PAGES PROLETARIENNES

vendredi 9 juin 2023

L'ultra-gauche mène-t-elle à la poésie ou au néant ?


Rosa Luxemburg

Le qualificatif ultra-gauche n'a jamais été très sérieux, ni luxembourgiste, mot valise, mot caméléon, tant dans l'après 68 où il désigna comme tel tout groupe hors du gauchisme, d'une part (et fort justement) diverses revues de 3 ou 4 compères intellos plus anars que marxistes : La guerre sociale, la Banquise, jusqu'aux situationnistes. Une bande de littérateurs à la mode. Les groupes de militants sérieusement militants dans la classe ouvrière, par exemple des bordiguistes au CCI n'ont jamais admis pour leur compte ce qualificatif idiot d'ultra-gauche qui faisait référence à une mouvance plus ou moins sombre de comploteurs de cacahuètes. Heureusement aujourd'hui l'ultra-gauche ce ne sont vraiment que des incendiaires de poubelles. Le groupe phare des années 1950 – Socialisme ou Barbarie – issu du trotskisme et non pas des groupes historiques de l'avant-guerre, provisoirement sous le boisseau ou considérés comme fossilisés, n'a jamais été qualifié d'ultra-gauche, qualificatif post 68 dont j'ignore la paternité. Donc le titre de cet article, même si Daniel Blanchard est passé de S ou B à la poésie, n'a rien à voir avec le sujet qui est :

DES MEMOIRES MILITANTES PASSIONNANTES

Les mémoires de militants, même et surtout de tous ceux qui en sont « revenus » de leur militantisme, m'ont toujours intéressées, voire passionnées. Car elles éclairent les nouvelles générations sur ce qu'il faut dépasser, outrepasser, voire remettre en cause tout dogmatisme. Le témoignage de Daniel Blanchard (alias Canjuers dans S ou B) peut être ajouté à des monuments comme l'ouvrage du jeune Edgar Morin « Autocritique » (1959). L'ouvrage de Blanchard est captivant, reflet de cette génération militante « prolétarienne » et marxiste anti-stalinisme de l'après-guerre. En y ajoutant aussi ex-staliniens et ex-trotskistes, Pierre Daix (J'ai cru au matin), Pierre Naville, Yvan Craipeau (Mémoire d'un dinosaure trotskiste), etc.

Daniel Blanchard

Je ne m'attarderai pas sur la trajectoire personnelle de l'auteur, encore vivant – cette génération de personnages politiques exemplaires atteint en général les 90 piges (Henri Simon et Edgar Morin ont franchi la barre des 100 ans !) L'ensemble du livre est passionnant, honnête d'une belle écriture, malgré les faiblesses politiques d'un accouplement du trotskisme et de l'anarchisme. On verra par après que les « fossiles » dont certains ont transité par S ou B, ont mieux tiré les leçons politiques des échecs qu'en se réfugiant dans la poésie. Que ces trajectoires d'abandon du militantisme soient la conséquence de tel renoncement personnel, d'un suicide (Lagant) ou d'une désaffection face à un prolétariat qui, depuis près de cent années, n'a pas été à la hauteur des espérances révolutionnaires qu'on avait en lui, ne sera pas le sujet mais une étude de trajectoire. Cette irrésistible volonté de s'engager pour changer la société.

QUAND LE COMBAT REVOLUTIONNAIRE MENE A LA POESIE

Passionnante est la narration de Blanchard de sa rencontre avec le principal groupe révolutionnaire sorti heureusement du trotskisme, et que l'on peut considérer comme la plus sérieuse tentative de renouveler le marxisme, 75 ans après... Plus précurseur de l'esprit mai 68 que les fossiles bordiguistes. Avec cette lucidité, certes morose, des membres de petits sectes dynamiques mais incomprises et ignorées par la chape de plomb de l'ordre dominant :

« … De fait, nous étions, à l'échelle de la société, invisibles (…) Et il fallait à la fois ce retrait et une


puissante passion intellectuelle pour assumer l'audace de refuser de s'incliner devant la double hégémonie idéologique du libéralisme capitaliste et du prétendu marxisme stalinien. A la différence des quelques sectes « ultra-gauche » qui cultivaient un étroit corpus idéologique bloqué, le projet et la démarche du groupe Socialisme ou Barbarie étaient essentiellement dynamiques : à partir de quelques idées forces empruntées au marxisme – pour l'essentiel, l'idée de la lutte des classes, entendu désormais comme l'opposition entre dirigeants et exécutants pour l'étendre aux sociétés du bloc de l'Est...1 ». Hélas, Blanchard plante le décor de ce qui sera la faillite théorique finale du groupe. Pas complètement débarrassé de l'esprit trotskien, le groupe naviguait déjà sur une conception anarchiste fourre-tout, ne rendant pas compte de la complexité de la lutte des classes ; après tout il y a aussi des dirigeants et des dirigés dans tous les syndicats et partis politiques, et ce n'est pas cela qui fonde en premier lieu l'exploitation. Quant à la théorie, repiquée sans le dire à la Gauche Hollandaise, d'une « société fondée sur la démocratie autogestionnaire », ce ne fut que la matrice néo-anar pour la plupart des gauchismes après 68.

La faillite théorique de S ou B a suffisamment été démontrée par le groupe de Chirik après guerre et qui a donné naissance au plus vieux groupe politique en France, Révolution Internationale, fonctionnant désormais sur un mode gérontocratique et radoteur. On peut consulter à l'Institut d'Amsterdam et à la Bibliothèque Nationale, mon ouvrage où Lucien Laugier démonte très bien les carences théoriques de S ou B2.

Blanchard est bien plus intéressant et concret lorsqu'il décrit les personnages de S ou B. Subsiste une admiration incongrue pour le guru Castoriadis (qui a fini psy). Les Véga, Lyotard, Souyri, etc. repassent devant nos yeux et mes yeux. J'ai participé la dernière réunion publique de Pouvoir Ouvrier en 1968 et pu apprécier les talents d'orateur de Véga, comme la beauté de sa femme Martine. Lorsque je vis arriver à la réunion les dinosaures de SB, je fus frappé par leur prestance. Il est vrai que les militants (militaires bis?) se tiennent plus droits que la moyenne lambda). Ils m'apparurent grands et hautains. Avec une allure de profs. Nous les jeunes nous sentions merdeux devant ces revenants d'un marxisme plus à la mode.

Souyri vint nous donner des cours d'économie en 1972 dans le groupe éphémère Gauche Marxiste ; je lui demandais parfois conseil par téléphone. Lorsque je fus dans ma phase d'adhésion à RI, il me déconseilla la chose : « tu sais, je me méfie de ce genre de groupe, ils restent en général des fossiles léniniste ». J'ai passé outre et je suis resté ami avec son fils qui vit en Suisse. Et je ne le regrette pas, pour moi ces années passées au CCI me permettent de dire : j'ai le bac plus 20 du CCI, comme études supérieures en politique. La première prise de contact, qui se vivait à l'époque en version clandestinité affublé d'emblée d'un pseudo, se tint près de chez mes parents, avenue de Suffren, J'avais rendez-vous avec Guy Sabatier, charmant, mais paradoxe il m'annonce qu'il vient juste pour établir le contact car il a décidé de quitter le groupe. Au deuxième rendez-vous, qui a lieu face au jardin du Luxembourg, je rencontrerai le jeune fondateur, Raoul Victor. Sublime personnage : une étonnante faculté d'écoute et une argumentation pas du tout sectaire ; il sera éjecté du groupe au milieu des années 1990 par des méthodes injurieuses et policières.

Blanchard a fait route commune avec Debord, avant que celui-ci n'adhère pour un court moment à S ou B. On peut dire que Blanchard se situait plus à droite de S ou B : illusions sur les libérations nationales (il fût porteur de valise) et foi en Castoriadis.

Mais il en reste un témoignage vivant, pas historien (cf.Gotraux) en nous faisant vivre scissions et départs (celui de Lefort et Henri Simon en particulier) ; de même il remarque le peu de fiabilité d'une excroissance subite pour un groupuscule – S ou B compta une centaine de membres – à la veille de sa disparition (p.112).

Au bout de 7 ou 8 ans, il commence à s'ennuyer, et avec raison. La France, une fois finie la guerre d'Algérie, retombait dans une apathie où les ouvriers devenaient des touristes de la lutte de classe, comme on vient de le subir pendant cinq mois de balades syndicales gentilles et sans aucun risque, comme dans les années 1950...

Il ne s'ennuie plus avec le retour en force de la classe ouvrière en 1968. Il note que la plupart des mini-groupes révolutionnaires (y inclus les fondateurs de RI, malgré leur vantardise) n'ont rien vu venir. Lui se mêle passionnément au barricades et se joint au 22 mars, dont il apprécia le refus de se considérer comme « la direction du mouvement ». Après cet homme est devenu poète et actif dans les milieux littéraires, ce qui n'enlève rien à l'aspect honnête et touchant de son témoignage.

UNE CORRESPONDANCE MINE D'OR

Henry Chazé

La correspondance volumineuse entre Henry Chazé et Henri Simon, avec quelques autres militants admirables (comme Christian Lagant) peut vous servir de bible de chevet : deux tomes de 330 et 430 pages (ouf!) : « Vous faites l'histoire ! » (1955-1962) de Socialisme ou Barbarie à Informations Correspondance Ouvrières. Et « Le vent en poupe » : 1963-1968 Dépasser le marxisme ?

Cette longue et pertinente correspondance (privée) commence en 1953 et on pose des questions basiques depuis le milieu anarchiste :« Les copains du groupe Cronstadt qui interviennent font part de leurs doutes quant au fait que le capitalisme développe le prolétariat en nombre et en culture – développe la production – se demandent s'il faut ranger les employés parmi le prolétariat ou parmi les classes moyennes hostiles à la révolution ? Même question pour les paysans.

A la seconde réunion les camarades du groupe Cronstadt demandent à Chaulieu « des exposés moins didactiques et un ton moins « professoral » - une durée d'exposé moins longue (…) J'ai l'impression que les copains du groupe Cronstadt sont asses désorientés par la pensée systématique de S ou B et s'ajoutant à cela une certaine méfiance (pas dans le mauvais sens du terme mais plutôt à une attitude due au fait qu'ils ne nous connaissent pas personnellement) (lettre de Guy Gély).

En 1955, Henri Simon soupçonne Chaulieu de discussions parallèles extérieures à son groupe, comme il témoigne de l'attitude perverse de celui-, hautain avec la gauche Hollandaise, tout en la pillant :

« Est-ce que Chaulieu ne poursuivrait pas des discussions avec d'autres gars, en se servant de la revue comme un organe de diffusion de ses idées, tout en faisant croire à la piétaille du groupe qu'il s'agit d'une contribution originale au travail du groupe. (…)

Pour les copains de Hollande du groupe Spartacus, ça marche car nous correspondons nous-mêmes avec Cajo et Théo. Je t'envoie deux textes, l'un de Théo est une suite à l'échange de lettres Pannekoek-

Henri Simon

Chaulieu et a été fort mal accueilli par SB qui l'a dénoncé comme une caricature de ses positions, l'autre est de Cajo (…) Chaulieu n'a pas eu beaucoup d'empressement pour des relations suivies de ce côté car leurs positions sont à l'opposé des siennes, les leurs paraissant beaucoup plus logique et leur expérience du travail pratique plus grande qu'à SB » (lettre d'Henri Simon, p.46).

Les derniers arrivés à S ou B ont toutes les raisons de se méfier :

« J'ai l'air de jouer les anti-chaulieusards résolus, mais en réalité nous essayons de voir clair dans ce que veut Chaulieu, par tâtonnements plus que par certitudes. Un peu avec répugnance d'ailleurs car en venant à S ou B on pouvait espérer trouver autre chose que les rituelles luttes d'influence, les séparations en clans fermés ou l'utilisation des ficelles en honneur dans les partis traditionnels ».

Ajoutez à cela les couches petites bourgeoises comme le note Chazé:

« Le milieu des salariés petits-bourgeois est particulièrement décevant (…) Ces employés étaient pire que les techniciens ; les connards maison. (…) sachez que pour ne pas se pourrir, l'organisation genre Conseil ne doit pas vivre si le climat ne se maintient pas à un diapason élevé. La forme Conseil apparaît dans tous les grands mouvements puis disparaît, tout simplement ou d'une façon très moche ».

On ne peut pas trop compter sur les intellectuels, Chazé l'illustre mais par ses commentaires peu


honorables sur « sainte »Simone Weil :

« Je reviens à Simone Weil. Intellectuelle jusqu'au bout des ongles, juive par surcroît (?), elle n'a jamais pu trouver le contact avec le prolétariat, malgré ses efforts passionnés. Elle avait de bonnes amitiés parmi des militants et militantes, mais elle voulait violer la masse. Je suppose que du fait de sa laideur, elle a dû échouer pareillement dans ses contacts avec les mâles qui devaient se limiter aux échanges intellectuels – Qui sait, peut-être a-t-elle pu avoir des contacts physiques et ne pas y trouver ce qu'elle cherchait. Tant de névrosées sont dans ce cas. Restait ce contact avec Dieu. Elle y serait parvenue. Mais j'ai bien l'impression qu'elle a été surtout annexée par l'habile Perrin3 ».

« J'ai entièrement lu « l'univers kafkaïen » (et les enfantillages) de Mothé – j'avais écrit à Guy que les premières pages me semblaient du bavardage. L'ensemble est du même cru. Toutes ces pages pour raconter ce que tout salarié sait, aux particularités près. Car enfin c'est bien pareil dans les bureaux, ateliers de fabrication, labos, etc. On se démerde pour que ça tourne. Et la maîtrise le sait et les cadres aussi (Mothé les prend vraiment trop pour des connards) et les cadres supérieurs également et même les patrons » (p.71).

Le mouvement ouvrier retombe dans l'apathie en 1957 comme le constate par après Henri Simon :

« Les répercussions de l'insurrection hongroise sur les ouvriers ne semblent pas avoir pris l'ampleur que l'on pouvait supposer en décembre (ce qui motivait certains rêves de grandeur). Les élections dans les entreprises ne traduisent pas de perte de vitesse sensible des staliniens ; ils ont su semer habilement le doute chez ceux qui doutaient d'eux et exploitent actuellement le mécontentement chez les fonctionnaires (les grèves actuelles sont d'ailleurs le type même de grèves bureaucratiques : elles se limitent aux secteurs où le staliniens sont les plus influents et où ils trouvent la clientèle la plus obéissante » (…) La leçon de tout ça, je pense, est que les ouvriers n'évoluent pas grâce à des événements extérieurs mais sous la pression de leur situation réelle dans le régime d'exploitation. Dire que des faits comme la révolution russe ou l'insurrection hongroise les laisse indifférents, ce serait dire des conneries, mais ces faits n'ont de répercussion qu'autant qu'ils recoupent l'expérience propre de la classe ouvrière et l'aident à comprendre ce qu'elle a déjà vécu. Et les ouvriers qui « quittent » le stalinisme , sont-ils pour autant des « révolutionnaires conscients » ? Aux élections d'entreprise, les voix déplacées de la CGT vont souvent sur FO et la CFTC » (p.66). (…) En ce qui concerne les Conseils, c'est une autre histoire. Dans les pays latins, la tradition syndicaliste révolutionnaire fut si forte que la notion des Conseils ne pénétra pas ».

Sur la question des libérations nationales, S ou B ne fut pas clair surtout avec des positions « fluctuantes » (cf p.272) mais Simon et Chazé restent eux sur les positions de classe, comme l'explique Chazé :

« ...rien de fondamental ne peut avoir modifié l'attitude des révolutionnaires. Nous devons avoir une position extrêmement critique vis à vis des mouvements d'émancipation nationale, surtout lorsqu'il existe un embryon de prolétariat dans les pays en cause et que des organisations tentent de les embrigader. Ce qui n'atténue en rien la propagande défaitiste révolutionnaire au sein du prolétariat de la métropole. (…) En aucun cas, à mon avis, une étude sérieuse ne peut mener à appuyer un FLN quelconque. Il y a le MNA, cher aux copains de l'Ecole émancipée. Mais ce n'est guère mieux malgré son contenu prolétarien ».

Des tentatives foireuses, voire comiques, d'organisation du futur parti ont eu lieu à S ou B comme en témoigne Henri Simon en mai 1958 :

« Chaulieu et Guillaume avaient rêvé de contrôler chaque groupe par une tête : Chaulieu chez les ouvriers, Guillaume chez les employés, Montal aux étudiants, et Véga aux enseignants. Mais déjà ça apparaît bien artificiel. Les enseignants refusent de rester entre eux et Montal vient d'office aux « employés ».

DES NOTES INDISPENSABLES POUR BIEN CONNAITRE L'HISTOIRE DU VRAI COURANT REVOLUTIONNAIRE DANS SA DIVERSITE


Le premier tome fournit un très important appareil de notes (p.243), qui doivent être lues intégralement non en sautant de la page où elles sont renvoyées mais comme un texte à part entière, car elles contiennent une foule d'informations indispensables à tout jeune révolutionnaire moderne. . Tous les personnages qui ont tant compté dans ce milieu internationaliste de Pannekoek à la revue Bilan, de Suzanne Voute à Marc Chirik, de Jan Appel à Canne Meijer, de Barta à Pierre Bois, Goupil, Pierre Brune ; des révélations sur Mercier-Vega, ponte anarchiste aux bons soins de la CIA (p.294)

VERS L'EXPLOSION DE MAI 1968 (mais la correspondance s'arrête au mois de février 68)

Le deuxième tome – Le vent en poupe – pérennise la profondeur et la subtilité des échanges (sic) ente Simon et Chazé. Les deux compères lisent beaucoup pour mieux juger de la félonie de certains intellectuels depuis l'avant-guerre ; Chazé étrille le bouquin de Daniel Guérin sur le Front populaire :

« Il en ressort que D.Guerin est de la race des opportunistes indécrottables. Ces gars-là n'ont pas d'excuse, comme les mandarins de S. de Beauvoir. Ils savaient. C'est trop facile maintenant de dire que des « groupuscules » disaient bien que...mais que leur activité ne pouvait être efficace. Tu parles – et leur efficacité à tous ces Guérin, Pivert, Colette Audry, Collinet, etc. espérant en Blum, en Doriot, en Pivert, en trotski, espérant toujours, cherchant surtout les auditoires, et, en définitive, ficelés et faisant le jeu de Blum et Thorez et tutti quanti ! Phrase révolutionnaire et couilles molles ; gens de bonne volonté, pour être moins vache » (Chazé, p.41)

De nombreux commentaires ponctuels, parfois courts, fournissent des jugements ou appréciations bien vues sur groupuscules, auteurs ou événements.

Voix ouvrière (ancêtre de LO) : « poids plus grand des intellectuels et dirigeants aux dépens de la base ouvrière » (p.45)

« Broué est bien inférieur à Souvarine en ce qui concerne l'histoire du parti bolchevik d'avant 1917 » (p.49)

« A propos de Pouvoir ouvrier – j'ai reçu le dernier numéro. Que c'est faiblard ! Au moins SB avait toujours un intérêt certain. La formule adoptée par PO, pour un groupe politique, ça ne vaut rien. Ce sont à peine des articles bons pour un quotidien. Cela rehausse ICO, nettement plus vivant et qui reflète quelque chose : des contacts, des liaisons » (Chazé p.49).

En 1964, Chazé est ravi (comme le fut Blanchard) que Chaulieu balance tout par la fenêtre, croyant encore qu'il restera fidèle au marxisme et au prolétariat :

« Que Chaulieu fasse le saut et rejette d'un seul coup un marxisme trop vieux, le léninisme, le trotskisme, le bordiguisme, etc. c'est tout de même un sacré pas en avant. Coup de chapeau à Rosa Luxemburg et aux Communistes de Conseils, et il reste du bon côté, quand tant d'autres « dépasseurs » du marxisme finissent à la SFIO. « reste toujours l'ambiguïté sur l'organisation révolutionnaire » qui « doit préfigurer l'organisation future de la société, avec la plus grande autonomie des composants »... « il faudrait le prendre par le revers de la veste et s'expliquer » (Chazé p.51).

Chazé est ami avec Christian Lagant de Noir et Rouge : « Si seulement quelques bons copains anars, et je pense à N et R, pouvaient faire un effort semblable et renvoyer dans le passé les Kropotkine, Bakounine, Reclus, Malatesta et la Révolution espagnole ! Mais je ne les en crois pas capables – pour le moment ».

En août 1964, Henri Simon a organisé un colloque en Normandie où il a trouvé de jeunes anars capables d'évoluer :

« Les jeunes anars sont beaucoup moins sectaires que ceux de Paris, moins « famille anarchiste », mais terriblement ignorants de choses évidentes pour nous (l'isolement) et abordant tout avec le souci « d'éduquer » ; ce parti pris de militer au sens de se poser comme modèle détenteur d'une vérité les rend très vulnérables et peur critiques en regard d'entreprises syndicales ou révolutionnaires type Voix ouvrière ou autre (qui valent les staliniens ou les gttrotskystes impénitents). Mais ils sont très ouverts et jamais je n'ai été si loin dans une discussion avec des anars. Résultats ; négatif ; pas de bilan de la réunion – positif : on décidé d'essayer d'écrire chacun dans son domaine d'intérêt un texte bref en essayant de dépasser les controverses habituelles et de le situer dans la totalité de la vie sociale ». (p.71).

Début 1968 Chazé félicite Christian Lagant pour le dernier numéro de Noir&Rouge :

« Je reviens à ces deux articles du n°39. Celui sur le Viet-Nam est particulièrement bon et opportun, car tout le monde s'excite en ce moment et « on bouffe de l'Amerloque », comme « on ;bouffait du boche » au temps de l'antifascisme. Maintenant, c'est l'anti-impérialisme qui sert et pourrait nous mener droit au casse-pipe avec la fleur au fusil ». (p.277)

« La revue Autogestion existe depuis quelque temps. Tu peux juger sur pièces ça vaut les autres, par le contenu et par le prix. L'équipe des nantis du CNRS a intégré Guérin et Raptis (Pablo) – mordus délirants de l'autogestion algérienne et yougoslave » (Simon à Chazé, où il parle du copain isolé à Marseille (Camoin)p. 279)

Christian Lagant correspond avec Chazé, comme plus tard Guy Sabatier et Camoin. Il mange avec

Christian Lagant

Henri Simon chaque mardi « en toute cordialité fraternelle, comme toujours » (p.78). Dans les années 1970 Lagant a joué un rôle important pour la clarification des positions révolutionnaires. Il s'est suicidé en 1978. Nous avons été très ému à cette annonce et RI lui a consacré un article fraternel à l'époque. Les notes des pages 329 et 330 font l'éloge de Lagant et témoignent de sa contribution au mouvement révolutionnaire hors des poncifs ultra-gauches et des groupuscules « anti-capitalistes » du...Capital..

Tous ces courriers des « sixties » jusqu'en 68 témoignent de l'ébullition des groupuscules révolutionnaires des USA au Japon, de l'Allemagne au Royaume Uni, fourmillent des échanges entre groupes sans jamais oublier le passé et ses personnages si importants pour le développement de la théorie révolutionnaire. Au mois de décembre 1967, Chazé fait la remarque suivante à Henri Simon :

« Il est regrettable que tu n'aies pas vu Marc (Chirik) pour t'entendre avec lui au sujet des informations à recevoir du Venezuela - pour l'échange d'opinions, ce n'est pas grave – ce qui ma plu de sa part, c'est son dynamisme si opposé au scepticisme de son ami Laroche. Les divergence avec Marc seront toujours ce qu'elles furent – je t'avais dit que nous avions suivi des évolutions parallèles, car depuis l'Unité léniniste de 1928, nous ne nous étions jamais retrouvés dans les mêmes groupes. Alors que nous avions recueilli les bordiguistes dissidents en 36-37, lui se liait avec les théoriciens, et toujours il y eût avec lui de tels désaccords. Mais toujours aussi une possibilité de discuter utilement » (Chazé, p.256). Dans les notes page 324 on peut lire un long et intéressant compte-rendu de l'activité de Marc Chirik et de tous ceux qui l'entourent. Page 389 sont listés tous mes travaux et documentaires sur Marc Chirik.

Que certains aient abandonné le combat pour la poésie, d'autres trahi en se couchant dans des partis bourgeois, on s'en fout. D'autres relèvent toujours la tête, et ces témoignages du passé, toujours vivant, sont le meilleur cadeau à leur offrir.



NOTES

1Blanchard voir confirmé sa volonté d'engagement politique avec les événements de Hongrie en 1956. J'ai eu l'occasion de les connaître de l'intérieur car, dans les années 1990, j'ai eu une amante hongroise qui y avait participé.

2J'ai eu l'occasion de porter ce livre à Jacques Signotrelli (Garros) lorsqu'il vivait encore à Sceaux. Autanty a-t-il apprécié la critique de Lucien Laugier, autant a-t-il désapprouvé ma postface au livre. Signorelli était voisin de Jacquy Mamane, un des fondateurs de RI à Toulouse, décédé hélas il y a quelques années à soixante ans. J'ai toujours regretté de ne pas avoir organisé une rencontre entre ces deux hommes.

3Un père dominicain. La note 9 de la page 257 rappelle que c'est Georges Bataille qui remarquait « l'incroyable laideur » de Simone Weil, or Boris Souvarine répondit que c'était un mensonge impudent : « son visage rayonne d'intelligence et de bonté ».




mardi 6 juin 2023

FIN DU MATCH.... du réformisme utopique syndical

 « la liberté des bourgeois c'est la confusion» Georges Bataille.

« Cette victoire est précieuse pour l’avenir. Parce que nous savons que les attaques vont encore s’accroître ». CCI

 

Cinq mois et 14 promenades syndicales inutiles sauf à entendre des pétards de carnaval. Voir autant de manifestants se plier aux programmations intercalées et filandreuses des généraux syndicaux. Etre sidérés avec cet épilogue minable du triomphalisme des mafias syndicales. Suivies par les sectes gauchistes et « révolution internationale »

Entretenir la confusion est devenu une arme de communication. Pendant cette longue, trop longue fin de feuilleton de la réforme des retraites, la gauche a agité les mêmes gimmicks menaçant le gouvernement d'un grand chambardement qui n'est jamais venu, qui ne pouvait advenir tant la poudre était mouillée depuis le début. La confusion sur une possible voire inévitable victoire du « camp des travailleurs a été délibérément entretenue par la gauche contestataire et creuse de la bande à Mélenchon, et les ballons gonflés des bandes syndicales en costume fluoré.

Dans ce bordel dit unitaire le plus frappant a été le mensonge quant à la défense de la démocratie...des élites des partis et des syndicats. En passant sur le corps des millions de prolétaires indignés à l'idée de se faire exploiter deux années de plus, on batailla pour que le parle-ment soit vraiment une instance « représentative » du « peuple » et des syndicat « enfin écoutés », c'est à dire pour du vent. Aux balades syndicales toujours plus moutonnières répondaient les milliers d'amendements ridicules d'une gauche plus bobo que caviar, plus spécialisée dans une fonction de victime d'un « manque de démocratie » que vraiment menaçante pour le pouvoir d'Etat.

L’effet de la confusion est de renvoyer dos à dos aux yeux de l’opinion tous les acteurs du jeu parlementaire. D’autant qu’on n’assiste pas ici à un débat de fond sur deux visions distinctes du financement des retraites, mais à une bataille de procédure à coups d’articles de la Constitution et du règlement de l’Assemblée. L’alliance Nupes-Liot fait le pari que le rejet très majoritaire de la réforme Borne-Dussopt conduira à un rejet parlementaire ultime le 8 juin, mais avec un spectacle qui, globalement, ne revalorise pas vraiment l’image du Parlement. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes de voir les défenseurs les plus ostensibles du parlementarisme favoriser l’incompréhension sinon le dégoût des pratiques parlementaires. Bien que Binette et Bergerette n'aient pas cessé de défendre leurs amitiés sincères au parle-ment1, concernant non la démocratie ouvrière mais la démocratie...bourgeoise !

C'est une fiction comique, malgré l'échec du mouvement social contre la réforme des retraites, les syndicats estiment s'en sortir grandis - si ce n'est gagnants - de ces cinq mois de contestation. Adhésions en hausse, image positive dans l'opinion... Les mafias sociales soulignent régulièrement leurs gains engrangés depuis janvier, estimant par ailleurs être parvenues à peser comme exécutants face à l'exécutif. «Nous avons gagné la bataille de l'opinion», martèle, bravache mais peu crédible, la pimpante nouvelle cadre cheffe de la CGT, Sophie Binet.

Le 4 juin, sur son site, le CCI conclut sur cette « victoire »2 : « Ce mouvement est une promesse pour l’avenir. Il est le signe que nous, la classe ouvrière, nous avons commencé à redresser la tête. À nouveau, nous nous serrons les coudes dans la lutte. Durant des décennies, nous avons subi les attaques incessantes des gouvernements successifs, de droite comme de gauche. Mais dorénavant, nous refusons cette dégradation continue de nos conditions de vie et de travail. Voilà ce que montre la massivité de notre mouvement ».

Pas une seule critique sur l'essentiel, l'organisation méthodique de la défaite par les mafias syndicales ! Vantardise de la massivité, autrement dit du nombre, qui a toujours servi d'argumentaire aux pires démagogues3. Or le nombre en l'espèce a été complètement domestiqué depuis le début par les mafias syndicales. Il n'y a eu aucune conscience d'une identité de classe mais domination de l'idéologie du « peuple en colère », du malaise d'une société en crise. Enfin il n'y eût aucune remise en cause de la stratégie des promenades syndicales pépères nullement gênantes pour le gouvernement. La seule promesse qui demeure est d'attendre sur les autres sujets le renouvellement de la comédie d'union syndicale bâtarde.

Le CCI qui, au dire de certains de ses lecteurs, radotent les mêmes choses, veut même conduire Marx au tombeau en croyant pouvoir se servir de la fameuse citation sur « le triomphe éphémère des ouvriers en lutte » ; comme triomphe concernant l'attaque sur les retraites on fait vraiment mieux au 24 heures du Mans ! Et «l'union grandissante des prolétaires » est restée une fiction dans les cortèges hétéroclites des défilants toujours parqués dans leurs diverses corporations. Sans parler des AG inexistantes et du silence radio vide de toute initiative ouvrière entre les séquences d'attente de la rando syndicale suivante. La seule union grandissante c'est le bordel des luttes sociétales et petites bourgeoises prônées en dépit de tout bon sens par le NPA, pourtant affaibli par le départ des illuminés de « révolution permanente », les principaux agités du bonnet lors des défilés parisiens.

Pour se mentir à lui-même sur le doit disant « réveil international du prolétariat », on peut même se servir d'un petit mensonge, dérisoire tant il est ridicule : « Ce n’est pas un hasard si le slogan le plus populaire brandi sur les pancartes était : « Tu nous mets 64, on te re-Mai 68 ». Or que nenni, ils avaient repiqué une photo que j'avais prise de trois jeunes lycéennes avec leur petit affiche, assises sur un trottoir, et auxquelles personne ne prêtait attention. Les slogans « populaires » dominant exhibaient surtout la haine contre Macron, et exprimaient bien plutôt l'absence d'une réflexion de classe au niveau historique. Pour la majorité des bonzes syndicaux et leurs suivistes, Mai 68 c'était au 19 ème siècle !

Quand un mensonge a peu de poids on peut en ajouter un autre :« Contrairement à 2018, où les cheminots avaient fait grève seuls durant des semaines et jusqu’à épuisement, tandis que les autres secteurs étaient appelés à la « grève par procuration » et à la solidarité platonique, cette fois aucun secteur n’est resté isolé, aucun secteur ne sort abattu. Même les raffineurs qui ont pourtant été poussés, mois après mois, à se replier sur leur lieu de travail au nom du blocage de l’économie. Cette fois-ci, c’est bien la dynamique de la solidarité active dans la lutte qui l’a emporté. Le piège classique de la division et de l’isolement n’a pas fonctionné ».

VICTOIRE A LA PYRRHUS DE MANIFESTANTS TOURISTES SANS RISQUES

Aucun secteur n'est sorti isolé ? Aucun secteur ne sort battu ? Faut-il lire pour avaler ce nouveau mensonge digne de n'importe quelle secte gauchiste ? Les syndicats se targuent d'avoir gagné la bataille de l'opinion, mais perdu sur le fond. En catimini ces gugusses ont dupé à l'eau de rose la masse des travailleurs, et sans forcer, ont maintenu éparpillés tous les secteurs avec pour seul lieu de rencontre tous les dix ou quinze jours la rando pédestre entre les places urbaines, suivie d'une dispersion peu rebelle jusqu'à la programmation sportive suivante.. Des grèves ? Pratiquement pas. Les syndicats ont même inventé un moyen de s'en passer, avec un même argument utilisé par le CCI : la grève coûte cher et les temps sont durs ; or les temps étaient aussi durs jadis ,voire plus, mais la grève constituait un effort de classe qui ne laissait pas la porte ouverte à la manipulation syndicale pacifique avec ses solutions de balades bon enfant gratuites et pas du tout favorables à l'expression d'un lutte consciente de la gravité et des enjeux au niveau social et historique. Un historien du mouvement ouvrier a très décrit ce qui est hors de portée de la comprenette des sectes (révolues...) :

«Longtemps, cela a été d'abord la grève, puis la manifestation, qui venait d'abord renforcer la pratique gréviste. Aujourd'hui, c'est l'inverse : la manifestation devient l'outil privilégié, la grève ne venant qu'en soutien, pour permettre aux gens d'aller battre le pavé. Une évolution visant à «envoyer des messages aux institutions», par de puissantes journées d'action, et qui permet aussi d'emporter le soutien populaire, en évitant une grève pénalisant l'usager. Ce changement souligne aussi, en creux, les difficultés de salariés ne pouvant se permettre de faire grève, mais aussi la fragilisation des organisations, qui n'ont plus les moyens, sur le terrain, de mobiliser les travailleurs, y compris dans des secteurs pourtant traditionnellement fortement engagée, comme le ferroviaire. «Si vous regardez comment partent les grands mouvements sociaux comme 1936 ou 1968, ceux-ci démarrent toujours des lieux d'emploi où se joue, depuis quelques années, un travail de terrain des organisations syndicales ». (Stéphane Sirot)

Contrairement aux larges mouvements de 1995 dans certaines entreprises et dans la fonction publique, cette fois-ci, «les mouvements de grève ont été généralement très peu suivis, y compris dans des secteurs emblématiques», note le sociologue au Cevipof, pour qui la grève a été «inexistante» dans le privé.

VICTOIRE A LA PYRRHUS AUSSI POUR LES MAFIAS SYNDICALES et un retour en grâce provisoire

Les syndicats sont parvenus à mobiliser des millions de personnes, dans un climat « responsable et cadré », but qui était indispensable pour ces appareils de défense sociale de l'Etat, comme je l'ai souligné dans mes premiers articles.

«On a prouvé qu'on était capable d'organiser un mouvement social et de le faire monter», se réjouissait ainsi mi-février Patrick Privat, trésorier de FO, lors de la cinquième journée de mobilisation mi-février. Une capacité qui ne s'est pas démentie trois mois plus tard. Voici donc les centrales relégitimées, leur popularité rassérénée, une dynamique visible dans leurs adhésions en hausse : la CGT et la CFDT auraient ainsi enregistré 30.000 adhésions et prises de contact depuis le début de l'année. Cinq mois de carnaval syndical et mélenchoniste animés par une poignée de bébés wokistes de rue rodés et manipulés par la police sans uniforme à la casse pour aboutir à rien. Comme Chirac, Macron peut dire « ça m’en touche une sans faire bouger l’autre. »

Il y a toujours un effritement du taux de syndicalisation et un énorme taux d'abstention aux élections professionnelles. Sur les retraites les mafias syndicales ont toujours chanté les défaites. Depuis 1995, les syndicats n'ont jamais permis une victoire ouvrière sur la question des retraites. Ils ont mobilisé largement dans la rue, mais pour aboutir à un résultat analogue en 2010, 2006, 2003 et 1995. Or ce que sociologues et observateurs historiens ne pigent pas, est la vocation première de la gauche syndicale : toujours perdre en attendant une révolution utopique. Cultiver une absence de réelle réflexion politique en encourageant la haine contre les personnes du gouvernement, la détestation sans nuances de la police et bien sûr l'épouvantail du fascisme inexistant. C'est avec ces gimmiks idéologiques que les gauches bourgeoises « gouvernent » et « disciplinent » la classe ouvrière depuis des décennies ; n'en déplaise au CCI menteur par omission, nul réveil des prolétaires moutons contre les ficelles qui les entourent encore.

LA FABLE DE L'UNION SYNDICALE

Depuis la guerre, et même depuis 1936 en France, il n'est plus admissible de faire reposer la paix sociale sur un unique syndicat, non seulement pour saboter toute réelle union de classe dans les luttes, mais parce qu'un syndicat unique (comme la CGT d'antan) est une conception de type stalinienne, tout comme certains gérontocrates de l'ultra-gauche des EPHAD, imaginent un seul Conseil ouvrier central. Le mouvement ouvrier révolutionnaire comprendra toujours des diversités de tendances qui devront mûrir ensemble et s'allier pour les moments décisifs. L'unité de façade des bonzes syndicaux, nullement représentatifs des masses de prolétaires, était une condition indispensable pour berner les masses et les conduire à une défaite...regrettable mais si douce comme ces moments passés ensemble en agapes et à chanter lors du mariage de la fille du puisatier quoique assombri par un rapide divorce dans la violence.

L'intersyndicale a bâti sa capacité d'encadrement sur l'opposition au recul de l'âge légal à 64 ans, non sur le reste des revendications, ni sur les modalités d'action face au gouvernement. En jouant chacun sa partition, la CFDT bonne pomme, la CGT la méchante, FO plutôt trans, SUD en déraillant souvent, etc.

Un autre aspect de la manœuvre d'ensemble des appareils de la bourgeoisie, négligé, traité le plus souvent accessoirement? a été la séparation affirmée du syndicalisme et des partis politiques de la gauche en confettis bobos et wokistes4. Phénomène qui exprime le mieux la capacité de l'Etat à dépolitiser la question sociale, en même temps que le constat de la faiblesse de la gauche bourgeoise en miettes fémino-écolo-bobo, incapable pour longtemps d'incarner une alternative au pouvoir actuel par irresponsabilité totale et radicalité débile.

UNE PAGE TOURNEE...

J'annonçais il y a cinq mois que le mouvement de colère se conclurait par la division syndicale. Non pas vraiment. Le syndicalisme d'Etat sait varier langage et tactique Le gros du boulot ayant été accompli par épuisement lors de centaines de kilomètres pédestres, il ne restait plus qu'à tabler sur la confusion du long et pénible cinéma parlementaire et juridique et la lassitude des masses pour laisser notre Berger déclarer : « le match est en train de se terminer », quand les autres, sans l'insulter, hurlent : « "On ne va pas tourner la page": ardemment prêts prêts à continuer la « mobilisation » surtout celle qui sert à rien et à remonter le moral des encadreurs professionnels.

C'est une idée de gauche, surfer sur l'infinité de la confusion et la promesse des réformes du grand soir, qui se pointera jamais dans le cimetière des banderoles corporatives et au milieu des ballons syndicaux dégonflés.



NOTES


1« Pour Sophie Binet, c'est une question de "respect de la démocratie" et une décision contraire ferait "monter l'antiparlementarisme". "Ca va provoquer une grande colère. Après ça, la question sera à quoi sert le Parlement, à quoi servent les parlementaires?", redoute la leader cégétiste, pour qui "c'est la moindre des choses que les députés puissent s'exprimer sur un texte de cette ampleur ».

2Un mouvement riche de leçons pour les luttes futures (sic!)

3On la retrouve chez la secte trotskienne, mais plus critique Lutte ouvrière : « Quels que soient les calculs des dirigeants syndicaux, saisissons-nous de l’occasion et soyons nombreux à manifester et faire grève le 6 juin pour affirmer les intérêts de notre classe sociale. Montrons que nous nous fions à nos propres forces pour inverser le cours des choses ! « .Même si les dirigeants des confédérations syndicales ont choisi d’appeler à la grève la veille d’une énième péripétie parlementaire, il n’y a rien à attendre de tout ce cirque » (édito du 4 juin). LO est plus radical et critique de l'encadrement de la gauche bourgeoise que notre ultra-gauche gérontocrate, moins suiviste apparemment.

4« Non content de reléguer le monde politique en marge des journées d'action, les syndicats n'ont pas non plus hésité à s'en prendre frontalement à l'ensemble des partis et notamment à l'opposition de gauche, pourtant elle aussi opposée au recul de l'âge de départ. En cause, le choix de la Nupes de proposer un nombre incalculable d'amendements dans le seul but de ne pas permettre un échange sur la question des 64 ans à l'Assemblée nationale. La critique a été immédiate parmi l'ensemble des représentants des salariés » (beurk, propos de journaleux inéduqué)