PAGES PROLETARIENNES

samedi 22 juillet 2023

QUAND L'OPPORTUNISME DIVAGUE...Et qu' « ils » sombrent dans le complotisme

« …. La création du prolétariat sans feu ni lieu - licenciés des grands seigneurs féodaux et cultivateurs victimes d'expropriations violentes et répétées - allait nécessairement plus vite que son absorption par les manufactures naissantes. D'autre part, ces hommes brusquement arrachés à leurs conditions de vie habituelles ne pouvaient se faire aussi subitement à la discipline du nouvel ordre social. Il en sortit donc une masse de mendiants, de voleurs, de vagabonds. De là, vers la fin du XV° siècle et pendant tout le XVI°, dans l'ouest de l'Europe, une législation sanguinaire contre le vagabondage. Les pères de la classe ouvrière actuelle furent châtiés d'avoir été réduits à l'état de vagabonds et de pauvres ». MARX Le capital 7e section

« Deux professions qui sont devenues complémentaires dans l’encadrement et la socialisation de la jeunesse se sont trouvées, simultanément et paradoxalement, opposées de manière sanglante au cours de deux drames qui ne devraient pas être classifiés banalement au rang de faits divers. L’immolation par le feu de la professeure de mathématiques de Béziers me choque autant que les suicides à France Télécom, ou même, nombreux, dans la police. La jeune policière tuée par un autre professeur avec un sabre, dans les locaux du commissariat est tout aussi choquante et du même ordre puisque ces deux métiers sont parmi les plus exposés (avec les contrôleurs de train, de métro, etc.). Analyser ces deux faits divers dramatiques n’est pas simple et ne relève pas de la gentille théorie de l’incivilité des djeuns ; le malaise est général, et concerne tous d’autant qu’il est insoluble, quoique entretenu par l’Etat et ses officines éducatives et juridiques ». (article de PU en 2011) + Publication en 2011 de mon livre « Les avatars du terrorisme », seul ouvrage à traiter de ce phénomène du point de vue maximaliste communiste[1], qui est resté ignoré voire oublié, et qui contient encore la vérité et la fonction des divers terrorismes policiers et .1

 « Car il ne peut pas y avoir de ligne « moyenne » dans une société au sein de laquelle la bourgeoisie et le prolétariat se livrent une lutte de classe achar­née, surtout quand cette lutte est inéluctablement aggravée par la révolution. Or, le propre de l'attitude de classe et des aspirations de la petite bourgeoisie, c'est de vouloir l'impossi­ble, de rechercher l'impossible, bref cette ligne « moyenne ». Lénine  « De quelle classe viennent et viendront les Cavaignac? » (juillet 1917)

 MANIFESTATIONS PLAN PLAN DES RETRAITES CORPORATIVES ET EMEUTES, AUCUN LIEN ?

Tout le monde a pu se poser la question à un moment ou un autre, pas eux ! On les nommera ici « ils », mes lecteurs habituels les reconnaîtrons. C'est comme si les fameuses émeutes n'avaient pas eu lieu. On a décrété qu'il suffisait de dire que casser ne sert à rien et que le prolétariat pacifique, comme ils l'imaginent avec les compères syndicaux, devait se boucher les oreilles en demandant à la police de « bien faire son travail ». Au lieu d'une analyse de méthode comparative, on nous sert un article de facture gauchiste simpliste : « Provocations, répression, manipulations… Les méthodes de l’état policier pour tenter de pourrir la lutte ». On n'est même pas au mois de juillet pour établir un bilan des deux événements, mais au mois de mars un 23, zappant complètement des émeutes tout de même plus récentes et posant plus de questions que la retraite à pépère. On y parle des émeutes planifiées par la police en fin de manif syndicale pépère, glissant simplement sans preuves que « les syndicats ne se sont pas opposés à ce choix ». ; sous-entendu ce n'est pas la stratégie spongieuse et circulaire des syndicats qui est responsable la défaite (toujours non reconnue par chaque clown bonze syndical), mais la méchanceté de la seule police violente ; un mixage pervers décrit plus la casse en juin dernier qu 'au moi de mars ! Tout en vantant une radicalité ouvrière de manifestations non déclarées (quoique totalement encadrées par les mafias syndicales), qui vise surtout à faire ingurgiter leur imaginaire d'un réveil du prolétariat. « Ils » interprètent ainsi un usage de la presse mondiale confondant black blocs et lutte de classe. Or, même si cela était vrai, personne partout n'a mêlé manif pépères et émeutiers bobos ou immigrés. « Ils » évitent du même coup, en raisonnant hors du temps chronologique, de différentier émeutiers bobos de mars avec émeutiers immigrés de juin. Tout en les confondant ce qui leur évite de détailler la singularité des deux événements ! Et leur proximité ! J'y reviendrai en conclusion.

Revenant sur le mois de mars avec des jugements sur le mois de juin, la science infuse s'étale : une politique délibérée du méchant gouvernement et de tous ses « porte-flingues d'Etat policier » ont entraîné « les jeunes les plus en colère » (quels jeunes au mois de mars?) à des affrontements stériles (la stérilité n'est certes pas pacifiste!). BUT affiché : faire peur aux manifestants pépères, empêcher toute discussion en fin de manif (pas besoin, chaque corpo organisait la dispersion pépère), faire croire que toute lutte sociale dégénère automatiquement en violence aveugle et en chaos, alors que le pouvoir serait le garant de l’ordre et de la paix (tout ce dernier prétexte est faux pour mars mais vrai pour juin, mais sans que la classe ouvrière soit en cause!)

La citation datant de 2006 de Debré montre qu'une secte est toujours en retard sur la réalité et le fonctionnement subtil de l'idéologie démocratique bourgeoise, qui fait toujours dire une part de la vérité et des manips à ses sbires mais « comme une opinion parmi d'autres », et cela dissout toute déclaration qui se croit subversive en criant au complot. Rewriter en décalage avec une sur-interprétation d'un fait passé est le frère jumeau de l'attentisme, cette maladie classique de l'opportunisme2. Depuis leur virage « estudiantin » où l'étudiant est réinstauré révolutionnaire presque comme avant-garde d'un prolétariat...syndiqué et passif, ils peuvent inventer un autre mensonge, celui de groupes d'étudiants qui en 2006 auraient été catéchiser les voyous de banlieue qui avaient agressé un coin de la manif, confondant avec les éducateurs de rue professionnels !

Là aussi le glissement est pervers, pourquoi ces braves étudiants moralistes ne seraient-ils pas intervenus après le meurtre du jeune Nahel ? Toutes ces esquives et parenthèses rétroactives servent à cacher leur incapacité à intégrer dans la révolte sociale les émeutes de juin, mais au contraire à se porter au secours des mafias gauchistes écolos à Sainte Soline qui n'ont eu que ce qu'elles méritaient, le rédacteur gauchiste oublie de mentionner qu'elles étaient venues pour casser un matériel industriel – c'est d'ailleurs la mode d'un tas de mafias tiersmondistes ou maoïstes reconverties en écolos-radicaux3, dont la classe ouvrière n'a que foutre !

Puis ils tentent de nous faire encore avaler que l'Etat se prépare à les réprimer en les confondant avec les clowns de l'ultra-gauche new wave BB « idiots utiles manipulés par les flics », et de baratiner avec les vieilleries de Victor Serge, alors qu'à l'heure de la dite intelligence artificielle on sait à quelle heure précise tu as été chier, ou suivre les discussions de gens qui se croient révolutionnaires sur les réseaux sans montrer sa carte de police. Plus aucune allusion à la théorie de la décomposition édictée par Marc Chirik il y a un peu plus de trente années, et repiquée à la sociologie d'époque. Nombre de gens comprennent cette décomposition sans avoir lu un texte d'ils, mieux même voir ce chaos, et en intégrant ce chaos aux événements contrairement à leur usage cyclique du terme en creux, pour comprendre comment l'Etat règne empiriquement par le chaos. Le gouvernement n'a jamais demandé à ses flics de tuer de jeunes arabes. Il se serait bien passé du meurtre de Nahel, et il a fait pitié avec ses plates excuses et la minute de silence au parle-ment. L'article d'ils, comme ceux des plumitifs islamo-gauchistes se ridiculise dans le complotisme débile. Oui la police est composée de gens honorables mais aussi de belles crapules qui votent Le Pen. Oui des infamies policières sont quotidiennes : ce flic qui dans une manif dit à un militant CGT qu'il n'a pas le droit d'arborer son badge, cet autre qui interdit à un autre manifestant d'arborer son drapeau.. celui-là aussi qui me demande où je vais et où habite mon amie...des français de souche sont tout autant humilié que des immigrés ou des faciès étrangers, les règlements de garde à vue ne sont pas toujours respecté : trois de GAV pour le fils d'une amie sans qu'il puisse contacter un avocat ou téléphoner à sa mère alors qu'il n'avait commis aucun délit, blocage de manifestants en train de se disperser et pendant un temps indéfini, femmes violemment bousculées, oui on comprend ceux qui veulent casser du CRS, surtout face à cette campagne permanente et outrancière de victimisation des forces armées policières ! OUI LA POLICE A DES METHODES TERRORISTES!

Mais je le répète la police avec ses bons et ses tarés n'est pas là pour « pourrir la lutte », le boulot est déjà fait par mafias syndicales et journaleux lorsqu'elle intervient pour tabasser. Excepté pour le mouvement populo des gilets jaunes qui, déjà très faible politiquement n'avait aucune vocation d'envergure politique crédible, une trentaine d'yeux crevés ont eu raison de la colère mais en même temps que des concessions gouvernementales.

Depuis le début j'ai émis deux idées maîtresses pour tenter de mieux saisir les vraies causes de l'explosion en lieu avec les balades syndicales.

Une, la mise en arrière plan de la classe ouvrière :

« Or, ce chaos, casse généralisée avec pour seul ordonnancement la compétition à la casse spectaculaire via tik tok (réseau chinois...), n'est qu'un retour de bâton pour la bourgeoisie : avec son idéologie de dissolution des classes sociales depuis des décennies – le qualificatif fumeux et généraliste de « couches moyennes » et la fable de la gauche caviar nommée « mixité sociale »  - elle a perdu tout moyen de négocier quoi que ce soit. Alors qu'une classe reconnue, avec tous ses composants, peut être une entité tangible avec qui négocier, là rien à discuter. En quelque sort la bourgeoisie fait face à son propre chaos qu'elle a généré et continue à générer avec le révisionnisme wokiste ».

Et de deux, l'explosion émeutière a secoué l'Etat plus sérieusement que 14 défilés de corpos avec retraites diverses, sans grève crédible ni autre encadrement que des milliers ou centaines de retraités syndicaux plus intéressés à la promenade guillerette qu'à une vraie révolution.

 « C'est sûr que trois jours d'émeutes ont plus fait trembler l'Etat que les quatorze pantalonnades syndicales, sans pour autant qu'il perde la main. Il n'y a que deux facteurs dans cette indignation légitime après le meurtre policier qui sont comparables à mai 68. A l'époque c'était parti de Nanterre, et le mouvement s'était généralisé après la vision des images de télévision où l'on voyait les flics tabasser les gens. Dans les deux cas, ce ne fût ni le retraite ni les augmentations de salaire qui furent la cause d'une confrontation directe et spontanée avec l'Etat. Or tout est différent aujourd'hui. L'Etat n'a plus la même rigidité qu'à l'ère gaulliste ».

 Au mois de mars je dénonçais déjà cette fixation sur la seule police bourgeoise et la revendication d'une bonne police par la clique à Mélenchon en laissant de côté les crétins pour infantiles du NPA et Cie en faveur de sa dissolution

« La haine de la police « de classe » faisait partie intégrante du rejet prolétarien de la société bourgeoise. Mais, comme je l'ai constaté pour la récupération de l'internationalisme envers les immigrés, la bourgeoisie réussit à déconnecter cette haine de classe et à la présenter comme une haine communautariste pour la partie immigrée ou néo-colonisée de la classe ouvrière, et à parvenir à faire croire à la partie autochtone que la police serait prête à la défendre... contre le terrorisme (sous-entendu « immigré » = venant de l'étranger) ».

 Depuis 2006, ils débitent le même disque rayé, qui n'est pas faux au niveau constat mais n'en reste qu'au niveau des conséquences ; à l'époque ils disaient ceci :

« D'abord, ce sont leurs parents, leurs grands frères et leurs grandes sœurs qui sont souvent les premières victimes de ces explosions de violence. A qui appartiennent les voitures brûlées ? Qui est privé le matin du bus,parti en fumé dans la nuit, pour aller au boulot ?Certainement pas la grande bourgeoisie qui copine avec Sarkozy !

Ensuite, ce sont leurs petits frères et leurs petites sœurs qui se retrouvent terrorisés, marqués par la vision de leur école incendiée, détruite. Enfin et surtout, de tels actes ont toujours constitué le prétexte parfait pour renforcer encore et partout l'Etat-policier. Au nom de la sécurité, de la protection des « travailleurs », l'Etat utilise chaque fois ce genre d'émeutes pour fliquer davantage... les travailleurs. C'est d'ailleurs ce que s'est empressé d'annoncer Sarkozy dans son discours présidentiel du 29 novembre. Quand la violence policière se déchaîne contre des adolescents, cela ne peut que provoquer des émeutes urbaines (comme en 2005), cela ne peut qu’aggraver le chaos social. La violence ne peut engendrer que la violence ! Tirer sur des adolescents est un crime. Si les fonctionnaires du maintien de “l’ordre républicain” tuent les enfants (comme cela a failli arriver avec ce lycéen grièvement blessé dans une commune du Loiret), cela signifie que cet ordre républicain n’a aucun avenir à offrir à l’humanité ! »

Ils peuvent écrire la même chose en 2023, sans avancer d'un Schmilblick

Or dans les deux moments ont été des moments de chaos social, mais qu'ils expliquent de façon anti-marxiste avec cette sauce pacifiste éculée « la violence ne peut entraîner que la violence». Or il faudrait retourner aux conditions de l'époque sous le gouvernement Sarkozy sur lesquelles je n'ai pas le temps de me re-pencher ce soir. A mon avis, ce n'est pas très différent et plus grave aujourd'hui. La société actuelle est grosse d'explosions à venir, surplombée de plus par une possible troisième boucherie mondiale, toutes les structures éclatent à commencer par l'eduque naze, les rapports hiérarchiques en entreprise, une violence exponentielle dans la rue, dans les transports, individualisme et nihilisme n'ont jamais fait aussi bon ménage...et surtout le prolétariat n'apparaît plus comme colonne vertébrale de l'indignation universelle ! Mais c'est toujours dans le tissu social que vont exploser les révoltes qu'on les dise inutiles, violentes ou illégales :

Premièrement j'ai rappelé en début d'année la remarque du Berger CFDT : « si on n'organise pas la colère, l'explosion aura lieu ». Et de mettre en chantier les successives balades syndicales inutiles et vouées à l'échec aux yeux du public. Or non seulement du fait que cette mise en scène ne favorisa aucune discussion sérieuse autre que les âneries « à bas le travail » et « refaisons mai 68 » - et du fait que l'immense majorité des retraités et des jeunes s'en fichaient – les autres problèmes sociaux de première urgence restèrent sous la table : chômage des jeunes, déqualification, refus d'embauche au faciès, solitudes dans la misère sociale et économique, morgue pleine des maires, arrogance des flics d'élite, gendarmes qui n'enregistrent  pas les plaintes et laissent telle dame très âgée persécutée pendant des années par un vil voyou, etc. Ni la police ni la gendarmerie ne protègent la population  des invisibles, des déshérités, des pauvres des banlieues, mieux elle terrorise et rançonne en permanence au nom de la "paix civile" et de la "justice", même fanfreluches que le gang Traoré.

L'explosion a donc répondu à sa manière au corporatisme retraité. On n'aura pas de retraite, on trouvera jamais ni travail ni considération, alors on va casser, s'amuser de votre indifférence, si possible vous faire peur à tous et aux flics... Cette explosion ne s'est pas faite avec le label lutte de classe ni avec le souci de la bagnole du voisin ouvrier ou de l'épicerie arabe, quoique je suspecte des flics en blousons et masqués avec leurs amis dealers d'avoir favorisé un mimétisme dans les quartiers pauvres, alors que sur les parcours syndicaux on applaudissait les black blocs cramant une jag ou pétant une vitrine bancaire... Comme quoi l'explosion en son cœur put être dévoyée en retournant, en la ghettoïsant cette colère des pauvres ouvriers face à leur voiture calcinée contre des petits cons qui dans leur colère et leur haine inassouvie se sont trompés d'ennemis en paupérisant leurs... voisins et familles. Plus subtils que les militants radoteurs dans leur confort de  couche moyenne urbaine, des sociologues ont été eux à l'essentiel: "la violence des émeutiers est l'expression de l'absence d'alternative politique" (cf. in Le Monde ce jour).

Enfin je republie ici un ancien article de 2011 sur l'histoire de la police et sa place réelle dans l'ordre et le désordre bourgeois).

 

VOUS AVEZ DEMANDE LA POLICE ? NE BOUGEZ PAS ! 

En ces temps sarkoziens où le régime est décrié par nombre de journalistes à sensation comme une « dictature » et un « Etat policier », et, bien que ce soit un masque simpliste de la dangerosité du capitalisme, où la police est exaltée par les actuels tenants du pouvoir, à chaque échéance électorale, comme la solution, non du chômage, mais comme garantie de la « protection du citoyen », il est intéressant d’examiner l’histoire, l’utilité et la nocivité de la police ; cette dernière n’étant pas souvent là où croient la trouver les anarchistes en uniforme noir. Les défenseurs du marxisme se contentent eux aussi de bien étranges simplismes, au moment de la révolution il suffit de « supprimer tous les corps armés » ; la plupart de ces acharnés ennemis de l’uniforme ignorent apparemment comment a été opérée cette suppression dans les quelques cas où elle est présumée avoir eu lieu (nous en reparlerons en temps utile).

 Nous pouvons affirmer, sans grand risque de nous tromper, que le policier en France est, après le chômeur et l’étudiant, l'être le plus universellement reprisé4. Si les raisons pour lesquelles on le méprise sont souvent de fausses raisons qui relèvent de l'idéologie gauchiste, les raisons pour lesquelles il est effectivement méprisable et méprisé par la jeunesse du point de vue du prolétariat universel sont refoulées et inavouées. Particulièrement lorsque des avocats publient des livres sur la « justice » ou la « garde à vue », sans compter les innombrables révélations de pacotille sur les « secrets de la police ».

Le policier ne travaille pas il est payé pour surveiller. Il est supérieur socialement à l’ouvrier, sa fonction de surveillance le plaçant au niveau du fainéant « agent de maîtrise ». Comme l’agent de maîtrise, et contrairement à l’ouvrier, la principale fonction du policier est d’obéir, et d’obéir au bourgeois. Cruelle existence que celle du policier, il n’a même pas la faculté de dire merde comme n’importe quel prolétaire de base, ou alors il perd sa place. Faut-il être crétin pour devenir policier, comme le croit la jeunesse ? Sont-ils tous des assassins potentiels des prolétaires insurgés comme le pensent les anarchistes tête front de bœuf ? En dépassant la superficialité d’un opuscule pipole superficiel sur l’histoire de la police, on verra bien qu’il faut dépersonnaliser le problème et le relier à l’existence du principal moyen d’oppression capitaliste, l’Etat.

 

L’HISTOIRE DE LA POLICE EST INSEPARABLE DE LA CREATION DE L’ETAT

 

Le marxisme avec Engels définit la création de l’Etat (et donc y inclus de ses forces armées) comme une nécessité historique à une époque donnée pour éviter à la société de se dissoudre en conflits stériles. Je ne développerai  pas ici longuement sur l’histoire de la police, internet fournit d’excellents résumés, mais jamais la police n’y est analysée comme corps d’Etat et totalement subordonnée à la nature et évolution de la structure de l’Etat. On ne trouve pas non plus d’étude approfondie de l’histoire de la police comme telle chez les marxistes ; excepté Victor Serge mais pour inspecter les archives saisies après la révolution de 1917 et décrire les méthodes de surveillance opaque des militants, et les « provocations ».

Les théories simplistes gauchistes et anarchistes définissent l’Etat comme composé des deux seules institutions « visibles » en uniforme : police et armée. Définition restrictive parce que l’Etat est d’abord un appareil administratif jadis avant de devenir à l’époque moderne un immense outil statistique doté de relais idéologiques puissants (partis, syndicats, presse, TV, internet, etc.) bien plus puissants pour entretenir des conflits stériles qui paralysent les consciences mieux que ne pourraient le faire les matraques policières. Contrairement à ce que tendent à faire croire les « idiots utiles » au gouvernement, anarchistes et gauchistes, la police n’est pas et n’a jamais été une force suffisante pour « gouverner » la société. Sans l’Eglise et les partis corrompus jadis, les « mercenaires » d’Etat n’auraient pas suffi à éviter la confrontation des classes.

Le policier à l’époque moderne est plus souvent en général fils de paysan. S’il est fils d’ouvrier, il considèrera sa fonction comme une promotion sociale mais se gardera de rappeler ses origines. S’il est fils de harki ou d’immigré de fraîche date, il sera plus zélé qu’un autochtone et françaisement antiraciste. Pourtant il reste lui aussi au bas de la hiérarchie sociale et sert souvent même de bouc-émissaire à ses employeurs de l’élite bourgeoise ministricule. Quoique comportant de nombreux francs-maçons et possibilité de promotions, une grande masse des forces de police reste confinée aux postes subalternes. Dans la Grèce antique, les esclaves de propriété publique étaient utilisés déjà par les magistrats comme des policiers. À Athènes, un groupe de 300 esclaves scythes avait pour vocation de maintenir l'ordre, contrôler les foules, mais aussi de se charger des arrestations[2]. Aussi paradoxal que cela paraisse, une des premières fonctions « larges » de la police avec la naissance de l’Etat royal, en France en particulier au XIIe et XIIIe siècles, fût de surveiller l'armée, afin d'éviter que celle-ci ou ses déserteurs ne pillent les pays occupés ou traversés.

Bien avant de désigner un corps de fonctionnaires chargé d'interpeller les délinquants, le mot police désignait vertueusement l'ordre public et les bonnes moeurs qui doivent régner sous les auspices de l’administration de l’Etat. La véritable police moderne est née en France le 24 août 1665 : le lieutenant criminel Tardieu et sa femme sont assassinés chez eux par des voleurs. Colbert et Louis XIV réagissent en séparant à Paris la police de la justice et en la plaçant sous l'autorité d'un lieutenant de police (édit de 1667).

En 1789 disparaîtra la police monarchique - la garde nationale ayant fait feu sur les masses en révolution. C’est la jeune bourgeoisie qui invente la police moderne d’Etat. En 1790 seront créés une cinquantaine de commissariats. En 1796, toutes les villes comptant plus de 5 000 habitants comporteront désormais un commissariat. Cependant la police est une création spécifiquement moderne contemporaine à la prise du pouvoir par la classe bourgeoise, éliminant l’ancienne caste bourgeoise marquée par le laisser-faire social et une impuissance à empêcher injustices criantes et crimes de sang. La plupart des grandes institutions policières « exemplaires » d’Etat bourgeois apparaissent vers 1800 :  la Marine police force de Londres et la City of Glasgow police en Angleterre, ainsi que la préfecture de Paris]. Les perfectionnements propres à la décadence bourgeoise ne sont apportés que plus d’un siècle plus tard ; la Metropolitan Police Service, n’est créée qu’en 1929 – les années 1920 sont marquées par une croissance des crimes de sang ; la MPS est la première police qui ajoute la prévention policière à son rôle de répression du crime. C’est au cours de ces années que se renforce la police politique stalinienne, laquelle eût pour maître la redoutable Okhrana tsariste, laquelle avait bénéficié des enseignements des célèbres préfets parisiens Lépine et Andrieux. C’est sous Napoléon III en France que l’ilotier devient « gardien de la paix ». Les flics – « les vaches » dans le langage faubourien – voient ainsi leur profession définie désormais comme protectrice de la « paix sociale », toutes politiques confondues ; le policier est devenu le symbole vertueux de l’Etat hors des classes, représentant la sécurité pour la population citoyenne en temps normal bien qu’il s’avère un milicien tueur par temps de révolution ou de troubles sociaux.

QUAND LA REVOLUTION PROLETARIENNE ENTRAINE LE PERFECTIONNEMENT DE LA POLICE POLITIQUE...

Deux critiques mettent en cause la fonction de la police à la fin du XIXe siècle. Selon la critique anarchiste, on peut supprimer immédiatement la police et se passer de toute surveillance de la population ; le fonds de la pensée anarchiste est simplement rousseauiste : l’homme est bon naturellement. Selon une critique marxiste sommaire (de type gauchiste et stalinienne), la police n’est qu’une excroissance de l’Etat bourgeois chargée de réprimer les « travailleurs » en grève ou en manifestations. Pour des marxistes au pouvoir il suffit de rééduquer l’homme, qui n’est pas naturellement mauvais (quoiqu’un peu sauvage parfois), et manque de chance, dans les deux seuls cas où la révolution prolétarienne a réussi la police n’a pas été supprimée ou bien une autre a été réinstallée. La Commune de Paris en 1871 ne supprime pas le corps de police, mais change les chefs et négocie avec Versailles le paiement des salaires des fonctionnaires. En février 1917 les affrontements avec la police du tsar font des morts des deux côtés. Les soldats armés pillent les postes de police. Dans la 5ème thèse d’avril 1917, Lénine demande la suppression de la police[3] pour en recréer une autre après l’insurrection… La tchéka, police politique un peu spéciale est crée en mars 1918. La révolution prolétarienne échouant dans l’impasse a posé, hélas, à l’orée du XXe siècle, la nécessité non plus d’une seule police d’ordre ou des mœurs mais d’une « police politique », qui sera dénoncée (dixit la police stalinienne) à hauts cris par tous les Etats bourgeois alors même qu’ils s’en inspireront de plus en plus pour gouverner. L’Etat bourgeois a besoin désormais non plus d’un simple porteur de matraque (le vulgaire sergent de ville moustachu) mais d’un flic intelligent (politique même s’il ne peut faire grève), bac plus cinq, scientifique, profileur, etc.[4]

LA FEMME a-t-elle humanisé la police ??

Sur la Toile on peut trouver une définition soft, pas entièrement fausse de la police aujourd’hui :

« Actuellement la police est confrontée à la montée de la petite et moyenne délinquance comme aux nouvelles formes de criminalité organisée, liées aux trafics mondiaux et à l'informatique. On lui demande de pallier, par la répression ou la prévention, les carences de la socialisation, voire d'incarner à elle seule l'État dans certains quartiers. Tandis que la gauche insiste sur le rôle de la « police de proximité » et de la prévention, la droite privilégie la répression ».

En réalité la grande révolution pour la police moderne a été l’intégration des femmes dans un corps typiquement « masculin ». Pour deux raisons : les femmes délinquantes sont proportionnellement devenues plus nombreuses et la fouille au corps des femmes par des hommes signifie attouchements voire tentation de viol. Loin d’être une émancipation de la femme, bien qu’elles ne portent jamais de moustaches, les femmes policières – quoique l’ostracisme mâle existe toujours sous la table – se sont révélées capables d’être aussi dures et brutales dans « le métier » que les hommes. Un témoignage de « gardé à vue » décrit assez bien la police d’aujourd’hui (en France) :

« … j’ai pu à loisir observer les allées et venues de policiers, tous jeunes en général, de nombreuses policières jolies mais souvent avec un gros cul dont je ne pouvais manquer la perspective dans ma situation assise et menotté. Je n’ai pourtant jamais envisagé de ma vie adulte draguer une policière ou convoler en justes noces avec une gendarmette. Elles doivent être aussi chiantes avec leur chignon tiré comme un képi, à cheval sur la ponctualité et le pli du pantalon, autoritaires comme les teutonnes aux chevaux tressés. En plus elles sont armées. Chapeau bas dans l’alcôve familiale. Mais pas pour moi.

La démarche du policier tient plus du cow-boy avec le colt qui balance au côté que du pauvre flic en pèlerine d’antan sapé comme un vulgaire facteur. Le sordide képi qui faisait chuter les cheveux plus vite que Pétrole Han a disparu[5]. La casquette chez l’ouvrier comme le képi chez le flic c’était aux temps du cinéma muet. Dans les bousculades lors de l’interpellation de militants CGT par exemple, le képi roulait souvent à terre… d’où perte de prestance. Le képi symbolisait l’autorité bonapartiste ou pétainiste et perdit toute sa valeur de « couvre-chef » après les violences en 1968. Le policier moderne doit être agile et sportif. Il doit pouvoir bondir dans la voiture de fonction sans être retardé par un maudit chapeau de garde champêtre pépère.

Jeunes, les nouveaux policiers affichent une prestance de caste supérieure. Tous ne roulent pas des mécaniques, mais la possession officielle d’une arme, qui suppose que son porteur n’est ni un déséquilibré ni un as de la gâchette pour se faire plaisir, est un gage d’autorité autrement plus efficace qu’une casquette galonnée. Dans les stats de l’INSEE le flic est classé dans les couches moyennes bien au-dessus du manœuvre, de l’ouvrier et de l’employé. Son rôle social de garant de l’ordre républicain quoiqu’en priorité au service de la défense de la classe dominante, lui confère une valeur morale, sécurisante pour les demeures cossues des banlieues riches, inquiétante pour les gagne-petits et les puent-la-sueur. Lorsque le policier paraît sur les chapeaux de roue, le bourgeois est déférent et se sent rassuré sauf s’il est inculpé. Le prolétaire en colère considère que ce n’est qu’un métier de fainéant mais « qu’il en faut », « qu’il en faudra même dans une autre société ». Le policier dans sa fonction peut tout à fait se sentir « hors classes », mépriser le bourgeois plastronnant sans le montrer et compatir aux vaincus sociaux qu’il doit régenter dans un univers administratif cradingue. J’ai connu tout au long de ma carrière des policiers rigoureux, trop honnêtes ou trop conscients au point de rester au placard toute leur vie, comme René de Clamart commis d’office à la garde des voitures sur les quais de Paris au moment des manifestations ouvrières qu’il refusait d’aller « encadrer ».

Sous les sourires et les embrassades je devine pourtant que, comme les prolétaires, les flics en uniforme subissent le poids de la hiérarchie intermédiaire. Une autre race de policiers me déplaît, celle des policiers en civil, en jean et baskets avec flingo ostensiblement fourré dans la poche. On sent que ceux-là sont à la parade les supérieurs, des « gradés ». Ce sont les équivalents des agents de maîtrise. Comme dans tous les autres services publics, l’agent de maîtrise est fier d’avoir franchi les échelons qui permettent de se débarrasser de l’uniforme « basique » qui vous colle à la peau. Il n’a que mépris pour les « bleus » avec leurs poches aux jambes bourrées d’outils. Le flic en civil avec flingo qui dépasse de la poche détient une autorité supérieure du fait qu’il n’a plus besoin d’uniforme. Sa carte de police et son brassard amovible renforcent son ambiguïté. Sapé comme les cailleras il symbole un pouvoir mi-civil, mi-officiel. Il n’est pas enfermé dans l’uniforme. Il apparaît plus libre de ses mouvements. Il est parmi les civils et parmi les uniformes. Il peut être partout à la fois et ne se révéler qu’au dernier moment. Caméléon de la loi, il n’est pas identifiable à première vue comme tenant de l’ordre. En cela il est plus inquiétant et plus craint. L’uniforme rassure. Celui qui le porte est tenue à la tenue. Il ne peut pas plaisanter au bar d’un café comme son collègue supérieur en jean délavé ou la fliquette cadre en pantalon moulant. Il ne peut pas badiner avec le public. Il a une trop grande visibilité et il en souffre parfois. L’ostracisme commun vise l’uniforme et oublie l’homme et son être. Il est vu comme l’ennemi alors qu’il ne se considère pas comme un ennemi du genre humain. Comme l’agent de maîtrise ou le cadre EDF, le flic en civil ne souffre pas de cet ostracisme. Il passe même pour « arrangeant » avec son aspect civil. On pense pouvoir composer avec lui, obtenir une compréhension qui n’est pas possible dans l’uniforme rigide. Le mot uniforme signifie commun, rabaisse celui qui le porte au rang de soldat, d’exécutant d’une noria de supérieurs invisibles en cravates ou en chandails ».

Non la femme n’a pas humanisé la police. Par contre vous pouvez tomber sur un (ou une) fonctionnaire qui se comporte humainement, correctement – il y a des dégénérés partout même parmi les ouvriers – ce qui est inhumain est l’institution étatique avec ses rouages judiciaires. Le problème ne réside pas dans la fonction ni au niveau de l’exécutant.

« Dans les archive secrètes de la police », trouve-t-on des révélations ou est-ce que l’origine étatique de la fonction policière y est corroborée ? Non, en réponse aux deux questions.

UN « LIVRE-CADEAU » SUPERFICIEL ET PIPOLE

La police moderne avec ses actuels hiérarques ne va pas nous révéler bien sûr ses secrets de fonctionnement et disserter sur les progrès inouïs de la « surveillance d’Etat ». Les trois quart et plus du recueil sont constitués d’histoires criminelles lointaines centrées sur l’époque royale, la belle époque 1900 des mœurs dissolues avec la pute de luxe Sarah Bernhard et de petites incursions dans les années 1930 et 1960. Plus Almanach des crimes célèbres qu’étude de la fonction policière, ce livre pipole esquive scandaleusement les monstruosités de la répression policière.

La seule pépite qui explique les méthodes de travail invariables de la police, et son credo aujourd’hui même avec les techniques scientifiques sophistiquées, se trouve dans la citation du Préfet Andrieux en exergue :

« L’administration a souvent intérêt à savoir ce qui a été dit ou écrit sur le compte de la personne qui a éveillé son attention. Le dossier répond à cet intérêt. Il n’a pas seulement pour but de faire connaître qui vous êtes, mais surtout ce qu’on a dit de vous. L’imputation la plus mensongère peut être une lueur, éclairer une trace, avoir par conséquent un intérêt de police.

Aussi mettra-t-on dans votre dossier, pêle-mêle, sans distinguer entre le vrai et le faux, tout rapport dont vous aurez été l’objet, toute dénonciation vous concernant, tout article de journal, tout ait divers où vous serez nommé » (1885)[6].

Lecture pour maison de retraite, les 630 pages sont imprimées en gris caractères, et les textes commentant les documents historiques vieillots minces comme une galette des rois. Poisons des courtisanes, Landru, Violette Nozières, nous intéressent modérément comme les vieux films qui leur ont été consacrés. La police a fait son boulot et alors ? Est-ce son boulot essentiel ou un cache-sexe de plus ? Avec celui de CRS maître nageur.

Le découpage en trois parties – argent/pouvoir/amour – ne concerne pas les motivations du policier (qui, comme homme est aussi concerné par ces trois thèmes) mais permet d’éviter une réflexion sur le rôle et les méfaits historiques de la police. Les délices littéraires sur les faits divers et la bande à Bonnot permettent d’éviter de rappeler les 30.000 massacres et viols en 1871 à Paris par une soldatesque policière déchaînée[7]. Le plus scandaleux de cet ouvrage se trouve sur les parties concernant la période de guerre mondiale 1939-1945.

-          3 pages sur le juif collabo (avec la police pétainiste) Joinovici, qui n’analysent en rien le rôle trouble de la police ;

-          12 pages sur le sanguinaire Docteur Petiot en 1944, au ras du bitume, alors que la police aurait pu l’arrêter dès 1936 ;

-          15 pages soft sur la traque des résistants par la police pétainiste (p.342 et suiv.) en 1942, 2 pages d’explication soft et le reste docus de recherche + dénonciations ; il en ressort pourtant que le personnel policier obéit servilement, et sans état d’âme, quel que soit le régime !

-          Les rafles de juifs en 1942, deux pages et demi d’explications seulement, et surtout fixation sur les docus et décrets nazis, rien pour nous laisser entrevoir un quelconque questionnements des « fonctionnaires d’Etat français » sur leur célérité à fourrer des enfants dans des wagons vers la mort…

-          Le scandale du camp de Drancy livre une dizaine de pages de docus, avec présentation très compatissante, très judéophile et anti-raciste d’Etat sarkozien, mais rien sur le questionnement des types en uniforme qui faisaient le sale boulot, qui volaient les prisonniers… ni même des questions aux policiers actuels du genre : « êtes-vous prêts à recommencer le sordide boulot de vos ancêtres » ?

-          La chasse aux collabos en 1945 nous vaut 2 pages presque dithyrambiques, pensez : les policiers collabos ont reçu ordre de retourner leurs vestes, de se mettre en insurrection pour éviter celle du prolétariat, et de chasser à tout va lampistes ou vedettes pour faire oublier leur fonction de répression au service d’Hitler et Pétain.

-          Le massacre à Paris d’Octobre 1961 est un peu plus objectif, certes des flics ont exécuté comme des chiens et jetés dans les poubelles des pauvres prolétaires algériens, mais la faute en revient en premier lieu aux « choquistes » nationalistes du FLN qui ont terrorisé et acheminé depuis la banlieue ces pauvres ouvriers pour les envoyer au casse-pipe[8] ; à décharge des flics cette fois-là il y a eu de nombreux témoignages parmi eux pour se scandaliser de ce qu’on leur ordonnait de faire et pour décrier leurs collègues sadiques.

-          Sur mai 1968, seulement cinq pages et demi (p.466 et suiv.), le tout bon enfant, pourtant, deux ouvriers à Sochaux ont été tués à bout portant par la police, pourtant il y eût des milliers de blessés frappés cruellement…

Et l’ouvrage se termine par la sublimation de la police au cinéma, faut bien donner du prestige à une fonction qui n’en a guère. Lors de ma garde à vue, un inspecteur m’a fait cette remarque étonnante de la part d’un flic, mais néanmoins salarié : « vous n’avez pas l’exclusivité du prolétariat, ici nous en faisons aussi partie ». Coincé sur ma chaise de prisonnier d’Etat, je n’ai pas osé lui répondre :

-          « fort bien, mais alors, au moment de la révolution, vous serez avec les éternels fusillés ou les fusilleurs ? ».

 La police devra disparaître un jour avec l’Etat, si le communisme peut s’en passer, et si l’homme ne traîne pas encore pendant des siècles un atavisme pas simplement dû au capitalisme.

 

NOTES 



[1] Dont voici le sommaire :

Table des matières

Avant propos

Introduction (p.11)

1.       GUERRE ET VENGEANCE PAYSANNE, (p.35) Guerre et pacifisme/Le terrorisme djihadiste : une autre façon de faire la guerre/Les guerres à petite échelle du temps jadis/Le terrorisme paysan/La Réforme, sa violence et les paysans/La terreur jacobine, Marx et Kautsky/La guérilla agricole de Guevara/Quelques terroristes célèbres issus du terroir.

2.       LE TERRORISME DE MARX ET DES ANARCHISTES (p.81) Au début le socialisme était considéré comme criminel/Marx et Engels sont-ils terroristes en 1848 ?/Les trucages pacifistes de Bernstein/Les révisionismes successifs des anarchistes/Réformisme syndical et terrorisme (Ce qu’il y a de commun entre l’économisme et le terrorisme selon Lénine)/L’anarchiste Staline.

3.       LA REVOLUTION EST-ELLE TERRORISTE ? (p.119) La violence des émeutes du XIXème siècle/Terrorisme des Communards ou de la populace ?/Adresse ou maladresse de l’Internationale ?/Un soulèvement inattendu/Du Paris armé au parti armé ?/Passions mauvaises et querelles/Un Etat petit bourgeois/Les conséquences réformistes de l’échec de la Commune/Les lois anti-socialistes en Allemagne/La belle époque du syndicalisme révolutionnaire/La paysannerie n’est pas révolutionnaire.

4.       LE MACHIAVELISME DU TERRORISME D’ETAT (p.163) Le terrorisme gauchiste/La faction rouge armée en Allemagne/Aux origines des intentions staliniennes de la RAF/La faction terroriste au Japon/La faction des brigades rouges en Italie/Les pionniers de la démystification du terrorisme stalino-gauchiste/Gasparrazzo terroriste ou la version dissonante des figurants terroristes/Le bon Franceschini/La brute Moretti/Le truand Curcio/Faillite Politique et humiliation des combattants désarmés/La récupération des épaves terroristes/L’invention de la dissociation/Rôle toujours négatif du terrorisme.

5.       REVELATIONS SUR LES TROIS VAGUES DU TERRORISME  (p.251) Le retour du refoulé religieux/Marx et son analyse tronquée de la religion/Déguisements religieux, religion et violence/Le masque religieux des gauchistes/La guerre sale/Le médiaterrorisme/Fascisme vert ?

 

Conclusion (p.277): le terrorisme rouge s’est suicidé !

Annexe (p.282)

Commentaires préliminaires aux textes suivants :

Léon Trotsky : La faillite du terrorisme individuel (1909), Pourquoi le marxisme s’oppose au terrorisme individuel ? (1911)

Anton Pannekoek : L’acte personnel (1933), La destruction comme moyen de lutte (1933)

Revue BILAN : en défense de Marinus Van Der Lubbe : Les fascistes exécutent, socialistes et centristes applaudissent (1934)

Marc Chirik : Les campagnes anti-terroristes de la bourgeoisie (1977), Terreur, terrorisme et violence de classe (1978)

Guy Debord : A propos de l’utilisation du terrorisme (lettre à G.Sanguinetti, 1978).

Le terrorisme gauchiste à l’écran : Buongiorno Note/Prima Linea/Nada/Der Baader Meinhof Komplex/United Red Army.

BIBLIOGRAPHIE (p.361)


[2] Les autres fonctions de la police actuelle, comme les enquêtes et investigations, étaient sous la charge des citoyens aisés.[]

[3] Thèse d’avril n°5 : « Suppression de la police, de l'armée et du corps des fonctionnaires.
Le traitement des fonctionnaires, élus et révocables à tout moment, ne doit pas excé­der le salaire moyen d'un bon ouvrier. »
 

[4] La surveillance politique était déjà ancienne et intelligente comme le montrent les mémoires des préfets Lépine et Andrieux, mais aussi les archives de l’Ohkrana. Dans mon livre sur la secte CCI – l’organisation eggregore – j’ai produit une étude sur la surveillance politique et policière des partis socialistes ; le POf de Guesde était surveillé de l’intérieur, et des flics encartés y orientaient même les débats politiques… Mais le temps de la lampe de bureau braquée sur la gueule du présumé coupable est bien finie à l’heure de l’informatique et de la prise d’ADN.

[5] Il n’est ressorti que le temps de la sonnerie aux morts dans les cimetières ou lors du 14 juillet monarchique.

[6] Pas mal non ? Ayant eu la joie de consulter mon dossier grâce à la CNIL – dossier soigneusement caviardé – j’ai pu constater que ma trajectoire militante de brave prolétaire révolutionnaire était soigneusement archivée depuis plus de deux décennies, depuis 1972 où j’avais participé comme délégué du groupe Gauche Marxiste aux rencontres ouvrières de Clichy où étaient présents la plupart des chefaillons trotskiens et maoïsants, bien vieux désormais. On pouvait y lire un compte-rendu détaillé de la carrière dans les assurances de ma pauvre femme décédée ; je n’ai pas eu accès à la fiche concernant mes enfants… J’en ai conclu paisiblement que la police française n’a rien à envier à la Stasi.

[7] Un soldat versaillais ou un policier qui tentait de discuter avec un communard était abattu sur le champ !

[8] L’opinion gauchiste générale hurle à hue et à dia contre la répression policière (le néo-nazi Papon était chef de la police à ce moment avec le soutien du libérateur De Gaulle, ex-planqué en GB), or, en pleine guerre de décolonisation, la provocation du FLN a été dégueulasse ; pour ceux qui continuent à avaler la théorie gauchiste, imaginez simplement une manif de prisonniers français à Berlin en 1943 pour la « libération de la France », Hitler aussi aurait fait tirer dans le tas !

1Pourtant sur ce genre de sujet, comme sur partis et sectes, mes statistiques sont affolantes comparées à mes dizaines de lecteurs quotidiens, cela peut varier de 2000 à plus de 4000 visites ! Outre mon livre, j'ai souvent traité de la question dans divers article et nota 

:- COMMENT ALLONS-NOUS GERER L'INSURRECTION AU MOIS DE SEPTEMBRE ?

  • LA POLICE EN TROIS POINTS lecture de Bénédicte Desforges, lieutenant de police, auteur de "Flic, chroniques de la police ordinaire" (éd. J'ai Lu) et de "Police Mon Amour" (éd. Anne Carrière)

  • LA PROFESSEURE ET LA POLICIERE 2011

  • « Deux professions qui sont devenues complémentaires dans l’encadrement et la socialisation de la jeunesse se sont trouvées, simultanément et paradoxalement, opposées de manière sanglante au cours de deux drames qui ne devraient pas être classifiés banalement au rang de faits divers. L’immolation par le feu de la professeure de mathématiques de Béziers me choque autant que les suicides à France Télécom, ou même, nombreux, dans la police. La jeune policière tuée par un autre professeur avec un sabre, dans les locaux du commissariat est tout aussi choquante et du même ordre puisque ces deux métiers sont parmi les plus exposés (avec les contrôleurs de train, de métro, etc.). Analyser ces deux faits divers dramatiques n’est pas simple et ne relève pas de la gentille théorie de l’incivilité des djeuns ; le malaise est général, et concerne tous d’autant qu’il est insoluble, quoique entretenu par l’Etat et ses officines éducatives et juridiques ».

- VOUS AVEZ DEMANDE LA POLICE ? NE BOUGEZ PAS ! (republié ici plus bas)

2« Enfin au total vingt jours après l'assassinat de George Floyd. J'avais posé la question, en pleine journée et encore éveillé sur la colonne de droite de ce blog : « pourquoi ce long silence du CCI sur un événement qui émeut la terre entière ? ». J'y voyais, tout en hésitant dubitativement sur les causes réelles de ce long silence, l'expression de l'attentisme, cette maladie classique de l'opportunisme. Je me souvenais que Marc Chirik, dans son dernier texte - que j'avais soigneusement compilé à la fin des autres dans le tome deux que j'ai consacré à cet homme - avait subsumé la décadence du CCI : « … nous pouvons constater l'énorme retard que le CCI prend par rapport aux événements, et cela à tous les niveaux ».  Lorsque le 12 juin je pris connaissance enfin de la prise de position, je fus stupéfait de sa platitude et de son simplisme. Le même genre d'article lisse sans affect du bureaucrate qui récite sa leçon avec le souci de la respectabilité bourgeoise (comme l'a si bien dit notre ami Jonathan). J'y vis immédiatement confirmation de l'attentisme coupable du CCI. Avec ce qui s'appelle communément l'opportunisme le plus plat, l'article démarre sur la protestation antiraciste universaliste alors que la première question c'était la violence policière et contre qui et le fait que la police comme institution ne peut pas être raciste mais... bourgeoise ; c'est pourquoi, par contre, mon premier article affirma : ce n'est pas un crime raciste mais un crime d'Etat » (cf. mon  Article sur la violence policière en permanence (mai 2020)

3Qui sévissent dans plusieurs domaines de la production française, quitte à se demander si ils ne sont pas tous manipulés par des agents américains : nucléaire, parc à moules, etc.

4Comme synonyme de raccommoder !

mercredi 19 juillet 2023

LA PURGE EXPURGEE

 


La purge expurgée

 

Robert Conquest

(Origins of the Great Purge, par J. Arch Getty [9 mai 1986])

traduction: Jean-Pierre Laffitte

 

 

Le travail historique relatif à l’Union soviétique de l’époque de Staline est un art difficile. Cela l’est tout particulièrement pour les années 1930 lorsqu’une terreur massive a frappé la paysannerie et ultérieurement le Parti Communiste lui-même, l’armée, les intellectuels et le peuple en général. Premièrement, la falsification et l’étouffement ont eu lieu à une vaste échelle, et la preuve que nous en avons est à la fois incomplète et difficile à établir. Deuxièmement, les événements sont si fantastiques qu’il n’est pas facile pour un esprit universitaire occidental de les comprendre vraiment.

Néanmoins, au milieu des années 1960, suffisamment de matériel était devenu disponible pour lever les doutes qui concernaient les principales questions. En tout cas, c'est ce que l’on aurait pensé. Mais toute l’histoire est si scandaleuse qu’il n’est peut-être pas surprenant que, il y a quelques années, soit née une petite école de révisionnistes qui soutient que les terreurs ont été commises à une relativement petite échelle, et que d’autres aspects de l’époque sont plus importants. Des journaux spécialisés dans ce domaine, soucieux à juste titre de présenter de nouvelles idées, ont publié un certain nombre d’articles dans ce sens, et davantage d’articles sont à venir. Et ce livre, bien que se limitant à un sujet particulier, est un représentant de ce genre.

Le sujet traité par J. Arch Getty, c’est la “purge”. Il fait remarquer à juste titre que sa signification originelle, en russe comme en anglais, était un “nettoyage” des rangs du parti, et qu’elle ne signifiait pas terreur. Et, bien que cette dernière connotation ait été établie depuis longtemps, il préfère se concentrer sur les exclusions du parti au cours de la période 1933-38 qu’il considère en tout cas comme les plus importantes. Il nous conduit par conséquent, grâce à des matériaux locaux, aux exclusions et aux raisons officielles qui ont été données pour elles, et c’est par le biais des discours des dirigeants du parti et d’autres matériaux de ce type qu’il en déduit les questions politiques et économiques qu’il croit être la préoccupation principale de la direction. L’établissement de l’autocratie stalinienne, qui est considérée par la plupart des historiens comme étant la principale évolution de la période, est traité comme une question passablement mineure, et jusqu’à présent exagérée.

Quand un auteur souhaite effectuer, et qu’il croit lui-même avoir effectué, une sorte de révolution dans l’étude de sa période, nous devrions évaluer sa prétention avec soin, et l’ouvrage : Origins of the Great Purge [Les origines de la Grande purge] devrait être jugé, comme tout travail de ce genre, en se fondant sur le fait de savoir si ses critères de preuve sont adéquats et cohérents, si les faits connus sont enregistrés avec précision ; et si les déductions tirées d’eux sont judicieuses, ou au moins plausibles.

L’auteur considère que deux versions de la période 1933-38 ont existé. La première, le récit stalinien officiel, est fausse. La seconde, avancée par les Occidentaux et les dissidents, est également, ou presque également, fallacieuse, avec son idée selon laquelle Staline avait assassiné Kirov et que, à partir de là, avait mise en place une terreur croissante ; et selon laquelle sa motivation était de sécuriser son pouvoir personnel en installant un despotisme absolu. Cette approche occidentale est en outre invalidée par le fait qu’elle s’appuie prétendument sur un “modèle totalitaire” ou un “modèle du Grand homme”, qu’elle implique une croyance en la haute efficience de la bureaucratie soviétique, et qu’elle repose sur la supposition que Staline possédait le contrôle total des événements. (Il y a peut-être des historiens qui entretiennent de telles opinions, mais il est difficile de penser que c’est le cas de tous).

Dans l’opinion de Getty, la version “occidentale” n’est pas simplement fallacieuse ; elle détourne l’attention d’événements plus importants. Il estime que ce sont des questions « structurelles, institutionnelles et idéologiques », qui sont les questions importantes, et, en particulier, il ne considère pas les purges prises comme un tout, mais la lutte « structurelle et factionnelle » au sein du parti (et surtout les exclusions du parti de 1933-37), comme la caractéristique centrale de cette période. Il tire des archives de Smolensk une certaine quantité de matériaux utiles à ce jugement au niveau du district. Et il déduit de la presse officielle qu’il y avait des “radicaux” et des “modérés” chez les dirigeants, les “modérés” étant ceux qui étaient en réalité chargés de l’industrie, qui cherchaient à obtenir des objectifs plus bas que ceux qui se préoccupaient d’idéologie (les “radicaux”). Étant donné que ces deux types de personnes ont péri au cours de la terreur, cette distinction ne semble guère décisive pour comprendre la période. Mais les mesures publiques ne devraient pas non plus être prises au pied de la lettre. Par exemple, Karl Bauman, qui « semble avoir été responsable d’une politique extrémiste à l‘égard des koulaks en 1929-30 »,  est qualifié de “radical”. Bauman a été cependant rétrogradé, non pas parce qu’il pratiquait des politiques “radicales” différentes de celles de Staline, mais parce qu’il valait mieux le rendre responsable lui plutôt que Staline de leur échec (et il ne s'agissait de toute façon pas du tout des koulaks, mais de la collectivisation brutale des non-koulaks).

L’approche de l’auteur a par conséquent une portée un peu plus limitée que celle des études antérieures relative à la période. Il restreint lui-même également son approche de la preuve, davantage que cela a été l’habitude, aux sources “primaires”, ce qui veut dire pour lui les sources officielles (un peu comme si l’on fondait une étude de l’Allemagne d’Hitler sur le Völkischer Beobachter et les archives du parti nazi de Baden). Par ces moyens, il considère qu’il a évité l’aberration « manichéenne » simpliste (de voir toute chose comme une guerre entre le bien et le mal) qui est commune aussi bien à la littérature stalinienne qu’à la littérature non-stalinienne, et qu’il a été capable de parvenir à l’“objectivité”. Getty remarque que la plupart de ceux qui écrivent sur cette question ont été des opposants à Staline et qu’ils sont par conséquent « personnellement intéressés », avec l’hypothèse évidente – même en ce qui concerne Khrouchtchev – que ce fait invalide leur preuve. De plus, il suggère que les attitudes de “Guerre froide” et de « la période maccarthyste » ont faussé la pensée de ceux qui ne suivent pas sa propre ligne. Cette accusation de mauvaise foi est inappropriée pour des échanges faisant preuve de maturité, et en tout cas tout à fait indéfendable : l’une des plus grandes bêtes noires de Getty est Roy Medvedev, le léniniste, pour lequel le qualificatif de « guerrier froid » ne peut sans doute pas s’appliquer – de même qu’il ne peut pas, à nouveau, s’appliquer à un autre « manichéen », Stephen F. Cohen, l’un des plus puissant défenseur en Amérique de la détente(*).

Mais c’est une illusion de croire que l’“objectivité” historique peut être atteinte par une certaine méthodologie mécanique qui élimine l’opinion. De tels dispositifs ne font que dissimuler l'opinion. C’est l’acceptation franche par l’historien qu’il a bien sûr des points de vue spécifiques qui le force à traiter la preuve aussi objectivement que possible. Ainsi que    G. M. Trevelyan le dit dans Clio, A Muse [Clio, une muse] : « L’objectivité de l’historien est une qualité qu’il est facile d’estimer à une grande valeur, et elle ne devrait pas être confondue avec les qualités vraiment indispensables de précision et de bonne foi ».

Selon ses propres mots, Getty cherche « des récits internes des participants » plutôt que ceux de « victimes exogènes du processus » ; et, comme nous l’avons dit, il décrit les premiers comme « principaux et par conséquent qui doivent être utilisés exclusivement ou presque exclusivement ». Or, avant toute chose, le récit officiel est (pour le dire de façon modérée) lourdement falsifié ; et même les documents confidentiels de rang inférieur, au niveau de Smolensk, sont eux aussi d’une utilité limitée, étant donné qu’ils sont presque également codés en langage stalinien. En se reposant sur de tels récits, l’on demeurerait évidemment ignorant de vastes événements tels que la terreur et la famine de 1933 dans lesquelles des millions de personnes ont péri.

Le point faible dans la vision habituelle, ainsi que Getty le voit, c’est le fait que les preuves sont diverses et difficiles. Les récits non officiels, qui sont souvent de seconde ou de troisième main et que les historiens de la période stalinienne ont jusqu’à présent utilisés, sont écartés parce que peu fiables. Mais naturellement, toutes les sources sont, d’une façon ou d’une autre, imparfaites, et le fait qu’une source puisse être erronée ou sujette à caution sur certains points n’invalide pas automatiquement toute ses preuves. Ainsi que Gibbons le dit, un historien peut utiliser un tel matériel sans se rendre lui-même « responsable… de toutes les erreurs et de toutes les contradictions circonvoisines des auteurs qu’il a cités ».

Getty se plaint du « spécialiste de premier plan des grandes purges » (c'est-à-dire moi, ici en tant que critique) qui a écrit que « la vérité ne peut… s’insinuer que sous forme de ouï-dire ». Mon point de vue, naturellement, n’était pas que les autres matériaux devraient être négligés, mais que, dans les conditions soviétiques, nous n’obtiendrons que très rarement des informations appropriées sur les décisions ou les événements politiques les plus cruciaux sauf celles qui sont de seconde ou de troisième main. Getty attaque constamment les « raconteurs » transfuges  et les « récits de seconde-main », et il suggère qu’une œuvre telle que celle de Roy Medvedev et que celle de moi-même est « uniformément fondée sur des sources de mémoire » et repose « presque exclusivement sur des récits personnels ». Ceci est tout à fait faux, ainsi que quiconque regardant les notes de nos deux ouvrages le verra immédiatement. Mais ce qui est vrai, c’est que les sources non officielles, de même que les sources officielles, doivent être maniées prudemment. Getty préfère simplement rejeter des matériaux tels que “La lettre d’un vieux bolchevik” (1936-37) de Nicolaevski et The Secret History of Stalin’s Crimes [L’histoire secrète des crimes de Staline] (1954) d’Alexander Orlov.

Bien sûr, ces deux textes ont leurs défauts, et ceux-ci ont été notés depuis longtemps par les historiens. Voir par exemple la note bibliographique de mon livre : The Great Terror [La Grande terreur] publié initialement en 1968. Getty fait remarquer qu’Orlov n’a résidé en Union soviétique pas plus que quelques jours après 1936. C'est vrai, mais cela implique quelque chose qui n'est pas vrai – le fait qu’Orlov n’aurait pas eu le moindre contact avec ses vieux collègues qui connaissaient les cachoteries intimes de la police secrète de Staline. Ce n’est pas ici le lieu pour examiner en détail le cas d’Orlov : mais depuis que j’ai écrit ce livre, son témoignage a bien résisté à ceux fournis de manière indépendante par les sources des samizdats et même par Khrouchtchev. Pourtant, Getty qualifie la “Lettre d’un vieux bolchevik” de « fallacieuse ». C’est tout simplement un abus. Il est clair, comme je l’avais dit, qu’il s’agit d’un recueil de choses rapportées et de rumeurs, et qu’elles doivent être traitées avec prudence. Mais ce qu’elle contient jusqu'en mars 1936, ou bien cette part d’elle qui est à l’évidence fournie ou confirmée par Boukharine, est d’une haute qualité, et une grande partie d’elle a été depuis lors corroborée. Nicolaevski n’était pas un exilé quelque peu excentrique. Il avait été à la tête de l’Institut Marx-Engels de Moscou ; il était le beau-frère de Rykov. Il est absurde par exemple que Getty nous dise d’un ton dédaigneux à propos des votes du Politburo sur des questions telles que l’affaire Ryoutine, que « le seul moyen pour Boukharine de se renseigner sur les discussion et les votes du Politburo… aurait été que quelqu'un d'autre le lui ait dit ». Il était membre du Comité Central, et il rencontrait constamment ceux du Politburo. Par conséquent, même s’il était de seconde main, son récit serait précieux. Mais en réalité, selon les dires de Khrouchtchev (qui était lui-même une source de première main), à cette époque, « les membres du Comité Central qui se trouvaient être à Moscou étaient autorisés à assister aux réunions du Politburo ».

L’ouvrage de Lev Medvedev : Let History Judge [Laissons l’histoire juger] est paru après mes propres et similaires travaux, et il s’appuie sur des sources tout à fait différentes. Celles-ci ne sont, elles non plus, d’aucune valeur pours Getty : « aucun des informateurs de Medvedev n’était suffisamment proche du centre pour être d’une réelle utilité ». Eh bien, Medvedev utilise les archives Petrovski. Il est vrai qu’elles lui ont été données par le petit-fils de Petrovski, mais étant donné la candidature à participation de Petrovski au Politburo, et sa survie jusqu'en 1958, la source est sûrement assez proche pour être utilisée. Et encore, Medvedev, bien que de manière relativement peu fréquente, cite “MS by S-.”. Getty critique cela comme étant caractéristique de ses matériaux alors qu’en réalité Medvedev dresse la liste de vingt-et-une sources de mémoires par leur nom, certaines d’entre elles de première main pour ce qui concerne d’importantes questions, et qu’il en cite plusieurs autres. Certes, là où Getty parle (par exemple) d’une “rumeur” rapportée par Medvedev sur l’attaque finale portée par Staline contre Iejov lors du Senioren Konvent du XVIII° Congrès en mars 1939, Medvedev donne en réalité sa source nominalement : E. G. Feldman, un délégué d’Odessa qui figure en tant que tel dans le compte rendu du Congrès, et qui était – une fois encore – un témoin oculaire. Mais Getty répugne toujours à lire ce que Medvedev dit vraiment : par exemple, il cite Medvedev comme si celui-ci affirmait que des partis antisoviétiques clandestins existaient en Union soviétique au début des années 1930, alors qu’en réalité celui-ci est en train d’écrire sur les Partis communistes à l’extérieur du pays.

L'art réfractaire de l'histoire soviétique consiste à arracher la vérité à des matériaux qui, officiels ou non officiels, présentent tous des insuffisances et des difficultés. Ainsi que Jacques Barzun l’a indiqué, le processus de la vérification historique est « mené sur plusieurs plans, et sa technique n'est pas fixée. Il repose sur l’attention au détail, sur le bon sens, le  raisonnement, sur un “sens” développé pour l’histoire et la chronologie, ainsi que sur la familiarité avec le comportement humain, et avec des fonds d'informations toujours plus nombreux ». Ces principes judicieux ne peuvent pas être remplacés par une fausse “rigueur” mécanique, en particulier quand elle se combine avec une attitude brouillonne vis-à-vis des textes.

Jusqu’à présent, j'ai traité des questions de méthode en histoire, et j’ai exprimé des doutes sur la validité (et sur la cohérence) de l'approche de l'auteur. Comment cela se résout-il en pratique ? Alors qu'il élimine une grande partie des preuves potentielles et qu’il considère des sujets relativement insignifiants comme plus importants que cela l’est peut-être habituellement, il a pu néanmoins présenter un tableau qui, bien que ni totalement véridique, ni particulièrement intéressant, a ajouté quelque chose à notre connaissance et à notre compréhension.

Son travail dans les archives de Smolensk a, bien sûr, produit des matériaux qui n’avaient pas été précédemment extraits. Ce qui est bizarre ici, c’est que, avec son objectif qui était d’examiner la purge du parti et avec les limites qu’il s‘imposait à lui-même du fait qu’il voulait se fonder sur les preuves, il n’a même pas effleuré le matériel officiel considérable (si ce n’est aussi détaillé) relatif à la purge du parti en Ukraine, un matériel qui donne un tableau assez différent de celui de Smolensk. Certes, il y a une bonne quantité de preuves de ce genre dans les histoires provinciales et du parti républicain publiées dans les années 1960 et plus tard. De manière similaire, s’il doit écrire sur les divisions dans la direction en 1933-34, il est bizarre de ne rien trouver sur Terekhov, sur Skypnik, ainsi que sur les troubles de Kiev.

Il est possible que nous ayons une bonne impression de la performance de l’auteur si nous considérons son chapitre portant sur la période où Iejov occupait le poste de patron du NKVD. Pour cela, selon lui, nous avons peu de données, mais des « données impression-nistes » – une manière de dire que les historiens qui l’ont précédé se sont appuyés sur des sources non officielles. Mais, pour l’auteur, il y a suffisamment de matériel officiel pour continuer à travailler, et l’utilisation qu’il fait de ce matériel est instructive.

Tout d’abord, il explique la chute d’Iagoda en tant que chef du NKVD et son remplacement par Iejov comme étant des conséquences de l’explosion de la mine de Kemerovo qui s’est produite quelques jours plus tôt. C’est du post hoc ergo propter hoc(*) : une pure spéculation, bien qu’elle ne soit pas illégitime. Toutes les preuves militent contre elle – la formulation du télégramme de Staline qui ordonnait le changement, la date de l’arrestation de Radek, le fait que des désastres similaires étaient généralement ignorés. Et d’ailleurs il n’est pas vrai que « la Pravda du 26 septembre [cela devrait être le 27 septembre] 1936 a fourni la seule information biographique officielle sur Iejov » ; cet article est en fait une version rééditée d’un article antérieur paru dans la Petite Encyclopédie soviétique, laquelle avait omis une nomination importante.

Ensuite, l’on nous dit que quand Iejov a révoqué les hommes d’Iagoda, il a pourvu le personnel du NKVD avec « ses gens ». En réalité (ainsi que Medvedev l’a indiqué, bien que cela ne puisse en aucun cas apparaître dans un rapport officiel), seule une demi-douzaine d’eux peut être trouvée dans les postes élevés ou assez élevés. Chacun des quinze hommes identifiables comme étant des chefs du NKVD dans les Républiques de l’Union (ou en Extrême Orient) pendant les années 1937-38 était des personnes expérimentées, ainsi que l’étaient naturellement les adjoints d’Iejov, Frinovski et Zakovski

Concernant le premier triomphe de l’équipe d’Iejov, à savoir la répression du prétendu complot du maréchal Toukhatchevski et des autres généraux, Getty est particulièrement pervers. Il affirme que son existence ou non est un point discutable. Mais puisque ces officiers ont tous été réhabilités à la fin des années 1950, et que toutes les sources soviétiques – de même que les commentateurs sérieux –  sont maintenant d’accord sur le fait qu’il s’agissait d’un coup monté, de puissantes preuves sont exigées pour soutenir le contraire, et tout ce que Gerry fait, c’est de produire deux sources, toutes les deux de la variété “mémoires” réprouvés, qui racontent en réalité de possibles conspirations complètement différentes, ourdies par des officiers complètement différents.

Gerry considère que « l’apogée de la Iejovschina » se situe à la fin de 1937, bien que les survivants parlent de septembre-octobre 1938 comme étant la pire période. En tout cas, l’auteur trouve que Staline n'est pas content d’Iejov et du NKVD à la fin de 1937. Il n’est pas apparu lors de la réunion pour le dixième anniversaire du NKVD (bien qu’il ait été présent à la représentation musicale qui a eu lieu après). Cet élément de “preuve”, en même temps que le compte rendu insuffisant d’un discours d’Iejov, vise à soutenir l’affirmation selon laquelle « Iejov avait des ennuis et qu’on lui reprochait probablement une répression excessive ». À l‘appui de sa thèse, Getty affirme que l’adjoint du NKVD et commissaire du peuple Matvei Berman a été transféré pour devenir commissaire aux Postes et Communications, et que l’adjoint du NKVD et commissaire du peuple M. I. Ryzhov l’a été pour devenir commissaire aux Eaux et Forêts, en janvier 1938. Or le transfert de Berman avait eu lieu au mois d’août précédent, tandis que Ryzhov était en tout cas remplacé par l’un de ses plus proches clients,  Z. B. Zhukovski. En outre, en ces mois de janvier et février précisément, deux clients d’Iejov de plus ont finalement obtenu des postes-clés en tant que chefs du NKVD à Moscou et à Leningrad, tandis que son secrétaire était promu peu après à la tête de l’un des départements-clés de la Sécurité de l’État.

Il est clair que si Staline était mécontent, il ne l’était pas d’Iejov. Il est également clair qu’aucun mécontentement n’était dû à une répression excessive, mais plutôt à son contraire ; et l’arrivée de Zakovski au centre en janvier a marqué le début d’une nouvelle vague de terreur et, à la fin, il y a eu la mise en scène à succès du procès de Boukharine.

Il y a un certain nombre de spéculations infondées relatives à cette période – par exemple celle qui part d’avril 1938 où Iejov s’est occupé presque tout seul du Commissariat aux Transports fluviaux. Et Getty balaye aussi un en passant les chiffres élevés donnés par les anciens analystes pour les victimes de la Terreur – en partie parce qu'il ne peut pas se résigner aux remarques de Roy Medvedev et de moi-même selon lesquelles, alors que le parti souffrait très durement, beaucoup plus de victimes étaient des gens ordinaires. Les faits ont simples : environ la moitié du parti a péri, et seulement environ un dixième ou un douzième de la population adulte restante. Pourtant, en termes numériques, les derniers dépassent largement les premiers. Getty condamne certes fortement Staline pour son usage de la terreur – bien qu’il n’ait fait emprisonner que « plusieurs milliers » d'innocents et en ait fait exécuter « des milliers ». Puisque des millions d’individus ont été certainement emprisonnés, et au moins des centaines de milliers tués, même ici l’on peut peut-être voir une inclinaison partiale de la balance en faveur de Staline.

Getty conclut son livre avec un long appendice portant sur l’assassinat de Kirov. Comme le reste de son ouvrage, il est parsemé d’erreurs factuelles. Il tient absolument à faire remarquer que les purges n’ont pas été décidées en situation d’urgence par le “décret Kirov” : mais elles ne pouvaient pas, étant donné que le décret était procédural, ne pas avoir été pénales. Il dissocie l'implication de la police secrète de la politique en faisant condamner les policiers de Leningrad par « leurs camarades d'un comité du NKVD » : en fait, ils ont été jugés, comme toutes les affaires politiques majeures, par le Collège militaire de la Cour suprême sous la direction d’Oulrikh.

Getty soutient qu’il n’y a pas de preuves de l’existence de différends politiques entre Staline et Kirov, et il ignore par conséquent à la fois le témoignage de la Pravda                  (17 novembre 1964) et le récit de première main de Khrouchtchev à propos d’une violente dispute entre les deux hommes (laquelle portait sur un problème précédemment rapporté par Orlov).

L’auteur maintient l’innocence de Staline dans cet assassinat. La principale raison pour croire qu’il est coupable est pourtant simple : aucune autre hypothèse ne colle avec les faits admis. Quand Khrouchtchev a senti qu’il n’avait pas encore réussi dans ses accusations ouvertes (et non obliques) contre Staline, duquel, a-t-il dit à Tvardovski, il était tout à fait certain de la culpabilité, Getty transforme cependant cela en un aveu d’innocence. Ensuite, il remarque (comme si c'était une évidence) que certaines personnes ne croyaient pas que Staline était impliqué, et il prend pour exemple Trotski. Or Trotski écrivait dès 1935 que toute l’affaire avait été à l’évidence organisée par Staline ou que, ainsi que son fils et porte-parole L. Sedov l’a écrit en 1936, Staline était à la fois « politiquement » et « directement » responsable. (Il est vrai que Trotski et Sedov ont dit que Staline avait eu l’intention d’arrêter l’assassinat au dernier moment. Il n'y a pas de garantie pour ce correctif extraordinaire, sauf l'idée qu’un marxiste comme Staline s’abstiendrait de la « terreur individuelle ». Quatre ans plus tard, Trotski devait découvrir à ses dépens que le marxisme de Staline était après tout assez flexible pour l’autoriser).

Les critères historiques de Getty sont inacceptables, et il s’est même écarté d’eux quand cela convient à ses arguments. Mais tout ceci est mineur par comparaison avec sa réduction simultanée de toute la scène fantastique à des questions insignifiantes d’administration et à des conflits économiques rationnels. Comme Orwell le disait, comprendre l’Union soviétique demande un effort aussi bien d’imagination que d’intelligence. Ce qui fait défaut ici avant tout, c’est un sens du despotisme exotique et primitif, ou de l’ambiance d’une étrange secte millénariste. L’on voit Staline et ses partisans commettre des cruautés et des falsifications, mais tout sentiment pour leurs pulsions et leurs motivations, ainsi que pour toute la culture étrangère qui est incarnée en elles, est absent.

Les points de vue établis ne sont pas toujours justes, et de nouvelles interprétations sont les bienvenues. Le livre de Getty est en réalité meilleur que certains autres ouvrages récents portant sur le même sujet. En outre, il a le mérite de s’attaquer, ou de s’attaquer en partie, au thème dont trop peu d’érudits se sont occupés. Mais ce manque d'intérêt est sans aucun doute en partie la raison pour laquelle un tel travail a été pris plus au sérieux qu'il ne le mérite.

      

 

      

 

    

    



(*)  En français dans le texte. (NdT).

(*)  Expression latine signifiant littéralement : « à la suite de cela, donc à cause de cela ». C'est un paralogisme (voire un sophisme) qui consiste à prendre pour la cause ce qui n’est qu’un antécédent, c'est-à-dire à prétendre que si un événement suit un autre, alors le premier doit être la cause du second. (NdT).