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dimanche 15 août 2021

Défaite ou lâcheté? Les vraies raisons de la débandade américaine

 


« Les Afghans doivent se battre pour eux-mêmes, se battre pour leur nation ».

Joe Biden

« Les massacres du Vietnam font accepter ceux de l'Afghanistan »

(Révolution ou guerre, article du CCI en 2006)



On peut sourire des analogies historiques que véhiculent les médias bourgeois. Il est de bon ton pour les médias européens de faire un parallèle facile (mais aussi mensonger) avec la fuite depuis Saïgon en 1975 où le monde entier avait été convié à reconnaître une « défaite US ». Prenons le plumitif suivant :

« Il y a quelques semaines, les Américains espéraient qu’une solution partiellement négociée serait possible avec les talibans. En réalité, la priorité unique est désormais d’évacuer quelque 10 000 citoyens américains et leurs collaborateurs et alliés afghans. La prise annoncée de Kaboul a des airs de chute de Saïgon, en 1975, quand le régime pro-Américain avait perdu face au Vietnam du Nord communiste. Mais cette chute est survenue deux ans après le retrait américain, tandis que la conquête des talibans n’a pris que quelques semaines ».

Or il ne s'agissait pas vraiment d'une défaite, comme s'en réjouissait l'extrême gauche du capital de l'époque, mais d'une réorientation stratégique, qui au fond, tout en laissant croire à une avancée de l'impérialisme russe, constituait la part d'une stratégie au long terme visant à l'épuiser par une course aux armements qui allait monter plus haut à peine quatre années plus tard (si je me souviens bien seul Révolution Internationale, avait seul contre tous affirmé que ce n'était ni une « libération nationale » ni une « défaite US »)1. En second lieu ou en premier, j'hésite, le mouvement anti-guerre du Vietnam avait fini par inquiéter la bourgeoisie américaine qui faisait face à des grèves sauvages qui pouvaient à terme ravir le combat prioritaire à la petite bourgeoisie estudiantine pacifiste.

Une invasion territoriale à l'époque de la décadence du capitalisme n'est pas un signe de puissance (qu'on se souvienne de l'invasion du Koweit par le petit Saddam Hussein). Le 24 décembre 1979, l'URSS envahissait l'Afghanistan, ou plutôt que le bloc stalinien y fût poussé.... Un événement longtemps vu à travers le prisme de la guerre froide. Gilles Kepel a expliqué qu'il ne s'agissait plus d'un même type de conflit impérialiste, et encore moins d'une « libération nationale ». Ce conflit a constitué la matrice du terrorisme islamiste contemporain, une espèce de bâtard d'une espèce d'impossibilité de confrontation directe entre les blocs impérialistes dominants.

Le « coup de Prague asiatique » de Brejnev est aussi stupide et inopérant à long terme que l'original européen. Kepel étrangement ne met pas comme première cause, la manipulation des services secrets américains :

« Ce que les Soviétiques n'avaient pas prévu, c'est qu'ils devraient se battre non seulement contre des groupes de résistance afghans, mais plus largement contre l'ensemble du monde musulman. Un jihad, une « guerre sainte », est en effet lancé contre l'Armée rouge impie, qui a envahi une terre d'Islam ».

L'impérialisme stalinien, qui disposait pourtant de réseaux complices en pays d'islam, est d'abord pris de court. Et là Kepel ajoute ce qui est premier selon moi dans la manœuvre :

« Mais les Américains et les Saoudiens, alliés de Washington, vont encourager les ulémas les juristes et théologiens « docteurs de la Loi » à proclamer ce jihad. C'est un moyen de mobiliser, face à l'URSS, des opposants dans tout le monde musulman et de donner une identité fédératrice aux groupes de résistance afghans ».

« Pour les États-Unis, il s'agit de donner l'estocade à l'ennemi soviétique. Washington s'entend avec les pays du monde musulman : pour chaque dollar dépensé par la CIA, les pays arabes avancent un pétrodollar. Au total, le jihad en Afghanistan n'aura coûté que 600 millions de dollars par an aux Américains - ce n'est pas cher payé pour faire tomber l'URSS ! Celle-ci va subir son Vietnam sans qu'une goutte de sang américain soit versée ».

« La guérilla afghane est ainsi ravitaillée en armes, essentiellement chinoises, payées par la CIA et l'Arabie saoudite. Ces armes transitent par le Pakistan. En retour, les camions qui rentrent à Karachi sont remplis d'opium afghan... Se développe ainsi une véritable économie mafieuse en Afghanistan et au Pakistan, qui dure encore ».

Comment la « révolution islamiste iranienne » a rendu service à l'impérialisme US ?

Cette même année 1979, comme pour la fin de la guerre du Vietnam, les Etats-Unis apparaissent comme une victime, avec la fameuse prise d'otages américains à Téhéran, laissant accroire que l'impérialisme US n'avait pas pris la mesure de la menace islamique, et face à un Iran qui va prétendre mobiliser tout le monde musulman contre le « grand Satan ». C'est oublier le coup géopolitique favorisé par l'invasion russe de l'Afghanistan. Sur cet échiquier politique les Etats-Unis se confirment comme le meilleur joueur impérialiste :

« Mais en aidant à financer le jihad afghan, les États-Unis réussissent à dévier le coup et à faire de l'URSS l'ennemi par excellence de l'islam radical. Et l'Iran échoue à réunir les forces musulmanes contre l'« impérialisme » américain. Finalement, le jihad en Afghanistan a marginalisé Téhéran. Mais on ne le savait pas encore ».

Le 15 février 1989 marque l'effondrement du bloc russe, donc une incontestable victoire des États-Unis, grâce à leurs soi-disant défaites au Vietnam et en Afghanistan. L'impérialisme russe ne va pas parader longtemps en Afghanistan, le régime collabo tombe en 1992 :

« Le pays sombre dans l'anarchie. Le régime procommuniste ne tombe qu'en 1992. Les différents partis afghans se battent entre eux. C'est dans ce contexte que les talibans conquièrent le pouvoir en 1996. Ceux-ci ont été formés dans les madrasas les écoles coraniques pakistanaises, après avoir fui l'Afghanistan en guerre dans les années 1980. Ils sont donc, eux aussi, le produit de la guerre d'Afghanistan ».

L'enfant bâtard de l'impossible nouvelle guerre mondiale a été le petit Afghan

Mais encore une fois le meilleur joueur d'échecs va se servir de l'Afghanistan comme bouc-émissaire de l'invention du terrorisme « international ».

Les raisons de cette guerre étaient rabâchées : éradiquer le foyer du terrorisme qui s'était attaqué aux États-Unis, détruisant les tours jumelles du World Trade Center à New York, le 11 septembre 2001. Les médias ont opéré de façon à développer un ressenti comme une attaque qui nous aurait tous concernés tout autant que les Américains. Suiviste et collabo, la bourgeoisie française a fait cause commune et, aussitôt, envoyé en Afghanistan des soldats français aux côtés des soldats américains. Dans un premier temps, les talibans se sont effondrés et dispersés. Sans façon et pour s'engager dans la guerre d'Irak, l'impérialisme US s'est désimpliqué, comme à l'heure actuelle, du territoire afghan, pour envoyer leurs troupes contre Saddam Hussein. Il n'était plus possible de rétablir la sécurité hors des grandes villes. Les populations rurales tombaient alors sous la coupe des petits chefs de guerre. Les talibans exclus des discussions politiques qui, à Bonn, avaient décidé du futur État afghan, ont recréé, dans les zones rurales délaissées, une infrastructure politico-militaire. Les collabos afghans, absorbés par la réalisation de leurs ambitions politiques, n'ont pas été fichu (comme ce jour 15 août 2021) d'encadrer une police et une administration compétente. Ils étaient d'ailleurs aussi corrompus que les actuels collabos US en fuite en avion, alors que les talibans sont venus à mobylette par milliers, en partie estimés par la population.


Même occupés par la guerre en Irak, l'impérialisme américain ne cesse pas son double jeu. Les services secrets pakistanais aident les talibans au lieu de les combattre et les États-Unis, alliés du Pakistan, financent involontairement leurs pires ennemis. Les forces de l'Otan ne sont pas assez nombreuses pour l'emporter et risquent l'enlisement et l'encerclement, comme les Russes avant elles. La population civile, bombardée et occupée, n'aime pas les Occidentaux, même lorsqu'elle déteste les talibans.


Une fuite américaine qui n'en est pas vraiment une


Des explications « économistes » qui ne tiennent pas la route émaillent les suppositions de spécialement pitres spécialistes comme celui-ci, qui se croit dans le secret des dieux :


«L'Afghanistan est un pays riche en ressources naturelles. La Russie lorgne sur les réserves de gaz du nord du pays ; la Chine s'intéresse au lithium, nécessaire aux technologies nouvelle génération et à l'industrie automobile, mais aussi à l'uranium, à l'or et à l'acier afghans ; les Etats européens, Allemagne en tête, ont eux aussi des vues sur les réserves de lithium du pays. ... Le capitalisme est toujours à l'affût pour planter ses griffes acérées jusque dans les contrées les plus préservées de la planète.»


C'est du pipeau pour islamo-gauchiste moyen ! Même la Chine s'en fiche de négocier quoi que ce soit avec les tarés talibans. On est dans le domaine de la stratégie géopolitique. Et le grand cirque médiatique. En février 2020, les États-Unis et les talibans signent un "accord de pacification" de l'Afghanistan qu'ils préparent depuis des années. En vertu de cet accord, les États-Unis et leurs alliés de l'OTAN acceptent de retirer toutes leurs troupes en échange d'un engagement des talibans à ne pas laisser Al-Qaida ou tout autre groupe extrémiste opérer dans les zones qu'ils contrôlent. Dans le cadre des pourparlers de l'année dernière, les talibans et le gouvernement afghan ont tous deux participé à la libération de prisonniers. Le Satan taliban d'aujourd'hui n'est plus tout à fait le crétin d'hier, sans compter que la population urbaine ne va pas se laisser humilier ni torturer comme par le malheureux passé, même si elle est encore victime des troubles négociations et chantages des clans impérialiste. Les probes et démocrates Etats-Unis ont présidés à la libération de près de 5 000 tueurs talibans dans les mois qui ont suivi l'accord. Ils avaient promis également de lever les sanctions contre les talibans et de collaborer avec les Nations unies pour lever leurs propres sanctions contre le groupe. Les promesses n'engagent que ceux qui y croient.

Après les attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis avaient solennellement annoncé qu'ils feraient la guerre au terrorisme, qu'ils libèreraient l'Afghanistan de l'arriération des talibans puis qu'ils apporteraient la prospérité et la démocratie en Irak. Le résultat aujourd'hui est une fuite après une instabilité croissante et meurtrière. Phénomène nouveau, on voit que la situation tend à échapper au contrôle même de la principale puissance militaire de la planète.

Mais qu'est-ce qui lui échappe vraiment à nouveau en apparence ? Ou plutôt à quel moment de sa politique d'hégémonie correspond cette nouvelle tactique « victimaire » ? Qui est d'ailleurs un trait de continuité entre Trump et Biden : le repli national. Pas pour s'isoler et laisser le contrôle de la planète à d'autres ou à cette outre vide de «communauté internationale » et à cette Europe sans couilles.

En vingt ans de guerre locale, plus de 2 300 militaires américains ont été tués et plus de 20 000 blessés, ainsi que plus de 450 Britanniques et des centaines d'autres nationalités. Mais c'est le peuple afghan qui a subi le plus de pertes, certaines études suggérant que plus de 60 000 membres des forces de sécurité (les collabos) ont été tués. Près de 111 000 civils ont été tués ou blessés depuis que les Nations unies ont commencé à enregistrer systématiquement les pertes civiles en 2009.

L'axe du mal est-il en train de triompher d'une Amérique impuissante?

Encore les pleurnicheries médiatiques : « Le président des Etats-Unis assume son retrait du pays, malgré l’effondrement de l’armée régulière et du pouvoir en place face à la progression fulgurante des talibans, et alors que l’évacuation précipitée des derniers ressortissants rappelle la chute de Saïgon, en 1975. Zalmay Khalilzad, le négociateur américain en chef avec les talibans dans les pourparlers de paix à Doha, au Qatar, avait demandé au groupe extrémiste de ne pas entrer à Kaboul tant que les Etats-Unis n’auraient pas terminé d’évacuer. (…) On ne savait pas à quelle vitesse les évacuations pourraient être effectuées (…) L’Amérique sidérée par l’ampleur de sa défaite en Afghanistan (…) DÉCRYPTAGE - Le Pentagone a dû se résoudre à l’envoi de renforts à l’aéroport de Kaboul pour protéger les opérations d’évacuation, encore qualifiée de partielle, de son ambassade. (…) Ce n’est pas un abandon. Il ne s’agit pas d’une évacuation. Il ne s’agit pas d’un retrait total, a déclaré Ned Price, porte-parole du Département d’État. Il s’agit d’une réduction de la taille de notre empreinte civile.» Price a rejeté l’idée que les mesures prises jeudi envoyaient des signaux encourageants à des talibans déjà enhardis, ou démoralisants à des civils afghans paniqués. «Le message que nous envoyons au peuple afghan est celui d’un partenariat durable», a-t-il insisté.

Les Américains, qui ont encore à Kaboul plusieurs milliers de personnels, essentiellement dans leur ambassade fortifiée au centre de la ville, ont aussi promis de délivrer un certain nombre de visas spéciaux d’immigration à des Afghans. Piteux mensonges, les actualités nous montrent une foule de gens qui se bousculent vainement pour monter dans un avion. La bourgeoisie française via son porte-voix Macron assure que tout sera fait pour protéger le départ de nos ressortissants (qui ne sont que dix à l'ambassade ! Mais rien pour la masse des afghans qui ne veulent pas être violés, torturés et égorgés par les sadiques talibans ! Elle est belle la « communauté internationale » !

Au Etats-Unis la gauche est aussi pourrie que la droite militariste, puisque c'est un homme « de gauche » qui est président du massacre afghan, comme le note ce journaliste :

« L’étrange alignement de Biden avec la décision de Donald Trump, qui avait critiqué les guerres sans fin dans lesquelles les Administrations précédentes avaient engagé les États-Unis, ne lui a jusqu’à présent guère valu de critiques chez les démocrates, qui s’étaient pourtant insurgés contre la décision de Trump d’abandonner les forces kurdes dans le nord-est de la Syrie en octobre 2019 ».

L'axe du mal reste le capitalisme en son entier, dont l'impérialisme US est le principal tueur à gages avec les sous-fifres talibans. Les deux raisons de la « fuite » les voici :

  • l'Afghanistan qui a servi de tremplin pour faire tomber le bloc stalinien n'est plus un enjeu central, il reste utile pour recréer un « axe du mal » bien saignant avec le spectacle des égorgeurs talibans qui vont remplacer l'horrible Daesh dans la figuration du mal « anti-démocratique », ce bonheur que nous avons de vivre en pays en paix et soignés contre la covid ; accessoirement la « fuite » va servir à mettre encore en difficulté cette pauvre Europe hétéroclite avec la (véritable) fuite éperdue de milliers de pauvres gens ;

  • il avait fallu mettre fin à la guerre du Vietnam vu les milliers de cadavres de soldats américains ramenés au pays surtout vu les conséquences sur la paix sociale ; ce n'est plus le cas avec cette guerre en Afghanistan, pas autant de morts... vu la sophistication des moyens de tuer à distance... mais mais... il y a autant d'estropiés et de mutilés, qui ont rendu insupportable toute prolongation de cette boucherie par la population et surtout la classe ouvrière américaine2. C'est pour cela principalement que Biden a été élu, et son silence montre qu'il se fiche des commentaires désapprouvant la « fuite ».

L'évolution de la situation sur le terrain afghan et la réaction de l'opinion publique vont être passées au crible. Chaque impérialisme va bétonner son argumentaire et donner de l'épaisseur à ses réponses. Mais le danger d'un réveil volcanique de la classe ouvrière, non pas pour les salaires ou la préservation des retraites, face à l'ignominie et à la lâcheté des gestionnaires bourgeois, relèverait de l'utopie, quand cela relève du sensible à la mesure de la gravité du danger et de la barbarie du système en plein délire.


NOTES

1 « Les difficultés de Johnson sont exacerbées par l'émergence de la crise économique ouverte et le fait que le prolétariat n'est pas idéologiquement battu ; alors qu’il avait tenté une politique de "guns and butter" (des fusils et du beurre) – faire la guerre sans qu'il soit nécessaire de faire des sacrifices matériels à l'arrière – la guerre se révèle alors trop coûteuse pour soutenir cette politique. En réponse au retour de la crise ouverte aux Etats Unis, une vague grandissante de grèves sauvages se développe de 1968 à 1971, dans lesquelles s’impliquent souvent des vétérans du Vietnam mécontents et en colère. Ces grèves causent de sérieuses difficultés politiques à la classe dominante américaine. 1968 est en fait le signal de bouleversements aux Etats-Unis avec le développement simultané de désaccords internes au sein de la bourgeoisie et du mécontentement grandissant dans le pays. Deux semaines après que Johnson ait annoncé son retrait de la course aux présidentielles, le leader des droits civiques, le pasteur Martin Luther King, qui avait rejoint le mouvement anti-guerre en 1967 et dont on disait qu'il était prêt à renoncer à la protestation non-violente, est assassiné, ce qui provoque de violentes émeutes... ».

2Il ne s'agit pas d'une invention de ma part comme incurable naïf et utopiste militant ringard, mais de l'avis d'un journaliste du Figaro spécialiste de la géopolitique.

Ci-joint le lapsus révélateur de LCI et le souci de la bourgeoisie internationale de sauver ses "colons" et pas le pauvre afghan de base!



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