PAGES PROLETARIENNES

mardi 2 août 2022

LA GAUCHE BOURGEOISE S'EST-ELLE rabibochée ?


Face au constat d'une bourgeoisie entrée certes dans une période d'instabilité politique, il convient pour tout révolutionnaire marxiste de juger du rapport de forces et d'analyser les .possibles ressources de l'ordre dominant pour sauver son système en cas de crise politique majeure. Le bon score du cartel de la gauche punk, qui n'est pas très rassurant car éclectique et assez irrationnel, signifie-t-il que la gauche professionnelle de l'opposition se serait rafistolée politiquement en insoumission correcte ? C'est ce que semble penser le CCI, groupe cacochyme demi-séculaire accroché à son antique explication de la « mystification d'une gauche en opposition », comme frein irréfragable à l'émergence d'une conscience révolutionnaire sincèrement prolétarienne et strictement classique. Une théorisation en décomposition qui fait figure de sophisme.

Or pour l'essentiel, cette mystification de gauche bourgeoise - reposant sur une prétendue défense des classes inférieures et s'arrogeant d'en définir un avenir éternellement consensuel sous le régime capitaliste - s'est tout bonnement effondrée depuis au moins vingt ans, ne laissant que des scories wokistes et des bâtards révisionnistes de la lutte des classes. Adieu veaux socialistes, vaches communistes et cochons gauchistes !

Avec ce radotage éternel d'une « gauche en opposition », le groupe confirme être hors du réel face au renouvellement des mystifications bourgeoises et surtout incapable de voir à quel point les prétentions des bâtards de la gauche caviar à « empêcher la classe ouvrière de prendre conscience des moyens et des buts de son combat » sont dérisoirement punk, tout comme cette présumée certitude à devenir une « force capable d'orienter le mécontentement des ouvriers vers les urnes » alors que les techniques de rabattage électorale sont aussi très vermoulues. Avec ce raisonnement qui sent la naphtaline, on est encore dans l'ère mitterrandolâtre et une configuration ringarde et disparue du lien parti-syndicat modèle stalinoïde du siècle dernier : «  la prétention à parvenir au pouvoir d’une telle force accroît la capacité des syndicats, déjà en train d’isoler et d’émietter un nombre significatif de grèves, à bloquer l’expression de la combativité de la classe ouvrière puisqu’ils appuieront leur action sur le programme d’un parti prétendant améliorer ses conditions de vie ».

Or, côté syndical, où les grèves ne sont pas plus nombreuses que significatives, il y a longtemps que la courroie de transmission est rompue, Martinez de la CGT l'a d'ailleurs fait savoir à Mélenchon, lui demandant de ne « pas mélanger les genres » (sic) : « "Les mobilisations sociales sont du ressort des organisations syndicales"  (11 juillet).

LE STADE SUPREME DU POUVOIR D'ACHAT

Je suis tout à fait d'accord avec Michael Heinrich que : « Faire l'expérience de l'inégalité, de l'exploitation et de l'oppression ne mène donc pas de manière inéluctable à la critique du capitalisme, mais à une critique des conditions de vie au sein du capitalisme »1. Les deux soucis primordiaux lors de la longue et morne campagne électorale auraient été : 1. le pouvoir d'achat, et 2. la sécurité. On avait connu jadis des promesses électorales plus flamboyantes : le paradis socialiste avec Tonton, un socialisme aux couleurs de la France avec feu Marchais, voire dans les limbes un communisme enfin trouvé rapidement par Krivine ou en version CCI (en marge électorale). C'est la première fois à ma connaissance que, au lendemain d'une foire électorale, le Parlement s'est intronisé syndicat, débutant sa législature non par une étude de lois générales, mais....promesse de campagne face à l'inflation galopante, où fût débattu ardemment un projet de loi sur le pouvoir d'achat et une kyrielle de mesures de soutien : minimas sociaux revalorisés, chèque alimentaire, remise carburant. A croire que, enfin, un parlement bourgeois posait comme premier souci de son règne, le niveau de vie (et d'exploitation de la classe ouvrière) ou tout au moins « une batterie de mesures pour soutenir les ménages frappés par l'inflation ». Que ces choses-là étaient bien dites, loin des fadaises politiques idéologiques ! 20:milliards d'aide étaient déjà sur la table !

Si défendre la classe ouvrière c'est en rester au niveau des pâquerettes gouvernementales sur le « pouvoir d'achat » (concept aliéné, vous en conviendrez), il y a peu de chances que le niveau de conscience s'élève au-dessus du pouvoir d'achat. C'est d'ailleurs ce que je disais dans mon premier article sur le terme électoral, face à la guerre en Ukraine2.

En outre, la percée de la NUPES n'a rien eu d'une reviviscence de la gauche bourgeoise aux « valeurs ouvrières » mais ne fut que pauvre mise en scène du triomphe antiraciste de la gauche punk, que notre antique groupe feint d'ignorer : « On a sous-estimé à mon avis que l'obligeance des médias à mettre systématiquement en vedette et à citer les moindres pets de souris de Mélenchon, finissant indirectement par le ridiculiser comme marque déposée de la gauche neuneu. Son discours gêné et incertain au début de la soirée du deuxième tour fut plus ridicule et wokiste que le précédent : « Ouvrières, ouvriers... » orna le début de l'homélie à une présumée avance historique (en attente de l'abstention finale), pourtant pratiquement pas d'ouvriers dans les rangs des godillots des partis ni d'électeurs prolétaires en nombre ; l'ouvrière de LFI qui est exhibée comme femme de ménage... noire n'est qu'un panneau publicitaire antiraciste ; ce n'est plus l'être prolétaire qui est mis en avant mais la couleur de peau, comme Macron avec le nouveau ministre de l'Eduque Naze. Misère de l'idéologie antiraciste »3. J'appuyais ce constat navrant avec celui de Jérôme Sainte-Marie :

« Il serait possible de ne voir dans la consigne d’entre-deux-tours donnée par Mélenchon que la traduction d’une concurrence naturelle pour prendre la direction politique des classes populaires s’il ne prônait désormais - la chose est assez récente - une idéologie que l’on peut résumer sous les termes de wokisme ou d’intersectionnalité. La position sociale y est placée sur le même plan que le genre, l’appartenance religieuse ou l’apparence ethnique et ne constitue plus qu’une identité parmi d’autres. Contrairement à ce qui s’écrit parfois, il s’agit d’une parfaite négation du marxisme, dont sont issus nombre des cadres les plus anciens de La France insoumise ». Sans oublier que Mélenchon a fait appel à ses ex-potes lambertistes, et a pu compter sur le soutien de l'équipe à Poutou.

Du gouvernement Macron aux « fachos » du RN et aux « islamo-gauchistes », tous sont derrière le « pouvoir d'achat » et prêts à s'adresser en premier lieu « aux ouvrières et ouvriers » comme cette homélie ridicule de Mélenchon une fois les bureaux de vote clos, jusqu'aux bavards Jadot et Piolle dénonçant le rachat des RTT (mesure en effet sarkozienne) comme « cheval de Troie d'une régression sociale ». Croyez-vous que les prolétaires en général, peut-être en particulier, croient ces divers chantres d'une démocratie de carnaval ? Croient que ces apôtres du burkini en piscine et des mosquées à la pelle, Piolle et Jadot, soient des défenseurs émérites du prolétariat ?4

La réincarnation du terme ouvrier n'est que sa dissolution

On aura noté que le terme ouvrier est en général occulté depuis des années, parfois utilisé avec la connotation d'artisan ou de manœuvre, mais jamais comme significatif de classe. Et que donc son usage électoral ponctuel par la gauche punk ou tout autre organisme bourgeois est risible, et interloque même cette masse d'employés et d'ouvriers à qui on a fait croire depuis trente ans qu'ils étaient devenus des « couches moyennes ». La catégorisation de la classe ouvrière n'est pas nouvelle. Déjà dans les années 1970, la gauche « en opposition » qualifiait les grèves comprenant une majorité d'ouvriers étrangers (les activistes bordiguistes aussi) de « luttes d'immigrés ». Dans le même ordre d'idées, la gauche bourgeoisie a renouvelé ce crétinisme avec les théories de la lutte raciale (dite anti-raciste), de la mixité sociale (promotions et parités raciales, etc.). Pour suivre l'évolution de ces mutations idéologiques, il aurait fallu suivre plus attentivement les travaux du fameux « pense pour vous » Terra Nova ; je pense qu'il n'est pas trop tard pour en suivre les travaux idéologiques très pertinents et source d'inspiration pour la plupart des gauches bourgeoises5.

Les analyses de Terra Nova sont désormais la cervelle des gauches bourgeoises. Les classes ne sont plus que populaires ou « couches moyennes ». La population électorale est ainsi découpée/découplée en quatre entités : les diplômés, les jeunes, les minorités, les femmes. Terra Nova définit bien la base électorale désormais de la gauche nunuche : « Les minorités et les quartiers populaires. La France de la diversité est presqu’intégralement à gauche. L’auto-positionnement des individus révèle un alignement des Français d’origine immigrée, et plus encore de la deuxième génération, à gauche – de l’ordre de 80–20. On retrouve des scores de cette ampleur dans les bureaux de vote des quartiers populaires, et encore de 62–38 dans les zones urbaines sensibles ».

Ces français « d'origine immigrée » ne sont donc pas censés être membres de la classe ouvrière (du temps jadis) mais des sous-catégories sociologiques (diplômés, migrants, femmes, jeunes) plutôt enclines à voter simplement soumises à l'idéologie de gauche punk6.

En réalité, et je l'ai déjà dit, le groupe de Mélenchon – reconnaissant envers Terra Nova7 - n'a pas pour vocation principale d'encadrer la classe ouvrière8 – fort improbable vue son idéologie multiculturaliste - mais d'encadrer les banlieues islamisées, d'être le relais de l'intégration impossible à une culture moderne et laïque pour des populations qu'on laisse dans l'illusion religieuse, laquelle est plus efficace que toute trahison syndicale ou votation républicaine. L'intégration politique que s'efforce de bonifier LFI correspond aux besoins de l'Etat dans un double-jeu qui doit rester celé, afin de sauver l'ordre et le désordre social, tout en tolérant une magistrature bizarrement laxiste face aux viols et crimes commis par des sans-papiers, logés et nourris finalement en prison. « Pas de vague », « ne pas encourager la haine » disent les pleureuses de la gauche bobo et mégalo, pourtant très haineuses et méprisantes envers ces ouvriers « populistes » et électeurs du RN.

Constater une situation d'instabilité politique, qui noient en même temps les problèmes véritables dans la confusion, ne signifie pas perte de contrôle par la bourgeoisie, des contradictions n'empêchent aucunement de régner par le chaos apparent, ce que confirme la gestion étatique sereine pour l'heure. La nuance est encore apportée par Michael Heinrich :

« Il en résulte parfois que des mesures soient prises alors qu'elles sont contraires à l'intérêt général capitaliste. Le lobbying, les luttes d'influence, etc., ne sont donc pas des violations des règles, mais précisément la manière par laquelle se déroule normalement la recherche du consensus »9.


LE PROBLEME MIGRATOIRE SOUS LA TABLE

Dans l'article de RI, l'analyse du tour de passe-passe raté de Macron, visant à affaiblir le RN via le pitre Zemmour, permet de faire oublier que le CCI, comme les gauchistes, avaient peur de Marine Le Pen, dont le parti s'avère « plus responsable » (collabo de Macron) que les agités du bocal mélenchoniste anti-cravate ; mais pourquoi cette hargne sur le contrôle de l'immigration ? 10

Niée par les sondages fabriqués sur mesure, mise systématiquement au second plan la question migratoire reste un non-dit, d'autant que son héraut déchu Zemmour, a été balayé du spectacle, pour deux raisons, qui sont aussi celées : proposer une union des droites à la classe ouvrière c'était lui offrir l'union de Neuilly + Passy, l'affichage ensuite d'un nouveau parti ultra-hiérarchisé, plein de pognon, magouilleur et sans programme crédible sauf la chasse aux migrants. Une partielle prise en compte de ce problème, plus clivant en cette phase de décadence du capitalisme informatisé et impersonnel que jadis, a été prise en compte par le résidu du PCF ainsi que Mélenchon avec cette heureuse formule « fâchés pas fachos », mais sans aller plus loin, ni poser l'alternative révolutionnaire d'en passer à une autre monde où les populations n'auront pas à migrer n'importe comment et pourront vivre décemment là où elles vivent dans un monde d'échanges sans frontières.

Un contrôle de l'immigration sauvage serait donc forcément abject ! Ce contrôle, souvent relatif est pourtant une constante de la plupart des Etats dominants, et personne ne sensé ne peut en nier l'utilité relative quoique regrettable en 1929 et aujourd'hui pour réguler une implosion dont le capitalisme maîtrise de moins en moins les conséquences dramatiques, qui dépassent le discours pleurnichard de Noiriel11. Le CCI n'ose jamais se prononcer clairement sur ce sujet tabou et reste sur la position laxiste et inconsciente des gauchistes, présumée prolonger l'internationalisme classique. Sans doute du fait de la centralité disparue d'une classe ouvrière « vieillissante » et découpée désormais en « diplômés bobos, jeunes (plutôt éduqués), de minorités (migrantes et multi-sexuelles, enfin des femmes et des bobos), l'accueil charitable, calculé et cynique d'une partie des masses de migrants fait-il figure de prolongement d'un internationalisme sensé généraliser une conscience de classe, quand la plupart des migrants se battent dans d'inextricables situations individuelles sans possibilité de confraternité de classe, et sont par contre des briseurs de rêve d'une humanité débarrassée des religions, des superstitions et des violences faites aux femmes dans l'aire arabo-islamique.

L'ancien fan de Marchais, Roger Martelli, prétexte à son tour d'une fin de centralité du « monde ouvrier » au profit d'un populisme de gauche, auquel pourtant il ne fait pas confiance : « Marine Le Pen prend le flambeau de la colère sociale et de la contestation » mais se sert des immigrés comme bouc-émissaire... Ce qui n'est plus tout à fait vrai car elle a laissé le sale boulot à Zemmour, prouvant ainsi que si l'immigration incontrôlée reste un souci dans la classe ouvrière, la cause première reste le capitalisme. Martelli, avec son accent provençal, n'esquivait pas le problème à la veille de l'élection, quoique sans y apporter de réponse ni une véritable prise en compte :

« Prenons le cas de la question migratoire. Que cela plaise ou non, l’obsession migratoire sera au cœur des débats politiques à venir, parce qu’elle s’est hélas incrustée dans le champ des représentations sociales. Pour en minorer les effets délétères, il ne suffira pas de se réclamer de la primauté du social. L’extrême droite, comme elle le montre en Italie, ne dédaignera pas en effet de se placer sur ce terrain. Elle se contentera d’ajouter ce qui semble une vérité d’évidence et qui fait sa force : la part du gâteau disponible pour les natifs sera d’autant plus grande que les convives seront moins nombreux autour de la table. Tarissons les flux migratoires et nous aurons davantage à nous partager… ».

Le soi-disant historien Martelli reste un compagnon de route porte-parole du candidat des « jours heureux », d'un PCF qui a grignoté des voix au roi des bobos en ré-abordant (timidement) la question de l'immigration, sans reconnaître toutefois que Marchais n'avait pas dit que des conneries. Son argumentation est intéressante et sort de l'ornière gauchiste multiraciale basée plus sur une morale que sur une lucidité politique :

« On admettra que les personnes menacées dans leur pays — dans leur sécurité ou leur intégrité — par des mécanismes politiques ou économiques, soient absolument fondées à faire valoir leur droit de se rendre ailleurs. Et l’on peut pousser très loin le raisonnement dans cette direction. Mais on doit aussi considérer l’idée que toute personne a droit à une nation, à une identité nationale capable de fonder une solidarité concrète, établie autour de « biens communs », et donc à ne pas voir son territoire national envahi par d’autres populations. On peut aussi argumenter sur les droits des nations les plus pauvres face aux nations les plus riches — sans parler des pillages dont ils font l’objet. Mais Jaurès, que l’on cite souvent lors de ces débats, ne parlait-il pas d’un « socialisme douanier » visant « à protéger la main d’œuvre française » afin « de ne pas substituer l’internationale du bien-être à l’internationale de la misère » ? Il faudrait se reporter aux diverses conjonctures historiques et aux divers contextes rhétoriques dans lesquels ont pu jouer tels ou tels arguments ».

Martelli démontre, par delà la question migratoire, que la classe ouvrière en général reste et est restée nationale, face aux guerres. La guerre en Ukraine révèle que, contrairement à ce que j'ai cru un instant avec la résistance plus nationale que prolétaire en Biélorussie, la classe ouvrière est incapable de s'opposer directement à la guerre en Russie ignoble, et nulle part on ne voit se développer un mouvement international de protestation comparable à celui qui avait eu lieu durant la guerre du Vietnam. Ce n'est pas la réunion en avril d'une dizaine de maximalistes utopiques cf RI 494), parodiant la conférence de Zimmerwald et sans aucune influence sur la classe ouvrière qui réveillera leur prolétariat fictif imaginé "géant endormi", hélas, trois fois hélas! au point qu'on peut se demander si le prolétariat comme « force centrale anticapitaliste » n'est pas mort et enterré par sa propre incapacité et nullité politique plus que circonstancielle :

« Mais entre les nations, on n’est plus dans le cadre d’une lutte autour d’institutions publiques, où les diverses classes se disputent leur contrôle et cherchent à modifier leur nature. À cette échelle, ce n’est pas « la lutte » qui prévaut, c’est « la guerre », du moins en dernière instance. L’étranger est donc un ennemi potentiel. Dès lors, l’idée que « les prolétaires n’ont pas de patrie » est à considérer avec prudence. Ils ont certes de bonnes raisons de considérer que leur patrie par excellence est l’humanité, de choisir la cause commune contre leur propre nation si elle opprime les autres. Mais ils ont de fait, comme les capitalistes — même si c’est d’une toute autre façon — partie liée à leur base matérielle nationale. Le clivage capital/travail ne suffit pas à rassembler les « prolétaires » du monde entier. Reste en effet la question « nationale », qui, à la différence de la question de la « migration », est un vrai « problème » : celui de la communauté nationale et du communautarisme spontané de la nation ».

Puis la thèse complotiste de la gauche punk immigrationniste (et de notre milieu maximaliste) reprend le dessus :

« Jean-Louis, trouve-moi du travail, une maison et une femme »

Azad (réfugié politique iranien, 1980)

 « La ligne générale, face aux migrations, est donnée d’en haut. Il est essentiel à la classe dominante que le peuple prenne peur. En l’occurrence, sa stratégie a pour impératif de faire passer la question migratoire pour un problème central, qui annoncerait un danger vital. Il apparaît pourtant que le flux dont on parle est relativement minime au regard de l’immense population européenne : 2,5 millions à nos portes, dit-on, pour 500 millions d’habitants. La décision prise par Merkel, d’ouvrir plus largement les portes, découlait de considérations pragmatiques, dans une Allemagne menacée de vieillissement et manquant de main d’œuvre. Ces humains qui nous arrivent, sont pour la plupart, dans la force de la jeunesse. Les pays dans lesquels ils cherchent à se fixer n’ont rien payé, ni pour les élever, ni pour les éduquer, ni pour les former ; et il faudra attendre encore longtemps avant que ne pèsent les coûts de leur vieillissement. Ils sont prêts à travailler beaucoup sans trop exiger. De quoi se plaindrait-on, là-haut ? En réalité, cela ne leur suffit pas. Car encore faut-il qu’ils apparaissent dans le paysage comme un problème, un énorme « problème », dont l’objet réel est de masquer le fait que les fléaux qui s’abattent sur la classe populaire — les pressions sur le salaire et l’emploi — dérivent des politiques du capital ».

Il est facile de dénoncer l'élite de l'Etat exploiteur comme il est facile de traiter avec mépris de raciste la réception de la multitude d'en bas Si l'analyse de l'exploitation des immigrés par la bourgeoisie reste juste, elle est marquée par un énorme mensonge qui consiste à s'appuyer sur le faible nombre d'arrivée (en oubliant la masse des incontrôlés) sur les territoires pour nier tout problème d'assimilation et de confraternité ; or la concentration de nouveaux venus de toutes sortes (pas seulement des personnes qui veulent travailler honnêtement) est centrée énormément dans les grandes villes ou les anciennes cités ouvrières comme Roubaix. La visibilité de l'immigration, de misère et de faits divers, y est forcément plus visible. Population carcérale, délits et agressions sont en grande partie le fait d'immigrés arabes et noirs. J'ai toujours dit que cela était « normal » de la part des derniers arrivés qui n'ont pas la tâche facile pour s'intégrer (cf. les italiens avant-guerre). Mais l'hypocrisie des « pas de vague » et d'un monde sans frontières (même sous le capitalisme) se dévoile comme cynisme bourgeois : le migrant qui débarque ne vient pas que pour chercher du travail, ou échapper à une dictature, il veut fonder un foyer, trouver un logement, etc ; se soucie-t-on par exemple des besoins sexuels des migrants et des conséquences du fait qu'ils en sont privés en général ? On se soucie plus dans la gauche punk de contribuer à la construction des mosquées, ainsi avec « La laïcité républicaine au secours des mosquées » :

« Après le débat sur l’identité nationale, transformé en panel islamophobe, l’UMP récidive aujourd’hui avec un nouveau « débat sur la laïcité ». Nul doute qu’il aboutira aux mêmes dérapages nauséabonds contre l’islam. La capacité de la laïcité républicaine à permettre l’épanouissement de l’islam de France, numériquement deuxième religion pratiquée dans notre pays, méritait pourtant des échanges constructifs. Dans cette note, François Loisy, Samuel Pommeret et Loïc Roche montrent que le cadre juridique de la loi de 1905 autorise et facilite activement la construction et l’entretien des mosquées. Un seul élément pose problème : le financement direct de la construction des édifices, laissée à la charge des associations cultuelles. Pour assurer le nécessaire rattrapage du culte musulman, certains proposent la suspension provisoire de la loi de 1905 mais des « accommodements raisonnables » permettent de contourner la loi sans la remettre en cause »12

La mixité sociale peut-elle casser des briques ?

La série suivante de constats de Terra Nova ne peut pas choquer un observateur impartial :

- l’érosion de l’assise électorale des partis de gauche dans les classes populaires s’est d’abord traduite à partir des années 1980 et 1990 par une augmentation de l’abstention et de la non-inscription, notamment de la part des jeunes qui étaient entrés sur le marché du travail à la fin des années 1970 et qui se sont souvent éloignés de la politique ou simplement émancipés des catégories droite-gauche.


  • si la gauche n’avait pas capté les voix des classes moyennes et des cadres ces trois dernières décennies, elle serait tout simplement restée à l’écart du pouvoir pendant toute cette période. En réalité, elle a inventé sans le dire le moyen d’accéder aux responsabilités avec une faible part du vote ouvrier tout en entretenant une rhétorique populaire qui tournait de plus en plus à vide ;

  • Pendant ce temps, les emplois peu ou pas qualifiés se sont massivement déplacés vers les services aux personnes, le commerce, la restauration, l’hôtellerie, la fonction publique territoriale… Tandis que le monde ouvrier se contractait, celui des employés a en effet continué à croître (27% de l’emploi total en 2019 contre 25% en 1982). Là encore, la composition des situations à l’intérieur de cette grande CSP a changé : les employés administratifs d’entreprise ont reculé sous l’effet des révolution technologiques et cédé la place à de nouveaux profils. Ce monde désormais largement féminisé n’a pourtant guère attiré l’attention des états-majors de campagne, à gauche comme à droite : les vendeuses, femmes de ménages, hôtesses d’accueil, standardistes, aide-soignantes, assistantes maternelles… sont restées des fantômes du discours politique.

  • Ce mouvement d’individualisation croissante des relations d’emploi qui installe une concurrence inédite « entre les travailleurs eux-mêmes en tant que parties des produits échangés », a peu à peu détruit le socle d’analyse des « rapports de production » qui fondait l’ancienne lecture du social.

  • le sentiment d’injustice qui traverse la société ne peut plus être rapporté uniquement à une condition d’emploi, à une position dans l’appareil productif ni même à une situation sur le territoire. Des épreuves liées aux parcours de vie dessinent aujourd’hui des expériences nouvelles des inégalités : discriminations, précarisation des existences… Les discours politiques doivent aussi prendre en compte cette colère que le simple mécanisme d’agrégation des intérêts de classe ne permet plus de capter. 

  • Le monde populaire de la société industrielle était en effet pour une large part un monde fermé sur lui-même où l’on quittait rarement son quartier, où l’on cultivait l’entre-soi et où l’on regardait avec défiance celles et ceux qui éprouvaient le désir de s’élever au-dessus de leur condition d’origine. Depuis une cinquantaine d’années, les classes populaires ont au contraire été portées ou poussées à une ouverture croissante aux autres mondes sociaux, aux autres styles de vie et aux autres univers culturels ».

    C'est au niveau de l'interprétation de la mixité sociale que Terra Nova se ridiculise, avec une série de fabulations déconnectées de la réalité : La mixité aurait ouvert la voie :

  • à une majorité de bacheliers contrairement aux sixties où la plupart des jeunes terminaient l'enseignement avec un CAP ou un BEP.... mais connaissaient l'histoire de France en écrivant avec peu de fautes, quand aujourd'hui le bac est donné à des illettrés, même sortis ingénieurs.

  • À une majorité de femmes, débarrassées de leur mari et ayant conquis « leur autonomie matérielle » ; quand cela signifie paupérisation et perte d'autorité sur les enfants ;

  • avec la fin d'un emploi industriel (peu qualifié) enfermant les salariés dans des environnements limités « le développement des emplois de services leur a ouvert des champs d’interactions beaucoup plus diversifiées. Alors qu’elles étaient longtemps restées en marge de la consommation de masse, les classes populaires ont assez largement adopté les normes et valeurs consuméristes des classes moyennes » ; du pipeau pour justifier isolement, exclusion, suicides, absence de solidarité, etc.

  • Les choix résidentiels autant que certains choix politiques expriment cette phobie de la promiscuité avec le bas de la distribution sociale. A la lumière de cette complexité, l’idée qu’il existerait quelque chose comme un « bloc populaire » opposé à un « bloc bourgeois », par exemple, est une simplification assez outrancière, qui ne peut conduire qu’à de nouveaux aveuglements". Pas d'explication pourquoi les juifs sont obligés de fuir la Seins saint-Denis ni pourquoi dans les quartiers ouvriers « sensibles », les prolétaires français et immigrés installés n'en peuvent plus des bandes e racailles (la sécurité n'est qu'un problème de beauf pour gauchistes et CCI).

Le credo suivant de Terra Nova résume assez bien la pensée bobo éclectique et l'admiration pour les outsiders « créolisés »... qui méritent tous les droits, même d'emmerder le peuple :

« Car la France de demain réunit avant tout les « outsiders » de la société, ceux qui cherchent à y rentrer, notamment sur le marché du travail, mais n’y parviennent que difficilement : les jeunes, les femmes, les minorités, les chômeurs, les travailleurs précaires. Ils ont du mal car ils sont la principale variable d’ajustement face à la crise d’une société d’« insiders » qui, pour préserver les droits acquis, sacrifie les nouveaux entrants. Ces « outsiders » ont besoin de l’aide de la puissance publique pour surmonter les barrières qui se dressent devant eux : ils ont besoin d’un Etat qui les aide à s’émanciper, à briser le plafond de verre. Ils sont soutenus par les plus intégrés (les diplômés), solidaires de ces « exclus » par conviction culturelle ».  

La question culturelle et de civilisation moderne doit être rejetée comme fantasme réac :

« Il n’est pas possible aujourd’hui pour la gauche de chercher à restaurer sa coalition historique de classe : la classe ouvrière n’est plus le cœur du vote de gauche, elle n’est plus en phase avec l’ensemble de ses valeurs, elle ne peut plus être comme elle l’a été le moteur entraînant la constitution de la majorité électorale de la gauche. La volonté pour la gauche de mettre en œuvre une stratégie de classe autour de la classe ouvrière, et plus globalement des classes populaires, nécessiterait de renoncer à ses valeurs culturelles, c’est-à-dire de rompre avec la social-démocratie ».

C'est à dire avec le mouvement ouvrier car social-démocratie est devenue un terme étranger au prolétariat, mais les révisionnistes wokes ne font jamais dans la nuance : la petite bourgeoisie serait désormais centrale avec deux branches (pourtant opposées et clivées entre Mélenchon et Le Pen) :

« L’électorat « France de demain » est le nouveau mole central à partir duquel la gauche doit rayonner pour constituer une majorité. L’électorat à conquérir – l’électorat intermédiaire – est divisé en deux : classes moyennes et classes populaires. La coalition « France de demain » les intègre déjà en partie et doit chercher à s’élargir aux deux. Mais la stratégie n’est pas la même selon que l’on cible les classes populaires ou les classes moyennes ».

Et cerise sur le gâteau, face aux seniors forcément réacs :

« La gauche doit dès lors axer sa campagne sur les priorités économiques et sociales, où elles sont en phase, et faire oublier ses convictions culturelles, notamment sur l’immigration et l’islam ».  

Oui le problème migratoire est la question centrale, non pas au sens du réac Zemmour par la faute aux immigrés, mais parce que la bourgeoisie fausse le problème avec les Mélenchon et Le Pen aussi radicaux que des radis. Et c'est Jacques Bidet malgré une analyse insuffisante qui pose le mieux la difficulté d'une unification de la classe ouvrière : 

«  il lui apparaît possible (au capital) de les affaiblir en les remplaçant, partiellement du moins, par de nouveaux venus ou de nouvelles venues qui n’ont pas immédiatement la même capacité de s’organiser, c’est là une opportunité dont il s’empare spontanément. Mais ce qu’il vise frontalement c’est la désorganisation du salariat dans son ensemble, sa pulvérisation : tel est l’objectif des politiques de sous-traitance, des lois-travail et autres job acts aujourd’hui mis en vigueur un peu partout dans le monde selon une logique de financiarisation, marchandisation et dérégulation. C’est essentiellement sur cette grande opération de police qu’il compte pour faire baisser les salaires et précariser les emplois. Le patronat n’attend pas les immigrés pour « faire pression ». À l’international, le grand levier de mise en concurrence est la délocalisation. Pour ce qui n’est pas délocalisable (bâtiment, restauration, etc.), une main d’œuvre « irrégulière » peut faire l’affaire ; mais dès qu’elle est régularisée, l’affaire cesse d’être juteuse »13.

« Les mesures qui sont proposées par les pouvoirs publics sous prétexte d’endiguer leur flot supposé ont principalement pour objectif et pour effet de fixer cette population dans une situation sociale incertaine, clandestine ou marginale, pour les rendre plus exploitables » C'est vrai, mais d'une part le flot supposé n'est pourtant pas une supposition mais une réalité (comparée à il y a 30 ans) et d'autre part la précarité et la situation sociale incertaine sont aussi le lot .des travailleurs français.

La complexité de la situation entraîne le fait finalement que les travailleurs autochtones resteront paralysés sur cette question, ne pouvant ni approuver la politique d'expulsion ni se féliciter de la venue de concurrents ou d'une population porteuse de l'idéologie musulmane qui ghettoïse et rend impossible la vie dans les quartiers sensibles, quand bien même nos révolutionnaires de salon restent fixés sur les lieux de travail, et indifférents aux problèmes de meurtres répétés au couteau et aux violences jouissives des racailles. La gauche punk enfin, outre de tenter de faire croire à la validité de la mystification parlementaire, nous serine sans honte que la solution est cette fadaise invraisemblable et moraliste bourgeoise, version Bidet, qui nous donne envie de tirer la chasse :

« On ne peut lutter contre la « mise en concurrence » que par des législations qui permettent aux exilé·e·s, économiques ou politiques, de jouir des mêmes droits sociaux et politiques que les nationaux ».


NOTES

1Critique de l'économie politique,p.285, ed Smolny.

2UNE VICTOIRE A LA PYRRHUS DE LA GAUCHE NUNUCHE. « Dans les années 1930...Le souci de la classe ouvrière n'était pas (pas seulement) le niveau de vie et la retraite, les événements internationaux traversaient ses débats et inquiétudes : guerre d'Espagne, bouleversements à l'Est, Mussolini, Hitler. Parler d'un futur autre était un souci politique premier. Avec la clique à Mélenchon, comme avec ses autres compétiteurs, on n'entendit pratiquement jamais parler de la guerre en Ukraine et surtout de ce qu'il faudrait faire pour ne plus rester spectateurs. Cette bande de bobos qui prétendait conscientiser, expliquer, n'a rien fait du tout pour élever le débat ni désigner la seule classe qui peut être le fer de lance contre la misère, la guerre et la destruction du monde ».

3Cf. mon deuxième article : L'heure de vérité de l'abstention.

4https://www.bfmtv.com/politique/rachat-des-rtt-jadot-et-piolle-denoncent-le-cheval-de-troie-d-une-regression-sociale_AD-202207300306.html

6Le renouvellement de la pensée Terra Nova ne peut masquer un indéniable mépris des ouvriers en général, français ou immigrés : « Vaut-il mieux, de ce point de vue, regarder la société à partir de catégories socioprofessionnelles créées en 1953, ou bien à partir des variables d’âge (les jeunes), de genre (les femmes) ou de territoires (les quartiers populaires) comme le suggérait Terra Nova en 2011 ? D’un côté, on le verra plus loin pour le groupe des ouvriers, la position occupée dans le système productif ne suffit plus à identifier des groupes cohérents : les écarts de revenus, de statut d’emploi et de sécurité face à l’avenir entre un jeune chauffeur-livreur et un ingénieur. Par ailleurs, on est en droit de penser que les divergences culturelles relevées par le rapport – divergences qui sont loin d’être toutes nouvelles – ne devraient nullement décourager la gauche de parler aux ouvriers mais au contraire l’inciter à un effort d’explication (sic) ».Cf. les justifications post terra nova:(https://tnova.fr/democratie/politique-institutions/chacun-cherche-son-peuple/ Pour le découpage capitaliste des compétences ouvrières, voir aussi : https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/immigrer-canada/entree-express/admissibilite/trouver-classification-nationale-professions.html

7Le constat de Terra Nova n'est pourtant pas basé sur du sable et mérite une réflexion qui oblige de prendre en compte aléas et causes de l'affaiblissement de la conscience de classe : « « Première observation : le monde des ouvriers est aujourd’hui quantitativement déclinant comme le rappelait à juste titre le rapport de Terra Nova en 2011. 20% des actifs en emploi occupent aujourd’hui une profession d’ouvrier : c’est 3 points de moins qu’il y a dix ans, 10 de moins qu’en 1982 et 20 de moins qu’à la fin des années 1950. Dans le même temps, les cadres passaient de 8% à 19% : ils sont désormais presque aussi nombreux que les ouvriers et n’ont ni plus ni moins de droits que les autres à participer aux scrutins. Cette érosion continue des effectifs ouvriers est, après celle des paysans dans les décennies d’après-guerre, l’un des marqueurs les plus puissants de la transformation de notre modèle socio-productif. Mais dans le même temps, d’autres catégories ont connu une puissante progression : les chauffeurs sont passés de 7,5% à 12,5%, et les ouvriers qualifiés de l’artisanat (maçons, cuisiniers…) de 17,6% à 24,6%. Des faits largement documentés depuis plus de 20 ans par les travaux statistiques de l’Insee[11] mais, semble-t-il, passés sous les radars des états-majors politiques : deux tiers des ouvriers d’aujourd’hui ne travaillent plus dans l’industrie. La majorité des ouvriers travaillent aujourd’hui dans des entreprises de plus petite taille où la socialisation des expériences de travail est moins aisée, les interactions avec les autres catégories sociales plus diversifiées et les syndicats souvent absents. Le sentiment d’appartenance au « monde ouvrier » s’est d’ailleurs, concomitamment, beaucoup affaibli : un quart seulement des ouvriers se considéraient encore comme appartenant à la « classe ouvrière » au début des années 2010, les autres s’identifiant spontanément pour l’essentiel aux « classes moyennes ». La « classe ouvrière » n’a donc pas seulement perdu en nombre et en cohérence : elle s’est aussi dépouillée d’une conscience d’elle-même et des grands récits qui lui donnaient forme politique et parfois aussi fierté. »

8Bien qu'il existe une réelle tentative d'en annexer une partie, laissant l'autre plus dubitative des « fâchés pas fachos » dragués par la mère Le Pen.

9Critique de l'économie politique, p. 281.

10Cf. la phrase : « la désignation de la candidate LR à l’élection présidentielle sur le programme abject de contrôle le plus strict possible de l’immigration »..

11La note de wikipédia explique la complexité du problème : https://fr.wikipedia.org/wiki/Expulsions_collectives_de_Polonais

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