PAGES PROLETARIENNES

jeudi 27 juillet 2023

Staline et le communisme allemand


 Paul Mattick 1949

 

Critique de  Stalin and German Communism. A Study in the Origins of the State Party [Staline et le communisme allemand. Une étude des origines du parti-État] par Ruth Fischer, Harvard University Press, 1948, 687 pp., $ 80.
Source Western Socialist, Boston, USA, mars-avril, 1949.

traduction: Jean-Pierre Laffitte


 Mattick reste pour nous un des plus grands personnages du maximalisme; il m'a toujours paru étonnant que ce révolutionnaire marxiste depuis son adolescence ait été publié par les éditions bourgeoises Gallimard! Le texte suivant du beau Paul Mattick révèle l'importance de sa réflexion politique qui a pris la place d'un éléphant dans le magasin des vieilles porcelaines léninistes et bordiguistes! Outre qu'il suit l'évolution politique puis les errements de Ruth Fischer, considère la création de l'IC comme artificielle, montre la régression de l'anti-stalinisme primaire (avec les oublis des exclus quant à leur propre trajectoire),  la fausse possibilité d'empêcher Hitler de parvenir au pouvoir par des combinaisons "démocratiques" avec les factions bourgeoises et enfin démonte la fable du parti prolétarien au pouvoir Mattick fut présent entre autres à la réunion de Taverny en 1969 (je vous en avais promis les détails, en voici quelques uns, que j'ai aussi repiqués pour mon histoire du maximalisme): 

"Depuis quelque temps, ICO organisait régulièrement des rencontres internationales. La première s'était tenue à Taverny les 29-30 juillet 1966, avec le groupe anglais Solidarity, des Allemands et des Belges ; la seconde en 1967, avec les mêmes plus Mattick et un situationniste nommé Le Glou, venu foutre la pagaille. En 1968, aucune rencontre n'est organisée, tout le monde étant absorbé par d’autres occupations plus urgentes. Mais en 1969 une réunion nationale se tient à Taverny, avec la participation de tendances et groupes fort différents, dont Révolution internationale (le nouveau groupe de Marc Chirik, formé dès le retour à Paris de celui-ci). Paul Mattick, sa femme Ilse et leur fils Paul y sont présents. C'est aussi la première fois que l'on voit Guillaume et Barrot présenter leur texte sur l'idéologie de l'ultra-gauche allemande et sur les communistes de conseil. Daniel demande à Serge et à Paul Mattick de répondre à ce genre d'allégations, mais tous deux estiment qu’elles sont trop stupides pour en valoir la peine. En 1969 (11-12 juillet), une réunion internationale est à nouveau organisée, cette fois à Bruxelles. Y participent les Mattick, Malaquais et Daniel Cohn-Bendit, entre autres. Serge s’y rend avec Claude Orsoni, bien qu'il ait rompu avec ICO dans un article intitulé La différence".

Vous pouvez en lire l'intégralité, passionnante, dans la biographie de Serge Bricianer (avec des militants qui ne craignaient pas d'être pris en photo):  vivelasociale.org › html › archives › AR_serge_biographie


                                                    o O o

La situation d’après-guerre, avec les nouvelles rivalités impérialistes, a produit une vague de littérature antibolchevique. Le dernier d’une série de plusieurs gros volumes, qui a commencé avec la biographie de Staline par Trotski, est l’œuvre de Ruth Fischer qui porte sur la relation entre Staline et le Parti Communiste Allemand. Traiter le stalinisme de cette manière est particulièrement approprié, car la concurrence entre l'Amérique et la Russie concerne le contrôle d'autres pays. Le “viol” de petites nations par de grandes puissances représente un cri de ralliement pour la guerre ; ce qui est compréhensible, car ce que son rival avale est perdu pour son propre appétit. L'intérêt porté aux moyens de “l'agression” russe est par conséquent grand et ce livre espère le maintenir éveillé pour les nouvelles luttes qui approchent contre le totalitarisme en expansion.

L’introduction du professeur Fay 

Pour présenter Ruth Fischer aux lecteurs américains, le professeur Fay de Harvard fait remarquer que son exposé de la politique russe est de la plus grande importance pour le monde d’aujourd'hui, parce qu’il montre que les partis communistes travaillent pour « leurs maîtres moscovites plutôt qu’en honnêtes patriotes pour le bien de leur pays natal ». Les efforts russes pour manipuler la politique communiste allemande sans considération des propres intérêts de l’Allemagne, dit-il, a été une raison importante pour la rupture de Ruth Fischer avec Moscou. C'est d'ailleurs une profonde préoccupation démocratique pour le “droit à l'autodétermination nationale” de Lénine qui a fait d'elle en premier lieu une communiste. Selon Fay, c’est le refus de la part des dirigeants sociaux-démocrates de penser en termes de réelle autonomie pour les différentes nationalités composant l’État austro-hongrois qui a amené Ruth Fischer à l’extrême gauche de son parti et qui a fait d’elle l’un des fondateurs du communisme autrichien. Ceci explique pourquoi Ruth Fischer est reléguée au rang des nombreux martyrs et hommes d’État patriotes qui ont fui le nouvel Empire russe pour écrire des livres aux États-Unis.

L’attitude de protection prise par le professeur Fay à l’égard de son auteure et de lui-même est plutôt superflue. La sympathie pour les communistes “allemands” est vouée à croître avec l'approche de la guerre contre la Russie, tout comme les sympathies pour les communistes “russes” ont pris des formes d'amour fraternel lors de la Seconde Guerre mondiale contre les totalitaires allemands. Bien qu’il y ait eu une période d’ardent nationalisme allemand dans la vie politique de Ruth Fischer, son patriotisme ne doit pas être pris trop au sérieux. Après tout, elle a changé plutôt rapidement en passant de “la lutte pour l’auto-détermination” en Autriche au Parti Communiste Allemand “authentiquement inter-national”. Et, au sein de ce parti, selon les propres termes de Fay, « en tant que jeune femme  au début de la vingtaine et qui n’est même pas citoyenne allemande », elle s'est élevée rapidement, « à sa grande surprise », à la position qui lui permet aujourd'hui de parler avec autorité du communisme, et du communisme allemand en particulier.

Naturellement, il n’est pas possible de rendre Ruth Fischer responsable de la préface étrange et mal informée du professeur Fay ; c’est elle qui travaille pour Harvard et non pas le contraire. Il est néanmoins tout à fait irritant de voir le professeur Fay déplorer la désunion de la classe ouvrière allemande, qui a prétendument empêché le plein succès démocratique de la République de Weimar, comme étant « un tragique malheur pour le monde ». Et cela en guise d'introduction à un livre qui montre très clairement que ce n'est pas la désunion dans les rangs des travailleurs, mais l'unité entre la bourgeoisie et le mouvement ouvrier démocratique, qui a entravé le déroulement d'une « révolution vraiment démocratique ». La scission entre “socialistes” et  “communistes” en 1918 n'a pas provoqué l'effondrement de Weimar, mais elle a été une tentative pour développer une force révolutionnaire en Allemagne capable d'empêcher une restauration capitaliste et le retour de l'impérialisme allemand.

Pourtant, quand le professeur Fay parle de « révolution réellement démocratique », il ne pense pas en termes de socialisme. Il préfère simplement Weimar au Troisième Reich, et, même à la date actuelle, il maintient l’illusion commode selon laquelle un front uni entre les “socialistes” et les “communistes” aurait empêché le régime hitlérien. Mais la République de Weimar a abouti au Troisième Reich parce qu’il n’y a pas eu de révolution socialiste, parce que, pour parler comme Fay, la division dans la classe ouvrière n’avait pas été suffisamment grande. Le professeur Fay semble avoir raté tout l'intérêt du livre de Ruth Fischer, à savoir que le stalinisme représente une sorte de fascisme rouge. Et pas seulement depuis la conclusion de la Seconde Guerre mondiale, mais depuis de nombreuses années avant le pacte Hitler-Staline. Le clivage du mouvement ouvrier en 1933 représentait quelque chose d’autre que la division en 1918. Avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir, les organisations et les syndicats sociaux-démocrates, qui étaient de sensibilité capitaliste, ont fait face aux totalitaires russes en habits allemands. Hitler a pu détruire le mouvement ouvrier allemand aussi facilement non pas parce qu’il était désuni, mais parce que, pour partie, il n’était pas un mouvement ouvrier, et, pour partie, il n’était pas allemand.

Le Bottin mondain du communisme 

Si l’on laisse de côté la préface, les premières deux cent pages de Ruth Fischer fournissent un compte rendu objectif et écrit de manière intéressante des changements politiques qui ont eu lieu en Allemagne après la Première Guerre mondiale. Elles traitent du développement du mouvement de gauche allemand durant la guerre, avec le Spartakusbund et des organisations similaires, leur fusion dans le Parti communiste, les désaccords au sein de ce parti, son utilisation de bonne heure comme un instrument de la politique étrangère russe, la position et les relations des conseils des ouvriers et des soldats vis-à-vis des organisations politiques établies et des syndicats, l’échec de toutes les aspirations révolutionnaires, et le retour du militarisme allemand.

La plus grande partie du livre reste cependant intéressante, principalement parce que c’est un exemple de la vision de l’histoire d’une révolutionnaire professionnelle. Avec l'entrée de Ruth Fischer dans le paysage politique que son livre décrit, une grande partie de l'objectivité qui caractérise la première partie de l'ouvrage fait place à la colère subjective de la femme politique vaincue. L’histoire est alors vue presque exclusivement dans la forme biaisée des luttes inter- et intra-parti ; la faction de parti et le dirigeant de parti remplacent le traditionnel “héros” ou “méchant” dans l’explication du changement historique. Elle parle alors de « l'instinct sûr du politicien né pour le pouvoir », qui fait appel à « la vanité de la matière première non transformée de la société », c'est-à-dire les travailleurs, et qui bat ceux qui sont moins favorablement doués pour la lutte pour le pouvoir. Cette manière d’écrire l’histoire demande une grande quantité « d’informations de l’intérieur » et elle transforme son livre en un véritable « Bottin mondain du communisme », ainsi que son éditeur le signale volontiers. Le fait qu'une grande partie de ces informations apparaît dans des notes de bas de page n'en diminue pas son importance. Elle est donc facilement accessible à ceux qui aiment faire correspondre les célèbres fichiers du Kremlin à la disposition de Staline avec les appareils de bureau similaires, mais démocratiques, de ce pays.

“Trahison” 

Même la qualité des premières parties du livre est quelque peu abîmée par une tentative  pour rendre la trahison stalinienne du communisme “allemand” plus odieuse en accordant à la gauche allemande un plus grand crédit qu’elle ne le mérite. Même si, à la suite de la Première Guerre mondiale, une minorité du mouvement ouvrier allemand est allée plus loin dans ses aspirations révolutionnaires que d’autres groupes minoritaires dans d’autres pays, son incapacité à surmonter son passé social-démocrate a transcendé son empressement subjectif à prendre la révolution au sérieux. L’absence d’idées précises sur la façon de procéder, la substitution de slogans à des plans concrets, l’incapacité à juger la situation mondiale de manière réaliste, ont expliqué à la fois la demande de leadership et l'indécision des dirigeants à la tête du mouvement. Tous les efforts déployés, tout l'héroïsme manifesté, tous les sacrifices subis, n'ont finalement été pas davantage qu'un faible geste dans la bonne direction, incapable d’influencer la plus grande partie du mouvement ouvrier, occupée qu'elle était à restaurer le monde déchiré par la guerre au moyen de réformes capitalistes.

Domination russe 

Il n'y avait pas grand-chose à “trahir”. En outre, si l‘aile radicale du mouvement ouvrier allemand a pu passer sous la domination russe en l’espace de quelques années, il a dû y avoir des tendances au sein du mouvement lui-même qui ont favorisé la domination bolchevique. En fait, c’était de nouveau une minorité dans la minorité qui essayait sérieusement de briser avec la tradition de réforme à laquelle à la fois les socialistes et les bolcheviks adhéraient. Les différences entre ces derniers groupes étaient simplement de nature tactique, ou plutôt liées à des problèmes tactiques à un moment historique particulier. Sur la question devoir ce qui constitue le socialisme, les deux étaient d’accord sur la nationalisation de la propriété capitaliste et sur son administration par l’État. Un parti était bien décidé à s’emparer du pouvoir gouvernemental par la révolution, et l’autre par la réforme. La plupart des communistes allemands ont accepté aussi facilement la direction bolchevique parce qu'elle correspondait à leurs propres idées de système révolutionnaire.

Il y avait cependant des groupes de communistes qui essayaient de concrétiser le slogan : “Tout le pouvoir aux soviets”. Ils préconisaient des actions et proposaient des objectifs qui allaient au-delà de la compréhension et des intérêts des révolutionnaires cherchant à obtenir des postes gouvernementaux dans une société contrôlée par l'État. Eux aussi ont eu leur chance dans les convulsions politiques entre 1918 et 1921. Mais il y a toujours eu un front uni informel de “socialistes” et de bolcheviks qui opérait contre eux. L’intervention russe s’est installée avec l’attaque menée par Lénine contre la a prétendue “ultragauche” en Allemagne. Contre son « radicalisme infantile », il recommandait avec insistance de revenir au parlementarisme, à l’activité syndicale, à l’opportunisme en général. Ses disciples allemands n’ont pas hésité à provoquer une scission dans le jeune Parti Communiste afin de cadrer avec les goûts et les besoins du grand leader russe. À cette époque-là, Ruth Fischer n’était pas encore en position de leader, mais elle soutenait Zinoviev et Radek, les exécutants du programme de Moscou.

La domination russe sur le communisme allemand n’a pas eu à attendre la venue au pouvoir de Staline ; elle a été instituée très tôt par Lénine lui-même avec la création artificielle de la Troisième Internationale, avec les 21 points d’admission, en subordonnant le mouvement international aux décisions des dirigeants russes, en poussant à la scission le Parti Communiste qui était à l’origine anti-réformiste, et en fusionnant sa droite léniniste avec les Socialistes indépendants réformistes. Si Ruth Fischer parle invariablement d’elle-même comme représentante d’une opposition de “gauche”, il doit être signalé que ce factionnalisme de gauche n’avait absolument rien à voir avec les tentatives réelles des radicaux de gauche de s’opposer au système totalitaire du bolchevisme. Son travail s'est poursuivi au sein du parti bolchevik et il est simplement lié aux besoins de manipulation des superviseurs russes au cours des premiers stades de leur totalitarisme en développement. Avec une faction de “gauche” et une faction de “droite”, la manœuvre était facilitée. Maintenant, ils pouvaient souffler le chaud et le froid, bouger dans une direction ou une autre, ou ne pas bouger du tout. Ils pouvaient avancer ou reculer, adopter le réformisme ou la révolution, être nationaux ou internationaux, exactement comme les besoins changeants de l’État russe l’exigeaient. Ni la “gauche”, ni la “droite”, n’avaient une politique indépendante, mais elles représentaient différents groupes d’hommes politiques qui mettaient l’accent sur l’un ou l’autre aspect du bolchevisme, faisant en sorte de sécuriser à tout moment le contrôle des manipulateurs russes.

Purges 

Le besoin de cette forme largement indirecte de contrôle a cessé d’exister avec la stabilisation du capitalisme mondial et l’achèvement du système autoritaire en Russie. Le factionnalisme est devenu tout d’abord un luxe inutile, et ensuite une contrariété lorsqu’il ralentissait l’exécution des ordres venant d’en haut. Quand il est devenu clair que ni l’humeur des masses, ni les opinions des membres du parti, n’avaient plus de poids, paralysées qu’elles étaient par les conditions mondiales relativement stables, des méthodes de contrôle plus directes ont été introduites. La “purge” a remplacé le bavardage vide sur les virages “à droite” et “à gauche” et toutes les décisions prises par le Comité Central représentaient la “ligne correcte” comme étant la ligne indiscutable. Ceux qui ne saisissaient pas le changement de situation étaient rapidement mis sur la touche.

Elle n'est pas antitotalitaire 

L’ascension, mais aussi la chute, de Ruth Fisher, ne s’expliquent par aucune sorte d’antitotalitarisme de sa part, mais par certains changements tactiques imposés par la direction russe et par la lutte pour le contrôle qui faisait rage dans le Parti russe. La politique du Komintern, qui faisait des allers et retours entre le réformisme et le putschisme, dans une recherche constante d’un plus grand soutien aux politiques de l’État russe, a conduit à l’échec du soulèvement d’Octobre 1923. Dans la tentative de déplacer la responsabilité de cet échec des niveaux supérieurs aux niveaux inférieurs de la hiérarchie du Komintern, la direction du Parti Communiste Allemand, parrainée par les Russes, a été forcée de faire place à ses concurrents “de gauche” inexpérimentés. Au sein du Parti russe, la lutte pour le poste de Lénine battait déjà son plein. Trotski  jouait lui aussi un air “de gauche”. Cependant, Maslow et Fischer pensaient à une mélodie différente, et, en soutenant Staline et Zinoviev en Russie, ils s’assuraient de la direction allemande. Une fois au pouvoir, l'orientation “de gauche” s'est avérée être synonyme d'un nouveau déclin de la démocratie de parti, de davantage de discipline, de plus d'autoritarisme. Mais si le soutien de Staline et de Zinoviev a permis à Maslow et à Fischer d’obtenir la direction allemande, elle a bientôt été de nouveau perdue à cause de la lutte de Staline contre Zinoviev pour le contrôle du Parti russe. Un virage général vers la “droite” a disqualifié Zinoviev et a soutenu Staline. Cela a forcé le premier à dénoncer et à anéantir ses partisans “de gauche” afin de fortifier sa position vis-à-vis de la clique de Staline. Mais Staline a remporté le combat et, la question de la direction ayant été ainsi définitivement réglée, tous les antistaliniens, y compris Maslow et Fischer, ont été éjectés du Parti.

Si les luttes internes au Parti ont forcé Ruth Fischer à prendre une position oppositionnelle réelle, son orientation “de gauche” est maintenant devenue simplement un point de vue antistalinien. Comme tous les autres groupes d’opposition exclus, le sien a persisté à se considérer comme le seul « véritable » mouvement bolchevik opposé à la « contre-révolution » stalinienne. Ils ont mis sur pied de nouvelles organisations qui ne différaient ni dans la forme, ni en esprit, de celles des staliniens, et ils ont passé le reste de leur existence pseudo-politique avec l’espoir illusoire de regagner leur place “légitime” dans le mouvement bolchevik international.

Cependant, pour autant que Staline était concerné, ils n’ont plus eu bouche cousue. Maintenant, ils pouvaient critiquer, diffamer et ridiculiser, à volonté. Ruth Fischer ne ménage rien, pas même sa propre imagination bizarre, pour prouver la dévalorisation totale de ses ennemis et amis politiques d'hier. Même les échecs, les erreurs et les accords louches, du bolchevisme pré-stalinien sont maintenant exposés, bien qu'en partie excusés. Ils étaient bien sûr connus d'elle lorsqu'elle était encore au pouvoir, mais tant que le silence était d'or, elle se taisait, comme il convient à un bon bolchevik.

Pour parler d’une contre-révolution stalinienne, Ruth Fischer doit défendre les politiques de Lénine, et par conséquent, simultanément, justifier son propre passé politique. C’est presque de façon masochiste qu’elle essaie d’exonérer Lénine de ses interventions dans la politique allemande. Ce n'est pas vraiment Lénine, dit-elle, mais d'autres, qui « ont amené Lénine à recommander l'élimination de Maslow du Parti allemand ». C'est là, sans aucun doute, l'extrême du renoncement à soi-même, étant donné que Maslow est le véritable héros de son livre ; un génie polyvalent, comme s’il surgissait de la couverture du magazine Time. Sur toutes les questions cruciales, écrit-elle, « l’intervention de Lénine dans les affaires communistes allemandes présente une attitude directement opposée à celle de Staline ». Et cela en raison d’un « contraste dans le caractère » et d’un « climat politique différent ». Même si « Lénine s'est battu pour le pouvoir centralisé du parti », dit-elle, c'était « toujours en pleine conscience des dangers que courait le concept original de la démocratie soviétique dans l'utilisation de mesures obligatoires » !

Bien que conscient des dangers que cela impliquait, Lénine décidait néanmoins de vivre dangereusement. Cela doit être d’un grand réconfort pour les révolutionnaires massacrés à Cronstadt de savoir, s’ils le pouvaient, que Lénine se faisait du souci pour la démocratie tandis qu’il appliquait la loi martiale. Et aussi pour les otages morts, massacrés démocratiquement à raison de deux cents pour un. Qui sait, le rapport aurait peut-être été moins favorable aux victimes sans le concept originel de démocratie soviétique de Lénine ? Cependant, le modèle Dzerjinski avait évolué non seulement comme une arme contre les gardes blancs, mais aussi pour la lutte contre la démocratie soviétique. Cette dernière était la révolution elle-même, mais elle n’était pas encore placée sous le contrôle du parti. Elle était l'ennemi que Lénine a combattu et dont Staline a finalement triomphé.   

Toute la théorie et la pratique de Lénine contredisent l’interprétation de Ruth Fischer. Tout ce qu'elle a à offrir à l'appui de sa thèse est une promesse pour après la prise du pouvoir. Bien sûr, tous les dirigeants et groupes dirigeants déclarent que leur dictature est un moyen nécessaire, bien que désagréable, d'une vie meilleure pour tous. S’ils sont encore en train de se battre pour arriver au pouvoir, leurs promesses sont tout à fait précises ; dès qu’ils sont au pouvoir, les promesses deviennent au contraire vagues et leur réalisation est reléguée dans un futur lointain. Les promesses de Lénine sont toujours sur les lèvres de Staline. Et ce que Lénine avait l’intention de faire en Russie a été accompli dans son économie d’État. L’État russe ne doit pas différer du concept du parti que l’on trouve chez Lénine et qui a été développé longtemps avant la révolution. Si ses principes d’organisation et de contrôle semblent être différents de la réalité russe, c'est parce qu'elle ne concerne plus quelques milliers de personnes, mais plus de 160 millions, non plus un groupe restreint de révolutionnaires, mais toutes les couches sociales de la Russie et au-delà.

En tout cas, qu'est-ce que c'est au juste que tout ce discours portant sur la structure de caractère du leader ? Quelle sorte de mouvement “social” est représentée par des organisations qui dépendent dans leur destination du caractère du leader ? Certainement pas un mouvement communiste qui essaie de briser la monopolisation du pouvoir et à mettre fin à la structure en classes sociales. Dans le récit de Ruth Fischer, l’ensemble du stalinisme et de l’impérialisme russe moderne semble résulter de la mort prématurée de Lénine. « Après le deuxième AVC de Lénine », écrit-elle, « Staline a serré les vis ». Et au fur et à mesure que « Lénine s’affaiblissait, Staline devenait plus audacieux ». La position de Zinoviev « est devenue de plus en plus difficile entre le deuxième et le troisième AVC de Lénine », et ainsi de suite, jusqu'à ce que tout soit perdu avec le dernier souffle de Lénine.

Parti d’État – Capitalisme d’État 

La tentative de Ruth Fischer de révéler les « origines du parti d'État » ne réussit qu'à montrer certaines de ses manifestations, étant donné qu’elle est incapable d’échapper à sa propre idéologie bolchevique. Elle écrit sur le mouvement révolutionnaire comme Eisenhower écrit sur la guerre. Tout est question de leadership et de stratégie, et le reste n’est que de la logistique. Apparemment, l'« origine » du parti d'État coïncide avec la nomination de Staline au poste de secrétaire général en 1921, car, à partir de la page 232 de son livre, elle décide     « de mettre une majuscule au mot Parti lorsqu'il se réfère à l'institution russe, afin d'indiquer qu'il est devenu le seul instrument du pouvoir dans l'État ». Comme le fait de mettre une majuscule à un mot ne peut pas servir d'explication, tout son livre doit servir à expliquer cette opération. Dans ce cas, l'histoire du bolchevisme, c’est l'histoire de l'avènement du Parti d’État, et contre cela il n'y avait rien d'autre que les qualités de caractère de Lénine et, bien sûr, la sincérité révolutionnaire de Maslow, de Fischer et de leurs partisans anonymes. Le fait qu’il soit possible cependant de se battre pour le pouvoir absolu de l'État sans devenir Parti d'État reste inexpliqué.

Les origines du parti d'État, russe ou autre, ne sont pas secrètes ; elles sont identiques à celles qui ont donné de l’impulsion à l'accumulation et à l'expansion du capitalisme mondial. Le capitalisme d'État russe, comme le fascisme allemand, est une réaction nationale aux changements, dans les configurations internationales de pouvoir, qui ont été provoqués par une concurrence à grande échelle. Il n'y a rien de spécifiquement russe, bolchevique ou stalinien, dans le développement du capitalisme d'Etat, lequel implique le parti d’Etat. Désigner le Parti stalinien comme l’initiateur et le porteur du totalitarisme, c'est obscurcir la nature du capitalisme actuel, dont la tendance générale est au régime totalitaire. Un antitotalitarisme qui n'est qu'un anti-stalinisme ne peut mener à d'autre fin que la « croisade » antitotalitaire contre Hitler.

Certes, le refus de voir dans le totalitarisme russe le seul – actuel – ou le principal ennemi, n'est un motif d’excuse pour aucune des actions bolcheviques, ni pour  aucun de leurs dirigeants. Les machinations perverses de Staline et des staliniens en Russie, en Allemagne et ailleurs, telles qu’elles sont relatées par Ruth Fischer et par un nombre croissant de communistes réfugiés, sont tout autant indispensables à la compréhension des tendances politiques que la littérature consacrée à la « reconstruction socialiste » en Angleterre, ou à la concentration du pouvoir et du capital aux États-Unis. A cet égard, cependant, Ruth Fischer ne rapporte que plus en détail ce qui a été dit auparavant par d'autres personnes qui se sont confessées, tout en étant plus ou moins affligées d'amnésie quant à leur propre passé. Ce n'est rien de plus que la lutte pour le pouvoir au sein du régime bolchevik et ses répercussions au sein de la branche allemande, toutes deux imbriquées dans les jeux de pouvoir impérialistes passés et actuels. Le récit se termine par la déclaration de Ruth Fischer selon laquelle « elle n'est plus en mesure de s'identifier à aucun des groupes » autrefois impliqués dans les combats que son livre relate.

 

 


 

dimanche 23 juillet 2023

Marx et le nouvel ordre mondial

 



Arthur Shadwell

(Éditorial du 9 mai 1918)

traduction: Jean-Pierre Laffitte

(lecture vacancière...)

 

Karl Marx est né il y a cent ans dimanche dernier. Par une singulière fatalité, cet anniversaire tombe à un moment qui présente le contraste le plus dramatique que l’on peut concevoir avec sa mission. Il était l’apôtre et le prophète de la guerre entre les classes et de l’unité entre les peuples. Aujourd'hui, nous sommes témoins du renversement total de ces idées. Nous voyons les classes unies comme jamais auparavant au sein des nations et les nations elles-mêmes déchirées comme jamais auparavant. Nous voyons les peuples se dresser en rangs serrés les uns contre les autres, bloqués qu’ils sont dans une lutte à mort intense qui s’élève même maintenant jusqu’au point suprême de la destruction mutuelle. Certes, ce n'est pas encore la fin. Personne ne peut dire comment cette guerre finira ou ce qu’il adviendra ensuite. Mais il est possible que le résultat final se rapproche dans une certaine mesure de l’idéal marxiste. Un nouvel ordre international est en train de naître ; nous pouvons voir cela parce que nous assistons aux douleurs de son enfantement. Et l'ordre des classes au sein des nations sera différent ; nous pouvons voir cela aussi. La voie n’est cependant pas la voie indiquée par Marx, et elle ne mènera pas à la fin qu’il envisageait. Il voyait l’abolition des barrières nationales au moyen de la guerre des classes, laquelle devait abolir les classes et les antagonismes de classe en faisant des classes laborieuses, qui « n’ont pas de patrie », la classe suprême dans toutes les nations. Le processus a été renversé. Ce sont l’affirmation de la nationalité et les antagonismes nationaux en résultant qui ont entraîné la suppression ou la suspension des antagonismes de classe et qui provoqueront peut-être la suprématie des classes laborieuses. Mais la possibilité de cette dernière hypothèse dépend de l’issue de la guerre. Cela est concevable à condition que l’Allemagne soit vaincue, parce qu’alors la classe dominante disparaîtra et son ordre périra avec elle, mais pas autrement. Et dans le cas le plus heureux, ce sera l’union des nations qui sera réalisée, non pas par l’abolition de la nationalité, mais par la fédération.

Un plus grand visionnaire que Marx s’est penché sur le futur dans la même période d'effervescence et « il a aperçu la Vision du monde et toutes les merveilles qui en résulteraient » avec une prescience bien plus juste, comme les événements l’ont prouvé. “Locksley Hall” a été publié il y a trois-quarts de siècle et cinq ans avant que Marx ne rédige le “Manifeste du parti communiste” ; et, dans cette magnifique prévision, Tennyson envisageait les « exigences du peuple », porté vers la lutte, dans laquelle les vaisseaux aériens des nations s’affrontaient et faisaient pleuvoir leur horrible rosée, jusqu'à ce que les drapeaux de la bataille soient finalement enroulés et les tambours de la guerre réduits au silence « dans le Parlement de l'homme, la Fédération du monde ». Dans ce nouvel ordre, prédisait-il, le bon sens du plus grand nombre tiendra un royaume agité en respect. Aucune partie de toute cette vision audacieuse n'est plus frappante que cette estimation sobre du nouvel ordre. Aucune Utopie, aucune perfection impossible, aucune rodomontade à propos de briser les chaînes ou de la fraternité universelle transformant les hommes en anges ; mais une société d’êtres humains toujours susceptibles de provoquer des troubles, et pourtant maintenus dans l’ordre par le bon sens général des masses grâce à la loi, qui sera leur loi et une loi supranationale. Ceci est un idéal possible, et nous sommes peut-être en route vers lui. La première partie de sa vision a été du moins littéralement réalisée. Nous ne sommes certainement pas sur la route indiquée par Marx, comme beaucoup de ses disciples la voient en sondant beaucoup les cœurs.

Et pourtant, le sens de sa mission n'est pas à écarter d’un revers de main comme n’ayant pas d’importance parce que les événements n'ont pas suivi le cours qu'il avait prévu. Il y a davantage en elle que cela implique. Durant ce dernier demi-siècle qui s’est écoulé depuis sa naissance, l’on ne peut nommer qu’un seul homme dont les travaux ont suscité plus d’intérêt intellectuel, stimulé plus de pensée, et en général fait sensation ; et cet homme, c’est Darwin. Une comparaison a souvent été effectuée entre eux par les socialistes – et ce à l’avantage de Marx, comme l’on pouvait s’y attendre. C’est un jugement qui n'est pas approuvé par le reste du monde, et le parallèle entre les deux hommes est vraiment très mince ; mais le simple fait que l’influence de Marx sur son époque ait été suffisamment importante pour suggérer cette comparaison autorise à mener un examen sérieux. Un homme ne peut pas se faire remarquer si fortement et tenir son rôle si longtemps sans une raison substantielle. Quel est le secret de son emprise sur l’attachement d’un cercle restreint de disciples et sur l’attention d’un public beaucoup plus vaste ? Il réside en partie dans la cause qu’il représentait, et en partie dans la façon avec laquelle il la représentait.

Dans son aspect le plus simple et le plus large, c’est la cause des pauvres et des nécessiteux, une cause ancienne aussi vieille que l’histoire, et, sans doute, beaucoup plus vieille. La reconnaissance des pauvres et des nécessiteux implique la conscience d’un contraste, donc l’existence d’autres individus qui ne sont ni pauvres ni nécessiteux et qui se différencient  de ceux qui le sont par cette situation. C’est ce contraste qui crée la cause en provoquant de l’inquiétude pour ceux qui sont dans une situation moins agréable. Les hommes, dit Spinoza, sont constitués de telle façon qu’ils ont pitié ceux qui sont dans une piètre condition et qu’ils envient ceux qui sont dans une bonne condition ; et il ajoutait qu’ils étaient plus enclins à l’envie qu’à la pitié. Si tous étaient dans une situation égale, qu’ils soient pauvres et nécessiteux ou non, il n’y aurait ni pitié ni envie ; il n’y aurait en réalité ni pauvres ni riches, étant donné que ces termes sont tout simplement relatifs. Naturellement, l’envie et la pitié ne sont pas limitées à des situations matérielles ; mais la doctrine moderne est que toutes les autres dépendent plus ou moins d’elles, et que cet argument ne concerne qu’elles. Et donc les pauvres et les nécessiteux sont l’objet de pitié, laquelle prend différentes formes. Elle peut être méprisante ou impatiente ; elle peut être compatissante et se traduisant par le désir d’aider. Cela dépend pour beaucoup du tempérament, mais pas complètement. Différentes influences, provenant de nombreuses sources, pèsent sur la société à différentes époques, et ce sont elles qui déterminent l’ampleur et la direction de courants particuliers de sentiment. La préoccupation pour les pauvres a été sujette à de telles influences d’une époque à l’autre, et elle a varié en force et en forme en conséquence. Le christianisme, étant avant tout la religion de la souffrance, lui a donné un immense stimulus. L’élément éthique figurant dans le socialisme est emprunté au christianisme. L’Église, elle non plus, n’a jamais abandonné la cause, bien que sa pratique ait souvent été peu convaincante, et même pervertie. En partie pour cette raison, mais encore plus en raison des grands changements dans la condition sociale et dans les idées en cours, la vieille cause a été reprise sur de nouvelles voies, il y a bien davantage qu’une centaine d’années, par des hommes dont le tempérament était disposé de cette manière, des hommes chez lesquels la pitié était forte et compatissante. Il y a eu des précurseurs isolés avant cela, et, bien sûr, ces idées mères(*) peuvent être retracées jusqu’à l’Antiquité ; il y a eu même une avancée d’idées distincte, bien que discontinue et irrégulière, au cours du dix-huitième siècle. Mais ce n'est qu'après la Révolution française et le grand développement des manufactures qu'on a appelé révolution en Angleterre, que la chose est devenue un mouvement définitif.

Chacun de ces événements a amené un nouvel élément à supporter. La Révolution française a été politique ; son idée dominante était la liberté, l’émancipation de l’oppression. La Révolution anglaise a été économique ; elle a accru considérablement la richesse et elle a fait avancer la question de la distribution. Au vieux point de vue de la pauvreté en tant que malheur, réclamant pitié et aide de la part de la société, ont été ajoutées les idées d’oppression et d’injustice, qui requièrent toutes les deux réparation. La cause des pauvres et des nécessiteux a non seulement reçu un puissant renfort de la part des idéaux de liberté et d’équité, lesquels font appel à des impulsions non moins profondément situées dans la nature humaine que la pitié, mais, sous leur influence, elle a pris une nouvelle direction. Le but n’était plus l’atténuation d’un mal accepté, mais son abolition par la suppression de ses causes sociales. Nous avons ici la double base du socialisme, qui se reflète dans les deux tendances principales qu’elle a affichées depuis ce moment-là – la politique et l’économique. Elles sont souvent divergentes, et parfois en antagonisme direct ; mais cela est dû à l’incapacité des hommes, et en particulier de ceux au tempérament ardent, de voir plus d’une chose ou d’un aspect en même temps. Les deux tendances sont réellement complémentaires, et toutes les deux jaillissent de racines vivantes qui assurent leur vitalité persistante à travers toutes les vicissitudes de la saison et du temps, malgré tous les changements et les hasards de cette vie mortelle. 

Karl Marx est arrivé dans ce mouvement, que nous appelons socialisme, quand celui-ci avait été en plein essor pour une génération et qu’il est passé par plusieurs phases dans lesquelles toutes les idées directrices avaient percé jusqu’à la surface et trouvé leur expression. Il n’était pas un pionnier ; il n’y a pas une seule idée dans l’ensemble de son système dont on peut dire qu’elle est entièrement de lui ou bien vraiment originale. Quelle est alors l’explication de sa position unique dans le mouvement, et de l’autorité retentissante de son nom ? En premier lieu, il est apparu comme le réanimateur d’une cause qui avait souffert d’une éclipse temporaire, mais qui était en soi indestructible – une cause vieille depuis des temps immémoriaux, mais éternellement jeune. Le sol était en friche, non travaillé, mais plutôt fertilisé par le travail précédent qui lui avait été dispensé – bien qu’il ait semblé avoir été dépensé en vain – et prêt à apporter ses bénéfices à un cultivateur habile. En second lieu, la saison était aussi favorable que le sol. C’était une époque de fermentation révolutionaire sur le continent européen : l’air était rempli de mouvement et d’hommes qui attendaient que des choses se passent. Ces deux éléments ont stimulé Marx, qui est parvenu à l’âge d’homme avec eux et a été saisi par leur esprit, et ils lui ont aussi procuré une opportunité. Et en même temps, ils l’ont induit en erreur. Avec l’ardeur de la jeunesse, il s’attendait à des résultats immédiats, mais à des résultats impossibles qui ne s’étaient pas encore produits et qui ne montraient aucun signe qu’ils se produisent dans la forme attendue. Mais l’erreur de calcul appartient à une autre partie du sujet ; elle ne contredit pas le fait qu’il est entré dans le champ dans de conditions particulières, lesquelles offraient une occasion exceptionnelle pour un homme capable d’imprimer sa marque. Et il l’a fait parce qu’il en était capable. Il était un cultivateur habile.

Il y avait deux hommes en Marx, qui étaient curieusement mélangés ; le philosophe ou l’homme qui réfléchit, et le prophète ou l’homme qui agit. Le premier faisait appel à l’intellect, l’autre à l’émotion ; et son influence repose sur cette double base. Il est difficile de dire lequel des deux a le plus contribué à la vénération dans laquelle son nom est tenu par la secte qui l’a canonisé dans les deux capacités ; c’est leur combinaison qui est le secret de sa renommée. Le premier a impressionné le petit cercle qui s’adonne à l’étude et à la théorie ; l’autre a attiré les foules qui répondent à un appel. Parfois c’est l’un et parfois c’est l’autre qui était le plus important en lui, mais, dans l’ensemble, c’était l’élément de la réflexion qui prédominait. Son tout premier amour a été la spéculation qui avait lieu dans les différentes écoles, et elle a coloré toutes ses conceptions et toutes ses activités. Vers la fin de sa vie, il s’est consacré entièrement à l’étude et à la réflexion, et il a renoncé au leadership actif. Mais le penchant révolutionnaire faisait aussi partie de sa nature, et il n’était pas seulement le produit d'un milieu agité qui agissait sur l'esprit impressionnable de la jeunesse, bien que les événements de l'époque l'aient fortement influencé, et aient en grande partie déterminé sa carrière. Malgré toute la dévotion qu’il professait aux méthodes de la recherche pure, le vieil Adam ne cesse d’apparaître ; et, comme un critique clairvoyant l’a fait remarquer, le jugement éthique et la passion partisane sont rarement très éloignés même chez le Marx “scientifique”. Il est intéressant de le comparer à Robert Owen, le seul autre socialiste dont le nom est aussi célèbre. Les deux hommes ne pouvaient guère être plus différents. Owen a été un véritable pionnier, mais il avait peu de dispositions pour la théorie et la spéculation et il n’a jamais dépassé le déterminisme enfantin du “nouveau monde moral”(*). Et il n’avait pas non plus de penchants révolutionnaires. Mais, tout au long de sa vie, il a œuvré sans compter pour réaliser des projets pratiques, les planifiant et poussant à les exécuter jusqu’au bout, en rien découragé par des échecs répétés et toujours confiant dans le succès immédiat de son projet le plus récent. Marx, dont l’arrogance autoritaire était digne de son pays natal, traitait cette sorte de chose, de même qu’il traitait tous ses prédécesseurs et la plupart de ses contemporains, avec un mépris suprême. Lui et Engels, lequel jouait le même rôle que Boswell par rapport à Johnson(**), réclamaient pour eux-mêmes la seule véritable lumière et ils ridiculisaient les travaux antérieurs des socialistes français et anglais comme étant utopiques. Pourtant, leur rêve d’un renversement violent immédiat de toutes les conditions sociales existantes par le prolétariat uni de tous les pays, avec l’abolition des classes et la disparition de l’État, était encore plus entièrement utopique que n’importe quel projet d’Owen ou des owénistes, desquels, en passant, ils condescendaient à emprunter tout le travail de préparation économique de leur système supérieur.

La prévision qui vient d’être mentionnée était exposée dans le “Manifeste du parti communiste” qui a été publié il y a soixante-dix ans. Ce document révèle Marx comme étant le leader du peuple et le porte-parole de la cause. Il y a un grand nombre d’arguments en lui, et, bien sûr, il contient tous les points essentiels de son système, mais les arguments sont utilisés pour aller crescendo jusqu’au point culminant qui est un appel à l’action. En lui, Marx a brandi un étendard. Il était un Mahdi(***) prêchant la guerre sainte, un Pierre l’Ermite prêchant la croisade pour reprendre la ville sainte aux infidèles qui avaient pris de façon impie possession d’elle. Sauf que le nom de la ville sainte est Richesse, que les infidèles sont les capitalistes, et que les motifs invoqués sont quelque peu différents. Jusqu’à présent – nous l’avons vu durant la guerre – le “Manifeste” est plus souvent cité que tout autre partie des dissertations laborieuses et compliquées proposées par Marx, l’économiste philosophe. C'est un appel aux armes, et il y a plus de vie en lui que dans la doctrine froide et incompatible de la Natur-notwendigkeit(****), ou de la loi inéluctable du développement, qui est le principe de base du socialisme “scientifique”. Il a le poids de la cause derrière lui, non seulement la cause des pauvres, mais celle des déshérités et des opprimés, qui est beaucoup plus grande, plus réelle et vitale, que toutes les théories et les programmes.  

Si la réputation de Marx avait dépendu seulement de ses théories, elle aurait été très différente à la fois en genre et en degré et elle n’aurait pas duré comme elle l’a fait ; en effet, elles n’ont pas résisté à l’épreuve du temps et de la critique, aussi bien interne qu’externe. Mais en combinaison, elles ont eu un effet particulier, hors de proportion avec leurs mérites intrinsèques. Le style oraculaire et l’air de profondeur dans lesquels elles sont enveloppées ont émis une auréole autour de Marx, une fois qu’il avait été établi comme leader de la cause, et ils l’ont investi d’une autorité proche du respect mêlé de crainte aux yeux de ceux qui sont sensibles à la cause et veulent un leader, mais qui n’ont pas la tête à la spéculation. « Il est peu probable » dit Lecky à propos de Das Kapital, « qu’un travail si long, si obscur, confus, et tortueux dans ce qu’il veut dire, et si incroyablement ennuyeux dans son style, ait eu beaucoup de lecteurs dans les classes ouvrières, ou en fait dans n’importe quelle classe ». Cela est vrai. Le livre est peu lu et encore moins compris. Il serait intéressant de faire passer un examen écrit sur lui chez les socialistes qui professent une familiarité avec ce texte. Mais son obscurité même a été d’un grand atout. Ceux qui ne l’apprécient pas peuvent toujours se rabattre sur le “Manifeste”, et d’autres sont positivement impressionnés par lui. L’expérience montre que l’obscurité et la confusion sont souvent prises pour des mérites, et qu’elles rehaussent plutôt qu’elles ne diminuent la réputation d’un auteur auprès de lecteurs qui ne sont pas équipés pour juger, et qui imputent par modestie l’inintelligibilité à leur propre déficience ou bien qui trouvent une sorte de satisfaction esthétique en elle. Mésopotamie n'est pas le seul mot béni.

Ces qualités chez Marx n'ont pas peu contribué à l'élever à une renommée hautaine d’attitude distante. Il est devenu une sorte de Prophète voilé, investi d’un caractère quasi sacré ; et sa parole a acquis l’autorité d’une religion révélée. Et ceci n’est pas manifeste seulement pour des observateurs extérieurs, mais c’est admis par des marxistes qui s’accusent mutuellement d’adopter des attitudes sacerdotales et qui pratiquent la vraie religion. C’est vrai. Le marxisme est une religion et il en porte les signes habituels. Il a un credo et un texte sacré que les fidèles répètent. Ils sont divisés en sectes qui se disputent à propos de la véritable interprétation. Il y a les écoles orthodoxes, non-orthodoxes et hétérodoxes. Il y a les pharisiens et les sadducéens, ainsi que leurs subdivisions ; il est possible de distinguer la secte la plus stricte des pharisiens des autres qui le sont moins. Il y a des traités sur les articles de foi, et il y a une critique moderniste. Ceci n’est pas dit du tout pour être tourné en dérision. Le fait est intéressant et parfaitement naturel. Les marxistes ont abjuré les autres religions, en particulier le christianisme. À une époque, ils étaient ouvertement et farouchement hostiles à lui pour plusieurs raisons. Il contrarie leurs objectifs en de nombreux points. Il accepte la pauvreté et même il enjoint à elle ainsi qu’à se résigner à son sort, tandis qu’ils veulent abolir la pauvreté et qu’ils considèrent la révolte comme un moyen. Il ordonne le devoir et l’obéissance, tandis qu’ils recommandent avec insistance l’affirmation de soi. Il compte sur la loi morale qui œuvre dans l’individu pour supprimer les maux et élever l’humanité, tandis qu’ils considèrent le système ou l’ordre social existant comme entièrement responsable et ils en demandent l’abolition comme étant le seul moyen de salut.

En fin de compte, l’Église fait partie de l’ordre existant, et par conséquent, à leurs yeux, elle est vouée à l’échec. Wilhelm Liebknecht exprime cela de manière concise lors du Congrès socialiste allemand à Halle en 1890 : « L’Église, qu’elle soit catholique ou protestante, n’est aujourd'hui rien d’autre qu’un soutien, qu’un instrument de l’État de classe ». Mais il était contre une attaque ouverte, non pas par considération de la religion, mais parce qu’une telle action ferait lever une opposition dans les quartiers où ils pourraient par ailleurs faire des convertis. Bref, c’était inopportun, et en dépit de nombreuse tentatives pour inciter le parti à prendre une attitude plus hostile, celui-ci a respecté la décision adoptée en 1875 qui consistait à traiter la religion comme une question privée. L’exemple allemand a été généralement suivi par les marxistes, et la religion est officiellement traitée avec une indifférence quelque peu ostentatoire. Néanmoins, ils avaient besoin pour eux-mêmes d’une foi d’un certain type. En dépit de la supériorité hautaine qu’ils affectaient à l’égard des faiblesses des esprits moins éclairés, ils étaient faits de la même étoffe que les autres fidèles. Ils n’étaient pas des matérialistes cyniques ou des spéculateurs de sang froid, mais des enthousiastes. C'est à mettre à leur crédit. Ils poursuivent un idéal, en définitive un idéal élevé, bien qu’ils cherchent à le réaliser en exploitant les motifs les plus sordides, non pas en eux-mêmes mais chez les autres, et ils doivent avoir un guide auquel s’accrocher, une autorité à respecter, une foi à conserver – bref, une religion. Liebknecht a fait cette affirmation à l’occasion qui a été mentionnée. Il a argumenté contre une résolution qui déclarait une opposition active à toutes les Églises et à tous les dogmes religieux, et qui engageait les membres à professer l’irréligion. Il faisait remarquer que cela serait une atteinte à la liberté personnelle, et de plus il leur rappelait qu’ils avaient leur propre religion. « N’avons-nous pas ce qui constitue la force de la religion, la foi en les idéaux les plus élevés ? ». Ce parallèle était même plus frappant qu’il n’en avait conscience. Les mêmes éléments organiques ont produit des effets similaires. L’appareil de religion dont ils avaient besoin a été trouvé en Marx qui a pris la place de la loi et des prophètes.

Or il doit y avoir quelque chose dans le corps de doctrine qui procure et maintient une telle emprise sur des hommes hautement éduqués et intelligents, comme le sont incontest-ablement la plupart des dirigeants socialistes, et en particulier ceux qui sont marxistes. L’un des faits curieux relatif au socialisme, c’est que, bien qu’il soutienne la lutte d’une classe (le prolétariat dans la phraséologie marxiste) contre une autre classe (la bourgeoisie), tous ses grands leaders ont toujours appartenu à cette dernière. Marx et Engels avaient une origine bourgeoise typique. Tous deux étaient issus de familles de la classe moyenne aisée ; le premier était fils d’un avocat, le second d’un fileur de coton. Tous deux avaient reçu une haute éducation. Et comme les fondateurs du marxisme, ses adeptes les plus éminents dans tous les pays ont eu une haute éducation. Bebel a certes commencé sa vie comme salarié, mais il s’est bientôt mis à son compte, et sous peu il est devenu un employeur artisanal. Après vingt-cinq ans passés dans les affaires, il a pris sa retraite et il est mort dans une situation très confortable. Mais il est significatif que Bebel, qui était issu du prolétariat, n’a jamais été réellement marxiste. Il a été essentiellement un politicien, et un leader parlementaire d’une rare capacité ; mais il avait peu d’intérêt pour la théorie, et il admet dans son autobiographie qu’il a été incapable de digérer l‘économie de Marx. Les classes laborieuses en général étaient dans la même situation. C'est l’autre Marx, le cas échant, qui les attire, et il y a de nombreux socialistes, en particulier dans ce pays, qui ne sont pas marxistes du tout. Même les syndicats “libres” d’Allemagne, qui se rapprochent le plus de la foi et qui ont une alliance active avec les socialistes, gardent jalousement leur indépendance. Et donc le résultat de tout ceci est que les champions du prolétariat dans la guerre de classe contre la bourgeoisie sont eux-mêmes des bourgeois et qu’ils se trouvent dans l’étrange position de prêcher une conscience de classe qu’ils ne peuvent pas posséder eux-mêmes. C'est là cependant que leur idéalisme entre en jeu. Ils combattent pour d’autres, et non pas pour des motifs égoïstes ; et l’inertie massive ou la résistance positive de leurs clients est un obstacle plus formidable que l’opposition de leur ennemi. Ils s’accrochent au marxisme parce qu’ils trouvent des encouragements en lui. Dans quelle mesure leur foi est-elle justifiée ?

La vertu cardinale de la doctrine est à leurs yeux son caractère “scientifique”, ce qui lui confère une certitude logique. Les idées fondamentales sont que l’évolution de la société est un processus ordonné, qui progresse par étapes définies et qui est gouverné par des lois précises, et que les éléments déterminants dans ce processus sont les éléments économiques. La première idée est tirée de Hegel, dont l’influence battait encore son plein lorsque Marx étudiait la philosophie à l’université ; la seconde est une version particulière, ou une inversion, de la théorie hégélienne suggérée par la théorie matérialiste de Feuerbach, à laquelle le jeune Marx s’est converti. Tout le reste est édifié sur cette base purement philosophique. Le processus hégélien – dénommé “dialectique” parce qu’il ressemble à celui de la logique formelle – postule trois phases de développement, à savoir : affirmation, contradiction et solution ;  ou encore thèse, antithèse et synthèse. Cela signifie qu’il consiste en deux oppositions ou contradictions, qui se dissolvent en une seule proposition ; celle-ci soulève à son tour sa propre contradiction, et le processus recommence. En appliquant cette formule à l’évolution sociale, Marx a trouvé ses deux contradictions dans deux classes de la société, qui se différencient par leurs conditions économiques et qui sont en position antagonique, laquelle se dissout par leur union, et le processus est de ce fait achevé. Ceci constitue « l’interprétation économique de l’histoire » et le progrès au moyen de la guerre de classe. Le reste de son travail théorique consiste à remplir ces formules de détails provenant d’un examen des relations économiques passées et d’une analyse de la phase actuelle de développement, qui est le “capitalisme”, en retraçant son origine et sa nature et en déduisant d’elles son résultat inévitable, qui est la résolution de la guerre de classe entre la bourgeoisie et le prolétariat au moyen de leur réunion en une seule classe, qui sera provoquée par l’écroulement du capitalisme et l’ouverture d’une ère nouvelle. Un trait particulier de cette analyse économique est une étude dans les moindres détails de la théorie de la valeur-travail et de la plus-value pour expliquer l’origine et le développement du capitalisme.

À partir de cet aperçu, il est facile de comprendre l’impression que procure une telle combinaison de principes premiers et de faits historiques, laquelle présente une apparence de cohérence logique et de certitude inattaquable. Et cette impression a été renforcée par l’immense sensation intellectuelle créée par la théorie darwinienne de l’évolution au moyen de la lutte pour l’existence. La science est devenue le mot d’ordre, intellectuel et populaire, du moment ; et la ressemblance superficielle entre la lutte de classe de Marx et la lutte biologique de Darwin a conféré à la première un prestige relevant de la seconde. Mais il y avait là plus que cela. Le système marxiste a un certain fondement d'un bout à l'autre. La conception hégélienne de l’histoire en tant que processus consécutif logique est une idée éclairante, et l’insistance mise par Marx sur le facteur économique était valide jusqu’à un certain point et de grande valeur. En outre, ses recherches historiques sur le développement passé du commerce et de l’industrie ont été une contribution réelle au sujet. Finalement, la théorie de la valeur-travail et la théorie de la plus-value ont toutes deux une place reconnue en économie, bien que Marx ait fait beaucoup plus pour les embrouiller que pour les élucider. La première a un long pedigree qui remonte, par l’intermédiaire de Ricardo, d’Adam Smith, de Locke et de Petty, à Hobbes ; la seconde a été établie principalement par William Thompson quand Marx était encore au berceau. Il y a par conséquent du matériel très solide dans le système marxiste, et il l’a assemblé avec une grande application et un talent notable.

Pourtant, ce système n’a pas résisté aux éléments ; il a été invalidé par le cours des événements et il s’est effondré. La raison en est une méthode défectueuse de construction. Marx a commencé par le mauvais bout et avec une formule toute faite. C’est là la faiblesse du philosophe qui cherche un passe-partout afin d’ouvrir toutes les portes. Dans le royaume de la pensée pure, cela ne nuit pas ; mais, quand c’est appliqué à la vie réelle et que l’on en fait la base d’une politique, cela conduit à l’erreur et à l’échec, parce que le passe-partout n’ouvrira pas toutes les portes et que son inventeur est obligé de trafiquer  les serrures afin qu’elles correspondent à sa clé. En d’autres termes, il accommode les faits pour qu’ils s’adaptent à sa formule ; et c’est ce que Marx a fait. Il a sélectionné ses preuves, il a exagéré certains facteurs et il en a ignoré d’autres, il a employé les mêmes termes à un certain moment dans un sens et ensuite dans un autre sens afin qu’ils conviennent à l’argument. La science commence avec l’observation, et Marx n’a jamais tenté d’en faire ; il a étudié des documents, et non pas la vie directement. S’il avait étudié les ouvriers, par exemple, il aurait évité de dire « qu’ils n’ont pas de patrie », qu’on leur a « enlevé toute trace de caractère national » et que leurs relations avec leur femme et leurs enfants « n’ont plus rien en commun avec les relations de la famille bourgeoise ». S’il avait étudié les usines sur lesquelles il a écrit, il aurait découvert que leur fondateur, dans neuf cas sur dix, n’était pas un capitaliste, mais un ouvrier exceptionnellement capable, qui est devenu un capitaliste par ses propres efforts et sa propre épargne. S’il avait étudié le secteur de la production, il aurait découvert que ce qui fait toute la différence entre le succès et l’échec, c’est la façon de diriger l’entreprise, qui demande une aptitude particulière, et que c’est l’homme qui la possède qui en est la véritable pièce maîtresse. S’il avait étudié l’industrie, le commerce et l’agriculture, il aurait corrigé la généralisation hâtive selon laquelle le petit homme était destiné à disparaître. Il a correctement constaté l’accumulation et la concentration du capital, mais il a échoué à observer la tendance contraire qui a produit une multitude de petits capitalistes et qui est allée si loin que le fait de dire : « Nous sommes tous des socialistes maintenant » peut être changé, avec une vérité égale, en : « Nous sommes tous des capitalistes maintenant ». 

S’il n’avait pas été obsédé par sa formule, il aurait évité beaucoup de propositions insoutenables telles que l’interprétation de l’histoire par la guerre de classe et la dichotomie absurde de la population en bourgeoisie et prolétariat – des termes qui  dans leur signification propre ne présentent pas de réelle antithèse et qui, dans leur signification déformée donnée par Marx, n’ont pas d’équivalents dans d’autres langues, parce qu’ils ne correspondent à aucune réalité.  Pour des raisons déjà fournies, le nom de Marx restera toujours un point de repère, mais la marée du développement économique et social s’est retirée de son système scientifique et elle l’a laissé à l’abandon.

       


 



(*)  En français dans le texte. (NdT).

(*)  L’ouvrage d’Owen, publié en 1847, s’intitule exactement : “Le livre du nouveau monde moral : contenant le système social rationnel basé sur les lois de la nature humaine”. (NdT).

(**) Poète, essayiste, lexicographe, traducteur, pamphlétaire, journaliste, éditeur, moraliste, et critique littéraire des plus réputés, le docteur Samuel Johnson (1709-1784) est l’un des principaux auteurs de la littérature britannique et il a trouvé en James Boswell (1740-1795), écrivain et avocat écossais, un biographe idéal. (NdT).

(***) Le Mahdi est une figure messianique de l’eschatologie musulmane qui est censée apparaître à la fin des temps pour débarrasser le monde du mal et de l’injustice. (NdT).

(****)  Nécessité de nature. (NdT).