PAGES PROLETARIENNES

vendredi 11 avril 2008

A BAS LES ECOLES !


…Que l’éducation soit en cause. Et parmi les manœuvres et les accusations nous ne retrouvons plus l’enfance dont il est cependant question. Qui donc traduit les droits sacrés de son cœur ? Qui, s’essayant à dire les besoins de la progéniture inculte, met en avant sa sauvegarde ? Qui, des cerveaux fragiles et de leur libre éveil, et du moi précieux de nos bambins, se fait le défenseur ? … L’enfant ?

C’est l’atout que les clans cherchent à glisser dans leur jeu. Vous imaginez-vous que les sectes aux prises avaient l’âme haute pour regarder grandir, loin du heurt des adultes, à l’écart des laides batailles, les prometteuses générations ? Qu’elles allaient, s’exaltant à la liberté véritable, les guider dans leurs voies personnelles, fussent-elles adverses des leurs, et épier leurs tendances et les servir ? Et que, devant cette humanité naissante, aux lignes souveraines, se tairaient toutes les préférences sociales ou métaphysiques, se condamneraient au silence les dogmes et les philosophies prématurées ?

Par delà les vocables trompeurs que, dans leurs joutes astucieuses projettent les partis, vous n’apercevrez, sous le masque d’un jésuitisme multicolore, que des appétits de proie. L’enfant c’est leur bien, à chacun. Et ils se le disputent et se le déchirent, en partage. Et ils entendent le façonner selon leurs modes et l’impulser vers les formes dont ils caressent l’accomplissement. Vers quelque camp que vous portiez vos regards, et si haut, vous ne découvrirez pas « son » école. Il n’y a que les « leurs » !

C’est une des caractéristiques des pédagogies en vigueur et de tant d’autres attendues. Tout, depuis la matière elle-même jusqu’à la manière et les circonstances, est au service d’un régime. Des promoteurs de la scolarité publique et des bénéficiaires et de ceux qui guettent la succession, toute l’œuvre est viciée des mêmes âpres préoccupations. Des hommes instruits, n’est-ce pas avant tout des « hommes » imprégnés d’une moralité favorable aux institutions établies ou désirées ? Ne s’agit-il pas de fondre la nouvelle portion humaine dans l’agrégat d’une modalité sans appel et plus intéressant que l’être même, et, au-dessus de lui, n’y a-t-il pas « l’individualité sociale », le citoyen fonction de la collectivité et sacrifiable à elle ?

L’enfant appartient à l’Etat, à la société avant d’appartenir à quiconque : aphorisme qui appesantit à merveille le principe d’oppression de la masse sur l’unité et paralyse toute évolution individuelle par essence… Une masse s’identifiant de gré ou de force à l’Etat et justifiant sa dictature permanente ! L’Etat, le « quelques-uns » - noirs ou rouges – qui gouverne, condensant en lui la multitude et capable, sous quelque bannière qu’il exerce, d’en satisfaire les plus larges besoins, de favoriser ses multiples aspirations !

Qu’importent les facultés de l’enfant, ses affinités et son expansion particulières ! Et l’obscure poussée de ses forces profondes et les premiers rayons de son soleil intérieur ! Penser par ses moyens intimes, fouiller d’une sagace investigation les obscurités ambiantes, tenir en alarme permanente son esprit critique et n’assouplir son vouloir qu’aux appels d’une raison toujours en éveil : autant de chemins qui mènent à soi, qui aideront « l’un » à se délimiter, l’homme à s’épanouir dans sa lumière. Mais ce qu’il faut pour affirmer un « homme », c’est cela même qui désagrège le « partisan ». Et voulez-vous, sérieusement, qu’on vous fasse « quelqu’un » lorsqu’on a besoin de « quelque chose » ?

L’œuvre des écoles – car la laïque ne fait que transposer, en l’éparpillant, le dogmatisme de l’école confessionnelle, et leurs rivales, un jour triomphantes, ne renieront pas la tactique – vise à l’écrasement de chacun pour le bénéfice d’un soi-disant édifice collectif. Et nous qui voulons individualiser l’enfance, personnaliser l’éducation, nous les trouvons sur notre route, depuis leurs « directives » jusqu’à leur action quotidienne, comme des Bastilles encore à démolir…

Si vous doutez que demain persisteront, seulement orientés vers d’autres fins, les mêmes procédés, regardez autour de vous tous ceux qui, après avoir faite le procès des écoles abhorrées, esquissent et, déjà, partiellement, réalisent d’aussi pernicieuses compressions. Ils ne s’indignent de la contrainte officielle que parce qu’elle contrecarre leur influence et s’élèvent contre les dogmes d’à-côté parce qu’il ne reste plus de place pour les leurs. S’ils entendent débarrasser le champ de l’ivraie malfaisante, c’est pour y jeter du chardon !

Des conceptions aussi éloignées de la véritable éducation contaminent, jusque dans les milieux extrêmes, des gens qui s’en prétendent dégagés. L’enfant, ce n’est pas non plus – par delà les proclamations – l’unité future dont il faut jalousement protéger l’indépendance : c’est toujours le miroir qui doit refléter leurs conceptions, répéter leurs gestes. Pour eux encore, l’enfant ne s’appartient pas. Il n’est pas le dépôt passager, le placement qu’on administre, mais la fortune dont on dispose, la propriété que l’on modèle au gré de ses caprices. Protester contre ceux qui, d’avance, font de leurs enfants des croyants ou des athées, des monarchistes et des républicains, et, épousant la même aberration, leur insuffler précocement leurs théories socialistes, syndicalistes, anarchistes !...

Où est donc la dénonciation « essentielle », agissante et l’atmosphère nouvelle, sans lesquelles les petites vies esclaves demeurent l’instrument des maturités despotiques ? Facile et vaine supériorité que d’apercevoir les méfaits de l’oppression des autres et de n’avoir pas la sagesse et le courage de tenir le cerveau de ses proches à l’écart des notions et des thèses qui violentent son opinion prochaine, que de reprocher l’embrigadement des racoleurs de l’Etat et s’obstiner à vouloir faire des petits les adeptes de ses tâtonnantes idéologies ! Et qu’ils ne disent pas : « Nous usons d’examen nous n’imposons pas ». Tout ce qui dépasse l’intelligence de l’enfant et le champ de ses possibilités n’est pas de sa part susceptible d’une discussion éclairée et l’adhésion qu’il apporte à nos horizons d’hommes, il la donne dans les ténèbres et contre sa clarté naissante. Le choix précoce et « subi », c’est une ombre sur ses yeux de chercheur, un trouble dans sa conscience en gestation, une atteinte à sa liberté…

Si révolutionnaires que nous soyons, ce n’est pas pour substituer à l’éducation du jour, telle ou telle éducation « révolutionnaire » que nous luttons. C’est pour dégager l’enfant, chaque enfant – qu’il soit fils de prolétaire ou de bourgeois – de la chaîne des idées préconçues et de l’antagonisme des grands et mettre à sa disposition, avec la base d’une constitution saine, les éléments d’une vie morale et intellectuelle dont il sera lui-même l’artisan. Nous travaillons contre les écoles de parti, contre l’éducation autoritaire, pour l’éducation humaine.

Cléricaux, démocrates, collectivistes, anarchistes de fausse étiquette, fanatiques de tous les systèmes, nous sommes contre vos procédés de dressage et de conquête. A bas vos écoles, les écoles où se distille, artificieusement, le miel frelaté des évangiles, à bas les antres où la jeunesse est au service des doctrines. Mais vive l’école où l’on s’inquiète des originalités de chacun, des aptitudes et du tempérament, où l’on regarde comme un crime la main-mise sur les cerveaux, où l’on s’attache, par des méthodes qui en secourent l’élan, à cultiver, dans les cadres de l’âge, tant d’individualités diverses qui feront l’avenir fécond, vive « l’école pour l’enfant » !

Stephen Mac Say

(in journal « Le Semeur », CONTRE TOUS LES TYRANS, n°89, 2 février 1927)


Dans le même journal libertaire, on lit l’article suivant (on est en 1927):

UN SCANDALE qui ne peut durer

Le 3 décembre dernier, trois jeunes militants, des jeunesses communistes, distribuaient « Le Jean Le Gouin » et autres journaux du parti communiste à des marins qui firent appel à la garde et les firent arrêter.

Entre temps, un quatrième militant, secrétaire des jeunesses communistes, était arrêté, parce que secrétaire de cette organisation.

Depuis, ces jeunes camarades sont au droit commun et traités comme de vils malfaiteurs, prequ’abandonnés par leur organisation centrale. Certes, si c’était un Vaillant-Couturier, un Sémard, il y a longtemps que toutes mesures seraient prises pour, qu’au moins, le régime politique leur soit accordé, mais ce ne sont que d’obscurs et modestes militants, qui n’ont pour eux que l’enthousiasme et la foi de leur jeune âge.

Une seule fois, un avocat, délégué du secours rouge, s’est rendu auprès d’eux, depuis c’est le silence de la tombe, ils sont livrés au bon plaisir du juge d’instruction qui les maintient au régime de droit commun.

Il faut que cesse ce scandale, qu’on les mette soit en liberté provisoire, soit au régime politique, ils n’ont commis aucun crime et le délit pour lequel ils sont arrêtés leur donne droit au régime politique.

Nous demandons à toutes les organisations : Ligue des Droits de l’Homme, Partis Politiques, Syndicats, de prendre position et de protester contre la détention arbitraire de ces jeunes militants brimés avec l’assentiment du Parti Communiste.

Malgré que nous n’appartenions pas au Parti Communiste, devant sa carence, nous lançons un appel pour leur venir en aide – l’un d’eux fait partie d’une nombreuse famille dont il est le soutien – il faut que l’on sente en haut lieu de justice, que la solidarité n’est pas un vain mot et que la lettre de cacher n’existe plus en France.

Nous demandons aux journaux amis de joindre leurs protestations à la nôtre et de rappeler au Parti Communiste que les humbles ont les mêmes droits à la solidarité que les Vaillants et autres Treint.

Adresser les fonds à Paul Barbé, 13, rue des Portes, Cherbourg (Manche).

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