PAGES PROLETARIENNES

vendredi 28 juin 2024

LA MYTHOLOGIE ANTIFASCISTE ET UNE CAMPAGNE RIDICULE

 


 Pour souligner la ridicule hystérie des gauches bourgeoises et petites-bourgeoises, il suffit de citer cet édito de Libération :

« Laisser l’extrême droite gagner, c’est ouvrir un boulevard à la haine de l’autre. Une victoire du RN entraînerait non une simple alternance, mais une bascule xénophobe propice à la libération d’un racisme toujours plus décomplexé qui n’a rien à voir avec l’identité de la France. Tracer un signe égal entre «les extrêmes» est une faute morale et historique. Eux, on ne les a jamais essayés. Et après tout Marine Le Pen n’est pas son père». A écouter certains commentateurs ou acteurs de la vie politique, une victoire de l’extrême droite aux législatives serait presque une banale alternance. Ils marchent sur la tête ! Si Jordan Bardella devait accéder à Matignon, voilà qui constituerait une bascule xénophobe sans précédent dans l’histoire de la Ve République. Il est urgent d’en prendre la mesure en remisant les indignes discours qui placent un signe égal entre «les extrêmes», cynique confusionnisme qui risque d’aboutir à la pire des options1. »

 La haine toutes les cliques gauchistes s'en sont fait une spécialité. Ce genre de sentiment est le plus propice pour empêcher de penser politique. Puisque leurs arguments antifascistes sont élimés et sentent le rance de l'époque de tonton menteur, on va instiller la peur comme Néron Macron une semaine plus tôt. Mais ce n'est qu'une peur superficielle, électoraliste.

Je répète, comme je l'ai écrit dans mon article précédent : Pourquoi ont-ils manifesté les bobos étudiants et syndicalistes des grandes villes ? Contre un fascisme inexistant ? Contre Macron, (qui) use de la stratégie de la peur ! Mais bien contre un résultat électoral  « démocratique » qui les gêne ! Les fachos c’est donc la gauche caviar et bobo !

Certes, la création de peurs fictives favorise le déplacement de l’attention sur la manipulation médiatique - tout en étant partie prenante, les médias dominant sont en général de gauche – en désignant le danger immédiat d'une accession au pouvoir du « fascisme » dont la plupart ne connaissent ni les causes ni sa nature capitaliste. La stigmatisation et l' incrimination de l'éternel « front national » combattu par la clique hétéroclite d'un ridicule « front gauchiste » permettent de détourner des vrais problèmes sociaux internes qui concernent surtout la classe ouvrière et de justifier cet éducationnisme antifa qui a pour but d'annihiler toute conscience de classe, allié à un mépris total des électeurs, surtout ouvriers sans diplôme... En gros le fond de la pensée bourgeoise classique :  « élection démocratique = piège à cons »(graffiti d'un gauchiste en 68 devenu bourgeois). Ruse de l'histoire, ce sont les élections bourgeoises qui sont piégées comme des cons.

Pour une fois, une élection législative révèle que des millions peuvent dire merde à tous les partis en


mépris total de leurs dépenser faramineuses d'affiches, de conférences et autre publicités2. Même le CCI qui, avec un grand retard sur l'événement, publie un article pas trop mauvais sur le « choc électoral » n'arrive pas à prendre en compte qu'une grande partie de la classe ouvrière puisse avoir voté Bardella (= purisme ouvriériste) , tentant de se consoler en montrant du doigt l'abstention en effet toujours massive3. Mais désolé du paradoxe, le vote ouvrier pour le RN a été mis en évidence depuis longtemps et pas seulement par les sociologues : désindustrialisaion, chômage régional, poids de l'immigration et des faits divers qui y sont liés, mépris politique de toutes les sectes « radicales » et bruyantes ; n'importe quel individu qui réfléchit un peu peut le constater. Le CCI essaie de surmonter le truc car la classe ouvrière ce n'est pas seulement les ouvriers, il y ajoute les étudiants et les cadres... Oui les employés de bureaux et diplômés en informatique en font partie mais, hélas pour l'instant, ils constituent ces fameuses « couches moyennes » qui bandent plus pour Mélenchon et les autres comiques de la gauche disparue, qui chantent derrière le « barrage antifasciste ». Vous les insultez si vous dites qu'ils sont aussi des prolétaires. Ces braves « citoyens du monde » veulent accueillir toute la misère du monde à condition qu'elle ne vienne pas souiller leur quartier ; le CCI reste sur la position gauchiste et étatique qu'il faut accueillir tout le monde...par internationalisme utopique, méprisant toutes les appréhensions, souvent fondée de toute la classe ouvrière et l'aspect décomposition (invasion progressive, perte d'identité nationale comme de classe) dont il est pourtant le héraut4. ET raison pour laquelle le vote, si méprisé car « populiste » reste un vote protestataire plus grave pour le système que ce qu'il signifiait antérieurement, il ne faut pas avoir peur de dire qu'il manifeste un ras le bol des leçons de morale antifas et arrogante des gandins d'une petite bourgeoisie hystérique. La plupart des électeurs du RN savent que celui-ci est aussi incompétent voire plus encore que les autres factions bourgeoises et ne se font pas d'illusions (tous les jours le système décrit la pauvreté de leur clique politique avec le petit chauve de Nice. Je pense même qu'au fond il ne nous reste pour l'instant que le pouvoir de mettre le bordel ; ce qui est attribué exclusivement aux compétiteurs de la gauche bobo, alors que, rêvant du pouvoir, ils aimeraient eux REMETTRE L'ORDRE.

Question : les appelle-t-on à s'insurger, à faire une grève générale contre de si terribles nazis en gestation ? Non on leur assène, méprisables votants, à la soumission électorale en votant, comme au temps lumineux du stalinisme, à voter pour UN seul parti : celui de l'ordre actuel, de Macron à Poutou et incluant le petit Mélenchon : un ordre hypocrite et exploiteur qui doit s'opposer au « fâchisme » réincarné par un type quelconque en cravate et qui joint les mains comme s'il faisait sa prière à chaque discours.

Troisième aspect négligé par le plus grand groupe révolutionnaire du monde, mais le plus petit, la question de la guerre au cœur du vote des « fachos » populistes. Toute la gauche antifa de Mélenchon à Glucksmann a appelé et appelle encore à renforcer la guerre en Ukraine, voire à Gaza pour une partie de ces clowns. Croyez-vous que ces « abrutis d'électeurs populistes » n'ont pas intégré cette forfaiture dans leur choix contestataire et contestable par la bien-pensance du CCI et de la gauche bourgeoise ?

Enfin je pense, depuis le début, même si des fractions de la bourgeoisie financière et les amis de Goldman and Sachs pleurnichent, si la bourgeoisie européenne tremble, si les syndicats d'Etat promettent le grand soir, la bourgeoisie se résoudra à traiter avec les « incapables » comme en Italie (pays d'origine du migrant Bardella):

« L’union de la gauche était une évidence avec l’addition de valeurs et de l’intérêt : la lutte contre l’extrême droite et la capacité de se qualifier pour les seconds tours. Il est stupéfiant que cela n’ait pas été anticipé. Néanmoins, la gauche n’a pas réuni les conditions d’une victoire, en présentant un programme maximaliste sur le plan fiscal, radical sur les institutions et éloigné de son ancrage proeuropéen. Ce Front est bien peu populaire puisque seulement un ouvrier sur cinq s’apprête à lui donner son suffrage - soit le score le plus bas de toute l’histoire de la gauche. En outre, il s’est laissé enfermer dans la querelle du premier ministre attisée par Jean-Luc Mélenchon. L’objectif final semble se limiter à devenir la principale force d’opposition face à un RN victorieux pour s’installer ensuite comme la force d’alternance »5. Jérôme Jaffré

 



LA MYTHOLOGIE ANTIFASCISTE


par Lucien Laugier (1969?)

 

 Le texte qui suit vient démontrer mieux que j'ai tenté moi-même de le faire dans mes articles successifs et dans le sens de tous les bons articles du CCI sur cette mythologie prégnante, enseignée dès la maternelle par anciens déportés lyophilisés, Thuram père et fils, et tous les profs islamo-gauchistes. Laugier, sorti de l'oubli par le chercheur Français Langlet au début des années 2000 est probablement la plus belle plume du maximalisme moderne mais qui reste ignoré, sauf par l'immense travail de collecte de Philippe Bourrinet dans le Maîtron et avec ses nombreuses contributions sur l'histoire du véritable mouvement révolutionnaire (-même s'il est haï par le CCI) Ami et correspondant avec Bordiga, il fût avec Suzanne Voute, une des meilleures plumes du courant bordiguiste des fifties dont il reste le meilleur testamentaire. Son œuvre devrait être un jour publiée dans son intégralité. Il est intéressant aussi de constater l'évolution de l'auteur militant anonyme au mémorialiste qui utilise le « je » ; mue qui permet de se distancier du langage froid, souvent désincarné et déshydraté du rédacteur fonctionnaire d'organisation répétitif et lourdingue. Liberté d'écrire comme un historien, mais pas du tout impartial, sans le lourd fardeau de la « représentation organisationnelle » jamais tout à fait honnête car propagandiste avant tout.

En 2003 je lui ai consacré un ouvrage : « La critique de Socialisme ou Barbarie » (qui fût appréciée (celle de Laugier) par un des piliers de SouB, Signorelli). L'ouvrage peut être consulté à la BNF, comme tous mes livres, mais aussi à la Bibliothèque du mouvement ouvrier à Amsterdam. Tout lecteur peut me demander l'envoi du fichier. Bonne lecture après cette ridicule campagne électorale basée, pour tous les partis, y compris le RN « dédiabolisé » sur les mensonges récurrents à propos de l'antifascisme, de la résistance nationaliste et de notre « libération » par les impérialismes américain et russe.



 

« Je ne veux retracer ici que le tableau des événements qui  encadrent directement la situation historique au sein de laquelle  naquirent et balbutièrent les premiers groupes appelés à devenir, après diverses péripéties, le PCI (Parti Communiste International), des années 50. Je pense qu’il n’est pas possible, et si l’on veut brosser ce tableau avec un minimum de sérieux, de ne pas remonter au moins jusqu’aux prémisses les plus évidents de la guerre ; je veux parler de ce grand « tournant politique » de 1935-36 dont j’ai déjà donné un premier aperçu sous l’éclairage de mes seules impressions personnelles.

En réalité, dès qu’on se mêle d’établir des liens de cause à effet dans des bouleversements d’une telle complexité, on ne sait jamais où on doit s’arrêter de remonter pour leur fixer un arbitraire « début ». Pas seulement et pas simplement comme l’affirme stupidement la mythologie antifasciste, en raison des intentions belliqueuses, insolemment affichées, à l’appui d’une ahurissante théorie raciale, par le nouveau maître que l’Allemagne avait unanimement promu au titre de champion de sa revanche ; mais bien plutôt parce que son avènement enterrait définitivement l’espoir placé dans la révolution communiste mondiale comme seul moyen d’éviter un nouveau conflit. Avec la neutralisation du prolétariat le plus nombreux et le mieux organisé de l’Europe, s’écroulait la clef de voute de la perspective échafaudée par Lénine et tous les révolutionnaires des années 30. Cet élargissement à l’Ouest du pouvoir prolétarien qui, seul, pouvait sauver et garantir ce précaire début qu’avait été l’insurrection victorieuse d’Octobre 1917.

Pourtant on comprend bien que la date de 1933, comme point de départ de la sinistre épopée, reste passablement conventionnelle. Une foule d’événements importants dans l’Allemagne et dans le monde avait précédé et déterminé la venue au pouvoir d’Hitler, cette année-là. Une exposition rigoureuse de cette phase historique devrait donc en faire remonter l’origine à l’échec de Spartakus en 1919, retracer les saccades de la répression qui, sous le règne « démocratique » de la République de Weimar, décimèrent et démoralisèrent les fractions les plus radicales et les plus courageuses de la classe ouvrière allemande, et surtout exposer sans faiblesse  les responsabilités dans cette situation d’une Internationale communiste qui, progressivement, ne découvrit à ces errements d’autre solution que l’obéissance la plus servile aux impératifs cyniques, exclusivement nationaux et foncièrement contre-révolutionnaires de l’Etat russe.

Mais en me réservant d’aborder ces sujets en d’autres parties de cette « chronique », je ne m’écarte cependant pas de la réalité objective, dans la manière arbitraire dont je limite dans le passé, les antécédents de la Seconde Guerre mondiale. J’y englobe intégralement, en effet, les événements qui rendirent visible et irréversible l’état de fait créé par le processus dont j’ai ébauché quelques lignes au paragraphe ci-dessus. A tout un chacun, parmi les militants révolutionnaires d’avant-garde (et si l’on fait exception pour quelques-uns d’entre eux, alors tout à fait inconnus) c’est le fameux « tournant » dont il est question plus haut qui, le premier, ouvrit les yeux sur l’involution de la IIIe Internationale et sur ce qu’on a appelé par la suite « la dégénérescence de la révolution russe ».

Prendre comme point de repère les faits qui débutent avec le « Front commun », c’est donc épouser rigoureusement les grands contours du processus de révélation  qui, d’autres circonstances aidant (hélas, elles firent défaut !) aurait pu dès lors éclairer au moins les esprits les plus clairvoyants, sur la série des mystifications et des impostures à l’ombre desquelles peut se perpétrer le plus grand carnage des temps contemporains.

C’est donc dans la formation, l’avènement et la gestion du Front Populaire qu’on peut identifier la première grande manœuvre politique apparente qui fît converger dans la plus intense des préparations du Second conflit mondial, tous les heurts politiques et sociaux de la situation contradictoire de cette veille de guerre. L’URSS qui jusque là soutenait les vaincus de la paix de Versailles – ouvertement par sa diplomatie à Genève, en faveur du « désarmement » et secrètement par la collaboration technique entre l’armée rouge et la Reichswehr, renversa brutalement ses batteries « démocratiques » ; signant à Moscou le pacte franco-russe avec Laval, il déclara approuver la France dans sa volonté de « maintenir une armée à la hauteur de ses responsabilités internationales ». C’était signifier à l’improviste au PCF qu’il devait lui aussi bouleverser sa stratégie politique. Le parti de Thorez obtempéra : engagé à fond dans l’antimilitarisme et l’agitation sociale, il devint du jour au lendemain le champion de la « défense nationale » et l’artisan le plus virulent de la nouvelle union sacrée aux côtés des radicaux bourgeois et des « social-traîtres », ennemis de la veille. La grande vague de grèves consécutives à la victoire électorale de cette coalition fut intégralement captée par ce tournant. Non seulement le PCF signifia aux travailleurs qu’il faut « savoir terminer une grève » et effectuer des heures supplémentaires pour la défense nationale, mais il retourna totalement et sans difficulté, l’état d’esprit des masses, jusque là plutôt frondeur à l’égard des « valeurs patriotiques ». Doublée du prétexte politico-social de l’antifascisme, l’invocation stalinienne de « l’ennemi héréditaire » d’Outre-Rhin, trouva auprès des ouvriers, le même écho forcené qu’elle ne rencontrait, quelques mois auparavant, qu’auprès des royalistes et nationalistes d’extrême droite. Aucune condition subjective ne faisait dès lors défaut pour que soit tentée la seule solution possible de la crise latente du capitalisme. De son côté, l’Allemagne, en proie à l’hystérique obsession de la recherche de son « espace vital », était sur pied de guerre depuis plusieurs années, à la suite de la défaite sans combat du prolétariat allemand devant Hitler.

Il s’agissait bien d’un revirement mondial. En Extrême Orient, depuis 1931, l’impérialisme japonais investissait la Mandchourie, prélude à l’éphémère domination nippone sur une grande partie du continent asiatique  après la destruction de la flotte de guerre américaine à Pearl Harbour. Aux USA le New Deal, d’abord destiné à tirer ble capital yankee des séquelles de la grande crise de 1929-33, ne pouvait déboucher que sur la perspective qui faisait de l’économie américaine « l’arsenal des démocraties » en vue du gigantesque conflit en gestation. Quant à l’URSS, comme le déclarait un rapport secret de Dimitrov, elle s’attachait – non pas à préparer la  révolution mondiale à travers la défaite escomptée du fascisme, ainsi que le croyaient ses naïfs adeptes occidentaux – mais à détourner vers l’Ouest l’expansionnisme nazi. Que sous cet aspect la manœuvre dût échouer – quand l’Allemagne facile vainqueur de la France, lança ses panzers dans les plaines russes, cela n’ôtait rien à l’efficacité de la mise en place des conditions idéologiques, politiques et militaires exigées par la Seconde Guerre impérialiste mondiale.

Avant la fatale échéance de septembre 1939, , l’éclatement de la guerre d’Espagne sembla interrompre le processus en direction du conflit mondial ; en réalité, il en fît mûrir l’éclosion. En juillet 1936, la classe ouvrière espagnole, seule capable de résister au putsch militaire de Franco, détruisit durant une brève période le pouvoir direct et procéda à d’audacieuses atteintes à la propriété privée des moyens de production : on y vît alors, dans l’optique des groupes révolutionnaires de l’époque, des mesures économiques plus radicalement socialistes que celles qu’auraient pris les bolcheviques en 1917. Ces épisodes tournèrent court, et les « conquêtes » ainsi réalisées rétrogradèrent bien vite devant ce qui prenait l’allure d’une longue guerre d’usure. Tout concourait d’ailleurs à orienter la « révolution espagnole » non pas dans une perspective prolétarienne, mais vers le signe, désormais historique  et international, de défense de la démocratie contre le fascisme. Sur le plan idéologique comme sur le plan politique, toutes les forces vives du mouvement étaient acquises à ce mot d’ordre ; même les traditionnels ennemis de l’Etat, les anarchistes, tout puissants en Catalogne, envoyèrent quelques-uns des leurs pour être des ministres de la généralité ! Tout comme eux – outre naturellement les socialistes et les « communistes » patronnés par Moscou – les trotskystes du POUM et les syndicalistes de la CNT subordonnèrent leur objectif révolutionnaire « final » à l’objectif immédiat du sauvetage de la République ; dans ce but ils renoncèrent à leurs armes propres : leur indépendance de parti, l’autonomie de leurs milices. En récompense, on sut les expédier sur les fronts les plus meurtriers et taire leurs critiques au nom de « l’unité et la discipline contre Franco ». 

La voie était donc rapidement devenue libre pour toutes les influences qui visaient bien davantage que la « lutte contre le fascisme », la consolidation d’intérêts absolument étrangers à ceux du prolétariat espagnol. Face à la présence militaire ouvertement affichée des Italiens et des Allemands qui soutenaient les troupes de Franco par l’action de leurs fantassins et de leurs tanks, en même temps que le bombardement sauvage de villes entières, la politique d’autruche de « non-intervention » permettait aux gouvernements de Londres et de Paris de s’en tenir à de belles paroles, sans risquer’ la rupture diplomatique avec Berlin et Rome. Quant à « l’aide » russe, parcimonieusement consentie, elle servait à Moscou de monnaie d’échange en vue d’obtenir pour ; le PC espagnol, minoritaire et peu suivi des ouvriers, une place au pouvoir totalement disproportionnée à son influence réelle. Dans ce but, les staliniens étaient prêts à n’importe quelle concession. Ils parvinrent donc à rallier au gouvernement Negrin les couches les plus rétrogrades de la bourgeoisie « républicaine » ; mais en résiliant, pour leur être agréable, les mesures initiales du mouvement révolutionnaire – notamment l’expropriation des grandes propriétés ; ils rendirent la paysannerie totalement indifférente au sort de la république. (…)

La lutte armée contre Franco se poursuivit pendant plus de trente mois, impitoyable, avec des pertes énormes. Mais elle devenait de plus en plus le champ clos où s’exprimaient les techniques militaires  de la guerre mondiale proche, et où s’en forgeait pratiquement l’idéologie, grâce à un retournement littéral de la fameuse formule de Lénine sur la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile révolutionnaire. Quelques mois, en effet, après la chute de Barcelone dans les mains des franquistes, le second conflit mondial débutait officiellement.

La guerre d’Espagne fut l’événement le plus favorable au succès de la mystification idéologique qui prît le nom d’antifascisme parce que, dans le cours des événements, et à la différence de la plupart des cas où ce mot d’ordre fut invoqué, le fascisme y était effectivement représenté par une force et une action réelle. Il semblait bien évident que la classe ouvrière en Espagne, pour éviter une réaction sanglante, ne pouvait faire autrement qu’appeler à l’aide toutes les « bonnes volontés » politiques, que solliciter l’appui tout désigné des gouvernements qui se déclaraient attachés à la « démocratie ».

Là, réside toute la tragédie du prolétariat espagnol : toute cette aide était pourrie, trompeuse, et ceux qui en tiraient les ficelles étaient prêts à sacrifier ce prolétariat à tous les marchandages. Parmi ces soutiens, on ne sait lesquels méritaient le moins la confiance . Les partis qui représentaient la fraction républicaine de la bourgeoisie avaient littéralement permis à Franco, dont les intentions ne faisaient mystère pour personne, de regrouper ses forces militaires au Maroc en vue du putsch. Les socialistes appelés à siéger au gouvernement de  la République, étaient exactement les mêmes que ceux qui, lors d’un passage précédent au pouvoir, avaient brutalement réprimé la grève des Asturies. Le gouvernement de Blum, auquel les ouvriers parisiens réclamaient sur l’air  des lampions « des avions et des canons pour l’Espagne » était occupé à ce moment précis à reprendre à ces mêmes ouvriers les « grandes c conquêtes » de juin 36 ; il avait même décrété « la pause » pour rétablir la paix sociale, avant de capituler de vant le parlementaire « mur de l’argent ». Quant à Staline, qui exactement à la même époque, exterminait la vieille garde bolchevique et, en vue de séduire les « grandes démocraties capitalistes, faisait sauter la tête des derniers héros d’Octobre 17, son grand souci – nous l’avons vu plus haut par la déclaration de Dimitrov – était de détourner vers l’Ouest les buts de guerre de Hitler.

Naturellement, tout cela était ignoré ou nié par les hommes de gauche, et seulement partiellement et partialement révélé par l’anticommunisme de la droite. Dans ce que j’en ai dit, je m’inspire d’une étude de Vercesi dans « Bilan ».  Cette revue, publiée en Belgique de 1936 à 1939 par d’ex-trotskystes ralliés au « bordighisme » exposait à l’époque la situation sans issue du mouvement ouvrier en Espagne ; dans ce pays aux structures archaïques, où la bourgeoisie n’a jamais pu tenter la moindre réforme, « sans être prise immédiatement à la gorge par le prolétariat », l’heure des bouleversements révolutionnaires, juste au moment où l’œuvre d’Octobre 17  agonisait sous les coups de la contre-révolution stalinienne et, de tous côtés, on fourbissait les armes du second conflit mondial.

Mais en 1937, une telle littérature était totalement inconnue du public. Moi-même, je ne la découvris que dix ans plus tard : comme on l’a vu dans mon « prologue », ma réaction à la politique des « antifascistes » à l’égard de l’Espagne, était surtout intuitive, et j’y reniflais une forte odeur de traquenard. Aujourd’hui encore l’obscurité est toujours aussi épaisse autour de cette tragédie ; hormis les opuscules, de tradition anarchiste ou autre, et dont la diffusion ne peut dépasser le cercle d’une minorité d’initiés, seuls deux ou trois ouvrages objectifs et documentés se sont efforcés de soulever le voile, sans provoquer grand remue-ménage des esprits6

 Barcelone se rendit à Franco en janvier 1939. C'était le dernier point d'appui des républicains dont les troupes refluaient vers les Pyrénées, accompagnées de civils, de femmes et d'enfants. Sur cet abandon sans combat de la capitale de la Catalogne, planit l'ombre suspecte de l'entrevue de la veille à Rome entre le gouvernement anglais et celui du Duce. Quoiqu'il en soit, ce fût le signal de la fin.

 (…) Déjà, à la suite des virages politiques du stalinisme et des spéculations idéologiques derrière lesquelles il en dissimulait les sordides mobiles, l'internationalisme, la solidarité mondiale des travailleurs n'étaient plus que des figures de style utilisées selon les besoins de la cause. Du moins pouvait-on croire à l'existence, dans la psychologie sociale d'un fonds humanitaire dont on trouvait par exemple la trace dans le fait que l'opinion ouvrière se refusait à rendre le peuple allemand responsable des crimes d'Hitler. Mais on devinait déjà qu'il viendrait un moment, une fois la violence déchaînée avec l'incommensurable quantité d'horreur dont elle était prometteuse, que cet antifascisme encore humain céderait la place à la haine la plus aveugle et à la vindicte la plus impitoyable. On sentait bien dès cette époque, que tous les sentiments et principes qui s'étaient mobilisés contre la guerre en 1914-18, presque en son début, et qui s'étaient poursuivis, amplifiés sur sa fin, ne ressusciteraient pas pour s'opposer à celle qui commençait en 1939, ni la veille, ni pendant, ni surtout après.

(…) Mon grief à leur égard (toutes les fractions de l'extrême gauche) tient plutôt en ceci : s'ils n'avaient pas adhéré de cœur à la Résistance, qui ne fût que l'ancrage en profondeur du conflit impérialiste, ils n'eussent pas été muselés idéologiquement lorsqu'il redevint possible, la guerre finie, de démasquer le véritable contenu de l'antifascisme. Hitler éliminé, l'Allemagne à genoux, d'immenses ravages matériels ouvrant les plus belles perspectives de reconstruction, la manœuvre du capital mon dial appuyé à fond par le stalinisme, consistait à faire du prolétariat allemand le bouc émissaire de la totalité des horreurs de la guerre, afin que, en son centre crucial, le système ne courut pas le risque d'être contesté ; car, même si la bourgeoisie internationale ne craignait pas que sa guerre se termine, comme la fois précédente par la révolution, il est certain qu'elle n'en avait pas oublié l'avertissement »7.



 

 


 NOTES


1Le billet de Jonathan Bouchet-Petersen

2Du jamais vu qui est hors de la vue des vieux abstentionnistes stratosphériques : les Français (et les prolétaires) ne se montrent plus tellement enclins à respecter les «consignes de vote» édictées par les partis politiques ou par les personnalités publiques. Plus d’un sondé sur deux (51%) annonce ainsi qu’il ne tiendra pas compte de quelque appel que ce soit.

4Même aveuglement que l'islamo-gauchisme par le CCI qui, du haut de sa stratosphère, en reste à une vision oecuménique de la classe ouvrière, hors sol, alors que des prolétaires arabes votent RN pour les mêmes raisons que leurs camarades français : « Au-delà du «clientélisme», Zineb* «en a marre d’être constamment assignée» à la gauche. Elle se rappelle d’une distribution de tracts dans sa ville, où un militant LFI lui avait dit que le parti «(la) défendrait coûte que coûte, car les musulmans sont discriminés». Or, Zineb n’est pas musulmane. «Pour la gauche “bienveillante”, qui veut défendre les minorités, un Français d’origine maghrébine est forcément musulman. Et s’il ne vote pas pour elle, c’est qu’il est stupide et qu’il ne sait pas ce qui est le mieux pour lui. Les islamistes ont le même mode de pensée, puisqu’une Maghrébine doit forcément être musulmane et voilée, selon eux.»«Je ne pense pas que le RN a réponse à tout...», souffle Leïla. «Mon vote RN n’est pas un vote d’adhésion totale, mais un symbole», avance de son côté Aida*, trentenaire d’origine tunisienne, non-musulmane. Un positionnement qui s’explique par deux agressions verbales commises par des musulmans radicaux, pendant le ramadan, alors qu'elle mangeait à la terrasse d'un café un midi, et un sandwich dans la rue un autre. «Je vis depuis plusieurs années dans un quartier très musulman, et depuis je rase les murs», reprend Myriam. «Un jour, ma fille est venue me rendre visite avec une de ses amies marocaine. Sa copine portait un haut assez sexy et, dans le bus, une femme voilée l’a insultée et l’a traitée de mécréante!». «La gauche ne dit pas qu'on se fait insulter de mécréante quand on met un décolleté!», clame également Aida. (in Le Figaro)

5En Italie, Giorgia Meloni a réussi à apprivoiser les milieux économiques avec quelques gages : l’adhésion à l’Union européenne et à l’Otan, et la construction d’une relation de confiance avec son prédécesseur et ancien patron de la Banque centrale européenne Mario Draghi. Aux États-Unis, en 2016, Donald Trump avait eu à ses côtés comme secrétaire au Trésor Steven Mnuchin, un ancien de Goldman Sachs (comme Draghi d’ailleurs). «Marine Le Pen et Jordan Bardella ont pleinement conscience que les troupes historiques du Rassemblement national ne constituent pas un vivier suffisant pour un gouvernement», confie un proche, qui prédit un gouvernement composé pour un tiers de troupes du parti, pour un autre tiers de politiques ralliés, et pour un dernier de personnalités de la société civile.

6Laugier fait sans doute allusion pour l'époque à « Catalogne libertaire » de Georges Orwell et aux travaux de Broué. En 2006 j'ai publié « Espagne 1937, une guerre qui ne voulait pas dire son nom (ed du pavé 300 pages), sans aucune réaction....

7Ce texte si lucide et explicatif fait partie de centaines de pages écrites au début des années 1970 par Lucien Laugier, il s'intitule « La guerre et ses antécédents » (10 pages) d'une œuvre qui en comporte des centaines d'une capacité d 'analyse marxiste épatante et d'une écriture rarement égalée dans le milieu révolutionnaire depuis centa ans. Laugier est la quintessence de ce qui pouvait sortir de mieux du bordiguisme qui, pour l'essentiel s'est effondré juste après mai 68. Laugier au milieu des années 1970, qui avait croisé Marc Chirik en 1945, s'était vraiment rapproché des positions de RI futur CCI, et souhaitait entrer en contact mais la mort l'a emporté avant. Evidemment j'aimerais que le CCI publie en entier ce texte dans sa revue internationale. Qui sait ?

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