« Le marxisme est une conception révolutionnaire du monde qui doit toujours lutter pour des connaissances nouvelles, qui ne hait rien autant que la pétrification dans des formes valables dans le passé et qui conserve le meilleur de sa force vivante dans le cliquetis d'armes spirituel de l'auto-critique et dans les foudres et éclairs de l'histoire ». Rosa Luxemburg
PAGES PROLETARIENNES
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samedi 29 janvier 2011
THERMIDOR CACTUS EN TUNISIE
Il faut expliquer encore ici que nous avions raison de ne pas croire à une révolution tunisienne, avec ou sans jasmin au bout des fusils. Tous les réactionnaires gauchistes du NPA aux maoïstes de La Forge sont tombés dans le puisard. Les dernières virevoltes du fantoche Ghannouchi démontrent une fois de plus l’arriération politique des anciennes colonies. Ghannouchi comme Moubarak doivent à chaque étape des révoltes populaires prendre longuement conseil auprès de la bourgeoisie américaine. La sainte alliance des Etats bourgeois locaux et des grands frères occidentaux n’hésite pas à utiliser toutes les cartes mystificatrices EN MEME TEMPS. La révolution de palais tunisien a limité les dégâts en invoquant une peur fictive des islamistes mais pour laisser le pouvoir à de vieux caciques ; voyez ces vieux machins bourgeois sur la photo de la « réconciliation nationale » (ce « piège à cons ») ! Les révolutions, les vraies, mettent toujours au premier plan les JEUNES et pas spécifiquement dans la rue mais AU POUVOIR!
En Egypte les médias ont tenté de zoomer sur les seuls agenouillements des « frères musulmaniaques » alors que la majorité de la population se ruait de façon exemplaire contre les symboles pitoyables du pouvoir policier, tenancier de la misère. Dans les deux pays, mais aussi en Jordanie, en Algérie et au Yémen, l’Etat bourgeois arabe n’a pas cessé de psalmodier avec le chantage au loup islamiste pour juguler la colère dans la voie de la légalité bourgeoise ; il faut reconnaître que cela lui réussit très bien jusqu’à présent.
La bourgeoisie égyptienne comme sa consoeur tunisienne se servira encore de l’islamisme capitaliste pour justifier la pluralité démocratique de ses élections de prétendue jouvencelle, tout comme elle se résoudrait à laisser gagner d’aventure une dictature islamo-fasciste de sauvetage capitaliste si le prolétariat avait l’heurt de se constituer et de devenir une alternative menaçante dans ces pays en commençant par déchirer les drapeaux nationaux. Les bourgeoisies américaine, française, tunisienne et égyptienne ont montré qu’elles sont si lâches que même le courage d’être lâche leur manque. Or, par chance en l’absence d’un prolétariat organisé en Tunisie et en Egypte, la défaite politique des soulèvements est assurée. On n’aura pas pu prendre au moins à ces peuples une révolution qui n’aura pas eu lieu. La révolution de palais tunisien se dégonfle comme baudruche conservatrice, avec l’aide des principaux flics spirituels, qui ont prouvé leur efficacité en Occident (et chez ce pauvre prolétariat français retraité avant l’heure) : les aristocraties syndicales. L’UGTT qui n’a pas cessé de chanter les vertus de la collaboration des classes, qui militait pour la « réconciliation nationale » alors que Ben Ali n’était pas encore parti en vacances, a manipulé le peuple tunisien en trois étapes :
- UN MENSONGE qui a consisté à se désolidariser du régime benaliste et à courir derrière les manifestants en faisant prétendre à ses émissaires en Europe qu’il avait contribué à lancer le soulèvement ;
- LE DEGUISMENT. Le syndicat d’Etat a joué le caméléon en se fondant dans la contestation des masses et en la chapeautant par son refus de participer au 2ème remaniement ;
- L’APPROBATION du 3ème remaniement ministériels pour favoriser la « transition nationale » jusqu’aux élections bidons.
MALGRE TOUT, même si le jasmin s’est vite fané, des leçons de ces soulèvements populaires peuvent être déjà surlignées :
- La peur des gouvernants de toute la planète faisait plaisir à voir ; même non organisés les prolétaires se sont affirmés comme une puissance en devenir : « Ce n’est qu’en opposant une fière résistance que nous avons imposé à tous le respect, et sommes devenus une puissance. On ne respecte que la puissance, et tant que nous en serons une, les philistins nous respecteront. Quiconque leur fait des concessions se fait mépriser par eux, et n’est déjà plus une puissance. On peut faire sentir une main de fer dans un gant de velours, mais il faut la faire sentir » (Engels).
- Ce n’est qu’un début marqué par d’inévitables temporisations et trahisons politiques, mais un début de soulèvement contre la misère capitaliste qui interpelle le prolétariat mondial ;
- Enroulés dans les drapeaux nationaux et non soutenus par la classe ouvrière des pays riches, les prolétaires maghrébins n’ont pas été en mesure de poser la généralisation internationaliste ;
- Les nouveaux « réseaux sociaux », malgré la vantardise des bobos apolitiques et anarcho-libéraux, n’ont pas été les principaux vecteurs de l’extension, mais c’est bien, classiquement, la misère et la répression qui ont jeté les peuples dans la rue ; on peut noter cependant, dans le cas de l’Egypte, que la coupure du web et de twitter a tout de même plus encore desservi le pouvoir ;
- Les prolétaires n’ont rien à attendre des élections programmées assez loin pour que la fureur retombe, et afin que les bourgeois émigrés reviennent prendre leur place dans le concert national unanimiste et frauduleux pour les prolétaires.
Je dois déplorer encore une fois l’absence de tout groupe maximaliste révolutionnaire, absence assez significative de la torpeur du prolétariat occidental pourtant aussi attaqué par sa bourgeoisie, face à ces événements. Heureusement que le petit groupe bordiguiste sauve l’honneur du prolétariat universel dans son deuxième tract (sur la Tunisie et l’Algérie) en indiquant les bonnes orientations « de classe » :
« Une organisation de défense prolétarienne authentiquement de classe, en rupture avec les impératifs de la conservation sociale et de la soumission au capital, non seulement organisera la lutte contre les mesures anti-prolétariennes avec des méthodes de classe – appel à la grève de toutes les catégories de travailleurs, formation de piquets et de comités pour diriger la lutte, organisation de la défense contre la répression policière ; elle se lierait aux luttes des prolétaires du pays voisin pour unifier les grèves, pour renforcer la lutte de défense des conditions de vie et de travail prolétariens sur le terrain même que la bourgeoisie a choisi : le terrain de l’affrontement ouvert et violent.
POUR LA REPRISE DE LA LUTTE DE CLASSE ET LA SOLIDARITE PROLETARIENNE INTERNATIONALE !
A BAS LA PATRIE BOURGEOISE, PATRIE DE L’EXPLOITATION, DE L’ASSASSINAT LEGAL, DU MASSACRE DES PROLETAIRES !
POUR L’EMANCIPATION DES PROLETAIRES DU CAPITALISME ! POUR LA REVOLUTION COMMUNISTE DANS TOUS LES PAYS ! ».
ANNEXE (éléments de réflexion : une interview de 20 minutes de Karim Bitar, le financement de l’armée égyptienne et une info du NPA)
« Quel est le profil du mouvement de protestation?
Il est moins «bourgeois» que le mouvement tunisien. «Il est un peu plus populaire car le pays est aussi plus pauvre», précise Karim Bitar. Mais la classe moyenne et les intellectuels sont également bien présents. Quant aux islamistes, ils ne sont pas à l’origine des manifestations, mais «il faudra compter avec eux» même si le régime a tendance à agiter le spectre islamiste afin conserver un minimum de soutien de la part des Egyptiens laïques et de la communauté internationale.
Que réclament les jeunes égyptiens?
«Au-delà de la colère, il y a une volonté d’en finir avec le régime lui-même», explique Karim Bitar. La population égyptienne n’a pas pu s’exprimer lors des dernières élections législatives de novembre dernier où les fraudes ont été légion afin de maintenir le parti présidentiel en place. D’après le chercheur, les aspirations du peuple vont vers un Etat de droit, soit la fin de «la confiscation du pouvoir politique et économique par de petits groupes de personnes». L’économie égyptienne est ainsi mal gérée, avec un potentiel inexploité. Même constat pour la politique de l’emploi, peu ouverte aux nouvelles générations, tandis que le chômage des jeunes augmente.
Le régime peut-il vraiment tomber?
«On ne sait pas encore si le domino politique va tomber, mais le domino psychologique a lui été atteint», affirme Karim Bitar. Les choses seront tout de même plus difficiles à bouger qu’en Tunisie. En Egypte, les militaires soutiennent Hosni Moubarak et sont très présents dans la structure économique du pays. «A ce stade, l’armée est fidèle, mais elle vient du peuple et peut s’inspirer du cas tunisien», tempère Karim Bitar. Le comportement des Etats-Unis pèse également dans la balance car l’Egypte a une «importance stratégique» pour les Américains. «C’est le cœur battant du monde arabe, doté du Canal de Suez et impliqué dans le conflit israélo-palestinien et le dossier nucléaire iranien», rappelle le chercheur qui ajoute que le régime d’Hosni Moubarak a également «survécu ces 10-15 dernières années» grâce à la lutte contre le terrorisme. «Il ne peut pas survivre sans le soutien des Etats-Unis», tranche Karim Bitar.
Existe-t-il une opposition crédible en Egypte?
Oui, même si, comme en Tunisie, le régime a fait en sorte de marginaliser les opposants. «Ils peuvent très vite reprendre pied grâce au soutien des jeunes et des intellectuels», indique Karim Bitar. Outre les Frères musulmans, le chercheur voit émerger «une troisième force», notamment avec le retour de Mohamed El Baradeï au pays. L’ancien directeur de l’Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), respecté en Occident, est «l’homme politique arabe le plus populaire», selon Karim Bitar. Autre leader de l’opposition influent et historique, Ayman Nour, chef de file du «parti de demain», apparaitrait également comme un futur dirigeant potentiel.
Corentin Chauvel
La situation dans le pays représente un dilemme pour les Etats-Unis, enclins à soutenir la démocratie, mais dont M. Moubarak est le plus proche allié arabe. La secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, avait estimé, mardi, que le gouvernement au Caire était "stable", avant que l'administration Obama ne mette très vite l'accent sur la nécessité de respecter le droit à manifester. L'armée égyptienne a bénéficié l'an dernier de subventions américaines à hauteur de 1,3 milliard de dollars. Les Etats-Unis ont toutefois financé à hauteur de plusieurs dizaines de millions de dollars des organisations de promotion de la démocratie en Egypte, au grand dam du président Moubarak, selon des notes obtenues par WikiLeaks et publiées vendredi par le journal norvégien Aftenposten.
Sur le site du NPA, les trotskiens caméléons se racontent des histoires d’apparition de « Conseils » locaux, très responsables certes mais si conciliateurs dans le fond qu’ils ne peuvent être que des succursales de l’infâme UGTT, et qu’ils ne constitueront jamais un double pouvoir mais ne sont qu’une cogestion de la pénurie. En voici une description :
Déclaration constitutive du conseil local provisoire pour gérer les affaires de la ville de Sidi Bou Ali
Suite à la décision de confier à Mohamed Ghannouchi, la mission de former un nouveau gouvernement chargé d’organiser les nouvelles élections présidentielles dans le pays ;
Après le vide administratif et de gestion dans les villes de Sidi Bou Ali, wilaya de Sousse ;
Nous, citoyens de la ville de Sidi Bou Ali rassemblés à la « Place du Peuple » en ville déclarons :
- nous rejetons cette décision qui se base sur une Constitution antidémocratique et impopulaire, et qui ne garantit pas les droits de toutes les sensibilités nationales dans le pays ;
- nous refusons la domination du parti au pouvoir et à sa continuation à contrôler la vie politique dans le pays, à travers ses symboles et ses valets dans le gouvernement;
- nous élisons, d’une façon publique, un Conseil local temporaire pour qu’il gère les affaires de la cité et pour travailler dans le cadre de la coordination régionale et nationale pour retrouver le fonctionnement normal de la vie civile, économique, culturelle et politique dans le pays jusqu’à ce qu’une nouvelle Constitution d’une société démocratique et populaire ouvre la voie à des élections pour assurer la dévolution pacifique du pouvoir et sans aucun monopole. Et veille à ce qu’il représente l’ensemble des parties nationales.
Les fonctions de ce Conseil sont :
- La formation de comités de sécurité pour protéger les quartiers,
- Aider à reprendre la vie économique quotidienne et à assurer les nécessités de la vie quotidienne des citoyens,
- Assurer la réouverture des institutions civiles (banques, hôpitaux, municipalités, écoles, instituts, ...)
- Assurer la propreté de la ville,
- Coordonner avec les conseils locaux et régionaux formés,
- Communiquer et assurer la liaison avec l’armée nationale tant qu’elle est la seule institution qui veille, aujourd’hui, sur le pays.
Nous décidons de nous répartir sur les comités suivants :
- Comité de la propagande et des médias ;
- Comité de la communication avec l’Armée nationale ;
- Comité de la protection des quartiers ;
- Comité de la propreté de la ville ;
- Comité de la logistique ;
- Comité de sensibilisation, d’orientation et de culture.
vendredi 28 janvier 2011
L’impérialisme français en Algérie
par Rosa Luxemburg (1913)
Extrait de l’Accumulation du capital, par Rosa Luxemburg. C’est probablement cet extrait qui avait été publié dans La Flamme (N°5, novembre 1945) (repiqué sur le site La Bataille Socialiste)
A côté de l’Inde britannique et de son martyre, de l’Algérie sous la domination politique française tient une place d’honneur dans les annales de l’économie coloniale capitaliste. Lorsque les Français conquirent l’Algérie, la masse de la population kabyle était dominée par des institutions sociales et économiques très anciennes qui, à travers l’histoire mouvementée du pays, se sont maintenues jusqu’au XIXe siècle et en partie jusqu’à aujourd’hui. Sans doute la propriété privée existait-elle dans les villes parmi les Maures et les Juifs, chez les marchands, les artisans et les usuriers. Sans doute la suzeraineté turque avait-elle confisqué dans la campagne de grandes éten¬dues de terre comme domaines d’État. Cependant presque la moitié de la terre cultivée était restée propriété collective des tribus arabes kabyles, qui gardaient des mœurs patriarcales très anciennes. Beaucoup de tribus arabes menaient au XIXe siècle la même vie nomade qu’elles avaient toujours menée, et qui ne semble instable et désordonnée qu’à un regard superficiel, mais qui en réalité est réglée de manière stricte et souvent monotone ; chaque été, avec les femmes et les enfants, emmenant les troupeaux et les tentes, elles émigraient vers la région côtière de Tell, au climat rafraîchi par le vent, et chaque hiver les ramenait à la chaleur protectrice du désert. Chaque tribu et chaque famille avaient leurs itinéraires déterminés, et les stations d’hiver ou d’été où elles plantaient leurs tentes étaient fixes. De même, chez les Arabes agriculteurs, la terre était la plupart du temps propriété collective des tribus. La grande famille kabyle avait également des mœurs patriarcales et vivait selon des règles traditionnelles sous la direction de ses chefs élus.
Dans ce large cercle familial, la direction commune des affaires domestiques était confiée à la femme la plus âgée, qui pouvait également être élue par les autres membres de la famille, ou encore à chacune des femmes successivement. L’organisa¬tion de la grande famille kabyle au bord du désert africain ressemblait assez curieuse¬ment à la « zadruga » des pays slaves du Sud ; la famille possédait en commun non seulement le sol, mais tous les outils, les armes et l’argent nécessaires à l’activité professionnelle de ses membres et acquis par eux. Chaque homme possédait en propre un seul costume, et chaque femme simplement les vêtements et les bijoux qu’elle avait reçus en cadeau de noces. Mais tous les vêtements plus précieux et les joyaux étaient considérés comme propriété indivise de la famille et ne pouvaient être portés par chacun des membres qu’avec la permission de tous. Si la famille était peu nombreuse, elle prenait ses repas à une table commune, les femmes faisaient la cuisine à tour de rôle, et les femmes âgées étaient chargées de servir les plats. Si le cercle familial était trop large, le chef de la tribu distribuait une ration mensuelle de vivres non préparés, les répartissant avec une stricte égalité entre les diverses familles, qui se chargeaient de les préparer. Ces communautés étaient réunies par des liens étroits d’égalité, de solidarité et d’assistance mutuelle, et les patriarches avaient coutume en mourant de recommander à leurs fils de demeurer fidèles à la communauté [1].
La domination turque qui s’était établie en Algérie au XVIe siècle avait déjà fait de sérieuses entailles dans cette organisation sociale. Cependant ce sont les Français qui inventèrent la légende selon laquelle les Turcs auraient confisqué toute la terre au bénéfice du fisc. Seuls des Européens pouvaient imaginer une idée aussi absurde, qui est en contradiction avec tous les fondements économiques de l’Islam et des croyants. Au contraire les Turcs respectèrent généralement la propriété collective des villages et des grandes familles. Es reprirent seulement aux familles une grande partie des terres non cultivées pour les transformer en domaines d’État (beyliks) qui, sous la direction d’administrateurs locaux turcs, furent soit gérés directement par l’État avec l’aide d’une main-d’œuvre indigène, soit affermés en échange d’un bail ou de redevances en nature. En outre les Turcs profitèrent de chaque rébellion des tribus soumises et de chaque trouble dans le pays pour agrandir les domaines fiscaux par des confiscations de terrains, y fondant des colonies militaires ou bien vendant aux enchères publiques les biens confisqués, qui tombaient généralement entre les mains d’usuriers turcs ou autres. Pour échapper aux confiscations ou à la pression fiscale. beaucoup de paysans se plaçaient, comme au Moyen Âge en Allemagne, sous la protection de l’Église, qui devint ainsi propriétaire d’immenses domaines. Enfin, la répartition des propriétés en Algérie se présentait, après ces nombreuses vicissitudes, de la manière suivante : les domaines d’État comprenaient 1 500 000 hectares de terrain ; 3 000 000 d’hectares de terres non cultivées appartenaient également à l’État comme « propriété commune de tous les croyants » (bled el Islam) ; 3 000 000 d’hectares étaient la propriété privée des Berbères, depuis l’époque romaine ; en outre, sous la domination turque, 1 500 000 hectares étaient devenus propriété privée. Les tribus arabes gardaient en indivision 5 000 000 d’hectares. Quant au Sahara, il comprenait environ 3 000 000 d’hectares de terres cultivables dans le domaine des oasis, qui appartenaient soit à des domaines gérés collectivement par les grandes familles, soit à des domaines privés. Les 23 000 000 d’hectares restants étaient pratiquement déserts.
Après la conquête de l’Algérie les Français firent grand bruit autour de leur œuvre de civilisation. On sait que l’Algérie, qui s’était délivrée au début du XVIIIe siècle du joug turc, était devenue un repaire de pirates infestant la Méditerranée et se livrant au trafic d’esclaves chrétiens. L’Espagne et l’Union Nord-Américaine, qui elles-mêmes à l’époque pouvaient se glorifier de hauts faits dans le domaine du trafic d’esclaves, déclarèrent une guerre sans merci aux infamies des Musulmans. La Révolution française prêcha également une croisade contre l’anarchie algérienne. La France avait donc entrepris la conquête de l’Algérie en proclamant les mots d’ordre de la lutte contre l’esclavage et de l’instauration de la civilisation. La pratique allait bientôt montrer ce qui se cachait derrière ces phrases. On sait qu’au cours des quarante années écoulées depuis la conquête de l’Algérie, aucun État européen n’a changé aussi souvent de régime politique que la France. A la Restauration avait succédé la révolution de Juillet et la royauté bourgeoise, celle-ci fut chassée par la révolution de Février qui fut suivie de la seconde République, du second Empire, enfin de la débâcle de 1870 et de la troisième République. La noblesse, la haute finance, la petite bourgeoisie, les larges couches de la moyenne bourgeoisie se cédaient successive¬ment le pouvoir politique. Mais la politique française en Algérie demeura immuable à travers ces vicissitudes, elle resta orientée du début à la fin vers le même but : au bord du désert africain elle découvrait le centre d’intérêt de tous les bouleversements politiques en France au XIXe siècle : la domination de la bourgeoisie capitaliste et de sa forme de propriété.
Le 30 juin 1873, le député Humbert, rapporteur de la Commission pour le règle¬ment de la situation agricole en Algérie, déclara à une séance de la Chambre : « Le projet de loi que nous proposons à votre étude n’est rien d’autre que le couronnement de l’édifice dont le fondement a été posé par une série d’ordonnances, de décrets, de lois et de senatus-consultes, qui tous ensemble et chacun en particulier poursuivent le même but : l’établissement de la propriété privée chez les Arabes. »
La destruction et le partage systématiques et conscients de la propriété collective, voilà le but et le pôle d’orientation de la politique coloniale française pendant un demi-siècle, quels que fussent les orages qui secouèrent la vie politique intérieure. On servait en ceci un double intérêt clairement reconnu.
Il fallait détruire la propriété collective surtout pour abattre la puissance des familles arabes comme organisations sociales, et briser ainsi la résistance opiniâtre contre la domination française ; cette résistance se manifestait, malgré la supériorité de la puissance militaire française, par de constantes insurrections de tribus, ce qui entraînait un état de guerre permanent dans la colonie [2].
En outre la ruine de la propriété collective était la condition préalable à la domination économique du pays conquis; il fallait en effet arracher aux Arabes les terres qu’ils possédaient depuis un millénaire pour les confier aux mains des capitalistes français. A cet effet on jouait de cette même fiction, que nous connaissons déjà, selon laquelle toute la terre appartiendrait, conformément à la loi musulmane, aux détenteurs du pouvoir politique. Comme les Anglais en Inde, les gouverneurs de Louis-Philippe en Algérie déclaraient « impossible » l’existence de la propriété collective des grandes familles. Sur la base de cette fiction, la plupart des terres cultivées, notam¬ment les terrains communaux, les forêts et les prairies furent déclarées propriété de l’État et utilisées à des buts de colonisation. On construisit tout un système de cantonnements par lequel les colons français s’installèrent au milieu des territoires indigènes, tandis que les tribus elles-mêmes se trouvèrent parquées dans un territoire réduit au minimum. Les décrets de 1830, 1831, 1840, 1844, 1845 et 1846, « légalisèrent » ces vols de terrains appartenant aux tribus arabes. Mais ce système de cantonnements ne favorisa aucunement la colonisation. Il donna simplement libre cours à la spéculation et à l’usure. La plupart du temps, les Arabes s’arrangèrent pour racheter les terrains qui leur avaient été volés, ce qui les obligea naturellement à s’endetter. La pression fiscale française accentua cette tendance. En particulier la loi du 16 juin 1851, qui proclamait les forêts domaines d’État, vola ainsi 2 400 000 hectares de pâturages et de taillis privant les tribus éleveuses de bétail de leurs moyens d’existence. Cette avalanche de lois, d’ordonnances et de décrets donna lieu à une confusion indescriptible dans les réglementations de la propriété. Pour exploiter la fièvre de spéculation foncière et dans l’espoir de récupérer bientôt leurs terres, beaucoup d’indigènes vendirent leurs domaines à des Français, mais ils vendaient souvent le même terrain à deux ou trois acheteurs à la fois ; parfois il s’agissait d’un domaine qui ne leur appartenait pas en propre, mais était la propriété commune et inaliénable de leur tribu. Ainsi une société de spéculation de Rouen crut avoir acheté 20 000 hectares de terre, tandis qu’en réalité elle n’avait un titre – contestable – de propriété que pour un lot de 1 370 hectares. Une autre fois, un terrain de 1 230 hectares se réduisit après la vente et le partage à 2 hectares. Il s’ensuivit une série infinie de procès, où les tribunaux faisaient droit par principe à toutes les réclamations des acheteurs et respectaient tous les partages. L’insécurité de la situation, la spéculation, l’usure et l’anarchie se répandaient universellement. Mais le plan du gouvernement français, qui voulait s’assurer le soutien puissant d’une masse de colons français au milieu de la population arabe, échoua misérablement. C’est pourquoi la politique française sous le Second Empire changea de tactique : le gouvernement, après avoir pendant trente ans nié la propriété collective des tribus, fut obligé, sous la pression des faits, d’en reconnaître officiellement l’existence, mais d’un même trait de plume il proclamait la nécessité de la partager de force. Le senatus-consulte du 22 avril 1863 a cette double signification : « Le gouvernement, déclarait le général Allard au Sénat, ne perd pas de vue que le but commun de la politique est d’affaiblir l’influence des chefs de tribus et dissoudre ces tribus. De cette manière les derniers restes de féodalisme (!) seront supprimés, les adversaires du projet gouvernemental sont les défenseurs de ce féodalisme… L’établissement de la propriété privée, l’installation de colons français au milieu des tribus arabes… seront les moyens les plus sûrs pour accélérer le processus de dissolution des tribus [3]. »
Pour procéder au partage des terres, la loi de 1863 instaura des commissions particulières composées de la manière suivante : un général de brigade ou un capi¬taine comme président, puis un sous-préfet, un employé des autorités militaires arabes et un fonctionnaire de l’Administration des Domaines. Ces experts tout désignés des questions économiques et sociales africaines avaient une triple tâche : il fallait d’abord délimiter les frontières des territoires des tribus, puis répartir le domaine de chaque tribu entre les branches diverses des grandes familles, enfin diviser ces terrains familiaux eux-mêmes en petites parcelles individuelles. Cette expédition des généraux de brigade fut ponctuellement exécutée à l’intérieur de l’Algérie. Les commissions se rendirent sur place. Elles jouaient à la fois le rôle d’arpenteurs, de distributeurs de parcelles, et en outre, de juges dans tous les litiges qui s’élevaient à propos des terres. C’était au gouverneur général de l’Algérie de confirmer en dernière instance les plans de répartition. Dix ans de travaux difficiles des commissions aboutirent au résultat suivant : de 1863 à 1873, sur 700 propriétés des tribus arabes, 400 furent réparties entre les grandes familles. Ici déjà se trouvait en germe l’inégalité future entre la grande propriété foncière et le petit lotissement, car selon la grandeur des terrains et le nombre des membres de la tribu, chaque membre se vit attribuer tantôt des parcelles de 1 à 4 hectares, tantôt des terrains de 100 et parfois même de 180 hectares. Le partage des terres n’alla cependant pas plus loin. Malgré les généraux de brigade, les mœurs des Arabes offraient des résistances insurmontables au partage ultérieur des terres familiales. Le but de la politique française : l’établissement de la propriété privée et la transmission de cette propriété aux Français, avait donc encore une fois échoué dans l’ensemble.
Seule la Troisième République, régime officiel de la bourgeoisie, a trouvé le courage et le cynisme d’aller droit au but et d’attaquer le problème de front, sans s’embarrasser de démarches préliminaires. En 1873, l’Assemblée élabora une loi, dont le but avoué était le partage immédiat des terres des 700 tribus arabes en parcelles individuelles, l’introduction de la propriété privée par la force. Le prétexte de cette loi était la situation désespérée qui régnait dans la colonie. Il avait fallu autrefois la grande famine indienne de 1866 pour éclairer l’opinion publique en Angleterre sur les beaux résultats de la politique coloniale anglaise et provoquer l’institution d’une commission parlementaire chargée d’enquêter sur la situation désastreuse de l’Inde. De même, à la fin des années 1860, l’Europe fut alarmée par les cris de détresse de l’Algérie, où quarante ans de domination française se traduisaient par la famine collective et par un taux de mortalité extraordinairement élevé parmi les Arabes. On réunit une commission chargée d’étudier les causes et l’effet des lois nouvelles sur la population arabe ; l’enquête aboutit à la conclusion unanime que la seule mesure susceptible de sauver les Arabes était l’instauration de la propriété privée. En effet, la propriété privée seule permettrait à chaque Arabe de vendre et d’hypothéquer son terrain et le sauverait ainsi de la ruine. On déclara ainsi que le seul moyen de soulager la misère des Arabes qui s’étaient endettés parce que les Français leur avaient volé leurs terres et les avaient soumis à un lourd système d’impôts, était de les livrer aux mains des usuriers. Cette farce fut exposée à la Chambre avec le plus grand sérieux et les dignes membres de l’Assemblée l’accueillirent avec non moins de gravité. Les vainqueurs de la Commune de Paris triomphaient sans pudeur.
La Chambre invoquait surtout deux arguments pour appuyer la nouvelle loi. Les avocats du projet de loi gouvernementale répétaient sans relâche que les Arabes eux-mêmes souhaitaient ardemment l’introduction de la propriété privée. En effet ils la souhaitaient, surtout les spéculateurs de terrains et les usuriers algériens, qui avaient le plus grand intérêt à « libérer » leurs victimes des liens protecteurs des tribus et de leur solidarité. Tant que le droit musulman était en vigueur en Algérie, les propriétés des tribus et des familles restaient inaliénables, ce qui opposait des difficultés insurmontables à l’hypothèque des terres. Il fallait à présent abolir complètement l’obstacle pour laisser libre champ à l’usure. Le deuxième argument était d’ordre « scientifique ». Il faisait partie du même arsenal intellectuel où puisait l’honorable James Mill lorsqu’il étalait les preuves de sa méconnaissance du système de propriété indien : l’économie politique classique anglaise. Les disciples de Smith et de Ricardo proclamaient avec emphase que la propriété privée est la condition nécessaire de toute culture du sol intensive en Algérie, qui seule parviendrait à supprimer la famine; il est évident en effet que personne ne veut investir ses capitaux ou faire une dépense intensive de travail dans une terre qui ne lui appartient pas et dont il ne peut goûter seul les produits. Mais les faits parlaient un autre langage. Ils démontraient que les spéculateurs français se servaient de la propriété privée, instaurée par eux en Algérie, à de tout autres fins qu’à une culture plus intensive et à une meilleure exploitation du sol. En 1873, sur les 400 000 hectares de terres appartenant aux Français, 120 000 hectares étaient aux mains de compagnies capitalistes, la Compagnie Algérienne et la Compagnie de Sétif ; celles-ci, loin de cultiver elles-mêmes les terres, les affermaient aux indigènes, qui les cultivaient selon les méthodes traditionnelles. Un quart des propriétaires français restants se désintéressaient égale¬ment de l’agriculture. Il était impossible de susciter artificiellement des investissements de capitaux et des méthodes intensives de culture, comme il est impossible de créer des conditions capitalistes à partir de rien. C’étaient là des rêves nés de l’imagination avide des spéculateurs français et de la confusion doctrinale de leurs idéologues, les économistes classiques. Abstraction faite des prétextes et des ornements par lesquels on voulait justifier la loi de 1873, il s’agissait simplement du désir non dissimulé de dépouiller les Arabes de leur terre, qui était la base de leur existence. Malgré toute la pauvreté de l’argumentation et l’hypocrisie manifeste de sa justification, la loi qui devait ruiner la population algérienne et anéantir sa prospérité matérielle fut votée à la quasi-unanimité le 26 juillet 1873.
Cependant cette politique de brigandage devait échouer avant longtemps. La Troisième République ne sut pas mener à bien la difficile politique qui consistait à substituer d’un coup aux liens familiaux communistes ancestraux la propriété bourgeoise privée. Le Second Empire y avait également échoué. En 1890, la loi de 1873, complétée par celle du 28 avril 1887, ayant été appliquée pendant dix-sept ans, on avait le résultat suivant : on avait dépensé 14 millions de francs pour aménager 1 600 000 hectares de terres. On calculait que cette méthode aurait dû être poursuivie jusqu’en 1950 et qu’elle aurait coûté 60 millions de francs supplémentaires. Cependant, le but, qui était de supprimer le communisme tribal, n’aurait pas encore été atteint. Le seul résultat que l’on atteignit incontestablement fut la spéculation foncière effrénée, l’usure florissante et la ruine des indigènes.
Puisqu’on avait échoué à l’établissement par la force de la propriété privée, on tenta une nouvelle expérience. Bien que dès 1890, les lois de 1873 et de 1887 aient été étudiées et condamnées par une commission instituée par le gouvernement général d’Algérie, sept ans s’écoulèrent avant que les législateurs des bords de la Seine eussent le courage d’entreprendre une réforme dans l’intérêt du pays ruiné. La nouvelle politique abandonnait le principe de l’instauration forcée de la propriété privée à l’aide de méthodes administratives. La loi du 27 février 1897 ainsi que l’instruction du gouvernement général d’Algérie du 7 mars 1898 prévoient que l’instauration de la propriété privée se fera surtout à la demande des propriétaires ou des acquéreurs [4].
Cependant certaines clauses permettaient à un seul propriétaire l’accession à la propriété privée sans qu’il ait besoin du consentement des copropriétaires du sol ; en outre, à tous moments, la pression de l’usurier pouvait s’exercer sur les propriétaires endettés pour les pousser à l’accession « volontaire » à la propriété ; ainsi la nouvelle loi offrait des armes aux capitalistes français et indigènes pour poursuivre la désintégration et le pillage des territoires des tribus et des grandes familles.
La mutilation de l’Algérie dure depuis quatre-vingts ans; les Arabes y opposent aujourd’hui d’autant moins de résistance qu’ils sont, depuis la soumission de la Tunisie en 1881 et plus récemment du Maroc, de plus en plus encerclés par le capital français et lui sont livrés pieds et poings liés. La dernière conséquence de la politique française en Algérie est l’émigration massive des Arabes en Turquie d’Asie [5].
Notes:
[1] « Presque toujours le père de famille en mourant recommande à ses descendants de vivre dans l’indivision, suivant l’exemple de leurs aïeux : c’est là sa dernière exhortation et son vœu le plus cher. » (A. Hanotaux et A. Letourneux, La Kabylie et les coutumes kabyles, 1873, tome 2, Droit civil, pp. 468-473.) Les auteurs ont le front de faire précéder cette description du commentaire suivant : « Dans la ruche laborieuse de la famille associée tous sont réunis dans un but commun, tous travaillent dans un intérêt général mais nul n’abdique sa liberté et ne renonce à ses droits héréditaires. Chez aucune nation on ne trouve de combinaison qui soit plus près de l’égalité et plus loin du communisme ! »
[2] « Nous devons nous hâter – déclara le député Didier, rapporteur de la Commission à une séance de la Chambre en 1851 – de dissoudre les associations familiales, car elles sont le levier de toute opposition contre noire domination. »
[3] Cité par Kowalesky, op. cit., p. 217. Comme on le sait, il est d’usage en France, depuis la Révolution de stigmatiser toute opposition au gouvernement comme une apologie ouverte ou indirecte du « féodalisme ».
[4] Cf. G. K. Anton, Neuere Agrarpolitik in Algerien und Tunesien, Jahrbuch für Gesetzgebung, Verwaltung und Volkswirtschaft, 1900, p. 1341 et suiv.
[5] Dans son discours du 20 juillet 1912 devant la Chambre des Députés, le rapporteur de la commission pour la réforme de l’indigénat (c’est-à-dire de la justice administrative) en Algérie, Albin Rozet, lit état de l’émigration de milliers d’Algériens dans le district de Sétif. Il rapporta que l’année précédente, en un mois, 1 200 indigènes avaient émigré de Tlemcen. Le but de l’émigration est la Syrie. Un émigrant écrivait de sa nouvelle patrie : « Je me suis établi maintenant à Damas et je suis parfaitement heureux. Nous sommes ici, en Syrie, de nombreux Algériens, émigrants comme moi ; le gouvernement nous donne une terre ainsi que les moyens de la cultiver. » Le gouvernement d’Algérie lutte contre l’émigration de la manière suivante : il refuse les passeports (voir le Journal Officiel du 21 mai 1912, p. 1594 et suiv.).
Extrait de l’Accumulation du capital, par Rosa Luxemburg. C’est probablement cet extrait qui avait été publié dans La Flamme (N°5, novembre 1945) (repiqué sur le site La Bataille Socialiste)
A côté de l’Inde britannique et de son martyre, de l’Algérie sous la domination politique française tient une place d’honneur dans les annales de l’économie coloniale capitaliste. Lorsque les Français conquirent l’Algérie, la masse de la population kabyle était dominée par des institutions sociales et économiques très anciennes qui, à travers l’histoire mouvementée du pays, se sont maintenues jusqu’au XIXe siècle et en partie jusqu’à aujourd’hui. Sans doute la propriété privée existait-elle dans les villes parmi les Maures et les Juifs, chez les marchands, les artisans et les usuriers. Sans doute la suzeraineté turque avait-elle confisqué dans la campagne de grandes éten¬dues de terre comme domaines d’État. Cependant presque la moitié de la terre cultivée était restée propriété collective des tribus arabes kabyles, qui gardaient des mœurs patriarcales très anciennes. Beaucoup de tribus arabes menaient au XIXe siècle la même vie nomade qu’elles avaient toujours menée, et qui ne semble instable et désordonnée qu’à un regard superficiel, mais qui en réalité est réglée de manière stricte et souvent monotone ; chaque été, avec les femmes et les enfants, emmenant les troupeaux et les tentes, elles émigraient vers la région côtière de Tell, au climat rafraîchi par le vent, et chaque hiver les ramenait à la chaleur protectrice du désert. Chaque tribu et chaque famille avaient leurs itinéraires déterminés, et les stations d’hiver ou d’été où elles plantaient leurs tentes étaient fixes. De même, chez les Arabes agriculteurs, la terre était la plupart du temps propriété collective des tribus. La grande famille kabyle avait également des mœurs patriarcales et vivait selon des règles traditionnelles sous la direction de ses chefs élus.
Dans ce large cercle familial, la direction commune des affaires domestiques était confiée à la femme la plus âgée, qui pouvait également être élue par les autres membres de la famille, ou encore à chacune des femmes successivement. L’organisa¬tion de la grande famille kabyle au bord du désert africain ressemblait assez curieuse¬ment à la « zadruga » des pays slaves du Sud ; la famille possédait en commun non seulement le sol, mais tous les outils, les armes et l’argent nécessaires à l’activité professionnelle de ses membres et acquis par eux. Chaque homme possédait en propre un seul costume, et chaque femme simplement les vêtements et les bijoux qu’elle avait reçus en cadeau de noces. Mais tous les vêtements plus précieux et les joyaux étaient considérés comme propriété indivise de la famille et ne pouvaient être portés par chacun des membres qu’avec la permission de tous. Si la famille était peu nombreuse, elle prenait ses repas à une table commune, les femmes faisaient la cuisine à tour de rôle, et les femmes âgées étaient chargées de servir les plats. Si le cercle familial était trop large, le chef de la tribu distribuait une ration mensuelle de vivres non préparés, les répartissant avec une stricte égalité entre les diverses familles, qui se chargeaient de les préparer. Ces communautés étaient réunies par des liens étroits d’égalité, de solidarité et d’assistance mutuelle, et les patriarches avaient coutume en mourant de recommander à leurs fils de demeurer fidèles à la communauté [1].
La domination turque qui s’était établie en Algérie au XVIe siècle avait déjà fait de sérieuses entailles dans cette organisation sociale. Cependant ce sont les Français qui inventèrent la légende selon laquelle les Turcs auraient confisqué toute la terre au bénéfice du fisc. Seuls des Européens pouvaient imaginer une idée aussi absurde, qui est en contradiction avec tous les fondements économiques de l’Islam et des croyants. Au contraire les Turcs respectèrent généralement la propriété collective des villages et des grandes familles. Es reprirent seulement aux familles une grande partie des terres non cultivées pour les transformer en domaines d’État (beyliks) qui, sous la direction d’administrateurs locaux turcs, furent soit gérés directement par l’État avec l’aide d’une main-d’œuvre indigène, soit affermés en échange d’un bail ou de redevances en nature. En outre les Turcs profitèrent de chaque rébellion des tribus soumises et de chaque trouble dans le pays pour agrandir les domaines fiscaux par des confiscations de terrains, y fondant des colonies militaires ou bien vendant aux enchères publiques les biens confisqués, qui tombaient généralement entre les mains d’usuriers turcs ou autres. Pour échapper aux confiscations ou à la pression fiscale. beaucoup de paysans se plaçaient, comme au Moyen Âge en Allemagne, sous la protection de l’Église, qui devint ainsi propriétaire d’immenses domaines. Enfin, la répartition des propriétés en Algérie se présentait, après ces nombreuses vicissitudes, de la manière suivante : les domaines d’État comprenaient 1 500 000 hectares de terrain ; 3 000 000 d’hectares de terres non cultivées appartenaient également à l’État comme « propriété commune de tous les croyants » (bled el Islam) ; 3 000 000 d’hectares étaient la propriété privée des Berbères, depuis l’époque romaine ; en outre, sous la domination turque, 1 500 000 hectares étaient devenus propriété privée. Les tribus arabes gardaient en indivision 5 000 000 d’hectares. Quant au Sahara, il comprenait environ 3 000 000 d’hectares de terres cultivables dans le domaine des oasis, qui appartenaient soit à des domaines gérés collectivement par les grandes familles, soit à des domaines privés. Les 23 000 000 d’hectares restants étaient pratiquement déserts.
Après la conquête de l’Algérie les Français firent grand bruit autour de leur œuvre de civilisation. On sait que l’Algérie, qui s’était délivrée au début du XVIIIe siècle du joug turc, était devenue un repaire de pirates infestant la Méditerranée et se livrant au trafic d’esclaves chrétiens. L’Espagne et l’Union Nord-Américaine, qui elles-mêmes à l’époque pouvaient se glorifier de hauts faits dans le domaine du trafic d’esclaves, déclarèrent une guerre sans merci aux infamies des Musulmans. La Révolution française prêcha également une croisade contre l’anarchie algérienne. La France avait donc entrepris la conquête de l’Algérie en proclamant les mots d’ordre de la lutte contre l’esclavage et de l’instauration de la civilisation. La pratique allait bientôt montrer ce qui se cachait derrière ces phrases. On sait qu’au cours des quarante années écoulées depuis la conquête de l’Algérie, aucun État européen n’a changé aussi souvent de régime politique que la France. A la Restauration avait succédé la révolution de Juillet et la royauté bourgeoise, celle-ci fut chassée par la révolution de Février qui fut suivie de la seconde République, du second Empire, enfin de la débâcle de 1870 et de la troisième République. La noblesse, la haute finance, la petite bourgeoisie, les larges couches de la moyenne bourgeoisie se cédaient successive¬ment le pouvoir politique. Mais la politique française en Algérie demeura immuable à travers ces vicissitudes, elle resta orientée du début à la fin vers le même but : au bord du désert africain elle découvrait le centre d’intérêt de tous les bouleversements politiques en France au XIXe siècle : la domination de la bourgeoisie capitaliste et de sa forme de propriété.
Le 30 juin 1873, le député Humbert, rapporteur de la Commission pour le règle¬ment de la situation agricole en Algérie, déclara à une séance de la Chambre : « Le projet de loi que nous proposons à votre étude n’est rien d’autre que le couronnement de l’édifice dont le fondement a été posé par une série d’ordonnances, de décrets, de lois et de senatus-consultes, qui tous ensemble et chacun en particulier poursuivent le même but : l’établissement de la propriété privée chez les Arabes. »
La destruction et le partage systématiques et conscients de la propriété collective, voilà le but et le pôle d’orientation de la politique coloniale française pendant un demi-siècle, quels que fussent les orages qui secouèrent la vie politique intérieure. On servait en ceci un double intérêt clairement reconnu.
Il fallait détruire la propriété collective surtout pour abattre la puissance des familles arabes comme organisations sociales, et briser ainsi la résistance opiniâtre contre la domination française ; cette résistance se manifestait, malgré la supériorité de la puissance militaire française, par de constantes insurrections de tribus, ce qui entraînait un état de guerre permanent dans la colonie [2].
En outre la ruine de la propriété collective était la condition préalable à la domination économique du pays conquis; il fallait en effet arracher aux Arabes les terres qu’ils possédaient depuis un millénaire pour les confier aux mains des capitalistes français. A cet effet on jouait de cette même fiction, que nous connaissons déjà, selon laquelle toute la terre appartiendrait, conformément à la loi musulmane, aux détenteurs du pouvoir politique. Comme les Anglais en Inde, les gouverneurs de Louis-Philippe en Algérie déclaraient « impossible » l’existence de la propriété collective des grandes familles. Sur la base de cette fiction, la plupart des terres cultivées, notam¬ment les terrains communaux, les forêts et les prairies furent déclarées propriété de l’État et utilisées à des buts de colonisation. On construisit tout un système de cantonnements par lequel les colons français s’installèrent au milieu des territoires indigènes, tandis que les tribus elles-mêmes se trouvèrent parquées dans un territoire réduit au minimum. Les décrets de 1830, 1831, 1840, 1844, 1845 et 1846, « légalisèrent » ces vols de terrains appartenant aux tribus arabes. Mais ce système de cantonnements ne favorisa aucunement la colonisation. Il donna simplement libre cours à la spéculation et à l’usure. La plupart du temps, les Arabes s’arrangèrent pour racheter les terrains qui leur avaient été volés, ce qui les obligea naturellement à s’endetter. La pression fiscale française accentua cette tendance. En particulier la loi du 16 juin 1851, qui proclamait les forêts domaines d’État, vola ainsi 2 400 000 hectares de pâturages et de taillis privant les tribus éleveuses de bétail de leurs moyens d’existence. Cette avalanche de lois, d’ordonnances et de décrets donna lieu à une confusion indescriptible dans les réglementations de la propriété. Pour exploiter la fièvre de spéculation foncière et dans l’espoir de récupérer bientôt leurs terres, beaucoup d’indigènes vendirent leurs domaines à des Français, mais ils vendaient souvent le même terrain à deux ou trois acheteurs à la fois ; parfois il s’agissait d’un domaine qui ne leur appartenait pas en propre, mais était la propriété commune et inaliénable de leur tribu. Ainsi une société de spéculation de Rouen crut avoir acheté 20 000 hectares de terre, tandis qu’en réalité elle n’avait un titre – contestable – de propriété que pour un lot de 1 370 hectares. Une autre fois, un terrain de 1 230 hectares se réduisit après la vente et le partage à 2 hectares. Il s’ensuivit une série infinie de procès, où les tribunaux faisaient droit par principe à toutes les réclamations des acheteurs et respectaient tous les partages. L’insécurité de la situation, la spéculation, l’usure et l’anarchie se répandaient universellement. Mais le plan du gouvernement français, qui voulait s’assurer le soutien puissant d’une masse de colons français au milieu de la population arabe, échoua misérablement. C’est pourquoi la politique française sous le Second Empire changea de tactique : le gouvernement, après avoir pendant trente ans nié la propriété collective des tribus, fut obligé, sous la pression des faits, d’en reconnaître officiellement l’existence, mais d’un même trait de plume il proclamait la nécessité de la partager de force. Le senatus-consulte du 22 avril 1863 a cette double signification : « Le gouvernement, déclarait le général Allard au Sénat, ne perd pas de vue que le but commun de la politique est d’affaiblir l’influence des chefs de tribus et dissoudre ces tribus. De cette manière les derniers restes de féodalisme (!) seront supprimés, les adversaires du projet gouvernemental sont les défenseurs de ce féodalisme… L’établissement de la propriété privée, l’installation de colons français au milieu des tribus arabes… seront les moyens les plus sûrs pour accélérer le processus de dissolution des tribus [3]. »
Pour procéder au partage des terres, la loi de 1863 instaura des commissions particulières composées de la manière suivante : un général de brigade ou un capi¬taine comme président, puis un sous-préfet, un employé des autorités militaires arabes et un fonctionnaire de l’Administration des Domaines. Ces experts tout désignés des questions économiques et sociales africaines avaient une triple tâche : il fallait d’abord délimiter les frontières des territoires des tribus, puis répartir le domaine de chaque tribu entre les branches diverses des grandes familles, enfin diviser ces terrains familiaux eux-mêmes en petites parcelles individuelles. Cette expédition des généraux de brigade fut ponctuellement exécutée à l’intérieur de l’Algérie. Les commissions se rendirent sur place. Elles jouaient à la fois le rôle d’arpenteurs, de distributeurs de parcelles, et en outre, de juges dans tous les litiges qui s’élevaient à propos des terres. C’était au gouverneur général de l’Algérie de confirmer en dernière instance les plans de répartition. Dix ans de travaux difficiles des commissions aboutirent au résultat suivant : de 1863 à 1873, sur 700 propriétés des tribus arabes, 400 furent réparties entre les grandes familles. Ici déjà se trouvait en germe l’inégalité future entre la grande propriété foncière et le petit lotissement, car selon la grandeur des terrains et le nombre des membres de la tribu, chaque membre se vit attribuer tantôt des parcelles de 1 à 4 hectares, tantôt des terrains de 100 et parfois même de 180 hectares. Le partage des terres n’alla cependant pas plus loin. Malgré les généraux de brigade, les mœurs des Arabes offraient des résistances insurmontables au partage ultérieur des terres familiales. Le but de la politique française : l’établissement de la propriété privée et la transmission de cette propriété aux Français, avait donc encore une fois échoué dans l’ensemble.
Seule la Troisième République, régime officiel de la bourgeoisie, a trouvé le courage et le cynisme d’aller droit au but et d’attaquer le problème de front, sans s’embarrasser de démarches préliminaires. En 1873, l’Assemblée élabora une loi, dont le but avoué était le partage immédiat des terres des 700 tribus arabes en parcelles individuelles, l’introduction de la propriété privée par la force. Le prétexte de cette loi était la situation désespérée qui régnait dans la colonie. Il avait fallu autrefois la grande famine indienne de 1866 pour éclairer l’opinion publique en Angleterre sur les beaux résultats de la politique coloniale anglaise et provoquer l’institution d’une commission parlementaire chargée d’enquêter sur la situation désastreuse de l’Inde. De même, à la fin des années 1860, l’Europe fut alarmée par les cris de détresse de l’Algérie, où quarante ans de domination française se traduisaient par la famine collective et par un taux de mortalité extraordinairement élevé parmi les Arabes. On réunit une commission chargée d’étudier les causes et l’effet des lois nouvelles sur la population arabe ; l’enquête aboutit à la conclusion unanime que la seule mesure susceptible de sauver les Arabes était l’instauration de la propriété privée. En effet, la propriété privée seule permettrait à chaque Arabe de vendre et d’hypothéquer son terrain et le sauverait ainsi de la ruine. On déclara ainsi que le seul moyen de soulager la misère des Arabes qui s’étaient endettés parce que les Français leur avaient volé leurs terres et les avaient soumis à un lourd système d’impôts, était de les livrer aux mains des usuriers. Cette farce fut exposée à la Chambre avec le plus grand sérieux et les dignes membres de l’Assemblée l’accueillirent avec non moins de gravité. Les vainqueurs de la Commune de Paris triomphaient sans pudeur.
La Chambre invoquait surtout deux arguments pour appuyer la nouvelle loi. Les avocats du projet de loi gouvernementale répétaient sans relâche que les Arabes eux-mêmes souhaitaient ardemment l’introduction de la propriété privée. En effet ils la souhaitaient, surtout les spéculateurs de terrains et les usuriers algériens, qui avaient le plus grand intérêt à « libérer » leurs victimes des liens protecteurs des tribus et de leur solidarité. Tant que le droit musulman était en vigueur en Algérie, les propriétés des tribus et des familles restaient inaliénables, ce qui opposait des difficultés insurmontables à l’hypothèque des terres. Il fallait à présent abolir complètement l’obstacle pour laisser libre champ à l’usure. Le deuxième argument était d’ordre « scientifique ». Il faisait partie du même arsenal intellectuel où puisait l’honorable James Mill lorsqu’il étalait les preuves de sa méconnaissance du système de propriété indien : l’économie politique classique anglaise. Les disciples de Smith et de Ricardo proclamaient avec emphase que la propriété privée est la condition nécessaire de toute culture du sol intensive en Algérie, qui seule parviendrait à supprimer la famine; il est évident en effet que personne ne veut investir ses capitaux ou faire une dépense intensive de travail dans une terre qui ne lui appartient pas et dont il ne peut goûter seul les produits. Mais les faits parlaient un autre langage. Ils démontraient que les spéculateurs français se servaient de la propriété privée, instaurée par eux en Algérie, à de tout autres fins qu’à une culture plus intensive et à une meilleure exploitation du sol. En 1873, sur les 400 000 hectares de terres appartenant aux Français, 120 000 hectares étaient aux mains de compagnies capitalistes, la Compagnie Algérienne et la Compagnie de Sétif ; celles-ci, loin de cultiver elles-mêmes les terres, les affermaient aux indigènes, qui les cultivaient selon les méthodes traditionnelles. Un quart des propriétaires français restants se désintéressaient égale¬ment de l’agriculture. Il était impossible de susciter artificiellement des investissements de capitaux et des méthodes intensives de culture, comme il est impossible de créer des conditions capitalistes à partir de rien. C’étaient là des rêves nés de l’imagination avide des spéculateurs français et de la confusion doctrinale de leurs idéologues, les économistes classiques. Abstraction faite des prétextes et des ornements par lesquels on voulait justifier la loi de 1873, il s’agissait simplement du désir non dissimulé de dépouiller les Arabes de leur terre, qui était la base de leur existence. Malgré toute la pauvreté de l’argumentation et l’hypocrisie manifeste de sa justification, la loi qui devait ruiner la population algérienne et anéantir sa prospérité matérielle fut votée à la quasi-unanimité le 26 juillet 1873.
Cependant cette politique de brigandage devait échouer avant longtemps. La Troisième République ne sut pas mener à bien la difficile politique qui consistait à substituer d’un coup aux liens familiaux communistes ancestraux la propriété bourgeoise privée. Le Second Empire y avait également échoué. En 1890, la loi de 1873, complétée par celle du 28 avril 1887, ayant été appliquée pendant dix-sept ans, on avait le résultat suivant : on avait dépensé 14 millions de francs pour aménager 1 600 000 hectares de terres. On calculait que cette méthode aurait dû être poursuivie jusqu’en 1950 et qu’elle aurait coûté 60 millions de francs supplémentaires. Cependant, le but, qui était de supprimer le communisme tribal, n’aurait pas encore été atteint. Le seul résultat que l’on atteignit incontestablement fut la spéculation foncière effrénée, l’usure florissante et la ruine des indigènes.
Puisqu’on avait échoué à l’établissement par la force de la propriété privée, on tenta une nouvelle expérience. Bien que dès 1890, les lois de 1873 et de 1887 aient été étudiées et condamnées par une commission instituée par le gouvernement général d’Algérie, sept ans s’écoulèrent avant que les législateurs des bords de la Seine eussent le courage d’entreprendre une réforme dans l’intérêt du pays ruiné. La nouvelle politique abandonnait le principe de l’instauration forcée de la propriété privée à l’aide de méthodes administratives. La loi du 27 février 1897 ainsi que l’instruction du gouvernement général d’Algérie du 7 mars 1898 prévoient que l’instauration de la propriété privée se fera surtout à la demande des propriétaires ou des acquéreurs [4].
Cependant certaines clauses permettaient à un seul propriétaire l’accession à la propriété privée sans qu’il ait besoin du consentement des copropriétaires du sol ; en outre, à tous moments, la pression de l’usurier pouvait s’exercer sur les propriétaires endettés pour les pousser à l’accession « volontaire » à la propriété ; ainsi la nouvelle loi offrait des armes aux capitalistes français et indigènes pour poursuivre la désintégration et le pillage des territoires des tribus et des grandes familles.
La mutilation de l’Algérie dure depuis quatre-vingts ans; les Arabes y opposent aujourd’hui d’autant moins de résistance qu’ils sont, depuis la soumission de la Tunisie en 1881 et plus récemment du Maroc, de plus en plus encerclés par le capital français et lui sont livrés pieds et poings liés. La dernière conséquence de la politique française en Algérie est l’émigration massive des Arabes en Turquie d’Asie [5].
Notes:
[1] « Presque toujours le père de famille en mourant recommande à ses descendants de vivre dans l’indivision, suivant l’exemple de leurs aïeux : c’est là sa dernière exhortation et son vœu le plus cher. » (A. Hanotaux et A. Letourneux, La Kabylie et les coutumes kabyles, 1873, tome 2, Droit civil, pp. 468-473.) Les auteurs ont le front de faire précéder cette description du commentaire suivant : « Dans la ruche laborieuse de la famille associée tous sont réunis dans un but commun, tous travaillent dans un intérêt général mais nul n’abdique sa liberté et ne renonce à ses droits héréditaires. Chez aucune nation on ne trouve de combinaison qui soit plus près de l’égalité et plus loin du communisme ! »
[2] « Nous devons nous hâter – déclara le député Didier, rapporteur de la Commission à une séance de la Chambre en 1851 – de dissoudre les associations familiales, car elles sont le levier de toute opposition contre noire domination. »
[3] Cité par Kowalesky, op. cit., p. 217. Comme on le sait, il est d’usage en France, depuis la Révolution de stigmatiser toute opposition au gouvernement comme une apologie ouverte ou indirecte du « féodalisme ».
[4] Cf. G. K. Anton, Neuere Agrarpolitik in Algerien und Tunesien, Jahrbuch für Gesetzgebung, Verwaltung und Volkswirtschaft, 1900, p. 1341 et suiv.
[5] Dans son discours du 20 juillet 1912 devant la Chambre des Députés, le rapporteur de la commission pour la réforme de l’indigénat (c’est-à-dire de la justice administrative) en Algérie, Albin Rozet, lit état de l’émigration de milliers d’Algériens dans le district de Sétif. Il rapporta que l’année précédente, en un mois, 1 200 indigènes avaient émigré de Tlemcen. Le but de l’émigration est la Syrie. Un émigrant écrivait de sa nouvelle patrie : « Je me suis établi maintenant à Damas et je suis parfaitement heureux. Nous sommes ici, en Syrie, de nombreux Algériens, émigrants comme moi ; le gouvernement nous donne une terre ainsi que les moyens de la cultiver. » Le gouvernement d’Algérie lutte contre l’émigration de la manière suivante : il refuse les passeports (voir le Journal Officiel du 21 mai 1912, p. 1594 et suiv.).
jeudi 27 janvier 2011
Au 40ème jour de la révolution tunisienne
26 janvier par Fathi Chamkhi
Présentation (JLR) : Fathi Chamkhi a eu la gentillesse de me communiquer ces informations que vous pouvez retrouver sur son site (j'ai validé son commentaire qui reproduit ce texte, mais de crainte que vous ne le lisiez point, je vous le mets sous le nez). J’ai ajouté des prises de position saluant le peuple tunisien. Je ne suis pas d’accord avec le qualificatif de révolution bien évidemment puisque révolution signifie mise à bas de l’Etat bourgeois, désarmement des forces armées de la bourgeoisie, élection de conseils de travailleurs et armement du prolétariat. Le camarade Fathi qui milite apparemment dans les rangs d’Attac semble avoir des illusions sur la capacité de restauration bourgeoise soft du syndicat collabo UGTT. Mais rien ne nous empêche de confronter nos infos et opinions. Je persiste, quitte à passer pour mauvais coucheur, à réaffirmer avec Rosa Luxemburg et Paul Mattick, que la solution n’est pas en Tunisie, mais dans ce vent chaud qui se lève d’Egypte au Yémen, et je l’espère profondément de l’Algérie à la France. Nous avons des solutions internationalistes en dehors des ornières nationales. J’espère que partira de Tunisie un appel au prolétariat international pour affirmer que :
- Les prolétaires n’ont pas de patrie ni de religion,
- Ni modèle oligarchique occidental, ni modèle islamo-fasciste, VIVE LES CONSEILS DE PROLETAIRES ! BRISONS LES FRONTIERES !
Chers ami-e-s,
Voici la situation politique en Tunisie le mercredi 26 janvier 2011 à 17h30
Coté contre révolution
1. Des milices du RCD ont attaqué hier les sièges de l’UGTT de Gafsa et de Sousse.
Aujourd’hui, ce fut le tour de celui du Kef, notamment.
2. Des pro gouvernementaux ont organisé des petits rassemblements, pour réclamer le retour au travail, contre, je cite ‘la paresse’ et pour dire non au ‘désordre’…
3. Le GUN hésite à annoncer le remaniement qu’il a annoncé pour hier, puis pour aujourd’hui… Il semblerait que le bâtonnier de l’ordre des avocats Kilani ait demandé au GUN de patienter afin de voir ce que vont donner les pourparlers qui se déroulent sous l’égide de l’UGTT.
Coté révolution
1. Poursuite des grèves pour exiger la dissolution du ‘Gouvernement d’unité nationale’ (GUN) et le RCD et pour la constitution d’un ‘gouvernement provisoire’ représentatif de la révolution :
Grève générale régionale dans 5 gouvernorats (départements) dont Sfax, deuxième ville de Tunisie.
Demain, Sidi Bouzid sera en grève générale
Demain aussi, grève générale nationale dans l’enseignement secondaire.
2. Manifs :
Les manifs continuent un peu partout. A Tunis, le palais du 1er ministre est toujours en état de siège. Des tentes, représentant diverses villes révolutionnaires, sont plantées par les participants, des ‘caravanes de la liberté’ dans la place d’El Kasba, siège du 1er ministre. En outre, l’approvisionnement, de ces milliers de manifestants, qui ont déjà passé 3 nuits à la belle étoile avec une température minimale de 8°, est assuré par une multitude de citoyens qui n’ont pas cessé de faire le va-et-vient pour pourvoir aux besoins vitaux de ce campement en eau et en nourriture. Il constitue, tout le monde l’a bien compris, la garde révolutionnaire des acquis de la révolution. Certains citoyens font même des dizaines de km pour leur apporter des provisions sous forme de packs de laits ou/et de packs d’eau, de sandwichs, de plats cuisinés bien chauds, de jus, de café…
3. Sur le plan du gouvernement de la révolution :
La réunion d’aujourd’hui, des différentes composantes politiques et civiles et professionnelles, hors patronat et RCD, ont abouti à deux positions :
ü Celle de l’ordre des avocats, avec semble-t-il une recomposition du GUN avec maintien de Ghannouchi. Il semble aussi que le GUN, est prêt à de nouvelles concessions et souhaiterait, selon des bruits ‘des sources bien informées’ en plus de Ghannouchi les deux ministres actuel de l’industrie (Jouini) et Chelbi (ministre ?)
ü Une deuxième proposition, a été formulée, à propos de laquelle j’ai beaucoup plus de détails parce que j’en fais partie, et qui émane du ‘Front du 14 janvier’ qui est constitué des diverses constituantes de la gauche radicale et des nationalistes, en résumé cette proposition propose :
La convocation d’un ‘congrès national pour la défense de la révolution’, qui sera composé de toutes les sensibilités politiques, les associations, les corps professionnels (avocats, juges, médecins, journalistes, artistes…), des représentants des comités locaux et régionaux de défense de la révolution, des personnalités indépendantes, sans le patronat ni le RCD et les ex membres du gvt Ben Ali.
La reconnaissance du président par intérim en tant que ‘garant de la continuité de l’Etat’ mais aussi ‘source de légitimité pour le gouvernement de transition’ !!!!
Dissolution du GUN
Constitution d’un Gvt provisoire
Principe de souveraineté populaire
Assemblée constituante…
La Commission administrative de l’UGTT va se réunir demain pour étudier les deux propositions, et afin de réagir par rapport à la campagne anti-UGTT, notamment, les agressions des milices RCD contre certains de ses locaux régionaux.
Toutes les composantes se sont donné de nouveau un rendez-vous pour jeudi 28 janvier afin de tenter de sortir avec une position unitaire.
Fathi Chamkhi
http://www.cadtm.org/Au-40eme-jour-de-la-revolution
Peuple tunisien : merci !!
23 janvier par Jawad Moustakbal
Le soir du 14 janvier, au moment où je regardais les informations sur la télé et la reprise du discours de l’ex-président tunisien où il empruntait le fameux “je vous ai compris” du Général de Gaulle, je me suis dit que c’est, encore une fois, une sale manœuvre pour faire calmer les protestataires et étouffer cette révolution extraordinaire du peuple tunisien. Ma méconnaissance de l’état des lieux en Tunisie, la force de sa jeunesse et sa détermination était certainement à l’origine de mes craintes, puisque avant même la fin de ce journal d’information, on nous informe que le “grand” dictateur, qui faisait trembler presque tout le monde en Tunisie, a pris la fuite comme un petit lâche voyou.
Un mouvement principalement contre la “HOGRA”
“HOGRA” politique
Si le jeune tunisien devenu martyr et héros national, Mohamed ELBOUAZIZI, a pris cette décision suicidaire de s’immoler c’est surtout contre la HOGRA qu’il a senti des représentants de ce régime répressif. Habitant à Sidi Bouzid, ville de 40 000 habitants située dans le centre-ouest de la Tunisie, Mohamed Bouazizi a dû arrêter ses études secondaires après la mort anticipée de son père qui était ouvrier agricole. En vendeur ambulant de fruits et de légumes, il a pris la lourde responsabilité d’une famille de 7 enfants. À l’image de ses confrères dans toute la région maghrébine, Mohamed se fait régulièrement confisquer sa marchandise par les policiers, insulter et humilier à chaque fois qu’il essaye de la restituer. Ce jour-là, il en avait assez !
Si les contestations, qui ont débutées par des dizaines de manifestants dans cette petite localité, se sont élargies à des milliers de protestants un peu partout dans le pays, c’est que tout le peuple tunisien, avec ses femmes et ses hommes, jeunes et moins jeunes, s’est identifié à Mohamed ELBOUAZIZI et avait envie de dire « BASTA » : ça suffit !
23 ans de dictature : ça suffit !, 23 ans d’humiliation : ça suffit !, 23 ans d’état d’exception où une simple réunion, un sit-in, une manifestation sont réprimés dans le sang et l’exemple du bassin minier de Rdayef et plus qu’éloquent !
“HOGRA” économique
Si les IFI, et à leur tête la BM et le FMI, ne manquent pas l’occasion pour présenter la Tunisie comme un modèle à suivre pour les pays de la région, le peuple tunisien a souffert longtemps de cette mafia économique autour du président déchu et sa femme. Au moment où la bourgeoisie tunisienne accumulaient les richesses, les jeunes avaient de plus en plus de difficultés à trouver un emploi stable et digne.
Une révolution au bon moment
Cette révolution vient pour rappeler que l’histoire de cette région maghrébine n’est pas encore finie et qu’elle sera écrite et inventée par ces militantes et militants, ces femmes et ces hommes humbles, appauvris, réprimés mais toujours fiers. La révolution n’est plus aujourd’hui un mythe ou un vœux pieux, avec le nouveau modèle tunisien, elle est redevenue possible, voire nécessaire pour l’émancipation de tous les peuples de la région.
Avec la lutte du peuple tunisien le mot “Révolution” redevient d’actualité, retrouve toute sa force, ce n’est plus un tabou réservé, comme on essayait de le présenter, à une poignée de nostalgiques rêveurs dont nous faisons partie… le mot a été démocratisé et réapproprié par le peuple…
Avec votre lutte, chères sœurs et chers frères tunisiens, la jeunesse a retrouvé sa vraie place au devant de la scène politique, la vraie politique, une politique qui s’exerce sur le terrain chaque jour et partout, dans la rue comme dans les institutions, et non pas les caricatures des élections auxquelles on nous invite chaque 5 ans !!
Avec votre révolution, chers sœurs et frères tunisiens nous avons retrouvé une boussole dont nous avions tant besoin pour guider nos lutte vers notre émancipation totale politique, économique et culturelle en tant que peuples.
Avec votre révolution, nos espoirs renaissent, nous renouons avec nos rêves, et nous rechargeons nos batteries pour continuer notre lutte.
Chers frères et sœurs tunisiens : merci !
En espérant que vous meniez votre révolution jusqu’au bout et que nous commencions la nôtre !
Jawad – 18-01-2011
Présentation (JLR) : Fathi Chamkhi a eu la gentillesse de me communiquer ces informations que vous pouvez retrouver sur son site (j'ai validé son commentaire qui reproduit ce texte, mais de crainte que vous ne le lisiez point, je vous le mets sous le nez). J’ai ajouté des prises de position saluant le peuple tunisien. Je ne suis pas d’accord avec le qualificatif de révolution bien évidemment puisque révolution signifie mise à bas de l’Etat bourgeois, désarmement des forces armées de la bourgeoisie, élection de conseils de travailleurs et armement du prolétariat. Le camarade Fathi qui milite apparemment dans les rangs d’Attac semble avoir des illusions sur la capacité de restauration bourgeoise soft du syndicat collabo UGTT. Mais rien ne nous empêche de confronter nos infos et opinions. Je persiste, quitte à passer pour mauvais coucheur, à réaffirmer avec Rosa Luxemburg et Paul Mattick, que la solution n’est pas en Tunisie, mais dans ce vent chaud qui se lève d’Egypte au Yémen, et je l’espère profondément de l’Algérie à la France. Nous avons des solutions internationalistes en dehors des ornières nationales. J’espère que partira de Tunisie un appel au prolétariat international pour affirmer que :
- Les prolétaires n’ont pas de patrie ni de religion,
- Ni modèle oligarchique occidental, ni modèle islamo-fasciste, VIVE LES CONSEILS DE PROLETAIRES ! BRISONS LES FRONTIERES !
Chers ami-e-s,
Voici la situation politique en Tunisie le mercredi 26 janvier 2011 à 17h30
Coté contre révolution
1. Des milices du RCD ont attaqué hier les sièges de l’UGTT de Gafsa et de Sousse.
Aujourd’hui, ce fut le tour de celui du Kef, notamment.
2. Des pro gouvernementaux ont organisé des petits rassemblements, pour réclamer le retour au travail, contre, je cite ‘la paresse’ et pour dire non au ‘désordre’…
3. Le GUN hésite à annoncer le remaniement qu’il a annoncé pour hier, puis pour aujourd’hui… Il semblerait que le bâtonnier de l’ordre des avocats Kilani ait demandé au GUN de patienter afin de voir ce que vont donner les pourparlers qui se déroulent sous l’égide de l’UGTT.
Coté révolution
1. Poursuite des grèves pour exiger la dissolution du ‘Gouvernement d’unité nationale’ (GUN) et le RCD et pour la constitution d’un ‘gouvernement provisoire’ représentatif de la révolution :
Grève générale régionale dans 5 gouvernorats (départements) dont Sfax, deuxième ville de Tunisie.
Demain, Sidi Bouzid sera en grève générale
Demain aussi, grève générale nationale dans l’enseignement secondaire.
2. Manifs :
Les manifs continuent un peu partout. A Tunis, le palais du 1er ministre est toujours en état de siège. Des tentes, représentant diverses villes révolutionnaires, sont plantées par les participants, des ‘caravanes de la liberté’ dans la place d’El Kasba, siège du 1er ministre. En outre, l’approvisionnement, de ces milliers de manifestants, qui ont déjà passé 3 nuits à la belle étoile avec une température minimale de 8°, est assuré par une multitude de citoyens qui n’ont pas cessé de faire le va-et-vient pour pourvoir aux besoins vitaux de ce campement en eau et en nourriture. Il constitue, tout le monde l’a bien compris, la garde révolutionnaire des acquis de la révolution. Certains citoyens font même des dizaines de km pour leur apporter des provisions sous forme de packs de laits ou/et de packs d’eau, de sandwichs, de plats cuisinés bien chauds, de jus, de café…
3. Sur le plan du gouvernement de la révolution :
La réunion d’aujourd’hui, des différentes composantes politiques et civiles et professionnelles, hors patronat et RCD, ont abouti à deux positions :
ü Celle de l’ordre des avocats, avec semble-t-il une recomposition du GUN avec maintien de Ghannouchi. Il semble aussi que le GUN, est prêt à de nouvelles concessions et souhaiterait, selon des bruits ‘des sources bien informées’ en plus de Ghannouchi les deux ministres actuel de l’industrie (Jouini) et Chelbi (ministre ?)
ü Une deuxième proposition, a été formulée, à propos de laquelle j’ai beaucoup plus de détails parce que j’en fais partie, et qui émane du ‘Front du 14 janvier’ qui est constitué des diverses constituantes de la gauche radicale et des nationalistes, en résumé cette proposition propose :
La convocation d’un ‘congrès national pour la défense de la révolution’, qui sera composé de toutes les sensibilités politiques, les associations, les corps professionnels (avocats, juges, médecins, journalistes, artistes…), des représentants des comités locaux et régionaux de défense de la révolution, des personnalités indépendantes, sans le patronat ni le RCD et les ex membres du gvt Ben Ali.
La reconnaissance du président par intérim en tant que ‘garant de la continuité de l’Etat’ mais aussi ‘source de légitimité pour le gouvernement de transition’ !!!!
Dissolution du GUN
Constitution d’un Gvt provisoire
Principe de souveraineté populaire
Assemblée constituante…
La Commission administrative de l’UGTT va se réunir demain pour étudier les deux propositions, et afin de réagir par rapport à la campagne anti-UGTT, notamment, les agressions des milices RCD contre certains de ses locaux régionaux.
Toutes les composantes se sont donné de nouveau un rendez-vous pour jeudi 28 janvier afin de tenter de sortir avec une position unitaire.
Fathi Chamkhi
http://www.cadtm.org/Au-40eme-jour-de-la-revolution
Peuple tunisien : merci !!
23 janvier par Jawad Moustakbal
Le soir du 14 janvier, au moment où je regardais les informations sur la télé et la reprise du discours de l’ex-président tunisien où il empruntait le fameux “je vous ai compris” du Général de Gaulle, je me suis dit que c’est, encore une fois, une sale manœuvre pour faire calmer les protestataires et étouffer cette révolution extraordinaire du peuple tunisien. Ma méconnaissance de l’état des lieux en Tunisie, la force de sa jeunesse et sa détermination était certainement à l’origine de mes craintes, puisque avant même la fin de ce journal d’information, on nous informe que le “grand” dictateur, qui faisait trembler presque tout le monde en Tunisie, a pris la fuite comme un petit lâche voyou.
Un mouvement principalement contre la “HOGRA”
“HOGRA” politique
Si le jeune tunisien devenu martyr et héros national, Mohamed ELBOUAZIZI, a pris cette décision suicidaire de s’immoler c’est surtout contre la HOGRA qu’il a senti des représentants de ce régime répressif. Habitant à Sidi Bouzid, ville de 40 000 habitants située dans le centre-ouest de la Tunisie, Mohamed Bouazizi a dû arrêter ses études secondaires après la mort anticipée de son père qui était ouvrier agricole. En vendeur ambulant de fruits et de légumes, il a pris la lourde responsabilité d’une famille de 7 enfants. À l’image de ses confrères dans toute la région maghrébine, Mohamed se fait régulièrement confisquer sa marchandise par les policiers, insulter et humilier à chaque fois qu’il essaye de la restituer. Ce jour-là, il en avait assez !
Si les contestations, qui ont débutées par des dizaines de manifestants dans cette petite localité, se sont élargies à des milliers de protestants un peu partout dans le pays, c’est que tout le peuple tunisien, avec ses femmes et ses hommes, jeunes et moins jeunes, s’est identifié à Mohamed ELBOUAZIZI et avait envie de dire « BASTA » : ça suffit !
23 ans de dictature : ça suffit !, 23 ans d’humiliation : ça suffit !, 23 ans d’état d’exception où une simple réunion, un sit-in, une manifestation sont réprimés dans le sang et l’exemple du bassin minier de Rdayef et plus qu’éloquent !
“HOGRA” économique
Si les IFI, et à leur tête la BM et le FMI, ne manquent pas l’occasion pour présenter la Tunisie comme un modèle à suivre pour les pays de la région, le peuple tunisien a souffert longtemps de cette mafia économique autour du président déchu et sa femme. Au moment où la bourgeoisie tunisienne accumulaient les richesses, les jeunes avaient de plus en plus de difficultés à trouver un emploi stable et digne.
Une révolution au bon moment
Cette révolution vient pour rappeler que l’histoire de cette région maghrébine n’est pas encore finie et qu’elle sera écrite et inventée par ces militantes et militants, ces femmes et ces hommes humbles, appauvris, réprimés mais toujours fiers. La révolution n’est plus aujourd’hui un mythe ou un vœux pieux, avec le nouveau modèle tunisien, elle est redevenue possible, voire nécessaire pour l’émancipation de tous les peuples de la région.
Avec la lutte du peuple tunisien le mot “Révolution” redevient d’actualité, retrouve toute sa force, ce n’est plus un tabou réservé, comme on essayait de le présenter, à une poignée de nostalgiques rêveurs dont nous faisons partie… le mot a été démocratisé et réapproprié par le peuple…
Avec votre lutte, chères sœurs et chers frères tunisiens, la jeunesse a retrouvé sa vraie place au devant de la scène politique, la vraie politique, une politique qui s’exerce sur le terrain chaque jour et partout, dans la rue comme dans les institutions, et non pas les caricatures des élections auxquelles on nous invite chaque 5 ans !!
Avec votre révolution, chers sœurs et frères tunisiens nous avons retrouvé une boussole dont nous avions tant besoin pour guider nos lutte vers notre émancipation totale politique, économique et culturelle en tant que peuples.
Avec votre révolution, nos espoirs renaissent, nous renouons avec nos rêves, et nous rechargeons nos batteries pour continuer notre lutte.
Chers frères et sœurs tunisiens : merci !
En espérant que vous meniez votre révolution jusqu’au bout et que nous commencions la nôtre !
Jawad – 18-01-2011
mercredi 26 janvier 2011
Nationalisme et socialisme
Par Paul Mattick(1959)
Qu’elles soient soudées par l’idéologie, par les conditions objectives ou par la combinaison habituelle des deux, les Nations sont des produits d’un développement social. Il n’y a pas plus de raison ni de chérir ou de maudire le tribalisme ou, pour la même raison, un cosmopolitisme idéal. La nation est un fait pour ou contre lequel on lutte, suivant les circonstances historiques et leurs implications pour les populations et, à l’intérieur de ces populations pour les différentes classes.
L’État national moderne est à la fois produit et condition du développement capitaliste. Le capitalisme tend à détruire les traditions et les particularités nationales en étendant son mode de production partout dans le monde. Cependant, quoique la production mondiale, et quoique le « vrai » marché capitaliste soit le marché mondial, le capitalisme surgit dans certaines nations plus tôt que dans d’autres, trouva des conditions plus favorables dans certains endroits, y réussit mieux, et combina ainsi des intérêts capitalistes spéciaux avec des besoins nationaux particuliers. « Les nations progressives » du dernier siècle furent celles où se produisit un développement capitaliste rapide ; « les nations réactionnaires » furent celles où les rapports sociaux entravèrent le développement du mode capitaliste de production. Parce que le « proche avenir » appartenait au capitalisme, et, parce que le capitalisme est la condition préalable du socialisme, les socialistes non-utopistes favorisèrent le capitalisme comme opposé aux vieux rapports sociaux de production, et saluèrent le nationalisme dans la mesure où il pouvait hâter le développement capitaliste. Sans l’admettre ouvertement, ils n’étaient pourtant pas loin d’accepter l’impérialisme capitaliste comme moyen d’en finir avec la stagnation et le retour des contrées non-capitalistes, d’orienter ainsi leur développement dans des voies progressives. Ils étaient favorables aussi à la disparition des petites nations incapables de développer l’économie sur une grande échelle, et à leur absorption par des entités nationales plus larges, capables de développement capitaliste. Ils soutenaient cependant les petites «nations progressives » contre les grands pays réactionnaires et si elles étaient absorbées par ces derniers, firent cause commune avec les mouvements de libération nationale.
A aucun moment et en aucune occasion cependant, le nationalisme n’était considéré comme objectif socialiste ; il n’était accepté que comme instrument d’un progrès social qui, ensuite, aboutirait finalement à l’internationalisme socialiste. Le « monde capitaliste » du siècle dernier, c’était le capitalisme occidental. La question nationale se posait à propos de l’unification de pays comme l’Allemagne et l’Italie, de la libération de nations opprimées comme l’Irlande, la Pologne, la Hongrie, la Grèce et de la consolidation d’Etats «synthétiques» comme les Etats-Unis. C’était aussi le monde du socialisme, un monde limité, vu du XXème siècle. Alors que les questions nationales qui agitaient le mouvement socialiste au mi¬lieu du XIXème siècle étaient ou bien résolues, ou bien en voie de l’être et avaient en tout ca cessé d’avoir une réelle importance pour le socialisme occidental, le mouvement révolutionnaire du XXème siècle, élargi au monde entier, posait de nouveau la question du nationalisme.
Ce nouveau nationalisme, qui secoue la domination occidentale et institue les rapports de production capitaliste et l’industrie moderne dans des régions encore sous-développées, est-il toujours une force « progressive » comme l’était le nationalisme d’antan ? Ces aspirations nationales coïncident-elles en quoique ce soit avec les aspirations socialistes ? Hâtent-elles la fin du capitalisme en affaiblissant l’impérialisme occidental ou bien injectent-elles une vie nouvelle au capitalisme en étendant au globe entier son mode de production ?
La position du socialisme du XIXème siècle, vis à vis du nationalisme ne consistait pas seulement à préférer le capitalisme à des systèmes sociaux plus statiques. Les socialistes intervenaient dans les révolutions démocratico bourgeoises qui étaient aussi nationalistes ; ils appuyaient les mouvements de libération nationale des peuples opprimés parce qu’ils se présentaient sous des formes démocratico-bourgeoises, parce qu’aux yeux des socialistes, ces révolutions nationales démocratico-bourgeoises n’étaient plus des révolutions strictement capitalistes. Elles pourraient être utilisées, sinon à installer le socialisme lui-même, du moins à favoriser la croissance de mouvements socialistes et à lui assurer de meilleures conditions.
Cependant, à la fin du siècle, c’est l’impérialisme, non le nationalisme, qui était à l’ordre du jour. Les intérêts allemands « nationaux » étaient devenus des intérêts impérialistes rivalisant avec les impérialismes d’autres pays. Les intérêts «nationaux » français étaient ceux de l’empire français, comme ceux de Grande Bretagne étaient ceux de l’empire britannique. Le contrôle du monde et le partage de ce contrôle entre les grandes puissances impérialistes déterminaient des politiques « nationales ». Les guerres « nationales » étaient des guerres impérialistes culminant en guerres mondiales.
On considère généralement que la situation russe, au commencement du XXème siècle, était en bien des points similaire à la situation révolutionnaire de l’Europe occidentale du milieu du XIXème siècle. L’attitude positive des premiers socialistes à l’égard des révolutions nationales bourgeoises s’appuyait sur l’espoir, sinon sur la conviction, que l’élément prolétarien, dans ces révolutions, dépasserait le but limité de la bourgeoisie. Pour Lénine, la bourgeoisie russe n’était plus capable d’accomplir sa propre révolution démocratique de sorte que la classe ouvrière était appelée à accomplir la révolution bourgeoise et la révolution prolétarienne à travers une série de changements sociaux qui constitueraient une « révolution permanente ». En un sens, la nouvelle situation semblait répéter sur une plus grandiose échelle, la situation révolutionnaire de 1848. Au lieu des alliances d’autrefois, limitées et temporaires, entre mouvements démocratico-bourgeois et internationalisme prolétarien, il existait maintenant à l’échelle mondiale, un ensemble de forces révolutionnaires de caractère à la fois social et national, qui devraient être entraînés au-delà de leurs objectifs restreints vers des fins prolétariennes.
Un socialisme international consistant, comme celui de Rosa Luxembourg, par exemple, s’opposait à « l’autodétermination nationale » des Bolcheviques. Pour elle, l’existence de gouvernements nationaux indépendants n’altérerait pas le fait qu’ils seraient contrôlés par les puissances impérialistes puisque ces dernières dominaient l’économie mondiale. Jamais on ne pourrait lut¬ter contre le capitalisme impérialiste, ni l’affaiblir, en créant de nouvelles nations : mais seulement en opposant au supra-nationalisme capitaliste l’internationalisme prolétarien. Naturellement, l’internationalisme prolétarien ne peut empêcher et n’a aucune raison d’empêcher les mouvements de libération nationale contre la domination impérialiste. Ces mouvements appartiennent à la société capitaliste, exactement comme son impérialisme. Mais « utiliser » ces mouvements nationaux pour des buts socialistes ne pouvait signifier autre chose que les débarrasser de leur caractère nationaliste et les transformer en mouvements socialistes, orientés vers l’internationalisme.
La première guerre mondiale produisit la Révolution russe, et, quelles qu’aient été ses intentions primitives, elle fut et resta une révolution nationale. Bien qu’elle attendit de l’aide de l’étranger elle n’en apporta jamais aux forces révolutionnaires de l’extérieur, excepté lors-que cette aide lui fut dictée par les intérêts russes nationaux. La 2ème guerre mondiale et ses séquelles amena l’indépendance pour l’Inde et le Pakistan, la Révolution chinoise, la libération de l’Asie du Sud-Est, et l’autodétermination pour quelques nations d’Afrique et du Moyen-Orient. A première vue, cette renaissance du nationalisme contredit à la fois la position de R. Luxembourg et celle de Lénine, sur la "question nationale" . Apparemment, l’époque de l’émancipation nationale n’est pas terminée, et il est évident que le courant de plus en plus fort contre l’impérialisme ne sert pas les fins socialistes révolutionnaires à l’échelle mondiale.
Ce que révèle réellement ce nouveau nationalisme, ce sont les changements structurels de l’économie capitaliste mondiale et la fin du colonialisme du XIXème siècle. Le « fardeau de l’homme blanc » est devenu un fardeau réel au lieu d’une aubaine. Les profits de la domination coloniale diminuent tandis que le coût de l’empire augmente. Sans doute des individus, des corporations, et même des gouvernements, s’enrichissent encore par l’exploitation coloniale. Mais ceci n’est plus dû qu’à des conditions spéciales, contrôle de ressources pétrolières concentrées, découvertes de grands gisements d’uranium, etc.. plutôt qu’au pouvoir général de faire des opérations profitables dans les colonies et autres contrées dépendantes. Les taux de profit exceptionnels d’autrefois sont tombés aujourd’hui au niveau de taux de profit « normal « . Lorsque le profit reste exceptionnellement élevé, c’est surtout dû aux subsides gouvernementaux. En général, le colonialisme ne paye plus, de sorte que, c’est en partie le principe du profit lui-même qui invite à reconsidérer le problème de la domination impérialiste.
Deux guerres mondiales ont plus ou moins détruit les vieilles puissances impérialistes. Mais elles n’ont pas amené la fin de l’impérialisme qui, tout en prenant de nouvelles formes et expressions, maintient le contrôle économique et politique des nations fortes sur les faibles. Un impérialisme indirect paraît plus riche en pro¬messes que le colonialisme du XIXème siècle ou sa renaissance tardive dans la politique russe des satellites. Naturellement, l’une n’exclut pas l’autre, et on voit des considérations stratégiques réelles ou imaginaires porter les Etats-Unis à contrôler Okinaya, et l’Angle¬terre, Chypre. Mais en général, un contrôle indirect peut être supérieur à un contrôle direct, de même que le système du travail salarié s’est montré supérieur au travail des esclaves. Seule dans l’hémisphère Ouest, l’Amérique n’a pas été une puissance impérialiste dans le sens traditionnel. Elle s’est assurée le bénéfice du contrôle impérial, plus par la «diplomatie du dollar » que par l’intervention militaire directe. En tant que puissance capitaliste la plus forte, l’Amérique espère dominer à sa manière les régions non soviétiques du monde.
Aucune des puissances européennes n’est de force aujourd’hui à s’opposer à la dissolution complète de son empire, si ce n’est avec l’aide américaine. Mais cette aide soumet ces nations tout comme leurs possessions étrangères, à la pénétration et au contrôle américains. Héritant de ce qu’abandonne l’impérialisme et son déclin, les Etats-Unis n’éprouvent pas le besoin de voler au secours de l’impérialisme ouest-européen à moins qu’un tel secours ne frustre le bloc oriental. «L’anticolonialisme » n’est pas une politique américaine délibérément voulue pour affaiblir les alliés occidentaux , — bien qu’en fait elle les affaiblisse — mais a été choisie dans la perspective de renforcer le » mon¬de libre « . Il est certain que cette perspective compréhensive, couvre de nombreux intérêts spéciaux plus étroits, ce qui donne à « l’anti-impérialisme » américain son caractère hypocrite et conduit à penser qu’en s’opposant à l’impérialisme des autres nations, l’Amérique développe le sien.
Privés de possibilités impérialistes, l’Allemagne, l’Italie et le Japon, n’ont plus de politique indépendante. Le déclin progressif des Empires français et britannique a fait de ces nations des puissances de second ordre. En même temps, les aspirations nationales des régions moins développées et plus faibles, ne peuvent se réaliser que si elles entrent dans les plans de conquête des impérialismes dominants. Quoique la Russie et les Etats-Unis se partagent la suprématie mondiale, des pays moins importants s’efforcent néanmoins de défendre leurs intérêts spécifiques et d’influencer quelque peu la politique des super-grands. L’opposition et les contradictions internationales de ces deux grands rivaux permettent aussi à des nations nouvellement apparues comme la Chine et l’Inde, un degré d’indépendance qu’elles n’auraient pu atteindre sans cela. Sous le cou¬vert de la neutralité, une petite nation comme la Yougoslavie par exemple peut quitter un bloc de puissances pour retourner à l’autre. Les pays indépendants moins faibles peuvent soutenir leur indépendance, comme on le voit, grâce uniquement au conflit majeur entre la Russie et les Etats-Unis.
L’érosion de l’impérialisme occidental, dit-on, crée un vide du pouvoir dans les régions jusqu’alors subjuguées. Si le vide n’est pas comblé par l’Ouest, il le sera par la Russie. Bien sûr, ni les représentants du » nouveau nationalisme » ni ceux du « vieil impérialisme » ne comprennent cette sorte d’affirmation, puisque le nationalisme se substitue à l’impérialisme, aucun vide ne se produit. Ce qu’il faut entendre par « vide » c’est que « l’auto-détermination nationale » des pays sous-développés les laisse à la merci d’une « agression communiste » intérieure et extérieure, à moins que l’Ouest ne garantisse leur « indépendance ». En d’autres termes, l’auto-détermination nationale n’inclut pas le libre choix de ses alliés, quoiqu’elle implique parfois une préférence à l’égard de la « protection » des puissances occidentales.
« L’indépendance » de la Tunisie et du Maroc, par exemple, est reconnue aussi longtemps que l’indépen¬dance à l’égard de la France implique la loyauté, non envers la Russie, mais envers le Bloc occidental dominé par l’Amérique.
Dans la mesure où elle peut encore exercer dans le monde des deux blocs, l’auto-détermination nationale est une expression de la « guerre froide », une impasse politico-militaire. Mais la tendance du développement n’est pas vers un monde composé de nations nombreuses, chacune indépendante et vivant dans la sécurité, mais vers la désintégration des nations faibles, c’est-à-dire vers leur « intégration » à l’un ou à l’autre bloc. Sans doute, la lutte pour l’émancipation nationale à l’intérieur des rivalités impérialistes permet à certaines contrées d’exploiter la lutte pour le pouvoir entre l’Est et l’Ouest. Mais ce fait lui-même tend à limiter leurs aspirations nationales puisqu’un accord Ou une guerre, entre l’Est et l’Ouest mettrait fin à leurs possibilités de manœuvre entre les deux blocs. Et tandis que la Russie qui n’hésite pas à détruire tout essai de l’auto-détermination nationale réelle dans les pays qui sont sous son contrôle direct, est prête à appuyer toute auto-détermination nationale dirigée contre la domination occidentale, l’Amérique qui réclame l’auto-détermination pour les satellites de la Russie, n’hésite pas à pratiquer dans le Moyen-Orient ce qu’elle abhorre en Europe Orientale. En dépit des révolutions nationales et de l’auto-détermination, l’époque de l’émancipation nationale est pratiquement dépassée. Ces nations peuvent conserver une indépendance formelle ne les libérant pas de la domination économique et politique de l’Ouest. Elles ne peuvent échapper à cette suprématie qu’en acceptant celle de la Russie, en se plaçant à l’intérieur du bloc Oriental.
Les révolutions nationales dans les régions retardées du point de vue capitaliste, sont des essais de modernisation par l’industrialisation, soit qu’elles expriment simplement une opposition au capital étranger, soit qu’elles tendent à changer les rapport sociaux existants. Mais tandis que le nationalisme du XIXème siècle était un instrument de développement du capital privé, le nationalisme du XXème siècle est essentiellement un instrument de développement du capitalisme d’Etat. Et tandis que le nationalisme du siècle dernier, créait le libre marché mondial et le degré d’indépendance économique possible à l’intérieur du capitalisme privé, le nationalisme actuel, porte de nouveaux coups à un marché mondial déjà en voie de désagrégation et détruit ce degré d’intégration internationale « automatique » qu’avait engendré le mécanisme du marché libre.
Derrière les mouvements nationalistes, il y a, bien sûr, la pression de la pauvreté, qui devient de plus en plus explosive à mesure qu’augmente la différence entre nations pauvres et riches. La division internationale du travail telle qu’elle est déterminée par la formation du capital privé implique l’exploitation des contrées les plus pauvres par les plus riches et la concentration du capital dans les pays capitalistes avancés. Le nouveau nationalisme s’oppose à la concentration du capital dé¬terminée par le marché, de manière à assurer l’indutrialisation des pays sous-développés. Dans les conditions actuelles cependant, l’organisation de la production capitaliste sur un plan national augmente sa désorganisation à l’échelle mondiale. Aujourd’hui, entreprise privée et contrôle gouvernemental opèrent simultanément dans chaque pays capitaliste, et dans le monde entier. De sorte qu’existent côte à côte la concurrence générale la plus âpre, la subordination de la concurrence privée à la concurrence nationale la plus impitoyable, et la subordination de la concurrence nationale aux exigences supranationales de la politique des blocs.
A la base des aspirations nationales et des rivalités impérialistes, se trouve le besoin réel d’une organisation mondiale de la production et de la distribution, au profit de l’humanité dans son ensemble. Première¬ment, comme le géologue K. F. Mather l’a fait remarquer, parce que la « terre est faite beaucoup plus pour être occupée par des hommes organisés à l’échelle mondiale, pouvant pratiquer au maximum à travers le mon¬de entier le libre échange des matières premières et des produits finis, que par des hommes qui s’entêtent à élever des barrières entre régions, même si ces régions sont de grands pays ou des continents entiers ». Deuxièmement parce que la production sociale ne peut se développer pleinement, et libérer les hommes du besoin et de la misère que par la coopération internationale, sans égards aux intérêts nationaux particuliers. Le progrès du développement industriel est fondé sur l’interdépendance inévitable. Si elle n’est pas acceptée et utilisée à des fins humaines, une lutte interminable entre nation, pour la domination impérialiste, produira par suite de l’incapacité à réaliser à l’échelle internationale ce qui a été réalisé ou est en voie de l’être sur le plan natio¬nal : l’élimination partielle ou totale de la compétition capitaliste.
Malgré l’élimination du capital privé ou sa règlementation restrictive, les antagonismes de classe subsistent dans tous les pays, par suite, la nationalisation du capital ayant laissé intacts les rapports de classes, il est impossible d’échapper à la compétition internationale ; la défense d’un pays et sa force croissante signifie en réalité la défense et la reproduction de nouveaux groupes dirigeants. « L’amour de la patrie socialiste » dans les pays communistes, le désir de se faire une place comme on le voit dans les pays de gouvernements à économie « socialiste » et l’auto-détermination nationale, dans les contrées autrefois subjuguées, signifie l’existence et la montée de nouvelles classes dominantes liées à l’existence de l’Etat national.
Alors qu’une attitude positive à l’égard du nationalisme trahit un manque d’intérêt pour le socialisme, la position socialiste sur le nationalisme est manifestement inefficace tout comme les pays qui en oppriment d’autres. Une position anti-nationaliste intransigeante semble, tout au moins indirectement, appuyer l’impérialisme. Cependant, l’impérialisme fonctionne grâce à ses propres ressorts, indépendamment des attitudes socialistes à l’égard du nationalisme. Bien plus, les socialistes n’ont pas pour rôle de fomenter les luttes pour l’autonomie nationale; comme l’ont démontré les mouvements de « libération » qui ont surgi dans le sillage de la seconde guerre mondiale. Contrairement aux espoirs d’autrefois, le nationalisme ne put être utilisé à des fins socialistes et il ne fut pas un bon moyen stratégique pour hâter la fin du capitalisme.
Au contraire, le nationalisme détruisit le socialisme, en l’utilisant à des fins nationalistes.
Ce n’est pas le rôle du socialisme de soutenir le nationalisme, même quand celui-ci combat l’impérialisme. Combattre l’impérialisme sans affaiblir simultané¬ment le nationalisme, ce n’est autre chose que combattre certains impérialistes et en appuyer d’autres, car le nationalisme est nécessairement impérialiste ou illusoire. Appuyer le nationalisme arabe, c’est s’opposer au nationalisme juif ; appuyer ce dernier, c’est lutter contre le premier, car il est impossible de soutenir un nationalisme sans soutenir aussi des rivalités nationales, l’impérialisme et la guerre. Etre un bon nationaliste indien, c’est combattre le Pakistan ; être un vrai pakistanais, c’est détester l’Inde. Ces deux pays récemment « libérés » se préparent à la lutte pour des territoires litigieux et soumettent leur développement à l’action destructive de l’économie de guerre capitaliste.
Et ainsi de suite : « libérer Chypre de la domination anglaise tend seulement à ouvrir une nouvelle bataille pour Chypre entre Grecs et Turcs et ne supprime pas le contrôle occidental sur la Turquie et la Grèce. « Libérer » la Pologne de la domination russe peut mener à une guerre avec l’Allemagne pour la « libération » des provinces allemandes aujourd’hui dominées par la Pologne, puis à de nouvelles luttes polonaises pour les territoires pris par l’Allemagne. Une indépendance réel¬le de la Tchécoslovaquie rouvrirait certainement la lutte pour la région des Sudètes, lutte qui entraînerait à son tour la lutte pour l’indépendance tchécoslovaque, et peut-être pour celle des Slovaques désireux de se séparer des Tchèques.
Avec qui faut-il être ? Avec les Algériens contre les Français ? Avec les Juifs ? Avec les Arabes ? Avec les deux ? Où les juifs iront-ils pour faire place aux Arabes ? Que feront les réfugiés arabes pour cesser d’être un « mal » pour les Juifs ? Que faire d’un million de colons français menacés d’expropriation et d’expulsion quand la libération algérienne sera accomplie? Des questions semblables se posent partout. ; les Juifs y répondent pour les Juifs, les Arabes pour les Arabes, les Algériens pour les Algériens, les Français pour les Français, les Polonais pour les Polonais, et ainsi de suite, de sorte qu’elles demeurent non résolues et insolubles. Si utopique que puisse paraître la recherche d’une solidarité internationale dans cette mêlée des antagonismes nationaux et impérialistes, aucune autre route ne semble ouverte pour échapper aux luttes fratricides et parvenir à une société mondiale rationnelle.
Bien que les sympathies socialistes soient avec les opprimés, elles visent non les nationalismes qui surgis¬sent doublement mais la condition des opprimés qui affrontent à la fois une classe de dirigeants indigènes et de dirigeants étrangers. Leurs aspirations nationales sont en partie des aspirations « socialistes » puisqu’elles renferment l’espérance illusoire des populations appauvries qui croient qu’elles amélioreront leurs conditions par l’indépendance nationale. L’auto-détermination nationale n’a pas émancipé les classes laborieuses des pays avancés. Elle ne le fera pas non plus maintenant en Asie et en Afrique. Les révolutions nationales, l’algérienne, par exemple, apporteront peu aux classes pauvres, à part le droit de partager plus équitablement les préjugés nationaux.
Sans doute, c’est quelque chose pour les Algériens, qui ont souffert d’un système colonial particulièrement arrogant. Mais on peut prévoir les résultats possibles de l’indépendance algérienne en examinant le cas de la Tunisie et du Maroc, où les rapports sociaux existants n’ont pas changé, et où les conditions d’existence des classes exploitées n’ont pas été notablement améliorées.
A moins d’être un pur mirage, le socialisme renaîtra comme un mouvement international — ou pas du tout — En tous cas, et sur la base de l’expérience passée, ceux qui sont intéressés à la renaissance du socialisme, doivent souligner avant tout son caractère international. Si un socialiste ne peut devenir nationaliste, il n’en est pas moins un anti-colonialiste et un anti-impérialiste. Cependant, sa lutte contre le colonialisme n’implique pas son adhésion au principe d’auto-détermination nationale, mais exprime son désir d’une société socialiste internationale, une société sans exploitation. Si les socialistes ne peuvent s’identifier aux luttes nationales, ils peuvent en tant que socialistes, s’opposer à la fois au nationalisme et à l’impérialisme. Par exemple, le rôle des socialistes français n’est pas de lutter pour l’indépendance algérienne, mais de transformer la France en une société socialiste. Les luttes pour cet objectif aideraient certainement le mouvement de libération en Algérie et n’importe où, mais ce serait là une conséquence secondaire, et non la raison même de la lutte socialiste contre l’impérialisme nationaliste. Au stade suivant, l’Algérie devrait être «dénationalisée » et intégrée à un mode socialiste international.
lundi 24 janvier 2011
VOUS ETES UNE SECTE DE MUTANTS ILLUMINES!
REPONSE AUX BLAGUEURS DU BLOG REVOLISATION ET A LEUR CHEF MUTANT
Merci à vous de vous être penchés sur mon modeste blog à vocation prolétarienne et donc à contre courant des modes démocratoques. Vous êtes apparemment une cellule humaine qui se définit comme porteuse d’un « libéralisme égalitariste », héritière de La Commune et de la double révolution russe comme je suis héritier du baron de Munchausen. Vous abondez en comparaisons invraisemblables avec des révolutions que vous avez mal étudiées (89 et 17). Vous parlez de « masses » et de « cousins tunisiens » (!??)avec une curieuse nouveauté – la théorie de la formoisie (= bourgeoisie et ses formations de merde) – dont la clé de voûte est un formalisme typiquement anarchiste : l’application du système de représentativité prolétarienne (des Conseils ouvriers) qui n’est pas décrite par Lénine mais par Trotsky et l’historien Anweiler, application à toute la population indistincte tunisienne de 14 à 77 ans ! Mais qui est malheureusement contre-indiquée par votre barde Yanick à l’automne dernier avec sa formulation « une pyramide de délégués ».
Je dois dire que je me marre beaucoup à lire votre blog de libéraux anarchistes. Vous avez beaucoup à apprendre de moi et je suis sûr que vous êtes intelligents. Mais je dois donner quelques conseils à la petite Julie. D’abord ne m’accusez pas de haine pour Yanick ou quiconque d’entre vous, je ne vous connais pas tous et dans la polémique politique je n’ai nulle haine. Deuxio répondre point par point est la plus mauvaise façon de tenter de répondre et révèle l’incompréhension. Troisio le léchage de bottes d’un gourou ou d’un vieux sage me donne toujours des furoncles. L’accumulation de superlatifs sur le « mutant social » Toutain (à l’analyse sociologique scientifique) est à chier. Je ne reproche rien du tout à cet homme qui est sans doute un poète romantique mais qui est apolitique, ou en tout cas qui ne comprend rien à la politique. Réagissant comme une groupie affolée, Julie me prête des jugements que je n’ai point et qui ne visaient point non plus le charmant barde mais trois crétins de tunisiens interviewé par Le Monde (1. Je n’ai que foutre des diplômes et 2. Dans mon dernier livre – L’aristocratie syndicale – je fustige tous ces demi-diplômés en France qui font carrière dans les mafias syndicales et anarchistes).
Enfin, il est certain que votre « formalisme » ne tient aucunement compte de la vie réelle des masses prolétariennes (que vous décrétez mortes) et qui, avant toute formalisation délégationnelle, doivent avoir combattu ou éliminés toutes les cliques gauchistes réacs et syndicalistes collabos, mené une réelle réflexion politique laquelle entraine le processus d’élections DIRECTES, pas précisément chiffré à 25 ou à 37.
Après la révolution tunisienne en trompe l’œil vous vous faites les mégaphones d’une vieille connerie : la révolution africaine ! Au fond je dois donc révéler au monde entier que vous n’êtes qu’une vulgaire secte à prétention politique nationaliste sous-développée, avec un simili programme néo-khmer rouge d’égalitarisme à la con. Vous n’offrez pas un cadre de réflexion crédible alors que nous en avons tant besoin vu le désert intellectuel du maximalisme marxiste et la nullité politique de l’extrême gauche pour ne pas dire son conservatisme revendicatif social réactionnaire centré sur l’aristocratie syndicale en France comme en Tunisie.
Mais la situation en Tunisie n’est pas la clé de la situation, il n’y a PLUS DE REVOLUTION NATIONALE QUI TIENNE : ou internationalisation de la lutte de classe ou faillite totale dans des solutions nationales-démagogiques ou nationales-musulmaniaques. Voici mon analyse de l’heure publiée hier sur Libé :
Derrière l'auto-congratulation des démocrates bobos on retrouve la même blague des "institutions démocratiques" qui sont les soutien-gorges de l'oligarchie financière avec pour même justification "a minima" le risque de retour des tarés musulmaniaques. Il n'y pas pas de "solution nationale démocratique" à la crise en Tunisie. L'Etat bourgeois avec son vieux fantoche Ghannouchi peut laisser danser les tunisiens mais la fête n'est pas destinée à durer. Gare aux lendemains si l'insubordination ne s'étend pas à la France (plutôt minable et pépère avec la soumission à la promenade de retraités syndicaux) et à l'Algérie où il y a des grèves depuis un moment. Si les prolétaires tunisiens continuent à dormir enveloppés dans le drapeau national ils ne feront que faciliter le retour des islamo-nationalistes. Pourquoi? Parce que la démocratie dans les pays secondaires supposerait une économie mondiale en bonne santé et non pas une concurrence acharnée et inégale favorisée par les pays totalitaires comme la Chine. La crise systémique impose donc forcément le développement de régimes dictatoriaux comme en Iran et Russie; en ce sens le moment présent en Tunisie (même si nous l'aimons) n'est qu'une parenthèse que les grandes puissances souhaitent voir se refermer.
On peut certes blablater à l'infini en ce moment mais il n'y a pas plus de révolution tunisienne que de couscous merguez pour les pauvres prolétaires sans diplômes, tant que les conciliabules restent enfermés dans le drapeau croissant + étoile. L'étoile c'est pour rêver utopie démocratique, le croissant c'est pour le retour des islamo-flics.