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mardi 20 août 2024

Le Stalinisme, la Collectivisation et la Grande Famine (deuxième partie)

   


 Suite passionnante: vous l'aurez remarqué, Andrea Graziosi non seulement renouvelle l'étude du déroulement de la contre-révolution, rejetant l'hystérie bourgeoise qui charge systématiquement le parti bolchevique de toutes les horreurs, en majeure partie dues à une société arriérée, mais il souligne comme notre maximalisme l'erreur de s'être emparé de l'Etat, et, en même temps le souci de responsabilité de Lénine grâce à la NEP et au traité de Brest-Litovsk (que les néo-anars comme Sabatier avaient dénoncé stupidement comme "coup d'arrêt à la révolution). Olivier moi avions été lui porter la contradiction à la fin des années  1970 lors de la sortie de sa plaquette aux Cahiers Spartacus).

Et surtout plus étonnant, dépassant nos superficielles analyses sur la décadence, il 'utilise pas cette notion mais "régression" du fait de la guerre de 1914. Remarque fondamentale qui détruit toute la pesante idéologie bourgeoise qui accuse systématiquement la révolution en Russie. Oui famine et massacres ne sont pas à mettre simplement sur le dos de Staline! L'ensemble du capitalisme est entré en régression historique et les démocraties ont laissé faire famines et massacres pendant 50 ans!

JLR

traduction: Jean-Pierre Laffitte

(...)

En juillet, alors que, selon, Rakovski, il y a eu plus de 200 révoltes en 20 jours, ce mouvement a atteint son deuxième apogée (le premier, en décembre 1918, a coïncidé avec la chute de Skoropadski)43. Il est bien connu que ces révoltes, et plus souvent les actions de bandes d’insurgés, étaient accompagnées par un certain nombre de pogroms antisémites féroces. La population urbaine russe a joué un rôle actif dans certains d‘entre eux, et, dans les semaines qui ont suivi, les troupes de Denikine ont encore perpétré de nouveaux massacres. Cependant, du moins dans le cas des pogroms populaires et paysans, nous avons affaire, je crois, aux conséquences de l’explosion du “national-socialisme” spontané mentionné ci-dessus dans des conditions de régression générale et de barbarisation[44]. En août, les bolcheviks ont été vaincus. Les partisans et les paysans  ukrainiens ont alors dirigé leur fureur contre Denikine, qui avait été capable de conquérir l’Ukraine en partie grâce à la politique erronée des bolcheviks contre leur propre armée de partisans et aux “trous” ouverts dans le front Rouge par la révolte de Hryhoriv et la persécution de Makhno[45].

Il a souvent été soutenu que les révoltes paysannes de 1918-19 n’ont exprimé clairement aucun programme unifié, et que les mouvements ruraux en général seraient, par définition, incapables d’élaborer des programmes. Mais, s’il est vrai que nous avons affaire à de fortes variations régionales et nationales, de même qu’à de nombreuses nuances idéologiques différentes prenant racine dans les différentes visions du monde des leaders paysans et des atamans, le fait que les villages aient exprimé à l’époque une série de requêtes montrant une homogénéité surprenante me semble indéniable. Les points principaux de ce “programme” commun étaient les suivants :

 

a)   Le tcherny peredel [le partage noir]. En Russie, c’était souvent la commune paysanne (obchtchina) qui le réalisait, et qui retrouvait ainsi un nouveau souffle. En Ukraine ou en Sibérie, ce sont les assemblées paysannes et d'autres institutions traditionnelles qui s'en chargeaient.

b)  La fin des réquisitions, du monopole d’État sur les céréales et sur les autres denrées alimentaires, et le retour à un marché libre. Aussi inhabituel que cela puisse paraître, à cette époque, les révoltes paysannes se déroulaient sous la bannière du libre-échange. Cependant, celui-ci était généralement identifié au marché local[46]. Les paysans demeuraient fermement opposés à la “spéculation” “étrangère” et aux “spéculateurs” et ils établissaient ainsi une distinction qui correspond bien à celle entre marchés et capitalismes introduite par Braudel dans The Wheels of commerce [Les roues du commerce].

c)   Des soviets libres, c'est-à-dire l’autonomie politique. Partout, cela signifiait des soviets sans communistes. Dans les premières limites du village, les juifs et les Moscovites (moskali, c'est-à-dire les étrangers) ont été ajoutés à la liste. L’extrême popularité de ce slogan en 1919 (les cosaques anti-bolcheviks avaient déjà été “prosoviétiques” en 1918) indique que, en 1918-19, le mythe soviétique s’était fermement implanté dans les campagnes (son attrait provenait probablement de la capacité à décider – par exemple, en matière de paix et de terres – en association avec les soviets après la révolution d’Octobre). La Sibérie occidentale et l’Oural, où résonnaient en 1919 des slogans en faveur de l’Assemblée constituante, et Tambov, où Antonov la contestait encore en 1921, étaient des exceptions majeures.

d)  Pas de sovkhozes et pas de communes imposés d’en haut (il ne s'agit bien entendu pas de communes paysannes). Ce concept s'énonçait également comme un non à la nationalisation et un oui à la socialisation de la terre, le premier étant souvent identifié à la réintroduction du servage et le second n'étant généralement qu'un sobriquet pour le partage noir. La haine des paysans envers les communes bolcheviques était si aiguë qu'elle rayait le terme même de communia du langage politique acceptable.

e)   Le respect de la religion, ainsi que pour les coutumes et les traditions locales et nationales.

 

En particulier, dans sa partie économique, ce programme pouvait être défini comme “socialiste-révolutionnaire”. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il s’agissait de l’expression précise et directe des revendications du PSR, qui, par exemple, n’incluaient pas les soviets libres. Cela ne signifiait pas non plus que le PSR, en tant qu’organisation politique, détenait la direction de l’insurrection paysanne. D’après les rapports du VChK, nous serions tentés de dire que ce programme exprimait ce que nous pourrions appeler l’idéologie socialiste-révolutionnaire générique (eserovchtchina) qui prévalait alors dans les milieux populaires, et souvent aussi intellectuels, russes, sibériens et ukrainiens [47].

La brutalité et la violence exceptionnelles pratiquées par toutes les parties impliquées a constitué une autre des caractéristiques essentielles de ces événements (dire cela ne veut pas dire que l’on devrait oublier qui était, à la fois en général et au cas par cas, l’agresseur).

De leur côté, les paysans et les bandes rebelles, qui disposaient souvent de leurs propres “unités spéciales”, ont commis des excès sauvages, symbolisés par les tortures médiévales infligées aux juifs. La profondeur des idées de Bounine et la réalité de la régression provoquée par la guerre et par les conflits civils et nationaux qui ont suivi ont été ainsi une fois de plus prouvées.

L’autre camp (les bolcheviks dans notre cas, mais les Blancs n’étaient jamais les derniers et ce sont eux qui souvent menaient le jeu), outre ses tortures systématiques pour réquisitionner les céréales, a même ressuscité les flagellations de masse à la Araktcheiev, dénoncées par Herzen et par Saltykov-Chtchedrine. En conformité avec les usages des temps modernes et de la Première Guerre mondiale, ces flagellations s’accompagnaient de la destruction de villages entiers (ceux qui étaient identifiés comme étant des « nids de bandits ») ; de l’exécution des otages (c'est-à-dire des proches des “bandits” présumés) ; de la décimation des hommes adultes (A. Kolegaïev, l’ancien commissaire socialiste-révolutionnaire russe à l’Agriculture, envoyé avec Rakovski en Ukraine au début de 1919, et qui est ensuite devenu un membre du soviet militaire révolutionnaire (RVS) du Front sud, s’est enquis du pourcentage d’hommes adultes exécutés dans la région du Don)[48], et des représailles massives. L’exécution de douzaines, voire de centaines, de paysans pour chaque communiste mort était souvent l’objet d’une menace et elle était parfois mise en pratique.

Une fois de plus avec l’exception possible de l’Asie centrale, cette férocité a atteint son pont culminant dans ce qui était alors appelé le Front du Sud : l’Ukraine orientale et méridionale, le Don et le Caucase du Nord[49]. Le fait qu’il s’agissait de zones céréalières majeures, et par conséquent du théâtre de réquisitions beaucoup plus rigoureuses, y est certainement pour quelque chose. Mais c’est le facteur national qui a joué un rôle encore plus important.

En raison de leur expérience de cette violence, l’évolution susmentionnée de la direction bolchevique dans ces régions s’est déroulée à un rythme beaucoup plus rapide. Dans un milieu où l’antagonisme entre le nouveau régime et une grande majorité des populations locales était particulièrement aigu, la cooptation d’éléments d’origine populaire, possédant peu ou pas du tout de bagage idéologique, mais qui étaient prêts à faire ce qui leur était demandé, a bientôt pris des caractéristiques tout à fait spécifiques. Elles étaient déterminées par un autre “facteur” loin d’être marginal : Staline. En tant que commissaire aux Nationalités et, par conséquent, responsable des territoires non-russes, et en tant que membre le plus influent du RVS du front Sud, Staline dirigeait sur place le processus de sélection mentionné ci-dessus. Ses produits ont été les Vorochilov, les Boudienny et les Evdokimov, souvent personnellement corrompus (par exemple, le père de cette “école GPU du Caucase du Nord”, qui était peut-être la matrice la plus importante des tortures et des tortionnaires des grandes purges)[50].

Ces hommes ont joué un rôle fondamental dans la formation de la suite personnelle de Staline et de ses méthodes. Bien sûr, d’autres suites personnelles se sont alors cristallisées autour d’autres dirigeants importants comme Trotski, mais elles étaient plus restreintes et moins cohérentes pour un certain nombre de raisons qui ne peuvent pas être discutées ici[51].

Très vite, l’usage du terme droujina (les compagnons du prince) qui renvoie au processus de formation de l’État à des époques révolues, m’a semblé approprié pour décrire ces phénomènes. C’était amplement justifié par les réalités de l’époque[52]. Ce n’est que plus tard que j’ai découvert que ces proto-staliniens, dans leurs lettres privées, s’adressaient aux autres avec le terme d’“ami” (droug) tout en réservant à Staline le titre de “notre principal ami” (nash glavnyi droug). Ce ne sont là que des mots et ils ne peuvent prouver la validité d’aucune hypothèse, mais je dois avouer que cette découverte m’a en même temps surpris et plu[53].

Il convient également de noter qu’une grande partie des cadres moyens et inférieurs de cette droujina étalent originaires des centres urbains du Donbass, dont le caractère “colonial” a déjà été mentionné. Au printemps de 1918, les gardes rouges de Lougansk, Kharkiv, Ekaterinoslav (aujourd'hui Dniepropetrovsk) et Makeevka (Makiivka), dirigés alors par Vorochilov, avaient fait retraite vers l’est devant l’offensive allemande. Ils se sont retrouvés à Tsaritsine (aujourd'hui Volgograd) où ils ont formé le  noyau de cette Armée X qui – comme Trotski l’a immédiatement remarqué – devait procurer à Staline un bon nombre de fidèles hommes de main.

Comme l’attestent les recueils périodiques (svodki) que le VChK avait commencé à préparer pour la direction bolchevique[54], la disparition du danger Blanc (également perçue par une grande majorité de la population rurale) et la politique de militarisation extrêmement impopulaire adoptée par le parti, ont été la cause en 1920 de l’explosion de l’eserovchtchina que j’ai déjà mentionnée. Je pense que l’on peut affirmer sans risque de se tromper que la plus grande insurrection paysanne depuis l’époque de Pougatchev a eu lieu à cette époque. Elle a atteint don apogée en 1921, et elle ne s’est apaisée qu’une année plus tard.

Les différences entre la Russie, l’Ukraine, la Sibérie et les pays cosaques, étaient à nouveau significatives. Elles avaient de nombreuses causes, allant des événements des années précédentes – il y avait eu des régions épuisées et des régions dont l’énergie était encore relativement inexploitée – à la diversité des politiques des bolcheviks. En Russie par exemple, les réquisitions ont été imposées à des villages entiers, ce qui a favorisé leur réaction unifiée. En Ukraine, au contraire, le gouvernement a suivi encore une fois l’approche des kombedy afin d’obtenir le contrôle d’un monde que les bolcheviks n’avaient pas été encore capables de pénétrer.

La combinaison de ces facteurs contribue à expliquer, je crois, à la fois la férocité des combats ukrainiens, qui opposaient souvent la majorité du village à sa minorité, et la faiblesse relative du mouvement ukrainien général en comparaison par exemple de celui de Sibérie occidentale (pour comprendre cela, il suffit de rappeler combien d’armées Makhno avait réuni entre 1918 et 1920 et combien de cadres et d’hommes il a perdu en luttant contre les Allemands, les bolcheviks, et Denikine).

Dans un document, qui a été récemment publié et qui provenait de l’État-major général soviétique du début de 1921[55], S. S. Kamenev rapportait à Trotski que trois types de “banditisme” étaient alors à l’œuvre :

 

1.   Six grands “feux” avec des milliers d’insurgés armés qui bénéficiaient du soutien actif de la population locale et qui pouvaient être rejoints par des milliers d’autres combattants si et quand la situation l’exigeait (c’est-à-dire l’Antonovchtchina dans la province de Tambov, avec environ 15 000 petites groupes[56] ; la Sibérie occidentale, avec 50 à 60 000 rebelles armés ; l’Ukraine de la rive droite, avec environ 2 500 partisans, principalement des nationalistes ; l’Ukraine de la rive gauche, où Makhno commandait encore près de 1 500 hommes ; l’Asie centrale, avec ses quelque 25 000 à 30 000 “basmatchi[57] ; et le Daghestan, où près de 5 000 rebelles opéraient au printemps 1921)[58].

2.   Une pluralité de bandes plus ou moins importantes qui agissaient sur tout le territoire national, qui étaient liées à la population locale, mais qui ne bénéficiaient pas de son soutien actif.

3.   Un banditisme criminel au sens propre du terme, dont la répression était fortement soutenue par la paysannerie.

 

En réalité, la première catégorie aurait dû inclure le Kouban, où une grande révolte, déclenchée à l’été 1920, venait d’être réprimée, et toute la partie orientale de la côte de la mer Noire, qui, au printemps 1921, était encore en partie contrôlée par les “Verts”[59].

Comme en 1919, les révoltes et leur répression ont été toutes deux extrêmement brutales. En hiver, les paysans sibériens arrosaient d’eau les communistes et les prodotriady qu’ils capturaient dans le but de les transformer en statues de glace pour l’“éducation” de leurs camarades. Quelques mois plus tard, en juin 1921, Toukhatchevski menaçait de gazer les “bandits” qui se cachaient dans les bois de Tambov, contre lesquels le gaz a certainement été employé en août[60].

Plus généralement, les communistes ont recouru, à une échelle qui excédait celle de l’année précédente, à des exécutions de masse de plusieurs centaines d’individus. Parfois, cela était fait ouvertement. À Tambov par exemple, des groupes composés de vingtaines d’otages ont été exécutés à plusieurs reprises à de courts intervalles sur les places principales des villages afin de “convaincre” les habitants de la nécessité de dénoncer les “bandits” et leurs familles. Dans d'autres cas, le secret était de mise et les victimes étaient tuées par des tirs de mitrailleuse devant des fosses communes ouvertes. À la fin de 1920 par exemple, le gouvernement a conféré l’Ordre du Drapeau rouge à Evdokimov, dont il a déjà été fait mention. L’ordre du jour(*)secret, rédigé par Frounzé, louait les performances de l’“expédition” d’Evdokimov, lequel avait exécuté près de 12 000 personnes en quelques jours[61]. Dans ce cas particulier, les individus exécutés étaient des Blancs, et non pas des paysans. Evdokimov était cependant à la tête du département spécial du Front du Sud, il avait été engagé dans des combats avec des rebelles paysans au cours des mois précédents, et peu après il avait codirigé la liquidation du “banditisme” ukrainien (comme nous le verrons, il a également dirigé en 1930 la répression des révoltes anti-collectivisation dans le Caucase du Nord).

À la fin de 1920, Ordjonikidze, Kossior et d’autres dirigeants,  ont organisé ce qui est probablement la première déportation de masse des éléments “peu fiables” des villages. Des milliers de cosaques, répartis en trois catégories sur la base de leur supposée “dangerosité” ont été alors déportés vers le Nord. Quelques mois plus tard, cette pratique a été reprise et perfectionnée par Antonov-Ovseenko et Toukhatchevski à Tambov. C’était sur cette expérience que Staline s’est appuyé lorsque, dix ans plus tard, il a décidé d’étendre le même traitement à l’ensemble du pays avec la dékoulakisation[62].

Les répressions de cette ampleur étaient généralement l'apanage des unités spéciales créées au cours des années précédentes. En 1921, les services spéciaux des différentes armées, les détachements de l’armée pour le ravitaillement, les unités spéciales, les troupes du service intérieur, etc., comptaient plusieurs centaines de milliers d’hommes, parfois d’origine très douteuse (des déserteurs et d’autres types de délinquants étaient utilisés pour compléter leurs rangs). Parfois, l'armée était appelée à intervenir, mais chaque fois que cela a été possible, le choix s’est porté sur des unités choisies comme la cavalerie de Boudienny, employée contre Makhno et les villages ukrainiens qui le soutenaient. Ce n'est que dans les cas les plus graves, comme à Tambov, que des troupes régulières ont été déployées[63].

Même si les marges d’erreur sont particulièrement élevées dans ce cas, il est raisonnable supposer que, entre 1918 et 1921, les victimes des combats et de la répression dans les campagnes se sont comptées par centaines de milliers[64].

C’est cette ampleur même qui a incité le parti à essayer de comprendre son ennemi. Ceci peut expliquer pourquoi, entre la fin de 1920 et le début de 1921, les communistes ont analysé la situation sociale et économique dans les campagnes avec une certaine perspicacité. C’est pour des raisons évidentes que le KP(b)U est allé encore plus loin. À bien des égards, ses résolutions étaient plus proches des études de Chayanov[65] que des analyses de classe de la tradition marxiste et des documents officiels ultérieurs.

En fait, ces résolutions présentaient la campagne – dont la part de la population avait atteint de nouveau la barre de 86 pour cent datant de 1897 – comme le royaume de « la petite économie paysanne du type consommateur naturel », le produit même de la “régression” historique mentionnée plus haut. Et elles parlaient d’un village transformée en « un “État” de type féodal, indépendant et auto-suffisant », qui était hostile au nouveau régime bolchevik et prêt à le combattre non seulement pour la terre, mais aussi « pour l’équivalent de son propre travail » (c'est-à-dire à ne pas renoncer docilement aux fruits de son labeur, déjà grandement réduits par la guerre et les réquisitions, qui avaient provoqué une diminution de 30 pour cent des terres cultivées et d’énormes pertes d’animaux, de machines, d’outils, et ainsi de suite )[66].

Ces “nouveaux” villages se trouvaient face à un parti bolchevik qui, à son tour, avait été profondément affecté par trois années de guerre contre les Blancs et contre la grande majorité de la population[67], ainsi que par le processus de construction de l’État qui avait été mis en œuvre dans des conditions extrêmes. En son sein s’était cristallisé un noyau dur et militarisé de quelques dizaines de milliers de personnes. Il était dirigé par un groupe très restreint de grands chefs qui avaient pu survivre aux vicissitudes de 1918-1921.

Ainsi qu’en témoignent les protocoles du Politburo, ce groupe – environ une centaine de personnes, parmi lesquelles Trotski a été très tôt un homme isolé – a continué à diriger le parti jusqu’au milieu des années 1930[68]. En conséquence, il a partagé la responsabilité collective dans les choix fondamentaux opérés à la fin des années 1920 et au début des années 1930, ce qui explique au moins en partie pourquoi tous les efforts de réforme, jusqu’au dernier,  entrepris en URSS après 1953 se sont attaqués au stalinisme violent des purges mais ont laissé intacte la période fondatrice précédente.

L’idéologie concernant ce parti au sein du parti a été également profondément transformée par le “guerre civile”[69], laquelle a “sélectionné” certaines de ses parties originelles, tout en rendant d’autres obsolètes et en leur trouvant de nouveaux substituts. Bien au-delà de l’empreinte de l’expérience militaire en tant que telle, les événements de 1918-1922 ont rendu acceptable un niveau extraordinaire de coercition vis-à-vis de la population et ils l’ont imposé comme étant nécessaire. Un profond dégoût et même de la rancune à l’égard de la démocratie en général – et pas seulement envers la démocratie ”bourgeoise” – se sont ainsi emparés de ce groupe de personnes et des expressions comme « échec de la démocratie (krakh demokratsii) », faisant référence à la fois aux “partis petits-bourgeois” et à l’idée même de la démocratie, sont devenues des lieux communs qui résumaient les leçons de la guerre (les dirigeants bolcheviks entendaient par là l’inadéquation totale, et même la nocivité, de l’idée même de la démocratie dans la “réalité” que la “guerre civile” avait mise à nu devant leurs yeux, dissipant leurs illusions d’avant 1917).

Dans les régions non-russes, ce krakh était accentué par le facteur national[70]. Son fond commun était cependant la peur éprouvée par le nouveau régime à l’égard de ses “sombres” masses paysannes, dont l’on ne pouvait pas douter de l’hostilité (incidemment, les dirigeants mencheviks tels que Martov partageaient eux aussi ce sentiment, convaincus qu’ils étaient que la politique bolchevique avait provoqué un glissement radical vers la “droite” des masses rurales)[71].

Un culte insistant de la force de la volonté, de la détermination, et du chef – le vojd’ –, était le pendant(*) naturel de ce dégoût envers les masses et de l’image de soi comme étant celle d’un groupe isolé et souvent détesté de “conquérants” (c’est le terme employé par Lénine). Comme dans le cas du mépris à l’égard de la démocratie, ces idées étaient bien sûr présentes dans le bagage idéologique originel des bolcheviks. Mais, avec le temps, elles étaient devenues quelque chose de différent et elles avaient acquis une nouvelle qualité. Pour Petrovski, un ancien député bolchevik à la Douma et, en 1921, le président du nouvel État ukrainien, le communisme était devenu « une simple question de gouvernement fort et de détermination à exécuter sa volonté ». Beaucoup d’autres s’étaient convaincu que les paysans, comme les paysans soviétiques, ne pouvaient être “attachés” au socialisme que par des chaînes, ainsi qu’Ordjonikidze le rappellera en 1930[72].

Ces évolutions sont bien illustrées par l’histoire inattendue d’un mot – konspiratsiia – qui mérite un petit détour. Les bolcheviks d’avant 1917 employait ce terme pour désigner l’ensemble des règles de secret et de codes de conduite qui régissaient leur conspiration clandestine contre l’autocratie tsariste, menée au nom du peuple opprimé. Mais une fois au pouvoir, le terme n’a pas été abandonné. Konspiratsiia est alors devenue le nom officiel  du rideau de mesures de secret par lequel le nouveau  régime “socialiste” couvrait ses activités aux yeux de la population hostile, contre laquelle toutes sortes de défenses devaient être déployées[73].    

Naturellement, ce fond idéologique commun n’excluait pas de profonds contrastes et n’empêchait pas le développement de stratégies politiques différentes. Il a été aussi le point de départ d’évolutions psychologiques différentes au sein de la direction bolchevique. Au moins une partie d’elle, qui coïncidait souvent, mais pas toujours, avec sa fraction intellectuelle, considérait cette inimitié féroce avec une population qu’elle avait rêvé de libérer comme une tragédie personnelle, et elle tirait de cette contradiction (ainsi que d’autres causes, comme le recours à la violence à grande échelle) une forte fragilité psychologique – ce qui est bien attesté par les documents.  Cette faiblesse était généralement maîtrisée et elle n’empêchait pas l’execution de la politique du parti. Cependant, elle survenait dans des moments de tension ou sous l’influence de l’alcool, et elle provoquait dans la vie de tous les jours des comportements incontrôlés qui étaient autrefois qualifiés d’“hystériques” et qui étaient certainement jugés comme tels par ceux qui n’avaient pas de problèmes similaires[74].

Parmi ces derniers, il y avait certainement beaucoup d’hommes apparentant à la droujina stalinienne, laquelle était déjà en 1920 une composante importante de la direction centrale bolchevique. Le rôle de son chef était au moins aussi important. En fait, en examinant les documents de cette époque, il est difficile de croire que pendant une longue période, peut-être sous l’influence des écrits auto-consolateurs ultérieurs de Trotski, les chercheurs aient pu sous-estimer le statut de Staline avant 1924[75].

Certes, le rôle de Staline dans la guerre n’était pas comparable même de loin avec celui de Trotski. Mais les choses sont différentes en ce qui concerne le parti. Comme nous le savons maintenant, Staline non seulement jouissait déjà d’un soutien personnel large et varié, mais il dirigeait aussi personnellement les régions non-russes du nouvel État et il a utilisé sa position après juillet 1919 comme lieutenant de Lénine (c'est-à-dire comme successeur de Sverdlov) pour acquérir un statut encore plus important en tant que futur dirigeant du parti militarisé. C’est ainsi que très vite Staline a commencé à devenir le “Grand Staline”, l’homme fort et raisonnable vers qui tout le monde pouvait se tourner dans les années 1920 afin de discuter de problèmes personnels et politiques (ce “tout le monde” incluait bon nombre des “hystériques” mentionnés ci-dessus). Ce n'est pas un hasard si, au début de 1921, le VChK a adressé le premier d’environ une douzaine d’exemplaires de ses rapports secrets périodiques sur l’état du pays à Lénine et Staline, et le second à Trotski et Sklianski[76].

Au cours de ces mêmes mois du début de l’année 1921, ce parti militarisé, mais aussi épuisé et incertain, a senti qu’il n’avait que deux choix : « soit, sans attendre l’aide de la classe ouvrière européenne (…) déclencher une guerre civile ouverte contre la masse de la paysannerie (…), ou bien, en faisant des concessions économiques à la paysannerie, renforcer la base sociale du pouvoir soviétique grâce à un accord avec les campagnes… »[77].

 

 

ENTRACTE (TRÊVE), 1922-1927

 

Une fois de plus, grâce à l’intervention personnelle de Lénine, c’est la seconde possibilité, c'est-à-dire la NEP, qui a été choisie. Il semble que ce choix ait été précipité au début de février 1921 par les rapports sur l’Antonovchtchina, plutôt que par les rapports ultérieurs sur Cronstadt, qui confirmaient une décision déjà prise[78]. Ce choix ne s’est cependant pas fait sans opposition : surtout, mais pas exclusivement, sur le front Sud, la résistance a été beaucoup plus forte que nous avons l’habitude de le penser. Comme Osinski l’a écrit à Lénine en mai, « le point de vue des “comités de réquisition des paysans pauvres” » prévalait parmi les dirigeants locaux qui considéraient les paysans comme des « saboteurs naturels du pouvoir soviétique » et pensaient que l’impôt en nature (prodnalog) était une ruse temporaire pour apaiser les villages. Ces dirigeants fixaient souvent ce nouvel impôt à des niveaux très élevés, en maintenant de facto la réquisition précédente, et ils ont continué à imposer des corvées de masse. En fait, des expressions comme « l’exécution des réquisitions » étaient employées dans les svodki du VChK de l’été 1921 : il n'est donc pas surprenant que les mêmes svodki, tout en notant que les villages appréciaient le contenu de la NEP, ajoutaient que les paysans l’accueillaient avec méfiance[79].

Ceci a engendré des contradictions majeures dans la mise en œuvre de la nouvelle politique. Ces contradictions auraient suffi à retarder de quelques mois son véritable début. Leurs conséquences ont cependant été amplifiées par celles de la famine qui a frappé le pays au début de l’été de 1921.

Cette famine a exterminé près de cinq millions de personnes et elle a duré jusqu’en juin 1922. La sècheresse y est certainement pour quelque chose. Pourtant, de nombreux documents et études prouvent au-delà de tout doute raisonnable que, parmi les facteurs décisifs, il y a eu les réquisitions des années précédentes, lesquelles ont provoqué une diminution de la production et de la quantité des terres cultivées, et la répression brutale des révoltes rurales, qui ont dévasté des villages et des régions entiers. C’est à cause de cela que la faim a été particulièrement grave dans certaines régions touchées par les plus grandes révoltes paysannes, comme la Basse et la Moyenne Volga, ainsi que l’Ukraine méridionale (qui ont été également frappées par la sècheresse)[80].

Les dirigeants bolcheviks savaient d’ailleurs très bien que leur politique pouvait avoir de telles conséquences. En 1920, par exemple, Rakovski a écrit que les réquisitions de 1919 avaient causé un certain nombre de famines locales en Ukraine. Au début de l’année 1921, la famine locale provoquée par « les folles réquisitions de l’année précédente » était citée parmi les causes de la révolte de Tambov. Paysans et ouvriers partageaient cette conviction et ils tenaient le régime pour responsable d’une famine que – nous les entendons le dire dans des rapports de police – le pouvoir soviétique employait pour les tuer[81]. C'est ainsi qu’a commencé à l’été 1921 une nouvelle vague de troubles de masse liés à la faim, lesquels étaient à bien des égards la continuation directe de ceux qui avaient été dirigés contre le communisme de guerre.

Au cours des mois qui ont suivi, la faim et les maladies, davantage que la répression, ont lentement étouffé ces troubles. Mais il a fallu attendre le début de l’été 1922 pour que les svodki de police signalent un tournant décisif et positif pour le gouvernement (cela a également été le cas dans les villes qui, en juin, avaient été le théâtre de la dernière grande vague de grèves)[82].

C’est pourquoi cette famine doit être considérée comme faisant partie intégrante de la guerre de l’État contre les paysans, à laquelle nous avons affaire. Et c’est pourquoi, si le changement de politique de Lénine a certainement joué un rôle majeur, cela a été plutôt la grande famine de 1921-1922 qui a clos la période ouverte par 1918 ou, mieux, par 1914. Ce fait, déjà noté par quelques chercheurs comme Roger Pethybridge, est confirmé aujourd'hui par des preuves d’archives et il soulève la question de la révision de la chronologie acceptée[83].

La véritable NEP n’a par conséquent duré que cinq années, et nous devons nous souvenir que, jusqu’en 1923-24,  il y a eu encore des famines et des révoltes d’ampleur certes locale, mais tout de même non négligeable. Comment, de notre point de vue, cette très brève période, qui a fait l’objet de tant d’études et qui a suscité tant d’espoirs, doit-elle être interprétée ?

L’on a soutenu que la NEP était un compromis entre les forces qui étaient sorties victorieuses de la précédente Période de troubles. Ce compromis aurait peut-être pu tenir. Mais, étant donné les équilibres fragiles sur lesquels il reposait et les profondes animosités qui le sous-tendaient, cela dépendait des choix des pouvoirs en place – lesquels avaient l’initiative. Le départ prématuré de Lénine, peut-être le seul dirigeant intéressé à la préservation de ce compromis et capable de le défendre, a irrémédiablement affaibli cet hypothèse (outre le fait d’être un faible, Boukharine s’est converti relativement tard à cette politique, Djerzinski n’était pas, selon ses propres termes, un dirigeant politique, etc.).

Il faut également rappeler que les deux acteurs les plus importants sur le terrain (trois, si l’on prend en compte les nationalités) œuvraient résolument en fonction d’ordres du jour très différents. D’un côté, au moins à partir de 1923-24, la politique économique de l’État soviétique se concentrait sur des rythmes de croissance élevés et déséquilibrés de l’industrie lourde, ouvrant ainsi la voie à une crise d’approvisionnement. De l’autre, la politique d’“indigénisation” (korenizatsiia) menée avec vigueur par les Républiques non-russes nourrissait l’animosité des minorités russes. Enfin, la paysannerie tentait d’imposer ses propres vues sur le développement du pays.

Cela a été possible parce que, au moins du point de vue socio-économique, la NEP a été en partie une victoire de cette eserovchtchina, à laquelle on a fait référence à plusieurs reprises. Cela est bien illustré par le Code foncier de la RSFSR de décembre 1922, ainsi que par le fait que, parmi les éléments principaux, nous trouvons le chernyi peredel (en Russie, l’obchtchina paysanne contrôlait maintenant 95 pour cent des terres), le libre-échange local, et une grande liberté d’action pour l’artisanat et la petite industrie[84]. La grande industrie demeurait contrôlée par l’État, mais cela n’était pas en contradiction avec les principes de l’éventail des idéologies auquel nous sommes confrontés. En réalité, étant donné son orientation populiste et socialiste, le contrôle d’État de la grande industrie faisait partie intégrante de cet éventail, ainsi que le programme officiel de l’Antonovchtchina le prouvait[85].

Bien que d’une façon plus contradictoire et limitée, la NEP répondait aussi aux aspirations des paysans dans les questions relatives à leur patrimoine culturel traditionnel. L’exemple le plus frappant est fourni par le national-communisme des années 1920, et, en particulier, par sa version ukrainienne, laquelle était l’héritière directe de la leçon que 1919 avait donnée aux bolcheviks.

Dans la mesure où les paysans étaient concernés, au moins du point de vue de ses fondamentaux économiques, la NEP était une démonstration vivante que – selon les termes de Michael Confino – « leur utopie a fonctionné »[86]. Ils ont recommencé à faire ce qu’ils avaient fait avant 1917, en reprenant leur participation active et spontanée à l’urbanisation –  du type sans séparation tranchée entre la ville et le village – et à l’industrialisation. Cela est amplement démontré, entre autres, par les données concernant les migrations paysannes saisonnières et la véritable explosion des industries artisanales, stimulée par la concentration progressive de l’État sur le renforcement des moyens de production. Au niveau politique cependant, les bolcheviks n’ont pas cédé un pouce de leur pouvoir, tandis que nombre de leurs choix dans le domaine de la politique économique étaient en contradiction avec le compromis sur lequel la NEP reposait, aggravant de ce fait les effets des souvenirs encore vifs du communisme de guerre.

Sous leur relative tranquillité, les années 1920 ont été ainsi marquées par une hostilité cachée et pourtant palpable qui opposait l’État à la campagne. C’est à sa grande surprise qu’un collègue russe a récemment découvert, dans les documents que les villages envoyaient à Kalinine, que, même au plus fort de la NEP, « des évaluations très amères et pessimistes de la politique soviétique dans les campagnes étaient la règle et la critique positive l’exception… La brouille et la méfiance étaient les conséquences les plus importantes de cette politique ».

Nous savons désormais que les dirigeants soviétiques connaissaient très bien cet état des choses : les svodki de l’OGPU, ceux de la direction politique de l’armée portant sur les recrues paysannes, et un certain nombre d’autres sources, leur fournissaient un tableau sans ambigüité.

Les paysans, qui étaient de facto, et en partie de jure, privés de leurs droits, se sentaient comme des citoyens de seconde classe et ils étaient profondément mécontents de la façon dont ils étaient traités par les patrons locaux, qui continuaient souvent à apprécier les styles et les comportements “communistes de guerre”. Lors des réunions publiques, les paysans demeuraient silencieux. Mais une fois seuls, ils se plaignaient des impôts et des approvisionnements, ils dénonçaient les mesures qui entravaient le développement de leurs exploitations familiales, ils s’opposaient aux nominations faites d’en haut, ils demandaient des élections, en particulier au niveau local, et ils réclamaient la même protection sociale que celle que les lois garantissaient formellement aux ouvriers. Et ils continuaient à exprimer ces demandes et ces plaintes en termes “socialistes-révolutionnaires”[87].

Le régime, qui avait liquidé le PSR lors du procès de 1922, avait peur, il persécutait toute expression des sentiments paysans et il faisait de son mieux pour empêcher la formation de syndicats paysans dans les villages (c'est-à-dire ces Sojuzy trudovogo krest’ianstva qui avaient été le squelette de l’Antonovchtchina). Une minorité de dirigeants bolcheviks était en effet, au moins partiellement, en train de changer d’avis. Et pourtant la prise de conscience de l’impopularité du régime et de l’antagonisme entre son programme et les espoirs ainsi que les comportements des paysans ont fait comprendre à la plupart des hauts responsables que, tôt ou tard, ils devraient à régler leurs comptes à la fois avec les paysans et avec les paysans-ouvriers, tout en neutralisant les paysans-soldats[88].

Ce règlement de comptes a démarré au début de 1928. Les hommes rassemblés autour de Staline, renforcés par la liquidation de la dernière opposition et stimulés par les échecs répétés sur le front international, étaient confrontés à une crise d’approvisionnement alimentée par la contradiction entre leurs ambitions et leurs peurs, ainsi qu’entre leur politique économique et les réalités et les besoins du pays. Ils ont décidé d’y remédier en ayant recours aux “vieilles” méthodes de 1918-21 : les réquisitions, la violence et les tortures.

Cette politique a déclenché immédiatement une vague de protestations paysannes. Les recrues de l’armée ont été par exemple submergées par une avalanche de lettres de colère venant de chez elles et qui se plaignaient des nouvelles mesures. Selon les svodki du Politupravlenie armii, cette avalanche a pris naissance en Ukraine et dans le Caucase du Nord – où elle a pris des proportions considérables – pour ensuite s’étendre à d’autres districts militaires, confirmant ainsi le rôle particulier joué par les régions non-russes dans la résistance à la politique stalinienne. Les 5 000 hommes de la garnison de Novotcherkassk ont reçu des milliers de lettres en une seule journée[89].

Tout d’abord, l’initiative de Staline a aussi rencontré une résistance considérable à l’intérieur du parti et elle a été temporairement interrompue en 1928[90].

La brève accalmie qui s’est ensuivie n’a pas cependant modifié substantiellement le cours des événements. En quelques mois, l’opposition de “droite” avait été vaincue et Staline a été libre de poursuivre sa politique antérieure avec une vigueur renouvelée. L’on peut dire par conséquent que le second acte de la guerre paysanne soviétique a été précipité par une poussée venant d’en haut. Il était donc complètement différent du premier acte ; l’initiative était désormais entièrement entre les mains de l’État et le second joueur a réagi, avec une vigueur décroissante, aux attaques dirigées contre lui.

Je pense que l’on peut affirmer que Staline a consciemment décidé de rouvrir le conflit avec la paysannerie, lequel avait été reporté en 1921. En fait, l’exclusion des paysans du rationnement, réintroduite en 1928-29, a été en soi une déclaration de guerre indirecte[91]. Mais nous disposons aussi de preuves directes que la direction soviétique savait ce qu’elle faisait, même si elle ne pouvait pas prévoir comment le conflit allait évoluer, ni comment il allait être résolu. Je citerai un échange entre Boukharine et Vorochilov lors du plénum du Comité Central de juillet 1928. Le premier, qui avait demandé à ceux qui étaient présents d’imaginer « un État prolétarien dans un pays petit-bourgeois qui refoule par la force les paysans dans les communes » a été alors interrompu par Vorochilov dans ces termes : « Comme en 1918-1919, par exemple ». « Alors vous aurez une insurrection paysanne », a été la réponse de Boukharine[92].

Comme nous le savons à partir des rapports de ses conversations avec Kamenev, Boukharine s’est alors rendu compte que c’était précisément ce à quoi les staliniens s’attendaient, convaincus, comme ils l’étaient, que cette fois – contrairement aux sept années auparavant – ils pourraient facilement réprimer de telles révoltes (le fait de faire couler le sang n’était pas considéré comme un problème, ajoutait Boukharine)[93].

L’on peut ajouter que Staline savait aussi que la combinaison de réquisitions excessives avec de gros investissements industriels financés par des exportations massives de céréales pouvait, en quelques années, provoquer une famine “artificielle”. En fait, il l’avait d’ailleurs déjà dit en décembre 1925 dans d’un échange polémique lors du XIV° Congrès du parti[94].

Il est plus difficile d’expliquer pourquoi les directions national-communistes, et en particulier la direction ukrainienne, ont soutenu la volte-face anti-paysanne de Stalin. Comme je l’avais déjà présumé[95], un rôle important a été joué par la désillusion qu’ont connue toutes les élites nationalistes dans leurs relations avec leur propre paysannerie au cours de la “guerre civile”. Beaucoup espéraient alors qu’une industrialisation rapide, accompagnée d’une urbanisation, aurait construit en quelques années une base beaucoup plus solide pour l’effort national, en résolvant une fois pour toutes le problème “maudit” du caractère colonial des centres urbains les plus importants des républiques.

 

 

DEUXIÈME ET DERNIER ACTE, 1928-1933

 

Des documents récemment découverts nous permettent de suivre, presque au jour le jour, le développement de l’attaque que l’État a lancé contre la paysannerie avec la dékoulakisation et la collectivisation. Je pense naturellement aux svodki de l’OGPU qui étaient alors produits aussi souvent que quotidiennement, aux rapports des responsables du TsIK[96], à ceux des secrétaires locaux du parti au Comité Central, etc.

Certains de ces documents, comme les rapports de Vareikis sur la Région centrale des Terres Noires, de Balitski sur l’Ukraine, les svodki récapitulant les données de 1930 relatives à la dékoulakisation, aux déportations et aux troubles paysans, sont déjà sous presse. D’autres sont publiés à un rythme croissant. Il est par conséquent possible de dresser désormais un tableau succinct, mais suffisamment cohérent et solide, des événements tragiques de 1929-1933, ce que je vais tenter de faire dans les pages suivantes (en ce qui concerne l’année 1930, je m’appuierai sur mon introduction aux rapports de Balitski publiés dans les Cahiers du monde – auxquels le lecteur est renvoyé pour des informations plus détaillées)[97].

Comme le montre son rapide redressement démographique et socio-économique durant la NEP, la société rurale qui a été soumise à l’attaque de 1928-30 était encore forte. Mais la paysannerie était beaucoup plus faible qu’à la veille de la Première Guerre mondiale. À bien des égards, elle était même plus faible qu’en 1920-21 quand elle avait menacé la survie même du nouvel État bolchevik. C’était vrai en termes relatifs – au cours de la NEP, l’État s’est renforcé davantage que les campagnes ne se sont rétablies – et en termes absolus. Cet État lui-même avait en effet désarmé des villages qui avaient été armés jusqu’aux dents en 1920-21, et il avait éliminé la plupart des chefs des bandes de partisans de cette époque.

Ce sont les « ennemis connus du régime » restants qui ont été la cible de la première étape de la dékoulakisation. Il était envisagé l’arrestation et parfois la liquidation des hommes de la première des trois catégories dans lesquelles environ un million de familles “koulaks” (les guillemets sont obligatoires) étaient distribuées[98].

Le sort de ces familles – l’élite naturelle des villages en termes “chayanoviens” – dépendait précisément de la catégorie à laquelle elles étaient affectées. Celles de la première catégorie, privées de leurs hommes, étaient déportées dans des régions lointaines. C’était également la destination des hommes et des familles de la deuxième catégorie, tandis que ceux de la troisième étaient déportés dans les limites de leurs propres districts.

L’attaque a été exécutée avec beaucoup de décision et de rapidité entre novembre 1929 et février 1930. Elle a été précédée par de graves troubles provoqués par les réquisitions – les approvisionnements d’après 1928 étaient en réalité des réquisitions – et par les “nouvelles” méthodes qui les accompagnaient : au cours de l’année 1929, il y a eu environ 1 300 troubles paysans en URSS dans lesquels, ainsi que l’OGPU le remarquait le 28 décembre, la question religieuse a joué un « rôle colossal »[99]. Cette résistance croissante a certainement été un facteur majeur pour convaincre les dirigeants soviétiques de la nécessité d’adopter des mesures extrêmes avec rapidité.

Les idées directrices étaient la neutralisation de la paysannerie par l’anéantissement de son élite (dékoulakisation) et le regroupement du plus grand nombre possible de familles dans un nombre relativement restreint de grandes unités collectives (collectivisation).

La première était à maints égards une ré-application de la formule adoptée contre les Cosaques au début de 1919, quand les documents centraux du parti parlaient de la nécessité « de neutraliser les Cosaques par l’extirpation impitoyable de son élite »[100], une formule affinée plus tard au Kouban et dans la région de Tambov.

Quant à la seconde, l’on pensait à juste titre qu’elle faciliterait l’extraction de la quantité désirée de céréales qui était jusqu’alors l’objet de conflits féroces et interminables avec des millions de familles paysannes obstinées[101]. Il est possible que cette idée ait été la contribution personnelle de Staline à la solution du problème soulevé par Evgueni Preobrajenski avec son « accumulation primitive du capital ». Certainement que Staline l’a fait dire à d’autres.

 Les documents dont nous disposons prouvent qu’au moins la première phase de l’attaque – la dékoulakisation – a été un succès. Cela n’a pas dépendu uniquement de la brutalité et de la détermination. Le fait indéniable, autant que désagréable est que, en exploitant les jalousies et les tensions sociales existant  dans les villages, la dékoulakisation a réussi dans un premier temps à les diviser, exactement comme les kombedy l’avaient fait en 1918.

Il était implicitement dit – ou du moins tout le monde l’entendait ainsi – que les possessions des “koulaks” étaient à la disposition de ceux qui voulaient bien se manifester et les récupérer. Comme les rapports mêmes de l’OGPU l’ont noté, cela a incité les éléments criminels des villages à se joindre à un noyau de partisans jeunes et plus ou moins enthousiastes. Les brigades de dékoulakisation, constituées dans la précipitation, étaient ainsi infestées par « des éléments socialement étrangers et souvent criminels ». Ces gens-là : « amenaient les dékoulakisés nus dans les rues, les battaient, organisaient des beuveries dans leurs maisons, leur tiraient dessus, les forçaient à creuser leurs propres tombes, déshabillaient les femmes et les fouillaient, volaient des objets de valeurs, de l’argent, etc. ».

Et donc, comme Moshe Lewin l’a démontré il y a plus de 25 ans, la dékoulakisation a bien été un pillage et une dévastation généralisés[102]. Son succès susmentionné a par conséquent été politique, mais certainement pas économique, et il est possible de soutenir que la “tradition” qu’elle a reprise était celle des pogroms, en particulier celle des pogroms dont l’État était l’instigateur.

La continuité avec les années 1918-1921 était également forte, et ce à plus d’un titre. J’ai déjà évoqué les analogies avec les kombedy, la décosaquisation de 1919, les déportations de 1920-21, la suppression de l’Antonovchtchina, ainsi que les tortures employées pour  obtenir des céréales, des objets de valeur, et des arriérés d’impôts (en lisant les svodki de l’OGPU de 1930, de même que les documents de dix années auparavant, les agissements des voyous du shérif de Nottingham viennent immédiatement à l’esprit). En outre, la majorité des dirigeants de l’attaque étaient issus de la “guerre civile” – des cadres promus qui siégeaient maintenant dans les différents comités de région (okrug) et de district (raion). Et le processus de promotion sociale d’éléments d’origine commune a pris à nouveau de grandes proportions. Il était alimenté par la nécessité de constituer un vaste appareil de répression et de contrôle dans les campagnes et par les besoins de l’industrialisation forcée. Arrivé dans les villages, la sélection des nouveaux cadres était régie par des principes similaires à ceux qui avaient réglé le processus dix ans auparavant. Une fois de plus, ce sont les plus impitoyables qui ont été favorisés[103].

Le bilan officiel de la dékoulakisation parle de milliers de personnes réprimées et, souvent, liquidées au cours des toutes premières semaines, et de 381 000 familles, avec         1,8 million de membres, déportées vers des régions lointaines en 1930-31. Parmi ces familles, 64 000 étaient originaires d’Ukraine, 52 000 de Sibérie occidentale, 30 000 de la Basse Volga, et 28 000 de l’Oural. Leurs destinations étaient des villages spéciaux (spets ou trudposelenie) qui ont été administrés après 1931 par l’OGPU.  

Les déportations se sont poursuivies au cours des années suivantes. Dans un premier temps, après le 20 juillet 1931, alors que le Politburo avait déclaré que, pour l’essentiel, les “koulaks” des régions de collectivisation complète avaient été liquidés, les déportés provenaient pour la plupart de régions nationales (Kazakhstan, Nord-Caucase, Caucase, etc.). En mars 1932, par exemple, Bauman, depuis son “exil politique” en Asie centrale, a demandé la déportation de 6 à 7 000 “koulaks” des régions productrices de coton locales. Mais, au cours de cette même année, la détérioration dramatique de la situation dans les campagnes et les craintes qu’elle a provoquées à Moscou, ont été à l’origine de la recrudescence du phénomène à travers tout le pays. Le plan des déportations de 1932, qui a été discuté par une commission du Politburo en avril, prévoyait le bannissement de mai à août de 38 000 familles, dont 6 000 provenaient d’Ukraine[104]. Pourtant, 268 000 paysans supplémentaires ont encore été déportés pour la seule année 1933.

Le nombre de personnes déportées vers de régions lointaines a donc été de                2,25 millions, tandis que grosso modo un nombre équivalent de personnes ont été déportées  à l’intérieur des limites de leur district (certaines d’entre elles ont été à nouveau déportées ensuite vers des régions lointaines). À ces chiffres, l’on doit ajouter celui des personnes qui ont été expédiées directement au Goulag, lequel, en juillet 1932, détenait près de 120 000 paysans.

Les paysans déportés ont envoyé des milliers de lettres poignantes de protestation chez eux et aux autorités. Étaient particulièrement émouvantes les parties de ces lettres  concernant le sort de leurs enfants qui, selon un document du Politburo de janvier 1932, mourraient  à un rythme mensuel qui atteignait 10 pour cent dans certaines régions. Bon nombre de ces lettres ont été récemment publiées en même temps que celles de plusieurs membres du parti qui ont trouvé le courage de dénoncer un État qui se disait “socialiste” tout en perpétrant de telles  horreurs[105].

Nous savons que, pour les seules années 1932-33, près de 250 000 paysans déportés sont morts. En 1930-31, la situation avait probablement été pire, ainsi que le sort des enfants le suggère. En fait, en 1931, l’OGPU avait été chargé de l’administration des colonies spéciales afin d’endiguer la catastrophe humaine en cours et d’étouffer le scandale qu’elle soulevait. Au moins plusieurs centaines de milliers de paysans et autant de nomades étaient déjà morts avant que la famine ne frappe à l’automne de 1932[106].

La collectivisation, qui a atteint son premier point culminant en février 1930, quand prés de huit millions de familles ont été collectivisées, est venue dans le sillage de la dékoulakisation. Les récalcitrants étaient menacés d’exécutions de masse, une menace vraiment efficace étant donné ce qui s’était produit seulement quelques années auparavant. Généralement, la violence et la terreur étaient les méthodes habituelles. C’est aujourd'hui une expérience marquante que de lire les rapports de l’OGPU, lesquels sont conformes aux descriptions laissées par les victimes au point qu’ils sont presque interchangeables[107].

 

 

 



43 Vladimir A. Antonov-Ovseenko, Zapiski o grazhdanskoi voine, vol. 1–4 (Moscou, 1924–1933) et Khristian Rakovski, Bor´ba za osvobozhdenie derevni (Kharkiv, 1920) sont probablement les récits contemporains les plus intéressants, mais la littérature est immense et la quantité de matériel désormais disponible dans les anciennes archives soviétiques est encore plus grande.

[44] Selon différentes sources, le nombre total de victimes des pogroms se situerait entre 50 000 et 200 000. Voir Elias Heifetz, The Slaughter of the Jews in the Ukraine in 1919 [Le massacre des juifs en Ukraine en 1919] (New York, 1921) ; I. M. Cherikover, Antisemitizm i pogromy na Ukraine, 1917–1918 (Berlin, 1923) ; Leo Motzkin, ed., The Pogroms in the Ukraine under the Ukrainian Governments, 1917–1920 [Les pogroms en Ukraine sous les gouvernements ukrainiens, 1917-1920] (Londres, 1927) ; Pipes, Russia [Russie] : 110–12.

[45] V. A. Savchenko, “Izmena ‘bat´ki’ Makhno i ‘zheleznaia metla’ L. D. Trotskogo”, Istoriia SSSR 2 (1990) : 75–90 ; Vladislav Verstiuk, Makhnovshchyna : selians´kyi povstans´kyi rukh na Ukraini (Kiev, 1991). La responsabilité de Trotski dans la défaite de mai-juin a peut-être ouvert la voie à l’acceptation par Lénine des manœuvres de Staline, lesquelles avaient été repoussées lors du VIII° Congrès du Parti, mais dont le succès s’est manifesté lors de la crise du Politburo de juillet.

[46] Les quotas paysans dans le commerce des céréales à longue distance avaient déjà diminué en 1914-1917. Les nobles et les grands propriétaires fonciers avaient plutôt réduit leurs ventes sur les marchés locaux, où la présence des paysans s’était accrue.

[47] Mon ami Antonello Venturi a répliqué à la surprise que j’ai montrée devant la prédominance de cette eserovchtchina dans les rapports de la police secrète en faisant remarquer qu’il n’y avait pas là de quoi s’interroger. Le PSR était un parti populiste qui cherchait à faire écho aux revendications populaires, et surtout paysannes. C’est donc le programme socialiste-révolutionnaire qui était l’expression des sentiments populaires, et non l’inverse

[48] Genis, “Razkazachivanie” : 47. Kolegaïev a également demandé que les khutors [fermes] insurgées soient entièrement incendiées, dans Holquist, A Russian Vendée : 500.

[49] Le Front du Sud a été créé en septembre 1918 pour remplacer le District militaire du Caucase du Nord, formé en juillet. Cfr I. Kolesnichenko, “K voprosu o konflikte v Revvoensovete Iuzhnogo Fronta”, Voenno-istoricheskii zhurnal 2 (1962) : 39–47 et Isaak I. Mints, “Stalin v grazhdanskoi voine”, Voprosy istorii KPSS 11 (1989).

[50] RTsKhIDNI, p. 558 (Staline), op. 1, d. 1812, l. 3 ; M.A. Tumshis, “Eshche raz o kadrakh chekistov 30–kh godov”, Voprosy istorii, 6 (1993) : 190–91. Dans les anciennes archives du parti, on trouve de nombreux documents datant du début des années 1920 qui dénoncent la corruption et le copinage généralisés des cliques politiques et militaires au pouvoir dans les villes du Sud. Voir par exemple le rapport de M. I. Muralova à         E. Iaroslavski sur Stavropol, alors aux mains d’une camarilla d’ivrognes corrompue et dégénérée protégée par le gubkom du parti (dans Khlevniuk et al., eds., Perepiska : 194). Concernant le style de vie de Vorochilov en 1919, voir Brovkin, Behind [Derrière] : 137. Sur celui de Vorochilov et de Boudienny dans la konarmiia et sur le “style” de la konarmiia, voir le rapport de Piatakov à Trotski de décembre 1919 dans RGVA, p. 33897 (Sekretariat Presedatelia RVS SSSR), op. 2, d. 32, l. 533. Sur E. Evdokimov, voir Vadym Zolotar´ov et Iurii Shapoval, “Kariera Kata”, Rozbudova Derzhavy 1 (1995) : 27-36.

[51] Les plus importantes d’entre elles étaient probablement le caractère de Trotski, sa “pureté” idéologique et sa nationalité ; le soutien de Lénine à Staline, notamment de juillet 1919 à l’été 1922 ; les capacités personnelles de Staline et son manque de scrupules, intellectuels ou autres.

[52] Bien qu’avec des manières différentes, Edward Keenan et Moshe Lewin ont interprété les développements post-1917 comme un “retour” vers le passé, à juste titre je crois.

[53] Voir “Epistolarnoe nasledie”, Voennye arkhivy Rossii 1 (1993) : 404-11 et O. V. Khlevniuk, A. V. Kvashonkin, L. P. Kosheleva, L. A. Rogovaia, éd., Stalinskoe Politbiuro v 30-e gody. Sbornik documentov (Moscou, 1995) : passim. D’un autre côté, c’est aussi du pur jargon mafieux et la coïncidence n’est pas fortuite.

[54] Nicolas Werth, “Une source inédite : les Svodki de la Tchéka-OGPU”, Revue des études slaves 66 (1994) :   27 ; V. P. Danilov et Alexis Berelowitch, “Les documents des VČK-OGPU-NKVD sur la campagne soviétique, 1918–1937”, Cahiers du monde russe 35, n° 3 (1994) : 633–82.

[55] “Doklad glavnokomanduiushchego vsemi vooruzhennymi silami Respubliki S. S. Kameneva predsedateliu RVSR L. D. Trotskomu o sostoianii bor´by s banditizmom v raznykh regionakh strany (9 fevralia 1921 g.)”, dans N. E. Eliseeva, ed., Povstancheskie dvizheniia na Ukraine. 1921 g. Komplekt dokumentov iz fondov TsGASA (Moscou, 1991). Je n’ai pu voir le Obzor Sekretnogo otdela VChK o vosstaniiakh (“banditizme”) na territorii byvshej Rossii, daté du 11 décembre 1920, qu’après que ces pages ont été écrites (dans TsA FSB RF,  p. 1, op. 4, d. 159, ll. 1–23). Sur Antonov et sur la Antonovchtchina, voir également Oliver Henry Radkey,     The Unknown Civil War in Soviet Russia [La guerre civile ignorée en Russie soviétique] (Stanford, 1976) ;                N. E. Eliseeva, ed., Krest´ianskoe vosstanie na Tambovshchine (1921–1922). Komplekt dokumentov iz fondov TsGASA, (Moscou, 1991) et Danilov, ed., Krest´ianskoe vosstanie v Tambovskoi gubernii.

[56] Il convient de noter que certains des bolcheviks “ukrainiens” vaincus, comme Alexandre Grigorievitch Chlichter, avaient gouverné la région de Tambov en 1920, prenant leur revanche sur la paysannerie locale.

[57] Ce terme, qui signifie littéralement bandits, était utilisé par les forces soviétiques pour réprimer la guérilla locale. Il ne doit donc être utilisé qu'entre guillemets. Les “Basmatchi” se qualifiaient eux-mêmes de djigit, de combattants. Bien sûr, certains d'entre eux se comportaient souvent comme de véritables bandits, une vérité qui s'applique à tous les mouvements partisans de l'histoire à des degrés divers.

[58] Le chiffre pour les “basmatchi” est tiré du RGVA, p. 272, op. 2, d. 55, ll. 1–42 ; celui pour le Daghestan est tiré du svodka du VChK du 15 avril 1921. Marco Buttino et V. P. Danilov m’ont aimablement montré ces deux documents. En septembre 1922, il y avait encore plus de 20 000 djigits.

[59] Sur le mouvement paysan de la côte de la mer Noire, voir N. V. Voronovitch, “‘Zelenye’ povstantsy na Chernomorskom poberezh´e”, Archiv russkoi revoliutsii 7 (1922). J'ai trouvé deux documents du Comité de libération du Gouvernement de la mer Noire dans les Archives du ministère des Affaires étrangères italien et je les ai publiés dans Rivista di Storia Contemporanea 3 (1988) : 436–43.

[60] Pour la Sibérie, voir le rapport d’I. Pavlounovski à F. Djerzinski dans RTsKhIDNI, p. 76 (Djerzinski), op. 3,  d. 167, l. 90 ; Danilov, ed., Krest´ianskoe vosstanie v Tambovskoi gubernii : 16.

(*)  En français dans le texte. (NdT).

[61] Alter L. Litvine, “Krasnyi i Belyi Terror v Rossii”, Otechestvennaia istoriia 6 (1993) : 46–62 et, évidemment, Sergei P. Melgounov, The Red Terror in Russia, 1918–1923 [La terreur en Russie, 1918-1923] (Londres, 1925).

[62] N. Werth, “Spetspereselentsy”, Colloque Nouvelles directions de la recherche sur les années Trente, MSH, Paris, mai 1996 ; Danilov, ed., Krest´ianskoe vosstanie v Tambovskoi gubernii : 172 sqq. (voir en particulier les prikazy n° 130 et 171).

[63] Vnutrennie voiska sovetskoi respubliki, 1917–1922 (Moscou, 1971) ; G. F. Krivosheev, ed., Grif sekretnosti sniat (Moscou, 1993) et Pipes, Russia : 383.

[64] L’on a estimé que 1,8 million de soldats, y compris les blessés qui sont décédés ultérieurement, et 1,5 millions de civils ont péri au cours de la Première Guerre mondiale. Entre 1918 et 1922, 12,6 millions supplémentaires sont morts. Les pertes militaires de la “guerre civile” n’ont été que de 800 000 et huit millions de civils sont morts entre 1918 et 1920, c'est-à-dire avant la famine. Les pires années on été 1920 et 1921, quand les taux de mortalité ont atteint respectivement 45,4 et 39,8 pour mille (voir Alain Blum, Naître, vivre et mourir en URSS, 1917-1991 (Paris, 1994) : 88 sqq.). En Asie centrale, de 1 à 1,5 million de personnes ont disparu entre 1917 et 1920. Certaines d’entre elles ont émigré, mais la grande majorité a péri en raison des épidémies, de la famine et de la répression. Voir M. Buttino, “Study of the Economic Crisis and Depopulation in Turkestan, 1917–1920” [Étude de la crise économique et la dépopulation au Turkestan, 1917-1920], Central Asian Survey 9, n° 4 (1990) : 59–74.

[65] Daniel Horner, Basile H. Kerblay et Robert E.F. Smith, eds., A. V. Chayanov On the theory of Peasant Economy [A. V. Chayanov. Sur la théorie de l’économie paysanne], (Homewood, IL, 1966) est l’édition classique anglaise.

[66] Kommunisticheskaia partiia Ukrainy v rezoliutsiiach i resheniiach s´´ezdov i konferentsii, 1918–1956 (Kiev, 1958) : 91–101.

[67] Étant donné ses liens traditionnellement étroits avec la campagne et son hostilité à l‘égard de la politique bolchevique, à partir du printemps 1918, une grande partie de la “classe ouvrière” a été ajoutée à la liste des ennemis du régime. Ce point a été pleinement confirmé par les svodki du VChK. Certains d’entre eux sont cités dans Brovkine, Behind [Derrière].

[68] Les membres du Comité Central ont fait usage de leur droit de participer aux réunions “normales” du Politburo jusqu’en 1934-1935. Voir Khlevniouk et al. (dir.), Stalinskoe Politbiuro : 183 sqq.

[69] Le terme “guerre civile” sera probablement utilisé à l’avenir, pour des raisons pratiques. J’ai cependant décidé de le mettre entre guillemets pour souligner son caractère scientifiquement trompeur. Il ne s’agit pas d’une simple “guerre civile russe”, mais d’un enchevêtrement de conflits nationaux et sociaux.

[70] Ici, l'explosion et les racines populaires indéniables des mouvements nationalistes en Pologne, en Finlande, en Ukraine, etc., ont été parmi les facteurs importants en jeu. Rafes, Dva : 135.

[71] Cette attitude était également partagée par un certain nombre de dirigeants bundistes qui se sont opposés à la démocratie non seulement parce que les “masses” polonaises et ukrainiennes se comportaient comme elles le faisaient, mais aussi parce que leur propre peuple avait montré à plusieurs reprises sa préférence pour les partis religieux et nationalistes.

(*)  En français dans le texte. (NdT).

[72] Vestnik Narkomvnutrdel USSR 5 (Kiev, 1° mai 1919) ; Alexander Berkman, The Bolshevik Myth : Diary 1920–1922 [Le mythe bolchevik : journal 1920-1922] (Londres, 1925) : 174 ; Rafes, Dva : 134 sqq. ; stenogramma du discours d’Ordjonikidze du 24 mars 1930, RTsKhIDNI, p. 85 (Ordjonikidze), op. 1/sec. ,         d. 123, ll. 1–9. Plus tard dans sa vie, Petrovski est devenu un antistalinien ardent.

[73] D’un point de vue formel, du moins jusqu’à la Constitution de 1936, le rôle dirigeant du parti était illégal. Le soin, qu’il a fallu mettre pour cacher le fait que les actes et les décrets de l’État, du gouvernement et des instances judiciaires supérieures, étaient souvent des copies des décisions antérieures du parti, a été par conséquent un facteur important dans le développement de la konspiratsiia et de son appareil.

[74] Les centaines de lettres des dirigeants bolcheviques datées d’après 1917, rassemblées par Kvachonkine, Khlevniouk et cet écrivain pour Bol´shevitskoie rukovodstvo. Perepiska, le deuxième volume de la série Dokumenty sovetskoï istorii, semblent aller dans ce sens. Lors d’un séminaire à l’Université de Yale, Mark Steinberg a justement observé que ce genre de comportement était courant dans les cercles intellectuels d’avant 1917. Et pourtant, je continue de croire qu’après la “guerre civile”, nous avons affaire à une situation qualitativement différente.

[75] Moshe Lewin m’a rappelé que Trotski qualifiait le Staline d’avant 1922 de “chef d’état-major” de Lénine. Trotski, suivi par de nombreux historiens, a peut-être considéré cette expression comme étant dédaigneuse. En fait, c’était une appréciation précise du pouvoir et du rôle croissants de Staline.

[76] Sergo Mikoyan a été le premier à attirer mon attention sur le “caractère raisonnable” de Staline, en particulier dans les années 1920. Sur les relations Lénine-Staline, voir Graziosi, “At the roots” [Aux racines] : 102, 129 ; Miklós Kun, Bukharin, ego druz’ja i vragi (Moscou, 1992) : 111 sqq. et Pipes, Russia: 464 sqq. Je pense que la proximité même de ces relations contribue à expliquer la violence de la réaction de Lénine lorsqu’il a compris qu’il avait commis une grave erreur dans l’évaluation de son lieutenant.

[77] Kompartiia Ukrainy v rezoliutsiiakh : 116 sqq.

[78] Danilov, ed., Krest´ianskoe vosstanie v Tambovskoi gubernii : 14–15.

[79] Sergei V. Tsakounov, V labirinte doktriny (Moscou, 1994) : 24 sqq. ; pour les corvées, voir Graziosi, “At the roots” [Aux racines] : 119 ; la lettre d’Osinski se trouve dans Perepiska : 204. J’ai pu consulter les svodki du VChK grâce au projet, déjà mentionné, dirigé par V.P. Danilov.

[80] Harold Henry Fisher, Famine in Soviet Russia, 1919–1922 [La famine en Russie soviétique, 1919-1922] (New York, 1927) ; Kazuo Nakai, “Soviet Agricultural Policies in the Ukraine and the 1921–1922 Famine”              [La politique agricole soviétique en Ukraine et la famine de 1921-1922] Harvard Ukrainian Studies 6 (1982) : 43–61 ; Roman Serbyn, “The Famine of 1921– 1923 : A Model for 1932–1933 ?” [La famine de 1921-1923 : un modèle pour 1932-1933 ?] dans R. Serbyn et Bohdan Krawchenko, eds., Famine in Ukraine, 1932–1933 [La famine en Ukraine, 1932-1933], (Edmonton, 1986) : 147–78 ; Pipes, Russia : 410 sqq. ; Markus Wehner, “Golod 1921–1922 gg. v Samarskoi gubernii i reaktsiia sovetskogo pravitel´stva”, Cahiers du monde russe 38, no. 1–2 (1997) : 223–41.

[81] Rakovski, Bor´ba : 58–9 ; A. G. Shlichter, “Bor´ba za khleb na Ukraine v 1919 godu”, Litopys revoliutsii 2 (1928) : 96–135.

[82] Graziosi, “At the roots” [Aux racines] : 116–17 ; “Rapport du département Information de l’O.G.P.U. sur la situation politique et économique de la R.S.F.S.R. pour les mois de mai et juin 1922,” dans N. Werth et Gaël Moullec, eds., Rapports secrets soviétiques (Paris, 1994) : 185–87.

[83] Voir aussi Lewin, Russia, USSR, Russia [Russie, URSS, Russie] : 42 et Wehner, “Golod.” Les principales épidémies n’ont également cessé qu’en 1923.

[84] Voir aussi Sergei A. Esikov et Lev G. Protasov, “Antonovskij Nep,” Otechestvennaia istoriia 4 (1993) : 61–72 à propos de la coïncidence partielle entre la NEP de Lénine et le programme de  l’Antonovchtchina.

[85] Les petits producteurs ont généralement soutenu des formes fortes de contrôle sur la grande production, c’est-à-dire des revendications “socialistes”, tout en restant de farouches défenseurs de leur mode de vie. Ce comportement contradictoire contribue à expliquer de nombreux paradoxes des deux derniers siècles. Danilov, ed., Krest´ianskoie vosstanie v Tambovskoi gubernii : 79-81.

[86]  L’on devrait peut-être dire : « leur utopie pouvait fonctionner ». En fait, beaucoup de paysans, notamment les plus énergiques et/ou ayant des familles plus nombreuses, étaient mécontents de la politique économique bolchevique car elle leur liait les mains, elle réduisait la productivité et la production, et, tandis qu’elle prétendait favoriser les éléments les plus faibles, elle favorisait souvent la corruption et le copinage, comme dans le cas des fermes collectives. Voir A. Stanziani, “Le cooperative di produzione in URSS, 1921-1928”, Annali della Fondazione Einaudi, 22 (1988) : 237-264.

[87] Danilov et Berelowitch, “Documents” ; Andrea Romano, “‘Contadini in uniforme’ e potere sovietico alla metà degli anni ‘20”, Rivista storica italiana 104 (1992) : 730–95 ; id., “Peasant-Bolshevik Conflicts inside the Red Army on the Eve of Dekulakization” [Les conflits paysans-bolcheviks au sein de l’Armée rouge à la veille de la déloulakisation], Forschungen zur osteuropäischen Geschichte 52 (1994) : 95–121 ; M. Wehner, “‘Die Lage vor Ort ist unbefriedigend.’ Die Informationsberichte des sowjetischen Geheimdienstes zur Lage der russischen Bauern in der Jahren der Neuen Ökonomischen Politik (1921– 1927)”, Jahrbuch für Historische Kommunismusforschung (1994) : 64–87 ; Aleksandr Ia. Livshin, “Mestnaja vlast´ glazami liudei 20–kh godov : pis´ma “snizu” epokhi Nepa” (l’on peut trouver une version française de cet article dans in Communisme 42–44 (1995) : 95–114) ; Werth et Moullec, Rapports : 95–116 ; Kun, Bukharin : 229.

[88] Graziosi, “Stalin’s Antiworker” [L’anti-ouvrier de Staline] : 229–30.

[89] Les svodki du Politupravlenie de l’Armée au printemps de 1928, qu’Andrea Romano m’a aimablement montrés, seront publiés dans A. Romano et Nonna Tarchova, eds., Krasnaia armiia i kollektivizatsiia derevni v SSSR, 1928–1933. Sbornik dokumentov iz fondov RGVA (Naples, 1996). Voir également Roger R. Reese, “Red Army Opposition to Forced Collectivization, 1929–30” [L’opposition de l’Armée rouge à la collectivisation forcée, 1929-30], Slavic Review 55, n° 1–2 (1996) : 24–45.

[90] Voir M. Lewin, La paysannerie et le pouvoir soviétique, 1928–1930 (Paris, 1968). En 1928, un parti de la NEP s’était développé à côté du noyau militarisé produit par la “guerre civile”. Le premier était quantitativement suffisamment fort pour défier avec succès le second, lequel était cependant de loin supérieur en termes de volonté, d'endurance et de leadership.

[91] S'il est vrai que, pendant la Première Guerre mondiale, les paysans avaient été exclus du rationnement dans toute l'Europe, personne n'a alors tenté de s'emparer de leurs terres et de leurs animaux, et de leur voler la plus grande partie de leurs produits. Dans les conditions existant en URSS durant les années 1930, cette exclusion, maintenue jusqu’à l’abolition du rationnement à la fin de 1934, signifiait que l’État soviétique avait décidé formellement de ne pas considérer les paysans comme des membres de sa collectivité. Concernant le rationnement et ses conséquences, voir Elena A. Osokina, Ierarchiia potrebleniia (Moscou, 1993) et la thèse de Julie Hessler, temporairement intitulée “Culture of Shortages : Exchange Practices and Material Values in Russia, 1917– 1953” [La culture des pénuries : les pratiques d’échange et les valeurs matérielles en Russie, 1917-1953] (Université de Chicago), dont on m’a donné aimablement l’opportunité de lire des parties.

[92] Kun, Bukharin : 247. Sur la conviction personnelle de Staline et des staliniens d’avoir été en guerre avec la paysannerie, voir par exemple, Winston Churchill, La seconda guerra mondiale, vol. VIII, La battaglia d’Africa (Milan, 1970) : 111–12 ou bien les déclarations de Jdanov en 1934 à propos de la “perezhitki voennogo perioda” dans Khlevniuk et al., eds., Stalinskoe Politbiuro: 55.

[93] Iurij G. Fel´shtinskii, “Konfidentsial´nye besedy Bukharina”, Voprosy istorii 2–3 (1991) :182–203. À la fin de 1927, Boukharine était lui aussi convaincu que l’État soviétique pouvait désormais écraser facilement les koulaks. Il a alors dit à un syndicaliste italien que le parti « avait la force, s’il le voulait, d’éliminer les koulaks en 24 heures ». Dans Aristide Delle Piane, Impressioni di un viaggio in URSS (Rome, 1933) : 91.

[94] “Iz ‘Pis´ma k Fedoru’”, Politicheskii dnevnik 25 (Octobre, 1966) : 148 sqq. Durant l’été de 1928, le fait que la politique stalinienne pourrait provoquer une famine a été ouvertement discutée (dans Fel´shtinskii, ed., “Konfidentsial´nye” : 198).

[95] Graziosi, “G. L. Piatakov” : 142.

[96] J’ai l’impression que les rapports des responsables du TsIK sont généralement d’une qualité humaine supérieure. Peut-être que certains membres des partis socialistes non bolcheviques, non admis dans l'OGPU ou dans l'appareil du parti, ont trouvé refuge dans celui de l'État. Mais ce n'est qu'une hypothèse.

[97] V. P. Danilov et N. A. Ivnitskii, eds., Dokumenty svidetel´stvuiut. Iz istorii derevni nakanune i v khode kollektivizatsii, 1927–1932 (Moscou, 1992) ; Danilov et Berelowitch, “Documents” : 657–676 ; N. A. Ivnitskii, Kollektivizatsiia i raskulachivanie (Moscou, 1994) ; Kolektyvizatsiia i holod na Ukraini, 1929–1933 : Zbirnyk dokumentiv i materialiv, compilé par H. M. Mykhailychenko et Ie. P. Shatalina, ed. S. V. Kul'chyts'kyi (Kiev, 1993) ; Werth et Moullec, Rapports: 116–31 ; Graziosi, “Collectivisation” ; V. N. Zemskov, “Spetsposelentsy,” Sotsiologicheskie issledovaniia 11 (1990) : 3–16 et id. “‘Kulatskaia ssylka’ v 30-e gody”, ibid., 10 (1991) : 3–21. Il faut souligner que ce tableau est très proche de celui dressé par Viktor Kravchenko dans son ouvrage I Chose Freedom [J’ai choisi la liberté] (New York, 1946) – peut-être le meilleur récit personnel de ces années tragiques – et que certains de ces documents sont disponibles au moins depuis les années 1950. Dans son livre fondamental Smolensk under Soviet Rule [Smolensk sous la domination soviétique] (Cambridge, MA, 1958), par exemple, Merle Fainsod en a cité un certain nombre et a esquissé un tableau de la collectivisation que les découvertes actuelles confirment amplement. Une partie des documents de Smolensk a été publiée par Sergei Maksudov, éd., Neuslyshannye golosa. Archives Dokumenty Smolenskogo. Kniga pervaia, 1929. Kulaki i parteitsy (Ann Arbor, 1987).

[98] Voir Grant M. Adibekov, “Spetspereselentsy zhertvy ‘sploshnoi kollektivizatsii’”, Istoricheskii arkhiv 4 (1994) : 145–80, où les documents sur les  spetspereselentsy ont été publiés par les osobaia papka du Politburo.

[99] “Kollektivizatsiia : istoki, sushchnost´, posledstviia — beseda za kruglym stolom,” Istoriia SSSR 3 (1989) ;   N. Werth, “Le pouvoir soviétique et l’Eglise orthodoxe de la collectivisation à la Constitution de 1936,” Revue d’études comparatives Est-Ouest 3–4 (1993) : 43.

[100] Holquist, A Russian Vendée [Une Vendée russe] : 432–37.

[101] Comme Jim Heinzen l’a fait justement remarqué, au moins jusqu’en 1929, ce n’était pas la seule interprétation de la collectivisation. A la fin de la NEP, de nombreux militants du parti, ainsi que certains spécialistes ruraux sans parti, « soutenaient que la promesse d’une collectivisation généralisée de l’agriculture était “rationnelle”, “moderne” et “progressiste” (je cite une lettre personnelle). L’équivoque a survécu de nombreuses décennies dans la littérature traitant de ce phénomène, mais elle a été rapidement démasquée dans les villages par la réalité de l’offensive stalinienne.

[102] Chersonskii Okrotdel GPU, “Dokladnaia zapiska o sostoianii Khersonskogo okruga v sviazi s kolkhoznym stroitel´stvom i posevkampaniei”, RTsKhIDNI, f. 85, op. 1/sek. , d. 123, ll. 10–21 ; Lewin, Paysannerie.

[103] Il y a eu également des éléments de continuité avec les années 1920. Comme nous le savons, déjà durant les années de la NEP « rien n’a alimenté davantage l’animosité des paysans à l’égard de la politique soviétique que le style de “direction” et le mode de vie des dirigeants bureaucratiques locaux ». Dans Livshin, “Mestnaia vlast’”.

[104] RTsKhIDNI, f. 17, op. 162 (osobaia papka Politbiuro), d. 10, l. 126 et d. 12, ll. 30, 126.

[105] Adibekov, “Spetspereselentsy”: 176 ; N.V. Tepcov, ed., “Ssyl´nye muzhiki. Pravda o spetsposelkakh”, Neizvestnaia Rossiia XX veka 1 (1992) : 183–269 ; Danilov et Berelowitch, “Documents” : 668–70 ; Werth et Moullec, Rapports : 132–34, 136–45, 356–74.

[106] Adibekov, “Spetspereselentsy” ; Zemskov, “Spetsposelentsy” ; id. “‘Kulackaia ssylka’”; id., “Zakliuchennye, spetsposelentsy, ssyl´noposelentsy, ssyl´nye i vyslannye”, Istoriia SSSR 5 (1991) : 151–62 ; id., “Sud´ba ‘kulatskoi ssylky’ (1930–1954 gg)”, Otechestvennaia istoriia 1 (1994) : 118–47 ; V. P. Danilov, ed., Spetspereselentsy v Zapadnoi Sibiri, 1930– 1938 gg. Dokumenty i materialy, 3 vols., (Novosibirsk, 1992–94).

[107] Comparer, par exemple, les rapports mentionnés de l’OGPU avec les témoignages réunis dans Black Deeds of the Kremlin. A White Book [Actes noirs du Kremlin. Un livre blanc], vol. I (Toronto, 1953) : 187–308 et vol. II (Detroit, 1955).

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