PAGES PROLETARIENNES

vendredi 27 janvier 2023

Butte contre les retraites : chacun pour soi et Macron pour tous

 


« Car, de deux choses l'une : ou la France se meurt, et mourante, déchoit de son rôle d'initiatrice de la Révolution européenne, et c'est la conclusion à laquelle me mènent, à ma grande douleur, des prévisions qui datent de dix ans et l'analyse des derniers événements. Ou bien je me trompe, à ma grande joie, et de nouvelles générations que j'ignore attendent en France une occasion de se lever et de nous rappeler ».

Jules Andrieu (1872)

"Les riches sont responsables du malheur des pauvres" Mélenchon (discours populiste classique, chauvin-jacobin, et foireux: qui trop embrasse mal étreint!)


L'agenda de la protestation nationale contre l'attaque gouvernementale sur les retraites est complètement contrôlé et défini par les mafias syndicales. Je ne cesse de répéter qu'il ne s'agit que d'une organisation de la...division, et d'une « animation » nullement contrôlée par la principale concernée, la classe ouvrière. Ceci est le plus clairement montré par une affichette de la secte trotskienne LO, ci-jointe. LO suit comme tous les autres organes gauchistes, supposant comme à chaque fois qu'ils appellent à suivre les organismes de défense de l'Etat bourgeois,qu'il y aura des débordements...révolutionnaires. C'est hélas aussi le cas du groupe maximaliste CCI qui laisse croire que la protestation syndicrate « montre le chemin »1. Tout en mettant en garde tout de même d'une façon plus réaliste et révolutionnaire que LO : « Cependant, ce combat difficile est déjà semé d’embûches. Le prolétariat doit, en effet, se méfier des faux amis que sont les syndicats et les partis de gauche et d’extrême-gauche de la bourgeoisie, forces étatiques destinées à encadrer et à saboter les luttes ».


On me permettra de mettre en doute l'affirmation (chauvine ou localiste?) qui leur permet d'assurer que le prolétariat en France est « la fraction la plus expérimentée et concentrée du prolétariat mondial » (dans les bureaux, la nuée des petites entreprises de service?). La classe ouvrière pouvant « s'affirmer sur la base du combat historique, d'un combat autonome ». Je me permets de me demander aussi quelle connaissance ont les jeunes et moins jeunes prolétaires français de cette expérience historique, exceptée la mémoire rabâchée des faux exploits syndicalistes et un bilan embrumé de la gauche au pouvoir dont les médailles restent nationalisations et ISF. Comme je reste dubitatif sur la notion d'autonomie, typiquement anarchiste. Tiens justement et ce sera le lien suivant sur le plus important pour mesurer qu'il s'agit bien d'une attaque au plan historique ! Et c'est le tract de la Fédération Anarchiste qui le dit aussi clairement :

« Rappelons qu'après la Seconde Guerre mondiale, par peur d'une révolution possible, l'Etat et le patronat on accepté un compromis social qui a consisté, entre autres, à mettre en place un système de retraite ».

CONTRE UNE ATTAQUE CONFIRMANT QU'IL N'Y A AUCUNE GARANTIE SOCIALE SOUS LE CAPITALISME EN CRISE ET EN GUERRE...des pets de souris syndicales !

Grâce aux manœuvres orchestrées par la police d'Etat et les journalistes et réussies pour casser les pattes à la clique hétéroclite de Mélenchon, gouvernée par les poujadistes féministes, via la cabale éhontée contre Quatennens, la protestation annoncée par LFI en décembre dernier comme « formidable » en janvier n'est apparue que comme un carnaval syndical de plus même avec un million de personnes sur toute la France, le nombre pouvant simplement être considéré comme une simple manifestation de suivisme pas du tout dangereux pour l'Etat. Noam Chomsky a bien démontré dans ses dix stratégies de manipulation des masses, en particulier au niveau social par exemple : « Une autre façon de faire accepter une décision impopulaire est de la présenter comme « douloureuse mais nécessaire », en obtenant l’accord du public dans le présent pour une application dans le futur. Il est toujours plus facile d’accepter un sacrifice futur qu’un sacrifice immédiat »2.

Chomsky ne mentionne pas cependant que le gouvernement ne peut pas manipuler tout seul, surtout lorsqu'il est appelé à prendre des mesures « immédiates » et puisqu'il est dévolu au rôle du méchant, car l'Etat ne se limite pas à lui mais comporte plusieurs organismes qui vont de la police aux syndicats, police plus subtile.

En vrais professionnels de l'organisation d'une protestation planifiée, les appareils étatiques rythment ou plutôt orchestrent à bon escient, comme des pompiers, afin de prendre le temps d'éteindre le feu qui est réel et ne demande qu'à amplifier. Alors que le lendemain de la journée du 19 pouvait être espéré comme rampe de lancement, on nous informe que les appareils doivent déposer un préavis de grèves pour dans une semaine ; hic dans une préparation qui s'affirme planifiée...mais pour mieux atténuer la vague de protestation. Les jours passent et en effet une légère baisse d'intérêt s'installe, renforcée par un attentisme naïf des ouvriers. La presse bourgeoise en profite (Le Figaro) pour étaler et détailler les inégalités et les avantages entre les diverses retraites ; dévoilant en effet des avantages qui pouvaient se justifier dans l'immédiat après-guerre dans les enjeux drastiques de la reconstruction, et pour attirer dans des emplois peu rémunérés avec des garanties-compléments de salaires (billets gratuits pour les cheminots, tarif privilégié pour EDF, etc.). Mais ces « informations » pour diviser ou semer le doute sur la « lutte tous ensemble » ne suffiraient pas car existe perpétuellement un lien de classe, plus ou moins vivace entre toutes les couches du prolétariat. Il revient donc aux collabos syndicaux d'animer et de favoriser interrogations dubitatives et doutes récurrents non pas sur la remise en cause de l'attaque gouvernementale mais sur les moyens pour y parvenir avec succès. Gauchistes et anarchistes peuvent bien bramer sur l'impérissable et oiseuse « grève générale », les syndicats ont pour fonction d'éviter ou de canaliser tout mouvement de masse du prolétariat, qui redevient dangereux en cette période3.

L'interclassisme autrement dit ces mêmes gens qui veulent noyer une protestation surtout ouvrière, vient servir de dérivatif plutôt inquiétant quand on nous montre en exemple les gilets jaunes qui ont été drivés par des petits bourgeois, quand les pantins Hidalgo et Roussel appellent à fermer les mairies en solidarité, etc.

Toutes les protestations « fabriquées », de M. Carnaval avec ballons et chars de députés sont délimitées autour du débat parlementaire car « ce n'est pas à la rue de décider », ce sur quoi députés de gauche bourgeoise comme syndicrates sont d'accord. Les amendements les plus irréalistes voire de surenchère comique se succéderont. Ainsi, le PS en pleine bagarre de petits chefs, prévoit toute une série d'exception pour les métiers pénibles comme les déménageurs ou les travailleurs agricoles, ou pour l'ensemble des salariés dans les Outre-mer. Les écologistes, eux, proposent un mécanisme pour que chacun puisse choisir de partir plus tôt, le Graal des chevaliers bobos. La droite chipote avec la proposition à 63 ans. La France soumise au populisme ose sans honte les 1600 euros à minima. Finalement tout le personnel politique tente de raboter un peu l'attaque pour mieux la faire passer, avec des cris de rage en fin de compte pour faire croire à leur honnêteté.Toutefois, ces amendements ont toutes les chances d'être irrecevables créant une dépense supplémentaire selon le gouvernement, seul habilité à la décision finale même sans l'accord des godillots du parlement.

Pendant que le cinématographe parlementaire est mis en place, la syndicratie continue de s'occuper des scénarios sur le terrain pour leur donner un aspect pas du tout de classe mais « spectaculaire ». Personne ne doute que ce sont des sous-fifres syndicaux qui on détruit l'installation électrique d'une ligne de métro même si leurs chefs nient cœur sur la main. C'est encore une flèche du Robin des bois.

La dispersion est soigneusement planifiée et soumise à la temporalité des états-majors. Une grève dite reconductible peut fort bien être interrompue sans autre raison qu'un ordre des chefs syndicartes. Par exemple un mouvement prévu pour durer deux jours dans les raffineries, il a en revanche été suspendu jeudi soir sur les sites TotalEnergies, a indiqué à l'AFP Benjamin Tange, délégué central CGT. Objectif selon le bureaucrate : « se préserver et préparer le terrain pour la grève nationale de mardi. A l'appel de tous les syndicats, elle touchera tous les secteurs: écoles, fonctionnaires, transports, services... L'un d'entre eux, l'UNSA, a recensé plus de 200 lieux de rassemblements, autant que pour la journée du 19 ».On fait aussi parler les « salariés », à leur place, pas les ouvriers ou les prolétaires, salariés cela fait plus interclassiste :« Les salariés qui sont dans le mouvement disent que ce serait mieux de repartir d'un bon pied mardi », avait expliqué plus tôt dans la journée Eric Sellini, responsable CGT TotalEnergies.On« centralise les informations » :

« Fabrice Coudour, qui a rédigé le plan de bataille de la FNME-CGT contre la réforme des retraites et centralise les informations concernant les actions locales. On est des porte-voix de la colère du pays et on se sent totalement légitime de faire ce type d’actions puisque le gouvernement ne fait rien pour lutter efficacement contre les prix de l’énergie.» On interrompt le scénarioen laissant entendre que les ouvriers spectateurs pourraient en imaginer un autre, si toutefois il existait des AG réelles et décisionnaires et pas pour des pitreries anarchistes ringardes : « Les grévistes n'ont pas, selon Sébastien Menesplier, mené de coupures d'électricité ciblées jeudi, cette option n'étant «pas d'actualité». La CGT avait proposé de fermer les robinets de gaz et d'électricité sur des communes d'élus favorables à la réforme, ce que le gouvernement avait condamné. «Il y aura des coupures ciblées si dans les assemblées générales, les agents les décident», et veulent aller plus «loin que la grève», a-t-il ajouté ».

Toujours plus éloigner la grève, voire comme un mode d'action dépassée, quand elle n'est pas décriée comme coûteuse, ce qui ne les empêchera pas de la rendre impopulaire surtout depuis qu'elle est de toute façon planifiée pour les vacances de février...


Et des actions hollywoodiennes ! Avec deux ROBIN DES BOIS...



Le premier Robin est syndical.Le gouvernement prend les ouvriers pour des enfants quand la CGT veut nous faire croire qu'on peut jouer le gouvernement avec des contes pour enfant. Cela fait plusieurs années que, en partie, ce syndicat a renoué avec ses origines anarchistes, mais pour le coup vraiment ridicules. L'action individuelle, surtout à EDF, action enchantée qui sert à faire croire que « l'action exemplaire » peut remplacer la lutte collective et notamment la grève. Ce prétexte infantile à un jeu qui ravit les bureaucrates n'est pas vraiment à leur avantage. La légende a été quelque peu trafiquée. Robin est mythifié au cinéma comme en BD comme noble chevalier qui détroussait les riches au profit des pauvres ou rendait au peuple l'argent des impôts prélevés. Le personnage décrit dans certaines ballades populaires n'a rien à voir avec l'image du noble justicier mais est plutôt un brigand parfois cruel et violent. Dans d'autres contes, il est un fermier aisé qui ne met jamais en cause l'ordre établi, ne propose aucun idéal social et se prosterne devant le roi Richard, comme tous les syndicats finiront par le faire devant le roi Macron.
Robin des bois est surtout électricien. Les médias mettent en scène volontiers le gros bide de la CGT énergie qui se vante d'instaurer pour les plus pauvres et les services publics la gratuité du gaz ou de l'électricité pour des écoles ou hôpitaux, rétablissement d'usagers coupés : les grévistes du secteur de l'énergie ont mené jeudi plusieurs actions dites «Robin des bois» pour «intensifier le rapport de force» dans la lutte contre la réforme des retraites ».

Or si les médias projettent au devant des gros bides d'EDF c'est en même temps pour rappeler les avantages, incontestables, de la confrérie, connus de tout le monde et vécus comme des privilèges exorbitants, dont on ne voit pas la nécessité pour tous de les défendre. Mais dont on comprend la rage des concernés. Qui ne se laisseront pas berner par la manière de l'attaque intérieure en sourdine :

Vous le savez, nous sommes pleinement engagés dans un ambitieux plan de sobriété incitant l’ensemble des Français à réduire et décaler leurs usages en dehors des pics de consommation.

En tant que bénéficiaire du tarif agent en option Base, vous aussi, vous pouvez facilement participer à l’effort collectif, sans effet sur votre facture d’électricité !

Comment ? Il vous suffit

de remplacer l’option Base de votre tarif agent par l’option Heures Creuses.

Faire ce choix est particulièrement pertinent si vous avez un chauffe-eau électrique à accumulation relié à un contacteur jour/nuit, car l’eau chaude représente jusqu’à 20% de la consommation d’énergie d’un ménage.

Le fonctionnement de votre chauffe-eau sera automatiquement décalé vers les périodes où le système électrique est moins sollicité.

Les propagandistes du trust EDF n'ont pas inventé l'eau chaude mais prennent aussi les ouvriers d'EDF pour des demeurés. L'ambitieux plan de sobriété n'est que le cache-sexe de la plantade du nucléaire à cause des ploucs écolos en complicité avec les chefs d'EDF, quand on ne nous parle plus des risques de délestage. Voilà l'ennemi : le chauffe-eau, et éventuellement l'artisan-bio qui, en tant qu'auto-entrepreneur aura pitié de ces planqués d'EDF. C'est le même argument «écolo-bobo » qui sert d'argumentaire pour « économiser », comme dans les années 1980, ils demandaient aux gens de se grouper dans la salle de séjour en éteignant le chauffage dans les autres pièces. Comment ces crétins espèrent-ils faire croire que les employés vont gober cette « participation à l'effort collectif » en basculant sur le double tarif jour/nuit, sans rien changer au tarif unique privilégié ; si le « directeur Marché des clients particuliers » leur dit qu'ils sont intelligents (pertinent) ils répondront qu'ils sont si bêtes que cela ne les empêche pas de comprendre que le double tarif sera la marche vers la suppression du « simple tarif » ; néanmoins on peut faire confiance au syndicat CGT, majoritaire dans la corporation, pour accompagner le futur tarif comme il a accompagné la fermeture de multiples agences locales...en désespoir de cause !


Les conditions sont réunies pour que les prolétaires de la corporation EDF et les filiales parasites soient battus, ou, dans un dernier réflexe de résistance isolée, reçoivent la police comme en 47 ou 69. Sauf si, en même temps, outrepassant les serials-JA cloisonnées des syndicats, un tous ensemble inespéré vient leur botter le cul. Ce qui paraît aussi improbable qu'une promesse d'établir l'égalité des retraites ou des salaires. Et Robin des bois pourra retourner dans sa forêt détrousser un jogger ou violer une joggeuse.

LE DEUXIEME ROBIN DES BOIS EST ANTI-CAPITALISTE



Mais un anti-capitaliste à la fois anarchiste et réformiste. En gros, de Mélenchon à Besancenot et la FA, il suffit de prendre aux riches pour donner aux pauvres. La lubie est étendue et populaire :

« Taxer les plus riches : un tournant inévitable

La crise économique engendrée par la pandémie de Covid-19 et l’augmentation des inégalités mettent en lumière l’urgence et la nécessité d’une fiscalité plus juste. Depuis plusieurs mois, des voix s’élèvent et appellent à taxer davantage les grandes fortunes, y compris des milliardaires comme Bill Gates, Abigail Disney ou des collectifs de millionnaires comme Millionnaires for Humanity. Le FMI vient de se prononcer en faveur d’une taxe sur les entreprises qui ont profité de la crise et sur les plus riches, et plusieurs pays sont en train de franchir le cap, à l’image des Etats-Unis où le Président Biden est en train d’initier une vraie révolution fiscale pour une plus grande justice sociale. C’est aussi une mesure populaire : un récent sondage montre que près de deux tiers des Française-s sont favorables à mettre en place une taxe exceptionnelle sur les multimillionnaires pour répondre à la crise du Covid.

Oxfam porte 3 mesures prioritaires pour mettre un terme à ce fléau :

  • Etablir une liste noire mondiale des paradis fiscaux dans chaque pays avec des sanctions. Cette liste doit être fondée sur des critères objectifs et crédibles, et les pays qui y figurent doivent être sanctionnés.

  • Mettre en place au niveau international un taux d’imposition mondial sur les sociétés : cet impôt ne doit pas être trop faible et doit être appliqué pays par pays sans exception. Cela permettrait de taxer les entreprises là où elles ont une activité économique réelle, sans qu’elles puissent délocaliser artificiellement leurs bénéfices dans des paradis fiscaux.

  • Mettre fin à l’opacité fiscale des entreprises pour faire la transparence sur leur propriétaire et les impôts payés dans chaque pays.

  • UNE fiscalité plus juste, doublée d'une vraie révolution fiscale (initiée par le marxiste Biden!) vous ne rêviez pas au socialisme sous le capitalisme, ni à une justice plus juste. C'est en cours. Attendez et soyez patients ! Vos grèves sont ridicules comparées à cette « révolution fiscale » qui va générer de nombreux emplois. Les inégalités vont être « attaquées à la racine » car les « hauts revenus » seront taxés davantage, rétablissant ainsi l'impôt révolutionnaire sur les grandes fortunes et les héritiers !

Ces conneries, étalées en particulier dans le programme fumeux de LFI, sont faciles à démonter, à moins de croire le capitalisme réformable. Dans une période antérieure moins grave de la crise économique capitaliste, cette réforme n'avait pas fait des miracles ni diminué ou supprimé le chômage4. En y réfléchissant quelque peu, en supposant les capitalistes sado-masos, le volume de la taxation des riches ne peut même pas prétendre combler le déficit abyssal des systèmes étatiques. Il s'agit de poudre aux yeux pour encore plus ridiculiser le prolétariat qui n'aura qu'à attendre le miracle d'un abondement des « riches » pour faire confiance à la magnanimité d'un système fabuleusement cynique ; et en outre pour place sur un plan infantile la lutte de classe dans un combat simplet entre riches et pauvres où les riches se rachèteraient en faisant l'aumône à ceux « des couches moyennes d'en bas » !

Signez la pétition !5 Et avec les syndicats : choisissez bien choisissez BUT, pas le but révolutionnaire mais le but client de Robin des bois pour tous, en grande surface, et enculez les riches mais pas le capitalisme !


NOTES

1« le 19 janvier en France, contre la réforme des retraites, tous ces mouvements montrent le chemin à suivre pour prendre confiance en nos propres forces et tenter de retrouver, à terme ,une identité de classe perdue ».

3Vous pouvez, comme le CCI, prendre l'exemple du mouvement de grèves persistant en Grande Bretagne et ailleurs, mais je prends plutôt un seul exemple révélateur d'une prise de conscience des forces bourgeoises de gauche, et avec la particularité de ne jamais utiliser les termes « classe ouvrière », chez les écolos c'est « les pauvres », chez LFI « le peuple » et chez les plus tarés des wokistes racialistes on a la Boutelja qui ne désigne plus tous les blancs comme responsables des malheurs des noirs et des arabes, mais les « grands blancs » quand les petits blancs sont considérés aussi comme les pauvres d'en bas sans distinction de peau.,Toute la gauche bourgeoise ne peut ni favoriser ni reconnaître la nécessaire indépendance de classe contre toutes les sirènes interclassistes de la manipulation « démocratique » . C'est à chaque fois comme ça dans l'histoire (36,47,81), les forces bourgeoises sentent les premières quand l'eau comence à bouillir, sauf rares surprises, 1917 et 1968...

4Note d'un économiste : « Quand on crée l'impôt sur les grandes fortunes en 1980-1982, l'Etat emprunte à 18%. Le rendement instantané de tout placement est complètement sûr, garanti, et est énorme, en affichage. Il y a de l'inflation certes, mais l'exigence que l'on a pour la personne qui va payer l'impôt est beaucoup moins forte que maintenant, où l'Etat emprunte à 0,7%. Cet impôt devient effectivement un impôt qui, sur le plan économique, devient contre-productif, car il est destructeur de capital. Aujourd'hui, les gens qui payent l'ISF ont un capital obligataire qui leur revient à 0,6-0,7%, et on leur réclame 1,2%-1,7%. C'est-à-dire qu'on mange leur capital (...) Cette réforme, c'est moins un cadeau aux riches que le retour de l'idée qu'il faut laisser l'expansion économique se faire.

mercredi 25 janvier 2023

Aperçu du messianisme fasciste...Pour tempérer votre ennui du feuilleton syndical...

 

     Le feuilleton de la lutte syndicale contre la prolongation de l'âge de la retraite commence déjà à suer

l'ennui. On n'assiste pas à une division syndicale comme à l'ordinaire lorsqu'il faut saboter toute lutte d'envergure de la classe ouvrière. On finasse en prétendant prendre en compte le malaise des consommateurs ou des transportés. On ne peut plus recourir systématiquement à la grève, chose qui coûte cher en un temps où la bourgeoisie nous « appauvrit », en plus « on risque de ne pas être suivi », ajoute notre syndicaliste de base, ce qui, miracle de la dialectique syndicrate, suppose à la fois que le gréviste potentiel n'est pas complètement con mais que s'il ne suit pas alors il oblige le syndicat à inventer d'autres trucs. « On va donc faire grève deux jours à la SNCF », puis voir si d'autres secteurs suivent ». Plus statique tu meurs. « C'est très compliqué pour les OS (organisations syndicales) tout le monde ne suit que deux ou trois jours ». Donc ne rêvez pas, on ne va pas vous vendre un mouvement massif, rentrez chez vous ! On s'occupe du reste. « Dans la durée c'est pas évident »... pourtant en décembre ils nous promettaient tous 

une lutte pour l'éternité à partir de leur « mission » syndicale. « Certains seront obligés de recourir à d'autres modalités... ». Par exemple l'incendie au départ des trains à la gare de l'Est. Tien tiens et les médias qui en restent à la thèse de l'accident électrique alors qu'on a tous compris que ce sont des membres excités des appareils qui ont fait le coup « pour faire chier Macron coûte que coûte »... sachant bien que la mayonnaise syndicaliste ne prendra pas et, sans s'en rendre vraiment compte, servent à décrédibiliser toute lutte sérieuse, vraiment du point de vue des masses et contrôlées par elles...

Dans l'attente des prochains épisodes, voici encore des extraits de mon « Missionnarisme » qui nous interroge aussi sur notre époque et son absence d'homme providentiel, pouvons-nous nous attendre à un moment gravissime de la crise et de la guerre capitaliste en cours à un homme (ou une femme) providentiel ?

LE MESSIANISME FASCISTE

On a souvent prétendu que le fascisme avait été un copieur du communisme, en particulier via sa mission millénaire et sa brève contestation initiale de la propriété privée. Dans le film de Dino Risi en 1962 – La marche sur Rome – on nous conte comment deux ploucs, Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi se sont fait rouler par le fascisme1. Le moment le plus drôle est probablement l'épisode où les deux lascars, après avoir dérobé une limousine à un riche noble, rapportent celle-ci à leur chef fasciste en criant « c'est la propriété du peuple », et se font gifler avec un hurlement de colère de leur officier.

Autre sociologue mieux connu de l'Ecole de Francfort, Marcuse associait non pas le fascisme italien mais le nazisme au devenir technologique du capitalisme qui impulse une compétition impitoyable entre les individus, annule toute distinction entre l’économie et le politique de telle façon que « les forces économiques deviennent des forces politiques directes ».

La « souveraineté » du Parti n’est pas incompatible avec la « souveraineté » des entreprises industrielles ni avec celle de l’armée. La transcendance des conflits et antagonismes sociaux qui est une des composantes de l’idéologie nazie se métamorphose dans la guerre d’expansion qui se pose comme but suprême d'élévation. Le nazisme a besoin cependant de l'antique croyance. Hitler jouait sur plusieurs registres de la religion – aryanisme, nordisme, déisme, christianisme. Mussolini félicitait publiquement le Vatican qui « poursuit la tradition latine et impériale de Rome ». Bien qu’athées, le Führer et le Duce prirent soin de ménager leurs Eglises.

Le nazisme fût une mystique politique, du même ordre que la mystique patriotique en 1914 et que l'engagement djihadiste, qui est un mouvement de jeunesse comme le furent les deux formes du fascisme, néo-patriotique et décolonisé d'aujourd'hui. Plus lucide que nos marxistes d'avant-guerre c'est un jeune juriste, futur gaulliste qui en fût le principal alerteur d'incendie2.

En qualifiant de « mystique » cette idéologie nationale-socialiste et en déroulant certaines des conséquences qui s’y attachent, René Capitant n’est pas complètement original ; il l’est davantage en caractérisant, « à chaud » en quelque sorte, le nazisme comme religion sécularisée, ayant à sa tête Adolf Hitler, « Le dictateur allemand, grand-prêtre d’une idéologie qui s’empare de la nation et lui impose une mobilisation totale, politique, économique, intellectuelle, et morale ».

La démarche de René Capitant diffère totalement de son contemporain, Franz Neumann, juriste lui aussi, et membre de l'école de Francfort, qui considérait l’idéologie nazie comme une doctrine purement opportuniste  sur laquelle on ne peut fonder aucune analyse sérieuse du régime et sous-estimait comme nombre de marxistes des années 1930 le potentiel de durée du nazisme, comme nos gauchistes avec l'arrivée au pouvoir de Khomeini en 1979.

Structures idéologiques et politiques, système économique, organisation de la nouvelle société enfin, l'auteur croyait démonter un par un les rouages d'un régime qui lui apparaissait, à l'image du Béhémoth de l'eschatologie juive, comme le règne du chaos et de l'anarchie. Loin d'être l'incarnation d'un Etat autoritaire, le IIIe Reich aurait été un non-Etat, Le charisme de Hitler était réduit à un stratagème de domination et son discours à une manipulation cynique destinée à occulter le fonctionnement du pouvoir. Or, par contre, le grand mérite de René Capitant, c’est d’avoir aperçu très tôt toute l’importance de la mystique de la contre-révolution culturelle nazie, qui fait penser rétroactivement à la contre-révolution cultuelle islamique.

Cette dimension religieuse, mystique ou messianique se reflète pour Capitant notamment dans l’art de gouverner qui est à des kilomètres du gouvernement libéral classique. Il note par exemple que « le national-socialisme […] sous-estime systématiquement le risque d’erreur » dans l’exécution de sa politique. En revanche, « quant aux buts et quant à la méthode de l’action, quant aux lignes générales de son programme, il est bien trop pénétré de mystique et de messianisme pour ne pas affirmer être en possession de la vérité. Il procède par dogmes, il apporte à l’Allemagne une révélation, une religion et le dogme exclut l’erreur » .

Il n'a de cesse de souligner chez Hitler la dimension d’un nouveau prophète politique qui, mêlant la politique et la religion (la mystique), est capable d’enflammer les foules et donc de provoquer l’adhésion ou la communion populaire. « Hitler est sincère, comme un prophète. Il ne peut plus renier son idéologie qui s’est emparée de lui à tel point qu’il ne peut plus penser que par elle, et qu’elle est devenue sa vraie substance mentale ». On pense à l'ayatollah Khomeini et à ces foules électrisées.

À l’inverse de la démarche de certains des soi-disant marxistes qui pensaient relativiser l’idéologie nazie au profit de l’analyse des rapports sociaux, le jeune juriste français jugait primordial de prendre conscience de leur cohérence doctrinale mystique. Dès 1935, témoin attentif des premiers succès d’Hitler il avertissait tous les intellectuels inspirés par la seule philosophie matérialiste qu’ils ne devaient pas balayer d’un revers de la main toute cette « mystique » nazie. Il s’était aperçu « qu’une analyse de l’État ne saurait suffire à rendre compte du nouveau régime. Il faut d’abord prendre pleinement conscience d’une authentique révolution intellectuelle, puis étudier l’impact de cette révolution sur l’organisation de la société par l’intermédiaire du pouvoir politique » 

 Hitler, disait Capitant, croit à la puissance de dieu, de ce dieu dont la grâce l’a si puissamment aidé dans l’accomplissement de sa mission allemande. Aussi ne craint-il pas d’invoquer le droit à la vie, le Lebensrecht de l’Allemagne […] pour fonder sur elle la restitution des colonies qui ont été indûment et injustement confisquées à l’Allemagne ». [

« Ne croyons pas trop vite à la victoire de la réalité. […] Semblable à Mahomet soulevant l’Islam, Hitler prêche la religion du germanisme et s’apprête à fonder un nouvel et prodigieux empire. Le matérialisme historique nous enseigna longtemps que les intérêts mènent le monde. Nous voudrions que l’esprit le domine, mais craignons que la passion et le fanatisme puissent encore le bouleverser ».

 Mein Kampf est le fruit des lectures chaotiques d’Hitler : « Ce jeune homme déclassé et nerveux, paresseux mais intelligent, dont l’orgueil est blessé, se verrait bien révolutionnaire. Il faudrait pour cela glaner des idées moins éculées que celles que la presse droitière peut offrir, puis les synthétiser. Il va s’y employer et il va y réussir. », écrivit bien plus tard Jean-Louis Vullierme et cette idéologie n'est pas seulement le fruit de la folie. Hitler a puisé aussi chez les penseurs américains et européens.

Pour l'historien Mommsen « L'Allemagne est encore le pays 'classique' de l’irrationalisme, le sol où il a évolué de la manière la plus diversifiée et complète et peut donc être étudié pour le plus grand profit, tout comme c’est en Angleterre que Marx a enquêté sur le capitalisme ».

« Mais avec l’irrationalisme quelque chose d’autre, quelque chose de plus est. L'irrationalisme est simplement une forme de réaction (réaction au sens double du secondaire et de rétrograde) au développement dialectique de la pensée humaine. Par conséquent, du côté réactionnaire, toute crise majeure de la pensée philosophique en tant que lutte socialement conditionnée entre des forces naissantes et en décomposition produit des tendances auxquelles nous pourrions appliquer le terme 'irrationalisme'. La question de savoir si l’emploi général de ce terme aurait un but scientifique est, nous l’admettons, discutable. D’une part, il pourrait donner l’impression fausse d’une ligne uniformément irrationaliste dans l’histoire de la philosophie, comme l’irrationalisme moderne a en fait essayé de donner. D’autre part, l’irrationalisme moderne, pour des raisons que nous sommes sur le point d’énoncer, a de telles conditions d’existence spécifiques découlant de la particularité du capitalisme ».

Les religions sont l'irrationalisme par excellence. Elles ont accompagné le développement capitaliste sans jamais le contrarier. Elles sont toujours bousculées, remises en cause ou négligées lors des grandes révoltes sociales. La « révolution conservatrice » n'a pas pu s'en passer, allant toutefois jusqu'à massacrer les tenants de la religion judaïque et les Témoins de Jéhovah. Depuis la fin de la seconde boucherie mondiale le capitalisme s'est bien gardé de se passer des religions. Elles garantissent presque toutes la paix sociale et l'oppression qui va avec. L'historien Mommsen, lui, a raison d'insister pour dire, que en vérité depuis l'Etre suprême mal fagoté et dérisoire de Robespierre, la bourgeoisie a été incapable par elle-même de se débarrasser de l'illusion/aliénation religieuse.

La doctrine nazie inversait toutes les valeurs, à la manière du stalinisme « marxiste » d'ailleurs. Non seulement l’individu était désormais privé d’existence et donc de droits, mais encore, il perdait toute autonomie dans la mesure où cette exaltation de la communauté débouchait sur l’obéissance, prétendument volontaire à un Chef. Le règne du nazisme, c’est celui de la soumission, comme l'islam et de la servitude volontaire.

À plusieurs reprises, Capitant soulignait cette folle prétention des nazis à gouverner les esprits qui se heurte à la conscience qui, dans ses moindres replis, peut toujours refuser cette violence de l’État inscrite dans la politique d’embrigadement des citoyens, comme le croyant musulman peut le faire lui aussi mais dans les régions hors de l'aire de domination de la terreur islamique.

UN PROPHETE ITALIEN

    En 1902, âgé de dix-neuf ans, Mussolini dresse un compte rendu enthousiaste du congrès qui a réuni les socialistes italiens à Imola, dans lequel il dénonce les « prophètes en retard » qui annonçaient la scission et la fin du socialisme italien, alors que celui-ci apparaissait dynamisé et vitalisé par l’arrivée d’une nouvelle génération, les Bordiga, Ottorino Peronne, Gramsci, etc. L’emploi du terme prophète dans cette première occurrence était en partie abusif, en ce qu’il renvoyait à des hommes politiques qui ont certes formulé des pronostics jugés erronés, mais qui ne s’étaient pas véritablement posés en prophètes. Le procédé d’argumentation que déploie Mussolini à cette occasion – et qu’il utilise ensuite régulièrement, tout au long de sa carrière – consiste à condamner a posteriori non seulement l’erreur, c’est-à-dire le manque de clairvoyance de ses adversaires politiques, mais aussi l’imposture d’avoir voulu parler en prophètes.

    Durant la période du Biennio rosso, il accuse les « falsi pastori » (faux pasteurs) socialistes de créer l’« attente messianique d’un paradis à portée de main » auprès des classes prolétaires, en promettant l’avènement imminent d’une révolution sociale qui n’aura pas lieu. Pendant les années du régime fasciste, enfin, il tournera à plusieurs reprises en dérision les « funerei profeti » (funèbres prophètes) qui dès 1923 annonçaient la mort prochaine du fascisme, alors que celui-ci « dure, dure, dure ».. Malgré les contextes et les enjeux extrêmement différents, la posture de Mussolini reste la même : il se présente comme un homme à qui les événements ont donné raison, sans écouter le verbe des faux prophètes. Il ira juqu'à dire, alors qu'il pose lui-même au prophète que « les prophètes n’appartiennent pas à notre race », mais à la « race juive ».

    La prophétie était intégrée au discours politique de Mussolini dès le début de la campagne interventionniste à l’automne 1914.3

    Sur le modèle de D’Annunzio – et des prophètes islamiques « radicaux » de notre époque - il rythme ses propos de dialogues avec le public auquel il affirme que « dans dix ans l’Europe sera fasciste ou fascistisée », tout en refusant de considérer son propos comme une prophétie : « d’ici dix ans, on peut le dire sans faire les prophètes, l’Europe sera modifiée ». Tout en prétendant le contraire, Mussolini adopte sciemment une attitude de prophète et joue de cette image qu’il renvoie aux Italiens. Mussolini est arrivé au pouvoir dix ans avant Hitler qui a donc pu s'inspirer de son mysticisme. Selon le spécialiste du Vatican, Peter Godman, à l’époque dans un de ses discours, la rhétorique de Mussolini « avait déjà pris un ton mystique et messianique […] Il souhaitait être considéré comme un nouvel Auguste, un second César. […] La tâche réclamait un surhomme. Contre le paradis sur terre que Mussolini cherchait à instaurer, se dressaient les forces démoniaques des libéraux, des démocrates, des socialistes, des communistes et (plus tard) des juifs. Pourtant, il allait triompher de ces ennemis de l’humanité, car il n’était pas seulement César Auguste, il était aussi le Sauveur ».

Bis répétita finalement pour son « élève ». L’historien Ian Kershaw écrit qu’en 1936, « l’autoglorification narcissique [de Hitler] avait enflé de manière incommensurable sous l’impact de la quasi-déification que ses partisans projetaient sur lui. À ce stade, il se pensait infaillible […] Le peuple allemand avait façonné cet extraordinaire orgueil personnel de chef. Il allait bientôt en connaître toute la mesure : le plus grand pari de son histoire nationale, afin d’atteindre une totale domination du continent européen »

Mussolini et Hitler étaient résolus à ravir au déterminisme marxiste mondialiste ce qu’ils estimaient être les enjeux et les opportunités de leur époque : en finir avec la révolution bolchevique par haine et vengeance, les conséquences de la guerre mondiale, et l’instabilité économique et sociale, autrement dit les souhaits désespérés de la bourgeoisie mondiale. Il ne faut pas négliger non plus la soumission des masses, leur attente après-guerre d'un « chef capable de combattre la compromission et la corruption », comme à notre époque d'ailleurs, ce qui est aussi une motivation des tueurs islamistes, pas totalement infondée.

Richard Bosworth, auteur d’une biographie de Mussolini, écrit : « En 1914, de nombreux italiens étaient à la recherche d’un "chef" capable de pourfendre la compromission, la confusion et la corruption qu’ils constataient partout autour d’eux et, même s’il ne s’agissait sans doute encore que d’un groupe restreint, on commençait à reconnaître en Mussolini un candidat potentiel pour ce rôle. »

 D’après Kershaw, l'élaboration de Mein Kampf a donné à Hitler « l’absolue conviction de ses qualités et de sa mission quasi-messianiques ». Au même moment où Hitler était en train de rédiger en prison son futur best-seller, en Italie, où....

 

2 Si on a entendu parler naguère de René Capitant (1901-1970), ce juriste intransigeant gaulliste de gauche, qui fut deux fois ministre du général de Gaulle ­ ministre de l’Éducation dans le Gouvernement provisoire de la République française (1944-1945) et Garde des Sceaux (1968-1969) ­, on connaît moins son œuvre constitutionnelle et encore moins son analyse du mysticisme hitlérien.. René Capitant et sa critique de l'idéologie nazie (1933-1939) | Cairn.info

mardi 24 janvier 2023

EN LISANT LA REVUE INTERNATIONALE LOIN DE FRANCFORT

 




Dernièrement, j'ai appris en lisant un numéro du journal Révolution Internationale que le CCI était le centre du monde révolutionnaire, pourquoi pas, encore faudrait-il le prouver ? Ce n'est pas le cas lorsque l'on assiste à une falsification de l'histoire passée lorsque l'on lit :

« Même s’il existait alors une surestimation de la dynamique vers la révolution, la plupart des groupes du milieu politique prolétarien présents à l’époque avaient en général compris que Mai 68 en France et l’Automne chaud l’année suivante en Italie, ne pouvaient aucunement être compris comme expressions d’une situation révolutionnaire. La classe ouvrière, malgré sa combativité et sa prise de conscience, était encore dominée par les illusions sur le capitalisme et la démocratie bourgeoise.Il lui fallait encore longtemps pour se transformer en profondeur et être en mesure de lancer l’assaut révolutionnaire ».

C'est faux. Tous les groupes, y compris RI s'attendaient à la révolution après la crise économique de 1973 et jusqu'à l'élection de Mitterrand, et même au long des années 80. J'en étais et je me rappelle que la désillusion a mis du temps à s'installer, et qu'elle a conduit une part d'entre nous à abandonner le combat.

Cette manière de repeindre l'histoire et de vouer à la damnation éternelle ceux qui ont fui une organisation devenue paranoïaque a été typique des partis staliniens, politique de secte totalitaire qui, après les avoir traités de flics (mutuellement) , rejettent à jamais des personnes qui restent partie prenante du combat et qui emmerdent le CCI, pour autant qu'il garde ses ornières.

Pour ma part, ayant fui cette machinerie à démolir ceux qui ne voulaient pas garder la main sur la couture du pantalon, j'ai certainement été le plus impitoyable. Je trouve même que j'ai souvent exagéré sous le coup de la colère, vu que cette organisation existe encore et avec des analyses et des articles de haute tenue et une capacité rare à analyser la crise du capitalisme et les félonies de ses différentes castes de partis qui se prétendent les amis de ces fumeuses « couches moyennes », le prolétariat ayant disparu selon ces cuistres...

A partir de 2002 et avant on m'avait consacré six articles de dénigrement, dont deux louangeux pour deux de mes livres, puis plus rien, tout en lisant mes écrits publics depuis comme des concierges surveillant l'entrée de l'immeuble.

J'étais devenu un paria1 , comme tous les autres, souteneur d'une partie en rupture, que je n'ai jamais fréquenté et que j'ai toujours considérée, non pas avec cette notion stalinienne de « parasite », mais comme un CCI bis encore plus sectaire et plus gréviculteurs que capables d'analyse politique car ne sortant pas du vieil ouvriérisme ultra-gauche (il est qu'en rencontrant par hasard une ou deux fois leur principal animateur, je ne pouvais m'empêcher de retrouver un véritable sentiment de fraternité). Vous pouvez relire la série d'insultes et de calomnie me concernant. Au moins ne suis-je pas qualifié de flic, mais anarchiste, individualiste au même niveau de Robert Camoin (qui lui aussi à réalisé une brochure haineuse : «Le faux Hempel ») et en s'appuyant sur les mêmes remarques de Marc Chirik, lequel avait en effet, hérité de sa période stalinienne aux côtés d'Albert Treint, le qualificatif facile pour humilier l'adversaire (comme lorsque je le vis humilier sexuellement Raoul Victor lors d'une réunion de l'organe central). Or, MC avait deux faces, l'une pour ses fans suivistes et une autre pour ceux qui ne buvaient pas ses paroles comme sacrées. Il ne nous traitait pas, nous les personnalités d'anarchistes mais de camarades en désaccord et en plus ce qu'il aimait chez moi c'est que je sortais des sentiers battus, même si je disais parfois des conneries, ce qui permet les discussions ou alors c'est la messe, et ce fut la messe à l'organe central ; puis après sa mort, comme après celle de Charlemagne, une dispute ridicule pour l'héritage, où par exemple je vis Jonas en réunion de section, mimer les gestes de MC en parlant.

C'est une constante de tous les partis et des partis bourgeois de renier définitivement les exclus ou les démissionnaires. Combien de ceux-ci pourtant sont réutilisés par l'appareil opportunément. Du PCF au CCI, que de louanges pour Victor Serge (conchié à l'époque par Malaquais) ou même Souvarine qui ont dit des choses souvent plus profondes sur le totalitarisme stalinien que des sectes moralistes et qui ne sont pas débarrassées du même esprit de mise à mort et d'oubli. Pas de pot, merci la démocratie bourgeoise, les Michel Olivier, Philippe Bourrinet et d'autres ont continué un travail indispensable d'historiens, et auxquels le mouvement révolutionnaire sera toujours reconnaissant indépendamment des ornières sectaires du CCI, incapables de pardon et de faire table rase de vieilles polémiques souvent creuses. Pourquoi ? Pour parodier Jules Andrieu, parce que le CCI est vieux !

L'ignorance des travaux importants que continuent d'ex-membres fait pitié comme si le sanctuaire de la secte était le seul chaudron où élaborer la théorie, tout en piquant discrètement les idées à des auteurs « inorganisés ».


Evidemment sans fausse honte je prends mon cas. J'ai publié en 2008 le principal pamphlet contre les rigolos communisateurs – Précis de communisation » - mais ce n'est que 25 ans après que le CCI se réveille, avec d'excellents articles je le reconnais, traitant de cette mode idéologique petite bourgeoise2 .C'est la même ignorance et mépris concernant mes travaux les plus importants. Tant pis. Ils ont réalisé, pour la première fois une critique de l'école de Francfort qui fût longtemps un mouvement ultra-intellectuel et complètement révisionniste de la théorie du prolétariat, c'est pas mal, mais je prétends avoir été plus loin dans la critique de ce machin ; mais je ne peux leur reprocher une ignorance de mon travail puisque la plupart des maisons d'édition, et les éditions maoïstes L'Harmattan, et les éditions social-démocrates Spartacus n'ont pas jugé utile de le publier, possiblement parce que j'utilise sans gêne l'expression islamo-gauchiste. Voici en tout cas pour vous chers lecteurs le chapitre quatre de mon livre resté manuscrit : LE MARXISME EST-IL UN MESSIANISME ?




L'Ecole désenchantée de Francfort (chapitre 4)


Le grand penseur de la rive gauche plurielle, Miguel Abensour, reste lui aussi dans l'ignorance du combat politique des « gauches communistes », il ne voit que deux manifestations du marxisme au XXe siècle : l’expérience du totalitarisme communiste et la « Théorie critique » de l’École de Francfort.

Ce qui est très réducteur et une nouvelle preuve de cécité ou d'ignorance politique des universitaires dans leur milieu professoral et éditorial. Peut-on comprendre un messianisme qui a échoué en retournant à la religion ? Ou en tirant les leçons de l'échec, certes très terrestre, mais politiquement et socialement explicable ?

Aveux forcés, excommunications, accusations délirantes portées contre les dissidents comme au temps de la très lointaine inquisition, et si un marxisme lourdingue ne s'était pas comporté au fond lui aussi selon la même morale totalitaire que les antiques religions ? A Moscou le marxisme n'était-il pas devenu religion à son tour avec ses grands prêtres, saint Lénine embaumé ? Le Parti communiste, en Union soviétique comme en France, a eu ses « hérétiques ». L'analogie a été un peu vite écartée par les oppositionnels, trotskistes comme conseillistes, parce qu'ils étaient eux aussi devenus des bedeaux d'un marxisme d'Etat. On étudiera plus loin le messianisme fasciste, mais après les élucubrations de l'Ecole de Francfort.

L'idée que le communisme est une religion, que le Parti est son église, qu'il existe un dogme, un catéchisme a été formulée pourtant par de brillants opposants à toute idée se réclamant du marxisme. L'auteur de « L'opium des intellectuels », Raymon Aron, dont la mode gauchiste était de se gausser en son temps (comme réac du Figaro), faisait une distinction générale entre les religions séculières, en y incluant le communisme (marxiste), et les religions régulières. L'historien Marc Lazar parlait à propos du communisme d' « une des dernières grandes tentatives de sacralisation de la politique » . La dimension religieuse du communisme, ajoutait-il, est sensible à travers l'idée d'une « sacralité de la pensée révolutionnaire comme du mouvement bolchevique » . Elle s'organise, très tôt dans l'histoire du mouvement, à partir de la « mise en place d'un véritable catéchisme constitué à partir de textes précis Marx, Engels, Lénine, Staline » . Ce n'est pas faux mais ce n'est pas vrai non plus, question de date. La religiosité n'apparaît qu'au moment de la dégénérescence ; phénomène semblable en général dans toutes les religions à la suite de la mort de leurs prophètes. Incapables d'expliquer ou de résoudre l'inadmissibilité de la mort, les inventeurs de religion ont imaginé une éternité avec des dieux puis un seul, puis la prière comme seule consolation. On ne peut pas remercier Engels en tout cas pour ses comparaisons décalées.

Ce marxisme confit en religiosité, en partie avant Staline mais complètement après avec la fameuse « fin » communiste de l’Histoire, plutôt hégélienne, ne s’annonçait-il pas comme un certain retour au « communisme primitif » de communautés au sein desquelles, du fait de l’ignorance de la propriété, les distinctions sociales auraient été absentes ? Correction des fonctionnaires du Kremlin : tout « retour » chez Marx ne signifiait-il pas plutôt « passage » à un stade supérieur et donc nouveau. Il ne pouvait donc pas s’agir en Russie moderne d’un « communisme primitif » ni évolué, mais d’une gestion primaire d'une société où toutes les forces productives « jaillissent sans abondance » de l'oppression militaire, de sorte qu’on était supposé passer du « règne de l'oppression capitaliste » au « règne de l'oppression communiste ».

Dans l’Idéologie allemande, il n’est pas question d’un « communisme primitif » (à la façon de Buonarroti, compagnon de Babeuf et père de tous les mouvements socialistes européens). Le retour est « retour à » l’essence humaine qui n’a pu se « révéler » jusque là : en ce sens, il y a bien régénération. Mais pas de retour économique ou technologique ou à une communauté sociale comme telle ou à telle communauté de Papouasie Nouvelle-Guinée, venant aujourd’hui d’être « découverte ». Enfin, selon Marx (dans La Question juive) les droits de l’homme ne sont pas un retour (à l’essence humaine) mais une régression si on voulait les maintenir pour l’avenir. Conquête historique, mais à détruire très vite, comme la démocratie elle-même ou le droit (Critique du programme de Gotha), bouffis d'hypocrisie. Les expériences révolutionnaires ont toujours eu maille à partir avec la religion.

Avant Lénine embaumé, au travers du culte de l’Être suprême, spectacle d’une foule se hissant à la hauteur d’un Peuple « orthodoxe » (c’est-à-dire d’un acteur collectif déifié), Robespierre n'avait-il pas cherché prioritairement à capter la dimension profondément affective et fusionnelle de la croyance catholique prônant et requérant l’amour de Dieu comme du prochain jusqu’au sacrifice de soi ?

Dans le discours robespierriste, quelle vous semble avoir été l’articulation idéologique entre décadence, régénération et messianisme ? Comment cette combinaison vous semble-t-elle avoir été actualisée par l’historiographie de la Révolution et par les projets socialistes ultérieurs promettant l’avènement final de « l’homme nouveau » ?

Le discours de Robespierre du 18 floréal donne beaucoup de clés. Comme chez Condorcet, ce texte considère des étapes de l’humanité, mais avec plus de lyrisme que de précision : « Le monde a changé, il doit changer encore. Qu’y a-t-il de commun entre ce qui est et ce qui fut ? (…) Comparez le langage imparfait des hiéroglyphes avec les miracles de l’imprimerie, etc. ».

Le messianisme est dévolu à la France : « Le peuple français semble avoir devancé de deux mille ans le reste de l’espèce humaine ; on serait tenté de le regarder au milieu d’elle, comme une espèce différente. (…) En Europe, un laboureur, un artisan sont des animaux dressés pour le plaisir d’un noble ; en France, les nobles cherchent à se transformer en laboureurs et en artisans, et ne peuvent même pas obtenir cet honneur ». Cette fierté française aboutit, dès cette période, à la thèse selon laquelle le pillage des œuvres d’art de peuples tels les Italiens ou les Grecs serait légitime, car ces peuples « mous et serviles » ne savent apprécier l’art que le Français révolutionné sait goûter : lisez le remarquable texte d’Edouard Pommier3. La justification du pillage est stupéfiante ! Dès août 1794, Grégoire envisage la conquête de l’Italie : « C’est la Grèce qui a décoré Rome ; mais les chefs d’œuvre des républiques grecques doivent-ils décorer le pays des esclaves ? La République française devrait être leur dernier domicile ». Le robespierrisme atteint ses limites historiques avec cette arrogance nationale.

L’espérance d’un futur amélioré, ressort de l’action politique, en nous projetant au-delà de la durée d’une existence particulière et par-delà la clôture relative de cette dernière, ne nous prédisposerait-elle pas à certains emballements métaphysiques ? Dans le face-à-face entre une République balbutiante et une Église plus que millénaire, entre le « pouvoir temporel » et le « pouvoir spirituel », les mimétismes (voire la concurrence engendrée par ce jeu de miroirs) rhétorique, mythologique, symbolique, cultuel étaient-ils évitables ? Ainsi, pratiquement tout le lexique religieux (foi, salut, baptême, liturgie, catéchisme, Temple, sacerdoce, mission, sacrifice, rédemption, grande messe…) se trouvera recyclé par le discours révolutionnaire ! « Remplacer, souligne Mona Ozouf, c’est d’abord imiter » . Étudiant le Catéchisme républicain, philosophique et moral , Jean-Charles Buttier a pu exhumer des documents de 1815 « catéchismes politiques » dont les publications s’égrènent de 1789 à 1914  Le Catéchisme populaire républicain , rédigé, peu après la Commune de Paris, par Leconte de Lisle (1818-1894) est caractéristique de la rhétorique politique et morale de cette « catéchèse républicaine » s’organisant sous la forme didactique d’une série de questions et de réponses simples. Certains socialistes n’échapperont d’ailleurs pas à ce mimétisme. Par exemple, Louis Blanc rédigea Le catéchisme des socialistes (1849) et Jules Guesde un Essai de catéchisme socialiste (1912). La Ligue des communistes, avait élaboré, en juin 1847, une Profession de foi communiste composée de 22 questions réponses ; suivant la même formule, Engels composera, en novembre 1847, Die Grundsätze des Kommunismus que les Éditions Maspero republieront, en 1965, sous ce titre : Le catéchisme communiste. Sollicités par la Ligue des communistes afin d’élaborer une synthèse philosophique et programmatique, Engels écrira à Marx, le 24 novembre 1847, comme je l'avait déjà noté plus haut: « Je crois qu’il est préférable d’abandonner la forme du catéchisme et d’intituler cette brochure : Manifeste communiste » . Le Manifest der kommunistischen partei sera, avec la postérité qu’on lui connaît, publié à Londres (en allemand à mille exemplaires) en février 1848. Mettant fin à toutes les connotations supposées.

La foi religieuse est porteuse d'une croyance idéaliste, comme la notion de mission, celle de l’espérance, jusqu'à nos jours4. Le penseur réactionnaire Tocqueville avait montré qu’entretenir l’espérance est l’une des fonctions de la démocratie bourgeoise. Très longtemps l’Occident a chanté l’espérance dans le religieux. Cette propagande est lourdingue dans Les Mémoires de Guerre de Charles de Gaulle et dans tous les discours politiques nord-américains encore de nos jours .

Cette conception idéaliste de l'espérance a fondé aussi la longévité du stalinisme, même et surtout dans les goulags où la seule ressource était de prier pour mettre fin à ce socialisme de caserne. D’abord parce que le stalinisme comme son fils bâtard gauchiste, refuse de dériver la politique de l’économique, posé comme instance déterminante, dans le territoire déconcertant de la nomenklatura tout au moins.. Comme nos gauchistes qui refusent la confusion entre islam et ses applications politiques, les fondateurs de l’École de Francfort refusaient la « confusion » qu’opère Marx lorsque, dans une lettre de 1843, il écrit à Ruge que « domination et exploitation sont un seul et même concept ». Il fallait selon ces sociologues se défaire de cette identification pour comprendre que la production puisse laisser inchangé le règne de la domination. Les privilèges bureaucratiques de la nomenklatura stalinienne en fournissaient l’exemple le plus magistral selon ces professeurs loin du réel. Pour Max Horkheimer et ses collègues, encore en 1974, la division centrale n’était pas entre capitalistes et prolétaires, mais entre dominants et dominés, entre dirigeants et exécutants, chanson déjà récitée par Castoriadis, qui avait probablement piqué l'idée aux francfortois. Deuxièmement, leur « Théorie critique » professait de s’écarter du déterminisme marxiste, une fable marxienne d’une histoire marchant inéluctablement vers le communisme, la critique francfortienne préférait envisager l’histoire dans son irréductible incertitude. Posant ainsi la possibilité d’une catastrophe contingente à l’origine de l’histoire, Adorno s'efforçait de démolir l’idée d’une « Raison dans l’histoire », ou en tout cas d’une nécessité historique pensée dans les termes de Hegel.

Les théorisations des sociologues de Francfort sont finalement inconsistantes politiquement. C'est une catastrophe si on veut les appliquer au champ politique. Leur théorisation du totalitarisme sert à faire croire que la démocratie bourgeoise y serait étrangère, alors que de nos jours elle est le meilleur totalitarisme ayant jamais existé (cf. la surveillance de Google et le phagocytage généralisé de toutes vos données, sans oublier la paralysie totale des allées et venues des populations lors de la crise du Covid, surveillance électronique et policière à laquelle même le nazisme n'est jamais parvenu). Leur théorie du totalitarisme ne ciblant que l'hitlérisme et le stalinisme, tous deux disparus, ne sert que la dépolitisation des questions, au même titre que la propagande religieuse.

Avant l'apparition de l'islamo-gauchisme, la mouvance altermondialiste ne prétendait plus que « changer le monde sans prendre le pouvoir ». Dans un tel climat anti-politique, dont la thèse du totalitarisme comme « politisation à outrance » était à la fois une apologie de l'hypocrite démocratie bourgeoise, se lovait une exclusion du prolétariat réduit à voter Le Pen.

On comprend que cette Ecole de sociologie révisionniste du marxisme ait séduit le réformisme gauchiste. La majorité de l'Ecole de Francfort ne croyant ni à la victoire ni à une « mission » victorieuse finale du socialisme. Ces philosophes marxistes snobs étaient surtout appelés à devenir des sociologues renommés partisans d'une troisième voie entre capitalisme existant et révolution, c'est à dire prorogeant le système actuel car pessimistes sur une réelle prise de conscience des aliénés et des exploités Selon Bloch, même avec une prise de conscience des masses et de leurs partis, après la socialisation des grands moyens de production, l'Etat ne périrait pas rapidement, mais se maintiendrait ou ressurgirait sous une autre forme, celle, rééditée, de la dictature des apparatchiks ; plus précisément comme causalité d'un énorme déficit théorique dans la théorie du « socialisme scientifique », entre autres l'absence d'une analyse critique et approfondie du concept de dictature du prolétariat.

Le socialisme « réellement existant » est devenu une doctrine de légitimation de l'idéologie du capitalisme d'Etat. La critique du dogmatisme (stalinien) par Bloch enfonce des portes ouvertes depuis longtemps par les oppositions politiques à la dégénérescence en Russie qui n'est pas due simplement à l'apparition des apparatchiks, comme l'avaient expliqué les Rosa Luxemburg et Karl Korsch. Bloch s'écarte de la compréhension de la faillite de la révolution en imaginant le sauvetage par une révolution métaphysico-religieuse.

Il n'est pas étonnant qu'il déclare lors d'une interview que la morale incite au socialisme en éliminant les rapports de maître et de valet entre les hommes, du même calibre idéaliste que la fameuse fable anarchiste dirigeants/dirigés à la Castoriadis. Pourtant les valets ressemblent trait pour trait aux maîtres, contradiction insoluble du point de vue anarchiste. Il n'enrichit pas non plus le marxisme stalinien (dit appauvri) mais exalte ce bonheur de type chrétien : l'espérance. Il fait équivaloir le christianisme originel au socialisme. Il salue les jacqueries qui « ont été menées sous une forme chrétienne » et tous ces hérétiques qui étaient des mystiques et des religieux, sans nous dire pourquoi ils ont échoué et ne pouvaient qu'échouer. L'histoire des révolutions ne commence pas avec Spartacus. Il faut un peu d'irrationalisme dans la rationalité historique.

Les époques révolutionnaires sont un moment de « rajeunissement de l'histoire ». Si la jeunesse coïncide avec les époques révolutionnaires, c'est qu'elle est aspiration, désir d'échapper à la double prison de sa propre immaturité et de la contrainte que lui impose la société d'oppression. L'apport de Bloch n'est pourtant pas exceptionnel, d'autres bien avant lui avaient souligné l'importance de la jeunesse dans la venue des révolutions (Cf. Liebknecht). Cette jeunesse est en effet l'aurore des révolutions. On ne connaît pas de révolutions de vieux. Mais il y a eu aussi une jeunesse fasciste.

C'est l'émergence de ce besoin d'une « ère nouvelle » qui est liée aux aspirations d'une nouvelle classe sociale « ascendante » qui dans sa lutte contre l'ancien monde a aussi recours aux anciens rêves d'émancipation de l'humanité, religieux ou pas.


MISSIONNAIRES OU REVOLUTIONNAIRES ?

Les spartakistes avec Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg5 – leur groupe a pris le nom du chef des esclaves de l'Antiquité Spartacus – auraient affiché des allusions messianiques dans leurs discours désespérés dans une révolution vouée à l'échec. Le millénariste prédicateur Thomas Müntzer figure aussi en 1919 comme un autre héros d'une guerre lointaine du passé où n'existait pas la classe ouvrière. Indépendamment de son combat religieux, Müntzer est quand même un révolutionnaire, mais d'un autre temps. Il prédisait la fin des temps. Il n'y a aucune honte à invoquer sa mémoire et son rôle à l'époque moderne ou le capitalisme a mis en balance à plusieurs reprises la menace de destruction de la planète6. Mais aussi ses limites et aussi le fait qu'il n'y a aucun risque qu'un quelconque dignitaire religieux moderne vienne déranger la paix sociale, sauf ceux qui ont cru en Khomeini.

En 1939, avec tous ses zigzags contradictoires, Trotski accole le mot mission à tous ses revirements opportunistes : « La lutte pour la démocratie impérialiste apparaît, conformément à cette logique, comme la mission historique du gouvernement ouvrier ». Jusque après la Seconde Guerre mondiale subsiste cette vision eschatologique de la mission du prolétariat : « Le prolétariat, lui, n’a pas de privilèges à conquérir. Son émancipation est l’émancipation de tous les opprimés et de toutes les oppressions, sa mission est celle de la libération de l’humanité entière, de toutes les inégalités et injustices sociales, de toute exploitation de l’homme par l’homme, de toutes les servitudes : économique, politique et sociale »7.

Drôle de mission évangélique qui se fait attendre et côtoie généralement plus souvent l'enfer que le paradis.Ernst Bloch pensait que si la religion est grosse des utopies, c’est parce qu’elle propose une réponse à l’angoissante question de la mort. La résurrection du Christ dans le christianisme apparaît comme le remède contre la mort dont la pensée hante terriblement l’homme, mais elle ne répond pas à la question de résoudre les malheurs du monde ici-bas. Le projet communiste est un « plan pour l'espèce humaine » pas un vœu d'éternité pour les individus en chair et en os et mortels.

La promesse faite aux pauvres, aux déshérités, aux « offensés », accessoirement aux prolétaires d’un monde meilleur dans l’au-delà diffère la révolte, ici-bas. Elle est donc une illusion profitable aux classes dominantes, qui évite surtout toute mise en cause de leur pouvoir. La religion dit également à l’âme de se préoccuper de soi-même, alors que l’homme, selon les révoltés déçus par la religion, doit d’abord se préoccuper de ses conditions matérielles d’existence, de sa famille, de ses camarades, de ses amis. La religion affirme que le monde ayant été créé par dieu, il est naturel et ne peut être changé. Or, le rôle historique du prolétariat est de transformer le monde, de le libérer de l’injustice comme de l'ombre de l'architecte de l'univers.

Etienne Balibar, pourtant intellectuel compagnon du PCF réactionnaire a nuancé la caractérisation de messianisme marxiste. Le prolétariat est donc l’autre (ou l’antagoniste) de la religion, mais il est aussi l’expression de sa contradiction interne, la révélation du secret dont, en tant que « protestation » contre la souffrance dont elle était porteuse. On a affaire ici à un schéma qui vient de bien avant Marx et qui se prolongera au-delà de lui : ce que la religion trahit ou pervertit (une promesse d’émancipation ou de rédemption), le messie, ou mieux, la « force messianique » le révèle, le rétablit et le fait triompher contre elle. Prenons garde de ne pas voir ici une « relève » dialectique de la religion : il s’agit plutôt d’une rupture ou d’une interruption, même si elle est conçue comme un retour à l’authenticité originaire.

Chacun sait que Marx avait décrit la religion comme opium du peuple. Cette formule a longtemps représenté la quintessence de la commisération marxiste du phénomène religieux, mais avec une inclination à la tolérance qui laissait de côté le rôle idéologique bourgeois de la religion, par exemple le cynisme du catholicisme pendant la conquête des colonies ou durant la Seconde Guerre mondiale, comme celui de l'islamisme à notre époque. Or, cette formule n’avait rien de spécifiquement marxiste. On peut la trouver, avant Marx, à quelques nuances près, chez Kant, Herder, Feuerbach, Bruno Bauer et beaucoup d’autres. Les formules néo-religieuses de Marx ne sont pas à prendre à la lettre. C'est sa façon polémique de prendre à son jeu l'idéologie religieuse, pour ridiculiser son idéalisme et lui opposer les buts pratiques réels, viser à la réelle résolution politique et sociale de l'émancipation de l'humanité de ses diverses oppressions, que n'avaient pu apporter ni la Réforme religieuse ni la révolution bourgeoise.

Marx n’utilise jamais la notion de mission historique contrairement à ce que le principal groupuscule de la théorie de la décadence lui fait dire dans ses articles sur la décomposition du capitalisme. Il ne semble pas avoir considéré une continuité entre mythes chrétiens et socialisme, mais une rupture avec les utopies diverses qui se sont succédé :

«  On a cru jusqu’ici que la formation des mythes chrétiens sous l’empire romain n’a été rendue possible que parce que l’imprimerie n’était pas encore connue. La vérité est tout autre. La presse quotidienne et le télégraphe qui en répand instantanément les inventions sur tout le globe fabriquent plus de mythes (et le stupide bourgeois les accepte et les colporte) en une seule journée qu’on n’a pu en fabriquer autrefois en un siècle  ».8

Au dix-neuvième siècle existe encore une prégnance du vocabulaire théologique, et surtout prophétique et apocalyptique, dans la littérature européenne de la période qui va de la Révolution française de 1789 à la révolution de 1848 en passant par la « restauration ». Ceci ne vaut pas seulement pour les productions du socialisme et du communisme « utopiques », inspirées ou non par l’idée d’un « nouveau christianisme », ou inversement celles de la contre-révolution « théocratique », mais pour le nationalisme.

 Quant au côté messianique de la définition du prolétariat, s’il tendra à céder la place à une définition plus réaliste de la classe ouvrière ou de la « classe des travailleurs » (Arbeiterklasse) en rapport avec le mécanisme de l’exploitation de la force de travail et de l’organisation du surtravail, il se déplacera en fait sur la représentation apocalyptique de l’affrontement final entre révolution et contre-révolution, induit par la violence de la répression étatique des insurrections populaires et prolétariennes du XIXe siècle9. Pour Marx, la révolution reste une possibilité, elle n'est pas aussi sûre que si elle était advenue (ainsi que le formula un jour Bordiga à qui je laisse cependant la conclusion). Le néo-stalinien Alexandre Melnik imagine que Marx s'attendait à une renaissance de l'idée messianique de « Troisième Rome ».

L'accusation de messianisme marxiste vient en général de l'extrême droite et de l'aile libérale de la bourgeoisie, en bordure de l'antisémitisme le plus crasse, montrant du doigt « le mythe du peuple élu » : « C'est un idéal qui a transformé une idée religieuse en programme politique, ayant les mêmes proportions que le messianisme hébreu »10. Moscou aurait été une nouvelle Jérusalem. Le messianisme est forcément un complot : « Toute idée messianique imprime directement ou camoufle une inclination pour le pouvoir, et, par conséquence, il n'y a pas de messianisme sans implication politique »11.

Henri Maler liste nombre d'autres charlatans réactionnaires bien connus adeptes de l'invention d'un Marx messianique, accolé au millénarisme : Berdiaff, Arnold Toynbee, Karl Popper, Leszek Kolakowski, Mircea Eliade, Raymond Aron, Michel Henry. Cette citation de Karl Löwith résume bien la vacuité de ces ennemis déclarés du marxisme de Marx :

« Tel qu'il se présente dans le Manifeste communiste, le processus historique reflète dans son ensemble le schéma judéo-chrétien traditionnel d'une histoire considérée comme celle du salut, placée sous signe de la Providence et interprétée dans son sens ultime »12.

Ces analogies sont pourtant faciles à démonter. Ainsi, le sens que Marx donne à l'idée de la fin de la préhistoire ne permet pas de considérer sa théorie comme une eschatologie, c'est à dire une étude des fins dernières de l'homme et du monde : où est-il question dans l'oeuvre de Marx de la fin du monde, de la résurrection, du jugement dernier ? Ainsi, les accents prophétiques et l'exaltation pratique qui retentissent dans le discours de Marx ne suffisent pas à le considérer comme une variété des prédications des millénarismes, c'est à dire de la prédiction du Règne de Mille ans du Messie sur la terre avant le jugement dernier : où est-il question dans l'oeuvre de Marx d'attendre ou de précipiter le dernier âge de l'histoire, l'âge d'or du millénium, qui doit précéder sa fin ?

Ainsi encore, le rôle attribué au prolétariat, s'il fait résonner le thème de la rédemption, ne correspond pas à la définition même du messianisme, c'est à dire la croyance selon laquelle un messie en personne viendra affranchir les hommes du péché et établir le Royaume de Dieu sur la terre : où est-il question dans l'oeuvre de Marx d'un Sauveur suprême, c'est à dire, si les mots ont un sens, d'un Sauveur transcendant et en tant qu'individu magique ?

Ainsi encore, l'attente d'une Révolution ne peut être amalgamée à l'attente de la parousie, c'est à dire du second avènement du Christ glorieux instaurant et gouvernant le millénium, attente qui pour les chrétiens permet de conjuguer le millénarisme et le messianisme: où est-il question dans l'oeuvre de Marx (et non dans l'exaltation stalinienne du Parti et de son chef) de la seconde résurrection du Sauveur ? »13.

La lutte de classe est d'abord autodéfense contre le capital. Le prolétariat n'est pas une force sociale messianique mais l'être vivant de la contradiction en acte qui doit renverser le capitalisme. Cette classe a déjà pris conscience de son rôle véritable et ne procède pas par religiosité ni philosophie.

 

NOTES

1  Probablement aussi pogromiste, nouvelle appellation dont je sais qui en est l'auteure, sacrifiant à la antiraciste des gauchistesl'" : « Appel" au pogrom du GIGC contre nos propres camarades ("Appel" frénétiquement relayé par différents "réseaux sociaux" et un dénommé Pierre "Hempel", qui se prend pour le représentant du "prolétariat universel") .

2Revue internationale 169 Critique des soi-disant “communisateurs” (II)
Du gauchisme au modernisme : les mésaventures de la "tendance Bérard

https://fr.internationalism.org/files/fr/fr_169_1_jo_kra_yv_arkra_from_manifeste_1.pdf

3« La Fête de thermidor an VI » (Fêtes et Révolution, Délégation à l’action artistique de la Ville de Paris et de la Ville de Dijon, Paris, 1989) repris en partie dans son livre :  « L’Art de la liberté ». Doctrines et débats de la Révolution française, Gallimard, 1991.

4Par exemple un groupe comme Révolution internationale se gargarise depuis 50 ans avec les termes « mission du prolétariat ».

5Les lettres de Rosa Luxemburg en prison sont nommées « Lettres de Spartacus », sans en expliciter la référence, qui n'est pourtant pas religieuse.

6Engels a eu tendance à faire de Münzer une légende, et l'a placé au rang des premiers utopistes, ce que Ernst Bloch a relativisé.

7Notamment dans le brûlot « L'Etincelle » (dixit recopiage du mot russe, l'Iskra de Lénine), article de Marc Chirik en 1946. Le créateur de la GCF et du CCI aura maintenu le terme jusqu'à sa mort, sans faire cas de sa connotation religieuse mais il est vrai qu'il se souciait peu d'être linguiste ou grammairien.

8Marx à Kugelmann, 27 juillet 1871.

9Cf. Les luttes de classes en FranceLe 18 Brumaire de Louis Bonaparte.

10Le messianisme russe, utopie et politique, de Bogdan Georges Silion, institut Lucio Anneo Sénéca (2013).

11Ibid.

12Henri Maler « Convoiter l'impossible » : « Marxisme, messianisme et millénarisme, florilège d'analogies.

13Henri Maler, op.cit.

AU TEMPS DES SOIREES FRATERNELLES CHEZ MOI A FONTENAY AUX ROSES