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vendredi 17 mai 2024

IMMIGRATION ET RELIGION

Wendy Cage (Département de sociologie, Université Brandeis, Waltham, Massachussetts) et Elaine Howard Ecklund (Département de sociologie, Université d’État de New York, Buffalo, New York) 

 (2007)

 traduction: Jean-Pierre Laffitte


Remarques préliminaires (JLR)

Pour intéressant que soit ce texte – il démontre que la politique étatique d'immigration réussit aux Etats Unis, en conservant soigneusement toutes les prérogatives de toutes religions - réussit une intégration « civique » en particulier ce fait avéré : une forte participation aux élections des diverses cliques de l'ordre dominant. C'est la gauche bourgeoise en Europe et de son extrême gauche « islamo-gauchiste », qui sont les vecteurs de cette « intégration citoyenne » réussie dans le cadre des institutions de la classe dominante. Il faut nuancer les cris d'orfraie de la droite face à l'encadrement des immigrés croyants et déguisés par les LFI, NPA et autres sectes : c'est la fonction de la gauche décatie et du gauchisme délirant ; il ne faut pas croire que leurs militants sont idiots et islamisés. Ce n'est pas simplement une drague électorale, c'est une manière d'éviter que la religion musulmane en particulier plus prégnante en Europe ne soit happée complètement par ses sectes terroristes.

Cela dit la défense des pires aberrations religieuses est en même tant la preuve da la décompoition de l'idéologie de gauche caviar et bobo ; die Linke en Allemagne défend le port du voile intégral dans l'école et dans la rue.

Au plan politique le délire gauchiste est encore plus stupéfiant et wokiste. En nouvelle Calédonie, il faut désormais « tuer les blancs » caldoches afin de créer une nouvelle frontière pour libérer une île, du colonialisme français...au service d'un autre...de la même façon que leurs grands-pères trotskiens soutinrent toutes les dictatures arabes naissances sous prétexte de la fable « libération national ». Aujourd'hui on nous parle de transnationalisme, serait-ce un nouveau transgenrinternationalisme pour rire ?

Il n'existe pas de texte sérieux sur la religion et sa fonction conservatrice voire destructrice de toute solidarité, favorisant le merdier ethnique. La tâche reste à faire. Un livre fournit des données, celui de Patrick Loiseau, au beau titre : « l'islam nouveau cancer du mouvement ouvrier », hélas c'est publié par riposte laïque, et malgré moult citations de ce sociologue de Karl Marx, il ne sent pas bon.

MOTS-CLÉS : identité religieuse, vie civique, deuxième génération, migration, diaspora.

RÉSUMÉ : Cet article synthétise les recherches effectuées sur la religion dans la vie des individus qui ont migré vers les États-Unis après 1965. Ces recherches consistent principalement en des études de cas, publiées depuis 1990, lesquelles sont axées sur des organisations religieuses particulières, créées et fréquentées par des immigrants. Nous analysons ces études de cas pour démontrer les différentes manières avec lesquelles la religion influence l’adaptation des immigrés aux États-Unis. Nous examinons ensuite comment la religion influence les identités ethniques et de genre des immigrants, leurs expériences de la vie civique et politique et la vie de la deuxième génération. Nous soutenons que la recherche actuelle est globalement plus descriptive qu’analytique, et nous mettons en évidence une série de questions de recherche et de comparaisons pour enrichir la réflexion théorique. En particulier, nous préconisons une approche comparative pour examiner les organisations religieuses des immigrants et une attention accrue à une perspective de “religion vécue”, qui prend au sérieux l'importance de la religion pour les immigrants en dehors des organisations religieuses, dans les institutions sociales, y compris les organisations civiques, les familles, les lieux de travail, les écoles et les établissements de soins de santé. 

INTRODUCTION

De récentes estimations suggèrent que 23% des Américains sont des immigrés ou bien des enfants d’immigrés (Alba & Nee 2003, Lee & Bean 2004, Malone et al. 2003). De nombreux articles de l’Annual Review of Sociology analysent les différents aspects des expériences des immigrés, ce qui inclut l’assimilation (Waters & Jimenez 2005), l’identification multiraciale (Lee & Bean 2004), le niveau d’études (Kao & Thompson 2003), et la seconde génération (Zhou 1997). Au cours de ces 15 dernières années, des sociologues de la religion, de l’immigration, de la race et de l’ethnicité, ont commencé à faire des recherches sur la façon dont la religion influence les expériences des immigrés post-1965 aux États-Unis (c'est-à-dire de ceux qui sont arrivés après l’Immigration and Naturalization Services Act [Loi sur les Services de l’immigration et de la naturalisation] de 1965 (Carnes & Yang 2004, Diaz-Stevens 2003, Diaz-Stevens & Stevens-Arroyo 1998, Ebaugh 2003, Ebaugh & Chafetz 2000b, Haddad et al. 2003, Leonard et al. 2005, Levitt 2005, Min & Kim 2002, Warner 1998, Warner &Wittner 1998, Yoo 1996). Ce domaine de recherche a mis du temps à se développer en raison du scepticisme à l’égard de la religion qui régnait chez les spécialistes des sciences humaines, à cause de l’insuffisance des données, et parce que peu de spécialistes sont eux-mêmes des immigrés de la première ou de la seconde génération, entre autres facteurs (Ebaugh et Chafetz 2000b). La plus grande partie de ces recherches a consisté en des études de cas portant sur des groupes et des organisations religieux particuliers. Nous synthétisons et examinons de manière sélective ces études afin de retracer les tendances de la pensée actuelle et d’identifier les angles morts qu’il faudra aborder dans les recherches futures. Cet article complète une étude similaire publiée dans l'American Sociological Review par Yang & Ebaugh (2001b).

Nous nous concentrons principalement ici sur des recherches publiées par des sociologues (plutôt que par des historiens ou par des spécialistes de l’étude des religions) et qui portent sur la religion et sur l’expérience des immigrés post-1965 aux États-Unis. Les travaux de Handlin (1951), de Herberg (1955), de Gordon (1964), et d’autres encore, ont jeté les bases de cette ligne de recherches en considérant l’influence de la religion parmi les générations précédentes d’immigrés aux États-Unis, mais une histoire intellectuelle détaillée de leurs contributions dépasse le cadre de cet article. De même, un nombre croissant de recherches examinent la manière dont la religion influence les expériences des immigrants dans des pays non-américains (par exemple, Menjívar 1999, 2006a,b ; Van Tubergen 2006), un sujet que nous laissons aux auteurs des numéros ultérieurs de l’Annual Review. Les questions relatives au rôle de la religion dans le développement et le maintien des relations transnationales sont également au cœur des recherches examinées ici et elles sont abordées par Levitt et Jaworsky (2007) dans ce volume.

Les forces principales des recherches récentes sont aussi leurs plus grandes faiblesses, c'est-à-dire le recours à des études de cas particuliers qui sont richement descriptives, et également, bien que qu'il y ait des exceptions notables, un manque  de comparaison et de synthèse analytiques systématiques. Lors de ce passage en revue, nous montrons que, dans ces études, les organisations religieuses locales créées et/ou fréquentées par des immigrants constituent la principale unité d'analyse plutôt que des institutions plus macro-religieuses ou d'autres institutions sociales telles que les villes, les familles, les lieux de travail, les établissements de soins de santé, ou des micro-contextes qui sont davantage axés sur des expériences d’individus se situant en dehors d’assemblées religieuses. Une approche dite de “religion vécue”, qui se concentre sur les récits et les expériences des immigrants dans diverses sphères sociales, est relativement nouvelle dans ce domaine de recherche. De la même façon, dans les recherches existantes, les variables indépendantes telles que la démographie, le statut de l'immigration, les contextes géographiques de départ et d'accueil, ainsi que la présence ou l'absence de membres de la même ethnie dans les contextes d'accueil, sont rarement considérées systématiquement comme des facteurs qui influencent la forme des croyances, des pratiques et des affiliations, religieuses des immigrants (pour les exceptions, voir Van Tubergen 2006, Yang & Ebaugh 2001a). De même, ce n’est que récemment que la religion a été précisément considérée comme une variable indépendante qui influence des facteurs tels que la mobilité économique ou la participation civique et politique des immigrants (Ebaugh & Pipes 2001, Jones-Correa & Leal 2001).

Jusqu'à récemment, les données d'enquête détaillées portant sur les immigrants post-1965 et qui incluaient des informations sur la religion étaient limitées à un très petit nombre de cas dans des enquêtes telles que la National Survey of Religious Identification/American Religious Identification Survey [Enquête Nationale sur l’Identification Religieuse/Enquête sur l’Identification Religieuse Américaine] et celles menées par le National Opinion Research Center [Centre National de Recherche sur les Opinions], ce qui ne permettait pas une analyse détaillée des populations immigrées (Kosmin & Lachman 1993, Numrich 2000, Warner & Wittner 1998). Le récent projet pilote et la première vague de la New Immigrant Survey (NIS) [Nouvelle Enquête sur les Immigrants], une enquête représentative à l'échelle nationale auprès des immigrants légaux post-1965 aux États-Unis, comprend plusieurs questions sur la religion qui permettent désormais des comparaisons analytiques qui étaient auparavant impossibles. Menée en 1996, l'enquête pilote a révélé que les deux tiers des immigrants post-1965 sont chrétiens et 42 % sont catholiques (Jasso et al. 2003). Ces résultats confirment les travaux d’autres chercheurs, qui soutiennent que les nouveaux immigrants accroissent la diversité raciale et ethnique du christianisme américain et qu’ils apportent un plus grand nombre d'adeptes de religions non chrétiennes (Smith & Kim 2005, Warner 2005 ; voir aussi http : //nis.princeton.edu pour les données de la New Immigrant Survey, qui est accessible au public). Plus de quatre fois plus d'immigrants (17 %) que d'Américains nés dans le pays (4 %) déclarent avoir une affiliation religieuse non judéo-chrétienne. Cependant, tous les immigrés ne sont pas religieux : 15 % d'entre eux déclarent n'avoir aucune religion, contre 12 % des personnes nées dans le pays (Jasso et al. 2003). Des analyses supplémentaires suggèrent que les modèles religieux liés au statut de visa, aux partenaires de mariage, à la fréquentation des services religieux et à d'autres questions, devraient être étudiés plus en profondeur à l'aide de la NIS complète (Cadge & Ecklund 2006 ; Jasso et al. 2000, 2003).

Le reste de cet article est divisé en quatre sections. Premièrement, nous passons rapidement en revue les études de cas existantes qui sont largement axées sur les lieux de rassemblement religieux des immigrants. Deuxièmement, nous considérons la façon dont la religion contribue à la formation de l’identité des immigrants, avec une attention particulière portée sur les identités ethniques et de genre. Troisièmement, nous nous focalisons sur les recherches relatives à la religion et à la participation civique et politique chez les immigrants. Quatrièmement, nous examinons les croyances, les pratiques et les organisations, religieuses des immigrants de la seconde génération. Nous concluons en exposant plusieurs voies qui permettraient d’enrichir la pensée théorique dans des recherches futures, en accordant une attention particulière à la manière dont les immigrants post-1965 se situent au sein des institutions religieuses américaines, et plus largement au sein des institutions sociales, et à la manière dont ils les changent.

LE CHANGEMENT DANS LES INSTITUTIONS RELIGIEUSES AMÉRICAINES 

Avant 1990, relativement peu de sociologues se sont penchés sur les croyances, les pratiques ou les organisations, religieuses dans la vie des immigrants post-1965 (il y a eu d’importantes exceptions : voir Haddad & Lummis 1987, Kim 1981, Shin & Park 1988). Ceux qui ont étudié les organisations religieuses d’immigrants auparavant se sont focalisés principalement sur les rôles fonctionnels de ces organisations : par exemple, comment elles procuraient des services sociaux à leurs membres (Kashima 1977, Mohl & Betten 1981) et comment elles facilitaient ou empêchaient l’assimilation et l’acculturation des immigrés (Barton 1975; Janowitz 1966; Kayal 1973; Mol 1961, 1971; Russo 1969; Tomasi 1970). Ces chercheurs, à l’instar de Herberg et de Handlin, ont également accordé leur attention à la façon dont la religion a influencé la vie des différentes générations d’immigrés. Herberg (1955) soutenait que, après la première génération, les immigrants abandonneraient leur langue et leurs traditions ethniques d’origine, mais qu’ils conserveraient leur religion, pour l’utiliser comme un moyen de se fondre dans le triple creuset des États-Unis, à savoir celui des protestants, des catholiques et des juifs. Des recherches ultérieures dans une variété de contextes historiques ont montré que la relation entre la religion et l’ethnicité est considéra-blement plus complexe chez les immigrants à chaque génération, comme cela sera discuté en détail ci-dessous (Gans 1994, Hammond & Warner 1993, Hirschman 2004, Smith 1978, Warner 1993, Yang 1999b).

Aux environs de l’année 1990, des sociologues ont commencé à mener des recherches sur la vie religieuse des immigrés post-1965. Ces travaux ont d’abord mis l’accent sur les modèles de la migration fondée sur la religion vers les États-Unis, puis ils se sont concentrés presque exclusivement sur les “congrégations”[1] ou les “réunions religieuses locales en face-à-face” dans lesquelles se rassemblent les immigrants (Warner et Wittner, 1998). Les chercheurs ont soutenu que « le congrégationalisme de facto », ou bien le processus consistant « à adopter une forme congrégationnelle dans la structure organisationnelle et le rituel », est l’un des processus centraux qui « contribuent à la transformation de la religion des immigrés dans les États-Unis contemporains » (Yang et Ebaugh 2001b, p. 270 ; voir également Bankston et Zhou 2000 ; Warner 1993, 2000). Des études portant sur des congrégations particulières ont commencé dans les années 1990 avec des projets collaboratifs dirigés par Warner et Wittner et au moyen d’une série de projets, financés par les Pew Charitable Trusts [Fiducies caritatives Pew], relatifs à la religion et à l’immigration dans les villes qui sont les portes d’entrée de l’immigration, à savoir Houston, Chicago, Los Angeles, Miami, New York, Sans Francisco et Washington DC (Ebaugh & Chafetz 2000b, Miller et al. 2001, Warner & Wittner 1998).

Des livres et des articles ultérieurs, fondés sur ces études et sur d’autres encore, montrent clairement combien la religion et les organisations religieuses sont importantes dans la vie de beaucoup d’immigrants. La majorité des études décrivaient des aspects de la fondation, de la structure et du fonctionnement interne, de ces rassemblements. Les chercheurs ont indiqué que les religions des immigrés aux États-Unis fonctionnent souvent grâce à un clergé professionnalisé, à un recours accru à des dirigeants laïcs, ainsi qu’à une adhésion volontaire, et qu’elles ont modifié leurs rituels et leurs  styles de culte par rapport à ceux des pays d’origine des immigrants (Yang et Ebaugh 2001b). Ces travaux académiques mettent l’accent sur les similitudes plutôt que sur les différences entre les centres religieux des immigrés de diverses traditions et de divers lieux. Ebaugh, O'Brien et Chafetz sont trois des rares sociologues qui ont réfléchi de manière systématique aux variations existant entre les différentes organisations. En combinant les GIS (geographic information systems) [systèmes d’information géographique] et les données ethnographiques, ils décrivent les différences entre les congrégations de paroisse dans lesquelles les participants vivent dans la zone géographique et les congrégations de niche qui s'appuient sur une zone métropolitaine plus large grâce à de solides réseaux sociaux (Ebaugh et al. 2000). Ebaugh et Chafetz (2000c) définissent également deux congrégations de type idéal qu'ils dénomment le modèle de structure de congrégation et le modèle de centre communautaire pour mieux tracer les variations organisationnelles. Ils constatent que ces deux types idéaux prennent des aspects qui sont largement sans rapport avec les organisations religieuses des immigrants et qu’aucun modèle clair n’émerge en termes de tradition religieuse, d’origine ethnique, du nombre de leurs adhérents, de statut socio-économique ou de disponibilité locale de groupes laïcs.

Au sein de centres religieux particuliers, les chercheurs ont également prêté attention à la diversité interne fondée sur l’ethnicité, la langue, la région d’origine, et même la tradition religieuse. Certains centres maintiennent ce que Yang a appelé une unité tenace, tandis que d’autres se divisent souvent en raison de schismes (Badr 2000 ; George 2003 ; Numrich   1996 ; Yang 1998, 2000b). Beaucoup incluent de nouveaux arrivants, des individus extérieurs à leur groupe religieux ou ethnique, soit dans leurs rassemblements habituels, soit dans des rassemblements séparés que certains chercheurs appellent congrégations parallèles. Les différences linguistiques constituent souvent une ligne de démarcation importante ; certains centres cultuels décident d’organiser des services séparés en différentes langues et d’autres luttent pour maintenir des services dans une seule langue (Ebaugh & Chafetz 2000a). Dans certains cas, comme dans une église pentecôtiste ghanéenne à Chicago, des centres décident d’employer la langue anglaise dans les services plutôt que les langues traditionnelles parce qu’ils souhaitent inclure davantage de personnes dans le cadre de leur engagement en faveur de l'évangélisation (Stevens 2004).

Les manières par lesquelles les organisations religieuses d’immigrants facilitent l’adaptation de ces derniers aux États-Unis demeurent un thème central dans les études récentes. Historiquement, les centres religieux étaient considérés comme des organisations conservatrices qui préservaient les coutumes ethniques, la langue et la solidarité de groupe, ainsi que comme des organisations d’adaptation qui aidaient les immigrés à s’habituer à leur nouvel environnement (Mullins 1987). Dans la littérature, il existe des preuves selon lesquelles les centres remplissent toutes ces fonctions (par exemple, Ebaugh & Chafetz 2000b, Hurh & Kim 1990, Kim & Kim 2001, Min 1992, Warner & Wittner 1998). De nombreuses études illustrent l’éventail de services sociaux formels et informels auxquels les immigrants ont accès par l’intermédiaire des organisations religieuses locales à leur arrivée aux États-Unis (Campion 2003, Ebaugh & Pipes 2001, Menjívar 2001, Min 1992). Des Églises de Chinatown à New York, par exemple, fournissent logement, nourriture, emploi et un refuge sûr aux Chinois récemment arrivés du Fou-Tcheou, une région de la Chine (Guest 2003). En plus de l'assistance directe, les centres religieux favorisent également les réseaux qui mènent souvent à des prêts hypothécaires, à un logement, à des emplois et à des opportunités d'affaires qui facilitent l'adaptation sociale et économique (Bankston 1997, Bankston & Zhou 2000, Kwon 1997, Kwon et al. 1997, Zhou et al.2002).

Malgré cet intérêt soutenu porté aux centres religieux, les sociologues ont accordé relativement peu d’attention à la relation entre les centres particuliers et leurs contextes institutionnels religieux plus larges. Certaines recherches suggèrent que la forme des institutions religieuses d’un niveau plus élevé, telles que les confessions, peut influencer le pourquoi et le comment les centres se séparent (George 2003, Shin & Park 1988). En outre, Yang et Ebaugh (2001b) soutiennent que certains centres d'immigration se regroupent en réalité pour créer des organisations religieuses régionales et internationales plus larges, similaires aux confessions protestantes. Mais la façon dont cela se produit dans les différentes traditions et ses répercussions n’ont pas été étudiées (Yang & Ebaugh 2001b). Les centres d’immigrés de première et de seconde génération, par exemple les paroisses catholiques latino-américaines, ont également un effet profond sur la forme et l'orientation de leurs traditions religieuses plus larges aux États-Unis (Cadena 1998 ; Lawson 1998, 1999 ; Levitt 2002). C’est en partant d’une analyse de la Conférence nationale des évêques catholiques des États-Unis que Mooney (2006) affirme que l’immigration est en train de modifier la forme de l’Église catholique et qu’elle est devenue une question stratégique sur laquelle « l’Église catholique a réaffirmé sa voix prophétique dans la société » ( p.1455). De manière similaire, Ecklund (2006) soutient que certains groupes d’immigrés de la seconde génération accordent une plus grande importance à la race et à l’origine ethnique dans l’institution religieuse de l’évangélisme américain. Pour appréhender pleinement la façon dont les immigrants participent à la vie religieuse locale aux États-Unis, il est essentiel de comprendre comment leurs organisations sont façonnées et institutionnellement ancrées dans leurs organismes confessionnels et religieux existants, qui sont non-immigrants et plus larges.

LA FORMATION DE L’IDENTITÉ : LES IDENTITÉS ETHNIQUES, RELIGIEUSES ET DE GENRE 

La formation de l’identité individuelle et collective, ou encore la manière dont les individus se perçoivent et perçoivent leurs relations avec les groupes des autres (Cerulo, 1997), est un thème central des recherches relatives à la religion et à l’immigration. Les spécialistes qui étudient la religion et l’immigration ont approfondi et élargi la littérature qui porte sur les identités en montrant à quel point les identités sont multiples, fluides (façonnées par les contextes historiques et sociaux) et se chevauchent (Ajrouch 2004). Certains chercheurs ont suggéré que les identités religieuses deviennent plus marquantes pour les immigrants aux États-Unis que dans leur pays d’origine en raison du rôle que jouent les religions dans la préservation des identités ethniques, bien qu’il n’existe que des preuves indirectes de ce fait. Par exemple, dans une étude portant sur deux groupes religieux indiens hindous, Kurien (1998) montre comment l’hindouisme aide un groupe d’immigrés indiens à faciliter la transition entre le fait d’être indien et celui d’être américain en leur permettant       « d’affirmer leur fierté de leur héritage indien hindou [comme moyen] de revendiquer une place pour eux-mêmes à la table multiculturelle américaine » (p. 37).

Des chercheurs ont poussé la compréhension de l’identité religieuse au-delà du simple fait qu’elle soit acquise ou attribuée, pour montrer que les identités des immigrants, même celles de ceux qui appartiennent à la même religion, peuvent posséder des aspects de ces deux propriétés. Par exemple, Cadge & Davidman (2006) examinent les récits relatifs à la religiosité chez les juifs de la troisième génération et chez les bouddhistes de la première génération, et ils démontrent que le contenu des identités religieuses dans ces groupes possède des aspects à la fois acquis et attribués. Il s'agit d'une constatation importante à la lumière du fait que ces deux traditions religieuses ont une forte composante héritée (Cadge & Davidman 2006). Les travaux de certains auteurs renvoient également au thème selon lequel la capacité d’action est un élément important dans la création des identités religieuses (Ng 2002 ; Yang 1999a,b). Par exemple, sur la base de preuves concernant le processus de conversion des membres d'une église immigrante chinoise, Ng (2002) soutient que le processus de conversion à une religion dominante aux États-Unis implique que les immigrants chinois développent leurs propres appropriations de catégories, de symboles et de pratiques, culturels, même s'ils se convertissent au christianisme, une religion institutionnellement reconnue aux États-Unis. Et dans ses travaux, Yang (1999b, 2000a) montre, grâce à des recherches ethnographiques auprès des Églises d’immigrants chinois, que les identités religieuses et ethniques ne sont ni une question d’assimilation, ni une question de conservation culturelle. Les identités chinoises sont plutôt mieux décrites comme étant des identités d’adhésion qui permettent à la fois une assimilation sélective et une préservation sélective de l’appartenance ethnique dans le processus de négociation de ce que signifie être chrétien, américain et chinois.

La plupart de ces études mesurent la religion en termes de participation à des organisations religieuses et en termes de son influence sur les identités orientées sur l’ethnie et fondées sur le genre, ainsi que sur la relation entre les identités religieuses, ethniques et de genre, dans un cadre religieux. Les immigrés peuvent utiliser de plusieurs manières la religion comme un élément de la construction de leur identité. La religion peut être utilisée principalement pour construire une identité religieuse, pour faciliter le développement ou la conservation d’une identité ethnique, ou une combinaison de ces deux éléments en fonction du contexte ou des ressources ethniques d’un rassemblement religieux particulier. La plus grande partie de la littérature actuelle qui porte sur la religion et l’immigration se focalise sur les façons dont les organisations religieuses d’immigrés aident à renforcer et à maintenir le caractère ethnique (Ebaugh & Chafetz 2000b, Warner & Wittner 1998). L’étude de Min (1992), qui concerne les églises de Coréens de la première génération, montre que la préservation des traditions et des coutumes ethniques est la principale fonction de ces centres religieux. L’étude ultérieure de Min, relative à des hindous indiens et à des catholiques coréens, montre en outre comment les organisations religieuses aident ces deux groupes à préserver leurs traditions ethniques en faisant que les rituels ethniques et religieux soient synonymes et en combinant les rituels ethniques et religieux. Min soutient que les chrétiens coréens ont plus de facilité à utiliser leur religion pour préserver leur appartenance ethnique que les hindous indiens en raison de la nature plus organisationnelle du christianisme coréen (Min 2003, 2005). Dans un travail portant sur les femmes latino-américaines, Peña  & Frehill (1998) montrent de la même manière que les femmes, qui sont plus ancrées culturellement dans la communauté ethnique latino-américaine, accordent une plus grande importance à leur religiosité. Bien qu'ils aient employé des mesures de la religiosité qui allaient au-delà de la fréquentation de l'église, la population de l’étude a été composée à partir d'un échantillon qui prenait de l’ampleur, en commençant par interroger les recruteurs impliqués dans les paroisses. Bien que ce type de travaux fournisse des informations nuancées sur le lien entre la religion et les identités ethniques, de tels modèles de recherche (qui examinent les constructions de l’ethnicité parmi les personnes faisant déjà partie d'organisations religieuses) sont plus susceptibles de supposer a priori que la religion et l'origine ethnique seront imbriquées (Peña  & Frehill 1998). De futures études portant sur le lien entre religion et ethnicité pourraient comparer le développement des identités ethniques parmi les personnes religieuses et non religieuses, ainsi que les différences entre les personnes extrêmement et moins religieuses, afin de mieux dévoiler ces relations.

De plus, peu nombreuses sont les recherches qui comparent les différences dans la construction d’identité entre les immigrants religieux et non religieux. À titre d'exception, Carnes (2004) montre, au moyen d’une étude sur les immigrants chinois dans la Chinatown de New York, que ceux qui sont religieux sont plus susceptibles que les non religieux de fusionner les identités religieuse et ethnique. Les travaux de Carnes sont également uniques dans la mesure où il se concentre sur les personnes âgées, dont beaucoup ne sont pas en mesure de se rendre aux services religieux réguliers, ce qui lui permet de conceptualiser la religiosité fondée sur des rituels qui se déroulent à l’extérieur comme à l’intérieur des organisations religieuses (Carnes 2004).

Dans les quelques études qui examinent comment les identités religieuses et ethniques nouent des relations entre elles en dehors des contextes spécifiquement religieux, les spécialistes de la religion et de l’immigration montrent qu’une identité religieuse peut se manifester de manière différente en fonction des contextes sociaux et historiques et que les identités religieuses peuvent changer au fil du temps au fur et à mesure que les immigrants et leurs enfants s'adaptent aux différentes facettes de la culture américaine. Par exemple, c’est au moyen de l’observation participante et des entretiens avec des étudiants musulmans que Peek (2005) explique les changements intervenus après le 11 septembre dans la façon dont les étudiants musulmans considéraient leur identité religieuse.

Outre la religion et l’origine ethnique, les spécialistes de la religion et de l’immigration ont pris en considération le rôle du genre pour ce qui concerne la construction et la conservation de l’identité dans les organisations religieuses et dans la vie des individus. Ces travaux souffrent eux aussi d’une attention excessive accordée à la manière dont le genre est construit au sein des organisations religieuses, plutôt qu’aux différentes façons dont la religion et le genre peuvent se croiser en dehors de cadres spécifiquement religieux. Par exemple, grâce à l’analyse d’un Église d’immigrants indiens, George (1998) montre comment la religion agit parfois comme une ressource d’autonomisation pour les femmes étant donné qu’elle prend des formes moins patriarcales dans les organisations aux États-Unis que dans celles des pays d’origine des immigrants. Dans le même temps, la religion est un espace contesté sur lequel les chrétiens indiens tentent de conserver leurs caractéristiques culturelles traditionnelles face à un christianisme américain plus libéral (George 1998). Ebaugh & Chafetz (1999) soutiennent que, dans les 13 organisations religieuses qu’ils ont étudiées à Houston, les femmes reproduisent la culture ethnique traditionnelle, mais qu’elles ont également un accès accru à des postes de haut rang dans leurs congrégations dans la mesure où les hommes ne peuvent ou ne veulent pas les occuper. Les hommes ont tendance à s'intéresser à ces postes en proportion directe du degré de statut social qu'ils perdent au cours du processus de migration (Ebaugh & Chafetz 1999, George 1998).

De nombreux autres exemples montrent comment les femmes se créent de nouveaux espaces religieux à l’intérieur et à l’extérieur des organisations religieuses et comment elles s’adaptent de manière créative à leurs nouvelles positions dans les organisations religieuses (Abusharaf 1998, Cadge 2004). Les travaux ethnographiques menés par Chen (2005) dans le Temple bouddhiste taïwanais et dans l’Église chrétienne évangélique taïwanaise, par exemple, montrent en détail que ce deux environnements offrent un espace permettant aux femmes de se construire un sentiment distinct d’elles-mêmes, en tant que séparées de la famille. Une autre recherche montre que la façon dont les bouddhistes coréens utilisent la religion pour comprendre que la relation à leur patrie se produit, en partie, de manière genrée, avec les hommes affirmant leur identité à travers des activités religieuses qui construisent des espaces typiquement masculins dans le temple en réponse aux aspects dégradants de l’expérience masculine des immigrants (Suh 2003). Les recherches sur les Américains d’origine coréenne de deuxième génération révèlent en outre que la religion, la race, l’origine ethnique et le sexe, fonctionnent différemment selon les relations sociales dans lesquelles ces identités se manifestent. Ces Américains d’origine coréenne négocient la place du genre, de la religion et de l’origine ethnique, par rapport aux membres de la société américaine dans son ensemble, avec les Coréens de première génération et avec les autres membres de la deuxième génération (Park 2001).

D’autres recherches examinent spécifiquement la façon dont les membres de la deuxième génération possèdent des conceptions du genre qui influencent leur engagement envers leur religion en se risquant à des idées plus égalitaires que celles de leurs parents (Alumkal 1999, Yang 2004). Il existe peu d’études qui examinent la façon dont la religion et le genre se croisent de manière plus large en dehors d’organisations religieuses particulières. Dans une étude qui pourrait servir d’exemple pour ce type de recherche, Huisman et Hondagneu-Sotelo (2005) montrent comment les pratiques vestimentaires liées à la religion en ce qui concerne les réfugiées musulmanes bosniaques agissent comme un moyen pour mettre régulièrement en vigueur le genre. L’étude du genre au sein des organisations religieuses est le point de départ d’un programme qui examine la manière dont les immigrants perçoivent le croisement du genre et de la religion. Une perspective plus large s’ouvrira pour prendre également en compte la façon dont la religion et le genre se croisent dans divers contextes en dehors des organisations religieuses.

LA VIE RELIGIEUSE ET LA PARTICIPATION CIVIQUE  DES IMMIGRANTS

Outre les questions relatives  à la formation de l‘identité,  un petit nombre de chercheurs commencent étudier la religion et la vie civique parmi les immigrants post-1965 (Chen 2003, Ecklund 2006). La vie civique décrit la manière dont les immigrants post-1965 et leurs familles perçoivent leur responsabilité quant à la participation à la société américaine. Les actions civiques sont généralement volontaires, elles ne visent pas à en récolter un profit économique, et elles s’intéressent souvent à améliorer une certaine version du bien commun. Les spécialistes de l’immigration européenne de la fin du XIX° et du début du XX° siècle considéraient la participation religieuse comme un élément central du développement de l’identité des citoyens américains. Des niveaux élevés d’assimilation culturelle et religieuse devaient favoriser une inclusion à grande échelle dans les réseaux et les institutions de la société américaine, ce qui comprenait l’adaptation à la vie civique américaine dominante (Gordon 1964). Parmi les immigrants post-1965, les chercheurs ont à peine commencé  examiner comment la religion influence la façon dont est construite la vie civique des nouveaux immigrants. Ces travaux se sont focalisés principalement sur l’intégration politique et sur la question de savoir si la religion procure ou non des ressources qui aident les immigrants à acquérir la citoyenneté ou à voter. Une petite partie de ces études examine également dans quelle mesure les organisations religieuses des immigrés fournissent des services sociaux, et elles mettent l'accent principalement sur les services sociaux destinés aux autres immigrants. Quelques études ont également prêté attention à la construction culturelle de diverses identités civiques des immigrants.

La première partie du développement d’une identité en tant que citoyen consiste à devenir réellement citoyen. Devenir citoyen implique de se frayer un chemin entre le processus de candidature, les barrières de langue, et les autres obstacles, afin d’obtenir un statut légal de citoyen américain. Il existe des variations de ressources parmi les immigrants, et certains chercheurs étudient la manière dont les organisations religieuses associent les immigrants de manière à les aider dans ce processus. Des chercheurs ont étudié ce processus dans l’Église coréenne (Min 1992) et dans d’autres organisations religieuses d’immigrants, et ils ont affirmé que ces organisations religieuses pouvaient fournir des ressources de service social, comme l’aide à l’apprentissage de la langue anglaise et l’aide pour préparer l’examen destiné à acquérir la citoyenneté américaine (Ebaugh & Chafetz 2000b). Des chercheurs ont également examiné la question de savoir si l’identité et la participation religieuses facilitent l’acquisition de la citoyenneté américaine (Lien 2004). Dans une étude portant sur les Américains d'origine asiatique vivant dans les cinq zones métropolitaines comptant le plus grand nombre d'immigrants, Lien (2004) montre que les immigrants catholiques ont le taux d'obtention de la citoyenneté le plus élevé.

Un deuxième aspect de la vie civique est lié à l’intégration politique participative. Lien (2004) constate également que parmi les Américains d'origine asiatique, un groupe qui, selon le recensement de 2000, représentait plus de 40 % de l'immigration entre 1990 et 1999, ceux qui sont religieusement impliqués sont plus susceptibles de voter. Les chercheurs qui étudient la religion et l’immigration commencent à comparer les immigrés religieux et non religieux en termes de participation civique et politique. Une étude révèle que, dans une ville qui est religieuse et conservatrice, même les Latino-Américains non religieux trouvent des moyens pour s’impliquer et s’intégrer dans la vie civique de la communauté locale (Cavalcanti & Schleef 2005). Parmi les immigrants et leurs enfants, il apparaît également que les identités religieuses se chevauchent parfois avec les identités raciales et ethniques pour former de nouveaux types de coalitions politiques. Par exemple, des chercheurs constatent que des Latino-Américains qui sont soit des protestants conservateurs, soit des catholiques traditionnels, défient les allégeances libérales/conservatrices traditionnelles et ressemblent davantage à des chrétiens noirs dans leur engagement en faveur du libéralisme économique parallèlement à une perspective sociale/morale conservatrice (Espinosa et al. 2003, Leal et al. 2005).

La religion et la politique ont souvent des liens différents aux États-Unis et dans les pays d’origine, ce qui conduit les immigrants à différentes compréhensions de leurs relations. Par exemple, une étude portant sur les immigrants hindous et musulmans aux États-Unis a conclu que la relation entre la religion et la politique dépend à la fois du type de ressources politiques qu’un immigrant apporte aux États-Unis et du contexte dans lequel la religion de l’immigrant est reçue (Kurien 2001). La nation d’origine continue souvent d’avoir une influence sur la religion et la politique américaines à travers les liens transnationaux que la religion facilite entre les immigrants américains et ceux qui sont restés dans leur pays d’origine (Levitt, 2002). Une fois que les immigrants accèdent au système politique américain grâce à des formes de participation telles que la citoyenneté, le vote et la participation aux campagnes électorales, la religion favorise également des allégeances idéologiques spécifiques parmi les factions politiques américaines existantes (Lien 2004). De nombreux chercheurs actuels soutiennent en outre que l'implication dans des organisations religieuses conduit les gens à s’engager davantage dans leurs communautés ethniques et non ethniques ainsi que dans leur pays d'origine (Klineberg 2004, Yang 1999b). Les congrégations elles-mêmes évoluent également au fil du temps d’une manière qui influence les niveaux d’engagement des immigrants (Mullins 1987).

Un troisième aspect, au-delà de la participation politique en général, c’est la capacité des organisations religieuses à fournir aux individus participants des motivations aussi bien pour faire du bénévolat que des liens avec les formes locales de service communautaire qui peuvent ou non être parrainées par une organisation religieuse particulière (Wuthnow 1999). La plupart des recherches relatives à la religion et au volontariat communautaire parmi les immigrants se sont concentrées presque entièrement sur la mesure dans laquelle les congrégations d’immigrants fournissent des services sociaux aux immigrants, en particulier à ceux de leurs congrégations (Ebaugh & Chafetz 2000b, Min 1992). Certaines recherches montrent que les congrégations d'immigrants ont du mal à proposer des activités bénévoles parrainées par leur organisation (Cnaan 1997, Ebaugh & Pipes 2001). La religion a également la capacité de procurer un narratif moral pour aider les autres en dehors des communautés religieuses ou ethniques d’un individu (Ecklund 2006). Des chercheurs étudiant la religion et l’immigration commencent à peine à se demander si et comment les organisations religieuses des immigrants de première et de deuxième génération s’élargissent au-delà des limites de la communauté immigrée. En particulier, des chercheurs commencent à prendre en compte la façon dont les différences entre des idéologies religieuses particulières pourraient influencer le lien entre la religion et le service communautaire. Chen (2002) montre qu’un temple bouddhiste taïwanais et une organisation religieuse évangélique taïwanaise diffèrent considérablement du point de vue de leur cadre et de la pratique de leur engagement public, le temple bouddhiste se concentrant beaucoup plus sur le service communautaire que la congrégation évangélique.

Quatrièmement, en plus de se focaliser sur le statut de la citoyenneté, sur le vote et sur le service communautaire, un petit nombre de chercheurs récents étudient les aspects culturels des identités civiques ou encore la mesure dans laquelle les nouveaux immigrants se considèrent comme faisant partie des États-Unis. Certaines recherches suggèrent qu’à mesure que les immigrants deviennent plus américains, ils peuvent également devenir plus religieux, un processus susceptible d’influencer le développement d’une identité civique (Chen 2002, 2003). Les religions qui sont étroitement liées à l’identité nationale d’un pays d’origine peuvent contribuer à la création d’une identité civique en tant qu’“autre” dans le courant dominant des États-Unis, et c‘est ce que Rajagopal (2000) soutient à propos du dévelop-pement d’un nationalisme hindou aux États-Unis (voir aussi Kurien 2003). La contribution de la religion au développement des identités civiques diffère non seulement entre les religions, mais également, ainsi que le montre Ecklund (2005a, 2006), entre des organisations au sein d’une même religion. Les immigrants utilisent aussi la religion pour renégocier différentes catégories de race et d’origine ethnique, ce qui a des implications sur la façon dont ils perçoivent leur rôle en tant que citoyens américains (Ecklund 2005b). Des chercheurs tels que Mattson (2003) ont commencé à prendre au sérieux le contenu de la religion en ce qui concerne la sphère civique, et ce en examinant comment les idéologies adoptées par différentes religions pourraient être utilisées pour justifier des identités et des pratiques civiques différentes. Mattson analyse certaines des diverses manières dont l’islam est utilisé pour définir différents paradigmes nationalistes  par rapport aux les États-Unis.

Cinquièmement, des chercheurs commencent tout juste à examiner les possibilités que la religion a pour agir comme une ressource en vue de la mobilisation politique. Par exemple, les recherches menées par Menjívar (2003) montre que l’Église catholique encourage les immigrants salvadoriens à travailler collectivement pour transformer leurs communautés, tandis que les Églises chrétiennes évangéliques fréquentées par les Salvadoriens mettent davantage l’accent sur le salut individuel. Et Hondagneu-Sotelo et ses collègues (2004) observent que les individus, qu’ils soient religieux ou non religieux, emploient des formes morales du catholicisme mexicain quand ils participent à des manifestations politiques le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Un programme de recherche croissant sur la religion et la vie civique des immigrés continuerait à prendre au sérieux les différentes manières dont les organisations religieuses des immigrés pourraient se mobiliser autour de problèmes politiques particuliers ainsi que la manière dont les immigrés et leurs enfants pourraient utiliser la religion comme motivation pour rejoindre des groupes et des manifestations politiques spécifiques.

LA RELIGION ET LA DEUXIÈME GÉNÉRATION 

Un nombre croissant d’études se concentrent sur la vie religieuse des immigrants de la deuxième génération aux États-Unis. Herberg (1995) soutenait que les immigrants de la deuxième génération seraient moins religieux que leurs parents, et que, à la troisième génération, les individus reviendraient à leur  religion pour se distinguer des autres. Il y a trop peu de membres appartenant à la troisième génération parmi les immigrants post-1965 pour permettre des recherches systématiques sur leur vie, et il existe des désaccords sur la religion dans la vie de la deuxième génération. Des chercheurs suggèrent que, pour certains groupes ethniques, des membres de la deuxième génération peuvent quitter leurs organisations religieuses d‘immigrés (Chai 1998, Kwon et al. 2001). Nous disposons cependant de peu de données d’enquête systématiques sur la participation religieuse réelle parmi la deuxième génération d’immigrés. Un rare exemple est fourni par les travaux de Min & Kim (2005) qui montrent, au moyen d’une petite enquête (n = 202) menée auprès de Coréens résidant dans la zone de New York, qu’environ les deux-tiers des adultes interrogés, qui fréquentaient une Église coréenne lorsqu’ils étaient enfants, participent à des activités religieuses en tant qu'adultes. Plus des deux tiers d'entre eux fréquentent une congrégation coréenne (Min & Kim 2005).

D’autres chercheurs considèrent les communautés religieuses d’immigrés comme des lieux où la deuxième génération est présente, où elle négocie ses relations avec la première génération, et où elle rassemble un capital culturel et social qui mène à la réussite économique et éducative (Bankston et Zhou 1995, 1996). Bien que certains chercheurs aient fait écho aux sentiments de dirigeants religieux selon lesquels il pourrait y avoir un mouvement d’éloignement de la religion au sein de la deuxième génération, à savoir ce que ceux qui étudient les communautés asiatiques ont qualifié d’« exode silencieux » (Chai, 2001), il n’existe que peu de données d’enquête relatives à ces questions. Dans une rare exception à ce qui précède, Hunt (1998) utilise les données d'une analyse de l'Enquête nationale sur l'alcool datant de 1984 pour montrer que les Latino-Américains des deuxième et troisième générations sont plus susceptibles de passer du catholicisme au protestantisme. Comme les connaissances portant sur la religion des immigrants en général, la plupart des recherches relatives à la religion parmi les membres de la deuxième génération sont fondées sur des études de centres religieux. Les chercheurs qui étudient l’engagement des immigrants de la deuxième génération dans les congrégations d’immigrés ont développé une série d’arguments concernant les effets protecteurs que les  communautés religieuses ont en aidant les jeunes immigrants de deuxième génération à s’adapter à la société américaine. Bankston et Zhou (1995, 1996) affirment que la participation à une Église ethnique offre aux enfants des réseaux sociaux protecteurs avec les personnes appartenant à la même ethnie qu’eux, des réseaux qui facilitent la réussite scolaire des adolescents et leur adaptation à la société américaine. En particulier pour des jeunes qui sont exposés à ce que les auteurs appellent « un comportement dangereux et destructeur », les communautés religieuses servent souvent de lieux privilégiés de soutien social, financier et parental de substitution (Cao 2005 ; Guest 2003, 2004). C’est sur la base  d’une recherche dans une Église de Chinatown à New York que Cao (2005) soutient que, pour des jeunes immigrants de la classe ouvrière, les Églises se comportent comme des familles de remplacement qui facilitent le processus de passage de la classe ouvrière à la classe moyenne, ce qui élargit le modèle de Portes & Rumbaut (2001) relatif à l’assimilation segmentée.

Outre la fourniture de services sociaux et de prestations de protection aux membres de la deuxième génération, les organisations religieuses procurent des ressources intangibles aux immigrants de la deuxième génération pour les aider à maintenir leur identité ethnique ainsi qu’à construire de nouvelles identités raciales et ethniques (Cha 2001, Kurien 2005, Yang 1999a). Chong (1998) constate que, pour les Coréens de la deuxième génération, l’Église coréenne les aide à conserver leur identité ethnique en légitimant un ensemble fondamental de valeurs coréennes et en rendant ces valeurs sacrées au moyen de leur identification à la moralité et à la vision du monde chrétiennes conservatrices. C’est en appliquant les théories de Smith (1998) sur les identités sous-culturelles que Chai (1998, 2001) soutient que les Églises coréennes offrent aux membres de la deuxième génération un lieu où ils peuvent négocier avec succès une identité religieuse et ethnique distincte de celle de la première génération.

Un autre groupe de chercheurs examine la manière dont les organisations religieuses ethniques aident les membres de la deuxième génération à négocier des conceptions américaines plus larges en matière de race et de genre. Par exemple, Busto (1996) soutient que la participation aux organisations chrétiennes évangéliques des campus fournit aux Américains d’origine asiatique des ressources culturelles pour renforcer l’image des Américains d’origine asiatique en tant que minorités modèles. S'appuyant sur une enquête et des entretiens avec des membres des congrégations asio-américaines de la Bay Area(*) (Églises à la fois traditionnelles et évangéliques), Jeung (2004, 2005) examine comment les Américains d'origine asiatique s'organisent religieusement autour d'une identité pan-ethnique en tant qu'Asiatiques. Il existe très peu de recherches portant sur les membres des religions non chrétiennes. Une exception est représentée par une étude menée par Kurien (2005) sur une Section du conseil étudiant hindou, une étude qui illustre la complexité du croisement des identités de race, d’origine ethnique et de religion, parmi ce groupe d’étudiants hindous ; bien qu’ils soient venus dans ce groupe pour s’occuper du croisement entre la race et la religion, c’est ce croisement de ces deux mêmes identités qui est à l’origine des conflits. Dans une rare étude portant sur le lien entre la religion et l’ethnicité chez les personnes de la deuxième génération qui se situent en dehors des limites d’une organisation religieuse, Ajrouch (2004) montre comment des lycéens américains d’origine arabe utilisent les relations de genre et les enseignements religieux pour créer des frontières qui les distinguent à la fois des Américains blancs et des Américains immigrés.

Un élément clé du développement des identités raciales et ethniques des membres de la deuxième génération implique le fait d’arriver à comprendre leur relation avec la première génération. La plupart des recherches dans ce domaine se sont focalisées sur la façon dont les tensions entre les immigrants de la première génération et ceux de la deuxième génération, qui est davantage américanisée, se manifestent dans des contextes congrégationalistes. C’est sur la base d’une recherche ethnographique comparant les Coréens et les Chinois de la deuxième génération qu’Alumkal (2003) affirme que les membres de la deuxième génération doivent continuellement justifier leur appartenance à une tradition religieuse (le christianisme évangélique) qui est soucieuse de transmettre un message religieux censé être ouvert à tous en pratiquant un culte dans un contexte ethnique spécifique. Il montre comment les membres de la deuxième génération restent distincts de la génération de leurs parents tout en continuant à pratiquer leur culte dans un contexte ethnique spécifique (Alumkal 2003). Des recherches portant sur les chrétiens indiens montrent que les membres de la deuxième génération ont parfois des idées différentes sur le contenu de leur religion : la première génération considère le christianisme selon des critères religieux et ethniques qui lui sont attribués, tandis que la deuxième génération considère davantage le christianisme selon des critères plus aboutis et individualistes qu’ils perçoivent comme étant évangéliques (Kurien 2004). D’autres recherches révèlent des différences de génération dans la façon dont les individus envisagent le genre. Dans certaines communautés religieuses d’immigrés, la deuxième génération adopte une vision plus conservatrice du genre que la première génération en tant que manière de défendre une identité religieuse distinctive (Alumkal 1999, Yang 2004).

REGARD SUR L’AVENIR : ORIENTATIONS POUR LE FUTUR

Au cours des 15 dernières années, des sociologues ont développé un corps richement structuré de recherches sur la vie religieuse des immigrants, principalement au moyen d’études sur leurs organisations religieuses. Pour comprendre de manière plus complète l’éventail des façons dont la religion influence la vie des immigrants, les études futures devront continuer à se concentrer sur des comparaisons plus strictement analytiques quand elles étudient les organisations religieuses et sur les nombreuses façons dont la religion est importante en dehors de ces contextes. De telles approches aboutiront à un élargissement des sujets et des stratégies méthodologiques actuellement utilisés, à une analyse plus critique de la manière dont la religion est conceptualisée et mesurée, et à une image plus holistique des expériences religieuses vécues par les immigrants.

Les études actuelles relatives aux organisations religieuses d’immigrants, comme le montrent les recherches examinées, se concentrent sur un seul centre religieux ou sur une série de centres de diverses traditions religieuses de différents pays d'origine situés dans la même ville. Ces études mettent généralement l’accent sur des similarités plutôt que sur des différences entre organisations. Une telle focalisation signifie que les chercheurs développent rarement des hypothèses ou des théories qui pourraient expliquer d'éventuelles variations, par exemple, dans la forme organisationnelle, dans le processus de développement, dans la formation du capital social, dans la composition démographique ou dans les structures de direction, des organisations. Un levier analytique supplémentaire serait développé en accordant une plus grande attention à la variation et en concevant des études de manière à permettre de prendre en compte les sources possibles de cette variation. Des axes additionnels de comparaison doivent être également pris en considération. Plutôt que de se focaliser sur une seule ville, par exemple, des comparaisons à travers différentes villes américaines entre des immigrants du même pays qui partagent la même tradition religieuse peuvent montrer comment les contextes d’accueil façonnent les expériences des immigrants, comme dans la recherche portant sur les immigrants salvadoriens et guatémaltèques à San Francisco, à Washington DC et à Phoenix, menée par Menjívar (1999, 2000, 2003, 2006a,b). Étant donné que les immigrants quittent de plus en plus les grandes villes pour s’établir dans des villes plus petites, l’éventail des zones métropolitaines étudiées doit également être élargi afin d’inclure les nouvelles villes d’accueil plus petites.

Deuxièmement, des comparaisons entre des gens qui viennent du même pays et qui participent à des traditions religieuses différentes dévoileraient comment les immigrés sont façonnés par ces traditions aux États-Unis, ainsi que le montre clairement l'étude de Chen (2002) sur les immigrants taïwanais qui fréquentent un Temple bouddhiste et une Église chrétienne évangélique. Troisièmement, des recherches additionnelles qui prendraient en compte de manière systématique les contextes de sortie et d’accueil des immigrants pourraient montrer comment ces contextes façonnent les rassemblements religieux des immigrants aux États-Unis, notamment en ce qui concerne leur statut de migrants économiques ou de réfugiés, leur passage du statut de majorité religieuse au statut de minorité, et vice versa, etc. (Douglas 2003, Fetzer 1998, Solberg 1992, Yang & Ebaugh 2001a, Zhou et al. 2002). L'examen de tels contextes pourrait donner un aperçu de la mesure dans laquelle les congrégations d'immigrés (et en particulier les congrégations de deuxième génération) fournissent des services sociaux qui vont au-delà de l'aide aux membres de leur communauté ethnique particulière. Il sera plus facile de répondre à certaines de ces questions au fur et à mesure que les futures vagues de données de la New Immigrant Survey, la plus grande enquête systématique auprès des immigrants, seront disponibles et que les chercheurs commenceront peut-être à combiner les données d’enquête et les études ethnographiques des centres religieux.

Enfin, les recherches portant sur les organisations religieuses d’immigrés seront plus révélatrices si elles sont situées dans des contextes géographiques et religieux plus larges. Les recherches menées par Cadge (2005), par exemple, comparent les organisations et les expériences religieuses des immigrants bouddhistes theravadas de première génération et des convertis nés dans le pays, pour la plupart blancs, en soulignant les points de convergence et de divergence. De manière plus générale, les chercheurs ont seulement commencé à prendre en considération la façon dont les organisations religieuses auxquelles les immigrants participent interagissent avec des institutions sociales plus larges et la façon dont la religion influence les interactions des immigrants individuels avec ces institutions. Au niveau de l'État, par exemple, lorsqu'ils créent des organisations religieuses, les immigrants négocient les règles juridiques concernant leur constitution, leur découpage par zones et leur statut fiscal, (Breyer 1993). De telles négociations sont également évidentes lorsque les organisations et les immigrants individuels travaillent avec les salons funéraires et les lieux de sépulture pour prendre des dispositions qui respectent les directives religieuses et étatiques (Badr 2000). Les chercheurs commencent tout juste à examiner de quelle manière les centres religieux d’immigrés et de non immigrés se croisent, comme c’est le cas dans les recherches menées par Wuthnow (2005), lesquelles analysent les interactions et les échanges entre des congrégations fréquentées à la fois par des immigrés et des non immigrés.

Outre les études relatives aux organisations religieuses d’immigrants, l’on a besoin de beaucoup plus d’études afin de comprendre comment les immigrants vivent et pratiquent leurs religions en dehors de contextes religieux particuliers. Un nombre restreint mais croissant d’études, par exemple, se concentrent sur les interactions des immigrés avec les organisations  de services sociaux et sur la façon dont leur expérience religieuse est construite et utilisée  dans les organisations à la fois religieuses et laïques (Bruce 2006, Nawyn 2006). Comme pour les populations nées dans le pays, la religion est souvent un facteur permettant l’accès et le recours aux soins de santé par les immigrants, même si cela est rarement reconnu dans les études sur l’immigration et la santé (Kandula et al. 2004). Bien que certaines organisations religieuses favorisent des pratiques de guérison traditionnelles (Numrich 2004), d’autres peuvent influencer les résultats de santé des individus et/ou favoriser les interactions avec les établissements de soins de santé, mais des études supplémentaires sont nécessaires (Hurh et Kim 1990). Des preuves anecdotiques suggèrent que certains hôpitaux et cabinets médicaux s’adaptent de plus en plus à la religion en créant, par exemple, des espaces de prière musulmans. En outre, certaines organisations de soins de santé spécifiques à une religion, telles que l'Association médicale musulmane de l'Université de Los Angeles, commencent à se lancer (Miller et al. 2001). Bien que les récits soient principalement journalistiques à ce stade, la religion influence aussi clairement le nombre d’immigrés qui consultent la communauté médicale traditionnelle et la manière dont ils prennent des décisions concernant leurs problèmes de santé (Barnes & Sered 2005, Fadiman 1998, Ong 1995).

De plus, les sociologues prennent rarement en considération la façon dont la religion influence les expériences vécues par les immigrants dans les sphères sociales qui ne sont pas considérées comme spécifiquement religieuses, telles que les lieux de travail, les quartiers, les organisations civiques et politiques locales, les garderies d’enfants, les installations récréatives et d'autres aspects de la vie quotidienne aux États-Unis. L’approche du type de “religion vécue” ou de la religion dans la vie quotidienne que de telles enquêtes pourraient nécessiter est plus souvent utilisée par les spécialistes des études religieuses et les anthropologues (par exemple, Hall 1997, Orsi 1996, Tweed 1997). Les sociologues qui se sont servis de cette approche se sont penchés sur les décisions et les expériences de la migration ; par exemple, Hagan et Ebaugh (2003) décrivent comment la religion influence tous les aspects de la migration des Mayas sans papiers originaires du Guatemala, depuis la décision qu'ils prennent de migrer vers Houston jusqu'au processus de préparation, au voyage et à l'arrivée ultérieure aux États-Unis. C’est en utilisant une telle approche que Smith & Bender (2004) illustrent le fait que, à New York, les chauffeurs de taxi musulmans d’Asie du Sud prient au cours de leur travail, principalement en s’arrêtant dans des restaurants qui ont créé des espaces de prière informels. Réfléchir davantage à la façon dont la religion influence la vie des immigrés dans des sphères non religieuses telles que les écoles, les lieux de travail et les établissements médicaux, est susceptible de révéler non seulement le mélange et le désordre de l'expérience religieuse, mais aussi la manière dont les non-immigrés sont impliqués dans le processus de migration, l'importance des relations transnationales, et comment les immigrés qui, si jamais c’était possible,  ne sont pas impliqués dans des organisations religieuses vivent la religion ; voilà un sujet sur lequel on ne sait presque rien. Une approche de la religion dans la vie quotidienne soulève également des questions sur la religion en tant que catégorie conceptuelle et facilite une réflexion analytique plus large sur la manière dont le sacré est présent et influent en dehors des religions formelles et des espaces religieux.

Au cours des 15 dernières années, les sociologues sont passés d’une connaissance très limitée de la vie religieuse des immigrants à une connaissance approfondie de leurs organisations religieuses. De tels travaux ont produit de riches informations sur les diverses façons dont les immigrants pratiquent leur religion aux États-Unis, ainsi que sur certains points communs entre les organisations religieuses d'immigrés. C’est en s'appuyant sur cette recherche que les futurs chercheurs auront le potentiel pour enrichir la pensée théorique à tous les niveaux d'analyse, en combinant l'excellent travail empirique qui a été mené avec de nouvelles questions prenant en compte une conceptualisation plus large de la religion pour étudier comment les immigrants comprennent et utilisent la religion à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de contextes spécifiquement religieux.

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RELIGION ET TRANSNATIONALISME

Dans leur article de l’Annual Review : “Transnational Migration Studies: The Longue Duree” [Les études sur la migration transnationale : la longue durée] (dans ce volume), Levitt & Jaworsky (2007 démontrent que la religion est l’arène clé du transnationalisme. Nous mettons ici en évidence quelques-uns de leurs points principaux. La participation dans les organisations religieuses transnationales permet aux immigrants aussi bien l’accès au capital social dans la nouvelle nation que la possibilité de conserver un capital social dans leurs pays d’origine. Les migrants modifient les institutions religieuses de leurs pays de destination (comme c’est le cas avec les changements apportés à l’Église catholique américaine par les migrants latino-américains arrivant aux États-Unis) et ils exportant différentes formes de foi vers leurs nations d’origine.

En outre, des réseaux religieux internationaux unissent les coreligionnaires du monde entier. De nouvelles structures religieuses sont créées par le processus de migration, comme les Églises chrétiennes para-chinoises qui relient les individus de Taiwan, de Hong Kong, de la Chine continentale, des États-Unis et du Canada. La religion relie les migrants à travers le temps, et cela leur permet de faire partie de la chaîne de mémoire avec les coreligionnaires du passé, du présent et du futur. De nouvelles formes de société civile transnationale sont créées au fur et à mesure que la religion offre des espaces pour socialiser les première et deuxième générations dans les structures politiques existantes, tout en agissant en même temps comme contrepoint aux voix politiques extrémistes.

 

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QUESTIONS FUTURES


1.       Davantage de recherches concernant des individus, fondées sur des données d‘enquête systématiques, sont nécessaires pour comprendre comment des variables indépendantes comme la démographie, le statut de l’immigration, les contextes géographiques de départ et d’accueil, ainsi que la présence ou l’absence de d’immigrants de la même ethnie, façonnent leurs croyances religieuses. Sont également nécessaires des analyses qui examinent comment la religion, en tant que variable indépendante, influence la mobilité économique ainsi que la participation civique et politique des immigrants.

2.       Des comparaisons analytiques supplémentaires sont nécessaires pour comprendre pleinement comment les immigrants évoluent et participent à des organisations religieuses (c'est-à-dire les immigrants d'un pays d'origine dans différentes villes américaines, les immigrants du même pays qui pratiquent des traditions religieuses différentes dans la même ville, les comparaisons entre les immigrants et personnes nées dans le pays pratiquant la même religion, etc.).

3.       Les études portant sur les organisations religieuses d’immigrants doivent être situées dans des contextes sociaux plus larges afin de comprendre comment les immigrés négocient avec les autres organisations religieuses et laïques qu’ils côtoient.

4.       Une approche du type religion vécue est nécessaire pour comprendre pleinement l’éventail des façons dont la religion influence la vie des immigrants en dehors de leurs centres religieux, par exemple au travail, à l’école, dans les établissements de soins de santé, dans les organismes de services sociaux, etc.

 




[1]  Nous reconnaissons la connotation chrétienne dans l’utilisation du terme de “congrégation,”. C'est cependant le terme qui est employé fréquemment dans la littérature portant sur l’immigration et la religion, et c’est pourquoi nous l’employons quand il constitue une référence appropriée au travail d’un chercheur particulier.

(*)  Région de la baie de San Francisco. (NdT).

mercredi 15 mai 2024

LE DRAPEAU ET LA REVENDICATION PLUS LA DECOMPOSITION (deuxième partie)

 

Le charme peu discret de l'aristocratie syndicale
DE L'ARISTOCRATIE OUVRIERE A L'ARISTOCRATIE CORPORATIVE ET SYNDICALE

« Les hommes ont toujours été et seront toujours en politique les dupes naïves des autres et d’eux-mêmes, tant qu’ils n’auront pas appris, derrière les phrases, les déclarations, les promesses sociales, politiques, religieuses, morales, à découvrir les intérêts de telles ou telles classes. Les partisans de réformes et d’améliorations seront toujours mystifiés par les défenseurs du vieil état des choses, tant qu’ils n’auront pas compris que toute vieille institution, si barbare et si pourrie qu’elle semble, se maintient grâce aux forces de telles ou telles classes dominantes ». Lénine (« Les trois sources et les trois parties constitutives du marxisme », p. 202. (1913).
« Dans la droite ligne de Marx et Lénine, l’idéologie participe pleinement de la lutte des classes et de l’aliénation. Ainsi, « les politiques ont leurs systèmes de signification, les idéologies, qui leur permettent de subordonner à leurs stratégies les actes et événements influencés par eux. »

Henri Lefebvre (Le droit à la ville, 1974)


« Marx, dans Le Capital, analyse d'abord ce qu'il y a de plus simple, de plus habituel, de fondamental, de plus fréquent, dans les masses et dans la vie quotidienne, ce qui se rencontre à tout instant, les rapports d'échanges commerciaux en régime bourgeois, l'échange de marchandises. Son analyse décèle dans ce phénomène élémentaire ... tous les antagonismes (ou embryons de tous antagonismes) de la société contemporaine » Citation de Lénine par Lefebvre en introduction à son fameux ouvrage « Critique de la vie quotidienne »1

« La bourgeoisie d'une ‘grande’ puissance impérialiste peut, économiquement, soudoyer les couches supérieures de ‘ses’ ouvriers en sacrifiant à cette fin quelque cent ou deux cent millions de francs par an, , car son surprofit s'élève probablement à près d'un milliard ; . Lénine 1916

CLASSE OUVRIERE OU PROLETARIAT ?

Le foisonnant et brillant Henri Lefebvre n'est pas à une contradiction près. D'une part, comme on l'a lu, il nie un quelconque rôle révolutionnaire à la classe ouvrière, mais en même temps il en mesure l'expansion à la majorité de la population mondiale en différenciant classe ouvrière et prolétariat ; chose que nombre de groupes ouvriéristes nièrent à la fin des sixties, de même que R.I. (Révolution Internationale ) avec ce simplisme qu'on va retrouver sur la notion d'aristocratie ouvrière pourtant très marxiste. L'analyse de Lefebvre est par contre intéressante même s'il enferme lui aussi la classe ouvrière dans l'entreprise, à une époque où il est vrai, malgré mai 68, elle était engluée dans la société de consommation plus qu'intéressée par une perspective de révolution contre le capitalisme. Son analyse généraliste, voire surtout interclassiste, dans sa forme, devrait complaire au CCI généraliste, simpliste et radoteur.

L'opinion de Lefebvre estimant une classe ouvrière homogène a par contre été controuvé depuis 50 ans : désindustrialisation, envolée des emplois tertiaires, chômage massif où les prolétaires se sentent isolés et sans solidarité en partie de la part de l'aristocratie ouvrière privilégiée, refus des encravatés des bureaux de se considérer comme prolétaires, diminution du nombre d'ouvriers en bleu de travail, noyade du concept de classe dans la formulation « classes moyennes », progression de l'islam dans l'entreprise, généralisation du salariat précaire, ouvriérisme et wokisme syndical, mouvements de colère populiste comme les gilets jaunes, etc.

« A côté de la classe ouvrière se produit une prolétarisation gigantesque qui résulte de cette vaste décomposition. Avec des éléments conflictuels nouveaux. Si on définit le prolétariat par l'absence de liens juridiques et pratiques avec les moyens de production, la prolétarisation touche le monde entier: prolétarisation des classes moyennes,» des cols blancs, : des paysans ruinés et non intégrés à la production, dans toutes sortes de pays d'Amérique latine par exemple, des périphéries urbaines. Vaste prolétarisation du monde contrastant • avec le bloc de la classe ouvrière qui est là, solide. Plus la jeunesse, plus les intellectuels pour qui la connaissance n'établit pas de liens avec les moyens de production ; plus les noirs, plus les travailleurs immigrés. Enorme prolétarisation correspondant très exactement à la notion marxiste initiale, c'est-à-dire à la notion de classe séparée des moyens de production, chargée de négativité, capable, dans certaines conditions, de la lutte à mort pour tout changer. Et puis, échappant à la dissolution de ces rapports la classe ouvrière certes continuant à vouloir mettre fin à l'exploitation capitaliste, mais en même temps constituant dans le monde actuel, une masse positive, un bloc à peu près homogène malgré les différences de strates. Ce n'est pas son embourgeoisement qui est en question, elle n'est pas embourgeoisée par la consommation ; elle résiste. Mais, dans la dissolution générale,: elle reste un bloc relativement cohérent. Et si elle n'accepte pas la société bourgeoise, c'est la version minimale de la transformation révolutionnaire qu'elle accepte et non la maximale. La classe ouvrière ne suit pas quand on propose de fane sauter la famille ; et pourtant cela fait partie du projet révolutionnaire La lutte de classe en tant que lutte à mort a disparu,- dans nos pays industriels, au moins momentanément, au moins conjoncturellement. On a donc un bloc relativement homogène, résistant à l'exploitation, mais avec des tendances conservatrices qui excluent la version maximale, c'est-, à-dire la transformation radicale de la société »2.

 La division des ouvriers par la diffusion de diverses idées et doctrines bourgeoises qui affaiblissent la lutte de la classe ouvrière.  (Lénine)

Lénine ne limite pas la diffusion des doctrines bourgeoises au seul nationalisme, comme le montre son œuvre immense ou aux illusions de la société de consommation comme le démontre Lefebvre. Lénine ne s'est pas contenté de dénoncer le nationalisme et le trade-unionisme. Il a commis des erreurs d'une part en estimant que la conscience de classe devait être apportée de l'extérieur à la classe ouvrière, puis ensuite en devenant chef d'Etat. Que cela n'empêche pas de juger ses apports théoriques inestimables avant cette stupide prise du pouvoir par un parti qui se disait communiste. Il mène un combat politique qui ne se résume pas à exalter la classe ouvrière de façon religieuse (comme le fait le CCI)3. Il combat les raisonnements mystico-religieux de Berdiaev, selon qui la révolution socialiste prenait un caractère apocalyptique. « La révolution plus que tout autre chose, porte en elle le reflet de l'apocalypse ». Jamais le CCI ne dénonce l'islam en entreprise ni son expansion dans les quartiers ouvriers. L'appel à la religion , par les idéologues « démocratiques » demeure l'obstacle le plus sûr et le plus solide à l'extension des idées de révolution sociale. Analyser les diverses mystifications sociétales, y inclus les dits faits divers n'est pas de la sociologie bourgeoise mais une nécessité politique concrète. Lénine a la courage de s'attaquer aux grands pontes du socialisme de l'époque qui enferment la lutte de classe dans le choix simpliste : réforme ou révolution, comme il combat les mystifications petites bourgeoises de son ami Martov.

QUAND LE MEURTRE N'EST QU'UN ACCIDENT DU TRAVAIL

Voici un exemple de mystification probant du parti populiste de la gauche bourgeoise, LFI (pour ceux qui veulent tomber dans le panneau), par la grosse à queue de cheval Mathilde Panot ; genre de filouterie que le CCI est incapable de décrypter. Elle a profité du drame, l'assassinat des surveillants pénitentiers pour dévier du fond en généralisant dans le vague sociologique concernant « les morts au travail » : «Aucun agent du service public ne devrait mourir dans l’exercice de ses fonctions. Ce sont les 110e morts au travail pour 2024. Soutien aux agents blessés et à leurs proches» (sur X) (ce qui leur fait une belle jambe comme toutes les autres compassions des autres cliques bourgeoises).

Or l'idéologie islamo-gauchiste se fiche en réalité de ces meurtres qui pose plutôt la question de la sécurité policière (= pas question d'être complice de la police étatique), ignorer le type enfui qui s'appelle en plus Mohamed (= pas question de développer le racisme ni de s'aliéner les électeurs arabes), l'opération a été menée par une mafia sans foi ni loi (= laisser à Zemmour la dénonciation de la perte d'autorité de l'Etat) ; car enfin les tueurs ne sont que des victimes de la société capitaliste comme la plupart des prisonniers (qui ont droit à un portable en prison pour éventuellement préparer leur évasion de la prison bourgeoise). Mohamed a déjà un avocat immédiatement invité sur les plateaux TV. Preuve que tout tueur est immédiatement défendable...Une responsable syndicale du sud parle « d'accident du travail) donc ce serait du niveau interne à l'entreprise et ni social ni politique ! Je laisse à mes lecteurs intelligents se représenter la réaction ulcérée d'une grande partie de la classe ouvrière qui aura raison en un sens d'aller voter Bardella en méprisant les clowns bien soumis et les écologogols, protestation formelle plus que confiance en la gestion du parti bourgeois de la droite de la droite(sic). Le CCI se contente d'essentialiser sans analyser les dégâts sur la conscience de classe du déroulé et des interprétations de ces drames. Le mot décomposition lui suffit pour éviter de s'exposer à la morale gauchiste, qui a pour fonction cardinale d'empêcher de penser politique comme nos curés du temps jadis.

La superficialité et le simplisme sont aussi criants concernant la boucherie à Gaza : « les manifestations actuelles ne se situent, ni de près ni de loin, sur le terrain de la classe ouvrière. Elles représentent au contraire un piège mortel pour le prolétariat ! avec des relents d’antisémitisme à peine voilés ». Or on commence par ignorer que les manifestations ont lieu pour l'arrêt du massacre, que c'est mieux que rien (où est le prolétariat en Palestine?). Deux oui sous ce pacifisme partis populistes à la LFI et NPA prennent partie pour le camp du Hamas, mais trois l'antisémitisme de ces paris n'est pas prouvé, une telle accusation provient des souteneurs juifs de Tsahal partout. Les bordiguiens sont plus près de la vérité, même s'ils croient possible une libération nationale palestinienne. Les prolétaires palestiniens sont sous le régime de terreur du Hamas et les prolétaires israéliens on se demande s'il y en a vu que les travaux les plus durs dont effectués par des prolétaires palestiniens à Tel Aviv et que la population juive est derrière son « Etat juif » ; ce que souhaite le CCI dans ce drame relève de l'utopie pour ne pas dire de la connerie4.

Cela nous amène donc au rejet par le CCI de l'analyse marxiste de l'aristocratie ouvrière.

ARISTOCRATIE OUVRIERE une théorie sociologique pour diviser la classe ou une évidente création bourgeoise ?

Depuis deux ou trois ans, la presse du CCI nous bassine avec le même titre : « Seule la classe ouvrière a la solution », car : « Depuis juillet 2022, quelque chose se passe du côté de la classe ouvrière. Les travailleurs ont retrouvé le chemin du combat prolétarien, au niveau international »5.

J'ai démontré dans plusieurs articles antérieurs qu'il s'agit d'une fable ou plutôt d'une auto-persuasion. La plupart sont des grèves hyper corporatives, chauvines et sans véritable généralisation cornaquées par les appareils syndicaux de la bourgeoisie. On est loin de l'exemple polonais de 1980 où effectivement la généralisation avait eu lieu, de la part de toutes les entreprises petites ou grandes et sans enchevêtrement de l'aristocratie ouvrière, en effet car quand le mouvement se développe sa spécificité se dissout. Mais nier son existence hors des luttes est anti-marxiste et prend la bourgeoisie pour une idiote.

LA RETRAITE, COMBIEN DE REGIMES ?

Le plus navrant pour illustrer cette reprise est le recours à la lutte pour « les » retraites en France, présentée comme un nec plus ultra.

« Début 2023, alors que les grèves se multipliaient un peu partout dans le monde, le prolétariat en France s’est à son tour mobilisé massivement contre la réforme des retraites. Des millions de personnes enthousiastes ont manifesté dans la rue avec la ferme volonté de se battre tous ensemble, tous secteurs et toutes générations confondus. Puis, à la rentrée, les ouvriers aux États-Unis ont engagé l’une des plus massives grèves de l’histoire de ce pays, notamment dans le secteur automobile, suivi par un mouvement du secteur public également décrit comme historique au Québec ».

En gros c'est ce qu'on pouvait lire dans n'importe quel tract gauchiste. Or non seulement les appareils syndicaux ont baladé les gens, sans AG, bien cloisonnés et en chansons anti-Macron. « Volonté de se battre ensemble » ? Quoique pas du tout pour les mêmes objectifs...ni les mêmes retraites. La retraite à 60 ans interdite pour tous ? Pas vrai ! Plusieurs « services publics » l'ont conservé, même à 55 ans. Des retraites aussi diverses que les conditions diverses du travail en entreprise. Et excusez-moi du peu, pour une lutte anti-révolutionnaire du genre réformiste : l'espoir de se reposer un peu du capitalisme en fin de vie. Les manifs pour les retraites avant mai 68 tout le monde s'en fichait. Cette comédie de lutte pour une retraite unique pour tous me faisait penser au slogan trotskien de naguère selon Lutte ouvrière : « augmentation égales pour tous », très populiste mais prendre les ouvriers et les bourgeois pour des cons.

Une classe ouvrière pure comme la prière à genoux des ouvriers polonais ? Le CCI qui n'a pas peur de ses contradictions ou de sa perte de contact avec la réalité déplore un jour une perte d'identité de la classe ouvrière puis utilise une phrase idyllique de Marx, que je soupçonne trafiquée :

«  "Il y a bien un noyau matériellement déterminé, une avant-garde pratique de la classe-pour-soi (ouvriers des grandes entreprises), mais ce noyau, en sortant du rapport capitaliste, tend, d’emblée, à précipiter “l’imminence du passage des classes moyennes au prolétariat” (Marx). […] Le “danger” de dissolution du prolétariat dans la population n’existe pas".Depuis 1848, l’autonomie de classe est un principe intangible du combat prolétarien. Elle est le fil conducteur qui relie les luttes partielles des ouvriers à la dictature du prolétariat. Avec la perte de l’identité de classe que l’on peut constater aujourd’hui, le poison de l’interclassisme est d’autant plus dangereux. On peut voir ici comment le modernisme fait le travail de la bourgeoisie »6.

Si la citation de Marx est authentique, eh bien Marx s'est complètement gourré pour aujourd'hui encore. Tant pis pour ses adulateurs religieux. Le passage imminent des « couches moyennes » au prolétariat, j'y ai consacré trois articles et il n'est ni automatique ni facile ; la perte d'identité (en partie) effective prouve que la dissolution du prolétariat dans la population est encore effective.

AUX ORIGINES D'UN CCI PEU MARXISTE

Au début des années 1970 je faisais mon apprentissage politique dans le milieu héritier de « Socialisme ou Barbarie », les militants de « Pouvoir Ouvrier » diffusaient à l'entrée du lycée Buffon depuis 1967, et formèrent une nouvelle génération de jeunes marxistes, dont mon mentor feu Jean-Pierre Hébert (nous étions les deux seuls fils d'ouvrier en classe de première philo).

RI n'était pas considéré comme marxiste et était daubé par les vieux de PO. RI des décadentistes pouah ! J'avais demandé son avis à Pierre Souyri avec mon désir de prendre contact avec ce groupe à la revue austère mais qui me paraissait plus cohérent que la multitude des groupuscules. Il avait exprimé un avis défavorable, disant : « je me méfie de ce genre de groupes ».

J'avais été invité à une réunion de PO à la Bastille où étaient présents les historiques : Véga, Pierre Souyri, Jacques Signorelli7. et la nouvelle génération: le facétieux Vouvray, Pierre Souyri junior, Serge Cosseron futur éditeur et historien (fondateur de "Camarades") et le brillant leader de la G.M. Vladimir Marcus (qui finira sa courte carrière politique en tant que permanent syndical à la Poste).

PO fermait boutique et pendant les mois qui suivirent j'ai été associé à la création de brûlot « Gauche marxiste » où passèrent des comètes du futur Robin Goodfellow et le lycéen Christophe Bourseiller, merdeux qui nous proposait de prendre les armes et faire la révolution tout de suite.

Enfin je pris contact avec RI dans des conditions pour le moins étrange. Le premier s'appelait Guy Sabatier. L'air piteux il me serra la main : « j'ai été chargé de venir te voir mais je quitte cette organisation ». Bon et ensuite. Ensuite c'est au café en face le jardin du Luxembourg que je serre la main à un certain Raoul Victor, particulièrement affable et emphatique, il me rassure tout de suite et m'explique clairement des choses qui n'étaient pas encore évidentes pour moi. Ou qui demandaient réflexion. Parlant de mon milieu professionnel, EDF, j'en vins à parler d'aristocratie ouvrière. Erreur coupa-t-il : « l'aristocratie ouvrière ça n'existe pas, c'est une connerie des bordiguistes !

Ironie du sort plus de quatre décennies écoulées je découvre un vieil article de ce même Raoul Victor dans un article de leur Revue Internationale en 2005. Interloqué ! Serait-il revenu dans l'organisation qui l'avait éjecté ? Bien sûr que non, c'était la reprise d'un de ses articles en 1981.

Ce qui m'apparut affligeant c'est non pas l'article mais le fait que le CCI ait réimprimé autant d'âneries .. anti-marxistes.

DECRYPTAGE du texte d'un étudiant inculte

Au lieu de se placer dès le départ du point de vue classique de Marx, Engels et tous les autres, on nous assène que « cette théorie repose sur une analyse sociologique qui ignore le caractère de CLASSE HISTORIQUE du prolétariat ; que la définition, ou plutôt LES définitions de "l 'aristocratie ouvrière" sont d'autant plus floues et contradictoires que le capitalisme a multiplié les divisions au sein de la classe ouvrière;que le RESULTAT PRATIQUE de ce genre de conceptions n'est autre que celui DE DIVISER LES TRAVAILLEURS pour la lutte, d'isoler les travailleurs des "couches les plus exploitées" du reste de leur classe ».

Le raisonnement défie la logique, faisant défiler des considérations aussi éculées les unes que les autres...Quand parfois l'étudiant reconnaît implicitement l'existence de catégories privilégiées mais en restant vague8. Plus loin on trouvera le même raisonnement abscons et con pour esquiver la réalité de l'aristocratie ouvrière« La théorie suivant laquelle les partis de gauche et leurs syndicats seraient les défenseurs des intérêts d'une "aristocratie ouvrière" entretient d'une façon ou d'une autre l'idée qu'il s'agit tout de même d'organisations ouvrières, même si ce n'est que partiellement ». Les partis de gauche sont les représentants de l'aristocratie syndicaliste, et contrairement à ce que gribouille notre étudiant, quand un ouvrier affirme cela ce n'est pas pour considérer que ces cuistres sont encore ouvriers ! A moins d'être une nullité gauchiste. A-t-il jamais entendu parler des riches Comités d'Entreprises? Comme par exemple le comité d'entreprise d'EDF, une véritable mafia gérée depuis 1945 par les ingénieurs (les patrons) et les syndicats, surtout la CGT, où postes honorifiques, voyages, cessions de terrain avec les municipalités staliniennes sont historiques et discontinus jusqu'à ce jour. Pourrait-il nous apporter un tel exemple de vacances peu chères, d'octroi de postes sans aucun rapport avec l'industrie pour de soit disant représentants du personnel, dans la plupart des boites privées ou d'autres nationalisées?

Autre avantage non négligeable, les mineurs sont rattachés à EDF depuis toujours, à chaque fermeture ils ne risquaient pas le chômage mais étaient intégrés immédiatement dans les industries et agences d'EDF. Ce n'était en rien dû à une pression ouvrière, comme il le suppose dans sa naïveté d'étudiant, mais bien une prévenance de l'Etat bourgeois qui a appris depuis l'avant-guerre, sans oublier le danger bolchevik enfoui, qu'il faut créer non pas une simple "bureaucratie ouvrière" mais bien des fonctionnaires aristocrates qui cogèrent, participent pleinement aux décisions managériales comme aux décisions à la place des ouvriers. Je pense malheureusement que cette vision irénique d'une classe ouvrière pure, sans corrompus à la manoeuvre, provenait de Chirik qui avait bossé toute sa vie dans de petites boites avec un soupçon d'idéalisme qu'il avait transmis à son fils spirituel Raoul.

Avant d'être une classe historique (comme toutes les classes, sic!) le prolétariat existe sociologiquement (constat qui n'est pas apolitique), et les deux aspects ne s'opposent pas ! Si le capitalisme a multiplié les divisions dans la classe ouvrière cela n'a rien de flou que d'y inclure la notion d'aristocratie ouvrière. En plus ce n'est pas la conception qui divise les travailleurs mais l'usage qu'en fait la bourgeoisie ! Les avantages et le corporatisme des employés des banques, de l'EDF, de la SNCF sont bien réels et...historiques, comme je viens de le démontrer et le démonter. Le jeune étudiant Raoul n'était pas encore informé des incroyables concessions de la bourgeoisie française en 1945, début de la « reconstruction » où jamais autant d'avantages sociaux n'avaient été accordés. Les nationalisations si ce n'est pas la construction d'une aristocratie ouvrière, les usines Renault ne produisaient que des poupées en celluloïd ! La bourgeoisie est consciente de l'intérêt de mettre en place des privilèges pour les secteurs les plus concentrés et dangereux en cas d'explosion sociale. Hitler avait veillé durant toute la guerre à ce que ses soldats n'aient pas faim , au souvenir lancinant de l'insurrection à Berlin , plus militaire qu'ouvrière, qui avait stoppé la guerre mondiale. Poutine lui-même ne gouverne pas simplement par la terreur mais en maintenant de hauts salaires dans les secteurs stratégiques. La lutte pour les salaires n'est plus spécialement révolutionnaire9.

Les syndicalistes apparaissent en général aux yeux des ouvriers comme des gens qui se prennent pour l'élite. Un chef syndical à EDF peut passer automatiquement agent de maîtrise sans connaître le travail. En mai 68 l'aristocratie ouvrière (syndicale) a pour consigne d'empêcher la grève de ce secteur déterminant pouvant paralyser le pays.

Raoul aurait-il frôlé préventivement les délires wokistes, les racismes et anti-racismes divers, en ignorant qu'au temps du colonialisme il y avait en effet une classe ouvrière aristocrate blanche et pas « marxiste-léniniste » : 

« C'est ainsi par exemple que certains groupes développent parmi les travailleurs immigrés dans les pays les plus industrialisés d'Europe un racisme particulier qui remplace le racisme classique "anti-blancs" en un racisme "marxiste-léniniste" anti-aristocratie-ouvrière-blanche.  Dans des pays moins développés, exportateurs de main d’œuvre, c'est à faire de 1"'anti-ouvrier-qualifié" parmi les ouvriers les moins qualifiés que se dédient les défenseurs de cette théorie ».

Depuis 75 ans ce n'est pas pugilat qu'il s'agit dans les parties de la classe ouvrière mais de préservations corporatives. Depuis 75 ans chaque fois qu'une petite usine ferme à côté d'un service public on n'a pas vu leur agents soutenir les licenciés ; ou plutôt si, ce sont les appareils syndicaux, CGT en tête qui viennent apporter leur...soutien pour isoler encore plus les victimes des restructurations capitalistes. Et la dernière phrase en majuscules est complètement hors-sol politiquement...et sociologiquement.

 « Depuis 75 ans, lorsque les ouvriers luttent sur leur terrain de classe, ce à quoi on assiste, ce n'est pas à un pugilat entre fractions de la classe ouvrière, mais au contraire à une unification sans précédent dans l'histoire.  LE PROLETARIAT EST LA PREMIERE CLASSE DANS L'HISTOIRE QUI N'EST PAS DIVISEE EN SON SEIN PAR DE REELS ANTAGONISMES ECONOMIQUES ».

Et le récent scandale pour les privilèges dingues attribués aux agents de la SNCF pour une pré-retraite en or?

Lénine est autrement plus sérieux que le petit Raoul :

« La base économique du chauvinisme et de l'opportunisme dans le mouvement ouvrier est le même ; l'alliance des couches supérieures, peu nombreuses, du prolétariat et de la petite bourgeoisie, qui reçoivent les miettes des privilèges de "leur" capital national contre les masses ouvrières et contre les masses travailleuses opprimées en général".("La faillite de la II" Internationale)

Engels est aussi clairvoyant sur le recours par la bourgeoisie à la corruption des ouvriers10. Les masses en 1914 ne sont pas vraiment partie la fleur au fusil, comme l'ont démontré depuis des décennies plusieurs historiens. Cela signifie bien que des syndicalistes aristocrates à la suite d'un Gustave Hervé ont pesé pour l'entrée en guerre, avec l'argument de récupérer rapidement l'Alsace et la Lorraine.

La phrase de conclusion est la plus incongrue, qui se mord la queue avec tant de stupidité : « Rejeter les syndicats pour diviser autrement, c'est à cela que conduit l'anti-syndicalisme fondé sur "l'anti-aristocratie ouvrière"11.

Corrigeons, oui les termes "aristocratie ouvrière" ont une connotation dépassée, et continuer à les utiliser ce serait une concession au marxisme gauchiste qui qualifie les partis de la gauche bourgeoise de "partis ouvriers". Actualisons pour que Raoul comprenne mieux. Désormais je parlerai d'aristocratie corporative  et syndicale !

Enfin pour ma conclusion, l'incapacité du CCI à dénoncer plus largement un certain nombre de mystifications dans l'entreprise et hors de l'entreprise, qui salue le travail...syndical de Lénine, qui croit que la bourgeoisie « cherche à instrumentaliser la décomposition contre la classe ouvrière », est à côté de la plaque. La bourgeoisie ne cherche pas à instrumentaliser elle instrumentalise pas en soi avec sa démocratie fielleuse ni avec ses entraves syndicales, mais par le féminisme, l'islam qui remplace par endroits les syndicats, l'écologie, un modernisme qui dissout les classes, une négation du problème migratoire, des augmentations de salaires « quoiqu'il en coûte » aux secteurs dangereux pour l'ordre social, et. etc.

« Alors que la classe dominante cherche à instrumentaliser la décomposition de sa propre société contre la classe ouvrière et à créer une unité nationale derrière l'État par des campagnes sophistiquées pour défendre la démocratie, la classe ouvrière ne doit pas se laisser duper par ces campagnes idéologiques. Un véritable combat de classe ne peut se déployer qu’en se débarrassant des entraves syndicales et en comprenant que les intérêts entre Capital et Travail sont opposés, que ce système nous mène dans une impasse »12.

Hélas le CCI ne dit rien des principales campagnes idéologiques principales qui affectent le prolétariat. Il radote des généralités éculées jetées en l'air. Il n'est en rien subversif. Pire il ne sert à rien contrairement à son glorieux passé. Une organisation aussi vieille dans le mouvement marxiste, ça n'a jamais existé », disait Clara la veuve de Marc. Si elle existe. Et vivote dans ses charentaises.

NOTES

1LEFEBVRE_Henri_-_Critique_de_la_vie_quotidienne_I.pdf (monoskop.org) lisible donc sur le web et que je conseille vivement aux jeunes générations qui lisent ici.

2Cet écrit qui date de 1971 et auquel j'ai fait référence dans la première partie de cet article, prouve en tout cas que le concept de décomposition a été inventé par Lefebvre 30 ans avant le CCI, c'est à dire par Marc Chirik à la fin des années80, grand lecteur de Lefebvre mais seulement pour les citations, disait-il. Il faut rappeler quand même l'importance du travail de dénonciation d'Althusser,le philosophe principal des maoïstes ,par Lefebvre.

3Une mauvaise leçon de Marc Chirik, que j'avais questionné :

- Marc crois-tu qu'on peut faire confiance au prolétariat ? - oui il ne faut jamais douter du prolétariat ! Eh bien moi je doute du prolétariat aujourd'hui par exemple en Russie où il s'avère incapable de stopper la guerre.

4« Le Prolétaire appelle, tout d’abord, à une lutte pour mettre fin à « l’oppression par Israël des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie », ce qui exclut, par la suite, toute solidarité avec la classe ouvrière d’Israël qui est « prisonnière des avantages immédiats et complice de cette oppression ». Un autre groupe, le PCI (Il partito comunista), semble défendre des positions internationalistes convaincantes lorsqu’il écrit : « Nous devons appeler les prolétaires palestiniens et israéliens à ne pas se laisser berner par leur bourgeoisie […], à ne pas s’immoler comme chair à canon dans des guerres contraires à leurs intérêts ». Mais dans la phrase suivante, il ajoute : « Nous devons appeler les prolétaires Juifs israéliens à saboter l’effort de guerre de leur bourgeoisie impérialiste et génocidaire et à lutter contre leur bourgeoisie et contre l’oppression nationale de leurs frères de classe palestiniens ». (6) Il n’appelle donc pas ici à la solidarité internationale de tous les prolétaires... » ri-501_bat.pdf (internationalism.org)

7Une trentaine d'années plus tard j'ai porté à cette homme un exemplaire de l'histoire de SouB par Lucien Laugier que j'ai édité avec une longue post-face de ma part. Il me fît savoir avoir apprécié le texte critique de Laugier mais pas le mien. Je pense qu'il avait raison, j'étais très dur avec ce groupe, à la manière sectaire CCI. SOB avait été quand même une rare lueur révolutionnaire dans les fifties. C'était peu avant la mort de Jacquy, membre fondateur de RI éjecté puis traîné dans la boue. Tous deux habitaient le même groupe d'immeuble à Sceaux et j'ai regretté de ne pas les avoir fait se rencontrer. SOB avait des moyens éditoriaux plus riches que la pauvre GCF et produisait des articles plus denses et mieux argumentés, même si on ne doit pas oublier la plus grande clarté politique de cette Gauche Communiste de France.

8 « Mais, il faut pour comprendre de tels miracles ne pas avoir les yeux fixés, tels les sociologues, sur la réalité IMMEDIATE de la classe ouvrière LORSQU'ELLE NE LUTTE PAS.  Lorsque le prolétariat ne lutte pas, lorsque la bourgeoisie parvient à subvenir au minimum social nécessaire pour la subsistance des ouvriers, ceux-ci se retrouvent effectivement totalement divisés. » Et ce n'est pas une division en général, il faut préciser : privé, public, fonctionnaires, petits boulots, chômeurs...

9Le salaire reste la première source de préoccupation des travailleurs français en 2024, révèle une étude du cabinet Randstad, leader mondial dans le secteur des ressources humaines. Cette année, près d'un salarié sur deux (43%) déclare qu'une rémunération trop faible face au coût de la vie reste le principal motif pour changer d'employeur, tout comme en 2023. Une raison qui demeure d’autant plus importante que le pays a traversé des mois de forte inflation. Deux travailleurs sur cinq affirment n’avoir reçu aucune compensation par rapport à la hausse des prix et parmi eux, près de la moitié envisage de quitter leur employeur.

10En 1892, Engels écrit que le capitalisme anglais était passé à une nouvelle phase après 1848 : délaissant les petits profits tirés de l’escroquerie de ses clients et des ouvriers, les capitalistes étaient passés à une exploitation en grand, couverte par le pouvoir d’État et nécessitant une certaine stabilité sociale. Ce faisant, il était tolérable d’augmenter les salaires et d’améliorer la situation de certains ouvriers, afin d’éviter les grèves et de régulariser la production. Cela permettait d’augmenter les profits de l’ensemble des capitalistes en tant que classe par l’augmentation de la production, et non en se battant sans fin contre les ouvriers et les concurrents ».

11Ce texte navrant publié en 1981 est republié tel que par le CCI en 2005 !!! bravo pour cet historique de la bêtise ! R.V. revue Int. 1981