PAGES PROLETARIENNES

vendredi 9 septembre 2011

LES INUTILES COMMEMORATIONS DU MASSACRE DE LA COMMUNE DE 1871



« Ce fut simplement le soulèvement d’une ville dans des circonstances exceptionnelles, la majorité de la Commune n’était nullement socialiste ». Marx (22 février 1881)

On ne saurait tenir rigueur à Marx et à Lénine d’avoir maintenu toutes les légendes sur le déroulement de la dramatique Commune de Paris de 1871. Ils y ont contribué, par manque d’informations et pas passion pour la cause du prolétariat. Leurs analyses sont marquées par leur époque, et leurs erreurs ne sont pas dues à des insuffisances théoriques mais aux lacunes de l’expérience historique. On ne peut avoir les mêmes égards pour les militants laïcs de tout acabit des staliniens aux trotskiens, des anarchistes aux marxistes maximalistes qui bégaient les mêmes religieuses commémorations à une Commune insurrectionnelle pure de toute tâche et victime d’un horrible nabot sanguinaire nommé Thiers. Et si la dite Commune avait été victime surtout d’elle-même, de ses carences théoriques et organisationnelles ? Question qui va choquer les bigots d’une légende bien entretenue par la gauche nanar et caviar. Le lecteur un peu moins superficiel trouvera une analyse des carences de la Commune et de ses délires sur la violence « émancipatrice » dans le chapitre 3 de mon dernier ouvrage Les avatars du terrorisme : La révolution est-elle terroriste ?

Prenons ‘Révolution Internationale’ parmi les nombreux apologistes de la Commune « purement massacrée ». Tous les dix ans ils republient le même article. Fastoche. Dans le numéro commémorant le 140ème anniversaire du « Premier assaut révolutionnaire du prolétariat », écrit par une certaine Avril qui ne connaissait pas plus l’histoire réelle de la Commune que la moyenne des militants, historiens au rabais (article éternel de 1991) on lit que la méchante bourgeoisie « a toujours essayé de récupérer cette expérience pour en masquer la véritable signification, pour la dénaturer en l’assimilant soit à un mouvement patriotique, soit à une lutte pour les libertés républicaines ». Où et quand ? La bourgeoisie laisse libre toutes les interprétations et surtout cette bondieuserie de commémoration éditoriale de la gauche grand bobo à la gauchiste planète bobo rétro.

Notre historienne en herbe, qui se prend déjà pour la main gauche de Lénine, assure comme Emile Zola qu’en septembre 1870 et en mars 1871 c’est la famine qui a motivé les insurgés, « des troupes petites bourgeoises (sic) qui vont désormais assurer la défense de la capitale ». La résistance du « peuple » n’est pas une invention de l’intelligentsia bourgeoise moderne, mais bien une réalité de la période, le nationalisme n’est nullement absent de cette révolution. Le conflit ne se résume pas à l’opposition des deux classes principales de la société. L’opposition à la récupération des armes à Montmartre est en effet plus le fait des prolétaires du quartier que des gardes nationaux, mais cette première réaction reste ambiguë, nationale, comme la pensée des soldats français vaincus. L’élection du gouvernement communal est surtout celle d’une population petite bourgeoise, encore sensible au républicanisme jacobin des blanquistes. Evidemment cette insurrection est un accident de l’histoire à une époque où le capitalisme se porte de mieux en mieux, et comme pour tout accident chacun peut librement en disputer les causes et les conséquences, mais exhiber encore le gouvernement communal comme un exemple idyllique, tient de l’imbécilité profonde, quand en plus notre historienne en herbe, terreur en jupon du comité de rédaction assène les mensonges suivants : suppression de la police, de l’armée permanente et de la conscription… et autres fadaises sur la « révocabilité permanente », ce mensonge creux sur le gouvernement communal hiérarchisé et ses chefs militaires non élus. Deux âneries de petite biquette ignorante de secte nous ont fait franchement rire :

- Lénine et les bolcheviques ont mis en pratique de façon beaucoup plus claire en octobre 1917 « ce mode d’organisation de la vie sociale » (dixit la prise du pouvoir d’Etat par la petite bourgeoisie !)

- La position d’avant-garde de la Commune de 1871 : « … le prolétariat de France ne la retrouvera que lors de la grève massive de 1968 » ! C’est faire non seulement beaucoup de cas du fameux mai 68 où les enfants de la bourgeoisie tinrent le haut du pavé, mais surtout d’une France si petite comparée au reste du monde.

La revue internationale de cette secte mondialiste (dont la 19ème séquence congressiste déplore que ses vieux machins, préposés militants sexagénaires, se chamaillent tels des has been ou des enfants de maternelle) en rajoute une couche sur les moulins à vent supposés de la bourgeoisie intra muros contre la révolution de 1871 dont pourtant elle se bat les couilles. Si les véritables leçons de la Commune, ou plutôt de cette période où le gouvernement qui s’impose n’est ni celui du prolétariat ni celui de la révolution des rapports sociaux, ne sont pas sorties du tombeau de l’oubli, de l’ignorance et des bondieuseries « socialistes » (quoique Engels, Lénine et Pannekoek aient fait une partie du boulot sur l’inévitable Etat de transition) il ne sert à rien de produire des articles du genre « le communisme n’est pas un bel idéal », si on n’est pas capable de consolider ses arrières théoriques.

REVENONS AUX FONDAMENTAUX

La dite Gauche communiste des années 1930 et 1940 n’a rien produit d’original concernant les errements ou la gloire de la Commune de 1871. Les groupes politiques n’ont pas pour fonction de remplacer les historiens. Pour ma part, ma gratitude va à William Serman et à Philippe Riviale, dont les travaux sont méconnus. Depuis plus de vingt ans j’ai largement contribué à dénoncer le mythe de la guerre révolutionnaire, grandement aidé à l’origine par le précieux travail de Révolution Internationale et de Marc Chirik concernant la farce des libérations nationales. Il m’a fallu remonter plus loin.

Contrairement à ce que proclamait Babeuf, les travailleurs en armes ce n’est pas le socialisme ! Les soldats même insurgés, ne sont jamais des révolutionnaires. Il leur pend au nez, s’ils restent en corps, d’obéir à des objectifs partiels et bourgeois comme la « constitution d’un gouvernement démocratique ou d’un gouvernement provisoire, piège dans lequel est tombé la Commune de Paris. Blanqui a fait lourdement l’apologie romantique (girondine) de la guerre révolutionnaire, il n’y a jamais eu de guerre « révolutionnaire » ; Blanqui est totalement chauviniste face à la Prusse en 1870. De 1830 à 1850, Blanqui et ses amis n’ont représenté que l’aile radicale de la bourgeoisie en prétendant encadrer les prolétaires.

LA COMMUNE : une guerre d’usure contre les prolétaires

L’insurrection militaire était vouée à l’échec et ne devait pas permettre un véritable soulèvement du prolétariat. Les chefs de l’insurrection communarde sont pour la plupart des bourgeois déclassés. Ils se révèleront par la suite des politiciens douteux et des généraux nuls. Ces premiers meneurs des l’insurrection seront d’ailleurs vite destitués au profit des « chefs institutionnels ».

Le massacreur Thiers va essentiellement se servir des faiblesses des communards : de leur théorie anarchiste primaire d’une soi-disant « guerre révolutionnaire » (cet anarchisme transparaît dans les discours jacobin-militariste et chauvin des blanquistes) ; en s’enfermant dans Paris (comme les bolcheviques plus tard enfermés en Russie) les communards ne peuvent que laisser leur destinée aux mains des petits bourgeois radicaux et impuissants. La bourgeoisie républicaine et conservatrice de Versailles savait ce qu’elle faisait en provoquant Paris isolé, elle affaiblissait l’opposition de classe bourgeois/prolétariat en une guerre de positions ; l’hypocrite Thiers prétendit limiter l’effusion de sang. Enfin, réussite indirecte du nain Thiers : le soulèvement reste et restera un « soulèvement parisien », après la retraite stratégique à Versailles pour bloquer la généralisation du soulèvement du prolétariat.

L’enjeu de l’insurrection du 18 mars a été caricaturé par la plupart des historiens. Il s’agissait bien de la confrontation des soldats avec les prolétaires insurgés qui voulaient récupérer les armes, et non avec les gardes nationaux rebelles. Si tel avait été le cas, les gardes nationaux menant le combat, une bataille rangée aurait suffi aux troupes de Thiers pour en venir à bout dans la journée. C’est bien la masse prolétarienne qui s’était levée, entrainant les couches petites bourgeoises, tout au moins au début. Thiers ne voulait pas se laisser prendre au piège d’une bataille de rue avec les insurgés, qui aurait été favorable à ces derniers (cf. proximité des combattants, appels à la fraternisation , etc.). L’appel à la marche sur Versailles, non concrétisé, est le reproche principal des militaristes staliniens et de leurs succédanés gauchistes pour indiquer une carence des communards à mener la « guerre révolutionnaire » ; or c’est l’insurrection à Versailles comme à Paris qui eût été la vraie politique pour étendre la révolution, ce qui ne découle pas d’une logique militaire. L’attaque des versaillais sur Courbevoie a bien pour effet de « militariser les parisiens » et donc de les faire apparaître comme des ennemis « de l’intérieur ».

Les gardes nationaux ne font pas le poids face aux troupes de Versailles. Véritable armée mexicaine ils se débandent à chaque assaut. Le comité central de la garde ne fut jamais une direction révolutionnaire cohérente. La guerre entraine la dictature des généraux Cluseret et Rossel. Et Rossel proteste pourtant justement contre le bordel anarchiste qui règne : « Chaque arrondissement avait son comité comme le 17ème, aussi nul, aussi hargneux, aussi jaloux ; l’artillerie était séquestrée par un comité analogue (…) Tous ces produits spontanés de la révolution n’avaient d’autres titres et d’autre règle que leur bon plaisir, le droit du premier occupant et la tranquille prétention de rester en place sans rien faire ».

Rossel, pur militaire, a compris finalement que la Commune n’avait jamais eu la prétention de vaincre militairement. Le gouvernement communal n’eut de cesse de destituer les chefs insurrectionnels ; il ne voulait pas être débordé par les prolétaires ; il avait donc tout intérêt à maintenir le mythe de la « guerre révolutionnaire », mythe qui lui permit jusqu’à la défaite sanglante de maintenir les prolétaires embrigadés. Le gouvernement communal n’était au fond qu’une direction bourgeoise qui a emmené les prolétaires mordicus jusqu’au massacre final. Des prolétaires armés et embrigadés ne sont nullement indépendants ou su la voie de leur émancipation. La garde nationale restait divisée socialement et n’était aucunement une « armée du prolétariat ». Le gouvernement versaillais comme son rival le gouvernement communard ne visait pas à favoriser la lutte entre bourgeois et prolétaires, à Paris comme en province. Le gouvernement communard s’il ne s’appuyait pas sur la bourgeoisie, se reposait sur les couches pré-capitalistes de la population qui, elles-mêmes, restaient le reflet d’une bourgeoisie étriquée. Le refus du gouvernement communard d’utiliser les troupes (débris des régiments officiels débandés) reflétait sa peur de la contamination de l’indiscipline face à ses efforts pour restaurer une hiérarchie minimum ; comment ne pas penser à l’embrigadement républicain des anarchistes espagnols 60 ans plus tard dans l’armée « populaire »… Comme « Comité de salut public », dans les derniers retranchements de la défaite, le gouvernement communal n’hésita pas à jouer de l’idéologie antimilitariste pour les troupes pourtant hiérarchisées (comme en Espagne en 1936 l’utilisation de l’idéologie antifasciste), d’où l’ultime appel girondin et lâche à la « guerre révolutionnaire » alors même qu’il n’y avait plus de commandement militaire à Paris, et que jusque là l’encadrement militaire était resté antinomique à la véritable lutte des prolétaires enfermés plus dans une logique de guerre perdue d’avance que dans Paris intra-muros. Les « officiers », « l’encadrement » de la guerre révolutionnaire » s’était dissipé dans la nature, comme toujours dans les défaites organisées du mouvement social.

Le gouvernement communal impose le service militaire obligatoire non dans l’espoir de combler sa faiblesse intrinsèque face à l’armée classique versaillaise pour pérenniser la mystification girondine et bourgeoise de la « levée en masse ». L’armée communarde ne pouvait pas être une armée, comme le prolétariat ne peut pas non plus être une armée en révolution ; l’armée relève toujours du pouvoir étatique. Des ignorants militants maximalistes soutiennent encore une révocabilité générale des diverses sortes d’élus, or le gouvernement communal ne concéda que l’élection des chefs subalternes.

Le gouvernement communal ne pouvait tout de même pas désarmer ce prolétariat qu’il craignait ni l’affronter de face, aussi lui suffit-il de le museler comme armée « régulière ». La vérité est cruelle Paris intra-muros, le gouvernement communal n’avait pour but que de contraindre les insurgés du 18 mars à des actions de guerre, limitée et absurde, pour affaiblir ces énergies que le gouvernement de défense nationale avait échoué à disperser. Il en est ainsi dans toutes les révolutions où la petite bourgeoisie se porte à la tête de l’Etat, elle tire en arrière et mène inéluctablement à la défaite ou des milliers d’hommes seront tués pour le mythe de « l’armée citoyenne » en pure perte en gardant des barricades stériles. Le général Rossel est assez représentatif de l’ambiguïté de ce gouvernement petit bourgeois. Il n’a rien fait de sérieux pour préparer la défense de Paris quartier par quartier, visant donc un affrontement limité, en vue d’un… arrangement politique. Rossel est un brouillon calculateur, contrairement à F.Pyat qui est une caricature. Et un brouillon criminel, il envoie au casse-pipe les gardes nationaux qui refusent leur embrigadement ; le 4 mai il écrit au commandant du forte de Vanves : « Citoyen, je vous envoie les réfractaires du 19ème arrondissement. Vous les installerez dans les fossés de votre fort… vous leur imposerez la discipline la plus rigoureuse. Veillez surtout à ce qu’il n’y ait pas d’évasion ».

La guerre civile est d’abord une répression du prolétariat. Le principal commandant militaire du gouvernement de la dite Commune prend de telles mesures parce que l’embrigadement militaire çà ne marche jamais bien avec les prolétaires conscients et en lutte pour leur émancipation.

Le gouvernement communal, qui est déguisé sous le vocable neutre « la Commune » - quand les néophytes ne connaissent pas même et la rivalité avec le comité central de la Garde (nullement révolutionnaire) et la pression du prolétariat encore jeune et inexpérimenté – n’était le représentant de la classe ouvrière ni de la « pure » dictature du prolétariat – n’en déplaise à ses laudateurs, assez critiques quand on les lit de près, Marx et Lénine. Le gouvernement communal était bien représentatif du courant bourgeois parisien composé de petits commerçants, d’artisans et de petits possédants. Ce gouvernement se laissa enfermer dans une guerre « défensive » et ne patronna que des mesures sociales secondaires qui ne remettaient pas en cause le salariat. Il ne fut au fond qu’un concurrent de celui de Versailles. Si ce gouvernement militariste avait gagné, les prolétaires eussent été également battus ; on peut toujours supputer que le massacre eût été moins important mais cela ne change rien au fait qu’un nouveau gouvernement s’était érigé pour duper la classe prolétarienne ; en ce sens, plagiant Boukharine, Lénine n’avait eu que partiellement raison concernant la nécessité de la destruction de l’Etat bourgeois, sans imaginer quelle devait être l’orientation face au « nouvel » Etat qui allait remplacer l’autre.

L’armée mexicaine « communarde » a été envoyée au casse-pipe sans plan militaire d’ensemble, coordonné, ce qui est déjà criminel pour une simple armée régulière bourgeoise. Au mois de mai, les gardes nationaux baissent d’ailleurs les bras face à cette incurie. Loin de la « guerre révolutionnaire », le commandant en chef Rossel tance les troupes de « l’armée citoyenne » avec un ordre très peu révolutionnaire : « Il est défendu d’interrompre le feu pendant un combat quand même l’ennemi lèverait la crosse en l’air ou arborerait le drapeau parlementaire (…) Les fuyards ou bien ceux qui sont restés en arrière isolément seront sabrés par la cavalerie ; s’ils sont nombreux, ils seront canonnés ».

Inutile sauvagerie de général, les chefs militaires s’enfuient déjà et les troupes se débandent en particulier au "front", au fort de Vanves.

Fin mai les appels à la « guerre révolutionnaire » sont suicidaires et lâches. L’idéologie de la « guerre révolutionnaire » a servi à éloigner le prolétariat de son terrain de classe. La petite bourgeoisie au gouvernement parisien joue les fiers à bras en appelant une dernière fois les prolétaires à aller à l’abattoir. Le 23 mai, ce minable Comité de salut public lance un appel à la fraternisation avec les soudards versaillais qui entrent dans Paris, pendant que ses intellectuels Pyat, Billioray et Parisel ont pris la clé des champs pour sauver leur peau. La « guerre révolutionnaire » de l’hypocrite Commune a préparé les esprits à la soumission religieuse et contrite à la guerre d’Union sacrée, moins d’un demi-siècle après.

Vive la Commune ou la lutte des communards ?

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