PAGES PROLETARIENNES

samedi 6 février 2010



Du nouveau chez les grèves sauvages, des grèves «surprise» ou en kit ?


Grève en kit chez ikea Thiais



De notre envoyé spécial Haicekrim,

Ma compagne Ornella et moi nous sommes rendus ce matin au centre commercial de Thiais avec l’intention d’acheter un fauteuil (made by children of China) chez Ikea pour la petite. Nous nous sommes rendus compte que quelque chose ne tournait pas rond immédiatement près de l’entrée après l’escalador qui nous avait amené depuis le parking souterrain mal numéroté. Un groupe d’une dizaines d’hommes avec la même tenue (des vigiles ?) empêchaient d’entrer les autres consommateurs. Nous avons pensé tout de suite qu’il y avait eu sans doute un braquage et que les hommes de la loi et les gens d’armes faisaient leur boulot pour nous protéger, et ensuite nous laisser librement et démocratiquement consommer.Je m’approchai tout de même du premier planton pour m’enquérir de la nature du fait divers :


- à quelle heure a eu lieu l’agression ?


- c’est un « mouvement social » me répéta-t-il en chuchotant, comme il venait de l’indiquer au consommateur précédent.


- Pourquoi chuchotez-vous, il n’y a pas de honte à faire grève ? fis-je.


Le gars sourit quand j’ajoutai que je ne pouvais dans ces conditions que les approuver complètement et je m’enhardis à leur poser des questions :


- c’est une grève pour quoi ?


- pour les salaires, me répondit l’un, légèrement emprunté.


- Bon sang, vous n’avez pas à avoir honte ! Et c’était planifié par les syndicats ou sans préavis ?


- Sans préavis.


- Bravo…


Les gars reculaient un peu devant ma grande taille et aucun n’osait entreprendre vraiment la conversation avec moi. Pourtant même si je peux assurer je ne suis jamais violent ni vindicatif, mais je fais du rentre dedans, par habitude, par expérience aussi, si on essaie de me raconter des histoires.


- Je parie que vous êtes du genre d’ouvriers qui laissent les syndicats décider comme bon leur semble la programmation de la grève en AG…


Ils rigolent. J’en rajoute une couche :


- dans le temps quand je venais me renseigner au piquet de grève, il y en avait toujours qui me disait « attend on va aller chercher un responsable syndical », vous aussi vous allez laisser un zigoto du syndicat parler à votre place ?


Ils rigolent encore, mais gênés comme des ados pris en faute, alors j’atténue ma sévérité :


- bon vous n’êtes pas pour la révolution comme moi… ni soixante-huitards…


(le groupe rit franchement, ils sont tous jeunes). Je continue :


- ce qui me choque c’est que vous n’avez même pas de banderole, « en grève » par exemple vous éviterez d’expliquer votre cessation de travail aux centaines de personnes qui vont défiler toute la journée devant vous…


- On veut s’adresser directement à la clientèle, dit l’un, qui s’écarte aussitôt timidement.


- ???? Tous les magasins Ikea en France ?


- Oui tous.


- Et vous en êtes où ?


- Les négociations ne sont même pas ouvertes…


- Les négociations de qui ?


- …….


Ma compagne Ornella met le doigt dans le mille :


- pourquoi n’allez-vous pas chercher la solidarité auprès des gars de la FNAC à côté ?


Elle m’en a bouché un coin, à moi le vieux routier de la révolution, mais oui c’était cela l’essentiel à leur dire d’emblée ; je n’avais plus qu’à en rajouter une couche :


- eh oui ! (joignant le geste à la parole) et vous bloquez tout le centre commercial. Plus tard, si les gars de la FNAC ont des problèmes ils viendront vous voir à leur tour… L’extension c’est mieux que de rester comme des cons à faire le planton toute la journée ou pendant une semaine, regardez à Dunkerque ils ont menacé de bloquer toutes les raffineries en France et le ministre a cédé aussitôt… Bordel faites ce genre de proposition à l’AG !


Un des jeunes, le plus près de moi :


- cela semble une bonne idée…


Nous avons souhaité bon courage à tous.


Ornella et moi on était content – on achèterait la chaise un autre jour ou on irait à BUT ou Conforama. Ornella avait entendu un cri « ils ont le droit de faire grève »… donc des consommateurs devaient être mécontents. Le droit ? Quel droit ? Ils ont raison c’est tout. Ce qui m’a frappé malgré tout, camarade du Prolétariat Universel, c’est la timidité de ces employés. La plupart d’entre eux n’osaient pas s’approcher pour engager ou favoriser la discussion. Ils se sentaient pratiquement coupables de participer à une grève non annoncée d’avance. Dans un réseau d’entreprises commerciales dotées d’une tradition de luttes peu anciennes….De retour à la maison j’ai été surfer sur le web où je lis, répété par chaque site de presse ou modifié à une phrase près, le communiqué de l’AFP: « Plusieurs magasins du groupe d'ameublement Ikea étaient touchés samedi par un mouvement de grève portant sur les salaires, a-t-on appris auprès des syndicats et de la direction. A la mi-journée, le magasin de Thiais (Val-de-Marne) n'avait toujours pas pu ouvrir ses portes, « faute de personnel suffisant pour assurer la sécurité des clients », a indiqué à l'AFP Pierre Deyries, directeur de la communication d'Ikea France (ou plutôt pour assurer les ventes…). Selon la direction, les magasins de Vélizy (Yvelines), Grenoble et Montpellier étaient perturbés mais ont pu ouvrir au public. Le magasin de Roissy-Paris-Nord, situé à Gonesse (Val-d'Oise), n'a pu ouvrir qu'avec deux heures de retard samedi matin, selon Sébastien Heim, délégué syndical central Force Ouvrière, qui précise que certains caissiers grévistes ont été remplacés par des responsables de vente. A Bordeaux-Lac, environ 70 salariés ont observé un débrayage de deux heures et manifesté samedi à la mi-journée devant le magasin, a indiqué à l'AFP Thierry Friconnet, délégué CFDT, selon lui, il s'agit du premier mouvement de cette ampleur au niveau du magasin bordelais qui compte 295 salariés. "La direction propose une augmentation des salaires de 1,2% ce qui ne couvre même pas l'augmentation du prix de la mutuelle", a expliqué M. Friconnet qui a ajouté que d'autres magasins comme celui de Toulouse étaient également touchés. Les trois principaux syndicats d'Ikea (CFDT, FO, CGT) protestent contre les propositions salariales faites par la direction lors des négociations annuelles obligatoires (NAO), laquelle s'est pour l'instant engagée à consentir une augmentation moyenne de 1,2% sur la base de hausses individuelles ou au mérite. Mais les syndicats réclament aussi une augmentation collective (appliquée uniformément à tous les salariés) d'environ 4%. Les syndicats soulignent qu'Ikea France a réalisé en 52 millions d'euros de bénéfice net en 2009, un chiffre qu'a refusé de confirmer la direction à l'AFP. Ils exigent d'être reçus par le nouveau directeur général d'Ikea France, Stefan Vanoverbeke, les négociations étant actuellement confiées à la direction des ressources humaines. Le direction explique son refus d'accorder une augmentation de salaires collective à une conjoncture économique difficile dans le secteur de l'ameublement et aux incertitudes économiques pour l'année 2010 ». J’adore le questionnement simplet des journalistes : grève pour les salaires ? Y dit quoi le patron ? Y font quoi les syndicats ? Jamais ces plumes pour bourgeois voyeurs ne posent les questions troublantes : comment se déroule la grève, qui décide, qui a décidé, y-a-t-il des AG, avez-vous obéi ou désobéi aux syndicats, vous font-ils la comédie de l’unité syndicale, voyez-vous plus loin que les murs de votre entreprise, etc. ? Depuis des années une expérience de lutte marque pourtant cette chaîne suédoise d’ameublement original et pas cher. En décembre, en langage shamallow journalistique on trouvait déjà comme info : « Ikea: une grève perturbe des magasins », c’était à Montpellier, une « grève surprise » d’une vingtaine de salariés, « du jamais vu depuis 2005 » ; merde au Père Noël !


Sur le site espagnol Sociologias qui recopie un article de La Libre Belgique (28,05.09), on peut faire remonter l’expérience en 2009 en Belgique, et comprendre que la timidité de ces prolétaires s’explique parce qu’ils travaillent dans un secteur exposé à la crise, friand d’emplois précaires, celui des PME, et que leur mode d’action est reflété et encadré par un syndicat soft et inodore : le CNE, qui ne veut ni casser des briques ni gêner le capitalisme (en gras le discours typique du syndicat-maison).


« 28 Maio 2009


Préavis de grève national chez Ikea


La direction d'Ikea Belgique a décidé de déposer, auprès de la Fedis, une requête en conciliation après l'échec des discussions, jeudi, avec les syndicats nationaux. Ces derniers ont pour leur part déposé un préavis de grève national et quitté la table des négociations, dénonçant l'attitude du management. "Ikea Belgium espère que la Commission paritaire pourra réconcilier le plus rapidement possible les points de vue divergents", souligne la société dans un communiqué. Dans la foulée, elle "demande à ses collaborateurs d'être compréhensifs et d'avoir une attitude constructive face à la situation". Pour rappel, le personnel des sites de Hognoul et d'Arlon avait débrayé en fin de semaine dernière afin d'exprimer son ras-le-bol face à la surcharge de travail imposée par une sévère restriction des effectifs au sein des magasins. Le travail avait par la suite repris à Arlon. "Nous avions demandé - par respect pour les travailleurs - que le 'plan de crise' de la société constitue le premier point évoqué lors de la réunion de ce jeudi, ce que la direction a refusé, affirmant à présent que ce sujet devait être discuté au niveau local", regrette Brigitte Streel (CNE). "Après une interruption de séance et un nouveau refus de la direction, nous avons décidé de déposer un préavis de grève au niveau national, arrivant à échéance dans 15 jours", ajoute-t-elle en évoquant un "durcissement possible du mouvement". Sur le terrain, des assemblées du personnel seront organisées demain/vendredi à Arlon et à Hognoul où il est fort peu probable que le travail reprenne. De son côté, la direction rappelle que son objectif, en présentant son plan d'action, n'était "ni d'effrayer ses collaborateurs, ni de les mettre sous pression". "C'est précisément pour garantir l'emploi que l'entreprise propose de ne pas renouveler les contrats à durée déterminée et les contrats de remplacement, et de limiter les jobs d'étudiants", ajoute-t-elle en regrettant que les syndicats aient "rompu la concertation sociale". Enfin, selon les représentants des travailleurs, la réunion de conciliation demandée par le géant suédois de l'ameublement devrait avoir lieu dans les tous prochains jours ».



Ce n’est pas, cher camarade du Prolétariat universel, parce que j’allais faire mes courses au centre commercial de Thiais, que j’ai cru être tombé sur un miracle de la lutte de classes, ni une de ces étincelles qui annoncent le grand chambardement, que je tenais à vous tenir informé mais parce que cela permet de révéler, aux intellectuels dégrisés de leurs rêves barricadiers ou bolcheviques primaires, que la lutte des classes ne cesse pas et qu’elle tend à s’amplifier en période de crise même dans des secteurs où la défense ouvrière est fort faible[1].


Il y a un an, dans la filière belge d’IKEA, l’expression de cette faiblesse s’était manifestée par l’incapacité à se poser la question de l’extension, on lisait encore dans La Libre Belgique : « Les six magasins de décoration et ameublement IKEA du pays (Anderlecht, Arlon, Hognoul, Ternat, Wilrijk et Zaventem) ont été bloqués dès 6 heures vendredi matin par des piquets de grève empêchant les travailleurs de rentrer. Dans la plupart de ces magasins, la direction a envoyé un huissier de justice pour constater les faits, noter les noms des travailleurs empêchés de travailler et les compter ».


On a vu le même type d’action à caractère limité et « introverti », si je puis dire avec la séquestration en France de patrons d’une entreprise du même type qu’IKEA :


« Des salariés de Pier Import, qui ont séquestré deux dirigeants pendant une nuit cette semaine, ont manifesté samedi pour réclamer de meilleures indemnités de licenciement, apprend-on de source syndicale. Selon la CGT, des rassemblements ont eu lieu à Romans-sur-Isère (Drôme), Bordeaux-Lac (Gironde) et Pontault-Combault (Seine-et-Marne) devant les magasins La Foir'Fouille, une marque détenue par le même actionnaire que Pier Import, Claude Ben Behe. Les manifestants demandent un entretien à ce dernier, après un rendez-vous manqué mercredi. Des dizaines de salariés de Pier Import avaient retenu la P-DG Sonia Ben Behe, nièce de l'actionnaire, et le directeur général Gérard Démaret toute la nuit de lundi à mardi au siège de l'entreprise à Villepinte (Seine-Saint-Denis).Le groupe de meubles et de décoration a été placé en redressement judiciaire en septembre dernier, ce qui entraîne la fermeture de 25 magasins et 140 licenciements. Les salariés réclament un demi-mois de salaire par année d'ancienneté. "Là on nous propose le minimum : un salarié qui travaille 35 heures depuis cinq ans va toucher 1.000 euros", a déclaré à Reuters Jésabelle Rocher, directrice du magasin Pier Import de Niort (Deux-Sèvres) qui doit fermer, selon elle, vers le 20 février. "On a montré notre bonne foi en relâchant les deux dirigeants mais l'actionnaire ne s'est pas présenté mercredi", a ajouté l'employée, qui est allée manifester samedi devant un magasin La Foir'Fouille de Bordeaux. Selon une participante, Nafissatou Ménard, une quarantaine de personnes se sont rassemblées devant un magasin de la même enseigne à Pontault-Combault, où elles ont empêché les clients d'entrer. La séquestration des deux dirigeants de Pier Import a été dénoncée par le ministre de l'Industrie, Christian Estrosi, pour qui "il ne peut pas y avoir de vraie négociation quand il y a de la violence". Avec la crise, les séquestrations de dirigeants d'entreprise se sont multipliées ».



Les journalistes ne se placent jamais du point de vue de la classe ouvrière, et comme les gauchistes décrivent d’un « point de vue extérieur » ce qui se passe. Or, les petites boites, ou les boites ramifiées sur plusieurs régions ou pays,


1°) ne se posent jamais la question de l’extension aux autres entreprises (même françaises), vu la faiblesse des AG, la dominante des emplois précaires et une solidarité peureuse,


2°) les prolétaires n’y sont pas capables d’envoyer leurs propres délégations d’AG vérifier si les syndicalistes ne racontent pas des bobards sur la lutte ailleurs (ils en racontent toujours !) pour mieux empêcher l’extension de toute façon dans les filiales ; dans le cas d’IKEA les syndicats soft ont menti en disant à ceux de Thiais que la situation de blocage était la même partout (or il suffisait de parcourir le web pour voir que là ils avaient déjà repris le collier, ailleurs deux heures de blocage seulement, etc.).



En tout cas, blocage par piquets de grève, séquestration de patrons, révèlent d’abord que la lutte démarre sur des bases faussées : le blocage signifiant que ce n’est pas forcément la majorité des travailleurs du site qui a décidé la grève, et la séquestration amène tout de suite les huissiers et les flics. C’est pourquoi la question de l’extension est préliminaire comme arme foudroyante au tout début de la grève ; les autres actions que je viens d’évoquer ne sont jamais une étape vers l’extension mais parmi les multiples moyens des avocats sociaux, misérables syndicalistes gauchistes, syndicaux soft et néo-staliniens, pour torpiller toute réelle lutte de classe en la ridiculisant comme simple protestation corporatiste.


Voilà cher camarade du Prolétariat universel ce que j’avais à vous communiquer pour mon week-end, pas tout à fait gâché de consommateur, mais néanmoins complice du prolétariat.









[1] Allez voir un très beau reportage de grève chez Ikea, humain et fraternel, bien qu’au ras des pâquerettes syndicalistes : pfff "la vie est un long fleuve tranquille"?! http://www.kizoa.com/i-Contact/sflite.swf?fmode=5&did=449775&kc=3493056



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