PAGES PROLETARIENNES

lundi 31 décembre 2007

DANS QUEL ETAT

EST LA REVOLUTION ?

« Peut-on construire le socialisme dans un seul pays ?

- Oui, mais il vaut mieux aller vivre ailleurs ! »

« Après la mort de Staline, son entourage ouvre son testament et trouve trois enveloppes. Sur la première il est écrit : « Enterrez-moi dans le mausolée de Lénine ». Ses héritiers l’enterrent.

Sur la deuxième enveloppe, il est marqué : « Ouvrir quand ça ira mal ». Ils l’ouvrent et trouvent indiqué : « Mettez-moi tout sur le dos ». Ils lui mettent tout sur le dos.

Sur la troisième il est indiqué : « Ouvrir quand ça ira très mal ». Ils l’ouvrent au moment de l’insurrection hongroise et lisent : « faites comme moi ».

BLAGUES RUSSES des années 1950 (extraites de « Prolétaires de tous les pays, excusez-moi ! » d’Amandine Regamey, ed Buchet-Chastel 2007)

La révolution, ou tout au moins le projet révolutionnaire de renversement de la société bourgeoise pour transformer de façon communiste la société moderne, est en mauvais état. C’est le moins qu’on puisse dire. Pourtant on va en parler beaucoup de révolution dans l’année qui vient, avec les commémorations éditoriales quasi-conjointes de 1917 et 1968. Le calendrier fait bien les choses au fond. Comme je l’explique d’entrée dans mon livre à paraître, du même titre que cet article, 1968 fut hanté par 1917, et je suis très explicite sur le pourquoi pour ceux qui auront la chance de me lire.

Les festivités éditoriales ont commencé au cours de ce dernier trimestre 2007 avec une série d’ouvrages haineux contre les bolcheviks, accompagnés par la série d’articles hystériques d’un certain Jan Krauze, déshabillé ici, et rétribué par Le Monde en faillite (et tant mieux). Sur 68, on réédite à tour de bras des fadaises ou du pipole à la July avec photos vieillies. Bon augure pour la bourgeoisie sarkozienne ces clichés d’un monde de jadis où la classe ouvrière peut être montrée en noir et blanc comme une sorte d’archives de vieux films d’avant-guerre qu’on consulte avec nostalgie. Et puis, 40 années écoulées c’est beaucoup plus qu’entre 1945 et 1968… bien que mai 68 nous reste plus proche que ne l’était la deuxième guerre mondiale à la fin des sixties. Bien que les syndicats clientélistes aient fait passer les grévistes des transports pour des pépères-la-retraites et non des combattants isolés, la lutte sociale reste du domaine du réel actuel plus que le délirant holocauste planétaire, c’est déjà çà (*).

La vieille taupe révolutionnaire creuse toujours son trou sans en avoir l’air puisque comme on va le voir, la bourgeoisie éclairée se soucie des flammèches d’espoir qui perdurent malgré l’assourdissante domination des médias en faveur du monde tel qu’il est. Que disent donc les élites, ou qui se croient telles, de la révolution et du marxisme ?

AMOINDRIR LE SOUCI DE CHANGER LE MONDE

L’hebdomadaire marginal, mais fort bien diffusé, « Marianne » se fait en général l’écho d’une critique radicale en apparence du système médiatique. Ce magazine, aux titres provocateurs, au contenu insignifiant et superficiel, convient fort bien ) cette masse d’employés de bureau qui peut le parcourir dans le métro avec le sentiment de s’encanailler en complicité avec le dangereux révolutionnaire JF Kahn et ainsi compenser la servitude au boulot en croyant se moquer de PPDA, de Libé et du figaro. Cet organe de presse est aussi négationniste que l’ensemble des médias bourgeois de toute alternative à la société libérale. Après avoir hystériquement dénoncé la baudruche Sarkozy, cet organe, arrosé aussi par la publicité conformiste, se pique d’offrir des idées dérangeantes au bon peuple. Son dernier numéro de l’an 2007 agite l’hydre d’un cataclysme financier, qui certes vient, mais pour ridiculiser toute idée de révolution.

« 1640-2008 » Comment naissent les révolutions ? » est un formidable patchwork de tout et n’importe quoi. Préposé à l’introduction, après un laïus populiste contre les riches, un Guy Sitbon partait pourtant d’un constat indiscutable :

« … Il est à peu près aussi idiot d’annoncer une révolution que de pronostiquer l’impossibilité de toute nouvelle révolution. A première vue, tout irait dans le sens des prophètes de la « fin de l’histoire ». Il n’y a plus personne pour avancer le projet d’une autre société que la nôtre. Aménager les règles qui nous régissent, ajouter plus de justice, atténuer les souffrances, oui. Mais déconstruire notre société pour en reconstruire une autre de toutes pièces, personne, même parmi les gauchistes les plus enragés, ne nous dessine les plans d’un système de remplacement (…) Si une révolution devait un jour éclater dans notre monde capitaliste, elle ne ressemblerait, à coup sûr, à rien de ce que nos ancêtres ont connu. Il n’y aura ni prise de la Bastille ni chute du palais d’hiver. Autre chose, n’en doutons pas : la bombe explosera. »

Comme tous les articles de Marianne il suffit de lire le titre et la dernière phrase pour avoir le contenu et le contenant, c'est-à-dire à peu près rien. Les révolutions du 18e au 21e siècle sont toutes furtivement examinées par le petit bout de la lorgnette sans plan d’ensemble ni progressivité.

1871 : « S’ouvre une course à la révolution où chaque faction s’efforce de déborder les autre ». Crétin !

1968 : « Des révolutionnaires frustrés » !? Raoul Vaneigem est sponsorisé « barde de mai » ! Plus poncif que les poncifs éculés : « Faute de convergence étudiants-salariés, le mouvement ne déboucha pas sur le grand soir. Le pouvoir paraissait pourtant à portée de la main » !

Ci-contre grenade lacrymogène
authentique de la rue Gay-Lussac
(collection privée)

La révolution américaine côtoie la révolution islamique, Mussolini le Portugal de 1975… Mais celle qui reste trainée dans la boue, à l’unisson du sinistre Jan Krauze, c’est celle d’Octobre 1917. Ah ce que la bourgeoisie la hait par tous ses pores. Le petit préposé médiatique et rachitique, Nicolas Werth en perd même toute mesure dans les chiffres : « l’usine d’armement Poutilov, en rupture d’approvisionnement, met à la rue des millions d’ouvriers » ! Fichtre, c’est beaucoup improviser avec la réalité, alors que Poutilov ne comprenait que quelques milliers d’ouvriers et que la classe ouvrière russe ne comportait que trois millions d’individus ! On apprend que les ouvriers ne se battaient que pour leurs vulgaires salaires et qu’ils ne « faisaient guère allusion au socialisme »…. En service commandé comme Krauze, Werth fait semblant d’ignorer que c’est la GUERRE stupide et sanglante qui a été le meilleur propagandiste du communisme, et non pas l’habituelle et charlatanesque accusation de manipulation bolchevique. Ce salopard nous ressort l’histoire du train blindé d’un Lénine traître envoyé par l’état-major allemand pour poignarder la sainte Russie, ce qui est encore un GROSSIER MENSONGE, Lénine n’ayant pas pour l’heure plus d’importance que tous les autres militants des divers partis logés dans ce train. La crise d’avril est décrite comme la fin de l’espoir du passage pacifique au socialisme, or cet espoir pacifique n’existe que chez les intellectuels bourgeois demeurés. Connard d’historien à la manque ! Magazine de merde.

UN MARX DE SALON OU LE MARXISME COMME BOITE A OUTILS

Le magazine patronal « Chalenges » rend hommages aux principaux marxistes encore vivants : Pierre Rosanvallon, éminence des cercles bourgeois du PS et du Nouvel Obs, Alain Minc cet « éternel marxiste » des conseils d’administration bourgeois, Jacques Attali cet auguste représentant des révoltés dans les cabinets successifs de Mitterrand, Pascal Lamy le bien connu révolutionnaire dirigeant de l’OMC, et Henri Weber un défroqué du guévarisme LCR.

Le magazine patronal peut conchier Pinay et Keynes et convenir que lorsqu’on tape « Marx » sur le moteur de recherche Google, le web compte près de 8 millions de références, loin devant Keynes (2,1 millions)… « Challenges » rassure tout de suite ses lecteurs super-bobos et super-ébahis : « Certes le Marx polémiste violent, le Marx utopiste prédisant la venue d’un monde parfait après la dictature du prolétariat s’est effondré dans l’échec économique des régimes communistes ». Le trotkien tonitruant du boul’Mich, avec son costard trois pièces de sénateur PS, Henri Weber vient aussi à la rescousse bourgeoise libérale et faussement anti-étatique : « Chez nous, plus personne n’est pour la socialisation des moyens de production ou la conduite de l’économie par le plan ». Pourtant le camarade Rosanvallon suggérait dès 1992 au PS : « … de redevenir marxiste pour décrypter avec précision les nouveaux modes de production et d’organisation ». Le camarade Pascal Lamy avoue lui le vide idéologique du capitalisme contemporain (qui s’autodétruit comme dit Artus) : « Si l’on veut analyser le capitalisme de marché mondialisé d’aujourd’hui ? L’essentiel de la boite à outils intellectuelle réside dans ce que Marx et un certain nombre de ses inspirateurs ont écrit » !

Mieux encore le camarade Attali, très intelligemment convient que si le prolétariat n’a pas pris le pouvoir (et on s’en serait aperçu) l’analyse par classe sociale reste la norme pour les observateurs ! Enfin bien que Sali par le « communisme », le camarade Minc conclut que « Marx est indépassable » ! Si, camarades, et par la prochaine révolution justement!

Souhaitons donc ici que l’an 2008 soit une bonne année marxiste, non pas au sens invertébré des camarades ici listés complaisamment, mais contre eux et leurs prébendiers !

(*) La perte de crédibilité des syndicats n’est plus à démontrer, par contre le misérable soutien du gouvernement à ses serviteurs – un décret instituant que payer une cotisation à un syndicat aura comme bonus une réduction d’impôts – achève et de les ridiculiser et le les figer dans une position, même plus réformiste, mais clientéliste. La corporation comme stade suprême du salariat encadré est le stade ultime de la bourgeoisie française, et confirme qu’elle est bien la plus bête du monde. Et lire, ci-contre, colonne de droite, la lettre du PCI sur les liaisons dangereuses CGT-LCR…

mercredi 19 décembre 2007

Quelle implication des groupes politiques dans la grève des transports en France?

Bilan d’une grève provoquée par le gouvernement

Et enseignements politiques pour l’avenir

Il faut mesurer l’échec de la grève des transports de novembre 2007 en France. Le bilan est mitigé. Gouvernement et syndicats, surpris d’abord par la détermination des grévistes ont réussi à enterrer la grève au son des négociations prorogées en coulisses au mois de décembre.

Grève bizarre, comme je l’indiquais dans le premier tract diffusé début novembre, grève si bien préparée contre le dernier carré des jeunes retraitables, qu’il ne fallait pas s’illusionner d’un poil sur ses chances de succès. Alors : demi-échec des ouvriers ou demi-réussite du gouvernement, ou les deux ?

Les ouvriers n’en sont pas à leur premier échec pour partie d’entre eux et s’en relèveront. Il n’y a pas mort d’homme et, si l’intérêt national économique a pris le dessus, ce n’est que partie remise pour des sacrifices bien plus élevés qui seront posés ultérieurement. Pour le gouvernement qui s’est tellement emberlificotés dans des négociations de couloirs au point qu’on se demande comment les syndicats ultra-corporatifs font pour retrouver leurs petits, la victoire n’a pas de panache : on se doute de drôles de concessions financières, on se doute aussi de son incapacité à résoudre sur le fond la question des déficits.

Plus que sur la forme de la grève et les litanies sur les habituelles trahisons syndicales, je pense nécessaire de traiter en premier lieu de la prise de position des groupes gauchistes, ou cercles à prétention révolutionnaire. Si un groupe politique existe pour le prolétariat, pour son émancipation, c’est avant tout, on en conviendra, pour l’aider de sa lucidité dans l’analyse du rapport des forces et pour lui éviter de gâcher son énergie. On commencera donc par ceux qui ont foncé dans le piège syndicaliste, et on examinera ensuite les carences des « prudents ». En dernière partie, j’examinerai ce que j’appelle la crise de la théorie révolutionnaire et l’absence de propagande communiste par la plupart des groupes, sectes et cercles, qui en reste au ras des pâquerettes syndicalistes.

  1. LA COURSE DERRIERE LE SYNDICALISME OFFICIEL :

a) Evidemment de la LCR (« C’est le moment » rantanplan…) à la secte LO et la FA, la plupart des groupes gauchistes se sont rués derrière les représentants de l’Etat en milieu ouvrier, avec leur mot d’ordre le plus navrant, le plus suicidaire et le plus inutile : retour aux 37,5 années pour tous ! Mais la ruée des gauchistes suivistes du moindre signal syndicaliste resta molle et accompagnatrice avec ballons et flonflons d’une grève planifiée pour aller dans le mur. Si la grève était au fond surtout politique, elle n’avait pas besoin d’être affaiblie par une revendication aussi inutile et qui, finalement, divisait ! Les travailleurs des transports n’ont pas montré eux-mêmes un niveau de conscience très élevé en tolérant en permanence la tenue de tractations secrètes (dont la presse faisait état chaque jour) et ils étaient eux-mêmes coincés dans l’impasse de leurs soit disant acquis corporatifs qui ne pouvaient permettre de dégager une quelconque revendication unitaire ; imaginez un groupe d’accusés qui refusent de subir le sort d’autres, déjà condamnés et derrière les barreaux, et qui s’échineraient à revendiquer la liberté pour tous… Les cris des gauchistes syndiqués et implantés revenaient à réclamer la liberté en prison, et de SUD à la CNT, ils se ridiculisèrent par le même jusqu’auboutisme infantile ; ce dernier se dégonfla même début décembre pour passer le relais à la CGT, sûre désormais que les grévistes, épuisés financièrement, ne récidiveraient pas de sitôt.

b) LA DILUTION DE LA GREVE PAR LES GROUPES ULTRA-GAUCHES ETIQUES :

Ultra-gauche ou même « milieu révolutionnaire » hors du Parlement et contre la bêtise gauchiste, tout cela ne signifie plus rien avec en pôle position le résidu du CCI (Révolution Internationale) qui ne se distingua en rien à la suite des gauchistes dans l’apologie du retour dit « unificateur » aux 37,5 annuités : Tous les unitaires s’appellent Martin, mais tous les Martin ne sont pas unitaires ! Plus enthousiaste que les gauchistes, le CCI appela partout à aller « massivement » aux manifs enterrement.

R.I., qui fut plus perspicace dans son lointain passé, n’a pas vu que les revendications petites bourgeoises des étudiants (revendication gauche caviar d’une université non privatisable), orchestrées par les suivistes gauchistes, servaient à affaiblir la grève des transports en la remisant au niveau du cortège des mécontents de toute sorte. Pire, et du jamais vu dans l’histoire au moins depuis 1968, ce petit groupe s’est fabriqué une intervention inédite et cocasse. Comme il n’est implanté à peu près nulle part contrairement aux gauchistes, cela lui est un casse-tête à l’idée d’aller porter la bonne parole aux entreprises en grève, alors ce coup-ci il a eu recours au subterfuge suivant : « un petit groupe d’étudiants venus à notre dernière réunion publique a amené une délégation de vieux travailleurs politisés, membres du CCI, dans deux AG de cheminots » !

Ce groupe qui avait longtemps combattu l’idée que la conscience apportée de l’extérieur de la classe ouvrière, version Lénine bourré, a révolutionné la science politique moderne par le présupposé : no problem, les étudiants sont les enfants de la classe ouvrière ! Et comme on le voit, les étudiants « boites à idées » (de futurs cadres ?) sont aussi désormais les suppléants du parti révolutionnaire inexistant et des passeurs de la parole (méprisée) de « vieux travailleurs politisés ». Ces militants déguisés en « vieux travailleurs » viennent bien sûr enseigner à ces « crétins » d’ouvriers la trahison permanente des syndicats de tout bord mais pas seulement. Ils viennent faire la leçon aux syndicats qui ne se préoccupent pas de la situation des étudiants et des autres fonctionnaires. Et au lieu d’insister sur la nécessité de discuter entre travailleurs de diverses entreprises, nos retraités de la révolution virtuelle ont proposé dans deux ou trois AG d’aller discuter avec les étudiants pour construire l’unité (électorale ?) et puis de défiler derrière une banderole unique. Peine perdue, porte ouverte enfoncée, la banderole unique et syndicale existait déjà et elle portait : « retour aux 37,5 annuités pour tous » !

Le degré de décadence révisionniste du CCI est véritablement lamentable, non parce qu’il substitue à son ancien ouvriérisme une apologie de la jeunesse petite bourgeoise - en crachant au passage sur les couches pauvres du prolétariat, ces émeutes « qui ont toujours constitué le prétexte parfait ( !?) pour renforcer encore et partout l’Etat policier » - mais parce qu’il ridiculise toute intervention de parti.

Le CCI, à la queue de tout, et après avoir lu PU, tire comme seule leçon en fin de grève qu’il faut dénoncer les négociations… secrètes ! Ne l’eussent-elles pas été moins si on avait admis les étudiants comme « intermédiaires » ?

Un dernier mot sur la dite lutte étudiante (*). Celle-ci fut minoritaire de bout en bout, ne concerna point la classe ouvrière – Sarkozy était plutôt du côté de l’efficacité même si c’est de la daube, en proposant une université qui débouche vraiment sur l’industrie et non les belles lettres – et se caractérisa par toute une série de magouilles gauchistes, faux délégués, menaces aux récalcitrants, charivari anar provocateur et inconsistant. Et c’est ce « milieu » que le CCI nous a présenté comme « l’avenir de l’humanité », en partie, ou en totalité comme intermédiaire entre organisation politique et ouvriers en grève ! Aux fous !

2) LES GROUPES ETIQUES PLUS PRUDENTS :

a) le cercle PCI (bordiguiste) a bien vu l’organisation du simulacre de grève et le contrôle de plomb par les mafias syndicales dès le départ en un résumé lapidaire : « Les directions syndicales appellent donc les travailleurs à lutter pour négocier la sauce à laquelle ils seront mangés ».

Néanmoins, les bordiguistes sont toujours superficiels dans leurs critiques de la bourgeoisie, et avec leur vision hiérarchisée pour leur propre compte, ils ne voient que des « directions » au lieu de considérer des « appareils » et tous les gougnafiers « de base » qui ont fait voter les non grévistes pour la reprise. Dans leur tract, on trouve une tautologie époustouflante : « pour que la lutte soit victorieuse, il faut d’abord qu’elle ne soit pas trahie par ses dirigeants » ! Il eût fallu alors que les travailleurs aient l’initiative et aient élaboré LEURS revendications.

Le petit PCI n’analyse pas la situation, les problèmes de société plus que salariaux qui sont posés, et oppose la solution formelle de l’élection de comités de grève. Il n’est pas d’une bien grande aide pour le prolétariat en lui disant qu’il doit se préparer à de nouvelles attaques, croit-il que le prolétariat a besoin de ce conseil ?

b) le cercle Tumulto de Toulouse, proche de ce milieu politique de la Gauche communiste historique, a réalisé lui un tract convenable mais abstrait. Il engageait au combat sans état d’âme « Une seule classe ouvrière » (car il n’y en a pas deux) afin qu’elle « réaffirme son identité de classe », terme langue de bois pour le prolétaire lambda de nos jours (prolétaires vos papiers ?), comme « combat de classe » ou le très luxemburgiste, frustrant et guère enthousiasmant « la seule victoire est la lutte elle-même ». Ses slogans au final « portons haut la fraternité et la solidarité ouvrières », avec le même formalisme que le PCI (délégués élus et révocables) pouvaient incliner à souffler dans le sens de l’impasse syndicale.

c) la fraction externalisée du CCI n’a rien fait et a bien fait en publiant un communiqué sur la grève des transports. Alors qu’il y a quelques années, ce cercle crut à l’échappée belle de la lutte prolétarienne mondiale à partir des casseroles petites bourgeoises en Argentine, cette fois-ci, le simulacre de grève en France s’inscrit dans un « lent développement des luttes au niveau international », ce qui est très discutable dans la mesure où la grève a été provoquée rapidement par la bourgeoisie. Après la répétition de vieux poncifs du CCI sur le prolétariat allemand, sorte de Saint Paul du prolétariat mondial et une imaginaire accumulation d’expériences de grèves fragmentées ou parcellaires en une conscience unificatrice, la fiction interne du CCI salue la tradition de luttes des travailleurs des transports et décrit très bien le saucissonnage et le sabotage total de la grève de la veille au soir. La plupart des remarques qui analysent la faible dynamique de la grève, le facteur de désorientation du charivari étudiant (aux « revendications petites bourgeoises »), placent cette fois-ci ce cercle à un autre niveau de sérieux politique que la maison mère, même s’ils sont autant autistes. Les beaux restes du CCI ne seraient-ils plus qu’externes ? La fraction mesure justement dès le départ l’absence de perspectives d’élargissement de la grève et décrit le cinéma de la radicalisation des syndicaux de banlieue. Selon eux la grève n’a pas été un véritable échec, et ils font confiance au gouvernement pour généraliser de nouvelles attaques à l’ensemble de la classe ouvrière, ce qui est une vision simpliste et peu perspicace après la grève des transports et sur comment opèrent en général les gouvernements.

Ce cercle trade-unioniste révolutionnaire réduit, qui se présente comme le pôle de regroupement du futur parti mondial, conclut avec une arrogance non dissimulée qu’il lui a suffi de distribuer un tract contre la misère mondiale pour aider la classe ouvrière à réfléchir à « la réalité du capitalisme ». Ces gens-là expliquent la misère à la classe ouvrière, hé hé… et espèrent qu’en voyant enfin l’horreur capitaliste la masse ouvrière asservie idéologiquement à la bourgeoisie comprendra qu’il lui faut déclencher le grand soir. On en est fort marri. C’est aussi un révisionnisme de la théorie marxiste mais version spontanéisme. En lisant leur tract dit international sur la misère, on pense à ce que disait Lénine en 1903 : « seuls quelques (pitoyables) intellectuels pensent qu’il suffit de parler « aux ouvriers » de la vie de l’usine et de rabâcher ce qu’ils savent depuis longtemps » !

3) L’ABSENCE DE THEORIE REVOLUTIONNAIRE :

Des milliers de fois a été cité la phrase sans verbe de Lénine : « Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire ». La pauvreté idéologique de ce qu’on vient de lire, l’attente de la rédemption spontanée du prolétariat par la revendication du jour, le suivisme le plus plat derrière les chants syndicalistes, nous obligent à compléter ce qui accompagnait les six mots de Lénine et qui va comme un gant à nos donneurs de leçon radoteurs : « On ne saurait trop insister sur cette idée (la théorie révolutionnaire) à une époque où l’engouement pour les formes les plus étroites de l’action pratique va bras dessus bras dessous avec la propagande de l’opportunisme à la mode ».

Il est frappant que ces divers groupes ou cercles qui existent depuis des années n’aient pas été capables d’analyser les revendications, de se passer de tout suivisme pour des revendications de salariés qui ne sont pas des tables de lois. Il a toujours existé des revendications totalement corporatistes voire répugnantes (produisons français…). Aucune réflexion non plus sur la retraite vue comme une institution intouchable au point que c’est Sarko qui est apparu comme plus progressiste en prétendant faire entrer en ligne de compte les spécificités, la pénibilité, etc. ; j’ai titré mon deuxième tract : « Vieillir au boulot ? Jamais ! » et il était accueilli par un œil intéressé et avec le sourire des manifestants.

Aucune réflexion critique sur comment les puissants nous ont trimballés de la retraite égale pour tous au pouvoir d’achat ce serpent de mer ! Le CCI fît montre par le passé d’un vrai sens critique sur les mirifiques promesses de l’autogestion et des 35 heures.

Pire aucun de ces cercles ou prétendu « squelette » du futur parti mondial du prolétariat n’a analysé cette grève comme politique, alors que des commentateurs bourgeois l’ont clairement identifiée comme telle, suscitant l’ire du bonze Chérèque (surtout pas !). Politique parce qu’elle posa un problème de société que la bourgeoisie prétend résoudre au niveau national, politique parce que les grévistes ont, même dans une situation largement défavorable, tenus tête au gouvernement, politique encore parce que la lutte de classe étouffe dans le carcan du simple questionnement économique et syndicaliste. La grève était devenue politique parce qu’il est apparu très tôt qu’il ne pouvait y avoir satisfaction sur la revendication économique catégorielle et donc qu’il s’agissait de défaire une riposte ouvrière sur la retraite qu’il a fallu une dizaine d’années pour épuiser : 1993, 1995, 2003, 2007.

Tous ces groupes anémiques ou cercles indigents, en exaltant une lutte pour l’essentiel corporative, très contestable du point de vue de l’ancienneté au travail, très ambiguë sur la notion des « acquis », ont participé de l’asservissement idéologique des travailleurs des transports à la bourgeoisie, sans, heureusement, convaincre les autres de la validité des « cas particuliers ». Par contre, plus la grève durait plus elle nuisait à la perception encore confuse et peu probante de « l’unité de classe » (comme dit Tumulto) et divisait la classe ouvrière. A trop se prolonger aux basques de la comédie des négociations, la grève devenait… anti-ouvrière ! Les hippies de Sud l’ont bien compris qui ont mis fin à leur jusqu’auboutisme qui ne faisait plus que servir le gouvernement comme l’interminable grève des petits bourgeois étudiants.

Personne parmi tous les groupes n’a posé le problème de société et de l’avenir qui réside derrière la question des retraites. La plupart sont restés arcboutés sur la défense des « acquis » pour les beaux yeux des « gros bataillons » de la classe, par bêtise trade-unioniste ou visée électorale. Il y avait matière, non pas à décrire la misère comme la fiction interne du CCI, mais à souligner l’absence de perspective sociale et économique de la bourgeoisie, surtout la lente exclusion de millions de prolétaires de la production et de toute protection sociale. Ainsi, la lutte économique pour la défense d’une retraite raccourcie par nos divers suivistes du syndicalisme est restée liée à la politique bourgeoise de cogestion des déficits abyssaux de l’Etat.

Gauchistes ou ultra-gauches, en misant sur un développement de la seule conscience économique espèrent que la classe ouvrière surmontera spontanément la césure de la chute de la maison stalinienne et les tonnes d’ordures déversées sur le marxisme et les révolutions. Cela fait quarante ans finalement que cette politique d’attente de la radicalisation économique, au fond syndicale, ne sert à rien comme alternative au capitalisme. La plupart des grèves ne sont plus une école de la lutte des classes, et n’apportent aucune réflexion sur un possible changement de société, laissant le prolétaire individuel amer et replié sur lui-même. La bourgeoisie absorbe régulièrement sans trop de casse toute cette agitation en rien dangereuse et la dénonciation de la trahison des syndicats en fin de grève est elle-même devenue une tradition acceptée. Et, je parle par expérience, la « trahison » n’est jamais vécue par tous les ouvriers comme la trahison de tous les syndicats quand elle n’est pas vécue comme une victimisation de nos propres capacités.

J’ ai lancé des pistes de réflexion dans PU 163 sur ce que cette grève manifestait au plan politique du point de vue du prolétariat :

- la contestation du travail, de sa durée, de sa hiérarchie,

- la diversité des revendications et des besoins, il n’y a plus de revendication unificatrice (par ex. les 8 heures, la retraite à 60 ans, etc.) mais un besoin d’unité par les mêmes méthodes de lutte, contrôle de sa marche, concertation directe entre patron et ouvriers,

- savoir commencer une grève (beaucoup de cheminots n’avaient pas envie d’aller au casse-pipe au début…) et l’occupation du terrain par les syndicats est en général la preuve que la grève est mort-née…

- la grève n’est pas la seule forme de lutte (la fin de cette grève a été plus dûe à la perte de salaire qu’aux trahisons syndicales ou à la haine quotidienne déversée par les médias) manifestations et assemblées de rues peuvent permettre aux ouvriers et employés de s’exprimer politiquement et de renvoyer au bercail les avocats du gouvernement.

Mais, au fond, ce qui importe n’est pas simplement formel, il faut aussi que les individus ou groupes qui veulent faire avancer la lutte ne cachent pas leur programme, s’ils en ont un. Laissons de côté les histoires sans fin de conscience apportée ou pas de l’extérieur. La lutte économique actuelle restera toujours un peu plus liée à la politique bourgeoise si l’insistance n’est pas portée sur la gabegie du capitalisme. Sans promettre le beau communisme universel qui résoudra tout, le rôle des révolutionnaires (sans aucun parti crédible pour l’heure) n’est-il pas de favoriser des débats qui, en soulignant les limites du capitalisme, posent la nécessité d’une réorganisation de la société et par conséquent qui créent la nécessité d’une large organisation en parti (sans illusion sur une satisfaction syndicaliste immédiate) faute de quoi la spontanéité ouvrière restera inséparable de la politique bourgeoise de gestion de la misère et de l’exploitation.

S’il reste des flous, des impondérables, si je produis des exagérations, autant pour moi, mais une réflexion s’impose sur le cul de sac des revendications immédiates, faute de quoi la misère restera dans l’ornière.

(*) Théorisée comme telle, l’idéologie fantasmatique du « mouvement étudiant », éphémère et caméléon par nature, se nourrit d’un activisme syndical qui est souvent le premier diplôme avant la vie active, et qui n’est rien d’autre que le label dirigiste de cette couche sociale impuissante. Celle-ci ne peut qu’aller mendier auprès de l’Etat la garantie d’un statut intermédiaire dans la hiérarchie sociale. Queue de la petite bourgeoisie intellectuelle, le mouvement étudiant considère que l’Etat est neutre, d’où ses appels incantatoires à des diplômes républicains, à l’égalité des portes d’entrée dans la vie active.

L’étudiant de mai 68, en général (et en sciences humaines…) peu centré sur son nombril arriviste s’était trouvé dans une situation passionnante de jonction avec les ouvriers dans une découverte de la politique révolutionnaire, et pas comme histoire d’addition de revendications corporatives. A Censier, ce n’étaient pas les étudiants qui allaient vers les ouvriers, mais l’inverse. Les ouvriers étaient attirés par les possibilités matérielles des lieux : locaux pour tenir des discussions, ronéos, etc. Ce lieu échappait au flicage syndical des usines et aux manœuvres des politiciens staliniens. Il a existé une situation similaire dans les universités russes à la veille de la grande révolution de 1917. Dans les deux cas, il n’y eût pas unité étudiants-travailleurs, la plupart des étudiants restent destinés à être des encadreurs, mais possibilité pour les ouvriers et les révolutionnaires de se servir d’un espace de liberté.

Mai 68 est avant tout la contestation de la politique par des experts, ce que des groupes non liés à une continuité organisationnelle formelle ont bien compris (situationnistes, milieu issu de Sou B et enfants de la GCF). L'étudiant de 68 ne conteste pas dans ce cadre seulement l'Université mais la société entière. Contre toutes les légendes qui vont être à nouveau colportées en 2008 sur 68 il n'existe que trois ouvrages valables pour appréhender le sens de 68, outre mon "mai 68 et la question de la révolution" (1988, épuisé), "L'insubordination ouvrière dans les années 68" de Xavier Vigna (presses universitaires de Rennes 2007, dont je dis tout le bien dans mon prochain livre) et surtout le prodigieux livre de Kristin Ross "Mai 68 et ses vies ultérieures" (New York 2002, et ed complexe 2005). Cet auteure a le mérite non pas simplement de reprendre ma thèse (68 comme mouvement social et antiléniniste, qui est surtout la thèse des groupes de l'époque non fossilisés par la légende évaporée de la tradition révolutionnaire, PO, RI, Cahiers du communisme de Conseils, etc.) mais de montrer que 68 FIT ECLATER LES CLOISONNEMENTS DES STRATES SOCIALES: les étudiants n'ont pas agi comme étudiants mais comme révélateurs d'une crise d'ensemble, ils ont même cessé de fonctionner comme étudiants, comme les travailleurs de cesser de fonctionner comme travailleurs, pour devenir des êtres politiques acharnés à revendiquer liberté et égalité politique. Contre la doxa médiatico-intellectuelle et les légendes sous-culturelles qui ont oblitéré la réalité de mai 68, Kristin Ross a écrit LE LIVRE qu'on attendait depuis longtemps. Elle me cite à plusieurs reprises et s'est inspiré visiblement de quelques analyses de ma modeste contribution. La seule critique que je me permets de lui porter est de surévaluer l'impact des guerres coloniales sur l'évènement. Par avance, je répondais en p.19, avec PV Naquet: "La génération de 1968 n'avait pas connu la guerre d'Algérie. On peut même suggérer que seule la fin des guerres coloniales et la diminution du service militaire a rendu une fraction de la jeunesse disponible pour la révolte". Cependant Kristin Ross touche quand même le fond de la vérité en décrivant dans la répression les méthodes de la contre-révolution qui prédominaient non seulement depuis 1962 mais aussi depuis 1945. On peut comparer avec le Portugal de 1975 où la "révolution des oeillets" sort des casernes de l'interminable guerre coloniale. Comme quoi les révolutions (même soit disant pacifiques) se font toujours contre les guerres proches ou lointaines. L'ouvrage de Kristin Ross a connu un succès de librairie et j'en suis très heureux. Je lui envoie d'ici mille baisers en son fief de New York!

mardi 11 décembre 2007

Jan Appel autobiographie



UNE VIE POUR LA REVOLUTION

Ou

BREVE AUTOBIOGRAPHIE D’UN REVOLUTIONNAIRE PROLETARIEN

(trad. En français pour la première fois par JLR, 5 novembre 2007)

Avertissement:

La longue vie du révolutionnaire marxiste Jan Appel mériterait un imposant ouvrage tellement elle est riche d'une expérience hors du commun. On peut trouver un résumé et la version anglaise de cette traduction sur le site Smolny.

Peu d'hommes au XXe siècle peuvent prétendre avoir occupé une telle place dans la lutte historique de la classe ouvrière. Simple ouvrier des chantiers navals en Hollande et en Allemagne, Jan Appel se retrouve carrément à la tête des Conseils ouvriers en Allemagne et membre de la direction du KAPD. Il est régulièrement élu aux comités de grève par les AG des grèves où il est présent. Il ne reste pas simplement un acteur puisque dans toute la deuxième partie de sa vie qui se confond avec le dur repli, que nous nommons contre-révolution, il se livre à des travaux théoriques profonds sur la perspective du communisme à un niveau inégalé depuis Marx.

Deux remarques sur ma traduction, qui comporte peut-être des erreurs, j'ai traduit le terme venant de l'allemand pour caractériser les comités d'usine par syndicats, car, contrairement à des traductions ultra-gauches superficielles de l'après 68 (la mode était au conseillisme qui est aussi menteur en histoire que les gauchistes lambda) il s'agissait bien de syndicats radicaux (éqauivalents aux premiers shop stewards britanniques). Preuve qu'on ne se débarasse pas aussi facilement su syndicalisme même en période de révolution. Même si le KAPD avait pour mot d'ordre "hors des syndicats", la preuve qu'on était pas sur la voie de la montée fût que les travailleurs allemands eurent encore d'énormes illusions sur la forme de la délégation syndicale (artificielle et cloisonnée).

On remarquera aussi la parfaite froideur de la rencontre avec Lénine. En général, Appel n'était pas un sentimental. Il raconte sans niaiserie les pires risques encourus. On imagine cependant qu'il dût bien y avoir une certaine émotion à rencontrer Lénine. En tout cas si celle-ci fût présente, Jan Appel ne la laisse pas paraître. On sent qu'il est plus porté par les divergences politiques qu'il va défendre à Moscou avec courage et pugnacité face à des bolcheviks déchaînés contre ces "merdeux occidentaux" qui n'ont pas été fichus de faire la révolution chez eux et qui viennent "donner la leçon". L'émotion a aussi sans doute était refroidie du fait que Lénine fait lambiner les délégués du KAPD. Après avoir risqué leur vie en mer, on les fait attendre comme de vulgaires plénipotentiaires avant que le Lénine chef d'Etat ne consente à les recevoir comme un hiérarque qui leur lit son ouvrage le plus craintif et erroné: "le gauchisme maladie infantile du communisme".

Enfin, une des raisons pour lesquelles aucun groupe ultra-gauche n'a traduit depuis 30 ans cette auto-biographie de Jan Appel est sans nul doute sa conclusion où il explique pourquoi il a participé à la résistance. Le résistant anti-nazi restera toujours un prototype hybride et un cocu de l'histoire. Pour beaucoup (dont mon père) il n'y eût pas le choix. Et, excepté nos ultra-gauches de salon, aucun communiste de coeur ne pouvait refuser de combattre le nazisme.

Malheureusement, combattre le nazisme du point de vue de la "libération nationale" revenait à se placer sous l'aile d'une fraction bourgeoise. Bah, c'est quand même mieux d'avoir combattu le nazisme que d'avoir été collabo...

JLR

__________________


Mon nom est Jan Appel, et je suis né dans un petit village du Mecklenburg en 1890. J’ai fréquenté l’école primaire et étudié la construction navale. Avant même ma naissance, mon père était socialiste. Je suis devenu moi-même membre du parti social-démocrate allemand (SPD) à l’âge de 18 ans. J’ai fait mon service militaire de 1911 à 1913, et par après j’ai été soldat dans la guerre. En octobre 1917, j’ai été démobilisé et envoyé travailler à Hambourg comme ouvrier des chantiers navals. En 1918 nous avons appelé à une grève des ouvriers de l’armement. La grève se déroula pendant une semaine au Vulcan-Werft (atelier de vulcanisation). Notre mot d’ordre était : « Paix ! ». Après une semaine la grève s’éteignit et nous eûmes lecture des clauses de guerre, car, selon la loi, nous étions encore sous régime militaire. A ce moment-là j’étais membre de la gauche radicale de Hambourg. Quand, en novembre 1918, les marins se rebellèrent dans les chantiers navals de Kiel et laissèrent tomber leurs outils, nous avons appris le lundi des travailleurs de Kiel ce qui s’était produit. Sur ce, un meeting clandestin se tint dans les chantiers navals, qui étaient occupés militairement. Tout travail cessa mais les ouvriers restèrent sur place dans les chantiers navals. Une délégation de 17 volontaires fût envoyée au quartier général des syndicats, afin de le réclamer un appel à la grève générale. Nous les avons obligés à tenir un meeting. Le résultat, cependant, fût que les biens connus dirigeants de l’Allgemeine Deutsche Gewerkschaftsbund (ADGB) (union générale des syndicats d’Allemagne) et le SPD adoptèrent une attitude négative à l’encontre de la grève. Il y eût des échanges très durs pendant plusieurs heures. Dans l’intervalle, une révolte spontanée avait surgie pendant le repas aux chantiers navals Blohm et Voss, où étaient employés 17.000 travailleurs. Les ouvriers quittèrent les usines et les chantiers navals de vulcanisation et se massèrent devant l’immeuble des syndicats. Les chefs s’étaient enfuis. La révolution avait commencé.

Pendant ces journées, j’avais pris une position à l’avant-garde de la gauche révolutionnaire du mouvement ouvrier en Allemagne. En tant qu’orateur dans les usines et aux réunions publiques, comme président des Revolutionäre Obleute (syndicalistes révolutionnaires), alors récemment formés, je me tournai dorénavant vers le Spartakusbund (Ligue spartaciste) et j’ai commencé à jouer plus tard un rôle dirigeant dans l’organisation du district de Hambourg du KPD (parti communiste d’Allemagne).

En janvier 1919 se tint un grand meeting des syndicalistes révolutionnaires au siège central des syndicats. On avait appelé à ce meeting juste après que Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht aient été assassinés à Berlin. C’est à ce meeting que j’ai fait la connaissance d’Ernest Thälmann de l’USPD (parti social-démocrate indépendant d’Allemagne), et durant la nuit suivante une marche a été organisée avec les camarades de l’USPD jusqu’aux casernes de Barenfeld. Le garde et les soldats endormis furent pris par surprise, et l’armement des ouvriers se fît sans coup férir. Nous avions 4000 armes. Après une bonne semaine de mise sur pied de notre force armée, ceux qui avaient des armes commencèrent à se disperser les uns après les autres pour finir par disparaître avec leurs armes. Se déplaçant hors d’Hambourg, la propagande avançant la formation d’organisations d’usines se répandait, et conduisit à la formation de l’AAUD (organisation générale des syndicats d’Allemagne) (syndicats ou unions ouvrières ? ndt). Au cours de ce développement et de sa clarification subséquente, dans un processus où ma fonction principale était celle de président des syndicats révolutionnaires, j’ai assumé, partiellement pour des raisons organisationnelles, la fonction supplémentaire de président du district de Hambourg du KPD. C’est pourquoi j’ai été délégué au (second) congrès d’Heidelberg du KPD.

Maintenant, nous sommes en 1966, près de 47 ans après le congrès d’Heidelberg. Il reste une petite question à examiner plus précisément concernant les discussions et conclusions du congrès. Il est suffisant de dire qu’à ce moment-là il était clair pour nous que la ligne et la politique du KPD étaient orientées principalement et comme but du parti vers la participation au Parlement bourgeois. Alors que nous gardions confiance dans nos convictions antérieures sur la politique à poursuivre avec le mouvement révolutionnaire des travailleurs, il était désormais impossible de rester comme tendance organisée au sein du KPD. Peu après, le district de Hambourg du KPD rejoignit aussi cette décision.

Quand, à Berlin, en avril 1920, le groupe de ceux du KPD qui défendaient la même vision que les camarades de Hambourg jetèrent les bases pour la formation du KAPD (parti communiste ouvrier d’Allemagne), ma participation au KPD se termina. Ce furent les journées du putsch de Kapp-Lüttwitz, et je me rendis dans la Ruhr. Avant mon retour à Hambourg, je fus informé qu’au congrès de fondation du KAPD, une délégation comprenant Franz Jung et moi-même, avait été élue en notre absence pour faire le voyage en Russie afin de représenter le KAPD au Comité Exécutif de l’Internationale communiste, qui tenait alors session. Il était de notre tâche de faire un rapport sur la fondation du KAPD, pour présenter ses vues et positions et pour délivrer les exigences appropriées concernant les positions traîtres adoptées par le comité central du KPD contre la lutte dans la Ruhr.

Il nous fût impossible de passer par voie terrestre, et le passage par la mer baltique était aussi fermé. La seule voie possible pour nous me semblait résider à travers la mer du nord et l’Atlantique, en passant par la Norvège et le pôle Nord puis dans l’océan Arctique, pour atteindre Archangel ou si possible Mourmansk. Nous étions, néanmoins, incertains si cette aire avait été reprise ou pas par les Russes, c'est-à-dire, si les Bolcheviks l’avaient réoccupée. Un peu avant des échos étaient apparus dans la presse selon lesquels la flotte américaine, avec des troupes supplémentaires en soutien qui avait occupée l’aire, s’était retirée. En dépit de cette incertitude, nous décidâmes de risquer le voyage. Une de mes connaissances, le camarade Hermann Knürfen, était marin à bord d’un bateau le Senator Schröder. Ce bateau faisait une croisière régulière toutes les quatre semaines dans les eaux profondes poissonneuses au large de l’Islande et, à chaque retour, demeurait au moins une semaine à Cuxhafen. Je partis à la recherche de Hermann Knürfen. Nous apprîmes juste à ce moment qu’il était à Hambourg, et le bateau aux docks de Cuxhafen prêt à partir pour son voyage au large dans les trois jours. Knürfen était volontaire, et la majorité de l’équipage également – vraiment, ce n’était pas pour rien que nous vivions des temps révolutionnaires !

Franz Jung et moi, avec un autre marin révolutionnaire, embarquâmes comme passagers clandestins. Au passage de la pointe d’Heligoland, nous avons mis aux arrêts le capitaine et ses officiers pistolets aux poings et enfermés dans la cabine arrière. Le voyage avait commencé le 20 avril et se termina le premier mai 1920, à Alexandrovsk, le port de Mourmansk. Nous ne possédions des cartes de navigation que pour la zone jusqu’à Trondheim, et au-delà tout ce que nous avions pour guide était une petite carte dans un livre de marin, qui offrait une vue du globe du pôle Nord vers le centre. Les côtes de Norvège, Russie, Sibérie et Alaska n’étaient visibles qu’en bordure de cette carte. C’étaient les seuls moyens de navigation par lesquels notre nouveau maître, le Capitaine Knürfen, pouvait gouverner le navire ! A l’extrémité nord de Tronshö (Hammerfest) nous avons souffert deux jours d’une tempête incessante de neige épaisse, tant st si bien que toute vision de notre distance à la côté était oblitérée. Nous étions tous extrêmement fatigués, d’autant que la situation incertaine imposait une attention continuelle et impérative. Dans ce sens, épuisés, nous naviguions vers le sud, cherchant la côte ou tout bout de terre ferme où nous aurions pu nous reposer. Ce n’est que par un hasard de bonne fortune que nous avons atteint le fjord d’Alexandrovsk, afin de jeter l’ancre et de contourner les balises de la flotte américaine. Il nous a fallu de longues heures avant de nous assurer si les Américains étaient partis. Derrière l’épais mur de neige apparut une colonne de fumée noire, à une distance considérable, qui s’approchait progressivement de nous et de notre navire à l’arrêt sur l’eau.

Alors, il nous sembla que du haut de la falaise surgissait un bateau à vapeur, et nous vîmes finalement un grand drapeau rouge. Ce fût pour nous le signe que nous étions arrivés au pays des Communistes. Après un moment un bateau remorqueur apparut, plein d’hommes armés. Nous fûmes remorqués entre les murs des falaises à l’intérieur des terres en direction de Mourmansk. Nous fûmes reçus comme camarades, puis emmenés par chemin de fer, construit pendant la guerre, jusqu’à Petrograd, nommée maintenant Leningrad.

A Leningrad, après avoir parlé avec Zinoviev, le président de l’Internationale communiste, nous avons voyagé vers Moscou. Là, plusieurs jours après notre arrivée, nous avons fait notre exposé au Comité exécutif de l’Internationale communiste. Notre cas fût discuté, mais de ce qui s’est dit je n’ai plus le souvenir. Cependant, nous n’avons pas reçu une honnête réponse, excepté qu’on nous a dit que nous serions reçus brièvement par Lénine lui-même. Et ceci ne se produisit pas avant une semaine ou un peu plus.

Lénine, naturellement, s’opposa à notre point de vue et à celui du KAPD. Pendant une seconde réception, un peu plus tard, il nous donna sa réponse. Il le fît en nous lisant des extraits de son pamphlet « La maladie infantile du communisme », sélectionnant les passages qu’il considérait comme nous concernant. Il tenait à la main le manuscrit qui n’avait pas encore été imprimé. La réponse de l’Internationale communiste, délivrée initialement par Lénine, était que le point de vue de l’IC était le même que celui du KPD, que nous avions quitté.

Après un agréable long voyage de retour via Mourmansk et la Norvège, il devint nécessaire pour Ian Appel de disparaître de la circulation, et mes activités en Allemagne se poursuivirent sous couvert de Jan Arndt. Travaillant si nécessaire pour garder ensemble corps et esprit, à Seefeld près de Spandau et à Ammerndorf près de Halle, en prenant la parole de temps en temps dans les meetings – c’était la teneur de ma vie. Beaucoup de mon activité se tenait en Rhénanie et dans la Ruhr, où j’organisais la publication régulière du journal de l’AAU « Der Klassenkampf » (« La lutte de classe »). En 1920, le KAPD fût accepté comme organisation sympathisante dans la IIIème Internationale. C’était l’aboutissement des discussions entre l’IC et certains leaders du KAPD. Ces derniers étaient Hermann Gorter de Hollande , Karl Schroeder de Berlin, Otto Rühle, l’ancien député du Reichstag, et Fritz Rasch. Au IIIème congrès de l’IC à Moscou, on nous offrit toute liberté pour exprimer notre point de vue sur la politique qui devrait guider notre travail. Mais nous n’avons rencontré aucun accord des délégués des autres pays présents. Le contenu principal des décisions qui furent prises à ce congrès soutenait que nous devions coopérer avec le KPD dans les anciens syndicats et dans les assemblées démocratiques, et que nous devions laisser tomber notre slogan « Tout le pouvoir aux Conseils ouvriers ». C’était la politique bien connue mise en avant dans les « 21 conditions » que nous devrions suivre si nous voulions rester une organisation affiliée à l’IC. Naturellement nous nous sommes prononcés contre cela et avons déclaré qu’une décision à ce sujet ne pouvait relever que de l’organe concerné du KAPD. Ce qui fut vraiment fait lors de notre retour. J’étais retourné dans la Ruhr et en Rhénanie-Westphalie pour recommencer mon activité, juste avant le congrès. Cette période d’activité s’interrompit en novembre 1923 avec mon arrestation. La cause immédiate en fût l’occupation de la Rhénanie et de la Ruhr par la France, mais l’accusation qui pesait sur moi d’avoir détourné un bateau ne pouvait être prise en compte qu’à Hambourg. Je réussis de peu à éviter l’extradition en me présentant comme un prisonnier politique et en invoquant l’assistance des autorités d’occupation française. Cependant, comme un accord d’extradition entre l’Allemagne et les pouvoirs alliés était imminent, je donnai mon accord à l’ordre de déportation sur Hambourg. Là je fus jugé et condamné, et donc envoyé un temps en prison. Cela se termina à Noël 1925.

En avril 1926, j’allai à Zaandam en Hollande pour reprendre ma vie comme ouvrier des chantiers navals. Immédiatement après mon arrivée j’écrivis à un camarade, que je ne connaissais pas personnellement mais dont on m’avait donné l’adresse. C’était Henk Canne-Meier. Avec Piet Kurman il me rendit visite à Zaandam. Tous deux soutenaient des idées identiques à celles du KAPD, et ils avaient rompu avec le parti communiste de Hollande. Mais ils n’avaient pas de contact avec le groupe existant du KAP en Hollande. Tous deux étaient de bons amis de Hermann Gorter. Nous avons échangé nos points de vue et expériences, et nous avons tenus des réunions régulières avec d’autres du même esprit. Dans ce sens nous avons graduellement cristallisé un groupe que nous avons nommé le GIC (Group of International Communists). La publication de nos positions et analyses trouva sa place dans le PSIC (service de presse des communistes internationalistes qui est l’organe d’information de l’IC.

Pendant mon temps de détention préventive à Düsseldorf, une période somme toute de dix sept mois, j’avais trouvé l’opportunité d’étudier les volumes I et II du Capital de Marx. En venant comme moi d’années de lutte révolutionnaire, suivies par une lutte interne fractionnelle au sein du mouvement communiste et avec la reconnaissance du fait que la révolution russe avait conduit à une consolidation d’une économie d’Etat sous la férule d’un appareil de parti, nous avions été contraints de forger le terme « communisme d’Etat » ou même finalement de « capitalisme d’Etat » afin de le décrire. Je réussis finalement à atteindre une vision cohérente. Le temps pour une réflexion mûrie était arrivé, le temps où chacun passe en revue l’expérience passée avec son propre examen intérieur, afin de trouver la route que nous les ouvriers devront prendre pour laisser derrière nous l’oppression du capitalisme et pour atteindre le but de libération du communisme.

En tant que travailleur révolutionnaire, je me mis à étudier le Capital de Marx pour comprendre le monde capitaliste comme je ne l’avais jamais compris avant. Comment on est forcé de suivre un développement intrinsèque de lois gouvernementales ; comment son ordre de base se déploie sur une longue période, dépassant toutes les conditions héritées du passé pré-capitaliste afin de consolider son mode de production, et ainsi former le levain pour de nouvelles et plus intenses contradictions dans son ordre interne ; comment il opère encore et toujours de nouveaux changements dans sa structure sociale, mais aussi simultanément comment ses contradictions les plus basiques sont poussées en avant vers de nouveaux et toujours plus éclatants niveaux d’antagonismes. On expulse d’abord le peuple travailleur du sol et de leur lopin de terre ; puis on s’approprie leurs moyens de vie indépendante créant ainsi des contradictions dans lesquelles on peut aussi s’approprier le produit de leur travail. Le droit de disposer des fruits du travail, et par conséquent des producteurs eux-mêmes, tombe entre peu de mains. Par conséquent, la vérité selon laquelle le seul aboutissement de la révolution russe a été que le parti communiste russe s’est constitué comme un instrument de pouvoir despotique totalement centralisé équipé avec tous les moyens nécessaires pour exercer l’oppression d’Etat sur les producteurs encore dépossédés et sans propriétés, a été un fait que nous avons été forcés de reconnaître. Mais nos pensées ont été plus loin : la contradiction la plus profonde et intense dans la société humaine réside dans le fait que, en dernière analyse, le droit de décision sur les conditions de production, en tant que telles et en quantité et en qualité, est ôté des mains des producteurs eux-mêmes et placé dans les mains d’organes hautement centralisés du pouvoir. Aujourd’hui, quarante ans après j’en reviens à cette prise de conscience que j’ai faite en prison, j’ai vu ce développement se dérouler à une plus grande échelle dans toutes les parties du monde. Cette division basique dans la société humaine ne pourra être dépassée que lorsque les producteurs assumeront finalement leur droit de contrôle sur les conditions de leur travail, sur ce qu’ils produiront et comment ils le produiront. Sur ce sujet j’ai écrit de nombreuses pages pendant que j’étais en prison. C’est avec ces pensées à l’esprit et avec les écrits qui y sont liés que je suis arrivé à rejoindre en Hollande le GIK.

Aujourd’hui, en 1966, quarante ans ont passé depuis que nous nous sommes réunis à Amsterdam comme groupe de communistes internationalistes (GIK), afin d’exprimer nos nouvelles pensées et de les discuter. La reconnaissance que la révolution russe a conduit à l’établissement d’un communisme d’Etat, ou plus précisément d’un capitalisme d’Etat, représente une nouvelle école de pensée en ce moment. Cela nécessite de se désillusionner soi-même de la vision qu’une forme de la société communiste, qui implique aussi la libération du travail des fers de l’esclavage salarié, devra être le résultat direct et nécessaire de la révolution russe. C’était de plus une conception totalement nouvelle de concentrer son attention sur l’essence du processus de libération de l’esclavage salarié, c'est-à-dire, par l’exercice du pouvoir des organisations d’usine, les Conseils ouvriers, dans l’hypothèse où le contrôle sur les usines et lieux de travail, et découlant de cela, l’unité de l’heure de temps de travail moyenne, comme mesure du temps de production et de tous les besoins et services à la fois dans la production et la distribution, pourrait être introduit. Dans ce sens l’argent et toutes les autres formes de valeur pourraient être abolies et ainsi privés de leur pouvoir de se manifester comme Capital, comme force sociale qui rend esclave l’être humain et l’exploite. Cette reconnaissance et son fruit, gagné par de longues années de travail dans le groupe des communistes internationalistes à Amsterdam, ont été menés à bien afin de réaliser le livre « Les principes fondamentaux de la production et de la distribution communiste », publiés par nous-mêmes. Ils consistent en 169 pages de script tapé à la machine. Afin de donner un bref aperçu de ce qui est écrit ici, l’extrait suivant de la présentation peut être cité : « Les principes fondamentaux de la production et distribution communiste ont eu leur origine pendant une période de quatre années de discussion et de controverses au sein du groupe des communistes internationalistes de Hollande. La première édition est parue dans l’année 1930 en Allemagne, publiée à Berlin par la Neue Arbeiterverlag (« New Workers’ Publishing house »), l’organe publiant l’AAUD, l’organisation révolutionnaire d’usine. Du fait des difficultés financières d’une édition hollandaise dans le format désiré, la possibilité de publier en temps nécessaire était au-delà de nos capacités. Au lieu de cela, ce travail fût publié sous forme de série comme supplément au service d’information de presse du groupe de l’IC (PSIC). Compte tenu de la traduction, cette édition n’est pas identique avec l’édition allemande, bien que rien d’essentiel n’ait été altéré dans le contenu. Les seuls modifications concernent la manière dont sont présentés les matériaux dans diverses formulations, afin de fournir une présentation plus claire. Il faut espérer que les « principes fondamentaux de production et de distribution communistes » mèneront à une discussion de fond et ainsi contribueront à la fois à une plus grande clarté et à unifier le but au sein du prolétariat révolutionnaire, et aussi avec pour résultat que les tendances variées adopteront une même démarche. »

Dans une nouvelle édition, il était écrit : « Ce livre ne peut expliquer qu’en termes économiques ce qui doit être achevé dans la sphère de l’action politique. Pour cette raison, il était nécessaire de commencer, non plus avec l’abolition de la propriété privée des moyens de production, mais avec l’élimination du travail salarié comme tel. C’est à partir de cette base que toutes nos pensées ont procédé. Notre analyse par conséquent conduit à l’inéluctable conclusion que, une fois que les travailleurs ont conquis le pouvoir par leurs organisations de masse, ils seront capables de maintenir ce pouvoir seulement à condition d’éliminer tout travail salarié de la vie économique et au lieu d’adopter comme point nodal de toute activité économique la durée du temps de travail passé dans la production de toutes les valeurs d’usage, comme mesure équivalente remplaçant la valeur argent, toute la vie économique sera révolutionnée. L’édition allemande de l’année 1930 a été plus tard saisie et détruite. Un court résumé a été par conséquent publié à New York, et aussi une version allemande dans le journal « Kampfsignal » (« Un appel à la lutte ») ; pendant qu’en 1955, à Chicago, une version en langue anglaise est apparue dans « Council Correspondence ».

J’ai personnellement participé à l’activité politique du groupe des communistes internationalistes en Hollande. En avril 1933 on m’a fait savoir qu’une « amicale Allemagne » souhaitait me revoir. J’avais été expulsé comme un indésirable aliéné ! Cependant, la commission d’aide policière d’Amsterdam m’accorda du temps pour mettre mes affaires personnelles en ordre. Le temps de la clandestinité était revenu. Jan Appel disparut à nouveau de la scène. Quand plus tard, la seconde guerre mondiale se termina, j’ai commencé à jouer un rôle dans le mouvement de résistance dirigé contre le régime des fascistes d’Hitler, qui avait occupé le pays en 1940. Après que Sneevliet, le bien connu leader de la gauche en Hollande, avec 13 à 18 camarades, aient été tués par un peloton d’exécution, nous avons continué à poursuivre la lutte de résistance avec le reste des camarades. Après 1945, nous avons publié le journal hebdomadaire « Spartacus ». Cela a continué jusqu’en 1948. Comme conséquence d’un sérieux accident de rue dont je souffre encore, j’ai dû être hospitalisé, et ainsi j’ai réapparu à la surface de la vie sociale. Un témoignage de plus de 20 bourgeois citoyens purs et durs fût nécessaire pour empêcher que je sois simplement éjecté !

Le fait que j’ai été actif dans le mouvement de résistance plaida en ma faveur. Jan Appel réapparut encore, mais il était nécessairement pour un moment de se dispenser de toute activité politique. C’est aussi la fin de ce volume de l’histoire de ma vie.

mardi 4 décembre 2007

LA REVOLUTION DE 2008

En 2008, contrairement à toute attente, la fièvre révolutionnaire embrase deux continents occidentaux et le mouvement commence à se répandre en Corée du Sud au coin du continent asiatique. Des grèves massives éclatent en Afrique du Sud mais aussi en Argentine. En France, où la chute brutale de l’Euro, suivant de peu une crise des subprimes qu’on avait crue jugulée dans les pays anglo-saxons, a fait exploser le nombre de chômeurs particulièrement en région parisienne, où des émeutes avaient à nouveau mis en prises une population déjà fortement laissée pour compte, la révolution est avant tout politique. Elle confirme que si jusque là l’histoire sociale était à la remorque de l’histoire politique, c’était bien grâce au sale boulot des syndicats d’Etat. La première revendication est le refus des tractations secrètes entre délégués et représentants de l’Etat. La deuxième qu’il y ait caméras et micros dans les salles de négociation pour répercuter en direct les propos des uns et des autres.

Ces deux revendications éminemment politiques la révolution les avait adoptées en hommage à la lutte des ouvriers polonais en 1981. En Allemagne et en Espagne, les ouvriers, moins avancés, ne faisaient que commencer à contester les syndicats en leur opposant des syndicats du sud soit disant plus honnêtes. Aux Etats-Unis, la révolution était à la fois politique et sociale, politique parce que les ouvriers s’étaient pour une fois directement opposés à la guerre planifiée en Iran par le président Busch et avaient en même temps réquisitionné les réservoirs d’essence pour les livraisons de denrées par la route, étant donné l’épuisement des réserves pétrolières nord-américaines et le refus de livrer un supplément de la part du président Chavez. En Angleterre, les ouvriers s’étaient laissés provisoirement enfermer dans la polémique sur l’utilité de la royauté, après l’incendie de Buckingam Palace et la prise en otage de la Reine qui avait suscité une forte émotion parmi la petite bourgeoisie conservatrice.

Une répression sanglante s’était abattue sous les ordres de Poutine en Russie contre les grèves dans le bassin du Donetz et l’insurrection en Ukraine. Onze mille arrestations, cinq mille six cent déportations. Une répression d’autant plus dure que de nombreux cadres de l’appareil d’Etat et patrons avaient été tués lors des premières émeutes. Un pope qui tentait de s’interposer entre les combattants sur la perspective Nevsky, au coin de la rue Robespierre, fut abattu.

La crise révolutionnaire de 2008 marque un tournant dans l’histoire des classes sociales qu’on croyait enterrée. Bourgeoisie et prolétariat y apparaissent à nouveau clairement comme classes antagonistes. Entre ces deux classes, surtout mue par la haine, la petite bourgeoisie et la plupart des étudiants, avaient fini par se mobiliser derrière le prolétariat. La bourgeoisie voit le fossé se creuser de plus en plus profond entre elle et la majorité de la population travailleuse. C’est dans ce contexte historique que la doctrine de Marx fût réévaluée à sa juste valeur.

Les conséquences de ce réveil du marxisme sont doubles :

- d’un côté, la classe bourgeoise vit dès lors dans la peur des classes laborieuses. Aux yeux des plumes officiels de cette classe, tous les maux de la société provenaient des banlieues et de l’Islam, du déficit de la sécurité sociale et de la volonté absurde des ouvriers de conserver leurs trente cinq heures hebdomadaires. C’est à cet envahissement immigré que, dans les écrits de l’époque, on attribuait communément le maintien d’un fort taux de criminalité. Pour maintenir leurs profits, dans ce monde hostile, les bourgeois devaient souvent baisser les salaires et envoyer les flics contre les grévistes ou renvoyer les immigrés chez eux. L’immigration était d’autant plus envahissante qu’elle faisait suite à des siècles de transport d’une main d’œuvre terrorisée et ostracisée. Du jour au lendemain les ouvriers immigrés et leurs progénitures s’étaient coalisés contre les attaques de l’Etat bourgeois avec les ouvriers du cru, ouvrant la voie à un univers inconnu, angoissant pour les possédants et les fils à papa.

- La peur de la classe ouvrière est telle que partout la bourgeoisie tenta de remettre en place des polices de proximité, mais la police puait plus elle approchait. Le réflexe premier de la classe dominante de lancer ses chiens de garde allait lui coûter très cher et révéler son impuissance.

- La classe ouvrière, prenant conscience d’elle-même, émergeant comme force d’alternative politique qui se fait respecter voire honorer, le prolétariat cesse d’être une classe de racaille immigrée ou d’éthyliques assistés. En même temps, là où des places fortes capitalistes subsistaient, elles commençaient à s’écrouler, ouvrant la voie au communisme.

(à suivre)

dimanche 2 décembre 2007

Du mot d’ordre de solidarité

français et immigrés

Le dernier tract du petit PCI (Le Prolétaire), fort judicieux dans leur prise de position et analyse d’une grève piégée avant d’être commencée, se terminait par un vieux mot d’ordre des années 1970, la solidarité de classe français-immigrés. Au premier coup d’œil il faisait plaisir à voir ce vieux slogan que l’on n’entend plus depuis que la bourgeoisie a décrété que le diable est musulmaniaque. A la réflexion ce mot d’ordre, comme la défense des nationalisations ou d’un Etat impartial, est cependant obsolète.

Ce mot d’ordre a une histoire. Il n’a jamais été vraiment concrétisé comme la mythique grève générale, qui n’exista pas non plus en mai 1968.

La plupart des partis de gauche et d’extrême gauche l’ont conjugué à toutes les sauces de la culpabilisation de gauche antiraciste. D’une façon prédominante était revendiquée la solidarité français-immigrés sans spécifier la notion d’appartenance de classe, ce qui devenait franchement ridicule au niveau électoral puisque les immigrés, dans la conception nationale de la vie civile, ne sont pas conviés à voter, et ne sont pas prêts de l’être ; et, au demeurant le trucage civique ne sera jamais un moyen d’émancipation ni de la pauvreté ni de la couleur de peau. Sur le plan social, la solidarité français-immigrés ne concerna jamais vraiment les prolétaires des services publics, puisque les employés de ce secteur n’étaient recrutés que sur la base du sang national. Dans les petites boites du privé, malgré quelques grèves phares pour le maoïsme agité du bonnet ou des grèves exclusivement composées d’ouvriers étrangers des ex-colonies, la solidarité hexagonale resta virtuelle dans les envolées lyriques des militeux gauchistes et comme disque rayé pour manifestations.

Du paternalisme de gauche au paternalisme antiraciste :

Au pouvoir ou dans l’opposition, la gauche bourgeoise s’est longtemps présentée comme fier défenseur de la veuve ouvrière et de l’orphelin immigré, en laissant augmenter le chômage et en poursuivant les expulsions de la droite. Les bâtards de cette gauche, les divers gauchistes, exhibèrent un temps leurs immigrés de façade sans que ceux-ci donnent naissance à des héritiers politiques deux ou trois décennies plus tard. Les bordiguistes des années 1970, eux-mêmes habités par la culpabilité petite bourgeoise de la revendication de papiers pour les sans-papiers, engagèrent vainement une action ridiculement charitable, en direction de la population immigrée encore pacifique de Sarcelles et de Montreuil ; l’intellectuel petit bourgeois est persuadé que la révolution viendra un jour, mais des plus pauvres.

Depuis 40 ans rien n’a véritablement changé pour les immigrés. Pour le Capital, avec son alibi antiraciste, l’immigré doit rester prolétaire précaire, prédisposé à la bigoterie, taillable et corvéable à merci. Les militeux qui pensent être progressistes en revendiquant les droits de l’homme pour les plus paupérisés du sous-prolétariat moderne, sont des crétins parce que les droits de l’homme sont ceux des bourgeois.

Pourtant, mieux que la revendication d’égalité des droits entre nationaux et non nationaux, la population immigrée a obtenu sa revanche contre la bourgeoisie et contre ses opposants de pacotille : elle s’est intégrée au cadre national par ses enfants. Vertu du paradoxe, si les vieux parents ne sont toujours pas français, leurs enfants nés sur le sol national, le sont et n’entendent pas se faire marcher dessus comme la génération maudite et humiliée de la décolonisation.

Le capitalisme contient toujours, même à un degré mineur, des aspects qui révolutionnent la situation existante, et mène envers et contre lui à dépasser les clivages, bien qu’à la différence du XIXe siècle il en sabote immédiatement toutes les possibilités dynamiques. Les enfants de prolétaires immigrés, en majeure partie maghrébins et africains, sont embauchés enfin dans les services publics, dans les grandes sociétés et dans la gendarmerie.

Face à ce retournement de situation le capitalisme n’est pas resté inactif. Il ne pouvait pas laisser se fondre in vivo l’unité naturelle du prolétaire de souche et de son double anciennement immigré sans faire jouer le climat affectif du paternalisme antiraciste, supplétif de l’ancien curé colonialiste.

Il tend à faire prévaloir la fiction de l’égalité et de la réciprocité qui maintient la hiérarchie des inégalités entretenues entre prolétaires autochtones, femmes et ouvriers « d’origine française récente ». En même temps, il n’occulte pas les conflits latents dans une situation de possible assimilation comme pût l’être au début du XXe l’intégration des ouvriers italiens ou espagnols. Il les aggrave.

Le système du nouveau gouvernement n’est pas le programme du FN mais l’aboutissement du lent travail de bourrage de crâne d’années et d’années de paternalisme antiraciste par les gouvernements successifs de droite et de gauche. Cette politique très affûtée, qui déstabilise la petite bourgeoisie bien-pensante de gauche et d’extrême gauche, correspond à la stratégie de fuite du réel d’un prolétariat européen marqué par le vide de la théorie révolutionnaire et la nullité de tous les groupes politiques radicaux réduits à la misérable litanie syndicaliste. Cette politique trouve sa justification au centre de la violence qui régit les rapports sociaux.

La violence faite aux prolétaires quotidiennement est découpée en tranches et cuite séparément. La violence hiérarchique est traduite par un concept médical, le harcèlement. La violence policière est traduite par un concept juridique, la protection des biens. La violence des faits divers est traduite comme crime de marginaux (immigrés). Il y a violence et violence. Ni Sorel ni Lénine ne pouvaient imaginer le niveau de complexité que la violence atteindrait au XXe et XXIe siècles. Pourtant, la violence de « ceux qui se défendent » dans les aires de la population exploitée, reste le seul principe qui permette aux masses ouvrières de se faire entendre. Si l’Etat réussit encore à circonscrire cette violence, en la réduisant à l’action de gangs immigrés, et si cette violence finit toujours par être récupérée dans la même stratégie de fuite du réel par la promesse de quelques exceptions à la misère généralisée, cela ne saurait perdurer. La violence, même désordonnée dans la rue, pose des questions politiques de fond auxquelles aucun des tenants du pouvoir ou leurs compétiteurs n’a de réponses. La violence sociale reste l’accoucheuse des classes montantes.

La politique de l’Etat au centre de la violence est donc l’apogée du nouveau paternalisme : qui n’est pas avec moi est contre moi et n’a droit à aucune protection ! Le chantage est le même face aux quartiers déshérités du sous-prolétariat et en direction du prolétariat en dessous. Les masses sont d’autant plus passives que le gouvernement se prétend sécurisant. Le résultat en est immédiatement l’inhibition électorale et le suivisme syndical.

CONSOLIDATION HIERARCHIQUE ET PRESTIGE

L’éthologie a montré qu’il n’y a pas vraiment de différences entre le mode de vie hiérarchique et la lutte pour le pouvoir chez les animaux et chez les humains. Ni dans l’instinct animal archaïque ni sous le capitalisme moderne on ne déroge à la lutte pour le prestige et pour écraser son prochain. A la perspective déniaisée d’une société sans classes, le capitalisme prétend opposer un avenir écologique et convivial à l’humanité. Le capitalisme n’étant pas biologiquement éternel, il lui faut continuer à régner prosaïquement avec les bouts de chandelles des idéologies périmées.

La politique du pouvoir ou le pouvoir de la politique ne réside pas dans un échange de bons et loyaux service.

L’Etat bourgeois ne fait pas de concessions majeures mais se sert de la fuite du réel dans un rapport de forces inégalitaire. La protection policière des biens n’est que celle de la bourgeoisie et les corps armées servent à terroriser le prolétariat qui ne dispose d’aucune garantie de service rendu. Le pouvoir d’Etat demeure une puissance autonome qui exige la soumission par les élections républicaines. De plus, ce qui est totalement ignoré par les simplismes des groupes radicaux, est que le pouvoir politique ne passe pas essentiellement par la politique. Le pouvoir existe en préfiguré, voire en préliminaire, dans la structure fortement hiérarchisée de la société, et surtout dans l’occultation des strates des classes. Les inégalités intellectuelles et culturelles, entretenues par le système éducatif, priment largement sur les inégalités de secte, d’ethnie ou d’âge. Le pouvoir d’Etat ne se délimite pas à ses institutions parlementaires, juridiques et armées ; outre qu’il est partagé imaginairement par les prolétaires qui votent, il peut se permettre de n’associer qu’une infime minorité d’intermédiaires au nom de la délégation… de pouvoir. Le délégué syndical est une pute et le délégué politique son mac.

Le pouvoir d’Etat, en second lieu, légitime la combinaison de l’esprit ethnique archaïque et de la communauté religieuse pour dissoudre toute conscience de classe unique opprimée. Ce pouvoir est si diffus, sur le plan du quotidien et des modes de vie, qu’il induit des automatismes masochistes chez les prolétaires qui s’autodétruisent comme classe révoltée par soumission infantile et cécité historique. Le prolétaire autochtone croit être protégé de démons imaginaires par l’Etat paternel quand le prolétaire immigré de la deuxième génération se plie non seulement à cet Etat mais en même temps se laisse atomiser en permanence, de façon non consciente par le prétendu système de valeurs antagonistes de la religion. La coexistence de messianismes syndicaux et religieux favorise le maintien de la confusion par l’Etat, et surtout écarte toute conscience de classe commune. Cette action de brouillage idéologique ne peut perdurer que tant le capitalisme peut entretenir la course à la reconnaissance dans une apparente décomposition.

L’Etat-nation n’a plus de raison d’être à l’époque moderne dans un monde régi par le même capitalisme, aussi comme il ne peut pas passer de lui-même à sa suppression, il accomplit un pseudo retour en arrière de type féodaliste en restant agrippé à la fiction de l’indépendance nationale. Industriellement celle-ci ne signifie pourtant plus rien, ne développe plus la classe ouvrière mais l’éparpille en unités éloignées et disparates juridiquement. La bourgeoisie, qui maîtrise encore ses contradictions décadentes, ne souhaite pas cependant accorder une représentativité au régionalisme, au tribalisme et au communautarisme, quelques concessions formelles qu’elle semble accorder. Aucun complexe sur ce plan, les groupes d’intérêts ne peuvent pas eux non plus se formaliser ; on imagine mal les classes privilégiées s’organiser en « parti de classe » qui démontrerait d’une part qu’elles sont ultra-minoritaires et de l’autre ultra-cyniques !

La bourgeoisie est la classe de la confusion qui articule un concept vide de « démocratie » et la vieillerie du libéralisme pour la défense de l’exploitation et de la spoliation.

Le combat des opprimés semble avoir délaissé la recherche d’une meilleure compréhension des mécanismes économiques qui régissent le capitalisme et semble prendre pour éternelle les hiérarchies instituées qui fondent la domination bourgeoise. L’Etat paternaliste prétend assurer la reconnaissance donc comme récompense symbolique de la participation des tribus ou communautés à la nation étriquée. Le sous-prolétariat immigré se voit concéder une place tant qu’il reste fixé sur son milieu d’origine, présent à la Mosquée (même si la fréquentation de celle-ci est en réalité très minoritaire). On lui présente cette concession comme un dû à sa dignité d’homme car son identification à la classe ouvrière ne pourrait tenir que de l’animalité primitive. Il s’agit pourtant aussi d’une dépersonnalisation de l’être du prolétaire, quelle que soit son origine, au profit de son enchaînement à la superstition comme consolation de sa dépréciation sur un territoire qui lui reste hostile.

Le prolétaire de souche n’est plus qu’un assisté, et le prolétaire d’origine immigrée un brave croyant. Pourtant leur lutte est bien profondément commune et orientée vers le même but.

(à suivre)

Le tract du PCI:

SUITE

Le mot d’ordre français-immigrés même combat a été complètement happé par l’antiracisme paternaliste. Cela ne signifie pas que les ouvriers français et immigrés n’auraient plus à s’unir, car ils restent culpabilisés en temps normal sous les coups du bourrage de crâne de l’idéologie de l’assistanat – qui peut prétendre englober tant chômeurs autochtones qu’allocation familiales pour famille d’immigrés – mais que le slogan de la lutte ne peut se cacher sous l’oripeau antiraciste simpliste. Seule la spécificité de classe ouvrière internationaliste peut révéler le sens du combat et lui donner son potentiel.

La caricature des immigrés sous influence islamiste par la bourgeoisie fait penser à la description des paysans arriérés par La Bruyère :

« L’on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent et qu’ils remuent avec une opiniâtreté invincible : ils ont comme une voix articulée et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine, et en effet, ils sont des hommes ; ils se retirent la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, d’eau et de racines… »

La violence est le langage des pauvres. La violence est le langage des exclus, fils d’ouvriers autochtones et immigrés mêlés, comme le révèlent à chaque fois les lourdes condamnations des lampistes. Cette violence est légitime et on lui oppose une possible « régularisation » des laissés pour compte, régularisation sociale et juridique ! Tu parles !

Il est à la mode désormais de parler de la lutte des sans-papiers, succédant à l’ancien mot d’ordre gauchiste. C’est encore pire ! Cela devient une lutte individuelle pour obtenir ces fichus papiers, alors que la bonne haute bourgeoisie des hôtels particuliers du XVIème aux hôpitaux et chantiers a besoin de sans-papiers hyper-exploitables !

La lutte générale mais dispersée et opaque contre l’exploitation, le chômage et les discriminations de classe par les prolétaires de toute origine nécessite une réflexion d’ensemble pour sortir des ghettos revendicatifs et des pleurnicheries humanitaires.

Au cœur de cette réflexion il n’y a pas de recettes, ni une surenchère revendicative mais la nécessité d’un défrichage politique, personne d’autre que les prolétaires révoltés ne peut mener à bien ce travail qui nécessite l’apparition de nouveaux groupes capables de dépasser les idéologies mortes pour sortir de l’impasse actuelle et définir un avenir révolutionnaire possible.



jeudi 29 novembre 2007

L’indigence des léninistes pour

une grève en impasse

"Il y a ceux qui s'agenouillent devant le derrière du prolétariat" Lénine

Nous critiquerons ici tous les groupes qui prétendent parler au nom du prolétariat en général, qui postulent à en prendre la tête lors d’un chambardement toujours rêvé mais jamais là, et qui en définitive ne sont que la mouche du coche de la gôche caviar, voire surtout des syndicats gouvernementaux. Ces groupes « contestataires » généralement impuissants et qui font de la figuration, quelle que soit l’étiquette qu’ils affichent peu ou prou, marxiste ou anarchiste, nous les rangeons dans le grand carnaval post-léniniste. Le léninisme est mort comme l’anarchisme et c’est là tout le sel de l’histoire, quand le marxisme reste la seule méthode d’analyse cohérente et le communisme l’unique perspective sérieuse pour l’humanité. Au fil de la critique, on verra que l’ensemble de ces groupes, des groupes bourgeois financés pour leur participation électorale studieuse (LO et LCR) à la petite mafia anti-communiste CNT et à la secte CCI, qui se prétendent révolutionnaires, n’ont jamais débordé idéologiquement le syndicalisme maison, exigeant juste le petit plus du vieillot « tous ensemble » ou de l’obscure « généralisation ». On ne parlera pas ici du particule des travailleurs, la secte de Gluckstein inexistante comme telle, bien que cachée sous les drapeaux de FO, et nous la laissons à sa débilité pétitionnaire trentenaire pour la construction d’une nouvelle poupée russe du mystérieux appareil lambertiste.

A mon avis, en France, seul le comité de lutte Tumulto de Toulouse a été à la hauteur du type d'intervention nécessaire dans une grève mal barrée et pour assurer du point de vue révolutionnaire; le tract original du cercle bordiguiste, que je viens de recevoir seulement) est aussi lucide du début à la fin de la grève sur une lutte piégée dès le départ par gouvernement et syndicats, et s'il se borne à des généralités, il affiche nettement la nécessité de lutter hors des syndicats.

Pour tout dire l’ensemble des groupes gauchistes et contestataires ont fait montre de la plus totale indigence théorique. Ils s’ignorèrent entre eux le temps de la grève dans la compétition pour gagner l’oreille des ouvriers. En outre, c’est très comique, aucun n’a disputé face aux autres la bonne interprétation de l’évènement gréviste, est-ce qu’il s’agissait d’une grève authentique (voulue par les ouvriers) ? que convenait-il de faire en pareille circonstance ?

Or, ce qui a été marquant, malgré de timides interventions qui toutes soufflaient dans le mégaphone syndical ambigu, c’est leur maintien à la marge ou fondu derrière les jusqu’auboutistes impulsifs.

La bêtise de l’argumentation contre les syndicats, qui ne sont forts que de la faiblesse des ouvriers, confine au radotage à chaque grève alors que plus personne ne pense que les syndicats ne sont pas pourris. La pauvreté créative des mots d’ordre des léninistes à retardement valait bien celle des crétins d’ouvriers avinés qui psalmodiaient « des sous … des sous… » à la manif enterrement du 20 novembre. La soumission au faux mot d’ordre « retour pour tous à 37,5 annuités » servit à conforter le corporatisme le plus étroit.

On analysera successivement l’argumentaire des as du double langage (LO), le suivisme pleutre de la CNT et l’interclassisme éponge du CCI (révolution internationale).

LES RADOTAGES DE LUTTE OUVRIERE ET OU L’ON VOIT

QUE TRAVAILLEUR = ELECTEUR POTENTIEL

Spécialisée dans le double langage, la secte LO produit le même raisonnement circulaire depuis sa mise en orbite après 1968 : « luttons avec les syndicats – les syndicats nous on trahi – empêchons-les de trahir la prochaine fois ! ». C’est le fond du chapelet débité par Arlette Laguiller pour l’édito invariant du journal qui sert de soupe éditoriale à leurs bulletins d’entreprises. Arlette qui a lu le premier tract de PU (je le lui ai remis en main propre), fait semblant de ne pas avoir compris que les dés étaient pipés depuis le coup de sifflet syndical. Elle reprend une idée que j’avais émise dans ce tract (le cycle de dix ans d’attaques successives) mais avec un raisonnement passoire, les yeux rivés sur les prochaines municipales. Elle plaint les grévistes, alors que sa secte n’a fait aucune mise en garde contre l’organisation des promenades syndicales. Elle nous ressert enfin l’antique sauce trotskienne des syndicalistes de base floués par les chefs syndicaux. L’insistance n’est pas portée sur le fait majeur de cette grève : les ouvriers ont tenu tête plus longtemps que prévu au gouvernement et ridiculisés les manœuvres syndicales. Et pour cause, LO comme la LCR veut racler dans le fond de commerce de la gauche avec son hochet « l’Etat impartial », les ouvriers ça vote et les étudiants, plus flattés que jamais par la secte ouvriériste, aussi… Et surtout, LO finit toujours par relayer les campagnes de l’Etat bourgeois, ils embouchent à leur tour après le PS la nébuleuse de la lutte pour le pouvoir d’achat (ce fameux combat contre les prix du candidat Sarkozy) ! Tous unis contre les prix !

Les militeux de LO qui prennent en général les ouvriers pour des cons, pensent que tous les travailleurs se sont sentis concernés par cette grève mise sur de mauvais rails; chez eux le terme travailleur = électeur car rien n'est plus obéissant qu'un électeur. Le petit cheval LO qui a pleuré pendant vingt ans sur une prétendue démoralisation de la classe ouvrière, vient de rallier l'écurie du PS pour les prochaines municipales en censurant son site face aux cris d'orfraie de quelques naïfs de base.

Dans leur navrante publication théorique, Lutte de classe n°108, il a cependant un effort qu’on ne trouve chez aucun autre groupe léniniste pour essayer de démêler la manœuvre qui a présidé à cette grève et une question très pertinente, qui rejoint celle posée par l’OCL (« cheminots il faut savoir commencer une grève » :

« Il ne suffit évidemment pas d’un appel syndical pour que se déclenche une lutte entraînant, après les travailleurs du public, ceux du privé. Mais comment la préparer ? Comment entraîner l’ensemble du monde du travail ai côté de ceux qui ont montré leur combativité ? »

Très bonne question dont on n’attend pas une réponse de classe de la part de ce groupe bourgeois intégré au paysage médiatique et qui intègre désormais pleinement les "travailleurs" comme dindons permanents de la farce démocratique ou gréviste. La réponse proposée est si léniniste et militaire, avec des syndicats honnêtes planifiant une série de mobilisations crescendo des soldats ouvriers, qu’il est tout naturel de tenter de nous faire avaler que la journée du 20 novembre allait signifier l’envol vers la généralisation. On est toujours emprunté dans la critique du principal syndicat collabo, la CGT, cette ordure corporative n’est pas l’ennemie de la lutte mais affecte simplement « une volonté de priver les grévistes du contrôle de leur propre grève ». Pire nos théoriciens cacahuètes de LO qui en appelaient trois paragraphes avant à l’unité syndicale, servent un menu invraisemblable à partir de leurs mesquineries sur l’unité syndicale : « bien souvent, dans le passé, la base, les travailleurs ont su déborder les appareils syndicaux et faire en sorte que le mouvement s’amplifie… malgré eux », donc jamais contre ni hors des syndicats ! Les commentaires de la tendance ad hoc sont en général plus nuls que ceux de la maison mère, conjuguant un constant jusqu’auboutisme à l’appel à la construction de « comités de mobilisation » ou « réseaux » contrôlés par les militeux trotskiens.


UN ANARCHISME A LA REMORQUE DE LA GAUCHE CAVIAR

Bien que jouant les gros bras avec force drapeaux noir et rouge au cul des fédérations syndicales, la CNT parisienne est un des principaux organismes bureaucratiques qui sévit dans les services publics, au point que les syndicats classiques peuvent apparaitre comme oasis pour syndiqués pas trop réfléchis. La CNT ignoble des Vignobles n’a pas démérité du discrédit dont elle est l’objet chez les connaisseurs. Ses tracts passèrent leur temps à essayer de démontrer que le retour aux 37,5 annuités était possible en imposant plus les patrons (hé hé) et en stigmatisant les non-salariés (qui grèvent c’est vrai plus que la SNCF le régime général), les 500 000 militaires qui sont partis en retraite après 15 ans de service (et en oubliant les cadres supérieurs technocratiques et syndicaux). Il ne faut pas défendre les travailleurs en général mais par exhiber les "acquis" du conseil national de la résistance (clin d’œil aux amis staliniens) et donc la revendication gauche caviar de la protection des services publics !

Ces léninistes noir et rouge accusent le gouvernement non pas d’avoir favorisé dès le départ un gouffre entre grévistes et non-grévistes et avec la population ouvrière, mais « une destruction pure et simple de la solidarité de ce qui reste des services publics… de piétiner les principes fondateurs de la protection sociale : unité et universalité ». Ces mêmes conneries auxquelles même un obscur délégué CGT ne croit plus, en reviennent à revaloriser le plus imbitable des conservatismes pour les pauvres nationalisations. Les trotskiens peuvent souffler, il existe plus tarés qu’eux ! La liste des revendications qui accompagnent les tracts n’est qu’une clownerie à la Marchais et ne coûte rien en bla-bla.

L’indigence théorique atteint son comble avec la mini CNT parisienne lorsqu’elle se porte au-devant de la fabrique de la revendication étudiante : « les étudiants font face à une loi scélérate qui veut faire entrer le capitalisme à l’université » !? Le capitalisme il y a belle lurette qu’il y est à l’Université , même déguisé en mandarin!

Pire que LO antisyndical à ressort, la CNT ordonne comme conclusion au cheminot :

« Cheminot, syndique-toi et combats ! ». Cette injonction a quelque chose de mussolinien !

Enfin, comble de la lâcheté, la CNT diffuse un tract intitulé :

« Grève, blocage, sabotage ! Action directe contre l’Etat et le patronat ! ». A aucun moment n’est expliqué ce soutien au « sabotage » (lequel, celui des voies ferrées ? alors assumez mes petits pères!) ni que le terme « action directe » renvoie au soutien des héros pitoyables de cette mouvance de rigolos, encore en prison. Tout l’argumentaire sur la défense des services publics peut se lire dans n’importe quel tract de la CGT.

LE CCI : UNE EPONGE SOCIAL-DEMOCRATE OU LA DECADENCE PSYCHOTIQUE ?

Un ancien groupe à vocation révolutionnaire nous a bien plus attristé dans ce concert de suivistes du syndicalisme de la gauche bourgeoise et membre de l’appareil d’aliénation, le CCI dit courant communiste international, que nous renommerons ici Cercle Circulaire Cosmopolite pour l’enflure de sa petitesse et de son inanité théorique par la création d’agences multilangues sur son site qui ne correspond à rien d’autre qu’une série d’individus isolés et le plus sérieusement du monde mondialistes pour une humanité heureuse sans temps morts et sans morpions capitalistes.

Je ne reviendrai pas sur les raisons de la dégénérescence léniniste de ce cercle – l’impatience petite bourgeoise et la quête de la pureté dans l’obéissance hiérarchique « de parti » virtuel – et puis vous vous en foutez lecteur amorphe !

Le Cercle Circulaire diffusa un supplément (les tracts lui coûtant des sous) : « C’est tous unis qu’il faut se battre ! » et reprit à son compte la mystification servile du retour pour tous aux 37,5 annuités. Rien ne pouvait choquer là les adeptes aveugles de la CGT et de la CNT. Dans la rue, on le sait bien, comme l’a montré la manif enterrement du 20 novembre, on est tous unis les uns derrière les autres : CGT+CFDT+SUD+Besancenot+Laguiller+FO+CNT+les étudiants+la poussette d’un syndicat policier. Tchouk tchouk, le petit train de la manif ferré devant et derrière par les policiers casqués et motorisés, était pourtant le symbole de cette unité de merde !

Pour notre cercle constrictor les CRS sont des « voyous » (ah… madame ils me font peur !) comme leurs copains de banlieue les « casseurs » (Raymond Marcellin si tu es là, frappe trois coups !) qui ont attaqués les étudiants pour « leur voler leur téléphone portable » (pauvre chéri d'étudiant qui n’a pas pu appeler maman !). Ces salauds de TF1 n’ont même pas répercuté l’information du siècle du CC (I) : « La répression sauvage contre les étudiants est une attaque inique contre l’ensemble de la classe ouvrière » ! Ni LO ni la CNT n’ont osé écrire une connerie pareille, j’ai honte d’avoir été membre de ce machin !

Gradation dans la connerie ubuesque d'Ubu CCI, l’étudiant comme instrument de mesure de « classe « : « La nature prolétarienne de la lutte des étudiants contre la loi Pécresse s’est clairement révélée par le fait que les grévistes ont été capables d’élargir leurs revendications… ». Nos étudiants petits bourgeois « élargissant les revendications » des autres, on aura tout vu ! Le milieu étudiant est pourtant dans une misère bien pire que ne l’avait brillamment décrite une brochure situationniste : les délégués sont souvent des faux nez d’orgas gauchistes, certains « tuent » le débat par des interventions fleuves… La lutte étudiante s’effiloche ensuite lamentablement en querelles entre syndicat collabo, l’UNEF, et excité de la CNT et LCR. Bel exemple du combat unitaire des « enfants de la classe ouvrière » par grand-mère CCI !

Tous les clichés gauchistes secouristes se succèdent ensuite. Ces braves étudiants n'ont-ils pasproposé le chauffage gratuit en amphi à des sans-papiers ! Songez que Sarkozy veut transformer les universités en « forteresses policières » ! Les flics vont-ils être moins demeurés en remplaçant les étudiants ? Plus épique encore, la minable lutte étudiante contre la désétatisation de l’Université « est un jalon sur le chemin qui mène vers le renversement futur du capitalisme ». Toutes ces âneries sont paraphées du nom de Sofiane, au cas où dans ce cercle de dingos se lèveraient des objections contre d’aussi ahurissantes analyses contre un texte qui eût été signé « orgasme central » !

Vous n’en avez pas fini avec la locomotive des crétins en bande. On demandera cependant à nos lecteurs de rire un peu moins fort pour ne pas gêner les voisins. Sur leur site à retardement ils viennent soudain se vanter d’être intervenus dans deux AG de travailleurs de la SNCF (c’est toujours ça !). Les croulants du CCI sont tellement vieux à présent et sur chaise roulante qu’il faut des aides-ménagères pour les transporter dans quelque assemblée générée de braves travailleurs en attente de leur bénédiction. Résumé du déplacement gériatrique : « Grâce à la solidarité des étudiants, les cheminots démasquent les syndicats ». Pour ceux qui croient que j’exagère ou me laisse emporter par une plume fielleuse et rancunière, je ne résiste pas à citer, devinant que c’est l’ancien curé défroqué qui a pondu ce nanard :

« Le lundi 19 novembre, dans une grande ville de province (hé hé, laquelle ?), un petit groupe d’étudiants venus à notre dernière réunion publique a amené une délégation de vieux travailleurs politisés (ou épuisés, ndt ?) membres du CCI, dans deux AG de cheminots ».

Après un tel transport sans encombre, le camion du Samu n’ayant pas crevé en route, les handicapés moteurs du CCI se rendent à l’évidence : ces conards de cheminots n’ont pas le souci de la lutte des étudiants ni de la grévicule des fonctionnaires ! Alors que les brancardiers étudiants ont fait l’effort de pousser les retraités du CCI avec leur « boite à idées » jusqu’à cette auguste réunion qui sent la graisse de rails, ces enculés de syndicats font voter avant toute prise en compte de la parole des handicapés à roulettes ! Heureusement un grabataire du CCI peut enfin déclamer la vérité divine : les étudiants sont de futurs ouvriers… grande solidarité des solidarités avec les étudiants ». Grande et applaudie est sa parole onctueuse! Plus génialement que la CNT, LO et LCR réunis, le grabataire propose ensuite d’aller défiler nombreux derrière la CGT, et surtout la création d’une banderole unique ! Et surtout, surtout... « que les cheminots aillent discuter avec les étudiants, avec les fonctionnaires… ». Avant son dernier souffle le vieil homme aura passé le goupillon de l'extension populeuse...

Revenons sur terre et ne rions plus. Ce genre de délire révisionniste n’a pas de nom. Vous pouvez chercher du côté du fou Posadas ou chez les maoïstes d'antan, on trouvait naguère des délires qui en restaient à l’écrit, au brûlot, mais ici, ces types vont sortir leurs analyses innommables au milieu des grévistes qui ont autre chose à faire, ou qui méritaient plus des mises en garde politiques, voire des remontrances pour leur corporatisme impénitent que la bénédiction social-démocrate et ubuesque de secte. La proposition d’une banderole unique, ni les syndicats collabos ni les contestataires suivistes ne pouvaient être contre. Enfin cette idée d’unité étudiant-ouvriers où les petits bourgeois apparaissent encore comme les donneurs de leçons, et non pas clairement en tant qu'agitateurs déterminés d’une organisation (qui se cache derrière la chaise roulante poussée par les enfants de ces mêmes militeux jehovahtesques, et qui l’avouent « c’est super d’avoir des parents comme vous »)) est ridiculiser la notion de parti et sa place indispensable d’orientation dans la lutte de classes et pas dans un mélange sociologiques des catégories.

Pour les besoins de l’historisation et de la béatification du CCI, l’article fait dans le conte biblique en immortalisant les grabataires (« vrais communistes dont certains ont connu les passages à tabac par les bonzes syndicaux du service d’ordre de la CGT dans les années 1970 et 1980 ») ce qui est faux; la plupart des dirigeants du Courant (surtout en fin de manif) de l’époque s’étant comportés en lâche quand moi seul j’ai été « passé à tabac » !

Plus navrant dans la dégénérescence croissante depuis des années est la dénonciation des jeunes présumés néo-fascistes de 1968 qui voulaient parquer les vieux « en camp de concentration » et qui veulent aujourd’hui « gazer » les étudiants…. Solide arrière-fond argumentaire anti-fasciste de bon aloi dans les salons bourgeois mais Où ces crétins ont-ils été chercher tout cela pour valoriser si imbitablement leur nouvelle orientation folle de l’étudiant « fils de la classe ouvrière » ? Dans leur culture interne nauséabonde de secte et dans leurs cerveaux malades de paranoïaques spectateurs d’un mouvement qui auquel ils ne comprennent plus rien. Pic de leur inanité, leurs étudiants militeux ont fait encore pire sur les campus. Exigeant à chaque fois que des délégations d'étudiants soient envoyés au AG de cheminots (vieux fantasme du Billancourt de 68?) ils gagnent la plupart des mains levées pour y expédier deux ou trois lampistes de la LCR ou de morveux infiltrés de la CNT. Les gauchistes manipulateurs ne les ont même pas pris au sérieux. Aucun délégué ne s'y rend et c'est tant mieux... quand on pense que les progénitures du CCI auraient cru au grand soir si ceux qui défendent n'importe quoi avaient pu aller dire bonjour aux ouvriers... pour leur raconter les mêmes sornettes qu'en milieu scolaire!

Je sais, je sais, la manifestation du 20 novembre passait non loin de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et de Saint-Anne, et certains travailleurs de ces organismes croyaient défiler sans les fous furieux. Ils défilaient aussi avec les fous gentils pourtant.

Pour un bilan sérieux, politique et révolutionnaire, je renvoie à mon article précédent, éditorial de la version papier n°163 : tirer lucidement les leçons d’une grève politique. Mais je suis triste face au néant politique de l’extrême-gauche à l’ultra-gauche. Je l’aimais bien la petite bourgeoisie intellectuelle quand elle mettait ses capacités au service du prolétariat. Sera-ce une simple crise d’épilepsie ?