PAGES PROLETARIENNES

vendredi 11 avril 2008

A BAS LES ECOLES !


…Que l’éducation soit en cause. Et parmi les manœuvres et les accusations nous ne retrouvons plus l’enfance dont il est cependant question. Qui donc traduit les droits sacrés de son cœur ? Qui, s’essayant à dire les besoins de la progéniture inculte, met en avant sa sauvegarde ? Qui, des cerveaux fragiles et de leur libre éveil, et du moi précieux de nos bambins, se fait le défenseur ? … L’enfant ?

C’est l’atout que les clans cherchent à glisser dans leur jeu. Vous imaginez-vous que les sectes aux prises avaient l’âme haute pour regarder grandir, loin du heurt des adultes, à l’écart des laides batailles, les prometteuses générations ? Qu’elles allaient, s’exaltant à la liberté véritable, les guider dans leurs voies personnelles, fussent-elles adverses des leurs, et épier leurs tendances et les servir ? Et que, devant cette humanité naissante, aux lignes souveraines, se tairaient toutes les préférences sociales ou métaphysiques, se condamneraient au silence les dogmes et les philosophies prématurées ?

Par delà les vocables trompeurs que, dans leurs joutes astucieuses projettent les partis, vous n’apercevrez, sous le masque d’un jésuitisme multicolore, que des appétits de proie. L’enfant c’est leur bien, à chacun. Et ils se le disputent et se le déchirent, en partage. Et ils entendent le façonner selon leurs modes et l’impulser vers les formes dont ils caressent l’accomplissement. Vers quelque camp que vous portiez vos regards, et si haut, vous ne découvrirez pas « son » école. Il n’y a que les « leurs » !

C’est une des caractéristiques des pédagogies en vigueur et de tant d’autres attendues. Tout, depuis la matière elle-même jusqu’à la manière et les circonstances, est au service d’un régime. Des promoteurs de la scolarité publique et des bénéficiaires et de ceux qui guettent la succession, toute l’œuvre est viciée des mêmes âpres préoccupations. Des hommes instruits, n’est-ce pas avant tout des « hommes » imprégnés d’une moralité favorable aux institutions établies ou désirées ? Ne s’agit-il pas de fondre la nouvelle portion humaine dans l’agrégat d’une modalité sans appel et plus intéressant que l’être même, et, au-dessus de lui, n’y a-t-il pas « l’individualité sociale », le citoyen fonction de la collectivité et sacrifiable à elle ?

L’enfant appartient à l’Etat, à la société avant d’appartenir à quiconque : aphorisme qui appesantit à merveille le principe d’oppression de la masse sur l’unité et paralyse toute évolution individuelle par essence… Une masse s’identifiant de gré ou de force à l’Etat et justifiant sa dictature permanente ! L’Etat, le « quelques-uns » - noirs ou rouges – qui gouverne, condensant en lui la multitude et capable, sous quelque bannière qu’il exerce, d’en satisfaire les plus larges besoins, de favoriser ses multiples aspirations !

Qu’importent les facultés de l’enfant, ses affinités et son expansion particulières ! Et l’obscure poussée de ses forces profondes et les premiers rayons de son soleil intérieur ! Penser par ses moyens intimes, fouiller d’une sagace investigation les obscurités ambiantes, tenir en alarme permanente son esprit critique et n’assouplir son vouloir qu’aux appels d’une raison toujours en éveil : autant de chemins qui mènent à soi, qui aideront « l’un » à se délimiter, l’homme à s’épanouir dans sa lumière. Mais ce qu’il faut pour affirmer un « homme », c’est cela même qui désagrège le « partisan ». Et voulez-vous, sérieusement, qu’on vous fasse « quelqu’un » lorsqu’on a besoin de « quelque chose » ?

L’œuvre des écoles – car la laïque ne fait que transposer, en l’éparpillant, le dogmatisme de l’école confessionnelle, et leurs rivales, un jour triomphantes, ne renieront pas la tactique – vise à l’écrasement de chacun pour le bénéfice d’un soi-disant édifice collectif. Et nous qui voulons individualiser l’enfance, personnaliser l’éducation, nous les trouvons sur notre route, depuis leurs « directives » jusqu’à leur action quotidienne, comme des Bastilles encore à démolir…

Si vous doutez que demain persisteront, seulement orientés vers d’autres fins, les mêmes procédés, regardez autour de vous tous ceux qui, après avoir faite le procès des écoles abhorrées, esquissent et, déjà, partiellement, réalisent d’aussi pernicieuses compressions. Ils ne s’indignent de la contrainte officielle que parce qu’elle contrecarre leur influence et s’élèvent contre les dogmes d’à-côté parce qu’il ne reste plus de place pour les leurs. S’ils entendent débarrasser le champ de l’ivraie malfaisante, c’est pour y jeter du chardon !

Des conceptions aussi éloignées de la véritable éducation contaminent, jusque dans les milieux extrêmes, des gens qui s’en prétendent dégagés. L’enfant, ce n’est pas non plus – par delà les proclamations – l’unité future dont il faut jalousement protéger l’indépendance : c’est toujours le miroir qui doit refléter leurs conceptions, répéter leurs gestes. Pour eux encore, l’enfant ne s’appartient pas. Il n’est pas le dépôt passager, le placement qu’on administre, mais la fortune dont on dispose, la propriété que l’on modèle au gré de ses caprices. Protester contre ceux qui, d’avance, font de leurs enfants des croyants ou des athées, des monarchistes et des républicains, et, épousant la même aberration, leur insuffler précocement leurs théories socialistes, syndicalistes, anarchistes !...

Où est donc la dénonciation « essentielle », agissante et l’atmosphère nouvelle, sans lesquelles les petites vies esclaves demeurent l’instrument des maturités despotiques ? Facile et vaine supériorité que d’apercevoir les méfaits de l’oppression des autres et de n’avoir pas la sagesse et le courage de tenir le cerveau de ses proches à l’écart des notions et des thèses qui violentent son opinion prochaine, que de reprocher l’embrigadement des racoleurs de l’Etat et s’obstiner à vouloir faire des petits les adeptes de ses tâtonnantes idéologies ! Et qu’ils ne disent pas : « Nous usons d’examen nous n’imposons pas ». Tout ce qui dépasse l’intelligence de l’enfant et le champ de ses possibilités n’est pas de sa part susceptible d’une discussion éclairée et l’adhésion qu’il apporte à nos horizons d’hommes, il la donne dans les ténèbres et contre sa clarté naissante. Le choix précoce et « subi », c’est une ombre sur ses yeux de chercheur, un trouble dans sa conscience en gestation, une atteinte à sa liberté…

Si révolutionnaires que nous soyons, ce n’est pas pour substituer à l’éducation du jour, telle ou telle éducation « révolutionnaire » que nous luttons. C’est pour dégager l’enfant, chaque enfant – qu’il soit fils de prolétaire ou de bourgeois – de la chaîne des idées préconçues et de l’antagonisme des grands et mettre à sa disposition, avec la base d’une constitution saine, les éléments d’une vie morale et intellectuelle dont il sera lui-même l’artisan. Nous travaillons contre les écoles de parti, contre l’éducation autoritaire, pour l’éducation humaine.

Cléricaux, démocrates, collectivistes, anarchistes de fausse étiquette, fanatiques de tous les systèmes, nous sommes contre vos procédés de dressage et de conquête. A bas vos écoles, les écoles où se distille, artificieusement, le miel frelaté des évangiles, à bas les antres où la jeunesse est au service des doctrines. Mais vive l’école où l’on s’inquiète des originalités de chacun, des aptitudes et du tempérament, où l’on regarde comme un crime la main-mise sur les cerveaux, où l’on s’attache, par des méthodes qui en secourent l’élan, à cultiver, dans les cadres de l’âge, tant d’individualités diverses qui feront l’avenir fécond, vive « l’école pour l’enfant » !

Stephen Mac Say

(in journal « Le Semeur », CONTRE TOUS LES TYRANS, n°89, 2 février 1927)


Dans le même journal libertaire, on lit l’article suivant (on est en 1927):

UN SCANDALE qui ne peut durer

Le 3 décembre dernier, trois jeunes militants, des jeunesses communistes, distribuaient « Le Jean Le Gouin » et autres journaux du parti communiste à des marins qui firent appel à la garde et les firent arrêter.

Entre temps, un quatrième militant, secrétaire des jeunesses communistes, était arrêté, parce que secrétaire de cette organisation.

Depuis, ces jeunes camarades sont au droit commun et traités comme de vils malfaiteurs, prequ’abandonnés par leur organisation centrale. Certes, si c’était un Vaillant-Couturier, un Sémard, il y a longtemps que toutes mesures seraient prises pour, qu’au moins, le régime politique leur soit accordé, mais ce ne sont que d’obscurs et modestes militants, qui n’ont pour eux que l’enthousiasme et la foi de leur jeune âge.

Une seule fois, un avocat, délégué du secours rouge, s’est rendu auprès d’eux, depuis c’est le silence de la tombe, ils sont livrés au bon plaisir du juge d’instruction qui les maintient au régime de droit commun.

Il faut que cesse ce scandale, qu’on les mette soit en liberté provisoire, soit au régime politique, ils n’ont commis aucun crime et le délit pour lequel ils sont arrêtés leur donne droit au régime politique.

Nous demandons à toutes les organisations : Ligue des Droits de l’Homme, Partis Politiques, Syndicats, de prendre position et de protester contre la détention arbitraire de ces jeunes militants brimés avec l’assentiment du Parti Communiste.

Malgré que nous n’appartenions pas au Parti Communiste, devant sa carence, nous lançons un appel pour leur venir en aide – l’un d’eux fait partie d’une nombreuse famille dont il est le soutien – il faut que l’on sente en haut lieu de justice, que la solidarité n’est pas un vain mot et que la lettre de cacher n’existe plus en France.

Nous demandons aux journaux amis de joindre leurs protestations à la nôtre et de rappeler au Parti Communiste que les humbles ont les mêmes droits à la solidarité que les Vaillants et autres Treint.

Adresser les fonds à Paul Barbé, 13, rue des Portes, Cherbourg (Manche).

mercredi 9 avril 2008

COMMENT LIQUIDER

LES QUESTIONS REVOLUTIONNAIRES

DE MAI 68 ?

HEDONISME BOURGEOIS ET URTICAIRE ESTUDIANTIN



Prenons comme canevas pour ce message-blog, Henri Weber, intellectuel en herbe avant de devenir intellectuel de gouvernement, qui a fait un stage de formation politicarde à la sortie du PCF dans les JCR puis la Ligue krivinesque de 1966 à 1976, afin d’entamer une brillante carrière au PS et finir sénateur. Tous les dix ans il republie sa version mal réchauffée de 1988 (Que reste-t-il de mai 68 ? est devenu « Faut-il liquider mai 68 monsieur Sarkozy? » qui en 2018 devrait devenir « Mai 68 dans son sarcophage Nicolas») . Le moteur de 68 aurait été une « classe d’âge », il voit partout ailleurs une coupure entre mouvement ouvrier et jeunesse (Allemagne, Etats-Unis) pourtant pour ces deux derniers pays il y a des circonstances atténuantes : en Allemagne la classe ouvrière a été laminée par le nazisme et le pays est encore « puni » coupé en deux ; les Etats-Unis sont en pleine guerre du Vietnam et les premiers touchés ne sont pas les ouvriers mais les jeunes étudiants ; les luttes parcellaires ou partielles comme le mouvement des noirs, des féministes, noient toute spécificité prolétarienne dans un pays aux rapports sociaux primaires et violents, sans solide tradition d’affirmation de la classe ouvrière.

Debray le guérillero rangé des voitures y voit une modernisation du capital français. Rien ne motive une crise révolutionnaire en France : pas de défaite militaire ni grave krach.

« Tout gauchistes que nous étions, nous savions qu’on ne lutte pas dans une démocratie comme contre une dictature. Les travailleurs avaient beaucoup obtenu (sic), pacifiquement, par « l’action de masse », au cours des vingt dernières années, et n’étaient nullement disposés à se saisir des mitraillettes et des pains de plastic (…) Déclencher la guérilla urbaine dans ces conditions eût été une preuve d’insondable débilité politique ». (p.46)
Des sociologues « faisaient pourtant observer, avec quelque raison, que la classe ouvrière industrielle avait clairement montré, au cours des « événements », qu’elle ne constituait plus la force motrice du progrès historique… ». Foin du « catastrophisme millénariste » des militants de la Ligue
Weber, qui n’est pas stupide, reconnaît que la mai français n’est que le point culminant d’un mouvement international d’insubordination qui date du début des sixties, mais aussitôt il en démolit le sens en reprenant le concept officiellement estampillé de « génération ». Il ne voit pas l’interrelation entre la révolte étudiante et ouvrier, la remise en cause des hiérarchies mutuelles, bien qu’il assure parfois que ce sont les étudiants qui ont donné l’exemple, ce qui est archi faux vu l’antériorité des luttes ouvrières autrement plus subversives depuis la grève des mineurs en 1963.
Le CCI, secte super-hiérarchisée, occulte la dimension anti-hiérarchique de 68 (la révolte des catégories méprisées de la classe ouvrière)(*) roule d’ailleurs complètement derrière l’interprétation néo-trotskienne du sénateur Weber, comme il reprend carrément la fiction de tous les gauchistes dans l’immédiat post-68 : les étudiants vus comme avant-garde éclairée de la nouvelle classe ouvrière ! Le nouveau film du CCI en feuilleton refait l’histoire à travers cette grille gauchiste où la classe ouvrière (pourtant bien ficelée tout au long des deux mois de 68) est mise en scène comme force « présente aux côtés des étudiants » alors qu’elle est baladée par les syndicats ; elle est sensée « prendre le relais des étudiants » (RI n°388). Jamais, pendant les 20 ans qui ont suivi 68, RI ancienne série n’aurait osé écrire une stupidité pareille !
Le jeune Trotsky avait constaté en 1905 en Russie que les étudiants « singeaient » la grève ouvrière. Ils la singent toujours mais dans l’ordonnancement médiatique et restent peu dangereux et plus contrôlables que les prolétaires en lutte. Tout ce qui brille n’est pas or, tout ce qui conteste n’est pas révolutionnaire. Ce n’est pas parce que la canaille stalinienne vitupérait contre ses rivaux « organisés », d’ailleurs du sérail de ses propres « jeunesses communistes » , que l’on pouvait souhaiter que les étudiants gauchistes (antifascistes et cire-pompes du syndicalisme) puissent « rencontrer les prolétaires » dans leurs usines. De la rencontre (acte manqué) entre population sorbonnarde et des prolétaires en bleue de chauffe n’aurait pas plus surgie la science infuse d’une nouvelle prise du pouvoir inactuelle et invraisemblable.

Rôle de l’étudiant ?

Quelle est la nature des étudiants, ces adolescents suspendus entre les classes, incertains quant à leur avenir ? « Plaque sensible » selon Lénine, « baromètre » ou « singes » selon Trotsky ? Avant-garde tactique (Mao) ?
Pour le sociologue nanterrois Touraine les étudiants des sixties inauguraient la nouvelle « base sociale », comme détachement avancé de la « nouvelle classe des professionnels », « fer de lance des « mouvements sociaux antitechnocratiques » ; Weber a raison là, cette analyse était du pipeau, comme la démobilisation de ce milieu l’a confirmé peu après et avec le retour à leurs chères études dans les années 1970 et 1980, puis leur régulière manipulation par les estafettes du PS (futurs présentateurs de télé ou, feignasse pour CES comme Isabelle Thomas, collectionneurs de montres et députés comme Julien Dray) jusqu’au refus corporatif du CPE… où le plus beau fleuron, le fils Julliard, a conquis ses lettres de noblesse médiatique pour se faire élire adjoint du maire PS de Paris. C’est un fait patent, la lutte étudiante sert depuis 40 ans à dégager les futurs « leaders d’opinion » journalistes ou députés de gauche, tous anciens leaders de syndicats étudiants. Les « enfants de la classe ouvrière » comme dit le CCI dégénéré se battent donc à chaque fois pour produire une poignée d’édiles bourgeois qui pourront vivre confortablement en parasites sur le dos des exploités. C’est étrange quand les « pères de la classe ouvrière » doivent se contenter de raclures de chefs syndicaux, mais il est vrai qu’ils ne sont pas cultivés ni formés sous les lambris universitaires !
Peu d’appelés à devenirs élus de la bourgeoisie, mais le plus grand nombre est trimballé dans des manifs avec le décorum habituel et donc conditionné au futur cirque impuissant et moutonnier du syndicalisme en entreprise. Bel apprentissage de la lutte pour les soit disant rejetons éclaireurs du prolétariat !
Weber recopie le réactionnaire Tocqueville qui aimait souligner la propension de l’intelligentsia à parler au nom de la conscience universelle, et il constate, à juste titre, que le milieu étudiant (donc pas la jeunesse en général ni telle génération) se pique de prendre en charge l’intérêt général de la société. Voici donc l’étudiant identifié comme fraction de l’intelligentsia ; c’est encore lui faire trop d’honneur car il n’est que le principal consommateur de ladite intelligentsia bourgeoise repue et enrichie.

Les étudiants appartiennent de façon écrasante à la classe moyenne par leur
famille, les revenus de celle-ci et en projets arrivistes. Leur passage à
l'université reste une qualification pour emplois plus privilégiés. Ils sont
formatés pour occuper les positions hiérarchiques supérieures dans la
division du travail. La plupart des animateurs des groupes gauchistes et
ultra-gauches sont d'anciens "étudiants radicaux", qui n'échangeraient pas
leurs fonctions "supérieures" (enseignants, cadres) contre celles des
couches d'exécutants!

L’étudiant est plus souvent tenté par l’engagement idéologique que corporatif, bien que ce dernier comportement soit dominant depuis trente années. Pour son compère Morin l’étudiant serait à la fois membre de « l’intelligentsia et de l’adolescence », vexant non ?
Weber en déduit par conséquent que la mouvance étudiante est devenue une force de frappe de l’intelligentsia (entendez du PS) avec son ami « l’excellent Laurent Joffrin » qui a réussi lui son examen de passage patronal pour succéder à July en mettant en boite comestible mai 68 justement en 88.
Royaume d’adolescents et de « post-adolescents », cette « fraction » supposée de l’intelligentsia a claironné la nécessité de « nouveaux besoins », plus d’accès aux « biens sociaux », au « pouvoir », à la « citoyenneté » ; en gros la fraction agitée de la petite bourgeoisie réclamait un meilleur partage du gâteau au futur chef pâtissier du PS ! C’est en tout cas ce que déduit le petit sénateur du pervers « jouir sans entrave » et du libidineux « plus je fais la révolution, plus je fais l’amour ». Tout cela est du bla-bla de sénateur bourgeois, la question étudiante est SECONDAIRE EN 68; la vérité est que les enfants des couches moyennes (majoritaires à l'époque en fac de "sciences humaines") comme leurs parents, prennent peur à l'idée de TOMBER DANS LE PROLETARIAT. Dans les moments de crise politique et sociale, la petite bourgeoisie doit choisir son camp, soit refouler sa peur d'être rabaissée dans la hiérarchie des classes en prenant le parti du prolétariat (par défi ou bravade de la classe dominante ingrate) , soit rejoindre les rangs de la contre-révolution (stalinisme ou fascisme). Dans une phase d'affirmation du prolétariat, elle peut aussi être du côté du manche comme le souligna Rosa Luxemburg; en 1968 une bonne partie des couches moyennes se sentirent de coeur avec les émeutiers face à la rigidité de l'Etat gaulliste, mais pour se jeter dans les bras de la gauche caviar une dizaine d'années à peine plus tard.

La plupart des étudiants qui ont fini par réussir socialement depuis 40 ans, beaucoup comme toubibs, juristes, journalistes, paysans, avocats (catégories de bourgeois, contrairement à ce que dit la lamentable revue Perspective internationaliste n°48) mais aussi comme demi-prolétaires, c'est-à-dire enseignants, cadres d'administration ont contribué à restaurer peu à peu le paternalisme autoritaire qui prévalait avant 68 dans les entreprises, et ont considéré à leur tour les salariés subordonnés comme de grands enfants…
Weber, qui ne s’est pas foulé, à l'instar son pote Cohn-Bendit et sa ridicule brochure d'interview, en croyant qu’il suffit de radoter les poncifs soixantehuitards bourgeois d’hédonisme et d’individualisme romantique, a juste fourni pour sa réédition perpétuelle de 1988 en 2008, 21 pages d’intro. C’est un notable bien installé depuis un fauteuil du Palais du Luxembourg qui pontifie :

- « C’est au nom de la défense des valeurs démocratiques que les enfants et petits enfants des soixantehuitards (entendez les couches successives d’étudiants) descendent régulièrement dans la rue, souvent en famille (sic) » ;

- Heureusement le marxisme s’est effondré,

- Le bilan social est largement positif…."

Ouais, ouais... les ouvriers sont plus riches, mieux logés, peu menacés par le chômage… Weber se garde de rappeler que les augmentations salariales ont été minables, le sabotage de la CGT, les tractations en coulisse des futurs tenants du « programme-commun » sauf pour le caviar et les bonnes planques dans les nationalisations, etc
Pour le vieux sénateur matois, il faut donc DEPASSER MAI 68 TOUT EN LE CONSERVANT, et DONC :

- Renoncer à la violence comme moyen d’action dans nos démocraties développées (sic)

- Changer la société par la conviction, les élections, les contrats, la loi (mon cul!)

- Abandonner l’utopie chimérique de la société parfaite pour adhérer à l’utopie réaliste d’une démocratie accomplie, bla-bla, bla-bla, bla-bla…

Abandonnons ce vieux cacique bouffi, transfuge d’un gauchisme excité disparu, à ses palabres de salon, et concentrons-nous encore sur ce pauvre étudiant. La place et le rôle des étudiants à l’époque moderne n’a jamais été clairement établie par la plupart des minorités révolutionnaires depuis 68, avec un vague sentiment de culpabilité. Probablement parce que dès le moment de leur formation, les sectes radicales n’étaient composées que d’étudiants, avec un prolo ou deux pour faire « prolétarien ». En général, cela se passait toujours de cette manière par le passé du mouvement ouvrier, excepté pour le chartisme et les mouvements trade-unionistes les plus bornés. Même les partis staliniens les plus ouvriéristes ont toujours été animés par de faux ouvriers ou des étudiants avec de fausses barbes.
Pour avoir été partie prenante de plusieurs groupes, et témoin des opinions des divers militants, je peux réaffirmer que l’opinion commune a toujours été celle des situs : l’étudiant est un con. Etre le plus méprisé, disait Khayati dans le célèbre pamphlet. Sauf, oui sauf lorsqu’il renie ce méprisable petit milieu d’aspirants cadres du prolétariat (dans l’industrie, l'enseignement ou les partis politiques). J’ai connu nombre d’étudiants tout à fait honorables qui ont poursuivi leurs études jusqu’à leur terme, sans se soucier des prurits successifs du milieu universitaire, en daubant la bêtise gauchiste ou bobo, tout en militant sur les positions du prolétariat et pour le rôle exclusivement dirigeant du prolétariat dans la transformation révolutionnaire.
Mais, à chaque nouvel urticaire étudiant ou lycéen (en ce moment c’est pour préserver l’emploi de leurs profs au rabais, pas fichus de se défendre eux-mêmes ?), les mêmes analyses opportunistes refont surface : et s’ils étaient à nouveau des déclencheurs ? Ne sont-ils pas plus imaginatifs que les prolétaires en grève lorsqu’ils secouent leurs petites menottes pour ne pas gêner les orateurs ?
Les études managériales ne se déroulent-elles pas désormais hors de l’université dans des écoles ou instituts privés ? L’étudiant de fac, futur chômeur programmé, n’est-il pas mieux armé conceptuellement pour se joindre au combat de classe ?
Salades que tout cela. Personne ne peut nier le gonflement considérable de la population étudiante à l’époque moderne bien sûr, ni le fait que la réussite sociale s’amenuisera de plus en plus pour le plus grand nombre, ni le fait que nombre de diplômés (avec diplômes inutiles) se retrouvent au chômage. En rester à ce constat est oublier que la bourgeoisie et son Etat ne restent pas inertes. Au XIXe siècle, la jeunesse était celle des classes pauvres et elle joua un rôle incontestable dans les révolutions et grèves. Aujourd’hui, la bourgeoisie met le paquet pour domestiquer une jeunesse scolarisée massive et indifférenciée sous le régime laïque faussement égalitaire. Elle déverse d’abord l’idéologie de l’égalité des chances. Jusqu’au baccalauréat personne ne peut y trouver à redire. La bourgeoisie offre même des paliers pour les échoués en cours de route par des diplômes professionnels (BEP, etc.) mais en leur faisant bien comprendre qu’ils sont des repêchés, des nullards incompétents à décider ou à gérer quoi que ce soit.

A niveau du bac, énormément d’enfants de la classe ouvrière depuis 68 plongent immédiatement dans le monde du travail, même à vil prix. Ceux qui mordent à l’hameçon des études supérieures sont placés sur une voie de garage. Les études supérieures ont remplacé le service militaire obligatoire pour maintenir la digue du chômage à un seuil acceptable. Cela est certes mieux que les rigueurs de la caserne, mais le rôle de "subordination des esprits" de la caserne est bien remplacé en pire idéologiquement. Ces études forcées et prolongées, pour nombre d’étudiants issus de milieux défavorisés, ne sont pas un facteur de prise de conscience de classe ni d'une meilleure perception de "l'identité de classe"; elles favorisent l’arrivisme. Rien n’est pire ensuite que l’arrivisme contrarié ou la déception de ne pouvoir échapper à la condition prolétaire de son père.

S'il ne finit pas employé de bureau ramollo, l’étudiant déçu et sans qualification devient en général souvent un excellent apprenti bonze syndical ou apparatchik de partis de mécontents, nullement un révolutionnaire désintéressé. Il sera de ceux qui réduisent le conflit de classe à la lutte entre l’ouvrier et le patron, dans la mesure où il sera valorisé comme avocat « intermédiaire », alors que les prolétaires ont intérêt à lutter contre la classe capitaliste tout entière. Ou alors il tentera par d’autres moyens, même peu recommandables, de se frayer une place hiérarchique honorable. La culture ou l’intelligence universitaire n’ont jamais été garantie de conscience ou de dévouement à la classe ouvrière.

CE QUI DEFINIT LA CLASSE OUVRIERE

Dans le manifeste communiste de 1848, Marx et Engels utilisent plus souvent le mot prolétariat que la locution classe ouvrière : prolétariat est utilisé 58 fois et classe ouvrière 12 fois. Pour ces deux penseurs du mouvement ouvrier, il n’y a pas opposition des termes (et nous laissons les communisateurs et leurs amis révolutionnaires semi-professionnels enculer des mouches avec la classe en soi et pour soi, tous ces gens – fonctionnaires, cadres ou enseignants – qui sont leurs propres patrons ne se posent pas les questions des prolétaires qui subissent hiérarchie et brimades (j’y viendrai dans un article « Du sexe des anges politiques »). Engels a le mieux défini, sans ambages le prolétariat moderne :

« Le prolétariat est la classe de la société qui tire sa subsistance exclusivement de la vente de son travail, et non de l’intérêt d’un capital quelconque, dont les conditions d’existence et l’existence même dépendent de la demande de travail, par conséquent de la succession des périodes de crise et de prospérité industrielle, des oscillations d’une concurrence sans frein. Le prolétariat, ou la classe des ouvriers, est, en un mot, la classe laborieuse de l’époque actuelle » (Les principes du communisme, antérieurement nommé Catéchisme communiste, et qui servit de base à la rédaction du célèbre Manifeste).

La classe ouvrière, l’immense majorité des salariés et des chômeurs, ne se définit pas par son humanité (qui est réelle) ni par sa situation de soumission :

1. Elle se fonde sur sa dépendance au travail et sa capacité concomitante à exprimer les besoins radicaux de toute l’humanité ;

2. Elle exprime, dans sa diversité moderne, un intérêt historique commun à tous les exploités, mettre fin à l’exploitation et à la division du travail ;

3. Elle est la seule à détenir le pouvoir de changer la société puisqu’elle est son « carburant » et qu’elle est aux leviers de commande de la production ;

4. Elle est la seule à rappeler à la société, par ses grèves immédiates et politiques, que le dialogue (la réforme) est impossible sous le capitalisme ;

5. Elle est une classe internationale qui n’a pas d’intérêt national, ni régional ni ethnique ni communautaire à préserver.


à suivre...

(*) Les rapports de production sont aussi des rapports de domination, dont ne parlent jamais ce genre de secte. Je reprend ici les termes d’un excellent texte de Dominique du Réseau (« Problèmes économiques de la période de transition, les bons de travail ») : « on ne peut que frémir des analyses de tous ceux qui défendent le travail obligatoire et la rémunération au mérite dans la phase inférieure du communisme » (réponse aux duettistes de Robin Goodfellow).

dimanche 6 avril 2008

LA FLEUR ROUGE DU BABOUVISME

« La fleur rouge qui éclate au bout de cette tige, c'est le Babouvisme. La doctrine élaborée par l'ancien commissaire aux terriers, pour animer et orienter les conjurés qu'il rencontre à la Société du Panthéon, présente vraiment les caractères d'un résumé synthétique en même temps que d'un avant-projet : on y trouve mêlé au souvenir des théories du XVIIIème siècle celui des expériences de la Révolution, et, à côté d'un plan d'action insurrectionnelle, un plan d'organisation communiste.

Les Babouvistes arrêtés le 21 Floréal an III sont restés, pour une bonne part de l'opinion avancée, les conspirateurs-types. Les papiers cités lors du grand procès des 64 à Vendôme montrent avec quelle minutie méthodique ils avaient préparé leur coup de main. Proclamations, guidons, chansons, distribution de rôles entre les patriotes «bons pour administrer et révolutionner, au sein d'un Directoire secret », recherche des femmes capables de « pérorer » les soldats en leur portant des couronnes, tout est prêt pour une « Vendée plébéienne ».

La conjuration échoue. Mais la volonté d'aboutir avec laquelle elle avait été ourdie frappe les imaginations des révoltés hommes d'action. Grâce à l'Histoire de la Conspiration pour l'Égalité, dite de Babeuf (c'est le titre du livre que Buonarroti publie en 1828), le Babouvisme devient et demeure, tout le long du siècle, comme le signe de ralliement des insurgés.

L'insurrection n'est pourtant aux yeux de Babeuf .qu'un prologue. Et c'est le drame entier qu'il voulait écrire. Il entendait. fournir à ses contemporains tout le nécessaire pour redresser une Révolution qui, après tant de promesses, leur avait apporté tant de déceptions. Faire oeuvre positive, constructive, c'était l'ambition qui l'avait
soutenu dans une vie pleine de travaux et de combats. Pour cela, d'abord remettre en honneur les principes que trop d'hommes de la Révolution, enclins aux compromis faciles, paraissaient avoir oubliés. C'est à quoi devait servir la philosophie du XVIIIème siècle. Elle fournit leur musique aux Babouvistes.
Littéralement, puisque, pour le réveil, ils avaient composé des chansons où la nature était invoquée et l'égalité proclamée. Ce n'était donc pas sans raison que Babeuf, appelant son fils Émile, recopiait des passages de Rousseau, répétait celui où il est dit : « Vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n'est à personne ». Le babouviste partage d'ailleurs les défiances des amis de la nature à l'égard de la civilisation : par cela même qu'elle raffine et complique nos moyens d'action, ne risque-t-elle pas d'aggraver l'inégalité ? Comme Rousseau, le Babouviste a en principe horreur des grandes villes. Ses préférences iraient à la vie agricole. Spartiate plutôt qu'Athénien - pour reprendre l'antithèse, familière aux hommes de la Révolution, que signale Buonarroti - il préférerait à l'opulence monopolisée par une minorité l'égalité du brouet noir. Et c'est sans doute à ce trait que pensaient Marx et Engels lorsque, dans le
Manifeste Communiste, ils dénonçaient, comme d'essence réactionnaire, la littérature révolutionnaire qui enseigne, en même temps qu'un égalitarisme grossier, un ascétisme universel. Il faut noter que ce souci de la vertu, à la mode de Rousseau en effet, n'empêche pas les Babouvistes - Buonarroti en particulier - de reconnaître le rôle utile joué par le commerce et l'industrie : le commerce et l'industrie ont été aussi, en un sens, les licteurs de la liberté. La richesse acquise a été, aux mains des membres des Communes, des artisans et commerçants du Tiers, un moyen d'émancipation dont toute la nation
devait profiter. D'autre part, les grandes villes, foyers de corruption, sont naturellement des foyers d'agitation. Les Babouvistes auraient été prêts à défendre Paris. Ils pressentent le rôle d'avant-garde que doit jouer la plèbe des grandes villes. Ils vont même jusqu'à admettre l'utilité des souffrances qu'elle endure. La détresse du peuple
n'est-elle pas la démonstration la plus sensible des méfaits de l'inégalité? Aussi les échecs mêmes de la Révolution, les misères qu'elle a aggravées peuvent servir la cause de la Révolution de demain qui tendra, par une méthodique réorganisation de l'ordre économique, à l'égalité réelle. D'ailleurs, cette même Révolution d'hier ne nous a-t-elle pas montré, à côté du mal, le remède possible ? La France étant devenue un camp retranché, un atelier de guerre, n'a-t-on pas su, dans le danger commun, imposer des sacrifices aux privilégiés, fournir des subsistances aux déshérités, n'a-t-on pas rationné, réquisitionné, établi des maximums, constitué des greniers d'abondance ? La généralisation de ces mesures
c'est d'abord ce que demande le Babouvisme : qu'on fasse pour la nation, dans la paix, ce qu'on a fait accidentellement pour la nation dans la guerre. Telle est la marge d'expérience où ses adeptes prennent leur meilleur point d'appui pour le système déjà collectiviste qu'ils se proposaient d'essayer. Pour défendre, non seulement les ouvriers des villes, mais l'innombrable phalange des opprimés, travaillons, disaient-ils avec un sombre lyrisme, « à rendre l'or plus onéreux que le sable et les pierres».

En conséquence, confiscation des biens des émigrés, des fonctionnaires enrichis, des propriétaires négligents, abolition de l'héritage, exploitation en commun par tous les membres valides de la société, répartition des travaux, concentration des denrées et produits dans des magasins publics, d'où ils seraient distribués entre les régions : le modèle de tous les plans collectivistes est ici esquissé à larges traits. Et cette fois le doute n'est plus possible : à cette extrémité, la Révolution française mène au socialisme. Les avocats du Tiers-État ne songeaient guère qu'à établir un régime d'égalité juridique qui, s'il se prêtait au transfert des propriétés entre les mains des paysans, laissait intact le principe même de la propriété. »
« Le Babouvisme en fait bon marché parce qu'il veut avant tout l'égalité économique
intégrale : l'égalité ou la mort. »


Célestin Bouglé « Socialismes français » (1932)