PAGES PROLETARIENNES

vendredi 19 décembre 2008


BAADER : UN FILM POUR LE PRIX DE DEUX



J’attendais que le film passe en banlieue pour aller me faire une opinion. Le cinéma à Paris est trop cher. La salle était vide. Je n’aime pas cela. Le cinéma, contrairement à la solitaire télé, est un lieu où l’on peut sentir les réactions des autres, vibrer, rire ou pleurer avec eux. Fâcheuse impression donc que les délires paranoïaques des Etats sur le terrorisme tous azimuts finissent par dégoûter les gens de réfléchir avec lucidité à la question. Peur d’une bombe ? Certainement bien que cela soit plus probable si un film prenait pour thème une fellation de Bernadette Soubirous ou Mohammed et ses amantes. Le film vaut le déplacement. Le cinéma allemand est capable de torcher du grand spectacle. Baader et son contexte a eu un grand succès outre Rhin, et pour cause. Le réalisateur Uli Edel a l’habitude de produire des films coups de poing. Le seul inconvénient est le siège inconfortable de la salle, pas la longue durée du film. Dans ses grandes lignes on assiste à la saga des desperados du gauchisme des années 1970. Eléments désespérés ? Vraiment ? Ou activistes forcenés ?
Qui étaient les membres de la bande à Baader ? Des petits bourgeois frustrés d’une révolution immédiate impossible ? Des anarchistes sincères hantés par l’efficacité de la « propagande par le fait » ? On ne le saura pas vraiment. Le spectateur est entraîné comme un aveugle dans une série d’actions extrêmement violentes qui confinent au nihilisme. Du sang partout et des colères hystériques.
Cependant le film, pour franchir la censure d’un sujet « sensible », prend le parti de s’adresser à deux catégories de spectateurs : la masse silencieuse et conservatrice, et cette autre partie de la masse, aussi silencieuse désormais, qui reste fascinée par cet anarchisme radical, furieux et irraisonnable.
Pour la masse bien pensante qui pense que la police fait son devoir, les clichés abondent. Les étudiants du début des années soixante-dix sont présentés comme des énervés qui courent en tous sens. Baader est exhibé comme un macho impulsif, jouisseur et fort en gueule (qui sait ?). Les filles ont une attitude sectaire et ne sont pas moins adeptes de la gâchette que les mecs. Si la répression policière et le meurtre de l’étudiant Behno Ohnesorg sont mis en scène, ce ne sont que des bavures. Les premiers meurtres de représailles sont diligentés par des « terroristes » inhumains. La magistrature est bafouée grossièrement en public. Le chef de la police (Bruno Ganz) est un être raisonnable qui se refuse à céder à l’hystérie répressive. Les prisonniers « politiques » sont présentés dans un cadre confortable : bibliothèque dans la cellule, cigarettes, télévision et radio meublent l’univers carcéral ; on dirait presque le confort d’un loft d’étudiant. Les « desesperados » finissent par s’entredéchirer et se battre avec les gardiens. Ils finissent minablement par se suicider.

Pour ceux du balcon comme toujours, clin d’œil pour les fans de l’agitation des sixties. Ainsi le regard mouillé du gauchiste rangé des barricades oublie un peu le Baader caricatural pour apprécier une version baba cool du mode de vie des intellectuels marginaux. Le séjour en Jordanie, pays du port du voile pudique, des terroristes les plus recherchés d’Europe donne une interprétation séduisante. On se demandait en effet comment des enfants de la petite bourgeoisie européenne avaient pu s’accommoder des règles militaires strictes et de l’intégrisme religieux des commandos palestiniens. Effectivement cela ne colle pas. Les belles terroristes allemandes en mini-jupe descendant des jeeps laissent voir de bien belles gambettes qui émoustillent les petits chefs militaires arabes. Il faut dormir dans des chambres séparées et cacher ce sein que je ne saurais voir ; les belles bronzent à poil sur le toit de la caserne des fedayins. Choking ! Baader envoie chier les spécialistes de l’entrainement au terrorisme tiers-mondiste et pieux. Cela paraît tout à fait plausible, et les réflexions de Baader contre les « chameliers » réconcilient la majorité silencieuse allemande qui rêve d’un échangisme hippie avec ses enfants perdus.
Les spectateurs de la deuxième catégorie affiliés à la théorie altermondialiste de la protestation contre le « monde de la marchandise » restent sympathisants du groupe « culte ». Les premières images n’ont-elles pas montré la brutalité de la répression policière, le cynisme du groupe de presse Springer, du Spiegel ? L’armada US n’est-elle pas odieuse au Vietnam ? La police ultra-blindée ne tire-t-elle pas sans vergogne ? Et le lâche attentat contre Rudi Dutschke (dont la gueule mal rasée ornait le mur de ma chambre d’adolescent) ? Les images accélérées ne laissent pourtant pas le temps de réfléchir au spectateur haineux contre toutes les forces d’autorité de l’Etat bourgeois. Les partisans de la « guérilla urbaine » ne sont que des amateurs et se font piéger rapidement. Le système de la clandestinité n’autorise pas la réflexion. Prédomine la surenchère. Celui qui ne lève pas le doigt avec les autres est un traître. Les deux catégories de spectateurs ne peuvent retenir un malaise. La colère des desesperados est compréhensible mais pourquoi tant de sang versé, impulsivement ? Au nom de quoi ? Au nom de qui ? Le film ne le dira pas.

Leurs motivations ? Comme toujours l’anarchisme de grand seigneur a toujours voulu éveiller les masses endormies par le consumérisme par des actions exemplaires. Et de ce fait il a toujours foiré car les « actions exemplaires » se résumèrent à des meurtres dans l’affolement. Le projet politique, s’il se moquait justement du mythe impuissant de la grève générale, croyait que « seule la lutte armée peut conduire à l’insurrection généralisée ». Produits d’une époque où les luttes de « libération nationale » post-coloniales faisaient la une de l’actualité, où le « black power » soulevait l’admiration des poitrines estudiantines, où le massacre était quotidien au Vietnam, les desesperados se rattachaient aux idéologies armées tiers-mondistes des Tupamaros. Mais pas simplement.
L’interprétation sociologique officielle veut nous faire gober qu’il s’agissait d’un complexe de culpabilité d’enfants d’un pays qui avait vu éclore le nazisme. Lorsque Baader traite les juges de « fascistes », cela peut faire sourire si on se reporte à nos jours où cette qualification n’a plus aucun sens. Mais, à l’époque, nombre de juges et patrons qui dirigent encore le pays sous parapluie US sont en effet d’anciens nazis. Et alors ? La bourgeoisie libératrice a laissé en place nombre d’édiles de l’Etat hitlérien. Mais Baader lui-même, très limité politiquement, est habité par l’idéologie stalinienne anti-fasciste. L’anti-fascisme n’explique rien. Il est une pulsion apprise au biberon par toute une génération d’anarchistes et de gauchistes. L’anti-fascisme croit alors se ressourcer dans les pâteuses logorrhées « anti-impérialistes » des assemblées étudiantes. Comme les Guevara Tupamaros et Cie, Baader et sa bande n’ont pas vraiment compris le stalinisme qui demeure pour eux un bon « anti-fascisme », un moindre mal. Sous couvert de l’ânerie post-léniniste de la « guerre révolutionnaire » ils en restent à une conception militariste de la révolution dont ils s’autoproclamèrent l’avant-garde pour « construire l’armée rouge » (conception très stalinienne). L’ambiance de la contre révolution les habite encore. Les faits d’armes des guérilleros sud-américains et du FNL vietnamien sont leur socle politique. Un socle faisandé dans l’étau des deux blocs. Ils ne restent au fond que l’aile extrême (et logique rigide) du gauchisme tiers-mondiste, bâtard du stalinisme, qui après avoir collé partout des affiches avec un soldat vietnamien tenant une mitraillette, est bien content d’être loin des champs de tir, pour se replier lâchement dans la compétition électorale et syndicale, plus confortable et pas risquée. La théorie stalino-gauchiste veut bien invoquer la gloriole de la résistance pour les pauvres hères qu’on a envoyé au casse-pipe, mais de loin. Le gauchisme fait bien partie de l’idéologie bourgeoise radicale, fort en parole mais pleutre dans les faits. Les actuels partis gauchistes européens, à la manière du NPA de Besancenot, peuvent bien fétichiser le portrait du stalinien Guevara, ils n’ont pas ses couilles ni celles à Baader. Le groupe de Baader a eu ce courage d’aller jusqu’au sacrifice, mais sans échapper à l’humiliation. Le con de Sartre va voir Baader en prison pour lui faire la morale, celui-là même qui avait assuré que tout colonisé qui tue un homme blanc est un révolutionnaire. Tous les gauchistes lâchent Baader sauf pour les pétitions pour de meilleures conditions de détention « sensorielle ». Humiliation historique enfin car, il faut bien le dire, ce n’est pas avec le chlorate de soude et le sucre de l’anarchiste du XIXe siècle que le groupe perpètre ses attentats mais avec des armes sophistiquées qu’on ne trouvait pas non plus chez l’épicier du coin, et récolte la « perpète ». Il fallait qu’une puissance soit derrière. Et quelle puissance pouvait être intéressée à ce que la cible des attentats ne soit que des consulats ou des centres militaires US ? Le bloc russe. La « Raf » de Baader finit dans les bras de « l’armée rouge » stalinienne. L’avocat de la RAF, Klaus Croissant a confirmé qu’il était un agent de la Stasi. Les derniers survivants de la RAF vivent alors réfugiés en RDA ! Le film tait cette vérité dérangeante pour les groupies anarchistes Et les adresses des magistrats flingués ne pouvaient pas plus se trouver dans le bulletin des PTT qu’aujourd’hui, à moins que des complicités policières allemandes…
Triste fin pour des anarchistes marqués par une pauvreté intellectuelle et politique que les PC décrépis leur avaient laissé en héritage. Le culte subsiste pourtant chez une partie des spectateurs gauchistes non repentis, alimentés par les admirateurs souterrains des branquignols d’Action Directe et par des ouvrages comme celui d’un certain Loïc Debray qui relie la saga héroïquement lamentable de la RAF aux bras coupés des intellectuels en chambre communisateurs, bâtards du gauchisme et de l’anarchisme impuissant, car la bande à Baader, après toutes ses conneries avait affirmé que « le prolétariat industriel n’est plus aujourd’hui l’avant-garde du combat révolutionnaire ». Les avant-gardes anarchistes et staliniennes n’ont pas été suivies heureusement dans leurs délires militaristes à la fin des années 1960 par le prolétariat qui avait déjà assez donné de sa personne dans la dernière boucherie mondiale et dans l’impôt du sang pour garder à tout prix les colonies. C’est le discours « armé » affiché veulement par les gauchistes et celui « concret » des Baader et Cie qui est venu conforter Marchais et le stalinisme en pleine décrue contre toute solution de classe « violente » hormis celle des pacifiques élections truquées. L’action violente, sans principes, coupée de toute direction et de tout respect des masses, renforce l’Etat bourgeois et, pire, permet de diaboliser le droit à l’insurrection (inscrit dans la constitution bourgeoise même).
Le prolétariat n’a toujours pas besoin d’avant-garde de ce type, parce que la révolution n’est plus avant tout une question militaire, mais en second lieu encore une question militaire. Mais c’est une autre histoire qui ne fait que commencer. Le film sur la RAF n’est que le spectacle du sacrifice de quelques uns qui s’étaient trompés de révolution et qui n’ont servi qu’à renforcer un ordre qui ne pouvait pas être mis à bas en 1970.
L’Histoire ne tranche pas avec des attentats à la bombe. Tous les terrorismes depuis lors ont été téléguidés directement par des Etats « voyous » ou bcbg. On n’avait pas besoin des errements de la bande à Baader pour diagnostiquer que la « propagande par le fait » était caduque depuis Ravachol.

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