PAGES PROLETARIENNES

mardi 18 mai 2010

ANARCHISME ET VIEILLES DENTELLES




Deux ouvrages documentaires sur deux facettes de l’anarchisme
- Michel Cordillot, Révolutionnaires du Nouveau Monde – Une brève histoire du mouvement socialiste francophone aux Etats-Unis (1885-1922), Lux, 2009.
- Ronald Creagh, Utopies américaines – expériences libertaires du XIXe siècle à nos jours, ed Agone 2009.

Ces deux ouvrages sont intéressants comme études des pérégrinations théoriques d’une part des révoltés prolétaires européens (français surtout) partis à la conquête du Nouveau monde, et d’autre part – celui de Creagh – comme illustration de ce qu’il est impossible de confondre les ouvriers immigrés européens qui, soit de la génération des communautés utopistes de la fin du XIXe, soit de la génération des militants anarchistes et socialistes à la veille de la Première Guerre mondiale combattirent pour « changer le monde », et la révolte des WASP, des fils de bourgeois et de petits bourgeois blancs des sixties, qui tentèrent de « jouir sans entraves » malgré le capitalisme.

1. Le passé révolutionnaire mais artisanal de l’anarchisme :

Parmi les immigrants de tous les pays d’Europe, une large place est faite dans l’histoire sociale aux anarchistes et socialistes d’origine italienne, allemande, russe, juive, etc. On n’avait jamais entendu parler du fait que des milliers d’ouvriers français avaient franchi eux aussi l’Atlantique, pas seulement avec leur maigre baluchon, mais avec leur besace idéologique et leur passion révolutionnaire. En publiant Révolutionnaires du Nouveau Monde – Une brève histoire du mouvement socialiste francophone aux Etats-Unis (1885-1922), les éditions canadiennes Lux ont permis à l'historien Michel Cordillot de mettre en lumière la contribution de ces migrants français à l'histoire sociale de l'Amérique du Nord. Ces prolétaires français qui ont migrés ne sont pas des citoyens ordinaires. Beaucoup de militants anarchistes comme Etienne Barthelot, d’anciens communards fuyant la répression comme Edouard David, des mineurs du Nord, Louis Goaziou qui quitte son Finistère natal pour s’installer en Pensylvannie et âgé de 16 ans, en 1880, se prolétarise. C’est en exil qu’il s’est fait mineur d’anthracite pour vivre, et c’est dans cette lointaine Amérique qu’il « acquiert la conviction que l’organisation des ouvriers au sein d’union de métiers est la clef de leur émancipation ». Michel Cordillot va suivre le parcours de Louis Goaziou car sa vie est révélatrice de l’évolution d’une large part de la communauté française émigrée aux Etats-Unis (mais aussi avec son intégration bourgeoise finale comme notable franc-mac). L’étude se centre sur cette deuxième vague d’immigration française qui amène des éléments plus enclin au combat syndicaliste de défense et constitution du prolétariat et qui seront peu à peu attiré par les théories socialistes de la IIe Internationale ; la vague d’immigration précédente avec Cabet, les fouriéristes et des communards avait déjà tenue une place non négligeable pour la propagation du socialisme et comme animatrice au sein de la Première Internationale (p.13 et suiv.). L’auteur défriche et sort de l’oubli les journaux ouvriers (La Révolte, Le Révolté, La Torpille, le Réveil des masses, le Réveil des mineurs, L’ami des ouvriers, La Tribune libre – plusieurs de ces journaux sont fondés par Goaziou). La guerre des classes est très dure, emprisonnements répétés, massacre du Haymarket, etc. L’auteur nous montre très bien le développement de cet anarchisme en milieu ouvrier, contre l’apologie de la « propagande par le fait », poussant les travailleurs à s’organiser en barrant la route aux bureaucrates carriéristes, avec le souci d’éduquer les masses au nécessaire renversement de la société bourgeoise. Il décrit précisément les intenses efforts d’organisation et surtout le rôle de lien et de référent que joue la presse anarchiste et socialiste. Les immigrants français, et en cela nous comprenons mieux tous les immigrants, recherchent d’abord à maintenir l’esprit communautaire du vieux pays, se jettent sur ces journaux anarchistes en langue française qui leur permettent de garder leur identité, ou de la prolonger avant d’être absorbé par la société américaine ; mais ce ne sera le cas que d’une minorité.
L’intérêt de cette étude est de resituer la vraie place de l’anarchisme ouvrier, totalement étranger à l’anarcho-syndicalisme moderne agité par nos gauchistes carriéristes. Il fait défiler ces personnages pugnaces, honnêtes, intransigeants que sont les Goaziou, Jean Brault et un Célestin Pugin qui déclare : « Non, camarades, je n’ai plus confiance dans les grèves partielles ou locales (…) je suis partisan d’une grève générale » (31 octobre 1891). Mais l’anarchisme périclite comme théorie politique avec l’affirmation du mouvement socialiste. Les éléments les plus déterminés comme Goaziou vont évoluer vers la IIème Internationale, mais sans rejeter leurs anciens camarades ; partout il acceptera le débat avec les militants de toute sorte.
Michel Cordillot donne une leçon d’histoire en décrivant la vie de cette communauté française prolétarienne avec ses journaux anarchistes et socialistes, ses « baptêmes civils », ses « ducasses » héritées de la région Nord-Pas de Calais. Une des raisons de la faible répercussion de la participation des français immigrés aux instances ou aux congrès est liée aux problèmes du bilinguisme, la plupart des ouvriers français de cette génération ne pratiquant pas la langue de Shakespeare ou s’y mettant difficilement.
Ouvrage novateur aussi en ce qu’il étudie les rapports des lecteurs ouvriers et de leurs presses anarchistes et socialistes qui leur sont précieuses et maintiennent leur identité. Ces journaux ont un public large, songez : 575 000 travailleurs canadiens français bossent aux Etats-Unis en 1901, 812 000 en 1912 + 270 000 français. Pourtant il n’y a gère de contact entre ouvriers français et canadiens ces curetons…
Goaziou est devenu l’une des figures incontournables du jeune Parti socialiste américain d’Eugène Debs. Comme nombre de migrants conscients que leur vie est désormais ici, il s’est fait naturaliser. Ce phénomène de naturalisation/sédentarisation est illustré par « l’existence d’un maillage extrêmement dense de sociétés de secours mutuels, de coopératives, de sociétés culturelles, théâtrales, musicales et même horticoles », structures montées et animées par des militants chevronnés. On voit ainsi que cette « vie ouvrière communautaire » - si elle constituait bien l’ossature du prolétariat – ne préparait ni la révolution, ni la lutte contre la guerre mondiale proche, mais fût un facteur d’intégration d’une partie des français au mode de vie américain. Ce fait démontre en même temps que l’ouvrier immigré n’est pas un facteur révolutionnaire en soi. S’il a quitté son pays d’origine c’est quand même pour chercher fortune ailleurs. D’ailleurs la plupart des français qui ont réussi à « s’intégrer » aux Etats-Unis, ont fait bonne pioche, la plupart des militants « surent individuellement, en tant qu’immigrés, tirer leur épingle du jeu dans le contexte américain, si bien qu’ils furent relativement nombreux à connaître à la fin de leur existence une réussite sociale et un niveau de revenus à tout le moins honorable » (p. 211). Durant une quinzaine d’années, L’Union des travailleurs, avec ses racines libertaires, aura été un organe de référence pour les militants socialistes francophones et un outil indispensable à la mise sur pied d’une section francophone, reconnue comme telle au sein du Parti socialiste américain. A la veille du massacre de 1914, tant d’énergies pour « organiser », « éduquer les masses » avec une presse qui supposait tant de privations personnelles et des endettements sans fin, Goaziou et le pS américain tombent aussi dans l’Union sacrée, après des hésitations, puis franchement en s’appuyant sur l’aplatissement de Kropotkine… Michel Cordillot voit la source de ce ralliement patriotard dans ce maintien du communautarisme français : « alors même qu’ils sont de fait devenus des Américains, ces immigrés politisés continuent fondamentalement de se voir comme des Français (ou des Belges) et c’est cela qui détermine leur loyauté patriotique instinctive ». La Fédération socialiste de langue française subit une crise dont elle ne se relèvera pas. En avril 1915, elle se déclare indépendante du Parti socialiste américain et vivotera jusqu’en 1922. L’Union des travailleurs disparaît en 1916.
Un travail vivifiant d’historien.

2. Le poujadisme (1) hippie

Avec "Utopies américaines" de Ronald Creagh on n’a pas affaire à un travail d’historien cohérent comme Cordillot. Mise à jour, revue et augmentée de son ouvrage de 1983, "Laboratoires de l’utopie", qui brossait un tableau des communautés utopiennes jusqu’aux années 1960, l’étude mélange tout, confond les « colonies agricoles idéales » de l’époque de la guerre de Sécession (dont parle Cordillot) et le mouvement épicurien et nihiliste petit bourgeois hippie des sixties. Il ne pouvait pas plus mal commencer qu’avec l’évocation du « collectif à GO-GO », communauté punk. Quand Cordillot débute son ouvrage avec les meetings socialistes et les espérances des prolétaires, San Creagh commence par mystifier ses lecteurs avec cette histoire de ferme communautaire où vécurent deux anarchistes célèbres il y a un siècle ainsi que des suffragettes, et où naquit en 1936 le rigolo Abbie Hoffman, camelot de la théorie yippie (variante radicale du hippisme bobo). D’emblée la confusion est ainsi introduite entre une mouvance anarchiste de la fin du XIXe siècle - qui pouvait compter d’honnêtes syndicalistes, comme de braves utopistes et des réformistes pour les droits civils - et les vibrations fumigènes de la jeunesse petite bourgeoise de la fin de la reconstruction.
Deux époques différentes, et avec des buts différents. Au tournant des XIXe-XXe siècles, des anarchistes comme Emma Goldman et Alexandre Berkman agissaient en direction du mouvement ouvrier et pour le changement de société. Ils portèrent des critiques justifiées aux dérives de la révolution russe à laquelle ils avaient apporté leur soutien, mais persistaient à dénoncer le capitalisme. Avec l’apologie du hippisme et des punks attitudes à la Creagh, c’est au maintien et à l’aménagement du capitalisme que nous sommes conviés à chaque page, avec pour exemple le moindre bordel communautaire d’un coin de Californie, et il aurait pu nous y ajouter la communauté épicière de Tarnac. Avec le chapitre « les sixties les années du défi », l’auteur aurait pu en profiter pour nous faire rigoler par contre sur le « jouir sans entraves » immédiatiste des adeptes de la fumette et du nirvana communautaire à condition que ce soit toujours les mêmes qui fassent la vaisselle. Malheureusement, en bon anarchiste moderniste, il nous déverse en permanence sa « science » en considérant qu’il n’y a plus non plus « d’entraves historiques » et que le monde est régi par la théorie du chaos. L’utopie permet tout selon ce petit boutiquier des « expériences communautaires » : « La réflexion utopique n’est donc pas simplement une idéologie de résistance, elle est ouverture et création ». Ah Ah ! mais création de quoi ?
Pourtant San Creagh nous donne ponctuellement des éléments pour nous moquer de son salmigondis « Utopies américaines » (et pourquoi américaines ?). Les prétentions des communautés alternatives de la fin du XXe siècle ne sont souvent que la réédition des pratiques des sectes religieuses, des tribus arriérées indiennes et des quakers…
Passons sur le chapitre « Communisme à l’américaine », où il y aurait beaucoup à dire sur le succès de courte durée des utopies importées d’Europe dans le Nouveau Monde plus calibré pour développer un capitalisme moderne et novateur que pour suivre les illusions et théorisations des courants petits bourgeois du XIXe siècle.
C’est avec les « sixties » hippies que Creagh tente de réviser le déroulement réel du mouvement de contestation de la jeunesse, emmenée par sa fraction petite bourgeoise en nous faisant le coup du « retour de balancier » dans l’histoire américaine. En fait il inverse les données : « un courant communautaire d’une force sans précédent » ressurgit dans les années 60 puis il saute dans la contestation de la guerre du Vietnam. Or, ce révisionniste en histoire oublie d’en référer à la notion de « société de consommation » qui est centrale dans la période de reconstruction quelques années après la fin de la deuxième boucherie mondiale. Il oublie le plus important, la domination culturelle de la bourgeoisie et le rôle essentiel et prédominant des modes musicales pour défouler la « jeunesse » (qui n’est qu’un mot et pas une classe sociale). L’explosion des distractions pour la jeunesse, la place grandissante du cinéma puis plus tard de la télévision, l’apparition des groupes de rocks et la place réservée aux messes géantes de leurs concerts, sont des trucs accordés par les pouvoirs publics pour « faire rêver dans le capitalisme plus ou moins calmé. Or, le capitalisme des sixties ne fait pas rêver, et le stalinisme d’époque illusionne encore une partie des ouvriers et quelques fils de grands bourgeois. Ceux qui posent la nécessité d’un autre monde, ce ne sont pas les gentilles communautés de la côte ouest des states avec ses Beach boys et les contestataires de Berkeley. Ceux qui posent la nécessité non de s’adapter au capitalisme mais de le détruire c’est une conscience politique (certes confuse et contestataire) qui touche même les fils de bourgeois face à la guerre du Vietnam, ce sont les mouvements de grève dans la plupart des pays développés puis mai 68 en France. Creagh ne manque pas d’air en bon révisionniste bobo de faire commencer « l’ébranlement » sociétal par la réunion de quelques clochards Wasp dans des fermes abandonnées aux fins fonds des Etats-Unis en 1966. Ce poujadisme romantique donne de ces envolées lyriques… : « Le vent libertaire des sixties s’est gonflé avec les émotions et les œuvres d’imagination » (p. 211). Il avait fumé un joint avant d’écrire une telle insanité ? Il dénonce la « vulgarisation médiatique » qui stigmatise les « microsociétés marginales » mais heureusement les « jeunes » s’en foutent, les crottes des médias ne ternissent pas leur blanche colombe « underground », ces « journaux alternatifs », « véritables petits chefs d’œuvre » (2) . « Les défenseurs de l’American way of life »furent effrayés par les apôtres du « paradis communautaire » : « Des forces nouvelles apparaissent au grand jour. Dans le sillage des Afro-Américains (3) va surgir un mouvement qui passera de la Nouvelle Gauche et du radicalisme institutionnel ( ?) à une permutation avec une culture différente et innovatrice. C’est dans ce tourbillon, dans l’œil du cyclone, que s’installe le paradis communautaire, à la poursuite d’une Nouvelle Frontière » (4) .
Chez les intellectuels bobos, édités par Agone, l’histoire est le fait des sociologues, des philosophes à la mode et des amateurs anarchistes artistes de la provocation. La marche de la société mondiale n’est qu’un nuage écologique, les classes n’existent pas. Tout est chaos et il suffit de laisser « pousser les fleurs » comme il dit en citant le célèbre penseur libertaire un peu neuneu Chomsky.

EN QUETE DE REVOLUTION ? NON, EN QUETE DE « STYLE DE VIE » (sic)

Comparaison n’est pas raison. Comme ledit Creagh a fortement conscience d’avoir abusé ses lecteurs avec ses comparaisons avec les sociétés utopiques du XIXe siècle, il va tenter de nous faire croire qu’il y a eu un « progrès » avec les fermes hippies : « Les associations du XIXème siècle donnent l’impression d’une plus forte consistance (sic) que celles qui voient le jour dans ce nouveau cycle. Elles se recrutaient dans des populations relativement stables, essentiellement parmi les paysans et les ouvriers. Une nouvelle identité collective constituée par la perception d’un objectif et d’un engagement communs (…) regroupe une frange qui appartient surtout aux classes moyennes… ». Pour une fois que notre théoricien des vieilles dentelles et tresses hippies serre de près la vérité du courant bobo moderniste, on ne va pas mégoter notre plaisir, lequel ne dure point car Beach Creagh nous refroidit avec un certain Keith Melville qui a tout compris (mais après Hoffman, Marcuse et Leary), le prolétariat est complice : « les contradictions de la société occidentale (c'est-à-dire des pays capitalistes développés) (5) ne se fixent plus sur le prolétariat, comme au XIXème siècle ; la classe ouvrière, qui touche sa part du profit, défend donc le statu quo ; les contradictions se manifestent désormais chez les jeunes, en quête d’un style de vie et qui ne sont pas encore définitivement engagés dans la société ou dans des obligations économiques (resic). A la lutte des classes se substitue une politique de libération « culturelle ». Creagh, comme ledit Melville s’adressent donc aux adolescents pré-pubères, ces jeunes d’avenir… Et qu’est-ce que notre rate se dilate quand Creagh ridiculise lui-même sa théorie de l’ébranlement par la « société communautaire » des bobos pas encore cadres, quand il nous révèle la nature de cette couche « révolutionnaire » qui hante les villes depuis lors : « Le mouvement des années 1960 n’affecte que la population blanche des moins de cinquante (ou même de quarante) ans et leurs enfants (…) Ils optent pour une vie simplifiée et pensent que le monde rural leur offrira cette opportunité (…) La proportion des recrues qui ont fréquenté l’université et sont issues des professions libérales et des catégories relativement aisées est donc beaucoup plus élevée que dans la population globale ». On se marre, les bobos hippies ont remplacé la classe ouvrière dans leur but d’accorder le monde à leur petit nombril ! Plus drôle, si certaines communautés parurent végéter comme les sectes religieuses, en réalité le phénomène hippie n’aura été qu’une extension de clan familial, plus ou moins nomade (mais tout aussi réac): « Les « communes » sont microscopiques, même par rapport aux groupuscules du passé ; elles se réduisent souvent à cinq ou six individus et à leur progéniture ». Creagh s’imagine qu’il s’agissait d’une remise en cause « des valeurs d’une Amérique opulente mais inégalitaire », alors – et c’est lui qui les cite – que des observateurs plus perspicaces (les marxistes ?) n’y ont vu qu’une contestation au sein des classes moyennes entre puritains et « échangistes ».

UNE APOLOGIE DE LA DENTELLE VILLAGEOISE PSYCHEDELIQUE

Les anciens hippies incapables de faire tourner la ferme communautaire (fainéantise + délires intellectuels + abus de cannabis) sont revenus parasiter les villes. Creagh s’enthousiasme pour le « groupe tribal » libertaire selon qui « small is beautiful » ; l’utopiste moderne se nomme black block ou « subversif », il dédaigne l’ordinateur (c’est pas vrai) : « A l’opposé, l’utopiste échappe à l’étouffement de l’homme moderne, qui n’est accouplé qu’à son écran d’ordinateur ». Creagh est un plouc fier de l’être : « Le groupe devenu milieu de vie hospitalier, fluctuant et révocable (6) , peut intervenir aussi bien sur les plans affectif ou culturel que sur celui de l’économie, à condition de résoudre d’une manière satisfaisante le problème du choix » (p.229). J’ai pas tout compris, mais cela sent la définition de secte, non ? Pour Creagh le summum de l’utopie féconde est de vivre sans montre et sans calendrier ; comment fait-il pour assurer régulièrement ses cours pour justifier son salaire ? IL n’aime pas le train non plus : « Les utopistes du XIXe siècle n’avaient pas quitté le train de l’histoire. Ils avaient accepté le développement matériel et industriel (7) . Ils avaient cru ferme au déterminisme historique » ; la suite on dirait du Coupat brut : « Sur cette conception impérialiste du devenir social, s’est greffé le socialisme « scientifique », dans sa version vulgarisée (8) ; le militant devait s’investir dans les institutions traditionnelles et limiter les chaînes de Prométhée dans l’expectative de sa révolte » (p. 231). La palette de couleurs de l’anarchiste d’aujourd’hui est si belle par contraste : « Quel contraste avec l’époque antérieure où les anarchistes faisaient figure d’exception au sein d’un réseau communautaire doté de dirigeants doctrinaires et de règles contraignantes… » ; de nos jours (heureux) le milieu libertaire est cool dans son impuissance bi-séculaire : « ils tendent à esquiver les décisions collectives et même la recherche d’une unanimité. Ils évitent aussi les pressions inutiles sur les individus, les décisions forcées imposées par les plus persuasifs, l’unité de façade qui implique la manipulation ». Oubliant ces immigrants harassés de fatigue, illettrés et non cultivés pour prendre exemple sur la « seconde génération » libertaire comme celle de Bryn Athyn où on poursuivait « systématiquement la politique de l’extase : dès la moindre contradiction on fumait un joint » (9) .
Les « anarchistes d’antan manifestaient des préoccupations essentiellement d’ordre économique (…) par contre leurs successeurs témoignent d’un « radicalisme culturel ». Non mon pauvre Creagh, les zozos parisiens ou new-yorkais ne sont pas les successeurs des militants ouvriers du passé ! Et, le culturel on te le met au cul car tu sais maintenant que dans la crise systémique on attendra longtemps San Creagh l’aide de tes amis « utopistes communautaires » pour renflouer l’économie capitaliste chancelante et donner à bouffer aux prolétaires à la rue ! La plupart des communautés dont tu as fait la publicité ont sombré dans le ridicule de l’égotisme petit bourgeois fainéant de fils à papa, pour des raisons aussi prosaïques que se lever pour aller nourrir les animaux ou chercher du pain, et ont plongé par une part dans la clochardisation et pour une autre dans sa version new look des squatts des zones urbaines en déshérence (cf. p.250).
Je n’ai plus beaucoup d’espace sur mon blog, et j’ai dû supprimer nombre de messages anciens aussi je ne vais pas m’amuser à citer toutes les âneries du dernier produit Agone. Simplement je te laisse, lecteur, réfléchir (et te poiler) sur ce passage en conclusion de ce pauvre petit prof de faculté de province (française) ; il décrit avec des accents romantico-tarnaciens, voire communisateur nunuche l’existence (utopique communautaire et terriblement emmerdante pourtant):
« Dans son essence, cette existence rompt avec le temps mythique de l’Etat, avec ses cycles répétitifs de l’année civile et des rituels civiques ; elle échappe à l’appropriation capitaliste, qui fait du temps une marchandise ; en son sein, par exemple, vendre sa force de travail peut demeurer un impératif, ce n’est plus la règle normale ni la matrice de tous les statuts individuels. Elle n’attend pas « la révolution » parce qu’elle fait sa révolution permanente dans le présent. En dehors de l’histoire et du temps chronologique (10) , elle vit chaque instant comme un événement. Bref les formes d’historicité qu’ont institué la marchandise et l’Etat sont estompées ». Et le capitalisme avec ?
Ce bouquin est vendu hors de prix à 24 euros, j’espère par ma critique (sans aucun égard pour la troupe qui a réalisé un bel ouvrage au sens belle maquette) faire économiser leurs sous à mes lecteurs prolétaires pauvres et qui ne veulent pas gaspiller leurs deniers dans des marchandises avariées pour salonards. Le glossaire est intéressant concernant le parcours de certains individus tarés, tel ce John Zerzan, prisé jadis dans les milieux ultra-gauches et ultra-bobos.

Notes:

(1) Le poujadisme est le nom donné à un mouvement corporatiste et populiste de droite, apparu au début des années 1950 en France. Le mouvement s'est fédéré autour de Pierre Poujade (1920-2003), homme politique français, fondateur de l'Union de Défense des Commerçants et Artisans (UDCA). Il visait à défendre les intérêts des petits commerçants et des artisans confrontés à la modernisation de l'après Seconde Guerre mondiale et à la pression fiscale.
(2) En réalité de vraies merdes faisant l’apologie de la provocation, de l’exhibitionnisme, de la fumette ; à côté « Actuel » ou « Rock & Folk » c’est du Balzac, quoique niveau mental pré-ado.
(3) En bon antiraciste, Creagh tente de nous renforcer sa théorie de « l’ébranlement originel » des fermiers hippies avec ce clin d’œil aux crétins du black power.
(4) La frontière du haschich, avec Ducon Timothy Leary, apôtre du LSD : « explore et dilate tes phénomènes de conscience ! ». Ou comme disait une très vieille chanson française, nous sommes tellement ébranlés par la fascination du petit prof Creagh pour des cons légendaires que… j’ai la rate qui se dilate !
(5) La précision est utile pour les crétins d’étudiants de Montpellier qui suivent les cours de Creagh.
(6) Ah ces vieilles réminiscences de « l’autonomie » et de « l’autogestion » de la vie quotidienne…
(7)Les lâches !
(8)Car il existe une version chic ?
(9) N’est-ce pas une apologie de la fumette pour résoudre les problèmes de politique internationale par exemple ? Sans compter l’évolution que représente dans le chaos la noria des utopistes illuminés modernes : « Les étapes successives des milieux libres (sic) représentent à n’en pas douter une rupture croissante avec la civilisation urbaine et policée ». Nouveau déterminisme « utopiste » à la sauce Creagh
(10)Attention ! S’il y a une vraie révolution, ce genre d’intellectuels peut se cloner. Claude Bitot est pour jeter les MP3 et MP4 à la décharge comme ses amis talibans. Le beach boy Creagh va tenter de nous imposer la destruction généralisée des montres. Il trouvera en travers de son chemin certainement un certain Julien Dray. Et moi.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire