« Nous
avons à l'intérieur de nous des pulsions avouables et des pulsions
inavouables ou plutôt qui ne doivent pas se réaliser. r de nous des
pulsions avouables et des pulsions inavouables ou plutôt qui ne
doivent pas se réaliser. ».
Catherine
Eliacheff
« Eh bien !
Il fît en sorte de devenir l'ami intime de Goloubenko ; bien
mieux, il demanda à être garçon d'honneur ; le jour du
mariage il tint son rôle ; puis quand ils eurent reçu la
bénédiction nuptiale, il s'approche du marié pour le féliciter et
l'embrasser, et alors devant toute la noble société, devant le
gouverneur, voilà mon Livtsov qui lui donne un grand coup de couteau
dans le ventre ».
Dostoievsky
«
Ceux qui préfèrent, pendant ce temps-là, brainwasher sur
l’invasion du pays et les derniers faits divers". Micron
En
2006 au Liberia, à la minute où Charles Taylor, le chef de guerre
devenu président, a été arrêté, c'en était fini de cet
effroyable spectacle d'enfants de 10 ans assassinant la population
cachés derrière des masques d'Halloween. Jeffey
Gettleman
« Toutefois,
deux limites liées aux sources et aux acteurs doivent être
soulignées. D'abord, nous n'approchons ces affaires que par le
filtre de l'institution judiciaire ou des poncifs journalistiques,
qui ne favorisent pas l'émergence de revendications larges (le
journaliste voulant faire sensation et le juge d'instruction voulant
assigner un crime à un individu). De plus, les jeunes meurtriers
qui, à l'exception de Nectoux, ont reçu une instruction très
rudimentaire, ne sont pas forcément en mesure, face à des
magistrats qui en plus les impressionnent probablement, de verbaliser
leurs ressentis, leurs espoirs, leurs déceptions, leurs
frustrations, etc. D'ailleurs, considérer a
priori leurs
crimes comme des protestations, c'est accepter en partie qu'ils
furent commis parce que les moyens traditionnels de protestation
n'étaient pas à la portée des coupables, soit qu'ils n'aient pas
su ou pu dire, soit qu'autour d'eux on n'ait pas su écouter ».
Thomas Fadlallah
Dans
les banlieues, on recrute apparemment sans frein des jeunes tueurs à
gages, de 12 ou 13 ans : pour quelque 10.000 à 20.000 euros. Plus
sensationnel, ce serait une nouveauté sociétale déplorable qu'un
mineur exécute froidement une personne qu’il ne connaît pas,
voire un des autres symptômes symptomatiques de la décomposition
capitaliste (cf. le CCIE) dont la seule parade serait la lutte de
classe rédemptrice.
Au
mois de mars dernier, le journal Le Monde, reconnaissait que « si,
entre 2000 et 2019, le nombre de mineurs condamnés pour homicide ne
dépassait jamais le nombre de trente par an (sauf en 2002 et
2007), il évolue depuis plutôt entre trente et quarante, pour
atteindre le chiffre record de quarante-deux en 2022 ».
Par ailleurs, « le
nombre d’adolescents poursuivis pour assassinat, meurtre, coups
mortels ou violence aggravée a ainsi quasiment doublé depuis 2017,
passant de 1.207 à 2.095 en 2023 « . Le sujet est
complexe et autorise les enfumages les plus simplistes. La débilité
mentale ? Le trafic de drogue qui attire les plus jeunes pour un
argent facile ? Les
tueries à l’école : un phénomène sociétal venu des
Etats-Unis, comme l'imagine une avocate inculte ?
Des
constats sociologiques affligeants : Une société libérale
libertaire qui aurait abattu les barrières civilisationnelles et
ruiné consciencieusement la notion ringarde du bien et du mal » ?
Des solutions ridicules, y aura-t-il suppression des
fourchettes après celle (irréalisable) des couteaux ?
UNE
VILAINE HISTOIRE SI ANCIENNE
Ce
phénomène criminel existe au XVII ème siècle.
Des
violences sont perpétrées entre les années 1520 et 1610 par ceux
que l'historien Denis Crouzet appelait « les guerriers de Dieu »,
qu'ils fussent protestants ou catholiques. Denis Crouzet a fourni un
travail passionnant s'opposant déjà aux interprétations de
l'époque si semblables à celles d'aujourd'hui :. folie subite,
exaltation de possédé pervers ou régression vers l'animalité.
« Les
enfants sont les vivantes images du Christ en sa pureté et son
innocence. Ce sont eux, les saints innocents, semblables à l'agneau
vengeur de l'Apocalypse johannique, que l'on encourage à mutiler des
cadavres de huguenots pour en révéler la malignité démoniaque. En
émasculant, éviscérant, décapitant et démembrant les corps des
suppliciés ou des lynchés, les enfants révèlent la satanique
laideur et la puanteur de l'hérétique, dont ils purgent la cité
terrestre. Leur qualité d'enfant signe en outre l'arrêt de Dieu,
dont ils sont le bras armé. L'extrême violence, insoutenable, des
enfants réjouit les catholiques, car ils y lisent la volonté de
Dieu, révélée dans son aveuglante blancheur. A ce titre, la
violence des enfants est miraculeuse, prodigieuse (elle manifeste
dans l'ordre profane la présence sacrée de Dieu, en exprimant Sa
colère et Sa justice), de même qu'elle est sotériologique
(porteuse de salut pour les bourreaux, mais aussi pour la communauté
des vrais croyants) et eschatologique. Les enfants, purs de toute
inhibition culturelle et de tout intérêt social, montrent en effet
la voie de la rédemption en signifiant aux adultes l'insuffisance de
leurs arrêts et de leur propre violence ».
D'autant
qu'en prolongeant son enquête par les rumeurs d'enlèvements
d'enfants qui se répandirent dans le royaume en 1750, mais aussi,
plus près de nous, par la violence des enfants tueurs hutu
identifiant les Tutsi à des serpents, des chiens, des animaux
sauvages qu'il fallait abattre, il nous montre que le basculement
dans l'inhumain concerne toutes les époques et doit être recherché
dans les psychés individuelle et collective : ces gestes d'horreur
commis par des enfants peuvent se lire comme la grammaire et la
syntaxe d'une société hantée par une immense volonté de
violence.
DU
DIX-NEUVIEME AU VINGT ET UNIEME...
Les
tables de la Gazette
des Tribunaux recensent,
en incluant les tentatives, vingt-six affaires d'homicides
volontaires perpétrés par des individus de quatorze ans et moins
entre 1825 et 1914.
L'auteur
part d'un postulat historique fondamental et premier dans l'ordre des
explications rationnelles :
le crime est plus le produit d'un milieu que l'expression d'une
volonté sans entrave.
Le
crime infantile peut être compris comme un moyen de contestation
qu'emploie l'enfant face aux systèmes de pouvoir qui l'enserrent.
C'est ce que démontre la narration judiciaire du drame : « Le
procureur Denis Devallois a dressé mercredi un portrait glaçant du
garçon «en
perte de repère» prêt
à s’en prendre à «n’importe
laquelle» des
surveillantes de son collège car «il
ne supportait plus le comportement des surveillantes en général,
qui auraient eu, selon lui, une attitude différente selon les
élèves»,
a rapporté le magistrat. Son projet aurait été mûri dès samedi,
après un incident survenu la veille : une autre surveillante
l’aurait «sermonné» alors
qu’il embrassait sa petite amie au sein du collège, a relaté le
procureur ».
ll
est tentant de considérer par ailleurs le comportement de l'enfant
meurtrier comme essentiellement mimétique. Les sciences du
XIXe siècle
posaient déjà la question de l'imitation comme déterminant du
comportement. À la fin du siècle, des anthropologues et sociologues
élaborent des théories englobantes qui placent l'imitation au cœur
de l'action criminelle, et qui vont culminer dans la mise en système
par Gabriel Tarde des lois de l'imitation
L'auteur
note que l'enfant meurtrier n'est pas l'inventeur absolu de son
comportement et ce postulat se retrouve logiquement dans toutes les
études sur le crime, Cela
amène à interroger la place de la violence dans la socialisation du
jeune meurtrier. Deux principaux espaces de violence doivent être
distingués : la cellule familiale et le groupe infantile. Selon
les époques et les situations, la plus ou moins grande autonomie de
l'enfant vis-à-vis de sa cellule familiale et du groupe adulte en
général va accentuer l'importance de la première ou de la seconde
sphère de violence. En général, les deux cohabitent dans une
dynamique de violence d'abord exercée au sein du foyer puis
transposée dans les relations juvéniles.
Il
est permis de penser que ces enfants ne sont pas capables de
s'intégrer dans des relations sociales qui comprennent une part
contrôlée de violence, parce qu'ils n'ont pas vécu la violence,
dans leurs familles, comme un outil de la vie en commun qui se
contrôle, se dose, et se rend en vue d'atteindre un certain
équilibre des torts et des préjudices. Le
caractère formateur de la violence familiale semble confirmé par le
choix des victimes. Dans sept cas, il s'agit d'enfants beaucoup plus
jeunes que leurs meurtriers. Dans les deux autres affaires, il s'agit
d'un vieux domestique qui n'a plus toute sa tête
et
d'un camarade d'usine simple d'esprit et «Une
autre caractéristique est constante chez les victimes : il
s'agit d'individus aimés.
Il est évidemment difficile de saisir par les archives les
sentiments qui liaient les personnes touchées par le drame.
Cependant, par la réaction des proches au deuil et grâce à leurs
témoignages, il est possible de reconstruire au moins en partie les
rapports qu'ils entretenaient avec la victime ».
« Tous
les enfants visés semblaient bénéficier d'attention, de caresses,
de soins, etc., qui ne furent jamais prodigués à leurs meurtriers.
Ces marques d'affection peuvent provenir des parents de la victime
mais également du groupe adulte dans son ensemble.
Ce
comportement, qui ne semble pas mériter le meurtre pour le
magistrat, y aboutit. Nous formons l'hypothèse que les jeunes
criminels passent à l'acte parce que la manière dont sont traitées
leurs victimes – et dont, parfois, ils doivent eux-mêmes traiter
leurs victimes – leur est insupportable. Or là aussi l'analyse se
révèle fiable sur ce plan, la pauvre surveillance était aimée de
tous et admirée pour son dévouement et sa gentillesse.
« On
est encore là dans une analyse qui concerne les siècles passés où
ces crimes peuvent donc être compris comme des mécanismes de
défense identitaire, autrement dit, de défense de l'idée que le
criminel se fait de lui-même. Cette défense est rendue
indispensable par la confrontation de l'enfance malheureuse et de
l'enfance choyée. Encore faut-il expliquer cette confrontation.
Avant tout, elle ne semble se multiplier que dans la deuxième partie
du siècle. Cela pourrait laisser penser que la pénétration des
codes bourgeois du rapport à l'enfant chez les petits propriétaires
ruraux s'accélère à ce moment-là. Ces codes sont peut-être
d'autant plus volontiers adoptés par ces individus qu'ils souhaitent
se distinguer des prolétaires de la terre. Le crime apparaît comme
lié aux distinctions de classe entre dominé et dominant, supérieur
et inférieur. L'humiliation de la domesticité est à prendre en
compte à cette époque-là.
«
La conjonction de la proximité et de l'inégalité de conditions
explique les tensions à l’œuvre. Non seulement la proximité rend
le défavorisé témoin de modes de vie plus agréables et valorisant
pour l'enfant, mais elle favorise la distinction chez le favorisé
qui a, sous les yeux, celui qu'il ne veut pas être. Par ailleurs, la
volonté de se distinguer amène le maître à traiter ses enfants
différemment, mais également ses domestiques qui, probablement,
tout au long du XIXe siècle,
firent de moins en moins partie des familles dans lesquelles ils
étaient gagés. De plus, la distance sociale entre les meurtriers et
leurs victimes est en général faible. Or la distinction par le
comportement n'est jamais plus nécessaire qu'en cas de proximité de
conditions (revenus, patrimoine, niveau d'éducation, etc.). Pour
toutes ces raisons, les domestiques furent témoins de comportements
qui ne leur paraissaient intelligibles.
« Dans
quatre affaires, un ou plusieurs enfants de la famille du maître est
tué par le domestique (dans l'affaire Merlay il s'agit de la nièce
du maître). Dans une autre affaire, un domestique très apprécié
par sa maîtresse est assassiné. Peut-on alors considérer le crime
comme une modalité d'expression des tensions entre dominants et
dominés ?
Notons
cependant que les ouvrages cités traitant des violences collectives
posent tous la question de savoir à partir de quel moment un
mouvement devient politique. Autrement dit, ils cherchent à
identifier des soulèvements qui sont, de par les revendications plus
ou moins explicites qui leur sont associées, différents de nature
d'un simple sursaut de l'opinion. La même démarche peut être
entreprise dans l'étude des jeunes meurtriers du XIXe siècle.
Il s'agit de l'approche qu'adopte Sylvie Lapalus, lorsqu'elle
rattache certains parricides à des situations de tension autour de
la transmission du patrimoine. En effet, le criminel, derrière un
conflit personnel avec une figure d'autorité, interroge la
légitimité des usages
Pour
résumer, l'enfant fragile cherche à défendre son identité à
laquelle personne ne peut porter atteinte autant que le dominant (le
maître et ses extensions : enfants, domestique favori ;
les individus très intégrés, etc.). C'est ici que le
crime de défense identitaire devient un crime de classe :
l'enfant conteste à tous le droit de le définir – comme un
paresseux, un vaurien, etc
–, mais certains individus dans son entourage sont trop forts. Il
est contraint au crime par l'asymétrie totale entre lui et les
membres de son entourage qui détiennent un grand pouvoir, soit parce
qu'ils sont les maîtres – auquel cas l'asymétrie découle d'une
position de classe et d'un rapport juridique –, soit parce qu'ils
sont beaucoup plus intégrés à la communauté – auquel cas leur
pouvoir est d'origine sociale.
Il
nous semble que ce crime de désespoir est lié à plusieurs
éléments. D'abord, dans le cas du jeune domestique(comparable au
collégien moderne) il n'a pas l'impression d'être maître de son
destin : il ne choisit pas où il est placé et ne peut pas
quitter ses maîtres (ses profs) sans l'accord de ses parents ou de
son gardien/surveillant Ensuite, l'enfant ne parvient pas à
envisager la suite de sa vie professionnelle à partir de la
domesticité (d'un lycée nul), surtout quand il est très pauvre
et/ou isolé. Et l'auteur de conclure :
« En
définitive, nous avons voulu montrer que le crime commis par un
enfant, un des crimes les plus saisissants – et dont, par
conséquent, il est particulièrement tentant d'isoler les auteurs
comme des êtres mauvais ou fous, en tout cas absolument autres –
est
peut-être parmi les moins mystérieux. Il s'agit toujours plus ou
moins d'un enfant qui a subi ou observé des sévices et est
confronté à la possibilité d'une enfance joyeuse qu'il ne comprend
pas et qui met en péril l'idée qu'il se fait de lui-même, dans une
lutte avec des dominants qui tirent leur autorité d'un système de
pouvoirs dont
le jeune meurtrier ne reconnaît plus la légitimité. La fragilité
de l'enfant est en général renforcée par l'instabilité de son
lieu de résidence
et
des figures d'autorité dans son parcours. Cette instabilité a
souvent été pointée comme un des facteurs déterminants du crime
Nous voyons qu'en plus d'être violent, l'entourage de l'enfant était
souvent incertain, mouvant, et donc en cela doublement préjudiciable
à son développement. Même s'il serait malvenu de vouloir enserrer
dans un schéma strict des situations très diverses, les
caractéristiques détaillées ci-dessus se retrouvent dans tous les
cas étudiés.
À
la fin du siècle, la société rurale traditionnelle n'est plus en
cause. Le
parent qui oblige à vivre rudement et son auxiliaire – le maître
dans le cadre de la domesticité et le contremaître dans le cadre de
l'usine – ne sont plus perçus comme légitimes par l'enfant qui
considère qu'il a droit à un autre quotidien.
Le juge d'instruction ne parvient pas à comprendre pourquoi un
enfant commet un crime alors qu'il est bien nourri et qu'on ne le bat
pas. Il
n'a pas compris que le crime n'est que superficiellement personnel,
et qu'il vise en réalité les systèmes de pouvoirs qui, depuis la
coulisse, soufflent leurs rôles aux protagonistes du drame.
Or,
en parallèle du changement de cible institutionnelle des crimes, le
système de neutralisation du crime se transforme. Comme l'a montré
Michel Foucault, le mobile et le portrait moral du criminel
deviennent les pièces indispensables de la possibilité de punir..
Nous retenons l'explication foucaldienne selon laquelle cette
importance nouvelle provient du dialogue complexe et dynamique entre
les magistrats et les savoirs, qui ont pour mission de rendre le
crime punissable, suite à l'effondrement du système reposant sur la
riposte au crime par une atrocité plus grande encore. Nous ajoutons
cependant deux hypothèses à cette interprétation. D'abord, puisque
le crime n'est plus la conséquence d'un cycle de
marginalisation-transgression dans le cadre de la société rurale
traditionnelle, le
criminel n'a pas forcément d'antécédents,
et il s'agit de lui en donner, afin que Célina Doiselet, par
exemple, ressemble au criminel traditionnel, c'est-à-dire à
Honorine Pellois ; or, ses actes passés ne le permettant pas,
il devient nécessaire d'essentialiser sa mauvaiseté.
De
plus, le système institutionnel que Pellois combattait ne pouvait
être remis en cause. Personne n'aurait l'idée de faire le procès
de la communauté rurale traditionnelle parce qu'une petite fille y
commettait ses crimes. À l'inverse, parce que des bouleversements
l'agitent, le système institutionnel encadrant l'enfance dans la
deuxième partie du XIXe siècle
est plus fragile. La domesticité, sur le déclin – même si
celui-ci ne doit pas être exagéré –, ne fait plus autant et
immédiatement sens. L'autorité parentale et le travail des enfants
dans les usines, malmenés dans l'affaire Nectoux, sont déjà en
débat. Il
est donc primordial de rattacher le crime au criminel car, sinon, le
procès pourrait devenir celui de rapports sociaux dont la légitimité
n'est plus ou pas encore assurée.
(ce que s'efforcent de masquer les populistes contre-révolutionnaires
de la clique LFI, en réduisant tous ces meurtres au rang de « faits
divers comme Micron lui-même).
(…)
Sur
les
évolutions de la perception du crime par le public. Ce dernier
traverse des périodes plus ou moins paniques et construit
différentes figures du criminel-type (bagnard évadé, vagabond,
femme diabolique, etc.). Parmi cet ensemble de représentations, la
perception de l'enfant et de son rapport au crime se transforme,
tendue par les contradictions entre des visions concurrentes de
l'enfance (comme agent productif supplémentaire du ménage, comme
support des ambitions familiales de promotion sociale, comme citoyen
non-fini que l'école doit éduquer, comme fauteur de troubles :
bandit ou révolutionnaire en germe, etc.). L'histoire théorique du
crime, son histoire concrète et ponctuelle et les grandes tendances
de transformation de la société doivent être saisies de concert.
Nous émettons l'hypothèse qu'entre des points d'équilibre relatif
des structures sociales, des phases de mutation rapide mettent en
péril les institutions récentes alors que d'autres sont menacées
d'obsolescence. Plus que jamais, le crime de l'enfant qui, parce que
son auteur est perçu comme moins libre qu'un adulte, invite à
remettre en cause son environnement, doit être neutralisé (ce que
les médias actuels rendent volontairement confus).
Il
serait particulièrement intéressant de comparer les affaires
étudiées avec les crimes commis par des enfants au XXe siècle.
Il serait ainsi possible de tester les différentes hypothèses
avancées et de mesurer l'influence relative de chaque facteur
identifié, et surtout des violences familiales du fait de leur recul
au cours du siècle dernier ; mais aussi le poids du système de
pouvoirs sur l'enfant, dont on peut a
priori penser
qu'il est généralement moins écrasant aujourd'hui que pour un
jeune domestique de la fin du XIXe siècle.
Cela permettrait également de voir si un front entre des enfances
heureuses et malheureuses peut encore être localisé, où si des
dispositifs de ségrégation sociale plus efficaces ont été mis en
place pour l'éviter. Mais cette étude serait aussi compliquée
qu'éclairante, puisque la comparaison entre des variables servirait
aussi bien à confirmer leur rôle de déterminants du crime
infantile, qu'à élaborer un discours sur l'évolution des
structures sociales encadrant l'enfance sur deux siècles ».
LES
CRIMES INFANTILES ATROCES AU RWANDA
En
1999, au moment où la population carcérale atteint son chiffre le
plus élevé (cent vingt mille personnes), cinq mille enfants se
trouvent en prison : ces derniers en représentent
donc 4 % , la plupart sont des garçons. Plusieurs centaines d’entre eux, trop
jeunes pour être poursuivis pénalement, bénéficient d’une
mesure de libération en 2001. Ils ne sont donc pas jugés. Seuls les
mineurs entre quatorze et dix-huit ans feront l’objet de poursuites
et de jugements, bénéficiant d’un régime spécial, plus clément.
Les
groupes de tueurs – les ibitero – réquisitionnent les enfants.
Mobilisés pour « combattre » contre les Tutsi dans le
premier cas, ils sont spectateurs des mises à mort dans le second.
Cette présence enfantine dans les ibitero est
symptomatique de la radicalité des tueries. En outre, celles-ci
étaient devenues si banales qu’il n’était plus impératif d’en
écarter ceux que le jeune âge aurait pourtant dû tenir éloignés
d’un tel spectacle. Peut-être est-ce précisément cette dimension
spectaculaire des massacres qui permet aussi de rendre compte de
l’intégration des enfants aux cortèges macabres.
« Oui,
les viols avaient lieu en public. Par exemple, moi j’ai été
violée devant un groupe de personnes, en présence d’enfants. […]
Et même parmi les gens qui nous violaient, il y avait des jeunes,
plus jeunes que nous, nous qui étions des mères. Essayez d’imaginer
des mères violées par des jeunes, des plus jeunes que la femme
elle-même, par des bandits. Quand je pense à la guerre, elle vient
revivre en moi ».
Au Rwanda, la
majorité des enfants impliqués dans les massacres (du moins ceux
qui firent l’objet de poursuites judiciaires) étaient âgés de
quatorze ans ou plus, et furent, de ce fait, considérés comme
majeurs sur le plan pénal. Ils ne furent toutefois pas jugés comme
des adultes, un régime spécial leur ayant été appliqué. Du point
de vue de la loi, ces jeunes se sont trouvés assignés dans un
statut intermédiaire. Pénalement majeurs, ils ont été jugés
responsables de leurs actes sans pour autant que leur manque de
discernement et la contrainte exercée par les adultes soient
complètement ignorés. (…) La
totalité des enquêtés estiment que les « enfants » ont
participé aux atrocités de leur propre chef et qu’ils devraient,
de ce fait, être condamnés à la peine de mort, comme leurs aînés.
Cette hypermaturité socialement attribuée aux jeunes tueurs est
circonscrite au seul génocide, les personnes interrogées
s’accordant sur un indispensable aménagement pénal pour les
mineurs dans des conditions ordinaires. C’est donc bien la
spécificité de la violence génocide qui marque le passage de
l’enfance à l’âge adulte. L’événement redéfinit les
frontières sociales de l’enfance ».
Tout
comme elle devrait amener à questionner quelques-unes des dimensions
les plus troublantes de l’événement, en particulier le rôle de
la famille dans la dynamique de mobilisation meurtrière : pères
et fils, mères et filles constituent parfois le premier noyau des
expéditions sanglantes. L’autorité de la figure paternelle relaie
ici, dans l’intimité du cercle familial, l’ordre d’extermination
des Tutsi. Sans doute ces multiples voies de transmissions des
injonctions meurtrières, jusqu’aux échelles les plus réduites,
permettraient-elles de rendre compte de la mobilisation populaire
dans les massacres. La radicalité du génocide se lit aussi à
travers le sort réservé aux enfants au cours de l’événement
lui-même, puis dans l’« après-coup » qui
donne naissance
à des formes de parentalités inédites. La question des enfants ne
relève donc pas de la marge du meurtre de masse, mais en dévoile
des dimensions essentielles.
Alice
Miller, qui elle aussi s'est intéressée aux nazis pour montrer
combien une éducation basée sur l'humiliation et l'obéissance par
la terreur pouvait être pervertissante. Le Ruban blanc, de Michael
Haneke, décrit parfaitement cette pédagogie noire.
Gitta
Sereny annonce clairement son projet militant : se servir du cas de
Mary Bell pour dénoncer le système pénal anglais concernant les
mineurs. Ceux-ci sont jugés comme des majeurs sans tribunaux
spécifiques, vont en prison et ne bénéficient d'aucune prise en
charge psychologique. Seuls les actes sont pris en compte au mépris
du contexte familial, social et de la minorité. Gitta Sereny a été
beaucoup plus loin que son projet initial et j'admire sincèrement la
relation qu'elle a nouée avec Mary Bell : respectueuse, pleine de
tact, mais ne lui laissant rien passer en revenant inlassablement sur
ses silences et ses contradictions.
Gitta
Sereny a une certitude qu'elle partage avec Alice Miller : les
enfants sont naturellement bons, ce sont les parents et la société
qui les pervertissent. Il est indéniable que les parents et la
société puissent pervertir les enfants. Dans le cas de Mary Bell,
nous sommes devant un cas extrême de perversion sexuelle et de
maltraitance. Mary Bell a confirmé les théories de Gitta Sereny, et
même au-delà de ses espérances, car la
journaliste n'avait pas imaginé un seul instant ce que la petite
fille avait subi et qui n'avait pas intéressé les juges. Mais les
enfants d'Outreau, exploités sexuellement par leurs parents, ne sont
pas devenus des enfants meurtriers.
Les deux assassins anglais de 10 ans du petit James Bulger ont
évolué dans un milieu défavorisé, avec des parents
dysfonctionnels repérés par les services sociaux, mais cela
n'explique en rien leurs pulsions destructrices extrêmes. Les
facteurs favorisants n'expliquent pas tout.
On
considère l'enfant comme une personne à part entière et non comme
un jouet manipulé par ses parents, qu'il faut aussi, par ailleurs,
écouter sans jamais les exclure.
UNE
CONSEQUENCE DU FASCISME CONSUMERISTE
« Quand
Pasolini décrit la manière dont un nouveau fascisme, celui du
consumérisme est en train de se répandre sur la planète, ce sont
déjà des thèmes développés par l’école de Francfort à propos
du nazisme, des « industries culturelles », par walter
Benjamin, il décrit cette fascination qui va conduire au nazisme. Ou
pense également à Pinocchio séduit par les deux marchands qui, à
force de plaisirs stupides transforment les petits enfants en ânes
et les vendent. Les petits enfants soviétiques ignoraient cela et il
était légitime de vouloir porter des vêtements de meilleure
qualité, c’est ce que les Chinois se sont dit avec deng Xiao Ping,
en contrôlant les mouches qui entraient par la porte ouverte. Mais
désormais on sait la puissance non seulement des armées du capital
mais de sa « séduction » comme la décrit Glouscard. Les
petits enfants peuvent toujours suivre le joueur de flute du capital
alors même que son aspect destructeur, criminel, inégalitaire,
s’aggrave, le système scolaire s’autodétruit et les petits
enfants ne savent plus ni compter, ni lire, seulement faire des
selfies sur leurs smartphones… (note de Danielle Bleitrach) »
Chacun
convient généralement dans le public qu'avec le triomphe aliéné
de l'individualisme toute frustration ne peut entraîner que la
violence et une violence de plus en plus meurtrière de l'adulte à
l'enfant où le crime de l'enfant reste tout de même exceptionnel.
Le
méchant capitalisme a bon dos pour tout expliquer, mais des temps
anciens à aujourd'hui les critères de domination puis de classe
restent des causes obligées. L’influence
des pairs, du groupe, de la bande peut être déterminante,
particulièrement pendant l’adolescence. Si un enfant est exposé à
des groupes qui valorisent la violence, il est plus susceptible de
l’adopter. Le crime peut être qualifié de
détresse suicidaire.
Le
jeune assassin de la « surveillante » a reconnu son crime
sans en être affecté. La société bourgeoise reste laxiste parce
que tétanisée et impuissante. Les condamnations les plus lourdes
concernent les auteurs dans le déni et les psychotiques. Avec la passivité de la "communauté internationale", les criminels de guerre Poutine et Netanyahou continuent de tuer sans honte des centaines d'enfants, innocents eux.
NOTES