PAGES PROLETARIENNES

vendredi 16 octobre 2020

Récapitulons...

 

oui récapitulons !



Je peux reprendre un commentaire du mois de mars « sauvetage ou effondrement du capitalisme », que je ne renie en rien, et que je développerai dans le prochain article : De quoi la décadence est-elle le nom ?

« En survolant ces contributions à un état des lieux , et en laissant de côté diverses informations et réflexions qu'elles apportent, et bien que sur un court laps de temps de deux mois, elles m'apparaissent comme mettant en évidence la gabegie et l'impuissance des principaux Etats, non à juguler complètement la pandémie, mais à freiner la marche à l'effondrement économique et avec un discours politique vide, incrédible pour la population. Les comparaisons que j'effectue dans ma recherche du passé – la peste au moyen âge, 1914, la grippe espagnole de 1918, 1929, 1945 et enfin le Titanic – ne donnent que de faibles indications et ne sont pas toujours appropriées avec la gravité de la pandémie mondiale actuelle, surtout au sens où tout semble remis en cause, déstabilisé, paralysant, incompréhensible. Nouveauté inédite historiquement, pas seulement parce que ce virus se répand beaucoup plus vite que ceux qui avaient été identifiés auparavant, parce qu'il tue plus sûrement, mais parce que la « science médicale » étale son incompétence et sa fébrilité. Au sens de la globalité enfin, car, à la différence des drames lointains d'autrefois, le monde entier est touché, pas un pays ne sera épargné, pas une population. On frissonne déjà pour l'Afrique et les favelas du Brésil. Si effondrement il y a, il ne se produira pas dans un seul pays, comme dans le cas de la Russie en 1917, mais PARTOUT ».

LA CONTINUITE DE LA GABEGIE GOUVERNEMENTALE

Personne n'a oublié que pendant les premières semaines un croque-mort gouvernemental ressassait tous les soirs que les masques ne servaient à rien (parce que les gouvernements précédents les avaient fait détruire). Actuellement ce sont les lits d'hôpitaux qui ne servent à rien, parce que depuis mars rien n'a changé : les hôpitaux sont laissés à l'abandon, le personnel soignant ne voudra plus qu'on se paye sa tête par des chansons au balcon, plus personne ne veut être soignant avec un salaire de merde et des horaires de torture.

Une grande partie de la population, soutenue par nombre d'irresponsables a cru que le covid était derrière nous, et certains croyaient que le marché capitaliste allait retrouver des couleurs. Vacances d'été et débordements de distractions sans protection de la jeunesse, sans oublier les ouvriers jem'enfoutistes qui ont continué à travailler sans se soucier de se protéger sur le lieu de travail comme aux mariages et enterrements.

Pour faire face dans l'urgence à une nouvelle invasion des hôpitaux (et un personnel soignant « en rupture de stock »), expérimentant une méthode de guerre (le couvre-feu) pour plusieurs semaines, Macron veut gagner du temps sur l'invention d'un hypothétique vaccin, tout en essayant de maintenir la production, qui va inévitablement s'effondrer, et en décuplant la dette, qui va inévitablement exploser. Il n'y aura pas plus de nouveau vaccin efficace, même comparable à celui contre la grippe (pourtant clairement inefficace), comme il n'y aura pas d'échappatoire à l'effondrement ; il est peu probable que la bourgeoisie puisse éviter de se suicider en lançant la der des der. Le CCI est le seul groupe à avoir noté que le capitalisme ne peut pas et ne pourra pas guérir du covid.

Mais parallèlement à cette impuissance économique et politique, il y a plus grande pour le règne du capitalisme c'est le chaos qu'on le nomme comme on voudra, séparatiste, communautariste, anti-centralisation, qui gagne les hautes sphères de l'Etat à peu près partout, aux Etats-Unis, en Angleterre, en Allemagne, etc. Cette sorte de contestation locale, régionale ou même banlieusarde qui conchie systématiquement ce que je nomme l'Etat secouriste et antiraciste, est carrément stupéfiante. Cela a commencé avec le lâchage de l'institution policière : tout policier est ainsi soupçonné automatiquement et mis en examen comme les racailles qui l'ont agressé ; les médias se répandent en conjectures mais pour mieux faire le buzz avec les attaques de commissariat.

Stupéfiante l'incroyable accusation de la magistrature française qui a subitement mis en cause dans une enquête pour leur gestion de la crise du coronavirus, l'actuel ministre de la Santé Olivier Véran mais aussi l'ancien Premier ministre Edouard Philippe et les ex-membres du gouvernement Agnès Buzyn, Sibeth Ndiaye qui ont vu leurs domiciles et bureaux perquisitionnés jeudi matin comme de vulgaires dealers ou assassins. Cette juridicisation de la vie politique bourgeoise, à laquelle on ne s'habitue jamais, personnalise à outrance, dépolitise au fond les questions, voire peut servir à victimiser les hommes du pouvoir, car les Philippe, Buzyn et compagnie personne ne peut les soupçonner d'avoir machiavéliquement voulu laisser se développer le virus ; au contraire, chacun à leur niveau ont eu la confiance de l'opinion, sauf que cette mise en accusation ridicule fait passer à la trappe les vraies responsabilités celles de l'Etat tout entier et de Macron en premier lieu. Le fond de l'affaire est certainement très étroit et mesquin, ces messieurs les magistrats, si suivistes d'ordinaires ont voulu se venger de la nomination d'un ministre de la justice gauchiste et arrogant. La mise en examen concomitante de Sarkozy pour "association de malfaiteurs" qui a pour but de crucifier définitivement la droite bourgeoise va-t-elle sauver le système de foutage de gueule d'une révolte de classe, ou poser la nécessité d'une dictature pour se passer de toutes ces institutions de "malfaiteurs démocratiques"?

On observe et on observera d'autres scandales de ce type en Allemagne (länders qui prennent des décisions cacophoniques) et ailleurs. Un des aspects de la décadence de l'antiquité et de la féodalité était la querelle des héritiers, fils de roi ou ces rivalités inextinguibles entre factions en compétition, le tout avec la chute économique, avait naturellement mené à l'effondrement. L'effondrement aujourd'hui sera bien plus grand comme je le démontrerai.

Enfin le pouvoir erratique va se heurter à la classe ouvrière,même si on ne sait pas encore la forme que cela prendra. Un dernier élément (pour aujourd'hui) un couac qui montre les limites de l'Etat secouriste. Ce dernier avait cru bien faire en annonçant des primes pour la partie la plus démunie de la classe ouvrière, une prime de 150 euros pour ceux du RSA, déclenchant d'ailleurs la colère de celles et ceux qui travaillent (« nous on bosse pour 1500 euros par mois, mais on file du fric à ceux qui foutent rien » témoignage d'une aide soignante).

Face aux journalistes, Macron avait promis une «aide exceptionnelle de 150 euros plus 100 euros par enfant serait versée» à toutes les personnes bénéficiaires du Revenu minimum de solidarité active (RSA) et des APL (aides personnalisées au logement).

Le coup de pouce semblait directement calibré pour bénéficier aux plus jeunes, en particulier aux 18-25 ans, durement touchés par la crise économique qui réduit les possibilités de premier emploi et de jobs étudiants. Mais au lendemain de l'interview, Matignon a finalement fait volte-face en indiquant que la mesure d'aide de 150 euros serait destinée aux seuls bénéficiaires du RSA et de l'ASS (Allocation de solidarité spécifique - réservée aux chômeurs en fin de droit). Les allocataires des APL n'auront pas accès à la prime spécifique de 150 euros, mais ils pourront recevoir 100 euros par enfant, s'ils sont parents.

La rectification du cabinet du Premier ministre passe mal auprès des acteurs de la solidarité, pour qui de nombreux jeunes seront exclus de mesures de soutien. «On est particulièrement surpris de voir qu'un jour on nous annonce un coup de pouce et le lendemain on nous le retire», réagit la présidente de l'Unef Mélanie Luce, sur Franceinfo. «C'est une promesse non tenue parce que quand le président s'exprime, normalement, ses propos font loi. Cela montre qu'il y a un délaissement des jeunes», s'indigne-t-elle. Non c'est simplement le début de la fin de l'argent roi de la planche à billets. Christine Lagarde a d'ailleurs lancé l'alerte : « allez y mollo, ne supprimez pas trop brusquement les aides, sinon ce sera la falaise » ! Ce n'est pas « une confusion totale au plus haut sommet », c'est le début du freinage dans la marche à la catastrophe.

Recensement de mes 30 articles sur le coronavirus

Etonnant ! je me suis aperçu que je n'ai plus écrit aucun article sur le covid-20 depuis le mois d'août ! Avais-je tout dit ? En me relisant je m'aperçois que j'ai tenu une sorte de journal de bord de toutes les incuries, imbécillités gouvernementales et sous estimation du vulgum pecus.

1 Coronavirus : une atmosphère de guerre mondiale (26 février) Curieux titre à la relecture 8 mois après. Ma première explication se base sur une logique de destruction militaire permanente.

2 Dernière discussion communiste avant la fin du monde (20 février). Je pose la question de « la fin du monde » en me centrant sur l’impuissance de la théorie conseilliste.

3 Le capitalisme est-il responsable du coronavirus ? (9 mars) oui impuissance à résoudre les pandémies (cf la peste)

4 Le capitalisme se relèvera-t-il de la crise du coronavirus ?b(15 mars) non et je montre la venue de la catastrophe

5 Une loi martiale ridicule (18 mars. Je détaille le scandale des masques

6 La déconfiture politique et sociale du discours patelin sur le confinement (21 mars) Je suis peu soucieux p des comiques « libertés publiques », et après avoir évoqué la grippe espagnole et ses conséquences sur la révolution en Russie, je persiste à dire qu’on va vers un chaos social généralisé

7 La lutte de classe au temps de la pandémie (titre qui a été repris par Battaglia) (24 mars) . Contre les incriminations gouvernementales à la « solidarité nationale » j’explique que la lutte de classe peut se dérouler par procuration malgré la menace du virus.

8 Le virus de la peur au ventre TRACAS FAMILLE PATROUILLE (26 mars). La bêtise des toubibs, la peur du prolétariat et la bombe du chômage en perspective la plus repoussée, et la connerie de Zemmour

9   Sauvetage ou effondrement du capitalisme ? (29 mars) un réexamen du catastrophisme marxiste. On n’en est plus à une possible mutation vers un autre type de société mais se repose le risque apocalyptique de destruction de l’humanité… même pas par la bombe atomique.

Je fournis un résumé des articles précédents :

Alors, après les affres de la crise environnementale, la crise du Covid-19 va-t-elle donner le coup de grâce au capitalisme ? Peut-on au contraire continuer à croire que le système pourrait se réformer et qu'il n'y aurait pas d'autre alternative que l'apocalypse ? 

10 Polémique des charlatans VRP des labos : mourir peut attendre (31 mars). L’Etat ne veut pas reconnaître sa responsabilité criminelle, la cabale contre le docte Raoult, la véritable infection est politique et il n’y a pas de solution nationale.

11 Face à l’apocalypse du capitalisme il faut un parti providentiel(3 avril). Incurie persistante de l’Etat et minimisation de la pandémie. Pas de nouvelles sectes en vue.

12 Comment les classes se disputent l’après coronavirus ? (7 avril) Je n’y crois pas à la fin de ce coronavirus, je vois une bourgeoisie affolée et une petite bourgeoisie déprimée. La classe ouvrière reste encore atomisé et désarmée par l’idéologie multiracialiste dissolvante. 

13 Coronavirus ou communisme ? Comment les historiens ont négligé les conséquences politiques des grandes pandémies, la peste avait aussi démarré en Chine, camouflage puis ébranlement de la société.

14 Face au coronavirus vivement la femme de ménage au pouvoir (11 avril) ou comment ne plus être gouvernés par des irresponsables ? Retracer l’histoire des relations sociales avec cette belle formule : « La crise du covid-19 ou la plus formidable révolution conservatrice de l'impuissance bourgeoise ». L’aveuglement du milieu maximaliste. Le marxisme n’est pas une science. Marx a bien misé sur l’effondrement du capitalisme.

15 Quand la médecine chinoise s’éveillera, le monde tremblera (12 avril). Cette parodie d’Alain Peyrefitte (au mois d’avril) m’apparaît comme une étrange anticipation de la future inculpation des ministres de Macron en ce mois d’octobre…confirmation du chaos et de la juridicisation du désordre bourgeois.

16 Pourquoi Macron a repoussé le confinement ? (14 avril) Pour remettre la classe ouvrière à la production pardi ! Je me moque au passage du pauvre NPA confiné depuis si longtemps hors du marxisme. 

17 La pétition poujadiste de Priscilla Ludowski (17 avril). Certains pensent que l’effondrement pourra être évité par l’opération du Saint Esprit ou par pétition. Le pire n’est pas toujours sûr. La petite bourgeoisie jaunie sera-t-elle fasciste ? 

18 Premières leçons politiques de la crise du Covid-19. (18 avril). Suite du chaos, impuissance récurrente de l’Etat français, génie provocateur de Trump. Le capitalisme décadent est avant tout américain ;

19 Le lumpenprolétariat une vieille épidémie sociale. (21 avril) Ce qui sert à faire passer les policiers pour des victimes. Lumpen d’hier et d’aujourd’hui. Le trotskisme soutient racailles et décoloniaux. Annexe : les individus qui se font passer pour des groupes politiques.

20 Qui est en péril votre épargne ou l’économie capitaliste ? (23 avril) La guerre ou l’effacement des guerres avec le génial Lénine ?

21 Centralisme et fédéralisme et repli national (29 avril). Toujours dans la perspective du remplacement du capitalisme je rappelle les questions contenues dans ces deux méthodes gestion pas forcément antagonistes d’autant que le covid a fait voler en éclats les poncifs éculés.

22 Centralisme et fédéralisme et repli national suite. (30 avril) DE l’impossible repli national au gouvernement mondial. Va-t-on vers un énorme soulèvement social. Hommage à H G Wells.

23 Avec la « distanciation sociale » Big Brother like you. (6 mai) Amères leçons de la période de confinement obtuse. Ce sont les mêmes agents étatiques qui s’avisent de critiquer l’Etat pour mieux le conserver. Premier listage de la série de carences gouvernementales. 

24 Regardez le gouvernement Macron, c’était la dictature du prolétariat. (9 mai) La discipline du prolétariat face au virus. Conséquences de la grippe espagnole et réaction du gouvernement bolchevique.

25 De l’injure en politique et de sa vérité. (10 mai) Polémique avec Hildegarde sur les mesures sanitaires suivie de la signification de l’injure en politique. Décidément le covid touche et mène à tout.

26 Entre comédie de coronagate et restauration du capital (13 mai). Sur qui l’Etat Poulidor peut-il compter. Le jeu trouble de la CGT.

27 Conseils au gouvernement Poulidor pour combattre l’ultra-gauche en jaune. (14 mai). On l’a oublié mais le gouvernement craignit une deuxième vague… de gilets jaunes masqués ! Piqures de moustiques contre éléphant étatique. Comment éviter des émeutes qui n’auront pas lieu en septembre. La conjuration de Batz.

28 Voile sanitaire et voile musulman kif-kif bourricot ? (23 mai) Par qui remplacer la bourgeoisie mortellement infectée par le covid ? (25 mai) Une classe alternative à la gestion capitaliste de la société. Quelle identité de classe ? Coopératives ? 1871 et 1917 ?

29 Confirmation de la théorie de l’effondrement du capitalisme (11 juin). Hommage à Enryk Grossmann, lucide prévisionniste.

30 Comment allons-nous gérer l’insurrection au mois de septembre ? (16 juin). Le capitalisme propage plus le virus que le racisme. La pensée transformiste du CCI. Face au chaos la grève n’est plus la panacée et je ne crois toujours pas à cette fable d’ insurrection imaginaire en septembre. 

31 Critique du programme du ghetto médiatique. (21 juin) Poursuite de la catastrophe planétaire. Pleurnicheries anti-racistes et rédemption écologique. Un programme écolo-bobo.

32 En quoi la pandémie est-elle utile à l’Etat bourgeois ? (20 août) Toujours pas de guerre mondiale en vue. La domination bourgeoise est surtout psychologique. Quelle est la tactique réelle de l’Etat « sanitaire » ? Qui exerce vraiment la terreur ? Ne pas se laisser prendre au piège de la morale écologique.

 APPRECIATION PROVISOIRE

Au tout début, le 26 février, j'avais écrit mon premier article en utilisant la métaphore de la guerre mondiale, mais avec un humour grinçant, et en rappelant la destructivité inédite dont a été capable de capitalisme moderne avec en particulier le « virus » (inventé industriellement) des gaz pour tuer le maximum d'humains. J'y évoque aussi la fake new d'une possible fabrication perverse, qui n'est pas une idée complètement infondée si on sait quels types d'armes ont été utilisées pendant les guerres coloniales ou impérialistes actuelles; même si le Covid-19 apparaît surtout finalement comme un des nouveaux virus que l'humanité devra toujours affronter de par ses négligences, viols de la nature, ou pas, et qu'elle ne pourra jamais complètement éradiquer même, probablement au long terme, dans une société humaine débarrassée de l'exploitation, si cette perspective dépasse son caractère utopiste.

Début mars je me suis efforcé d'écarter un marxisme simpliste où le capitalisme serait responsable de tout et de rien, mais en estimant ses ressources dites « modernes », « progressistes » ou « scientifiques » comme presque aussi dérisoires que celles du Moyen âge face à la peste (le confinement comme seule bouée de sauvetage après dieu). Il n'est plus question syndicalement que de la banale histoire des retraites, mais c'est la mort à ma porte qui fait sa réapparition.

J'avais insisté sur les dommages irréparables qui seront causés à l'économie mondiale, et dont les experts minimisent encore l'impact. Il se confirme que, bien que la classe dominante ne semble pas débordée, mais continue à naviguer à vue et à s'affoler, sans parvenir à diminuer le nombre de morts un peu partout et en laissant croire, par dépit et servilité, que la Chine dictatoriale a vraiment trouvé la bonne solution.

Dès le mois de mars, j'avais souligné le durcissement autoritaire qui devait automatiquement succèder à la câlinothérapie macronienne avec le radotage des formules ringardes sur union et solidarité « nationales ».  

En filigrane j'ai abordé la question de la confrontation des classes malgré la pression exercée par le confinement idéologique étroit du « tous ensemble » gouvernemental et oecuménique. Les incriminations de l'Etat contre « l'individualisme » ont clairement pour but de culpabiliser, c'est à dire de soumettre à la doxa sécuritaire sanitaire une population rétive à se laisser confiner quand en même temps une partie est obligée de s'exposer au travail. On assiste au contraire à des failles dans la « mobilisation nationale » et même à des débuts de désertion (mise en retrait, arrêts maladie) qui valent analogie (modeste) avec les mutineries au front en 1917-1918.

Dans l'ensemble, en toute modestie, j'ai analysé les problèmes politiques et sociaux sous-jacents que pose et ne va pas tarder de poser ce Coronakrach. Tous les Etats capitalistes ont agi avec un retard coupable parce que la santé des masses ne peut passer avant le profit économique, vieille quadrature du cercle capitaliste néo-malthusien. Ils n'ont pensé à généraliser le confinement qu'à la mi-mars ! Et de s'étonner de l'hécatombe à l'heure présente pour la deuxième post-estivale qui a bel et bien lieu !

 

mardi 13 octobre 2020

HOMMAGE A JOHN BROWN

 

HOMMAGE À JOHN BROWN

 

George Novack (1938)

(traduction Jean-Pierre Laffitte) 

 


Avec son nouveau produit de star du ballon rond devenu intello bc bg de l'idéologie bourgeoise multiraciale - “La pensée blanche” - l'un des champions du monde de 1998, Lilian Thuram, vient s'amuser à son tour à réviser l'histoire de la lutte des races à la suite des débiles racialistes, pour inventer une “pensée blanche”  (abstraite) qui permettrait de comprendre la fabrication des préjugés sur la couleur de peau. Son interview dans l'OBS révèle l'indigence de pensée (noire?) de ce bourgeois friqué, mais plus encore l'inanité de toute réflexion à partir et en termes de lutte des classes. Cet olibrius, sponsorisé à outrance par l'ONU dans les cours d'école, profite à fond de son vedettariat de fouteux pour faire passer la confusion dans les jeunes têtes. Que cet hommage à John Brown soit la meilleure réponse au fait que l'abolition a été surtout un combat universel des meilleurs de nos combattants historiques, qu'ils aient été blancs ou noirs. 

John Brown était un terroriste révolutionnaire. Mais il n’y avait rien d’étranger ou d’exotique en lui ; il était un produit authentique du sol américain. Les racines de son arbre familial remontaient des deux côtés aux premiers colons anglais du Connecticut. Les générations de Brown étaient de pieux pionniers protestants, rudes et intègres, et singulièrement constants dans leurs idées, leurs natures et leurs modes de vie. John Brown était le troisième combattant de la liberté à porter ce nom dans la famille et il était lui-même parent d’un quatrième. Son grand-père est mort en service en tant que capitaine dans la Guerre d’indépendance. Son père a été un ardent abolitionniste, un chef de gare et un animateur du Chemin de fer clandestin(*).

Depuis sa naissance en 1800, le schéma des cinquante premières années de John Brown a reproduit la vie de son père. Son père s’était marié trois fois et il a eu seize enfants ; John Brown s’est marié deux fois et il a eu vingt enfants, et tous les êtres qui vivaient chez eux s’engageaient à haïr et à combattre l’esclavage noir. Comme son père, John “avait la bougeotte” et il a changé une dizaine de fois de domicile dans les États du Nord-est avant de décider de s’installer au Kansas. Il a été successivement – mais pas vraiment avec succès – berger, tanneur, fermier, géomètre, expert en bétail, spéculateur immobilier et marchand de laine. Étant donné son instabilité, son constant changement d’occupation et de résidence, John Brown était un citoyen typique de la classe moyenne de son époque.

Comment ce fermier et homme d’affaires ordinaire, ce pieux patriarche, s’est-il transformé en un chef de bande de la frontière et en un terroriste révolutionnaire ? John avait hérité de l’amour pour la liberté de sa famille et de l’abolitionnisme de son père. À un âge précoce, il avait juré une guerre éternelle à l’esclavage. Sa grange à Richmond, Pennsylvanie, où il avait installé une tannerie en 1825, la première de se s entreprises commerciales, était une gare du Chemin de fer clandestin. Dix ans plus tard, il discutait des plans relatifs à la fondation d’une école pour Noirs. « Si jamais les chrétiens des États libres s’attelaient sérieusement à enseigner les Noirs », écrivait-il à son frère, « les gens des États esclavagistes se trouveraient constitutionnellement amenés à entreprendre immédiatement  le travail d’émancipation ».

Lorsque le slave power (le pouvoir des esclavagistes)(**) a resserré son emprise sur le gouvernement, les opinions de John Brown sur l’émancipation ont radicalement changé. « Ferme croyant en l’authenticité divine de la Bible », il tirait son inspiration et sa conduite plutôt de l’Ancien Testament que du Nouveau. Il a perdu son entente avec les abolitionnistes de l’école de Garrison(***), lesquels préconisaient la doctrine christique de non-résistance à la force. Il s’identifiait au berger Gédéon qui conduisait sa bande contre les Madianites et les tuait de sa propre main.

Un projet  consistant à porter la guerre dans le camp ennemi avait longtemps germé dans l’esprit de John Brown. En établissant une place forte dans les montagnes qui longeaient le territoire du Sud et à partir desquelles ses hommes pouvaient lancer des raids sur les plantations, il projetait de libérer les esclaves et de les faire passer au Canada. En voyage en Europe en 1851, il a inspecté des fortifications en ayant en vue un usage futur ; il a étudié soigneusement la tactique militaire, en particulier la guerre de guérilla dans un territoire montagneux. Des cahiers sur ses lectures existent encore.

Cependant, ses premières attaques à l’encontre du slave power devaient être effectuées non pas à partir des montagnes du Maryland et de la Virginie occidentale, mais dans les plaines du Kansas. Au printemps de 1855, ses quatre fils aînés avaient émigré au Kansas dans le but de s’y établir et d’aider à conquérir ce territoire pour le Free Soil Party [Parti du Sol libre](*). En mai, John Brown Jr. envoyait l’appel urgent suivant à son père :

 

« Tandis que l’intérêt du despotisme a gagné à sa cause des centaines et des centaines d’hommes les plus ignobles et les plus désespérés, armés jusqu’aux dents … tout à fait organisés … à la solde des propriétaires d’esclaves, les amis de la liberté ne sont même pas un quart de ceux-là, ils ne sont qu’armés à moitié, et il n’existe nulle part sur le territoire d’organisation militaire parmi eux… [avec ce résultat] que les gens d’ici manifestent l’esprit le plus abject et le plus lâche. … Nous proposons… que la partie antiesclavagiste des habitants s’arme immédiatement et totalement et quelle s’organise en compagnies militaires. Pour effectuer cela, certaines personnes doivent commencer et prendre les devants en la matière. Il y a ici cinq hommes parmi nous qui non seulement tiennent à se préparer à fond, mais qui sont absolument déterminés à combattre. Nous ne voyons pas d’autre moyen pour répondre à la situation. “Il n’est plus question de l’esclavage des nègres, mais de notre asservissement”. Nous voulons que tu nous procures ces armes. Nous avons davantage besoin d’elles que de pain… ».

 

S’étant déjà résolu à rejoindre ses enfants au Kansas, John Brown n’avait pas besoin d’une seconde invitation. Au cours des quelques mois suivants, il a rassemblé des stocks considérables d’armes ainsi que d’importantes sommes d’argent provenant de différentes sources compatissantes, y compris  des caisses de fusils appartenant à l’État de l’Ohio et qui ont été “subtilisées” pour son usage. En août, il a pris la route du Kansas à partir de Chicago dans un chariot tiré par un cheval et chargé de fusils et de munitions.

Dès son arrivée à Osawatomie au Kansas, John Brown devenait le capitaine de la compagnie de la milice locale et il l’a conduite dans la “Wakarusa War” [Guerre de Wakarusa](**) sans effusion de sang. Il s’est ensuite lancé au cœur du combat pour la possession du territoire, combat qui a donné à ce territoire le nom de “Bleeding Kansas”(*). En représailles à la mise à sac de Lawrence par les Border Ruffians [les voyous de la frontière], les hommes de Brown, y compris ses quatre fils, massacraient cinq sympathisants de l’esclavagisme au cours d’un raid de nuit près de Pottawatomie Creek. Brown a pris la pleine responsabilité de ces meurtres ; il luttait selon l’injonction scripturaire : « œil pour œil, dent pour dent ».

Les représailles d’un côté nourrissaient des représailles de l’autre côté. La colonie d’Osawatomie a été pillée et incendiée, le fils de John, Frederick, a été tué, ses forces ont été battues et dispersées. Par la suite, John Brown et sa bande sont devenus des hors-la-loi, menant une vie de cavale, semant les troupes du gouvernement, lançant des raids soudains contre les forces pro-esclavage. Brown est devenu un pouvoir au Kansas. Son nom équivalait à « une armée avec drapeaux » aux yeux des colons militants du Free Soil. La rumeur de sa présence suffisait à disperser les rassemblements pro-esclavage. Il a continué sa guerre de guérilla pendant toute l’année 1856 jusqu’à ce que le Kansas ait été pacifié par les troupes fédérales.

Ses expériences au Kansas ont achevé la transformation de John Brown en révolutionnaire. « John Brown est une production naturelle, née sur le sol du Kansas, et engendrée par les chaleurs qui ont fait germer le grand combat sur le sol de ce territoire » écrivait J.S. Pike, le correspondant  à Washington du New York Tribune, après le raid sur le Harper’s Ferry(**). « Avant l’époque des scandales et de l’oppression au Kansas, aucune personne telle que Osawatomie Brown n’existait. Aucune personne telle que lui ne pouvait avoir existé. Il est né de la rapine, de la cruauté et du meurtre… Les actions du Kansas, les expériences du Kansas, la discipline du Kansas, ont créé John Brown aussi entièrement et complètement que la Révolution française a créé Napoléon Bonaparte. Il est autant le fruit du Kansas que Washington a été le fruit de notre Révolution. ».

Entre 1856 et 1858, Brown a fait des allées et retours entre le Kansas et l’Est pour aller chercher du soutien en faveur de la lutte contre les Border Ruffians. Il a reçu des approvisionnements, des armes, et des encouragements moraux, de la part de beaucoup d’abolitionnistes connus, tel que Gerrit Smith, le philanthrope de New York, et de nombreux membres du Massachusetts State Kansas Committee – T. W. Higginson, Theodore Parker, etc. Mais il n’y avait pas de place pour John Brown dans la situation de neutralité armée qui régnait au Kansas après 1856.

N’étant plus désiré au Kansas, John Brown a repris son plan, caressé depuis longtemps, de la guerre menée dans les montagnes. Afin de préparer son entreprise, il a convoqué une convention de ses partisans et des nègres libres à Chatham au Canada, et là il leur a exposé les grandes lignes de ses plans. L’un des membres de la convention a relaté que, après avoir invoqué l’exemple de Spartacus, de Toussaint Louverture, et d’autres héros historiques qui se sont enfuis avec leurs partisans dans les montagnes et y ont défié et vaincu les expéditions de leurs adversaires, Brown a dit qu’« au premier signe d’un plan formulé en vue de la libération des esclaves, ceux-ci se lèveraient immédiatement partout dans les États du Sud. Il sous-entendait qu’ils viendraient dans les montagnes pour le rejoindre… et que nous serions capables de nous y établir solidement, et que, si une action hostile quelconque (comme cela sera le cas) était entreprise contre eux, soit par la milice des États séparés, soit par les armées des États-Unis, nous compterions vaincre d’abord la milice, puis, si c’était possible, les troupes des États-Unis, et ensuite organiser les Noirs libérés sous l’égide d’une Constitution provisoire qui couvrirait, en raison du caractère local de sa juridiction, toute cette région montagneuse dans laquelle les Noirs s’établiront et dans laquelle on leur enseignera les arts utiles et mécaniques, et on les instruira dans tous les problèmes de la vie…. Ce sont les Nègres qui devront constituer les soldats. ».

L’esprit révolutionnaire de cette Constitution adoptée par la convention pour son projet d’État libre peut être jugé à partir de ce préambule :

 

« Attendu que l’esclavage, tout au long de son existence aux États-Unis, n’est rien d’autre que la guerre la plus barbare, la plus injustifiée et la plus inexcusable, d’une partie des citoyens contre une autre partie ; que ses seules conditions sont l’emprisonnement perpétuel, ainsi que la servitude sans espoir et l’extermination absolue, au mépris complet et en violation totale des vérités éternelles et évidentes énoncées dans notre Déclaration d’indépendance : en conséquence, nous, citoyens des États-Unis, et les personnes opprimées qui, lors d’une décision récente de la Cour suprême, ont été déclarées n’avoir pas de droits que l’homme blanc soit tenu de respecter, ensemble avec toutes les autres personnes rabaissées par les lois correspondantes, décrétons, pour l’instant, et établissons vraiment pour nous-mêmes la Constitution provisoire et les ordonnances suivantes, afin de protéger au mieux nos personnes, nos propriétés, nos vies et nos libertés, et de gouverner nos actions ».

 

John Brown a été élu commandant en chef sous l’égide de cette Constitution.

En dépit de toute son audace, le plan de Brown était sans espoir à tous points de vue et il était prédestiné à échouer. Ses failles principales avaient été signalées à l’avance par Hugh Forbes, l’un de ses partisans critiques. En premier lieu, «  aucune annonce préparatoire n’avait été donnée aux esclaves … l’invitation à se soulever, à moins qu’ils aient déjà été dans un état d’agitation, ne recevrait pas de réponse, ou alors une réponse faible ». En second lieu, même si elle était couronnée de succès, une telle sortie militaire serait tout au plus une simple explosion locale … et elle serait très certainement réprimée ». Enfin, le rêve de John Brown selon lequel une convention réunie au Nord de ses partisans de la Nouvelle Angleterre rétablirait la tranquillité et renverserait l’administration pro-esclavagiste était « une idée fausse bien établie. Les amis de Brown en Nouvelle Angleterre n’auraient pas le courage de se manifester aussi longtemps que le résultat serait incertain ». Les prédictions de Forbes se sont réalisées à la lettre.

Convaincu que « Dieu l’avait créé pour être le libérateur des esclaves, au même titre que Moïse avait délivré les enfants d’Israël », Brown est passé outre à ces objections et il a continué à mobiliser ses forces. Mais avant qu’il ne puisse mettre son plan en œuvre, il avait été obligé de revenir au Kansas pour la dernière fois, où, sous le nom de guerre(*) de Shubel Morgan, il a mené un raid sur certaines plantations en traversant la frontière du Missouri, à l’occasion de quoi il tuait un planteur et libérait onze esclaves. Le gouverneur du Kansas et le président des États-Unis ont tous deux offert des récompenses pour son arrestation. Avec une prime de 3 000$ sur sa tête, John Brown s’est enfui au Canada avec les esclaves affranchis.

Au début de l’été 1859, une ferme a été louée à environ cinq miles de Harper’s Ferry. C'est là que John Brown a rassemblé ses hommes afin d’y préparer son coup. Dans la nuit du 16 octobre, ils ont déferlé sur la ville, pris possession des armureries des États-Unis, emprisonné un certain nombre d’habitants et persuadé quelques esclaves de se joindre à eux. À midi, des compagnies de la milice sont arrivées des environs de Charlestown et elles ont bloqué la seule route qui lui permettait de s’échapper. La nuit suivante, une compagnie de fusiliers marins des États-Unis, commandée par le colonel Robert E. Lee, a fait son apparition et, à l’aube, alors que Brown refusait de se rendre, elle a pris d’assaut l’atelier de construction mécanique dans lequel Brown, ses hommes survivants et ses prisonniers, étaient barricadés. Combattant avec un flegme et un courage incomparables par-dessus le corps de son fils  mourant, il a été vaincu et arrêté.

Dix hommes avaient été tués ou mortellement blessés, et parmi eux deux des fils de Brown, et onze avaient été capturés au cours de l’assaut.

Le reporter du New York Herald, qui couvrait le procès de Brown, décrit la scène durant son contre-interrogatoire : « Au milieu des ennemis dont la maison avait été envahie ; blessé, prisonnier, encerclé par une petite armée d’officiels, et une armée plus prête à tout d’hommes en colère ; avec le gibet qui le regardait fixement en plein dans les yeux, il était étalé sur le sol, et, en réponse à toute question, il donnait des réponses qui annonçaient l’esprit qui l’animait ». John Brown insistait fermement sur le fait qu’un seul but était derrière toutes ses actions : libérer les nègres, « le plus grand service qu’un homme puisse rendre à Dieu ». Un témoin lui a demandé : « Considérez-vous être un instrument entre les mains de la Providence ? »  – «  En effet » – « Avec quel principe justifiez-vous vos actes ? » – « Avec la règle d’or(*). J’ai pitié des pauvres en esclavage qui n’ont personne pour les aider ; c’est pour cela, que je suis ici ; non pas pour assouvir mon animosité personnelle, ma vengeance, ou mon esprit vindicatif. C’est ma sympathie à l’égard des opprimés et des lésés qui sont aussi bons que vous, et aussi précieux aux yeux de Dieu ».

Reconnu coupable de « trahison de la Communauté d’États » et « conspirant avec des esclaves en vue de commettre des actes de trahison et des meurtres », John Brown a été promptement condamné à mort par l’État de Virginie.

Au cours de son séjour en prison, John Brown s’éleva aux hauteurs les plus héroïques. Son allure pleine de dignité et sa gentillesse ont conquis ses geôliers, les auteurs de son arrestation et ses juges. Ses lettres de la prison dans laquelle il attendait son exécution étaient empreintes de la même détermination inébranlable et du même calme, de la même acceptation consciente de son sacrifice pour la cause de la liberté, que les lettres de Bartolomeo Vanzetti, son confrère révolutionnaire. Il répondait aux amis qui envisageaient de le sauver : « Je mérite infiniment plus de mourir que de vivre ». Il écrivait à un autre : « Je n’ai pas du tout eu conscience d’être coupable en prenant les armes ; et si cela avait été pour le compte des riches et des puissants, des intelligents, des grands – à la façon dont les hommes considèrent la grandeur – parmi ceux qui promulguent des textes qui les arrangent et qui corrompent les autres, ou certains de leurs amis, que j’étais intervenu, que j’avais souffert, que je m’étais sacrifié et que j’étais tombé, on aurait considéré que cela aurait été très bien agir… Ces légères souffrances qui continuent d’exister pendant un moment constitueront pour moi un poids de gloire bien plus exceptionnel et eternel….  Dieu s’occupera sûrement de sa propre cause de la manière et en un temps les meilleurs possibles, et il n’oubliera pas le travail de ses propres mains. ».

Le 2 décembre 1859, un mois après sa condamnation, mille cinq cents soldats ont escorté John Brown jusqu’à l’échafaud situé dans l’ombre des Blue Ridge Mountains qui, pendant de si nombreuses années, avaient tenu bon pour lui la promesse de la liberté pour les esclaves. Avec le simple coup de la hache du sheriff, il « s’est retrouvé suspendu entre ciel et terre », lui le premier Américain exécuté pour trahison. Le silence a été brisé par les paroles du commandant chargé de l’opération : « Ainsi périssent tous les ennemis de la Virginie ! Tous les ennemis de l’Union ! Tous les adversaires de la race humaine ! ».

Ce sont les partisans du compromis qui tentaient de fixer pour toujours l’esclavage sur le dos des Américains, et cela contre leur volonté, ainsi que les représentants des propriétaires d’esclaves qui les poussaient à le faire, qui sont en dernière analyse responsables du raid lancé contre Harper’s Ferry. Il y a peu de chose à ajouter au jugement historique qui suit, écrit au milieu des événements par le même journaliste dont nous avons déjà cité la caractérisation de John Brown :

 

«  Que ceux … qui ont des reproches à exprimer aux auteurs du tumulte sanglant du Harper’s Ferry et de la frayeur générale provoquée dans le Sud, reviennent à la véritable cause de tout cela. Qu’ils ne les accusent pas d’être des instruments aveugles et implacables en préparation, et qu’ils ne dénigrent pas ceux qui ne sont impliqués en aucune manière, directement ou indirectement ; mais qu’ils recherchent patiemment la véritable source d’où est issue cette manifestation, et qu’ils dispensent ensuite leurs malédictions et leurs anathèmes en fonction de cela. C’est infantile et absurde de la part du gouverneur Wise de s’emparer du corps blessé et haletant du vieux Brown, de s’assoir à califourchon dessus, et de penser qu’il a eu ainsi le scélérat qui a mis ces bêtises sur pied. En aucun cas. Les conspirateurs principaux contre la paix en Virginie sont l’ex-président Franklin Pierce et le sénateur Douglas. Ce sont là les gars qu’il devrait appréhender, enfermer et juger, pour avoir provoqué cette insurrection. En plus d’eux, il devrait sauter sur les sénateurs de Virginie, Mason et Hunter, en tant que complices. Qu’il poursuive en appréhendant tous les partisans du Nebraska Bill(*), et, quand il les aura conduits à la punition méritée, il aura rempli son devoir, mais pas avant…

« Le vieux Brown est simplement une étincelle du grand feu qui a été allumé par des mortels à courte vue… Il n’y a nulle part de responsabilité juste et équitable qui fasse une pause, il n’y a nulle part d’attribution juste et équitable de causes pour ce violent attentat, qui ne retombe pas directement sur le Sud lui-même. C’est lui qui a délibérément défié et provoqué sans raison les éléments qui se sont concentrés et ont explosé. ».

 

John Brown espérait que le choc de son attaque électriserait les esclaves et qu’il effraierait suffisamment les propriétaires d’esclaves pour qu’ils libèrent leurs biens meubles (les esclaves). Sa tentative d’émancipation s’est achevée en catastrophe complète. Au lieu d’affaiblir l’esclavage, son raid a temporairement conforté les forces pro-esclavage en consolidant leurs rangs et en durcissant leur résistance.

John Brown a été induit en erreur par l’efficacité apparente de ses activités terroristes au Kansas. Il n’avait pas compris que ses raids et ses représailles y faisaient intégralement partie de la lutte ouverte des colons du Free Soil contre l’invasion des Hesssois propriétaires d’esclaves, et qu’ils étaient des facteurs accessoires et subordonnés dans la décision qu’aura cette lutte de longue durée. Le fait que cette violence était à elle seule impuissante à aboutir à un résultat était démontré par l’échec des Border Ruffians à imposer l’esclavage sur le territoire.

La tentative de John Brown pour imposer l’émancipation au Sud en dépendant exclusivement des méthodes terroristes a rencontré un échec identique. D’autres voies et moyens étaient nécessaires pour libérer, amplifier et contrôler, les forces révolutionnaires capables de renverser le slave power  et abolir l’esclavage.

Néanmoins, le raid de John Brown n’a pas été totalement contre-productif dans ses effets. Son coup de main contre l’esclavage a retenti d’un bout à l’autre du pays et il a inspiré ceux qui étaient prêts à le suivre. La nouvelle de son action audacieuse a résonné pour les gens des deux bords comme une alarme incendie dans la nuit, en réveillant la nation et en lui mettant les nerfs à vif. À cause de John Brown, la Guerre civile à venir avait pénétré les nerfs des gens de nombreux mois avant qu’elle ne se manifeste dans leurs idées et dans leurs actions.

D’une part, le Sud s’est alarmé. Les “actes de l’assassin” confirmaient ses craintes d’une insurrection des esclaves provoquée par les abolitionnistes du Nord et les “Black Republicans”(*). Les liens personnels de Brown avec beaucoup d’abolitionnistes éminents étaient indéniables et leurs démentis de connivence ainsi que leur désapprobation de ses actions ne les rendaient pas moins coupables aux yeux des propriétaires d’esclaves, mais seulement plus lâches et hypocrites. Les esclavagistes étaient convaincus que leurs ennemis étaient sur le point de prendre l’offensive par une attaque armée directe contre leurs vies, leurs maisons, leurs propriétés. « La conviction devenait commune dans le Sud », dit Frederic Bancroft, le biographe de Seward(**), « que John Brown ne se distinguait de la majorité des Nordistes que par la hardiesse et le caractère désespéré de ses méthodes ».

D’autre part, la majorité de l’opinion officielle dans le Nord condamnait l’“entreprise criminelle” de John Brown et justifiait son exécution. De grands meetings unionistes exploitaient l’incident au bénéfice du Parti démocrate. Le Richmond Enquirer du 25 octobre 1859 notait avec satisfaction que la presse conservatrice pro-esclavagisme du Nord « faisait preuve de détermination dans le fait de transformer la morale de l’intrusion au Harper’s Ferry en une arme efficace pour mobiliser tous les hommes qui n’étaient pas des fanatiques contre le parti dont les leaders ont été impliqués directement dans le meurtre de minuit de citoyens de la Virginie et dans la destruction de la propriété du gouvernement ». Les leaders républicains, un peu moins directement, mais pas moins catégoriquement, se sont empressés de dénoncer cette action et ils ont aspergé l’exécution d’eau bénite. Lincoln a dit : « Nous ne pouvons pas désapprouver l’exécution », et Seward de s’en faire l’écho : « C’était nécessaire et juste ».

Mais plusieurs milliers de personnes ont rallié le camp de John Brown, le saluant comme un martyr de la cause de l’émancipation. Les abolitionnistes radicaux parlaient plus fort et, pour la plupart, vigoureusement en son nom et ils analysaient très correctement la signification de sa vie et de sa mort. Lors du service funèbre de John Brown, Wendell Phillips a dit ces mots : « Merveilleux vieil homme ! …Il a aboli l’esclavage en Virginie… Certes, l’esclave est encore là. Mais, lorsque la tempête déracine un pin sur votre colline, il reste vert durant des mois – une année ou deux. Or, c’est du bois, et non plus un arbre. John Brown a desserré les racines du système esclavagiste ; celui-ci ne fait que respirer – il ne vit plus – désormais. ».  Longfellow écrivait dans son journal le jour de la pendaison : « Ce sera un grand jour dans notre histoire ; la date d’une nouvelle révolution – tout à fait aussi nécessaire que la vieille révolution. À cette heure même où j’écris, ils sont en train de conduire John Brown à son exécution en Virginie parce qu’il a essayé de sauver des esclaves ! Cela ensemence le vent, et l’on pourra moissonner le tourbillon qui viendra bientôt ».

Enfin, Frank P. Stearns, un marchand de Boston qui avait généreusement contribué à la campagne de John Brown au Kansas, déclarait devant le Comité sénatorial d’enquête: « Je l’aurais désapprouvé [le raid] si j’en avais été au courant ; mais depuis, j’ai changé d’opinion ; je crois que John Brown est l’homme représentatif du siècle, de même que Washington l’était du siècle dernier – l’affaire du Harper’s Ferry et la capacité démontrée par les Italiens pour l’autonomie politique sont les grands événements de cette époque. L’un libèrera l’Europe et l’autre l’Amérique ».

Sur le chemin de l’échafaud, John Brown a remis son dernier testament à un ami :         « Moi, John Brown, je suis maintenant absolument sûr que ce pays coupable ne sera jamais purifié définitivement de ses crimes ; sauf par le sang. Ce que je crois maintenant : j’ai aimé à penser en pure perte que cela poudrait se faire sans beaucoup d’effusions de sang. ». Ses prévisions prophétiques allaient bientôt se réaliser.

Une année après son exécution, l’esprit révolutionnaire de John Brown ressuscitait chez les Volontaires du Massachusetts qui défilaient dans les rues de Boston en chantant l’hymne de combat que quatre d’entre eux venaient d’improviser : “John Brown’s Body” [Le corps de John Brown]. Leurs déplacements étaient déclarés et légaux ; les actions de John Brown avaient été dissimulées et taxées de trahison. Et pourtant les hommes qui défilaient reconnaissaient leur communion avec lui lorsqu’ils partaient pour faire la guerre en Virginie.

Là, les défenseurs récents de l’Union étaient devenus des perturbateurs de l’Union ; ceux qui punissaient la trahison étaient devenus eux-mêmes des traîtres ; les bourreaux de rebelles étaient eux-mêmes en état de rébellion déclarée. Celui qui avait capturé John Brown, Robert E. Lee, avait déjà rejoint l’Armée confédérée dont il devait assurer le commandement. L’ex-gouverneur Wise, qui avait autorisé la pendaison de Brown, conspirait, comme lui, pour s’emparer de l’arsenal de Harper’s Ferry, et, ironie suprême, il exhortait ses voisins de Richmond à imiter John Brown : « Prenez exemple sur John Brown, fabriquez vos lames avec du vieil acier, lors même que ce seraient les attaches de vos roues de charrette ».

C’est ainsi que les forces qui s’opposaient dans ce processus historique que John Brown appelait Dieu, rendaient hommage, chacune à sa façon, au père de la Seconde Révolution américaine.

 

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(*) Lchemin de fer clandestin (Underground Railroad, en anglais) était un réseau de routes clandestines utilisées par les esclaves noirs américains pour se réfugier au-delà de la ligne Madison-Dixon et jusqu’au Canada avec l'aide des abolitionnistes qui adhéraient à leur cause. (Toutes les notes sont du traducteur).

(**) The Slave Power (la puissance esclave en français, parfois désignée sous le nom de “slavocratie”) fut un terme employé dans les États du Nord des États-Unis (principalement entre 1840-1875) pour caractériser la puissance politique de la classe esclavagiste dans le Sud des États-Unis. 

(***) William Lloyd Garrison (1805-1879) est un abolitionniste et éditeur qui a consacré sa vie à lutter contre l’esclavagisme et les préjudices fondés sur la race, en prônant une réforme morale et apolitique pour l'émancipation immédiate de tous les esclaves, qu'il voyait comme une nécessité absolue découlant de la doctrine chrétienne de “non-résistance”, liée à la reconnaissance des droits égaux pour les femmes, et seule compatible avec la Règle d’or, le droit naturel et les idéaux républicains.

(*) Le Parti du sol libre (Free Soil Party en anglais) est un parti politique des États-Unis qui fut actif lors des élections présidentielles de 1848 et de 1852, et dans quelques élections de gouverneurs d'États depuis. Troisième parti en nombre de voix aux présidentielles, derrière le Parti démocrate et le Parti whig, ses principaux dirigeants étaient d'anciens membres antiesclavagistes de ces deux partis. Le principal but du Parti du sol libre était de s'opposer à l'expansion de l’esclavage dans les nouveaux territoires de l’Ouest, arguant que des hommes libres sur un sol libre constituaient un système supérieur moralement et économiquement à celui de l'esclavage. Les free soilers étaient opposés à l'expansion de l'esclavage mais non, au moins dans un premier temps, à son maintien dans les États où il existait déjà, leur but était de gagner des territoires à l'ouest, mais sans Noirs ni esclaves.

(**) La guerre de Wakarusa est une escarmouche qui a eu lieu dans le territoire du Kansas en novembre et décembre 1855. Ce fut l'un des événements du Bleeding Kansas, une série de violentes confrontations politiques et populaires qui opposèrent, de 1854 à 1861, dans le Territoire du Kansas et les villes de la frontière ouest du Missouri les Free Soilers (anti-esclavagistes) et les Border Ruffians  partisans de l’esclavage. La guerre de Wakarusa se passa aux alentours de Lawrence (Kansas) et de la rivière Wakarusa, au sud de Topeka (Kansas).

(*) Le concept historique de Bleeding Kansas (Kansas sanguinolent), parfois mentionné dans l'histoire comme Bloody Kansas (Kansas sanglant) ou Border War (guerre frontalière), englobe une série de violentes confrontations politiques et populaires qui opposèrent, de 1854 à 1861, dans le Territoire du Kansas et les villes de la frontière ouest du Missouri, les Free Soilers (anti-esclavagistes) et les Border Ruffians partisans de l'esclavage. Les évènements du  Bleeding Kansas menèrent directement à la guerre de Sécession et condition-nèrent les relations entre Kansas et Missouri.

(**) Le raid de John Brown contre Harper’s Ferry est une attaque armée menée par John Brown et une vingtaine de ses hommes contre l’arsenal fédéral alors situé à Harper’s Ferry alors en Virginie, en octobre 1859.

 

(*)  En français dans le texte.

(*) La Règle d'or est une éthique de réciprocité dont le principe fondamental est énoncé dans presque toutes les grandes religions et cultures : « Traite les autres comme tu voudrais être traité » ou « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse ».

(*) Il s’agit probablement de lloi Kansas-Nebraska (Kansas-Nebraska Act) du 30 mai 1854 qui crée les territoires du Kansas et du Nebraska, qui organise des terres nouvelles et qui abroge le Compromis du Missouri de 1820, et qui permet aux immigrants installés dans ces territoires de décider si oui ou non ils y introduiront l’esclavage.

(*) Probablement des membres du Negro Republican Party. 

(**)  Il s’agit probablement de William Henry Seward (1801-1872), un avocat et un homme politique américain membre du Parti républicain, gouverneur de l’État de New York en 1839 et 1842, sénateur du même État entre 1849 et 1861, puis secrétaire d’État des États-Unis entre 1861 et 1869 dans l’administration du président Abraham Lincoln, puis dans celle de son successeur Andrew Johnson.