etat, soit par des fonds privés. Si en général le texte du prêche du vendredi est envoyé par le ministre des Affaires religieuses aux imams fonctionnaires, les autres imams sont libres dans leur expression.
C’est ainsi que les associations de la tendance « Ahl al Dawa », qui existent dans la plupart des wilayas tiennent un discours critique vis-à-vis du gouvernement. Elles s’opposèrent à la réforme agraire menée par le régime de Boumedienne qui pourtant était loin de constituer une menace sérieuse pour les gros propriétaires fonciers. De la même manière, les « Frères musulmans » firent feu de tout bois contre les attaques de l’Etat contre le secteur commercial privé. Ce sont donc les intérêts de certaines couches sociales bien précises que défend la secte : propriétaires fonciers, gros commerçants, etc. Par ailleurs, « Ahl al Dawa » n’hésite pas à tenter de récupérer démagogiquement les mécontentements des masses en s’en prenant à ceux « qui vivent dans l’opulence, s’adonnent à l’alcool… ». Les Frères Musulmans se prétendent des opposants au régime, mais ils fondent leur opposition sur des considérations réactionnaires, comme en attestent les liens qu’ils ont avec les régimes monarchiques arabes – Arabie Séoudite – et les services secrets impérialistes.
Mais il est encore plus facile d’établir dans quel camp ils se placent quand on sait l’attitude du mouvement face aux dernières grèves qui ont eu lieu en Algérie. Dans les universités, leurs exactions contre les éléments combatifs ne sont plus à compter.
Même si aujourd’hui nous ne savons pas avec précision le degré de structuration du mouvement des Frères Musulmans, ils sont loin d’avoir autant de poids que leurs homologues égyptiens dans les années 1950. La propagande officielle religieuse dans les médias, dans les écoles (4 heures d’éducation « civique et religieuse » par semaine) leur fournissent une aide appréciable et crée un climat idéologique qui peut, ajouté à la crise, favoriser leur développement.
Les travailleurs n’ont pas d’autre alternative que de s’organiser pour faire face au danger que représente la violence para-légale des Frères Musulmans. Plus que jamais, nous devons les dénoncer pour ce qu’ils sont, des ennemis de la classe ouvrière et de l’ensemble des masses laborieuses, plutôt que des ennemis du régime en place. Nous devons dénoncer l’unanimisme religieux, et tout faire pour briser l’influence réactionnaire de la religion et de ses tenants.

Dans les années 1980, contrairement à aujourd’hui, total désert, existaient encore de vigoureux groupes politiques, avec leurs modestes bulletins, paraissant avec régularité (c’est complètement perdu !) en France et en Belgique. Un d’entre eux était Travailleurs immigrés en lutte… et pas seulement pour obtenir des autorités en place le droit d’asile, des « papiers » pour travailler. De ce courageux bulletin ronéoté mensuel, nous avons déjà republié plusieurs articles démystificateurs, car recentrant sur un terrain de classe le problème de l’immigration. C’était l’organe d’un groupe d’Algériens essentiellement. Communistes, ils combattaient non pour un « printemps arabe », mais pour la révolution mondiale, sans exclusive d’aires géographiques. La lecture de l’article qui précède montrera au lecteur le gouffre qui sépare l’internationalisme du nationalisme, celui-ci fût-il le fait d’épigones bordighistes, qui sont plus trotzkystes que gauche communiste d’Italie.
Nous avons toujours pris nos distances avec un mot comme « l’incandescent réveil des peuples de couleur », par trop tributaire de l’idéologie tiers-mondiste affichée, en pleine montée de la vague révolutionnaire mondiale, au congrès de Bakou (printemps 1920). Nous sommes en communion d’idées et d’âme avec John Reed, le généreux adversaire de Grigori Zinoviev et de Karl Radek, sur la question des peuples et nations opprimés par l’impérialisme. Pour nous, « éveil des peuples de couleur » , veut dire éveil du nationalisme, mouvement réactionnaire puisque le communisme est inscrit à l’ordre du jour de l’histoire. Nous avons toujours affirmé que la lutte de libération nationale n’est pas le cadre où prend naissance le commencement d’une conscience socialiste. Voyez la Pologne et l’Irlande ! Voyez l’Algérie ! Voyez la Palestine ! Voyer le Kurdistan !
Nous sommes aux côtés des ouvriers arabes et berbères qui, en Afrique du Nord, subissent la dureté et la rapacité de leur capitalisme à l’enseigne du « socialisme national ». Ils composent une masse de manœuvre pour les exploiteurs de leur classe dirigeante. Pour nous, l’essentiel c’est la lutte de classe que devraient mener les exploités. Ce qu’ils ne font pas. L’essentiel, ce n’est pas de se constituer en Etat ; c’est de former un parti internationaliste, d’avoir une internationale, un parti mondial.
A ces considérations, nous ajouterons que ladite « résistance » syrienne, soutenue par les puissantes démocraties occidentales, n’a de cesse d’envoyer à la mort les masses sans armes devant les mitrailleuses et les chars du pouvoir laïque, et donc progressiste !, de Bachar el Assad, sanguinaire satrape soutenu par la Russie et par la Chine. Tandis qu’en Syrie, le sang coule, en Europe et en Amérique les travailleurs n’ont pas cessé de s’objectiver dans la marchandise et à s’unir au capitalisme. En Russie et en Chine, ils produisent, comme si de rien n’était, les armes qui massacrent les Syriens !
Extraits de Présence Marxiste n°94, juillet 2012. Au sommaire outre l’article que vous venez de lire sur les Frères Musulmans :
-          Résister dans la contre-révolution
-          Elections présidentielles françaises : en défendant la république tous les candidats défendent l’Etat capitaliste
-          Le Bloc d’Août ou bloc anti-léniniste de Trotsky
-          Littérature du monde entier (Pologne) : Boleslaw PRUS (1847-1912), « Le cœur des cœurs » (Serce cer)
-          Mihai Eminescu : extrait, Empereur et Prolétaire (1874)
Au sommaire de Présence Marxiste n° 95 (septembre) « sur l’insurrection » :
-          Insurrection ou gasconnades
-          Lénine, La route de l’insurrection
-          Marxisme, social-démocratie germanique de droite et blanquisme
-          Etude de l’Autobiographie de Paul Frölich : Du communisme de gauche au centrisme social-démocrate.
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