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mercredi 25 août 2010

L’argent destructeur ( ?) ou son courtier le capitalisme ?

Sous le titre « L’argent destructeur » UNE INTERVIEW DE PAUL JORION ; Enseignements de l’hypercrise, deuxième partie : Entretien avec le chroniqueur économique Paul Jorion, Par Stefan Fuchs.

(Le titre de l'interview est vraiment mauvais, c’est le capitalisme qui est destructeur. Basta. Plusieurs lecteurs m’ayant demandé ce que je pensais de Paul Jorion l’économiste. Je n’en pensais rien puisque je ne le lisais ni ne le connaissais. On peut lire son blog au quotidien pour l'analyse économique, mais pas tout le temps, car il tend à devenir débile (il demande des sous à ses lecteurs et voir en fin d'interview ses propositions politiques archi-misérables et stupides.
Sur l’insistance du camarade Xavier, et en accord avec son appréciation sur la nullité des analyses économiques du milieu qui se prétend révolutionnaire et marxiste, je conviens que des analystes bourgeois à la Jorion,ponctuellement, quoique les bras leur en tombe (devant l’imminence de la chute finale) et qu’ils soient lamentables au niveau politique, sont faites pour nous intéresser et confirmer la désormais ancienne, mais bien vivante, vision catastrophiste du maximalisme).
En outre, je préviens qu'habité lui-même par l'esprit de thésaurisation capitaliste, pépère Jorion invite ses lecteurs à lui faire une donation sur son blog. Ben ouais, pépère veut rentabiliser les milliers de connections journalières. Tu peux toujours rêver pépère, nous on t'enverra pas un centime!

La crise financière culmine depuis l’automne 2008 dans une crise du capitalisme global. Car la libéralisation débridée des marchés et l’expansion de la division internationale du travail n’ont pas pu tenir les promesses gigantesques de croissance et de prospérité. Dans la deuxième partie de la série d’entretiens « « Enseignements de l’hypercrise », Stefan Fuchs a eu un entretien avec Paul Jorion sur l’effet destructeur de l’argent. Jorion est chroniqueur économique du journal français « Le Monde ». Economiste structuraliste, il critique la mise sur le même plan de l’argent et du crédit comme une pure idéologie. Le capitalisme actuel serait selon lui à l’agonie.

Stefan Fuchs: Monsieur Jorion, vous étiez parmi les premiers à avoir prédit la crise américaine de « subprimes ». Vous-même travailliez aux États-Unis dans le secteur du crédit, et vous prédisiez dès 2004 une grave crise de ce capitalisme financier américain. L’élément déclenchant de l’hypercrise est selon votre analyse un mécanisme interne de l’économie globale telle qu’elle se développait dans le dernier tiers du 20ème siècle et qui a eu pour effet une concentration de plus en plus forte de l’argent en peu de mains. Comment décrivez-vous ce mécanisme qui conduisit presque à un tarissement de la circulation monétaire et qui déclencha cette crise extrême qui saisit ensuite aussi l’économie réelle ?

Paul Jorion: En comparant la crise de 1929 qui avait débuté aux États-Unis pour devenir alors une crise économique mondiale et la crise à laquelle nous avons affaire depuis 2007, on observe une parenté stupéfiante : la concentration de la richesse économique entre les mains d’une minuscule minorité. En vertu d’un mécanisme économique très simple. Lorsque l’argent n’est pas là où il est nécessaire, soit pour produire dans une entreprise soit dans les ménages pour acquérir des biens durables, ou bien encore parce que le salaire est insuffisant pour vivre du fait que les salaires réels stagnent ou sont même en recul, il faut alors se le procurer par le crédit. C’est une loi aussi implacable que logique : la concentration de la richesse est un processus qui s’autoalimente. Lorsque l’argent est réparti inégalement dans un système économique, cette répartition inégale s’accentuera avec le temps toujours davantage. C’est ce que nous vivons. L’argent n’est pratiquement jamais là où il est nécessaire, ni dans la production industrielle, ni dans la consommation. On doit toujours se le procurer via le crédit. L’argent et son prix ont aujourd’hui un rôle prédominant et qui va se renforçant continuellement. Le système financier dispose d’une omniprésence quasi-divine qui ponctionne un profit sur chaque transaction. Du coup, une part croissante d’intérêts est contenue dans le prix de tous les produits et de tous les services.
Fuchs: Qu’est-ce qui explique cette baisse des salaires réels ? Qui selon vous est responsable de ce processus de concentration ? Est-ce un rapport de forces politique, ou alors y a-t-il des mécanismes économiques ? Qu’y a-t-il derrière cela ?

Jorion: Pour simplifier grossièrement, il y a trois groupes sociaux dans nos sociétés. C’est ainsi que l’on le concevait au 18ème et 19 ème siècle. Il y a les entrepreneurs qui ont le concept d’un nouveau produit. En cas de succès, ils peuvent faire travailler d’autres qui vendent leur force de travail : les ouvriers et les employés. Et puisque le capital n’est pas toujours là où se crée une entreprise, il doit provenir de crédits. Il y a donc ainsi un troisième groupe, celui des détenteurs de capitaux. Dès qu’un gain s’est constitué, généré par la production, il faut le répartir entre ces trois groupes. Le détenteur du capital percevra d’abord les intérêts qui lui sont dus. Il existe ainsi un antagonisme naturel entre détenteur de capitaux et entrepreneur, un rapport de forces, qui détermine la hauteur des intérêts. Quand l’économie va bien, l’entrepreneur abandonnera davantage d’intérêts et de dividendes au détenteur de capital, et moins quand l’économie va mal. Il doit partager le reste avec ses ouvriers. Il y a ici aussi un antagonisme. L’entrepreneur n’est pas disposé à laisser à ceux qui travaillent pour lui plus qu’il n’est nécessaire. Quand ceux-ci sont organisés en syndicat, ils peuvent réduire la concurrence entre eux et présenter un front dans cet antagonisme.
Depuis le milieu des années 1970, il y a cependant eu un facteur qui, au moins dans les grandes entreprises, a modifié radicalement ce jeu de forces. On a introduit le système des « stock options ». La firme de conseil McKinsey menait alors des recherches sur la manière d’éliminer l’antagonisme entre entrepreneurs et capitalistes, comment en faire deux groupes d’alliés immédiats. La réponse : aligner les intérêts des dirigeants et ceux des investisseurs. Le moyen : gratifier les managers d’options sur les actions émises par l’entreprise. Un dirigeant d’entreprise peut exercer ses options au moment de son choix. Naturellement, il ne le fera que quand l’action aura atteint un cours élevé. Il consacrera toute son énergie à ce que le cours de l’action monte, même si cela n’est possible que dans une perspective à court terme ou qui nuit même aux intérêts à long terme de l’entreprise. Les “stock options” marquent le début d’une nouvelle forme du capitalisme accompagnée d’un glissement des rapports de force entre les groupes sociaux. Dès lors, les capitalistes et les entrepreneurs sont alliés. Les salariés se retrouvent face à eux bien seuls. Le rapport de forces ne leur était déjà pas favorable initialement, leur position est désormais affaiblie d’une façon déterminante.
Parallèlement, la financiarisation de l’économie devint massive. Le cours de l’action devient plus essentiel que la production proprement dite. La firme américaine Enron, aujourd’hui disparue, est un bon exemple de ce changement de paradigme. A un moment de son histoire, le produit proprement dit de l’entreprise était devenu le simple cours de ses actions. Grâce à un procédé comptable appelé « bootstrapping » [se soulever en tirant sur ses lacets], le succès de l’entreprise était directement lié au cours de l’action. Lorsqu’une action dépassait une valeur seuil, le profit enregistré par Enron s’accroissait. La production est devenue immatérielle à 100%. C’est le système des stock options qui rendit cela possible. Et parallèlement, il y avait stagnation, voire baisse des salaires réels qui ne croissaient plus avec le taux d’augmentation de la productivité.
Dans ce contexte, le crédit est devenu, surtout aux Etats-Unis, une sorte de salaire d’appoint appelé à protéger contre la chute du niveau de vie et aussi contre un effondrement total de la demande. Mais les crédits signifient le paiement d’intérêts. 5 pour cents ne semblent a priori pas énormes, mais quand on doit payer un crédit immobilier à 5,3% sur trente années, comme cela est courant aux USA, on aura payé en fin de période le prix de la maison deux fois. Pendant ce temps-là, la spéculation poussait toujours davantage les prix immobiliers à la hausse. La valeur d’une maison pour une famille en était venue à correspondre à trente années de revenu disponible. Un prix véritablement astronomique.
Justifiant tout cela se trouvent les théories de l’ordolibéralisme économique qui croit fermement à une autorégulation des marchés et n’autorise à l’État que des interventions minimales dans leur déroulement. Dans la pratique, l’instauration de ce système n’avait été, comme nous sommes obligés de le constater maintenant dans le contexte de la crise, qu’une avancée par essais et erreurs, quasiment une vaste expérimentation de laboratoire sur l’économie mondiale. On dérégule et on verra bien ce qui se passe. Les effets apparaissent avec un certain décalage dans le temps, et quand on peut les observer, il est alors beaucoup trop tard. Il n’y a pas que dans le cas de la catastrophe climatique que l’on à affaire à des phénomènes irréversibles, c’est vrai aussi dans le champ économique.
Dans les années 1980, quand ces théories avaient été mises en pratique, on n’a pas eu une conscience claire de ceci : un système économique bâti sur le crédit multiplie les risques. Dans un système économique piloté par le crédit se constituent des chaînes d’emprunteurs, A doit à B qui doit à C et ainsi de suite. Quand un crédit fait défaut, toute la chaîne s’effondre à partir de celui qui fait défaut, comme des dominos. Contre le risque, l’industrie financière avait développé, avec son inventivité inépuisable, des instruments nouveaux, les fameux et problématiques “credit default swaps” ou CDS, des assurances de défaut du crédit. Mais, au lieu de contrôler ainsi les risques, ces instruments génèreront à leur tour des risques nouveaux. Car on peut les utiliser pour spéculer, on peut par exemple parier sur le fait que les obligations grecques se déprécieront. Tant pis pour celui qui aura mal spéculé. Exemple l’assureur US “AIG”. Perte pour le contribuable américain : 182 milliards de dollars, du même ordre que le sauvetage de “Fannie Mae” et “Freddie Mac”.

Fuchs: Je voudrais revenir sur la perspective de la majorité de la population. Dans un tel contexte, elle est mise à contribution deux fois, une première fois parce que sont déjà inclus dans les prix une grande part d’intérêts, et une deuxième fois en raison des crédits qu’elle doit souscrire afin de compléter un salaire insuffisant, ce qui signifie qu’on la fait payer à deux reprises.

Jorion: Dans les faits, débute à la même période, autour de 1975, l’introduction de la micro-informatique qui rendait possible une véritable explosion de la productivité. Mais cet accroissement de la productivité, les salariés n’en bénéficient pas. Leurs revenus resteront toujours davantage en retrait par rapport à l’évolution économique. La productivité est aussi augmentée partiellement par des rationalisations, autrement dit parce que les gens perdent leur emploi. En même temps, les prix augmentent parce que les intérêts et la spéculation les poussent à la hausse. Rien que dans l’essence et le gazole est contenu un bon tiers de gains spéculatifs. La majorité des Américains doit de ce fait compléter ses revenus grâce à du crédit alors que l’industrie financière prospère insolemment : les gains de productivité vont dans sa poche, les intérêts de toute manière aussi. C’est cela l’absurdité de la discussion autour des paiements des bonus des banquiers. Le pouvoir politique veut les limiter, et il fait valoir cela comme une régulation décisive du secteur bancaire. Or c’est un pur effet de surface. Ces bonus sont des commissions : un faible pourcentage des profits réellement générés par l’industrie financière. Quand des millions vont dans les poches des traders, c’est seulement parce qu’ils ont récolté des milliards pour l’établissement qui les emploie. Pourquoi les banques gagnent-elles de telles sommes ? Tout simplement parce que cet argent a cessé d’être redistribué aux salariés.
Fuchs: Vous faites partie de ces experts économiques structuralistes qui critiquent l’assimilation du crédit à la monnaie comme quelque chose d’idéologique au plus haut point et qui est responsable de l’invisibilité du processus de concentration de la richesse dont nous venons de parler. En quoi consiste l’erreur quand on dit que la monnaie en espèces et la monnaie scripturale seraient la même chose ?

Jorion: On parle de masses ou d’agrégats monétaires et de la création monétaire par les banques commerciales. Dans un calcul usuel, on additionne la quantité de monnaie liquide et ce dont les gens disposent sur leurs comptes et livrets d’épargne. On constate alors que le total croît continuellement, que la richesse croît constamment. On oublie alors que la monnaie liquide et la monnaie scripturale sont deux choses fondamentalement différentes. Supposons par exemple trois personnes qui ont, chacune, 10 euros en poche. Elles se prêtent cet argent l’une à l’autre. Si on calcule maintenant selon la manière conventionnelle, la somme a doublé. En effet, chacun des trois – en tant que prêteur – possède une créance de 10 euros en poche, et – en tant qu’emprunteur – possède 10 euros en espèces. Ce n’est pas une erreur de calcul, c’est la méthode prônée par le « science » économique. On parle de masses monétaires M1, M2, etc. L’économiste théoricien Schumpeter a très bien justifié pourquoi il conviendrait d’additionner la richesse réelle et la richesse « négative » que sont les dettes. C’est seulement en cas de crise que l’on reprend douloureusement conscience de la différence. La valeur d’un billet de 10 euros est 10 euros. Son pouvoir d’achat peut varier quand les prix montent, mais sa valeur reste fondamentalement la même. Quant à une reconnaissance de dette, son cas est tout à fait différent. Il faut l’évaluer en fonction du risque, selon la probabilité que le remboursement ait lieu réellement. Lors des crédits hypothécaires qui avaient déclenché la crise aux USA, leur valeur tombait à zéro. Et les masses monétaires M1, M2 fondaient soudainement comme neige au soleil. Où est passé l’argent, se demandait-on naïvement ? La monnaie liquide est toujours là, mais tous les crédits et reconnaissances de dettes ont disparu. Les économistes n’ont certes pas inventé ces calculs douteux uniquement pour faire plaisir au secteur bancaire. Objectivement, ceux-ci sont cependant très commodes pour l’industrie financière. Mais les économistes se sont trompés, on ne peut pas simplement additionner ces deux types de quantités. L’un des chiffres est réel, l’autre est virtuel.

Fuchs: La ligne de défense du secteur bancaire est que l’argent public employé pour leur sauvetage ne serait que des garanties et que cet argent ne serait en réalité pas réellement perdu et qu’il pourrait, dans certaines circonstances, être aussi bien restitué, que faut-il en penser ?

Jorion: Prenons par exemple une “mortgage-backed security”, un titre garanti par des hypothèques. Y sont contenus les crédits hypothécaires de 3000 propriétaires de maisons. Chaque fois qu’ils paient une mensualité, de l’argent parvient aux titulaires du titre (investisseurs). Si le titre papier est émis en 2007 et si certains débiteurs ont cessé de payer leurs mensualités, ce titre ne vaut peut-être plus que 83 cents par dollar (investi). Les banquiers disent alors que si les autres débiteurs continuent à payer, il n’y a pas de raison de décoter encore davantage ce titre, il suffit de le conserver sans s’inquiéter jusqu’à sa maturité. Mais ceci est ridicule, car rien ne vient soutenir la supposition que la situation s’améliorera nécessairement l’année prochaine ou dans deux ans. Sous-tend ce type d’argumentation la méthode de valorisation “mark to model” qui renvoie à la représentation d’une situation idéale où toutes les difficultés du présent auront été éliminées. Le taux de chômage par exemple ne varie pas brusquement d’une semaine à l’autre. Il est soumis à des cycles longs. Aux USA, on a ainsi fêté dans l’euphorie le fait qu’en mars avaient été créés 162.000 nouveaux emplois. En y regardant de plus près, on constate qu’un tiers des emplois étaient des embauches provisoires pour le recensement décennal de la population, et un autre tiers avait été postulé à partir des fluctuations historiques de création et de disparitions d’entreprises aux USA. Ce qui veut dire que 50.000 seulement de ces emplois sont réellement nouveaux. On sait cependant que l’Amérique aurait besoin, pour confirmer son rétablissement économique, de 250.000 emplois neufs par mois pour les cinq années à venir. On peut bien sûr être un optimiste incorrigible qui image que demain au réveil tout se retrouvera miraculeusement comme avant la crise.

Fuchs: Est-ce à dire que les tristement célèbres “bad banks” sont des tombes où l’on a enterré de l’argent ?

Jorion: La probabilité d’une réanimation est en effet aussi élevée que dans un cimetière. En mars 2008, le ministre des finances américain Henry Paulson avait orchestré le rachat de Bear Stearns par JP Morgan. Il déclara par la suite à plusieurs reprises publiquement que ce sauvetage était unique et qu’il ne serait pas possible de le répéter. Il le redisait encore quand survint, 6 mois plus tard, la faillite de Lehman Brothers. On avait enfoui les déchets financiers toxiques de Bear Stearns et vissé par dessus un couvercle comme s’il s’agissait d’un deuxième Tchernobyl. Personne ne devait y toucher, personne ne devait savoir ce qui s’y cachait. Seule l’insistance des médias, de Bloomberg et de Fox News, a fait que le contenu a dû être dévoilé. On a dévissé le couvercle pour jeter un coup d’œil dans le sarcophage, et on a pu constater que ce qui s’y trouvait n’avait absolument aucune valeur.

Fuchs: Si je vous ai bien compris, vous attribuez à une sorte de perversion de la nature de l’argent, à un fétichisme de l’argent, le véritable arrière-plan historique et culturel de ce à quoi nous assistons maintenant sous sa forme extrême. On a fait, à partir d’un instrument destiné à l’échange, à savoir l’argent en tant qu’instrument de la circulation, un instrument d’accumulation de la valeur. En quoi est-ce un mésusage de l’argent, car, enfin, la formule de l’intérêt est pour nous, depuis la renaissance, liée à l’usage de l’argent ?

Jorion: On peut dire que l’argent est un instrument neutre qui n’a comme tel un effet ni positif ni négatif. Il constitue un simple substitut du troc : une marchandise spécialement conçue pour l’échange. Une image tout à fait différente émerge cependant au plan historique. A l’origine, les sociétés féodales étaient dominées par la caste des guerriers qui s’appropriait les terres par la force. Ils sont ce que Hegel nomme les “Maîtres”. En face d’eux se tient la majorité de la population, les « esclaves » devenus “serfs” par la suite. Les uns travaillent, les autres règnent sur eux. Pour pouvoir faire circuler les produits issus de cette division du travail, il fallait les marchands. Ils vont de pays en pays, vendent leurs marchandises et vivent de leur profit. Pour ce commerce, on a besoin de l’argent comme instrument de la circulation. Au moyen âge et surtout pendant la renaissance, les régnants font une découverte surprenante. Ils n’ont plus besoin de la violence comme base de leur règne. L’argent rend le même service. Avec lui, on peut amener quelqu’un à travailler pour soi, sans autre violence. La révolution française et sa nouvelle redistribution du pouvoir n’a rien changé à cela. Les aristocrates ont vite compris qu’ils pouvaient renoncer à leurs privilèges seigneuriaux s’ils possédaient suffisamment d’argent. L’épée ou le sabre ne sont plus nécessaires, on peut arranger tout cela de la même manière avec de l’argent. Aristote avait reconnu cet aspect de l’argent comme l’héritier de la violence sociale. L’argent reflète le rapport de domination et remplace l’instrument de la violence.

Fuchs: Que devrait-on donc faire pour neutraliser cet effet antidémocratique renforçant les dominations dans nos sociétés, pour l’affaiblir voir l’annuler ?

Jorion: Ce qui avait été fait en 1929, a été refait en 2007 : attendre jusqu’à ce que la concentration de la richesse sociale devienne telle que tout le système s’effondre. C’est alors seulement que l’on repense soudain à la redistribution. Dans les années trente, ce sont des instruments redistributifs que Keynes avaient proposés en Angleterre et qui furent appliqués également aux États-Unis. Pour Keynes, le plein-emploi était l’objectif primordial. Il faut se souvenir que l’on assistait alors en Angleterre à une montée en puissance parallèle du fascisme et du communisme. L’enjeu devenait crucial. La démocratie était menacée sur deux flancs par des idéologies totalitaires. Pour Keynes, il fallait combattre le mécanisme de concentration de la richesse. Il fallait que l’argent soit redistribué de manière plus équitable. Pour que les gens consomment à nouveau et puissent aussi acheter les marchandises produites par eux, il fallait avant tout leur donner du travail et rémunérer celui-ci d’une manière adéquate.
L’instrument de la redistribution par l’imposition qui accompagne l’État keynésien, est, hélas, aujourd’hui émoussé. On a permis en particulier aux entreprises de l’économie réelle de se transformer en entreprises quasi virtuelles. Elles distribuent leur chaîne de création de richesse sur un grand nombre de pays, et bénéficient de la concurrence mondiale existant entre eux pour les derniers emplois restants. On permet à la richesse socialement produite de se réfugier dans un espace virtuel et quasi transnational. Il ne faut pas négliger non plus l’influence de l’argent sur la politique. Il est plus aisé de se faire élire à un poste politique quand on appartient à un parti soutenu par l’industrie financière. Cela a conduit aux États-Unis à un système qui se rapproche de l’ancien système électoral censitaire. La cour suprême des États-Unis a récemment suspendu pour les entreprises toute limitation des dons politiques. Et ce en invoquant le principe de la libre expression ! Naturellement, les entreprises ont des ressources financières d’un tout autre ordre que l’individu moyen. Avec de l’argent, on s’achète de l’influence sociale. Un coup d’état n’est donc pas nécessaire, pas besoin d’envoi de troupes. Une fois encore : l’argent procure le même type de service.

Fuchs: Il y a une autre proposition de Keynes que vous préconisez, c’est la monnaie synthétique mondiale qu’il appela le “bancor” et qu’il a proposée à Bretton Woods, mais qui ne fut pas retenue. Dans quelle mesure cela pourrait-il nous venir en aide dans le contexte actuel ?

Jorion: Il faudrait vérifier si le bancor pourrait vraiment constituer une solution. Dans son principe, il ressemble beaucoup aux droits de tirage spéciaux que le Fonds Monétaire International a institués. La crise grecque et de l’euro a très nettement souligné qu’une monnaie devrait correspondre à un espace économique poursuivant une politique économique intégrée. Les États-Unis ont ancré dans leur constitution la solidarité économique entre les états de la fédération. La Californie et ses excédents d’exportation doit pouvoir répondre de la Géorgie beaucoup moins riche. Cela ne pourrait pas fonctionner autrement. On ne peut revendiquer tous les avantages d’un espace monétaire unique et sans risque de change pour son industrie domestique d’exportation et en même temps refuser toute responsabilité pour le déséquilibre économique au sein de cette zone économique. Je parle évidemment du champion du monde de l’exportation, l’Allemagne, et, au niveau de l’économie mondiale, de son concurrent, la Chine. On ne peut pas en tant qu’économie nationale, qui s’est quasi spécialisée dans l’exportation, reprocher aux autres qu’ils n’exportent pas autant. Vers où doivent-ils exporter ? Tant que la planète Mars ne s’ouvre pas comme un nouveau marché vierge, il n’y a pas d’issue. Le commentateur en chef du Financial Times, Martin Wolf, a très bien décrit cela. Les Allemands ont renié la parole du philosophe Immanuel Kant : un principe moral doit toujours valoir pour tous, il doit être universel. Mais tous ne peuvent devenir champions du monde de l’exportation.
Keynes a reconnu ce problème. Il était à la recherche d’un système qui serait en mesure de compenser des déséquilibres dans les bilans commerciaux. Le noyau de son plan bancor était de créer une monnaie de compte qui sanctionne les excédents aussi bien que les déficits commerciaux. Car les deux sont nuisibles dans le cadre d’une économie mondiale durable. Malheureusement, sa conception n’a pas pu s’imposer à Bretton Woods. Son concept général, il faut le mentionner, n’était pas neuf. Un système d’accords bilatéraux équilibrés entre l’Allemagne et d’autres pays avait été mis au point par Hjalmar Schacht qui avait été président de la Reichsbank et ministre de l’économie d’Hitler. Schacht a été jugé après la guerre à Nuremberg pour complicité dans la mise sur pied de la machine de guerre allemande. Il a été acquitté. Quoi qu’il en soit, Keynes n’a jamais fait mention de la parenté intellectuelle entre son propre projet et des applications d’inspiration commune dans l’Allemagne vaincue. Cela aurait jeté la suspicion sur leur bien-fondé dans la période d’après guerre et aurait pu compromettre toute chance de leur mise en application.

Fuchs: Le mainstream économique a déjà évacué la crise : « Des signes positifs se pointent à l’horizon », « Le pire est derrière nous ». Vous êtes beaucoup plus pessimiste, vous croyez au “double plongeon”, ce profil en forme de W où la deuxième jambe sera beaucoup plus dramatique que la première. Cette seconde partie, sur quelle champ se joue-t-elle ? Sera-ce une crise de l’endettement public ? Sera-ce une crise de la demande déclenchée par l’épargne ? Donc une crise déflationniste, se produira-t-elle?

Jorion: Je pose d’abord une première question : où se trouve donc ce mainstream dont vous parlez ? Il s’agit de quelques journaux, de quelques stations de télévision, certainement pas la majorité des opinions exprimées ! Il y a eu en avril un sondage en France. On demandait aux gens s’ils croyaient que la crise état terminée. 75 % ont répondu non.
Ce qui se profile devant nous, c’est la maladie japonaise : une période de stagnation se traînant en longueur, accompagnée d’une déflation. Pour Keynes, la déflation était le plus grand des dangers. Plus personne ne dépense, car tout pourra être obtenu demain encore meilleur marché. L’économie se fige, le chômage monte en flèche, et on assiste à la paupérisation de larges couches de la population.
La récession va reprendre en vigueur, les états nationaux ont épuisé leurs munitions. Ils sont incapables de recharger leurs armes. Le sauvetage du secteur bancaire a épuisé les dernières réserves. Pour lui, les États ont dépensé plus qu’ils n’avaient. Dans leur grande majorité, ils sont tout aussi insolvables que la Grèce. La tentation est grande de réduire la charge de la dette par l’inflation. Mais l’inflation, c’est incendier la plaine, c’est un processus qu’il est impossible de maîtriser.
On me pose souvent la question si nous sommes en train de vivre la crise finale du capitalisme. C’est en effet à une sorte d’agonie que nous assistons. Il ne mourra peut-être pas pour les raisons que Marx avait prédites. Mais cela n’y change rien. Le système peut être mortellement blessé, alors même que Marx se serait trompé.
Il faut agir sans tarder, il faut empêcher l’industrie financière de causer davantage de dégâts. Depuis trois ans, je plaide pour l’interdiction des paris sur les fluctuations de prix. Mais rien ne bouge. Des sommes énormes sont soustraites à l’économie par des tours de passe-passe spéculatifs. Tout ça est très très dangereux.

LA STUPIDITE POLITIQUE DE JORION

C'est pas le tout d'être un économiste plus prévoyant, il faut être aussi intelligent. Et d'intelligence politique Jorion n'a que goutte. La situation est très très dangereuse vient de nous dire l'auguste économiste, mais, avec ce gentil démocrate industriel citoyenniste, la fièvre de cheval peut se soigner avec un bon bain de bouche, et il convie ses lecteurs (après avoir frappé à leur porte-monnaie) à enrichir ses nunucheries pacifistes néo-sarkoziennes:

"1) Les salariés sont des partenaires à part entière dans la répartition de la richesse créée par l’entreprise, pas des « coûts de production » qu’il s’agit de réduire au maximum. L’entreprise prend au sérieux le fait que c’est le travail qui produit la marchandise ou le service, pas le génie spéculatif de ses dirigeants ou de ses investisseurs. Les gains de productivité bénéficient aux travailleurs. Un salarié remplacé par un robot reçoit une partie de la richesse créée par le robot.
2) L’entreprise est axée sur l’autofinancement. On ne distribue pas toute la richesse créée en dividendes pour les actionnaires et en bonus pour les patrons – pour devoir ensuite emprunter l’argent nécessaire pour faire tourner la boîte !
3) Interdiction des stock-options. Pas de court-termisme de spéculation boursière pour les dirigeants de l’entreprise mais une visée à long terme de son avenir. Le dirigeant est un « entrepreneur », pas la personne chargée de créer une bulle financière et de filer ensuite avec la caisse, quand la compagnie se krache. Il est là pour exercer une activité qui – pour utiliser les termes de Lord Adair Turner – présente « une utilité d’un point de vue social ».
4) Démilitarisation de la structure de décision de l’entreprise. Quel est le nombre adéquat de niveaux hiérarchiques dans l’entreprise : deux ou trois ? Les influences latérales sont les meilleures.
5) Entreprises propres : pas de déchets intraitables ou non-traités.
6) Entreprises vertueuses : pas de firmes d’armement, pas de compagnies de mercenaires. On n’est pas là pour massacrer ou se faire massacrer".

La solution jorionienne à la crise systémique: une entreprise propre autogestionnaire, un Etat sans armée, une société clean par l'opération du Saint Esprit... Un doux dingue ce Jorion. Finalement ses analyses économiques sonnent creux puisqu'il est incapable d'analyser la chute de la valeur et de comprendre que la société est en délitement complet, en voie de désintégration et de meurtre généralisé des emplois. C'est bien de décrire la pourriture gestionnaire capitaliste mais la corruption généralisée ne peut pas être corrigée par de belles paroles réconciliatrices sans projet politique hard et humain.

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