PAGES PROLETARIENNES

dimanche 25 novembre 2007

Editorial de PU n°163 version papier :

Tirer lucidement les leçons d’une grève politique


Désolé d’une si longue absence pour mes lecteurs de la version papier, mais j’ai considéré qu’il valait mieux me consacrer à mon blog. Avec la série « News from France », j’ai tâché, au long de la grève de donner à l’international ce qui me semblait le plus significatif pour ôter toute illusion et débrouiller l’écheveau de la propagandastaffel française. Avec ce souci d’informer en prenant position presque quotidiennement, j’ai innové en montrant la possibilité de l’utilisation du web comme arme pour les prolétaires : lieu de suivi du mouvement, de combat des mensonges, de vérification des infos, et surtout d’orientation, telle devra être le site d’un parti crédible à l’avenir.

On a glosé sur le silence d’un des partis bourgeois le PS mais ce ne fut pas pire que celui de la plupart des particules gauchistes, cercles et sectes sur leurs sites. Le suivisme syndicaliste a dominé les groupes trotskistes avec la pensée indigente à la Besancenot ; LO et LCR publiaient des communiqués laconiques mais se gardaient bien d’utiliser leurs sites comme un tract ou un porte-voix des ouvriers. Un courant activiste dans la LCR a cru que ce groupe pourrait surfer sur l’addition de la grève des transports et la journée d’action flonflon des fonctionnaires en lançant à coups de trompettes l’idée d’un nouveau parti à partir d’une réunions deux jours plus tard à la Mutualité. Opération ratée, « résistance sociale » a été rangé dans les cartons de la LCR.

Côté ultra-gauche : le site du CCI resta inerte tout le long, ils publièrent un supplément qui dans les orientations n’était pas différent de celles des gauchistes (la même retraite pour tous !) et un désopilant plaidoyer pleurnichard pour les soit disant « enfants de la classe ouvrière » nos braves étudiants cornaqués encore par le syndicat gouvernemental UNEF (Marx est-il notre tonton ?). Sa fraction dite « interne » fût muette à tous points de vue. Les bordiguistes publient si petitement que personne n’en a entendu parler. Un sympathisant du BIPR a bricolé un tract du PCI pour le donner à trois ou quatre pékins à la manif du 20 ; ce papier annonçait la bien connnue préparation de la défaite par les syndicats, voyait la situation comme une « première attaque » alors que c’était la dernière pour « aligner » sur les 40 annuités, et se plaçait derrière les gauchistes avec la revendication nullement unitaire des 37 annuités pour tous ! (de fait elle revenait à ceci : quand Air France est en grève, le meilleur moyen d’obtenir la solidarité des autres ouvriers est de leur promettre un vol gratuit par an !)

Donc il n’y avait personne pour réellement défendre la lutte du point de vue de la classe ouvrière pour orienter les prolétaires en grève dans une dynamique qui n’obéit pas prioritairement aux méandres du sabotage syndical permanent de la veille de la grève, pendant et après. C’est paradoxalement l’OCL une organisation libertaire, qui en général, court après tout ce qui bouge, qui a résisté au piège monté depuis le début par l’Etat et ses syndicats (bien qu’ils se soient pris un temps les pieds dans le tapis), et qui avait mis en garde à l’idée de foncer tête baissée.

Sur leur site, on pouvait lire un article prémonitoire de fin octobre: "Cheminots, il faut savoir commencer une grève". bien qu’avec des illusions sur l’honnêteté de Sud et sur un nouveau « tout ensemble » aussi vague et gauche caviar qu’en 1995. Au moins cet article n’appelait pas à généraliser l’incendie comme la plupart des groupes évoqués ci-dessus, totalement suivistes et opportunistes sur le désir d’une minorité d’ouvriers déterminés à en découdre quitte à mordre la poussière, et par conséquent qu’il était possible d’envoyer dans le mur (même en sachant qu’il a eu de grosses concessions secrètes, les entreprises étant tenues par le gouvernement de la fermer sur les clauses du marchandage. On ne peut mépriser les ouvriers des transports, ils ont eu du mérite quand même, comme le dit si bien l’article de l’OCL ; ils ont été prêts à se battre, même en sachant la défaite assurée parce qu’il n’est pire défaite que celle acceptée sans combat :

« La CGT reproche à la FGAAC ses négociations en coulisse, mais elle a la même stratégie qu’elle après la mobilisation du 18 octobre : accepter la remise en cause du régime de retraite pour obtenir quelques aménagements sur la forme ; et présenter ces aménagements comme de grandes victoires, ou des concessions importantes obtenues grâce à la lutte impulsée par la CGT-cheminots contre les manœuvres de division des jusqu’au-boutistes tel Sud-rail. Pour illustration : “ Nous appelons l’ensemble des cheminots à rester vigilants face à certain battage médiatique qui diffuse des contrevérités autour de reconductions massives de la grève à la SNCF. Cette communication a pour objectifs l’isolement des cheminots, l’éclatement de la lutte interprofessionnelle qui se construit, et donc l’opposition entre salariés du privé et du public, en véhiculant l’image d’une lutte corporatiste ” (extrait du communiqué du secteur fédéral des cheminots CGT dans la région de Strasbourg). Autrement dit, ceux qui proposent de battre le fer quand il est chaud et sont pour que les secteurs très mobilisés entraînent les autres sont des alliés objectifs de Sarkozy – alors qu’une longue grève de cheminots modifierait le climat social du pays. Pour ne pas vous couper du secteur privé, gens du public, comportez-vous comme lui : ne faites pas grève. En somme, harmonisons par le bas : Tous ensemble, tous ensemble, ne faisons pas grève ! Si la lutte interprofessionnelle menée par la CGT se construit avec la même ardeur que celle de la fédération CGT-cheminots – quasiment aucune tournée et aucun tract dans les secteurs CGT sous contrôle –, ce chantier de construction risque de durer pas mal de décennies… Pour autant, ces manœuvres de certains appareils syndicaux pour empêcher la reconduction de la grève ne suffisent pas à expliquer que le mouvement soit retombé aussi fortement du jour au lendemain. D’autres éléments ont joué :
- Une majorité de cheminots, parmi laquelle près de la moitié des cadres SNCF, tenait à exprimer son mécontentement par une journée, “ mais seulement une journée ”.
- Compte tenu de la situation sociale et politique en France, seule une minorité d’entre eux pense que l’on peut gagner par une grève longue. La plupart ne sont pas dupes au point de croire qu’un arrêt de 24 heures, même renouvelé dans un mois, permettra de vaincre le gouvernement. Mais ce qui est perçu comme une absence de perspectives pousse à ne pas envisager de poursuivre la grève, la division syndicale renforçant cette position Consciemment ou non, une part importante des cheminots qui ont fait grève le 18 espèrent obtenir des aménagements de la “ réforme ” pour adoucir ses conséquences en matière de rémunération de la future pension. »
Et cette remarque si judicieuse : « La pire des éventualités, c’est la défaite, sans véritable combat : les seuls combats que l’on est sûr de perdre sont ceux que l’on refuse de mener. »

Le titre n’expliquait pas en fait comment savoir commencer une grève, surtout si elle est déjà piégée, et surtout si des AG de début ne discutent pas le contenu et la forme des revendications, l’organisation de la lutte et son ouverture à des assemblées publiques.

J’ai également écrit plusieurs autres textes trop longs pour trouver leur place dans cette modeste feuille. Un premier tract (« Une grève très spéciale ») a été distribué le 14 novembre à 16 heures à la manifestation parisienne de Montparnasse à la Gare d’Austerlitz. Le 2e tract diffusé à la promenade des fonctionnaires en manque de « pouvoir d’achat » peut être envoyé sur demande (« Vieillir au boulot ? Jamais ! ») ; ces tracts se trouvent sur le blog avec l’excellent tract de TUMULTO de Toulouse (le seul à notre connaissance en France à poser les objectifs politiques de classe contenu dans la grève et hors immédiatisme).

Voici des pistes de réflexions qui seront à creuser plus à fond dans la classe ouvrière avant de pouvoir prétendre relancer un mouvement d’envergure, en n’oubliant pas que de multiples grèves dures ont lieu en ce moment dans des boites privées en France et en Europe, qui confirment qu’on entre dans une période de combats où il ne sera pas question de se laisser dorloter par la perspective du nébuleux « pouvoir d’achat » ou de la bien obscure « lutte contre le chômage » :

- la contestation du travail et de sa durée : on se suicide beaucoup ces temps-ci au travail, or, justement, au premier plan des questions de fond de cette grève politique il y a eu le dégoût du travail aliéné où on est pris pour des cons jeunes et plus encore après 40 ans, où on nous fait comprendre qu’on est un poids, qu’on ne sait pas s’adapter parce qu’on ne veut et ne peut plus obéir aux ordres des chefs comme dans la jeunesse…. Depuis 30 ans, dès qu’il est question de pré-retraites, tout le monde fonce hors du monde du travail, et nous avons tous compris la hargne des cheminots et conducteurs de bus à l’idée de rempiler pour les beaux yeux de la princesse ;

- la revendication de l’équité ou d’un hypothétique retour à l’équité est toujours un leurre. L’égalité n’existe pas ni dans les besoins ni dans les capacités des diverses catégories de prolétaires (l’idée est même carrément anti-marxiste) (*). Le retour en arrière aux 37,5 annuités est impossible, et même sur le plan de cette imbécile revendication, le gouvernement est apparu plus intelligent en philosophant sur les différences liées à la pénibilité du travail, ce qui est une réalité qu’il ne réformera jamais de lui-même pourtant tout comme il laisse les « vieux » d’après 45 ans galérer au chômage. Allons plus loin, ce n’est pas une revendication salariale, fusse-t-elle équitable qui peut permettre une unité à un mouvement de remise en cause politique de la gabegie de la gestion bourgeoise. La revendication des syndicats et de tous les groupes dits radicaux se résuma en définitive à une exigence de meilleure gestion par l’Etat bourgeois !

- les raisons d’une grève peuvent être diverses, et, en général, de grandes grèves avancent tendanciellement souvent des revendications qui intéressent l’ensemble, qui intéressent mais qui ne concernent pas forcément directement, il importe donc que les grévistes sachent bien commencer leur grève en se posant la question de ce qui peut unifier la lutte, de la forme de solidarité qui peut être demandée aux autres catégories du prolétariat, en limitant les dégâts de la contrainte contre la population : dans le secteur des transports, très ambigu pour les principales victimes surtout salariées, des initiatives de lâcher un peu la vapeur, en faisant rouler des trains aux heures de points auraient été plus unificatrices et populaires que de s’arcbouter sur le prétendu possible retour au 37,5 !

- la réalisation d’assemblées ouvertes à la population ouvrière n’a pas été faite (hormis dans le cadre du charivari universitaire), les cheminots tenant des AG au fin fond des voies, sans se rendre en délégation à EDF et à la RATP, ou ailleurs pour réfléchir ensemble à ce qui est possible ou pas ;

- l’initiative de la bagarre ayant été lancée sur le terrain du gouvernement et de ses amis les syndicats avec cette traditionnelle et comique « ouverture des négociations », il était peu plausible d’envisager son élargissement ; cependant, pour la première fois depuis Longwy en 1979, et bien plus loin que le barnum de 1995, on a assisté à une véritable remise en cause des syndicats qui est assez éclatante et que les trotskistes n’ont pas réussi à capitaliser en nouvelles coordinations bien qu’ils aient tenté le coup avec le cartel « assemblée générale du nord » truffé de militeux de LO et LCR. L’analyse du sabotage syndical vient ici en dernier lieu parce que l’échec d’une grève ne s’explique pas simplement ni prioritairement par leur soit disant « trahison » (ils trahissent en permanence dans leurs conciliabules secrets avec ministres et patrons) ; la réussite ou l’extension d’une grève dépend de la capacité des travailleurs à en assumer la dynamique et l’organisation, sinon ils sont trimballés comme des veaux et n’ont plus que la déprime pour récompense, sans oublier des mois d’endettement (certainement la principale raison de l’arrêt chez les plus obstinés, plus que les saloperies des syndicats).

- Ce qui est périphérique à la lutte ouvrière peut être un moyen d’en noyer la particularité révolutionnaire (la lutte frontale contre l’Etat) en la transformant en un des chapelets pour programme électoral de parti caviar (PS) ou nullard (LCR). En ce sens, la révolte étudiante, basée sur une défense de l’Université « d’Etat », n’aura été qu’un épiphénomène à l’arrière des défilés et nullement une avant-garde quelconque. A force de singer les syndicats flics des ouvriers, les syndicats étudiants, UNEF en tête, se sont discrédités totalement, ; ce pauvre Julliard imitant le rôle du collabo fuyard à la Thibault ne pouvait que susciter l’ire des contestataires, eux-mêmes aveugles sur l’inutilité de l’université traditionnelle pour « égaliser » les chances pour les classes défavorisées. Au moins, la campagne pour inoculer le venin syndical dans la tête de nos jeunes futurs cadres ou livreurs de pizzas aura-t-elle en partie échoué dans ce milieu de la ouate intellectuelle.


(*) Sur le leurre de l’équité et sur la question des besoins radicaux, lire l’an prochain mon ouvrage « Dans quel ‘Etat‘ est la révolution ? » aux éditions de la nuit (du fondateur de Sulliver, Irénée Lastelle).

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