PAGES PROLETARIENNES

samedi 10 septembre 2022

Après la mort de la reine, le royaume désuni...



« Votre devise : je doute de tout »

Marx (réponse au questionnaire de sa fille)

« Avoir une monarchie à côté, c’est un peu comme avoir un voisin qui aime vraiment les clowns et qui a recouvert sa maison de peintures murales de clowns ». Patrick Freyne (écrivain irlandais)

On s'y attendait à ces funérailles surexposées, obcènes de courbettes aux derniers potiches de la noblesse parasite. On s'y attendait à ces condoléances de tous les brigands impérialistes (Poutine est resté sobre). Mais la joie a éclaté ailleurs.

     Le jeudi 8 septembre, ce ne sont pas les cloches qui ont sonné en Irlande du nord mais plutôt les klaxons. L'annonce de la mort de la reine d’Angleterre fût vécue comme une fête, à Derry en particulier ; à l'endroit même du « bloody sunday » où en 1972, l'armée britannique (occupante) avait tué quatorze personnes Scènes de liesse aussi à Dublin, au cours du match de la Ligue Euopa, avec le chant détourné du groupe américain KC&the Sunshine Band : « Lizzy in a box » (= Lizzy dans son cercueil).

     La presse mondiale déférente n'a pas répercuté non plus des réactions similaires des peuples des Dominions, qui ne sont pas restés privés de mémoire. La gauche bobo pro-US ne cesse de reprocher à la bourgeoisie française son passé colonial, mais la britannique la surpasse jusqu'à nos jours, avec un racisme récurrent et non déguisé. Les richesses engrangées par la famille royale parasitaire proviennent en grande partie de l’esclavagisme issu du commerce triangulaire durant plusieurs siècles. Tout comme la construction ou la rénovation de certains bâtiments royaux grâce à l’argent de la traite négrière, à l’instar du Palais de Kensington à Londres, la résidence officielle du prince William et de sa femme Kate. Un objet de scandale a rappelé récemment l'hypocrisie typiquement british. Sur un terrain de football situé dans le quartier de Kingston, ce deux membres de la famille royale avaient suscité l'indignation après qu’une image les montrant en train de serrer des mains à des noirs à travers un grillage eût été publiée. Alors même que la visite de Kate et William était tournée autour de l’idée de reconnaissance du passé esclavagiste de l’Empire britannique et du désir d’émancipation vis-à-vis de la couronne britannique.

Un désir d'émancipation qui, à la fois va être le principal souci de la bourgeoisie anglaise mais en même temps une arme essentielle contre la classe ouvrière, et pas seulement les syndicats comme le croit le CCI, exagérément enthousiaste sur les possibilités offertes aux nombreuses grèves pour l'heure tétanisées par la funéraille royale. Comme en Ukraine, ou ailleurs en Europe, la bourgeoisie va se servir à fond de la fibre nationaliste pour « garantir l'unité du pays ».

Australie, Nouvelle-Zélande, Jamaïque, Belize, Grenade... vont ruer dans les brancards (Elisabeth aimait beaucoup les chevaux mais ils vont hennir désormais!). Une quinzaine de pays dans le monde restent des monarchies constitutionnelles rattachées à l'Angleterre, qui ont pour dirigeant désormais du petit et vieux Charles IIII, après plus de 70 ans de règne de la potiche déguisée Elizabeth II. L'Angleterre a cédé la domination du monde à l'impérialisme US depuis 1945, donc sa domination des dominions n'en a plus été que relative. Dans le contexte actuel de pré-guerre mondiale, les concurrents russes et chinois ne peuvent que se réjouir de l'avancée par un royaume désuni.

     Malgré cet élément supplémentaire du chaos grandissant, la bourgeoise anglais, qui reste la plus intelligente du monde, comme Marx l'avait constaté intra muros, est capable de jouer des situations les plus paradoxales. La crise politique, ne date pas d'hier, avec un système parlementaire à bout de souffle. Comme en France, le système bipartite (droite/gauche) si efficace pendant les trente glorieuse quand a tourné au face-à-face stérile entre deux vieux partis qui radotent et délirent finalement au même niveau de pâquetttes que les clans des deux M en France. Même avec la farce du Brexit, la classe ouvrière en particulier comporte désormais autant d'abstentionnistes qu'en France. Aucun clan bourgeois n'apparaît crédible pour l'avenir de la société.

Liz Truss (trust?) n'apparaît, malgré son exhibition avec les mêmes chemises que feu Thatcher, que comme un doublon du clown Johnson. À l’arrivée au pouvoir de Liz Truss, la livre sterling chutait à son plus bas niveau face au dollar depuis 1985. «Le Royaume-Uni ressemble de plus en plus à une économie émergente», a déclré Christopher Dembik, économiste de Saxo Bank. Les échanges avec l’Union européenne, son premier partenaire commercial, ont plongé d’environ 15%. L’investissement flanche, la productivité stagne. Les pénuries de main-d’œuvre, faute de l’abondante réserve des immigrés européens qui a disparu, contribuent à exacerber l’inflation (10,1% en août), un peu plus forte que dans la zone euro. Celle-ci qui pourrait atteindre 18% voire 22% l’an prochain, selon les prévisions d’économistes. De plus une large partie de la bourgeoisie ne veut plus de l'immigration extra-européenne, comme l'avait manifesté sans scrupules Boris Johnson.

Le gouvernement britannique souhaite évidemment réduire le nombre de sans-papiers présents sur son territoire, l'accord signé avec l'Etat rwandais a également pour but de dissuader ceux qui souhaiteraient venir dans le futur. "S'ils empruntent cette route, avait expliqué en début d'années Boris Johnson, s'ils traversent illégalement la Manche sur ces bateaux, ils risquent de se retrouvent non pas au Royaume-Uni mais au Rwanda". Cette mesure, déjà proposée à la veille de son élevction, était évidemment destinée à la classe ouvrière qui, comme en France, est choquée de ces « arrivages »alors que chômage et misère se généralisent ici aussi. Tout porte à croire que Lizzy Trust n'y changera rien.

DES PARALLELES HISTORIQUES TROUBLANTS

Autant la situation actuelle de pré-guerre mondiale et de probable accident nucléaire, fait penser à la période de non-intervention au moment de la guerre d'Espagne, autant, avec ses différences comme je l'ai souligné dans mon article précédent, la comparaison avec l'immigration irlandaise de naguère, nous renvoie aux analyses du génial Marx.

     Dans une fameuse lettre Marx revenait sur l’importance de l’Irlande pour l’aristocratie et la bourgeoisie britannique, non seulement du point de vue des privilèges économiques qu’ils en tiraient mais aussi du rôle que l’oppression des irlandais jouait dans la division de la classe ouvrière en Grande-Bretagne. Selon lui, le « renversement de l’aristocratie anglaise en Irlande aurait pour conséquence nécessaire son renversement en Angleterre, de sorte que nous aurions les conditions préalables à une révolution prolétarienne en Angleterre ». On voit mal aujourd'hui comment un renversement de l'Etat rwandais !

Marx voyait donc dans la question nationale irlandaise un préalable de la révolution prolétarienne dans le pays capitaliste le plus développé de l’époque. C’est pour cela qu’il considérait fondamental que l’Internationale consacre une spéciale attention à la lutte contre l’oppression du peuple irlandais et qu’elle fasse un travail de propagande et d’éducation de la classe ouvrière anglaise sur cette question. Sur cette question, avec un raisonnement qui nous paraît alambiqué et faux, Marx a induit en erreur ses partisans trotskiens en particulier ; car, autant la question nationale était liée au XIXème à l'émancipation de classe, autant elle est devenue une fourberie des divers camps impérialistes.

Marx constatait par contre dans sa lettre un obstacle (qui s'est pérennisé hélas) la division de la classe ouvrière de l'époque : comment les préjugés contre les irlandais de la part des ouvriers anglais finissaient par renforcer leur propre oppression.

Marx ne considérait pas que la vie commune d’ouvriers de différentes nationalités dans le cadre du même Etat signifiait mécaniquement leur unité. Marx était profondément internationaliste, il considérait l’unité des ouvriers du monde entier indispensable, sans la croire automatique. Pourtant il invente pour l'Internationale un concept géopolitique jamais vérifié et faux (on n'a jamais vu un pays sous-développé enclancher la révolution dans une puissance industrielle... sauf en Russie 1917) concernant la question Irlandaise : « Étant la métropole du capital et dominant jusqu’ici le marché mondial, l’Angleterre est pour l’heure le pays le plus important pour la révolution ouvrière ; qui plus est, c’est le seul où les conditions matérielles de cette révolution soient développées jusqu’à un certain degré de maturité. En conséquence, la principale raison d’être de l’Association internationale des travailleurs est de hâter le déclenchement de la révolution sociale en Angleterre. La seule façon d’accélérer ce processus, c’est de rendre l’Irlande indépendante ».

Par contre, toujours dans cette même lettre, Marx constate justement un état des lieux déplorable dans la classe ouvrière de ce pays dit « le plus important pour la révolution ouvrière » :

     « Ce qui est primordial, c’est que chaque centre industriel et commercial d’Angleterre possède maintenant une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles : les prolétaires anglais et les prolétaires irlandais. L’ouvrier anglais moyen déteste l’ouvrier irlandais en qui il voit un concurrent qui dégrade son niveau de vie. Par rapport à l’ouvrier irlandais, il se sent membre de la nation dominante et devient ainsi un instrument que les aristocrates et capitalistes de son pays utilisent contre l’Irlande. Ce faisant, il renforce leur domination sur lui-même. Il se berce de préjugés religieux, sociaux et nationaux contre les travailleurs irlandais. Il se comporte à peu près comme les blancs pauvres vis-à-vis des nègres dans les anciens États esclavagistes des États-Unis. L’Irlandais lui rend avec intérêt la monnaie de sa pièce. Il voit dans l’ouvrier anglais à la fois un complice et un instrument stupide de la domination anglaise en Irlande ».

Constat navrant mais réel, et, me direz-vous, comme la triste complicité de la classe ouvrière russe avec Poutine. Lors de plusieurs séjours en Angleterre depuis les années 1970, j'ai pu constater que le mépris vis à vis des irlandais était toujours vivace, alors pour les migrants... je vous dis pas.

Puis Marx va au fond des choses :

« Cet antagonisme est artificiellement entretenu et développé par la presse, le clergé et les revues satiriques, bref par tous les moyens dont disposent les classes dominantes. Cet antagonisme est le secret de l’impuissance de la classe ouvrière anglaise, malgré son organisation. C’est le secret du maintien au pouvoir de la classe capitaliste, et celle-ci en est parfaitement consciente ».

Ce passage contient d'abord une erreur. L'antagonisme est présent dans la classe ouvrière bien avant que la propagande bourgeoise ne s'en saisisse. Ensuite Marx, contrairement à ses adorateurs religieux ne croit pas la classe ouvrière infaillible ni perpétuellement menaçante, il note cette impuissance de la classe ouvrière, sans ajouter « du fait de sa propre division » et avec l'idée simpliste qu'il ne s'agirait que d'une simple manipulation des puissants. Marx est parfois d'une naïveté confondante.

La période post-Elisabeth II est évidemment complètement étrangère aux supputations loufoques de Marx, de plus avec une immigration qui ne se considère pas comme membre de la classe ouvrière et arrive avec dans ses bagages le folklore islamique. L'argument de la crise économique éveilleuse de conscience de classe a de fortes chances d'être amoindrie par un nationalisme revivifié de toutes parts. La volonté de réarmement à outrance des bourgeoisies anglaise et française, et sous prétexte d'offrir « des emplois » viendra aussi adouber ce nationalisme, s'appuyant sur les massacres en Ukraine.

En Irlande du Nord, le Sinn Féin catholique, républicain, partisan de la réunification avec la République d’Irlande, a remporté les élections locales de mai dernier. Même au pays de Galles, on conteste la suprématie de l’Angleterre, qui concentre 85% de la population et la part du lion des richesses. La tournée que Charles III doit entreprendre très rapidement à travers les quatre nations pour se faire adouber par ses sujets n’est donc pas une simple obligation protocolaire ni assurée de limiter le chaos.

«La succession à la tête de la monarchie sera une période très délicate. Les plaques tectoniques du Royaume-Uni sont en train de s’écarter. Et ce n’est pas en raison du nationalisme écossais, irlandais ou gallois, mais en réaction à un nationalisme anglais», analyse Gavin Esler, chancelier de l’université du Kent, auteur du livre How Britain Ends.





lundi 5 septembre 2022

COMMENT SE DIFFUSAIENT LES IDEES SOCIALISTES NAGUERE ?

 

Par Georges Haupt (Emigration et diffusion des idées socialistes, l'exemple d'Anna Kuliscioff, 1978)

« Nous nous battons contre Franco mais nous nous battons aussi contre Moscou... si tu te fais enrôler dans la Brigada, faudra pas les laisser se battre contre nous. Ils voudraient instaurer la dictature de la police secrète, tout comme a fait Franco. Nous avons à nous battre sur deux fronts pour protéger notre révolution ».

John Dos Passos (in Libertad de Dan Franck, livre de poche en 2004, fabuleux ouvrage que tout jeune révolutionnaire devrait avoir lu pour comprendre les années trente)

« La musique était destinée à remplacer la religion »

Peter Townshend (compositeur du groupe The who)

Introduction :

L'anticapitalisme woke et l'immigrationnisme des islamo-gauchistes s'assoient évidemment sur toute réelle conception communiste pour changer le monde, sous le discours patelin et simpliste d'un Mélenchon racoleur d'étudiants bobos avec sa « créolisation » d'un marxisme de bistroquet. Remarquons au passage que notre picrocholin milieu maximaliste répugne à user du vocable islamo-gauchiste ; par peur de reprendre un concept qui serait d'extrême droite ? Ou pour ne pas s'attirer l'ire de leurs rivaux gauchistes ?

On s'en fout. Chaque jour ces cuistres valident eux-mêmes ce qualificatif. Pour le prouver qu'il me suffise d'évoquer la non expulsion rocambolesque du curé musulman Iqioussen. Nos gauchistes vedettes ne soutiennent bien sûr pas les crimes terroristes (peut-être en privé comme hier leurs pères soutenaient les attentats du FLN). Non il y va de la subtilité électoraliste, et sous couvert présumé d'une présumée solidarité internationaliste. Membre du cartel mélenchonien, David Guiraud dénigra quant à lui cette décision du Conseil d'État, qui «contredit» celle du tribunal administratif, et «ouvre grand la porte aux expulsions arbitraires». Le 31 juillet, cet élu LFI publiait un communiqué estimant que cette expulsion équivalait à «imposer la double peine en France», dénonçant des «décisions arbitraires et antidémocratiques» et des «procédures douteuses» qui mettraient en danger l'État de droit. Les déclarations de cet élu provincial loin de la clique du gourou, a entraîné une rectification aussi confuse d'un bras droit du gourou sur le mode personnel qu'affecte désormais toutes les sectes politiques bourgeoises : ««Je ne soutiens pas les idées de M. Iquioussen, a-t-il assuré. Mais même le pire des individus dans notre pays est un sujet de droit.» Précisant son propos, Alexis Corbière a déclaré que, «quand il tient des propos (homophobes, etc.) [Iquioussen] devrait être condamné par la loi française».

Selon l'Insoumis, la procédure lancée contre l'imam est «une mise en scène politique». «La justice a été inexistante, insignifiante, il n'a jamais été condamné, mais d'un seul coup, pour des popos tenus dix ans auparavant, on organise [son expulsion]», a-t-il estimé, pointant du doigt la décision du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. 

La mise en scène est des deux côtés, mais le soutien critique est tout à fait la manière islamo-gauchiste, clin d'oeil évidemment aux nombreux électeurs musulmans créchant dans les « territoires perdus de la République ». Les plus minables restent les rigolos du NPA qui se sont joints à la ridicule manif contre l'expulsion du curé musulman, au demeurant propagateur de haine depuis belle lurette.

Cet aparté fait, il me faut prolonger ici cette caricature de solidarité « internationaliste », au nom de cet étrange « état de droit » bourgeois, pour répéter mon souci depuis longtemps : l'immigration n'est plus un vecteur de socialisme et ne l'a pas souvent été aussi, comme le rappelle Haupt. Il s'agit plus aujourd'hui qu'hier d'une fuite massive de populations face à la misère et aux guerres, et de populations qui ne sont plus blanches ni chrétiennes, avec une culture et des modes de vie différents : rien en soi de scandaleux sauf que le blocage de la décadence capitaliste fige toute modernisation de ces populations (terme que je préfère à intégration). Un exemple montre la bizarrerie et l'incongruité d'une équipe de foot constituée uniquement de joueurs noirs ; ce simple constat peut me valoir l'accusation de racisme par Sardine Ruisseau (et je l'emmerde) ; ce qui fait que malgré la suppression imbécile du mot race dans la constitution par Hollande, le racisme a plus encore le vent en poupe, comme le machisme avec la prétendue parité féministe... Sans oublier la dimension de scandale sexuel (inévitable pour des hommes privés de femmes) que la gauche bobo fait mine d'oublier, comme l'affaire Rochdale en Angleterre et les agressions sexuelles à Cologne en 2015 ; sans oublier les attentats de masse non commis par des danois. 

La question de l'immigration, désormais quotidiennement  liée à l'idéologie islamiste, est devenue une lourde question, qui dépasse les clichés d'antan et sert plus à faire peur et à réclamer une meilleure « sécurité » de la part de l'Etat bourgeois ; il faut être cons comme les électeurs des Nupes pour dénoncer le vote d'extrême droite des ouvriers peu sensibles à cet internationalisme transportant violeurs et futurs assistés sociaux. Par ailleurs, la grande majorité honnête qui peuple nos cuisines de restaurant, garages et chantiers du bâtiment, ne parleront jamais notre langue, restent quelques mois et retournent au pays sans même avoir fait jamais grève contrairement aux fabuleux ouvriers italiens et polonais d'avant guerre. De plus, en majorité ils restent porteurs de l'idéologie islamiste (grand bien leur fasse) mais ce mode de vie, obligeant les femmes à se voiler et à subir des règles alimentaires arriérées, n'est pas de nature à homogénéiser le prolétariat moderne dans toute sa diversité. Avec l'apparition du christianisme on pouvait tous manger à la même table... Enfin aucun média ne pose la question qui tue: pourquoi cette épidémie de terrorisme "individuel", qu'est-ce qui explique que ducon croyant décide de lui-même (donc même hors de sa secte religieuse) de tuer pour "venger" irrationnellement le prophète? (cf. concernant la petite Mila et Rushdie, dont on n'entend plus parler ni ne s'inquiète sur son état de santé): la connerie pure ou l'individualisme tueur exacerbé par la pourriture de l'esprit capitaliste? Cet individualisme qui m'assure que j'ai tous les droits même de tuer mon prochain? 

Les bourgeois bobos sont les plus cyniques, plus des ennemis du genre humain que l'extrême droite dérisoire, ils ne sont pas gênés dans leur sommeil que tant de personnes, journalistes ou personnes ordinaires doivent vivre en permanence sous protection policière. Ces fascistes de gauche pensent même que c'est bien fait, c'est de leur faute pour avoir "blasphémé" (obsession sémantique de l'arriération religeuse) et que cela reste du domaine des faits divers! De même ils font table rase, oubli facile, des massacres successifs, Charlie, Nice, Samuel Paty... La persécution généralisée sur internet avec menaces de mort systématiques, comme le pullulement de sites escrocs, ne gêne ni la police ni l'Etat qui ne font rien alors qu'il suffirait de fermer internet ou de bloquer tout connard islamiste ou non par des moyens sophistiqués qui restent réservés à notre flicage généralisé (comme par exemple le projet de nous placer une puce électronique sous la peau, chose inimaginable même pour Orwell).

On oublie de souligner enfin que c'est l'Etat bourgeois qui encourage l'officialisation de cette religion de haine (qui s'appuie sur l'individualisme bourgeois) bien plus efficace pour diviser les ouvriers que la CGT.

Sauf les bobos, personne ne se voile les yeux sur la place prise par l'idéologie islamiste en banlieue qui même si elle est « comprise » par la CGT et les démagogues de LFI, enfonce un coin dans le dos du prolétariat. Il ne faut surtout pas dénoncer cette idéologie de haine et de communautarisme réactionnaire pour échapper à l'invention terroriste du terme islamophobie.

Or, tout le mouvement ouvrier, à des degrés divers, depuis deux siècles s'est battu, un temps aux côtés des républicains, pour la destruction de tout Etat religieux ou Etat qui soutient les religions, comme celui de Macron, celui de Mélenchon et celui de tous les Etats terroristes dirigés par l'islam politique. Vu la domination de cet islam sur des millions d'hommes avec la soumission de leurs femmes, on n'est pas près de voir une révolution prolétarienne ou révolution tout court ; sans oublier l'inertie nationaliste du prolétariat russe.

Mais revenons à l'immigration à proprement parler. Elle n'est plus une migration au sens d'émigration du XIXème au début du XXème siècle, encore moins porteuse de l'idée socialiste ou communiste. De plus elle est totalement instrumentalisée par les Etats impérialistes, à plusieurs niveaux que je n'ai pas le temps de sérier ici. Un texte vient de nous être rendu accessible : La gauche communiste en Turquie dans les années 1920, encore traduit par notre infatigable Jean-Pierre Laffitte (je le communique à quiconque en fait la demande. Il montre comment ces militants turcs ont été intraitables contre l'islam, et en quoi cette idéologie est anticommuniste et devra être détruite avec son support capitaliste. Revenons à l'immigration internationaliste pour mesurer ce qui a été perdu.

EMIGRATION ET DIFFUSION DES IDEES SOCIALISTES

Paradoxalement, Anna Kuliscioff est en quelque sorte le prototype d’une époque et d’une génération de militants socialistes. Elle a milité en Russie puis en Italie à une époque cruciale pour l’histoire du socialisme, celle du passage de la Ière à la IIème Internationale. Le mouvement socialiste connaît une croissance et une extension accélérées. Il pénètre et prend pied dans tous les pays européens indépendamment du degré de développement industriel. Il s’uniformise également : les formes modernes qu’il revêt – parti et syndicats – se généralisent dans les années 1880, en un bref laps de temps. Le mouvement socialiste devient enfin plus homogène sur le plan idéologique : le marxisme conquiert une place hégémonique dans la IIème Internationale.

Le rôle et le poids de la génération socialiste qui émerge dans le sillage du séisme provoqué par la Commune de Paris, sont primordiaux dans ce processus. C’est dans ses rangs que vont se recruter jusqu’en 1914, les pionniers des mouvements socialistes, les fondateurs des partis ouvriers, leurs dirigeants et leurs cadres prestigieux. Or, à l’époque héroïque des années 1870-90, la liste des militants actifs à divers échelons dans les mouvements ouvriers de pays dont ils n’étaient pas originaires, est relativement importante, même s’il s’agit d’une minorité. Le problème ne réside pas dans le nombre. C’est le phénomène en soi qui est significatif. A cet égard, l’exemple d’Anna Kuliscioff rappelle opportunément aux historiens, l’existence de dimensions mal connues et pourtant non négligeables du mouvement ouvrier. Ainsi celle qui s’inscrit dans la problématique de la géographie du socialisme et qui pose la question des mécanismes de diffusion des idées socialistes sur le plan international, de ses centres de propagation, des moyens et des formes, donc des vecteurs des idées.

La diffusion des idées socialistes dans la seconde moitié du 19ème siècle s’effectue de manières variées. La forme et le contenu que revêt l’influence exercée, son mode de propagation et son intensité sont largement conditionnés par les données spécifiques des pays d’implantation, par le terrain social sur lequel elle agit. Ce qui n’exclut pas, surtout dans la phase initiale du mouvement, l’existence de foyers communs de propagation, de tout un système de circulation des idées socialistes, grâce à l’action de vrais agents de dissémination. Ce sujet est délicat, certes. Il a été largement exploité, déformé, dévalorisé même, après la Commune de Paris, par les adversaires de la Ière Internationale. Les autorités mettent la circulation des idées socialistes sur le compte d’une conspiration fomentée par l’Internationale. La chasse aux « agitateurs » bat son plein à travers toute l’Europe. A l’aide de fausses révélations, la presse alimente une campagne d’intoxication et forge des légendes tenaces. La police chargée de surveiller et de neutraliser les « agissements » de l’Internationale s’auto-intoxique par ses propres préjugés. De telle sorte que l’enregistrement policier du phénomène de propagation des idées socialistes et son interprétation deviennent une source de contresens des actions dues au hasard ou l’activité isolée des militants apparaissent à la lumière des rapports de police comme autant de maillons d’un vaste réseau de propagande et de menées subversives orchestrées et exécutées selon un plan concerté.

Tout au contraire, la diffusion des idées socialistes à l’époque est essentiellement un phénomène spontané. On peut néanmoins localiser trois foyers de propagation plus ou moins en rapport avec l’activité de l’Internationale : Paris, la Suisse, l’Allemagne. Paris est le creuset traditionnel des idées révolutionnaires, lieu privilégié de la formation des militants venus de tous les horizons ; la Suisse est le carrefour central, lieu de refuge et de contacts ; enfin, l’Allemagne devient le centre d’irradiation où une social-démocratie puissante connaît un rayonnement unique dans le mouvement international.

Comment les idées socialistes se diffusent-elles ? Qui les véhicule ? L’agent propagateur international le plus visible dans la phase initiale du mouvement socialiste est l’étudiant – catégorie à laquelle appartient Anna Kuliscioff – qui se rend dans les universités étrangères, à Genève, à Zurich, à Bruxelles, à Paris, à Montpellier ou à Berlin. Il y entre en contact avec les idées socialistes, fréquente le milieu socialiste, se familiarise avec la pratique du mouvement ouvrier. C’est surtout dans les pays économiquement retardés ou parmi les nationalités opprimées que les étudiants jouent un rôle actif de premier plan tout au long du 19ème siècle dans le mouvement révolutionnaire et, en prolongement, dans les mouvements socialistes naissants. Les pionniers et même les premiers dirigeants des mouvements socialistes de Pologne, de Roumanie, de Serbie, de Bulgarie se recrutent souvent parmi les étudiants qui ont fréquenté les universités étrangères. On rencontre aussi le phénomène inverse : les étudiants originaires d’un pays où le mouvement ouvrier est déjà développé déploient une activité théorique ou de propagande à l’étranger dans le cadre du mouvement socialiste qui se cristallise.
Mais l’activité des étudiants n’est que l’aspect apparent ou même l’image accréditée d’un phénomène beaucoup plus ample et souvent souterrain. Il s’agit en premier lieu de l’action déployée par deux catégories distinctes de porteurs d’idées, dont le rôle a été plus considérable qu’on ne le pense généralement : les exilés politiques et les ouvriers migrants. Ce sont les personnages familiers d’un siècle où l’absence d’entraves et de restrictions à l’entrée et à l’installation facilite la circulation dans la plupart des pays européens, l’exercice du métier restant libre. C’est aussi une époque où la répression politique, les persécutions policières accrues après la Commune de Paris, les lois d’exception contre les socialistes augmentent sans cesse le nombre des exilés politiques. Officiellement, les proscrits ne se chiffrent que par quelques milliers car seule une minorité d’entre eux se déclarent ou s’enregistrent comme réfugiés politiques ; la plupart n’en voient ni la nécessité ni l’opportunité.

Les exilés politiques sont au 19ème siècle les vecteurs classiques des idées révolutionnaires, à travers l’Europe et outre-mer ; ils restent en général d’une grande mobilité et d’une grande disponibilité à l’action partout où ils trouvent un asile, temporaire ou permanent. La dynamique de la diffusion des idées socialistes s’inscrit toujours dans le schéma classique d’un mouvement à double sens : d’une part, les réfugiés politiques diffusent leurs convictions dans les pays d’accueil ; d’autre part, ceux qui rentrent d’un exil forcé ou volontaire importent les idées et les expériences avec lesquelles ils se sont familiarisées. Les proscrits de la Commune, les militants socialistes allemands expulsés ou contraints de quitter leurs pays du fait des lois d’exception de Bismarck, les émigrés polonais et russes sont souvent des propagandistes actifs et se situent même à l’origine de la pénétration des idées socialistes dans les pays d’accueil.

Les révolutionnaires russes exilés, dont fait partie Anna Kuliscioff, occupent une place de choix pour une double raison : d’abord, l’étranger n’est pas pour eux simplement un lieu de refuge ; il est le cadre même de leur activité militante. C’est à l’étranger qu’ils créent leurs cercles, leurs organisations, aménagent leurs typographies, publient leur presse et leur littérature révolutionnaire (3). Ensuite, ils tentent de créer à travers toute l’Europe un vaste réseau de communication entre leurs divers centres à l’étranger et en Russie même. Or la nature même de leur activité les conduit à nouer des contacts multiples et à collaborer avec des socialistes de nombreux pays. Les révolutionnaires russes bénéficient de l’aide de leurs camarades étrangers qui leur servent de couverture, de boite aux lettres et même d’agents pour la contrebande de la littérature clandestine destinée à la Russie . C’est une des raisons pour lesquelles le révolutionnaire russe ne vit pas en vase clos à l’étranger mais prend une part active à la vie des organisations ou aux actions des mouvements du pays d’accueil. A travers toute l’Europe, de Londres à Jassy, ces Russes sont imbriqués dans les mouvements socialistes ou anarchistes. Lors de son séjour italien, Stepnjak-Kravčinskij – un des héros de la jeune Anna Kuliscioff – participe aux côtés de Malatesta à certains exploits anarchistes, notamment l’aventure de Beneventura ; à Londres, quelques années plus tard, il milite aux côtés de William Morris dans la Socialist League. Ou bien encore l’étonnant N.K. Sudzilovskij, alias Docteur Russel, dont on retrouve la trace dans le monde entier. Anna Kuliscioff a dû le connaître à Zurich en 1873 où il déploie son activité ; c’est en liaison avec Sudzilovskij qu’elle accomplira trois ans plus tard une mission qui consiste à faire passer clandestinement une typographie, obtenue en Suisse, en Russie du Sud. Entre 1875 et 1881, Russell-Sudzilovskij est en effet le principal organisateur du passage clandestin des révolutionnaires et de la littérature révolutionnaire russe à travers la frontière roumaine ; il devient aussi l’un des pionniers du socialisme dans ce pays de refuge temporaire. Expulsé de Roumanie en 1881, il sera bientôt éconduit aussi de Bulgarie pour ses menées subversives. Lev Dejč, le camarade d’Anna Kuliscioff, le retrouva en 1895 à Hawaï comme vice-président du sénat ; après l’annexion de l’île par les Etats-Unis, il se rend à San Francisco, puis en 1904 au Japon pour y déployer une vaste activité de propagande révolutionnaire parmi les prisonniers de guerre russes ; devenu conseiller de Sun Yat Sen, il joue un rôle actif dans la révolution chinoise de 1911.

Le rôle de ferment des exilés russes dans les Balkans est particulièrement frappant. En Roumanie, par exemple, les colonies révolutionnaires russes créées entre 1876 et 1881, vont regrouper les premiers éléments du socialisme roumain. Un de ces exilés russes, Konstantin Abramovič Katz, originaire d’Ekaterinoslav, devient sous le nom de Constantin Dobrogeanu-Gherea le pionnier et le théoricien le plus écouté du socialisme roumain. Le parallèle entre son passé révolutionnaire et celui d’Anna Kuliscioff est révélateur ; en outre, leur action dans le mouvement révolutionnaire russe dut s’entre croiser à plusieurs reprises.
Si l’on s’en tient aux seuls révolutionnaires russes qu’a connus Anna Kuliscioff, nous pouvons citer en France l’action de P. Lavrov dont 1’influence sur des socialistes français tels que Lucien Herr ou Jean Jaurès est notable. Après le tournant du siècle, c’est un autre immigré de Russie, Charles Rappoport, qui va jouer un rôle important dans le socialisme français, notamment pour la propagation du marxisme. Même dans un parti structuré, puissant, solidement implanté comme le SPD, le rôle des militants originaires de l’étranger, notamment de Russie et de Pologne, est considérable. Citons parmi les figures de premier plan, Parvus et Rosa Luxembourg (sans parler des K. Kautsky, A. Braun, R. Hilferding venus d’Autriche).

Bref, en tant qu’individus ou en groupe, de manière spontanée ou sous forme organisée, ponctuelle ou permanente, au gré du hasard ou en fonction d’un choix conscient, les émigrés, russes ou non, représentent à l’époque de la IIème Internationale un élément dynamique de circulation des idées. Ils sont surtout de précieux agents de liaison ou de communication. Même ceux qui s’établissent définitivement à l’étranger et jouent à différents niveaux un rôle dans le mouvement ouvrier du pays d’accueil, restent étroitement liés au mouvement de leur pays d’origine et témoignent d’une sensibilité particulière aux dimensions internationales du mouvement.
La biographie d’Anna Kuliscioff fournit l’illustration éclatante de l’action des deux catégories de vecteurs des idées socialistes sur le plan international : les étudiants et les exilés politiques. Privilégier son exemple comporte néanmoins un inconvénient majeur susceptible de rétrécir le contexte historique dans la mesure où reste reléguée dans l’ombre l’action d’un troisième groupe d’agents de propagation. Il s’agit du courant des immigrations ouvrières, infiniment plus ample, fondamentalement différent de nature, mais aussi plus complexe dans ses implications multiples.
Les migrations ouvrières deviennent à partir des années 70 un phénomène de masse, s’inscrivant dans un vaste mouvement de population déclenché par le développement du capitalisme, mouvement d’exode rural et interurbain qui se déroule ou se prolonge à la fois sur plusieurs plans, national, intereuropéen et intercontinental. Dans les dernières décennies du 19ème siècle, nous sommes en présence en Europe d’une sorte de population « nomade », nombreuse, hétérogène par sa composition socio-professionnelle et nationale, par ses motivations, ses aspirations et surtout par ses aboutissements.

Y a-t-il un rapport entre l’extension et l’homogénéisation du mouvement ouvrier international à la fin du 19ème siècle et le mouvement de migration de masse, ou bien s’agit-il d’une simple concomitance ? Du côté de la police dont les archives nous servent de source primaire, la réponse est si évidente qu’elle en devient suspecte. Le phénomène migratoire est perçu comme un danger de contamination des ouvriers autochtones, comme un bouillon de culture de la subversion : séparer le bon grain de l’ivraie est l’objectif visé. Le mythe des ouvriers migrants étrangers, agents de propagande des idées subversives, trouve son expression la plus accomplie dans les dossiers de police. En l’occurrence, ces archives sont souvent des pièges car la police opère avec des stéréotypes, « anarchistes », des concepts passe-partout, « agitateurs, meneurs », avec des obsessions, « la conjuration internationale », des préjugés contre des individus doublement suspects en tant qu’étrangers et en tant qu’ouvriers. Ainsi les ouvriers fournissent la plus grande partie du contingent d’étrangers expulsés de France en tant qu’anarchistes entre 1894 et 1906. Par nationalités, ce sont les Italiens qui viennent de loin au premier rang. Sur les 1 624 personnes de diverses nationalités qui figurent sur les états signalétiques des « anarchistes » étrangers expulsés de France [9] il y a 959 Italiens. On compte parmi les Italiens expulsés 726 ouvriers, 140 sans profession, 11 professions libérales, 82 agriculteurs. Sur les 726 ouvriers, ceux du bâtiment, au nombre de 93 dominent .

Les renseignements biographiques sur les ouvriers étrangers expulsés de France ou surveillés sont, d’une manière générale, lacunaires dans les fichiers de la police. Les données qu’elle a pu recueillir en ce milieu fermé et muet sont très succinctes, donc insuffisantes et inexactes. L’action politique des ouvriers étrangers est aussi beaucoup plus cachée et plus complexe que celle des migrants. L’exemple cité des ouvriers expulsés de France en tant qu’« anarchistes » n’a qu’une valeur indicative. L’ouvrier migrant, par sa place dans la production, par son expérience, est certainement un agent propagateur non négligeable pour l’époque. Mais à quel degré ? Pour certains contemporains de la grande dépression des années 1873-1895, l’émigration ouvrière constitue un aspect organique de la problématique de la diffusion et de l’internationalisation du socialisme.

Ainsi, Leone Capri, le premier à étudier le phénomène migratoire en Italie, soutient-il à propos des conséquences possibles de cette hémorragie : « On ne saurait nier que l’émigration est une partie et peut-être pas la moins menaçante du grand problème du socialisme. Tout ce qu’on fait pour atténuer ce phénomène et le rendre bénin revient en même temps à conjurer les dangers du socialisme et de l’internationalisme ‘come ora vengono intensi dalle classi sofferenti’ ». Ces lignes sont révélatrices de l’état d’esprit des classes possédantes à l’époque de la grande dépression. La montée rapide du mouvement ouvrier, l’augmentation de son degré d’organisation, son caractère internationaliste marqué, alimentent la crainte face à la libre circulation de la main-d’oeuvre. Car, comme le constate l’éditorialiste du Matin à l’occasion de la célébration simultanée dans toute l’Europe, du 1er mai (1890) : « Le danger, c’est l’établissement d’une grande nation nouvelle, d’une nation sans nom et sans carte géographique, la nation de ceux qui ne possèdent pas en face de ceux qui possèdent. (…) C’est l’ordre qui est désormais la plus grande force du socialisme » (8). Et dans cette « nation nouvelle des exploités », l’ouvrier migrant semble jouer un rôle important de liaison et d’internationalisation. En réalité, nos connaissances sur les migrations ouvrières intereuropéennes sont fort limitées. La stratégie de recherche esquissée par Ernesto Ragionieri dès 1962 reste encore une incitation peu comprise et peu suivie. Pourtant l’intérêt des questions qu’il a posées ne se pas au mouvement ouvrier italien. Elles sont également fondamentales pour l’histoire du mouvement ouvrier dans ses dimensions globales, internationales. Or, sans une connaissance approfondie du phénomène complexe des migrations ouvrières qui affecte profondément la naissance et le développement des classes ouvrières avant 1914, nous ne pouvons que formuler quelques hypothèses ou plus précisément consigner quelques observations.

A partir des années 1880, les migrations ouvrières intereuropéennes s’amplifient, changent de nature et de signification. Elles deviennent plus complexes et se diversifiant dans leurs effets culturels et politiques qui apparaissent aussi multiples et contradictoires que le sont les conséquences démographiques, économiques et sociales du phénomène migratoire. Leur pesanteur sur le mouvement ouvrier est indéniable. Les poser en termes de gains ou de pertes est fallacieux Si l’on en juge d’après les manifestations de xénophobie ouvrière qui se produisent à l’époque en France ou en Suisse et dont les victimes sont le plus souvent les migrants italiens, l’émigration ouvrière ne produit en dernière instance ni la radicalisation, ni le brassage, ni l’internationalisation redoutés ou escomptés par certains contemporains. Souvent l’afflux de la main-d’œuvre étrangère approfondit les vieilles concurrences et les animosités que ressentent les ouvriers des pays d’accueil. L’émigration prive fréquemment le mouvement ouvrier de ses éléments les plus radicaux, les plus dynamiques, vide les organisations ouvrières de leurs militants pendant la crise. D’autant plus que c’est parmi les ouvriers étrangers, italiens notamment, que se recrutent le plus facilement les briseurs de grève, ce qui se répercute immédiatement sur les relations entre les ouvriers immigrants et ceux du pays d’accueil.

Le flux de main-d’œuvre vers l’étranger s’apparente au cycle économique. Mais l’émigration des ouvriers professionnels n’est pas seulement une réponse au chômage ou à la menace qui pèse sur l’emploi. C’est aussi une attitude, une réponse à la pression exercée sur la profession, sur la qualification, par la mécanisation. C’est pour échapper à la fabrique et par attachement à son métier que l’ouvrier professionnel ou l’artisan choisit 1’exode. Les motivations des ouvriers non qualifiés sont apparemment plus simples. Dans leur grande majorité, ils sont poussés par la misère, le sous-développement ou le manque d’emploi. Démunis de toute qualification, ils sont prêts à accepter n’importe quel travail à n’importe quel prix. Voilà l’image stéréotypée. Mais il semble que dans cette grande masse d’un niveau culturel moins élevé, les motivations soient également plus complexes, plus difficiles à déceler. Quels que soient les motifs qui poussent l’ouvrier à s’exiler, la rupture qu’il est obligé d’opérer marque profondément son comportement, son attitude et ses dispositions vis-à-vis du pays d’accueil. Au départ, l’ouvrier émigré est potentiellement un rebelle. L’est-il encore à l’arrivée ? Et vice-versa, l’ouvrier passé par l’école du mouvement ouvrier à l’étranger ne sera-t-il pas porteur à son retour d’exigences et de valeurs nouvelles ? En d’autres termes : comment l’émigration contribue-t-elle au changement et à la transformation des mentalités ouvrières ? Question à double volet : qu’apportent-ils, que laissent-ils dans le pays d’accueil ? Que rapportent-ils, que ramènent-ils dans leur pays d’origine ?

Le mouvement de migration secrète sans aucun doute des agents de liaison du mouvement ouvrier, des propagateurs de la solidarité, des vecteurs de l’internationalisme, des diffuseurs d’une expérience, des messagers d’idées neuves dans des pays lointains et dans des milieux ouvriers isolés du mouvement qui se fortifie et grandit dans les pays industrialisés. Ce qu’on peut établir avec certitude, c’est que parmi la masse des ouvriers migrants une minorité active présente une caractéristique particulière : elle prend de l’importance en tant que disséminateur d’idées pour son pays d’origine, pour le pays d’accueil et même pour les deux. Les « exportateurs » d’idées les diffusent d’un pays où existe un mouvement ouvrier développé vers les pays d’accueil où le mouvement ouvrier est embryonnaire ou inexistant. Nous pouvons citer l’exemple de 1’ouvrier étranger, ferment, initiateur de grèves, de syndicats, dont l’action collective ou individuelle prépare le terrain pour la pénétration et 1’implantation du mouvement socialiste. Ainsi, les ouvriers belges dans le Nord de la France ont été souvent des animateurs de grèves, les organisateurs des syndicats. Ils y ont été les initiateurs du socialisme (10). Un rôle identique est souvent assumé par les ouvriers allemands, membres du SPD. Ils déploient une intense activité de propagande à l’étranger, sur le nouveau lieu de travail, en tant que groupe compact et même organisé (11) en Suisse, au Danemark, en Belgique dans les années 70-80 ou par l’action individuelle dans divers pays, notamment en Hongrie, en Autriche et même en Russie. Ils sont les porteurs de l’éducation socialiste ou syndicale, d’une expérience qu’ils cherchent à transmettre aux pays d’accueil.


Mais plus souvent, la diffusion des idées socialistes dans le milieu ouvrier est un phénomène d’« importation » et s’intègre dans un mouvement déjà ancien qui devient particulièrement frappant dans la seconde moitié du 19ème siècle. Il s’agit de l’action des compagnons, artisans, ouvriers professionnels d’Europe centrale qui, jusqu’au tournant du siècle, effectuent leur stage de qualification obligatoire à travers toute l’Europe. Lors de ces années de compagnonnage, de tour d’Europe, ils entrent en contact à l’étranger avec le mouvement ouvrier organisé et deviennent un des principaux véhicules de la communication à l’échelle européenne et même mondiale. La biographie de la première génération des militants et des dirigeants ouvriers en Autriche-Hongrie est révélatrice à cet égard (12). Un nombre considérable d’entre eux, pionniers du mouvement social-démocrate, se sont familiarisés avec les idées socialistes et y ont adhéré lors de leur séjour à l’étranger. Il s’agit surtout d’ouvriers qualifiés. Mais pas exclusivement. Ainsi la main-d’œuvre recrutée pour les travaux non-qualifiés ou saisonniers joue souvent le rôle d’initiatrice des actions ouvrières. Nombreux sont les cas où les ouvriers venus de l’étranger, avant tout d’Italie pour la construction de chemins de fer, sont le ferment de l’agitation et les premiers à révéler des notions telles que « mouvement ouvrier », « action ouvrière », sur des chantiers où est rassemblée une main-d’œuvre de terrassiers recrutée parmi les couches paysannes pauvres du pays.

Ainsi, là où la construction du chemin de fer ouvre aussi la voie à la pénétration du capitalisme, elle entraîne dans son sillage la résistance et la lutte ouvrières.
Le phénomène de transfert de masse des idées socialistes est aussi consécutif à l’émigration ouvrière dans le nouveau monde, en Amérique du Nord, en Amérique latine également ; la naissance du mouvement ouvrier et socialiste sur ce continent ainsi que ses avatars sont étroitement liés aux vagues consécutives d’émigration qui jouent un rôle primordial dans la mondialisation du socialisme. Dans ce processus, le rôle des émigrants italiens est considérable, surtout en Amérique latine. Ce que le mouvement ouvrier italien perd du fait de cette hémorragie est transfusé en partie outre-Atlantique. Ce ne sont pas des gouttes dans le désert, même si l’organisation syndicale, socialiste ou anarchiste créée par ces émigrants européens reste longtemps un îlot. Néanmoins, le rôle joué par les migrations ouvrières successives dans l’exportation et la transposition des idées socialistes ou anarcho-syndicalistes dans les deux Amériques ne permet pas de procéder à des généralisations. Méfions-nous de déductions tentantes appliquées au vieux continent. Malgré des caractéristiques communes, les phénomènes de migrations ouvrières intereuropéennes et intercontinentales ne sont pas analogues. Ni le terrain social, ou politique, ni le terrain culturel européens ne se prêtent au type de greffe qui se produit en Amérique latine. Le cas du Brésil ou de l’Argentine où les migrations ouvrières italiennes jouent un rôle considérable dans la naissance et le développement du mouvement ouvrier est intéressant à titre de comparaison mais n’est pas le prolongement ouvert, évident, d’un phénomène qui se serait également produit en Europe. Nous avons parlé brièvement des voies, des vecteurs de la circulation des idées ou simplement de l’information.

Mais quelles sont les conditions objectives d’une telle diffusion ? Quelle est la part de l’activité consciente, des actions coordonnées de propagation et de la solidarité internationale pratique ? Ou bien s’agit-il d’une action spontanée, d’un phénomène naturel qui découle du caractère même du mouvement ouvrier naissant à l’époque du passage de la Ière à la IIème Internationale et constitue un de ses traits significatifs ? Certes, la problématique exposée ici, les questions soulevées dépassent largement le destin individuel d’Anna Kuliscioff. Son exemple est néanmoins symptomatique dans la mesure où elle s’insère dans un phénomène complexe et flou englobant des composantes sociales fort différentes de nature et de conséquences.

ADDENDA (extraits)

La gauche communiste en Turquie dans les années 1920

 1920-1927 : l’aile gauche du Parti Communiste Turc

Le noyau avant le parti :

...Le militant le plus important de ce groupe était Cherif Manatov. Cherif Manatov était à l’origine un Bachkir et il avait participé au mouvement révolutionnaire en Russie. Il était arrivé à Constantinople en 1913 et il est parvenu à s’exprimer aisément en langue ottomane. En 1914, sa position contre la guerre l’a contraint à émigrer en Suisse où il a rencontré Lénine et est devenu ami avec lui.

(...) Pendant ce temps, des ailes gauches avaient été constituées dans les partis communistes des pays “musulmans” d’Orient aussi bien contre les éléments nationalistes et religieux non-marxistes, qui avaient été accepté et accueillis volontiers dans ces partis par le Komintern, que contre l’aile droite “national-communiste” qui gravitait autour de Sultan-Galiev. Les ailes gauches en Asie centrale étaient numériquement faibles et leur influence était limitée, mais elles étaient contre toutes les sortes de nationalisme, ne faisant aucun compromis, et elles ne cachaient pas non plus le fait qu’elles étaient de mortelles ennemies de la religion ».

"En fait, l’aile gauche du Parti Communiste Turc devenait chaque jour plus claire dans ce qu’elle disait et plus forte dans son travail militant. L’aspect le plus important était qu’un solide lien avait été formé entre la propagande et la pratique. Dans le tract intitulé : “Bas les masques”, le fait que la lutte de classe ne connaissait pas de nations était décrit de la manière suivante : « Camarades ouvriers ! Il y a une seule façon pour échapper à la misère et à l’esclavage dans lesquels nous vivons : développer la conscience de classe, mener la lutte de classe contre les capitalistes et le gouvernement bourgeois »… « Les capitalistes n’ont pas hésité à employer les combines et les pièges les plus méprisables pour vous maintenir dans votre état d’esclavage et de misère. L’un de ces pièges est la religion et la nationalité. La bourgeoisie a réussi à diviser les uns des autres les ouvriers dont les intérêts et les buts sont les mêmes dans tous les pays et à les faire se massacrer mutuellement, en utilisant les armes de la religion et de la nationalité » et « Tous les ouvriers devraient comprendre parfaitement que leurs véritables ennemis sont les propriétaires d’usine, les patrons, les logeurs et les généraux, quelles que soient leur religion ou leur nationalité, et que c’est le gouvernement bourgeois qui protège toutes ces vampires ». Ce même tract ajoutait à propos des ouvriers grecs, contre lesquels a bourgeoisie turque essayait de créer de l’hostilité : « Exactement comme les ouvriers turcs, les ouvriers grecs ne sont pas libérés de la propagande que mène leur bourgeoisie sous le masque de la religion et de la nationalité. S’ils étaient libérés d’elle, ils comprendraient où leurs intérêts se situent, ils verraient quels sont leurs véritables amis et ennemis et ils attaqueraient leurs ennemis de toutes leurs forces !"