PAGES PROLETARIENNES

vendredi 21 octobre 2022

LES MASSES ET L'AVANT-GARDE par Paul Mattick


 Les masses et l’avant-garde

Paul Mattick

(Living Marxism)

traduction de Jean-Pierre Laffitte


Voici encore un document inédit en français, traduit à ma demande à partir du numéro 4 de living marxism (marxisme vivant!) que je conservais dans mes archives depuis 40 ans). Quelle fraîcheur! Quelle actualité que ce texte. Il aurait pu être considéré comme utopique puisque produit en 1938 alors que la 2éme boucherie mondiale allait sembler annihiler toute l'alternative historique du prolétariat. Or voilà qu'il corrobore tout ce que nous sommes en train de vivre, qu'il décrit ce qui est contenu sous la surface des bobo-médias, cet ouragan qui va venir et tout emporter sur son passage.

Les changements économiques et politiques procèdent avec une rapidité déconcertante depuis la fin de la Guerre mondiale. Les anciennes conceptions dans le mouvement ouvrier sont devenues erronées et inadéquates et les organisations de la classe ouvrière présentent un spectacle d’indécision et de confusion.

Étant donné la situation économique et politique changeante, il semble qu’un réexamen approfondi des tâches de la classe ouvrière devienne nécessaire afin de trouver les formes de lutte et d’organisation les plus indispensables et efficaces.

La relation entre d’une part  le “parti”, l’“organisation” ou l’“avant-garde”, et d’autre part les masses, joue un grand rôle dans la discussion contemporaine portant sur la classe ouvrière. Le fait que l’importance et la nature indispensable de l’avant-garde ou du parti soient exagérées dans les cercles de la classe ouvrière n'est pas surprenant étant donné que l’histoire et la tradition du mouvement tend dans cette direction.

Le mouvement ouvrier d’aujourd'hui est le fruit des évolutions économiques et politiques qui ont trouvé leur expression d’abord dans le mouvement chartiste en Angleterre (1838-1848), dans le développement des syndicats, qui en a résulté, à partir des années cinquante et dans le mouvement lassallien en Allemagne dans les années soixante. C’est en fonction du degré de développement capitaliste que les syndicats et les partis politiques ont prospéré dans d’autres pays d’Europe et d’Amérique.

Le renversement du féodalisme et les besoins inhérents à l’industrie capitaliste ont nécessité la mobilisation du prolétariat et la concession par les capitalistes de certains privilèges démocratiques. Ceux-ci ont réorganisé la société conformément à leurs besoins. La structure politique du féodalisme a été remplacée par le parlementarisme capitaliste. L’État capitaliste, c'est-à-dire l’instrument destiné à administrer les affaires communes de la classe capitaliste, a été établi et adapté en fonction des besoins de la nouvelle classe.

L’on devait compter maintenant avec le prolétariat importun, dont l’aide avait été nécessaire pour lutter contre les forces féodales. Une fois qu’il avait été appelé à l’action, il ne pouvait pas être complètement éliminé en tant que facteur politique. Mais il pouvait être organisé de manière coordonnée.  Et c’est ce qui a été fait – en partie consciemment par la ruse, en partie par la dynamique même de l’économie capitaliste – au fur et à mesure que la classe ouvrière s’adaptait et se soumettait au nouvel ordre. Elle s’est organisée en syndicats dont les objectifs limités (de meilleurs salaires et conditions) pouvaient être réalisés dans une économie capitaliste en expansion. Elle a joué le jeu de la politique capitaliste au sein de l’État capitaliste (dont les pratiques et les formes étaient déterminées essentiellement par les besoins capitalistes) et, à l’intérieur de ces limitations, elle a remporté des succès apparents.


Mais, en conséquence, le prolétariat adoptait des formes capitalistes d’organisation et des idéologies capitalistes. Les partis des ouvriers, comme ceux des capitalistes, sont devenus des organismes limités, et les besoins élémentaires de la classe étaient subordonnés à l’opportunité politique. Les objectifs révolutionnaires étaient supplantés par des marchandages et des manipulations en vue de positions politiques. Le parti devenait de la plus haute importance, et ses objectifs immédiats remplaçaient les objectifs de classe. Là où des situations révolutionnaires mettaient en mouvement la classe, dont la tendance est de lutter pour la réalisation de l’objectif révolutionnaire, les partis ouvriers “représentaient” la classe ouvrière et ils étaient eux-mêmes représentés par des parlementaires dont la position même au parlement était faite de résignation à leur statut en tant que négociateurs au sein de l’ordre capitaliste dont la suprématie n’était plus contestée.

La coordination générale des organisations ouvrières avec le capitalisme a vu l’adoption des mêmes spécialisations dans les activités du syndicat et du parti que dans celles qui caractérisaient la hiérarchie dans les industries. Administrateurs, directeurs et contremaîtres, voyaient leurs homologues dans les présidents, les organisateurs et les secrétaires, des organisations ouvrières. Conseils d’administration et comités exécutifs, etc. La masse des ouvriers organisés, comme la masse des esclaves salariés dans l’industrie, a laissé le travail de direction et de contrôle à ses supérieurs.

L’émasculation de l’initiative ouvrière a procédé aussi rapidement que le capitalisme a pris de l’extension. Jusqu’à ce que la Guerre mondiale ait mis fin à une expansion capitaliste pacifique et “régulière” plus poussée.

Les soulèvements en Russie, en Hongrie et en Allemagne, ont fait resurgir l’action et l’initiative des masses. Les nécessités sociales ont contraint les masses à l’action. Mais les traditions du vieux mouvement ouvrier en Europe occidentale et l’arriération économique de l’Europe orientale ont contrarié l’accomplissement de la mission historique des travailleurs. L’Europe occidentale a vu les masses être vaincues et la montée du fascisme du type Mussolini et Hitler, tandis que l’économie arriérée de la Russie a développé le “communisme” dans lequel la différenciation entre la classe et l’avant-garde, la spécialisation  des fonctions et la discipline excessive exercée sur les travailleurs, ont atteint leur point le plus haut.

Le principe du leadership, c'est-à-dire l’idée de l’avant-garde qui doit assumer la responsabilité de la révolution prolétarienne, est fondé sur la conception d’avant-guerre du mouvement ouvrier, et il est erroné. Les tâches de la révolution et de la réorganisation communiste de la société ne peuvent pas être réalisées sans l’action la plus large et la plus complète des masses elles-mêmes. C’est à elles qu’appartiennent cette tâche et la solution de celle-ci.

Le déclin de l’économie capitaliste, sa paralysie progressive, son instabilité, le chômage de masse, les baisses de salaire et la paupérisation intense des ouvriers – tous ces facteurs condamnent à l’action, malgré le fascisme de type Hitler ou le fascisme déguisé de l’AFL.

Les anciennes organisations sont soit détruites, soit réduites à l’impuissance. L’action réelle n'est maintenant possible qu’en dehors d’elles. En Italie, en Allemagne et en Russie, le fascisme, qu’il soit blanc ou rouge, a déjà détruit toutes les anciennes organisations et placé les ouvriers directement devant le problème de trouver de nouvelles formes de lutte. En Angleterre, en France et en Amérique, les anciennes organisations conservent encore un certain degré d’illusion parmi les ouvriers, mais leurs capitulations successives devant les forces de la réaction les ébranlent rapidement. 

Les principes de lutte indépendante, de solidarité … [suite de la phrase absente].

Avec la puissante tendance à la fusion de masse et à l’action de masse, la théorie du regroupement et du réalignement des organisations militantes semble être dépassé. Certes, le regroupement est essentiel, mais il ne peut pas être une simple réunion des organisations existantes. Dans les nouvelles conditions, une révision des formes de lutte est nécessaire. « D’abord la clarté – et ensuite l’unité ». Même de petits groupes qui reconnaissent et qui recommandent les principes du mouvement de masse indépendant sont bien plus importants aujourd'hui que de vastes groupes qui rabaissent le pouvoir des masses.

Il existe des groupes qui perçoivent les défauts et les faiblesses des partis. Ils fournissent souvent une saine critique de la combinaison de front populaire ainsi que des syndicats. Mais leur critique est limitée. Ils manquent d’une compréhension complète de la nouvelle société. Les tâches du prolétariat ne sont pas terminées avec la saisie des moyens de production et avec l’abolition de la propriété privée. Il faut poser et répondre à la question de la réorganisation sociale. Le socialisme d’État doit-il être rejeté ? Quel doit être le fondement d’une société sans esclavage salarié ? Qu’est-ce qui doit fixer les relations économiques entre les usines ? Qu’est-ce qui doit déterminer les rapports entre les producteurs et le produit total ?

Ces questions et ces réponses sont essentielles pour comprendre les formes de lutte et d’organisation d’aujourd'hui. Ici, le conflit entre le principe du leadership et le principe de l’action de masse devient apparent. En effet une profonde compréhension de ces questions conduit à ce que l’on se rende compte que l’activité le plus large, globale et directe, du prolétariat en tant que classe est nécessaire pour réaliser le communisme.

Ce qui est de première importance, c’est l’abolition du salariat. La volonté et les bons sentiments des hommes ne sont pas assez puissants pour conserver ce système après la révolution (comme en Russie) sans capituler finalement devant la dynamique engendrée par lui. Il n’est pas suffisant de s’emparer des moyens de production et d’abolir la propriété privée. Il est nécessaire d’abolir la condition de base de l’exploitation moderne, c'est-à-dire l’esclavage salarié, et cet acte conduit aux mesures suivantes de réorganisation qui ne seraient jamais évoquées … [suite de la phrase absente] … ne posent pas ces questions, peu importe que leur critiques soient solides par ailleurs, il manque les éléments les plus importants dans la formation d’une bonne politique révolutionnaire. L’abolition du système salarié doit être soigneusement étudiée dans sa relation avec la politique et l’économie. L’article qui suit celui-ci(*) traite de certains aspects économiques du problème. Nous allons nous arrêtés ici sur certaines de ses implications politiques.

Tout d’abord, la question de la saisie des moyens de production par les ouvriers. Il faut mettre l’accent sur le principe que ce sont les masses (et non pas le parti ou l’avant-garde) qui conservent le pouvoir. Le communisme ne peut pas être introduit ou réalisé par un parti. Seul le prolétariat en tant qu’ensemble peut le faire. Le communisme signifie que les travailleurs ont pris leur destin en mains ; qu’ils ont aboli les salaires ; que, avec la suppression de l’appareil bureaucratique, ils ont combiné le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. L’unité des ouvriers ne réside pas dans la sacro-sainte fusion des partis ou des syndicats, mais dans la similarité de leurs besoins et dans l’expression de leurs besoins dans l’action de masse. Tous les problèmes des travailleurs doivent par conséquent être considérés en relation avec l’action autonome en développement des masses.

Affirmer que l’esprit non combattif des partis politique est dû à la malveillance ou au réformisme des dirigeants est faux. Les partis politiques sont impuissants. Ils ne feront rien parce qu’ils ne peuvent rien faire. À cause de sa faiblesse économique, le capitalisme s’est organisé en vue de la répression et de la terreur et il est maintenant politiquement très fort étant donné qu’il est contraint de faire tous ses efforts pour assurer son existence. L’accumulation du capital, qui est énorme à travers le monde, a réduit le taux de profit – un fait qui, dans les politiques extérieures, se manifeste par les contradictions entre nations ; et, en politique intérieure, par la “dévaluation” et l’expropriation partielle concomitante des classes moyennes ainsi que l’abaissement du minimum vital des travailleurs ; et, en général, par la centralisation du pouvoir des grandes unités capitalistes entre les mains de l’État. Contre ce pouvoir centralisé, les petits mouvements ne peuvent rien faire. Seules les masses peuvent le combattre étant donné qu’elles seules peuvent détruire le pouvoir de l’État et devenir une force politique. C'est pour cette raison que la lutte fondée sur les organisations de métier devient obsolète, et que les vastes mouvements de masse, dégagés des limitations de ces organisations, doivent nécessairement les remplacer.

Telle est la nouvelle situation à laquelle les travailleurs font face. Or, d’elle naît une faiblesse réelle. Étant donné que la vieille méthode de lutte au moyen des élections et de l’activité syndicale limitée est devenue tout à fait vaine, il est vrai qu’une nouvelle méthode s’est développée instinctivement, mais cette méthode n’a pas été appliquée de manière consciencieuse, et par conséquent elle ne l’a pas été de manière efficace. Là où leurs partis et leurs syndicats sont impuissants, les masses commencent déjà à exprimer leur militantisme au moyen de grèves sauvages. En Amérique, en Angleterre, en France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne, en Pologne – les grèves sauvages se développent, et, à travers elles, les masses apportent amplement la preuve que leurs anciennes organisations ne sont plus adaptées à la lutte. Les grèves sauvages ne sont cependant pas désorganisées, ainsi que le terme l’insinue. Elles sont dénoncées en tant que telles par les bureaucrates syndicaux parce qu’elles sont des grèves qui se déroulent en dehors des organisations officielles. Ce sont les grévistes eux-mêmes qui organisent la grève, car c’est une vieille vérité que les ouvriers ne peuvent lutter et vaincre qu’en tant que masse organisée. Ils forment des piquets de grève, assurent le refoulement des briseurs de grève, organisent l’aide aux familles des grévistes, créent des relations avec d’autres usines… En un mot, ils assument eux-mêmes la direction de leur propre grève, et ils l’organisent sur la base de l’usine.   

C’est dans ces mouvements mêmes que les grévistes trouvent  leur unité de lutte. C’est alors qu’ils prennent leur destinée en mains et qu’ils réunissent « le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif » en éliminant les partis et les syndicats, ainsi que cela a été illustré par plusieurs grèves en Belgique et aux Pays-Bas.

Mais l’action de classe indépendante est encore faible. Le fait que les grévistes, au lieu de continuer leur action indépendante en vue d’élargir leur mouvement, appellent les syndicats à les rejoindre, est une indication que, dans les conditions existantes, leur mouvement ne peut pas devenir plus étendu, et, pour cette raison, ne peut pas encore devenir une force politique capable de combattre le capital concentré. Mais c’est un début.

De temps à autre cependant, la lutte indépendante fait un grand saut en avant, comme avec les grèves des mineurs des Asturies en 1934, des mineurs belges en 1935, les grèves en France, en Belgique et en Amérique en 1936, et la révolution catalane en 1936. Ces éruptions sont la preuve qu’une nouvelle force sociale est en train d’émerger parmi les ouvriers, de trouver le leadership ouvrier, de soumettre les institutions sociales aux masses, et qu’elle est déjà en marche.

Les grèves ne sont plus de simples interruptions dans la réalisation du profit ou de simples troubles économiques. La grève indépendante tire son importance de l’action des ouvriers en tant que classe organisée. Avec le système des comités d’usine et des conseils ouvriers s’étendant sur de vastes zones, le prolétariat crée les organes qui régulent la production, la distribution, et toutes les autres fonctions de la vie sociale. En d’autres termes, l’appareil administratif civil est privé de tout pouvoir, et la dictature prolétarienne se met en place. Ainsi, l’organisation de classe au cours de la véritable lutte pour le pouvoir est en même temps l’organisation, le contrôle et la gestion, des forces productives et de la société tout entière. C'est le fondement de l’association des producteurs et des consommateurs libres et égaux.

Tel est donc le danger que le mouvement indépendant de classe présente pour la société capitaliste. Les grèves sauvages, bien qu’apparemment de peu d’importance, qu’elles soient à petite ou à grande échelle, sont du communisme embryonnaire. Une petite grève sauvage, dirigée comme elle l’est par les ouvriers et dans l’intérêt des ouvriers, illustre à petite échelle le caractère de pouvoir prolétarien futur.

Un regroupement des militants doit être déclenché par la connaissance que les conditions de lutte rendent nécessaire l’union  « du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif » dans les mains des ouvriers d’usine. Ils ne doivent pas transiger en ce qui concerne cette position : tout le pouvoir aux comités d’action et aux conseils ouvriers. C’est cela le front de classe. C'est la voie menant au communisme. Rendre les ouvriers conscients de l’unité des formes organisationnelles de la lutte, de la dictature de classe, et du cadre économique du communisme, avec son abolition  des salaires – telle est la tâche des militants.

Les militants qui se dénomment eux-mêmes l’“avant-garde” ont aujourd'hui la même faiblesse qui caractérise actuellement les masses. Ils croient encore que les syndicats ou bien tel ou tel parti doivent diriger la lutte de classe, avec des méthodes révolutionnaires toutefois. Mais s’il est vrai que des luttes décisives approchent, il n'est pas suffisant de constater que les dirigeants ouvriers sont des traîtres. Il est nécessaire, en particulier aujourd'hui, de formuler un plan en vue de la formation d’un front de classe et des formes de ses organisations. C'est à cette fin que le contrôle des partis et des syndicats doit être purement et simplement combattu. C'est le point crucial dans la lutte pour le pouvoir.

 

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(*)  Production et distribution communistes (NdT).

Paul et Ilse Mattick

LE BOBO QUI S'EXTASIE DEVANT UN FEU DE POUBELLE REVOLUTIONNAIRE


« On ne naît pas bobo, on le devient » anonyme

« Force est de constater, et les faits nous donnent raison, qu’il n’y a plus dans ce parti, à quelque chose près bien sûr, que les bobos fascinés par Mélanchon »  (des démissionaires du NPA)

 « Le petit bourgeois est un salaud » Sartre (La nausée)

 

Tout ou presque a été dit sur le bobo, terme péjoratif utilisé d'ailleurs par tous les bords politiques (sauf le CCI qui ne l'utilise jamais)[1] mais le mot valise a fini par caractériser en définitive les braves gentrifiés de l'Est  parisien et de la rive gauche.. Une chose est sûre, on hait ce moraliste arrogant, cette pimbêche Sardine Ruisseau. Il ; elle est narcissique et militant religieux ; il a toujours raison. Son moindre pet est répercuté par les médias. Ses représentants, les Ruffin, Caron, Rousseau, etc. sont débiles. Je ne m'étendrai donc pas ici sur les aspects sociologiques  du mode de vie du petit bourgeoisie mais sur son mode de pensée, et en particulier politique. Je m'attacherai ici à surtout décrire les caractéristiques politiques du bobo gauchiste-libéral, gauchiste islamophile, gauchiste vert, gauchiste écolo. Il est pétri de son rôle explicatif. Il a pour fonction d'éveiller (awake). Il enseigne. Il apprend aux autres ou à ceux qui veulent bien l'écouter. C'est lui qui parle. Enfin, contrairement à une analyse simpliste limitée à la seule domination bourgeoise, le petit bourgeois militant, même sans pouvoir officiel, détient une place publique qui leur confère UN ROLE POLITIQUE BOURGEOIS. L 'exemple le plus frappant de la manière dont il a été capable d'induire en erreur la grande bourgeoisie restera dans les Annales les campagnes contre le nucléaire, terrain sur lequel la France pouvait s'imposer à l'international et...se chauffer[2]. L'infection écolo-bobo a même réussi à polluer CCI et PCI, au point que nos deux pithécanthropes maximalistes s'ingénient à essayer de démontrer que Marx était le premier écologiste, orientation soudaine qui trahit l'opportunisme le plus bêlant, alors que pendant des décennies ils avaient dénoncé la mystification écologique. On s'en branle de cet écologisme planétaire et ronflant qui sert à dévier des trois principales questions : guerre-exploitation-prolétariat. La médiocrité bobo n’a d’égale que sa prétention à l’universel.

Pour moi, depuis 68 où j'en terminais avec les années lycée, la figuration politique de la petite bourgeoisie est et est restée le gauchisme dans ses modes successives, et a finalement joué un rôle non négligeable dans la « boboïsation de la vie ». En conclusion de mon histoire du trotskisme en 2002[3], j'écrivais :

« La révolte dilettante est devenue éternel opposant institutionnel. Les lieutenants trotskiens ont troqué leurs galons estudiantins contre la pelisse de cadres politiques officiels et de cadres syndicaux (…) Loin du parti béton unique d'un stalinisme archaïque à vocation mondialiste, le trotskisme correspond à la diversification des classes et au découpage sociologique (et intentionnel) de la classe ouvrière en corporations, régions et pays. Le trotskisme ne peut s'extraire de son hétérogénéité caractéristique des ferments  de division nécessaires à l'ordre social, pour ne pas dire du pullulement organisé et institutionnalisé qui continue à disperser toute conscience de classe. (…) Chaque revirement impérialiste, chaque mouvement social (les femmes, les régions, les homosexuels, l'anti-mondialisation, etc.) les a conduit à modifier leur stratégie en maintenant une image moderniste nullement révolutionnaire (…) on peut faire un constat simple : regardez comment fonctionnent les groupuscules et vous verrez le type de société dont ils rêvent ».

LE MILITANTISME STADE SUPREME DE L'ALIENATION

La petite brochure qui portait ce titre en 1972, qu'on pouvait acheter dans le sous-sol de la Librairie Maspéro, était un pastiche du texte de Lénine sur l'impérialisme[4], c'était la première à ma connaissance à souligner la dimension première du bobo moderne : son militantisme mais dans tous les domaines et de plus en plus ou plutôt de moins en moins politique. Extrait :

« Le ridicule de leurs prétentions peut faire rire, mais en rire ne suffit pas. Il faut aller plus loin, comprendre pourquoi le monde moderne produit ces bureaucrates extrémistes, et déchirer le voile de leurs idéologies pour découvrir leur rôle historique véritable. Les révolutionnaires doivent se démarquer le plus possible des organisations gauchistes et montrer que loin de menacer l’ordre du vieux monde l’action de ces groupes ne peut entraîner au mieux que son reconditionnement. Commencer à les critiquer, c’est préparer le terrain au mouvement révolutionnaire qui devra les liquider sous peine d’être liquidé par eux ».

Je ne me joins pas évidemment aux aigris et aux partisans de ne rien faire, mon militantisme politique m'a aidé à survivre et à ne pas sombrer face aux humiliations au boulot. Mais le militantisme « multiforme », « multicarte » de la gauche bobo c'est autre chose : en étant touche-à-tout, il croit que c'est lui le pouvoir. D'où aussi son fanatisme et sa propension à admirer Mitterrand comme Mélanchon. Dans sa diversité sociétale, il est en effet cette « bureaucratie extrémiste » qui n'est pas vraiment disposée à renverser l'Etat, une poubelle en feu oui, mais pas l'Etat[5] cette source de tous ses fantasmes sado-masos.  Pourquoi ? Parce qu'il pense détenir déjà le pouvoir, fût-c un pouvoir local ou sur ses amantes. Mettons qu'il soit prof, ou cadre informatique. Il se doit d'être présent dans tous les aspects de la vie quotidienne. Il peut être à la fois conseiller municipal (le Graal), délégué syndical, président des parents d'élèves, conseiller du club sportif, animateur de quartier, etc. Jean-Luc Debry a expliqué cela plus brillamment que moi.[6]

Et puis je suis tombé sur cette magnifique lettre d'Engels à Kautsky en 1894, où nous est décrit, toutes proportions gardées - (le parti socialiste allemand de l'époque était quand même un parti ouvrier bien que gangrené par le réformisme, quand la NUPES n'est qu'un bâtard du parti bourgeois dit socialiste) - le milieu bobo des LFI et NPA :

« Il est remarquable combien toutes ces « couches cultivées » sont enfermées dans leur cercle social. Ces bavards du centre et de la libre pensée, qui restent encore maintenant dans l'opposition, représentent les paysans, les petits-bourgeois, voire parfois les ouvriers. Et chez ceux-ci, la colère contre les charges fiscales croissantes ainsi que la presse vénale existe indubitablement. Mais cette colère populaire est transmise à messieurs les représentants du peuple par le truchement des couches cultivées   avocats, curés, commerçants, professeurs, docteurs, etc.  , c'est-à-dire des gens qui, en raison de leur instruction plus universelle, voient un tout petit peu plus loin que les masses du parti, ont appris suffisamment pour savoir qu'un grand conflit entre le gouvernement et nous broiera tout ce monde, ce qui explique qu'ils veulent transmettre aux gens du Reichstag une colère populaire atténuée   sous forme uniquement de compromis ».

LE LUMPEN PROLETARIAT N'EXISTERAIT PLUS ?

Le bobo tend l'oreille, si vous marchez à côté de lui pendant la manifestation, et vous jette un œil torve parce que vous venez de prononcer le mot racaille, mot banni de son vocabulaire comme les mots race, islamophlilie, classe ouvrière[7], etc. Sur le web ses potes intellectuels s'interrogent, vaticinent, doutent puis mettent en cause le sérieux des Marx et Engels sur ce qualificatif très dixneuviémiste de « lumpen », déplorent « mots injurieux » et « stigmatisation du lumpenprolétariat ».

Engels précisait que le lumpenprolétariat était issu à son époque de « la décomposition du féodalisme » qui suit le déclin des protections professionnelles traditionnelles, grossissant la masse des vagabonds, des mendiants et des journaliers citadins travaillant misérablement dans les interstices laissés par les corporations ? Le lumpenprolétariat, cette lie d’individus dévoyés de toutes les classes, qui établit son quartier général dans les grandes villes, est de tous les alliés possibles, le pire. Cette racaille est absolument vénale et importune. Tout chef ouvrier qui emploie ces vagabonds comme gardes du corps, ou qui s’appuie sur eux, prouve déjà par là qu’il n’est qu’un traître au mouvement ».

Eh bien nous la supportons nous aussi cette « racaille » moderne. Le lumpenprolétariat est toujours là et en grande partie lié à une religion du meurtre. Et notez bien, ce « qui ne fait pas partie de la bourge lumpen « est issu de toutes les classes », et j'ajoute qu'il est renforcé par la décadence du capitalisme, avec cette grande nouveauté que le bobo le qualifie de révolutionnaire. Un des bardes de ces milieux interlopes, Renaud, ancien soutien du ministre de Pétain devenu Président a pour partie rendu célèbre le qualificatif de bobo en s'en moquant, mais en reconnaissant en faire partie.

La petite bourgeoisie a des oeillères d'autant qu'elle se vit comme une « classe de transition », pas vraiment intermédiaire (Lukacs)[8]. Sa vantardise et sa prétention lui font croire qu'elle est au-dessus des classes. Elle estime qu'elle n'a aucun intérêt à supprimer les oppositions de classe ; toute sa tartufferie politique consiste à prétendre les réconcilier harmonieusement avec les slogans les plus nunuches (cf. Marche contre la vie chère et l'inaction climatique). C'est le même aveuglement ou plutôt la même complicité avec l'idéologie des bigots islamistes, non pas qu'ils soutiennent les actes odieux et criminels des tarés terroristes, c'est la même démarche non pas réformiste mais artificielle de réconcilier les contraires, même en passant par-dessus les pires horreurs. Cela s'explique par « la sentimentalité petite bourgeoise » comme nous le rappelle fort justement Jean-Luc Debry par la relecture du Manifeste t de Weber, ce qui permet de comprendre aussi le petit bourgeois islamiste et le regain de sa religion arriérée :

«  Dans un célèbre passage du Manifeste du Parti communiste (1848), Marx et Engels parlaient de « ces frissons sacrés de la piété exaltée, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise », « noyés dans les eaux glacées du calcul égoïste ». Soixante-dix ans plus tard, en 1919, dans un texte désormais célèbre, « Le métier et la vocation de savant », Max Weber observait que « le destin de notre époque, caractérisée par la rationalisation, par l’intellectualisation et surtout par le désenchantement du monde, a conduit les humains à bannir les valeurs suprêmes les plus sublimes de la vie publique. Elles ont trouvé refuge soit dans le royaume transcendant de la vie mystique, soit dans la fraternité des relations directes et réciproques entre individus isolés ».[9] Dont le portable est le stade suprême.

 Le bobo sentimental ne prend plus l'avions ni.. le métro : « Aujourd’hui, il suit le chemin inverse, quitte la capitale pour la campagne, sa nouvelle Icarie. Lieu mythifié et idéalisé, parfois jusqu’à la caricature, où il déploie et son ambition et ses idéaux portés par la quête d’une vie pure et saine. Que l’on songe, par exemple, aux expériences agricoles de Bouvard et Pécuchet qui, dépourvus de toute connaissance en la matière, se lancent dans cette activité « (JL debry)[10]

Sa révolution il la fait en cultivant son jardin bio.



[1]Pour la simple raison que depuis sa fondation la petite bourgeoisie n'existe pas, tout est noir ou blanc, bourgeoisie/prolétariat. Non pas qu'ils ignorent l'existence des avocats, des paysans et des boutiquiers, mais toutes ces couches sont sensées n'exprimer que des positions bourgeoises, ce qui n'est pas faux en général, mais c'est aussi lus complexe, sinon pourquoi ne pourraient-elles plus « tomber dans le prolétariat », sachant de plus qu'à la tête des révolutions on trouve beaucoup de petits bourgeois, et ce n'est pas Lénine qui me dira le contraire.

[2]Cette bêtise, sous la houlette de Hollande, était souhaitée par l'Allemagne, baignant dans l'idéologie écolo-bobo régnante,mais, qui est hélas dépendante du gaz russe (tout ce qui fait rigoler les Américains). Selon le politologue Jean-Claude Rennwald, les bobos ont joué un rôle croissant au sein des Partis socialistes européens. Ils mettent l'accent sur les sujets de société (environnement, culture, procréation assistée), au détriment des revendications traditionnelles (salaires, temps de travail, sécurité sociale) du mouvement ouvrier. Ce changement de priorités politiques pourraient, en partie, expliquer les mauvais résultats des Partis socialistes en France, en Allemagne, en Autriche, en Espagne, aux Pays-Bas, en Grèce et en Italie dans les années 2010. Le « boboïsme » serait alors « la maladie chronique du socialisme »

[3]Les Trotskiens '1968-2002) les éditions du pavé, p.228.

[4]Rédigé par une obscure ODJTR, organisation de jeunes travailleurs révolutionnaires, que je soupçonne d'être de la plume de Jean Barrot.

[5]Renverser l'Etat ? Ils ne sauraient pas quoi en faire. Ils n'ont aucun programme crédible ni cohérent. La gauche bourgeoise, comme la droite, ont usé toutes les ficelles.

[6] « La motivation toujours égotiste et narcissique du néo-Rastignac l’incite désormais à se penser comme le « sauveur » de la province. Sous couvert d’une quête des vertus publiques perdues, le « jeune loup aux dents longues » se donne en spectacle comme modèle à suivre, devient une sorte d’évangélisateur aspirant à prendre la direction des affaire, postulant aux diverses instances du pouvoir local, siégeant dans toutes sortes de commissions et conseils, aspirant (pourquoi pas ?) à la députation, mimant ou parodiant la démocratie participative ». On peut regretter qu'il ne prenne pour exemple de nouveau Rastignac, Macron, Mélanchon l'est encore plus. '« « Les bobos ne forment pas une classe sociale, puisqu'ils n'ont pas d’intérêt économique commun. Ils partagent un mode de vie, qui prête le flanc à la caricature, et un ensemble de valeurs positives que la droite conservatrice qualifie de « bien-pensante » : l'antiracisme, le féminisme, la promotion de l'égalité des sexes, la conscience de la finitude du monde. Les bobos sont à l'aise dans la mondialisation. Ils sont à la fois raillés par les politiques et courtisés par eux, puisque leur vote est prescripteur », JL Debry)

[7]« Les bobos ne forment pas une classe sociale, puisqu'ils n'ont pas d’intérêt économique commun. Ils partagent un mode de vie, qui prête le flanc à la caricature, et un ensemble de valeurs positives que la droite conservatrice qualifie de « bien-pensante » : l'antiracisme, le féminisme, la promotion de l'égalité des sexes, la conscience de la finitude du monde. Les bobos sont à l'aise dans la mondialisation. Ils sont à la fois raillés par les politiques et courtisés par eux, puisque leur vote est prescripteur », JL Debry)

[8]Jean-Pierre Garnier lui n'aime pas le terme bobo ; il insiste sur la place intermédiaire de la petite bourgeoisie qui ne fait pas partie de la bourgeoisie, jouant la médiatrice, or ce n'est pas ici le problème même si idéologiquement les bobos font partie de la bourgeoisie, c'est l'analyse de leur absence de conscience de classe et leur prétention à l'universel qui est ici l'objet de mon article.

[10]Elisabeth Levy ajoute une précision importante, oubliant que les maos s'étaient fait les dents avec la lutte des Sonacotra puis les avaient laissés tomber : « Le bobo s'est mis à aimer l'immigré, le sans-papiers, avec la même ardeur que ses parents vénéraient le prolétaire. […] Le bobo voit chez le conservateur un facho en puissance. Et il adore toutes les cultures, sauf celle dont il est souvent lui-même issu, qu'il symbolise par l'effroyable personnage du « vieux mâle blanc hétéro ». Et en prime souvent catho, l'horreur ». Il est toutefois à noter qu'il existe des bobos de droite, au mode de vie similaire mais aux valeurs différentes »

mardi 18 octobre 2022

Veillée funèbre CGT : et je suis coupé au montage


Un raffineur de la CGT...


Avant de vous de vous faire le compte-rendu du deuxième défilé qui allait « déclencher la grève générale », voire « l'insurrection », je vais vous raconter une anecdote en préliminaire. Lorsque j'arrive à la manifestation place d'Italie, je me déplace vers l'avenue d'où doit démarrer le cortège. Je dépasse le stand frites-merguez, je passe devant l'étal des « livres révolutionnaires », mais un camion CGT garé sur le côté plus loin porte un panneau (cf. photo ci-jointe) où l'on peut lire :

"LA POLICE doit protéger les citoyens et non les frappes", en dessous se trouve l'écusson des  CRS barré d'une matraque, et au-dessous : STOP A LA VIOLENCE, voisinant avec un poster de Guevara.

Hilare je dégaine mon appareil photo. J'aperçois à côté de moi un gars qui regarde comme moi l'affiche, sans savoir que c'était un sous-fifre cégétiste, je le hèle :

          tu as vu ? Ils crient tous « tout le monde déteste la police », même Mélenchon, et là elle est sensée « protéger les citoyens ».

La gars hoche la tête puis m'objecte :

          tu n'as pas compris, c'est raffiné, ça veut dire « protéger et punir », protéger l'Etat et punir les manifestants !

Je ne laisse pas passer l'argutie "raffinée":

          tu rigoles ? D'abord il y a aussi un syndicat CGT dans la police et qui défend la corporation aussi bien que les autres, ensuite la principale police de la classe ouvrière ce sont les syndicats, en 47 la CGT était avec la police contre les ouvriers qui ne voulaient pas se sacrifier pour « la reconstruction", allez bonne après-midi mon gars !

THE TIMES THEY ARE A-CHANGIN'

Je me dirige ensuite vers les organisateurs de la procession, qui s'annonce maigrelette malgré le bruit des troupes encadrées syndicalement qui arrivent peu à peu sur la place d'Italie. On aperçoit deux rangées de bonzes syndicaux avec au milieu moustache entouré d'une nuée de journalistes et de miros. J'étais bien décidé à secouer le cocotier, tout en me demandant si j'allais encore une fois encore me faire casser la gueule[1].

Je me lance :

          ah vous êtes contents de vous ! Vous faites chier des millions d'ouvriers qui voulaient aller se reposer en vacances ! Vous ridiculisez la notion d'extension !

Stupeur, la foule des journalistes et des bureaucrates se retourne sur moi, je vois même l'oeil vitreux de Martinez qui me regarde comme un chat de gouttière sans importance. Puis, aussitôt, sans que je puisse développer mon argumentation je me retrouve avec un micro sous le nez et la caméra derrière :

          qu'est-ce que vous en pensez ?

          ce que j'en pense c'est que la CGT fait toujours les sale boulot, elle a laissé les grévistes seuls pendant quinze jours, ce qui les a épuisés et maintenant elle vient pour soi-disant les soutenir leur promettre la grève générale et l'insurrection... qui était prévue pour vendredi dernier... Il nous ont promis la grève générale or celle-ci ne se décrète pas...

Je ne peux continuer, un jeune bonze a surgi et se met à morigéner les journalistes :

          vous n'avez pas honte de donner la parole à celui-là, il ne représente rien, pourquoi vous ne donnez pas la parole à tous ceux qui sont là ?

Je l'attrape gentiment par le bras :

          peut-être mais qui te dis que je ne représente pas des milliers qui sont absents ?

Il m'ignore et continue à tancer le journaliste et son cameraman, qui a déjà détourné sa caméra sur le petit chef du SO. Les deux culpabilisent et m'ignorent désormais eux aussi, bien que je hèle l'autre : « si tu veux débattre, je suis près », mais il me repousse du bras. Je les laisse alors entre eux et me retourne derrière où sur le trottoir un groupe de jeunes a suivi attentivement l'incident, et là je poursuis mon argumentation en disant que la CGT sabote depuis 50 ans toutes tendances à une extension réelle, et qu'elle renouvelle cette stratégie en encourageant des grèves minoritaires pas au moment approprié, alors qu'on a besoin du soutien de l'opinion. ». Les jeunes approuvent de la tête. L'un d'eux parle des G étudiantes en ce moment où il y a le souci de la démocratie directe et de pas laisser le AG kidnappée par tel syndicat ou tel parti politique. D'autres me félicitent.

Mais ce qui me marque le plus, c'est que je ne me suis pas fait casser la gueule, comme je le craignais. Le silence avait été la seule réaction, pas de mouvement collectif du SO, à part l'intervention de leur petit chef, évitant de me sermonner ou d'engager la discussion avec moi. Il n'y aurait donc plus qu'un stalinisme soft, mou du collier ?

 A mon avis, l'appareil CGT marche sur des œufs vu la situation où il y a une pression considérable un peu partout mais qui reste dispersée et où l'appareil doit faire gaffe à ne pas révéler son rôle de pompier social.  Martinez déclarait apparemment en même temps que l'interrupteur : « qu'il y aurait des suites », ce qui ne mange pas de pain après nous avoir assuré la semaine dernière que l'insurrection était pour vendredi ; quand à Mélenchon, invisible sur le parcours, comme ses troupes de bobos, il avait essayé de coller à la CGT pour appeler à la grève générale ce jour, alors que dès midi on savait que leur mobilisation avait foiré un peu partout.

Je continuais à remonter le boulevard en ruminant la « censure » du petit chef CGT, et je me disais soit tu passeras à la télé ce soir mais juste un petit bout pour te faire passer pour un anti-gréviste primaire, soit rien du tout, comme en 1995 où FR3 m'avait interrogé – RI en placard – et qui n'a jamais projeté le militant homme-sandwich.J'aperçois plus loin un groupe de SUD, rail ou PTT peu importe. Ils jouent avec leurs banderoles, rigolent, sont contents de leurs slogans. Je me glisse au milieu d'eux :

          salut les radicaux !

Certains se retournent sur moi et prennent cela pour un compliment, peine perdue, j'ajoute :

          vous êtes contents vous aussi de participer à la division des ouvriers au cul de la CGT ? A quoi ça sert de faire durer une grève minoritaire au moment des vacances scolaires ?

Ils ne réagissent pas méchamment et me font signe de m'en aller,et je leur dis regretter qu'ils ne veuillent pas discuter ; et je m'en vais.

ASSIS AU BISTROT

Je n'allais pas faire le traîne-savatte d'une manif artificielle, dont je file au final. Je vais m'asseoir à la terrasse d'un bistrot à côté de la tour Montparnasse pour assister à la fin du carnaval qui fait rire les garçons dudit bistrot, et me reposer, j'ai près de 8 kilomètres dans les pattes. C'est bon pour la santé des vieux, mais j'ai mal aux pattes à cause de mes vielles boots.

Lorsque la manif arrive devant le bistrot, je jette un œil sur ma montre. La manif durera une heure, certes moins freinée que celle de Mélanchon, moins massive et clairsemée. Ce calcul d'une heure correspond à peu près à moins de 5000 personnes, et je peux le démontrer. Derrière près de cinquante cuisines syndicales, c'est malingre. Les tambours des anars sont toujours en tête et aussi chiants. Il n'y a pas 200 blacks bloc comme l'a dit la presse bourgeoise, des marginaux déguisés, quelques voilées mais pas de quoi faire une émeute, toujours une forte proportion de manifestants qui ne veulent plus défiler aux ordres d'un syndicat ou d'un parti Arrive donc le flot des syndicrates et leurs ridicules ballons : SUD SOLIDAIRES, CNT (c'est le cortège le plus nombreux de la file, au moins deux cent personnes), les lycéens (nombreux eux aussi et je les regarde la larme à l'Oeil), mais derrière : CGT 93, SNCT, Finances publiques (10 manifestants) c'est la Bérézina ! Une moyenne de 20 à 70 militants encartés, encadrés et porteurs du drapeau de leur agence commerciale syndicule.

Conclusion : dans le match de la mobilisation c'est Mélanchon qui a gagné. La CGT peut toujours radicaliser à perpète son échec est inquiétant pour le pouvoir. Je rappelle, comme je l'ai dit aux jeunes, que la CGT a été depuis 68, la principale police du pouvoir en France et la plus apte à empêcher toute extension réelle et à systématiquement « voler l'initiative » aux ouvriers, comme j'ai répercuté cette parole d'un ouvrier dans mon article précédent.

Les barouds d'honneur ne sont plus ce qu'ils furent, me direz-vous. La CGT a réussi à rendre impopulaire la grève et le gouvernement, qui s'est révélé inutilement arrogant et inattentif, a réussi à rendre inutilement impopulaire la CGT, quand, en effet, une bonne partie de la classe ouvrière, en souffrance pourtant, n'a pas envie de critiquer ouvertement cette grève (au contraire de moi parce que je serai toujours là pour combattre la naïveté car je n'ai aucun statut à protéger ni à me soumettre aux desideratas de la gauche bobo et bourgeoise.

 

Au total, ce charivari des Martinez et Mélanchon contribue à désarçonner la classe ouvrière, qui, même si dans son ensemble elle ne se sent pas représentées par ces appareils, elle pense soit que « il n'y a qu'eux », soit « il faut bien faire quelque chose ».

Il faut cependant prendre conscience que, quelle que soit la suite de la pagaille régnante (les appareils de la gauche bourgeoise règnent aussi par le chaos), la question sociale est revenue au premier plan un peu partout. Les plaintes sur les salaires (ridiculisées par la formule « lutte contre vie chère ») et la foutaise « contre l'inaction climatique » sont dérisoires, à un niveau gréviculteur et dérisoire quand la guerre qui perdure ferait cesser ces plaisanteries syndicalistes et écologiques.

Une chronique du journal Le Monde titre :

« Faute d’anticipation sur la question sociale, les syndicats, la gauche et le gouvernement se retrouvent sous pression »

L'article n'illustre pas du tout ce très bon titre. Hélas pour eux les journalistes ont tellement été au service du pouvoir qu'ils n'y comprennent plus rien et nous emmerdent sur toutes les chaînes à discuter du secte des anges ou à répercuter des bruits de chiottes.

Par contre il faut absolument lire l'interview du génial Michel Wieviorka[2] :

« Le même énervement peut être présent, mais ce sont des causes et des luttes très différentes. Les revendications en matière d’écologie par exemple peuvent entrer en contradiction avec des thèmes sociaux comme la lutte contre la hausse des prix des carburants. (…) On assiste aujourd’hui à une dégradation de la conflictualité. Dans le passé, les mêmes luttes ouvrières avaient un sens plus élevé. Aujourd’hui, ceux qui se mobilisent veulent convaincre l’opinion que ce qui est bon pour eux est bon pour le pays tout entier. En 1995 par exemple, les grèves massives contre des réformes dans la fonction publique et les services publics ont recueilli la sympathie d’une grande partie de la population, ce qui a joué en leur faveur. Ça a aussi été le cas pour les Gilets jaunes. La question qui se pose aujourd’hui est donc de savoir si la mobilisation va obtenir autant de sympathie. On entend déjà beaucoup de critiques quant aux revendications des grévistes donc on peut penser que, s’il y a un mouvement d’ampleur, ce ne sera pas celui qui est en train de naître ».


CE SOIR AUX INFAUX: gros plan sur la seule émeute picrocholine en fin de manif, deux flics poursuivis par une poignée de marginaux adeptes du feu de poubelle qui éclaire tant nos bobos parisiens sur la voie de la révolution de pacotille débile;  sur BFM  la pimbêche de service a décrété que c'était le seul événement notable de la journée, aussi elle ne cesse de faire causer syndicrates flics et journalistes policiers; en prime désormais sur les plateaux trône une ou un bureaucrate CGT qui vient mentir avec les autres.    De réflexions sur le bide de cette journée, comme des remises en cause sur le terrain de la tartufferie syndicale ou de ma modeste intervention, il n'y a point eu. Enculés de journalistes:

 

PS : je ne vous ai pas raconté des bobards concernant les cris à la fin de la manif à Mélanchon, ainsi  qu'on peut le lire sur France-info :

« Le camion de la Nouvelle alliance populaire et sociale a ainsi été hué par plusieurs manifestants, alors que des membres du service d'ordre tentaient de maintenir un cordon de sécurité autour du véhicule. Dans une vidéo du journaliste Clément Lanot, on entend des individus décrits comme des Gilets jaunes crier «cassez-vous !» ou bien encore «collabos !». Dans une autre vidéo, on peut voir le député écologiste Aymeric Caron descendre du camion de la Nupes et repartir à pied sous les quolibets ».

 



[1]La dernière fois remontait au siècle dernier en 1979 lors d'une manif de défense de la sécurité sociale.J'étais au début de l'avenue Dauménil en train de vendre « Révolution Internationale », lorsque, sans crier gare, un groupe de dockers de Marseille, tous plus petits que moi, m'agressent, l'un d'eux bondissant soudain pour me filer un coup de boule qui me fend l'arcade sourcilière . Le sang se met à pisser sur mon visage. Je suis tétanisé et incapable de réagir violemment à mon tour. Mais le plus grave vint après. En général quand on est victime on l'est au moins deux fois ! Mes présumés camarades, plus lâches qu'utiles à a cause – Michel Pi (dcd) et le « petit Marc », me prennent chacun par le bras pour m'entraîner (en riant) vers l'hôpital 15-20. Je vis cela, hébété, comme une fuite, quand les manifestants (même avec badges CGT) autour de moi commerçaient à s'indigner de voir dans quel état ces brutes m'avaient mis ; c'était une occasion de faire honte au SO de la CGT. Pendant qu'une infirmière me recousait, les deux « camarades » poltrons continuaient à rire dans la salle d'attente. Le pire allait s'ensuivre. Lorsque je me présente à la réunion de section de l'orga le mercredi suivant, je m'assieds. On me regarde un peu narquoisement. La "camarade" Maiella remarque : « je ne comprends pas, on sait que Jean-Louis est du genre agressif ? ». Je reste bouche bée, et l'orga passe à l'ordre du jour. Idem au boulot, un collègue, connu pour sa bêtise, s'approche de moi : « et bien moi je te mettrais bien un coquard sur l'autre œil ! ». Bon re bouche bée! Avec le recul je me suis longtemps reproché de ne pas avoir quitté la salle de mes « camarades » ou giflé Maiella, et mis mon poing dans la gueule à ce connard de Richard.

lundi 17 octobre 2022

LES MOBILISATIONS BIDONS DE MELANCHON ET DE LA CGT



« C’est sans compter sur le fait que les grévistes sont les porte-parole de beaucoup d’autres salariés ». Libération

RAFFINERIES : « on s'est fait voler la mobilisation » !

Avant la manifestation des troupes (hétéroclites) de Mélenchon, et sans qu'on ne fasse le lien entre cette faction bourgeoise qui aimerait bien récupérer le leadership perdu du PCF d'antan, la grève des raffineries restaient dans toutes les têtes comme l'événement important, et personne ne croyait vraiment qu'elle serait récupérée par cette faction populiste et écolo-fémino-bobo.

Les leçons d'une grève en perte de vitesse apparaissaient déjà clairement. C'est un article de Libération qui, intelligemment, mit le doigt sur l'essentiel :

« Car la veille au soir déjà, lors de l’assemblée générale de 22 heures, peu de mains s’étaient levées au moment de voter la reconduite du mouvement. Les représentants syndicaux accusent la surmédiatisation et la récupération politique du mouvement d’avoir entamé la motivation des grévistes, qui se sentiraient dépassés par l’impact national de la grève. «Les hommes politiques profitent de la vague du mouvement pour s’exprimer, faire avancer leurs idées, mais aussi tout de même pour nous soutenir, essaie de désamorcer Pascal Servain, président de la Fédération nationale des industries chimiques CGT. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. (…) Reste que pour beaucoup de salariés, après 23 jours de grève, l’absence de salaire commence à se faire sentir, et le blocage des négociations entame leur motivation. Alors même que le niveau de la caisse de grève n’a jamais été aussi haut. «On a l’impression que ça ne bouge plus», lance l’un d’eux à un représentant syndical. «Mais si, la grève est devenue nationale», répond celui-ci, qui concède tout de même un sentiment de se «faire voler la mobilisation» ».

Le résumé de la dévitalisation de la grève est un grand classique. Pendant quinze jours médias et gouvernement font le black-out sur la grève (la prenant pour de la merde) et, avec arrogance, se moque de l'inquiétude des « automobilistes » (cette race d'électeurs à pétrole), pensant que les braves d'en bas finiraient par plier. Bernique ! Et ce qui est fabuleux c'est qu'il s'agit en effet d'une grève d'une minorité... des dizaines de prolétaires qui peuvent bloquer les manettes au plan national ! Ce qui démontre l'incroyable force de paralysie de la classe ouvrière. Mieux, alors que gouvernement et journalistes, plus putains les uns que les autres, déversent leur boue les « automobilistes » (derrière la plupart des automobilistes se trouvent des prolétaires) se sentent représentés par ces mêmes grévistes et de mille façons leur assurent leur soutien. On peut même déjà ajouter que le dégueulis gouvernemental quotidien n'a  fait que gonfler la volonté de manifester  aujourd'hui ! Mélenchon fut invisible jusqu'à la manifestation plombé par les ridicules accusations de sa folle du logis. Il pourrait remercier Macron et ses larbins.

Entre-temps, la CGT a continué à se la jouer radicale, dénonçant la mascarade des négociations.. Alors que, naturellement, les grévistes ont été épuisés par quinze jours de grève dans l'isolement (c'est au début et immédiatement qu'il faut appeler à l'extension, leçon toujours régulièrement oubliée) les bonzes viennent pérorer charitablement qu'il ne faut pas être inquiet de « cette baisse de motivation », car la CGT va se charger de les « remobiliser »... Un bonze de Seine-Maritime invente une extension aussi improbable que ridicule :«Les réquisitions ont créé une forte colère, et ça va créer une extension des appels à la grève, dans plusieurs secteurs, par réaction.»

Ce n'est pas vrai que les réquisitions ont créé une forte colère, la résignation était déjà là. Et, comme l'ont fort bien dit des ouvriers : « on s'est fait voler la mobilisation » ! Certes sans préciser, à moins que les ciseaux du journaliste de Libération aient tronqué la chose : car c'est bien la mafia CGT qui a « volé la mobilisation » et pas le Saint Esprit : c'est sa fonction sans laquelle ses permanents ne seraient pas rétribués par le gouvernement. Mardi les pompiers sociaux achèveront leur sale boulot avec leur « grève générale » de pacotille. Pis la mafia CGT n'ayant pas peur de plastronner « dur », avait annoncé « l'insurrection » pour...vendredi dernier ! Du moins fallait-il s'attendre à « une situation insurrectionnelle » ! On en reste encore estomaqué ! Lénine lui aussi en est resté dans son sarcophage en verre sous mausolée. Même LO, via son ouvrier bonze Mercier n'a pas osé user d'un tel langage[1]

Mais le plus génial pour saboter une grève, démolition subtile habituelle de la mafia CGT - et la plus sûre manouvre pour décrédibiliser la lutte de classe, c'est déclencher ou encourager les grèves au moment des vacances! Ce coup-ci c'est parfait, surtout que sans carburant, le moment tant attendu de repos pour les travailleurs, est bouzillé, merci la CGT! Or l'extension n'est pas simplement un simplisme ouvriériste mais doit "généraliser" le succès auprès de l'opinion  - en sachant que ce terrain est assez bien maîtrisé par les putes journalistes - et, dans le cas d'espèce c'est bien foutu, surtout si mardi la CGT prolonge les dégâts. L'extension c'est aussi et surtout rendre la lutte populaire. Avec l'impopularité entretenue, les menteurs de la CGT pourront dire en conclusion: "la CGT a été persécutée alors qu'elle défendait les graèvistes sous les coups de la censure et des attaques des médias". A la prochaine!

Gageons que si Martinez prenait le pouvoir il ne saurait pas quoi en faire. Une véritable grève générale ne se décrète pas et ne se décrétera jamais.

Idem pour les ambitions enfuies de Mélenchon. Il y avait du monde certes à sa manif, mais surtout devant. J'ai calculé qu'on était au moins dix mille personnes hors de l'encadrement du défilé mélenchonien, soit un tiers de la manif totale que j'ai observé se dérouler jusqu'à son terme place de la Bastille. Une foule de gens, hétéroclites, jeunes petits-bourgeois, papys gauchistes sur le retour, qui ne se sentent nullement représentés par les nuls de la Nupes et ses folles. Au cours de multiples discussions le long du parcours – on discute plus en manif que enfermé dans une usine et la discussion prend plus rapidement un tour politique – j'ai vérifié que les gens étaient surtout là pour manifester leur colère, tout en discutant aussi de luttes qui touchent plusieurs autres pays, et, sous ma pression insistante, reconnaissant que la guerre accélère la crise économique et devient de plus en plus la cause de la misère.

Le cortège derrière la clique politique mélenchonienne était surtout composé d'agités du bonnet, diverses sectes trotkiennes, dansant et lançant des slogans stupides ou inappropriés (« non au fascisme!?). Je souligne car, devant il prédominait une certaine sérénité et une joie de marcher ensemble ; avec quelques slogans crétins aussi : « crs/ss », « tout le monde déteste la police » (pour la rime), quand d'autres avaient ma sympathie : « laissez-nous manifester », « révolution »... Le portugais de Figaro, Vincent Trémolet de Villers – qui a piqué mon idée dans les commentaires que je leur fais ou parce qu'il a un œil sur mon blog – résume assez bien un mouvement de bobos :

« Certes, le cortège entre Nation et Bastille n’était pas ridicule, mais il faut déjà avoir connu Nuit debout et les marches climat pour mêler en une même manifestation le slogan d’Intermarché, «Tous unis contre la vie chère», et celui de Greta Thunberg contre l’inaction climatique ».(...) Mélenchon le sait très bien, qui a voulu dépasser cette faiblesse constitutive par la dynamique de l’union et l’invention dans les urnes d’un autre peuple, composé de diplômés précaires, socialistes en déshérence, minorités urbaines, immigrés des banlieues islamisées. Une application radicale de la stratégie Terra Nova, utilisée par François Hollande en 2012. Cela donne une force politique conséquente, mais certainement pas une force populaire. C’est le paradoxe du moment que nous vivons ».

 

Déroulement

La manif  n'a pas eu un long parcours et fut très lente, les CRS freinant tous les cent mètres. Les manifs rapides seraient-elles plus violentes ? Atmosphère bon enfant avec une certaine joie comme je l'ai déjà dit. J'étais venu surtout pour me payer Sandrine Rousseau et lui faire honte face à ses admiratrices (mais de moins en moins d'admirateurs), la dame n'a pas montré son museau ni sa victime le grand rouquin (à qui j'ai apporté mon soutien par mail, sa secrétaire m'a remercié). Par contre, et cela la télé ne vous l'a pas montré, un groupe de jeunes s'est mis à conspuer au passage la poignée de députés Nupes juchés sur la nacelle du camion : « pourris », « vendus », etc. une partie de ceux qui avaient dû probablement aussi conspuer la pimbêche Rousseau.

Je suis resté un long moment sur la place pour observer avec mon ami Brahim, et nous étions assez d'accord sur la composition du défilé et sur une conscience de classe assez sensible dans les comportements.

Un incident devait provoquer ensuite autour de moi une petite AG. Un groupe de jeunes étaient en train de mettre le feu à une poubelle fixe de la ville de Paris. J'interviens immédiatement et je leur dis d'arrêter de faire les cons. J'enjambe la corbeille et j'écrase le feu avec mon pied. Aussitôt je suis entouré par un groupe de jeunes, que je pris d'abord pour des lycéens ou des étudiants.

        pourquoi vous faites ça, on se révolte..

        c'est pas ça la révolte, vous allez permettre aux flics d'intervenir plus vite (les CRS le lon du mur en face, chargeaient dès qu'ils recevaient un fumigène ou un pétard de carnaval).

Le ton monte :

        t'es du côté de la police ?

Le tutoiement n'est pas le fait des jeunes, ni une agressivité redondante, mais de vieux machins, têtes chenues ou dégarnies dont vous pouvez deviner le passé politique. Je leur réponds que c'est pas malin de soutenir des actes anarchistes. Ensuite puisque le principal ennemi pour ces gens-là est la police, je jette un peu d'huile :

        mais la police c'est des prolétaires comme nous, s'ils font des conneries ils peuvent être licenciés !

Un vieux croûton plus véhément encore, gesticule :

        en 68 tu devais être aux côtés des flics.

Mon argumentation est courte :

        pauvre con. Mais dites-vous bien tous (le cercle s'était élargi autour de moi) que la police aujourd'hui (sauf la PJ et les CRS) n'est plus la même qu'au 19e siècle, une large partie de leurs activités confine au social, ils servent souvent d'assistante sociale, de protecteurs de vos maisons...

Le vieux croûton gesticule encore plus mais je ne comprends pas ce qu'il me dit, je lui balance :

        quand ta fille se fait violer t'es bien content d'aller porter plainte !

Il continue à m'invectiver, et j'en rajoute :

        dites-vous bien que si un jour on va vers la révolution, dans la période de transition il faudra encore une police... et si je deviens commissaire de police je ne vois pas pourquoi on se passerait des bons professionnels de la police, qui seront capable de nous rejoindre, plutôt que d'en prendre parmi vous capables de faire des abus comme on l'a vu dans plusieurs révolutions.

J'ai les lèvres sèches. Je cours à la fontaine à l'entrée du métro. J'entends : « ouais fuit!). Je fuis pas, je reviens. Là c'est une femme de la quarantaine qui s'en prend à moi parce que j'avais dit que la poubelle était un bien public :

        on s'en fout, le bien public n'existe plus !

        Et, dis-je, c'est qui qui va venir réparer ? Les ouvriers de la ville de Paris !

        Je m'en fiche, je suis parisienne et je paie mes impôts !

        T'es une vieille bobo !

        Moi une vieille bobo ?(elle rigole)

Je réattaque sur la police, puisqu'il y a une autre vieille citrouille qui me tourne autour et qui me traite d'ami des CRS.

        écoutez-moi. Avant le covid j'ai participé à des manifestations où vos amis blacks bloc s'en prenaient aux femmes CRS, je leur ai dit : « tu peux insulter une policière dans sa fonction mais pas dans son statut de femme ».

La « vieille bobo » (en fait pas vieille mais plutôt belle femme) rugit, approuvée par la foule !

        c'est une salope !

        Ah oui c'est une salope... attends je vais aller trouver Sandrine Rousseau et elle vous fera un procès à tous pour mon plaisir !

Retour de mes présumés étudiants qui viennent « m'expliquer » que la violence est nécessaire dans toutes les révolutions, et moi bonne pomme de répondre :

        mais bien sûr, mais à un autre niveau, pas à celui d'un feu de poubelle. Je vous concède que j'ai fait les mêmes conneries que vous en mai 68 parce que j'étais jeune...

- alors vous voyez, laissez- nous faire notre expérience...

Deux d'entre eux sont plus capables d'argumenter, et mon ami Brahim, hostile à toute violence s'occupe de l'un et moi de l'autre. J'en suis presque à m'excuser d'avoir pris la même place des vieux cons qui me morigénaient en 68... Mais quand la discussion en vient au point politique je deviens méfiant face à cette innocente approbation d'une violence urbaine « révolutionnaire ». Mon vis-à-vis me fait le coup du tous ensemble et de la priorité de la question écologique à tous points de vue. Je fais le rabat-joie en lui démontrant que la première pollution à dénoncer c'est la guerre et que le bla-bla écolo sur la pancarte de la manif c'est comme le patriotisme en 14, tout le monde pouvait le partager mais pas avec les mêmes conséquences, qu'il m'explique pourquoi on va priver de voitures les ouvriers avec cette « géniale » voiture électrique ?

L'autre s'en mêle et veut « m'expliquer », il me demande de «réfléchir »... faut jamais me dire çà :

        je t'interdis de me dire de « réfléchir »... je réfléchissais déjà quand tu étais dans le ventre de ta mère ! Vous ne connaissez rien à la lutte de classe, vous parlez d'un « tous ensemble » dont cette manif serait le prototype ! C'est des conneries, seule la classe ouvrière représente une conscience et une volonté collective.

Comme l'autre partie du public me demande (hé hé classique mon cher Watson!) « quoi faire ? », comme disait la momie de Moscou, je réponds que le processus révolutionnaire c'est sur la base d'AG où vous serez capables de ne pas vous laisser voler la décision par les bureaucrates syndicaux...

Mais je parle dans le vide, un manifestant vient me chuchoter à l'oreille que nos deux lascars sont des cadres, l'un journaliste et l'autre, manager (celui qui m'avait dit de réfléchir). Ainsi nos défenseurs de feu de poubelle n'était pas si naïfs qu'ils paraissaient. La belle bourgeoise, fairplay, vint par contre me serrer la main en souriant.

Le manager vient nous donner ensuite une précision importante concernant l'incendie de poubelle, c'était un "camarade" qui était en train de brûler son uniforme noir de black bloc et son sacs à dos pour ne pas se faire prendre par les flics. Je réponds: alors allez vite chercher une autre allumette, je dirai rien.

L'OMBRE DU PARTI VIRTUEL DE CLASSE 15 JOURS APRES

Rien ne laissait à penser que le CCI (Révolution Internationale en France) se souciait d'aider les travailleurs en lutte des raffineries. Attentisme pendant les 15 jours du silence radio gouvernemental ? Le vent soufflerait-il au cours de la troisième semaine?

Après nous avoir donné une analyse enchanteresse des grèves dans la Perfide Albion, brisées par un cercueil royal, et présumées être la réponse « de classe », quoique économique et corporative, à la guerre en Ukraine, on nous diffuse ce même tract à la manif mélenchonienne mais pas le dernier, plus modeste et raisonnable … normalement, dans le marxisme, c'est ce qui est nommé opportunisme. Sans doute que le titre du dernier tract allait trop dans le sens de la mystification d'une pseudo extension syndicale ?

        « Grèves dans les raffineries françaises et ailleurs... La solidarité dans la lutte, c’est la force de notre classe! »

Tandis que l'ancien faisait sans doute plus internationaliste et plus « anti-guerre » ?

        « L'été de la colère au Royaume-Uni : La bourgeoisie impose de nouveaux sacrifices, la classe ouvrière répond par la lutte ». Ouais, mais pas sans embûches et pas au niveau politique où on pouvait l'espérer.L'opportunisme essaie ensuite de se justifier a posteriori pour justifier...qu'il a toujours raison (mais en oubliant la faute sur la guerre », on parle même de « workers » au lui de travailleurs sans doute pour faire plus chic :

« La montée palpable de la colère et de la combativité dans de nombreux secteurs en France, ces dernières semaines, n’est donc pas une surprise. Elle s’inscrit, en effet, dans une dynamique plus large, plus ample, dans une dynamique internationale dont l’indice le plus significatif a été la lutte menée cet été (et qui continue) par les workers au Royaume-Uni. Dans notre tract international du 27 août nous écrivions ainsi : « Il s’agit du mouvement le plus important de la classe ouvrière dans ce pays depuis des décennies ; il faut remonter aux immenses grèves de 1979 pour trouver un mouvement plus important et massif. Un mouvement d’une telle ampleur dans un pays aussi important que le Royaume-Uni n’est pas un événement “local”. C’est un événement de portée internationale, un message aux exploités de tous les pays. […] Les grèves massives au Royaume-Uni sont un appel au combat pour les prolétaires de tous les pays ». Depuis, les grèves en Allemagne ou celles annoncées en Belgique, par exemple, n’ont fait que confirmer cette tendance ».

Ce deuxième et dernier tract est pourtant plus lucide que l'enthousiasme du premier, n'est paq mégalomane du tout comparé à sa secte concurrente, mais sans voir que l'extension aux autres secteurs n'est pas naturelle mais concerne des bastions CGT :

« Pour autant, la classe ouvrière fait face à une véritable faiblesse : le morcellement de ses luttes ».

Ce qui n'empêche que je suis d'accord avec la conclusion de ce deuxième trac, hélas non diffusé ce dimanche. Conclusion déprimante, me direz-vous, pas vraiment puisque les prolétaires peuvent et pourront constater partout qu'on cherche sans cesse à leur « voler leur mobilisation » !

 « ..aux micros de BFM TV, le leader de la CGT, Philippe Martinez ne veut surtout pas de mouvement unitaire de la classe. C’est pourquoi en brandissant la « grève générale », il orchestre la multiplication des actions locales : « Il faut que dans toutes les entreprises, on discute d’actions et généraliser les grèves. Cela veut dire qu’il faut qu’il y ait des grèves partout ». En clair : les syndicats organisent la division et l’éparpillement, entreprise par entreprise, sous couvert de « généralisation ».

La mobilisation des troupes mélenchoniennes ne pouvait aucunement voler celle des ouvriers en grève, mais elle peut jouer un rôle de consolation vu ce que la CGT va faire subir comme mensonges mardi, en craint qu'elle seule a été persécutée par les médias et les méchants patrons.

 

PS : j'ai évidemment parcouru les tracts des diverses sectes présentes = zéro, que des suivistes libidineux de la bonzerie syndicale


[1]Sur BFMTV, Jean-Pierre Mercier, porte-parole de la CGT Stellantis dévoile une visioconférence qui s'est tenue ce matin."On a convenu d'appeler l'ensemble des salariés du groupe à se mettre en grève le 18 octobre", indique Jean-Pierre Mercier.Le responsable syndical poursuit en expliquant que ce mouvement avait vocation à s'inscrire dans la durée."Les grévistes des raffineries ont ouvert une brèche. Ils ont brisé le tabou des augmentation de salaires".