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vendredi 26 juin 2020

PARENTHESE ARCHIVISTE : du mérite de l’ancien sur le nouveau






AVERTISSEMENT



C’est sur la base de ce texte qu’un groupe de camarades de la Gauche Communiste (FFGCI) s’est unifié avec le groupe « Socialisme ou Barbarie ». Précédemment, il avait été discuté au sein de la Gauche et repoussé par une partie des membres de l’organisation, hostiles par ailleurs à une unification avec « S. ou B. ».

Au cours des discussions entre ses signataires et les camarades de « S. ou B. », il a été décidé d’y apporter certaines modifications. Très limitées, elles ne changent en rien le contenu politique du texte. La dernière partie concernant la tactique de lutte (Front unique, question coloniale, question paysanne) a été considérablement abrégée – un accord complet existe entre les camarades sur ces trois questions, mais ils ont estimé qu’elles étaient traitées de façon trop hâtive dans le texte et qu’il était préférable de les aborder ultérieurement de façon plus complète.

Le texte définitif sera publié dans le prochain numéro de la revue « Socialisme ou Barbarie ».



LETTRE DE VEGA : Perspectives et tâches

Paris le 3 mars 1950


La Fraction Française au P.C. Inter. D’Italie


Chers camarades,


La crise politique et organisationnelle de la Fraction française est arrivée à son point d’éclatement. Après le cycle de discussions avec le groupe « Socialisme ou Barbarie », les positions politiques au sein de la Fraction se sont précisées.

Un groupe de camarades estime qu’il n’y a pas de divergence fondamentale entre les positions de « S. ou B. », précisées au cours des discussions, et leurs propres conceptions. En ce qui concerne les perspectives et les tâches de l’avant-garde, ces dernières ont été exprimées pour l’essentiel dans le texte « Perspectives et tâches » (ci-joint) et avec lequel le groupe « Socialisme ou Barbarie » s’est déclaré d’accord.

Quant au rôle du parti révolutionnaire dans la lutte des classes, ses rapports avec la classe ouvrière, sa fonction dans la dictature du prolétariat ainsi que l’organisation même de celle-ci, cette tendance manifeste son désaccord avec une certaine conception existant, sur ce sujet, dans la Gauche ; bien que cette conception ne se soit clairement exprimée par une analyse critique de la III ème Internationale et de la révolution russe (qui seule aurait pu la justifier), elle n’en existe pas moins  et domine aujourd’hui la vie politique de la Gauche elle-même. Elle se concrétise dans les formules « Gouvernement du parti », « dictature du parti » et n’est en réalité que le reprise pure et simple des positions prises par les bolcheviques en Russie sous la pression d’une situation défavorable, positions qui ont été érigées en dogmes par l’Internationale dans la période de la bolchévisation.

Ces camarades estiment qu’une telle position n’est qu’un aspecte de l’attitude générale de la Gauche – et en particulier du part italien – qui, au lieu de représenter un effort d’analyse de la situation actuelle et, sur cette base, de dépassement des formulations et analyses périmées, traduit, au contraire, une cristallisation sur ces dernières qui se reflète dans toute son orientation. Ils affirment en conséquence qu’il est impossible de poser la question de l’adhésion du groupe « S. ou B. » à la GCI dans la mesure où celle-ci non seulement n’a pas pris position sur les problèmes fondamentaux de l’époque actuelle, mais semble, au contraire, vouloir nier leur existence même.

Ce groupe de camarades pense que l’effort de discussion et de clarification et d’analyse ne doit pas être subordonné à des questions, aujourd’hui formelles, d’organisation, et que, sur le plan français comme sur le plan international, un travail commun avec le groupe « s. ou b. » ne peut que faciliter ces tâches. Ils proposent donc à la Fraction française de se joindre à « S. ou B. » sur la base d’une déclaration politique commune et sous condition de l’ouverture d’une large discussion internationale avec le parti italien sur tous ces problèmes. Ces camarades se proposent donc de faire dans un document ultérieur une critique des positions existant dans la Gauche et plus haut mentionnées.

Ces camarades tiennent à se délimiter des conceptions exprimées par le camarade Lastérade et qui traduisent un retour à une interprétations non marxiste des rapports des classes, tout come celles que le camarade Chazé défend dans la mesure où il proclame son accord avec le courant (…) (suite du texte disparue).



Paris le 22 mars 1950



La Fraction française au CC du P.C. int. d’Italie



Chers camarades,

La dernière réunion de groupe a confirmé que huit camarades parmi lesquels les cam. Chazé, Vega, Camille, Gaspard, que vous connaissez et quatre autres éléments jeunes recrutés par l’intermédiaire des cercles d’études entendaient adhérer rapidement au groupe Chaulieu, ensuite des propositions de travail commun fait par ce groupe. Une proposition de la cam. Frédérique d’élaborer une plateforme de la FF qui serait présentée au groupe Chaulieu comme bas d’adhésion a été repoussée par ces camarades. Le résultat est que la Fraction se trouve divisée en deux, seuls les camarades italiens et trois camarades français se refusant à quitter la Gauche. Les huit entristes ont toutefois déclaré, dans la discussion de votre réponse à notre proposition d’envoi d’un délégué, qu’ils « ne nous donneraient pas satisfaction de brusquer la scission et attendraient la venue du délégué italien ». Ils ont décidé en réunion « fractionnelle » au terme d’une lettre insistant sur la nécessité d’envoyer un délégué.

A la réunion de groupe, ils ont relevé dans la condition organisationnelle que vous mettiez à la venue de celui-ci une conception « stalinienne » des rapports politiques.
Réunis également en « fraction », les camarades italiens et les trois camarades français qui se refusent à dissoudre la Fraction, adressent au Parti les conclusions et les propositions suivantes :

1°) Ils tiennent à protester pour la légèreté avec laquelle la lettre du Parti liquide la question de la nature politique du groupe Socialisme ou Barbarie avec les termes de « résidus du trotskysme ». Ni les documents, ni les thèses présentées par ce groupe dans la discussion commune ne justifient une telle appréciation. Celle-ci ne s’applique pas davantage aux positions exprimées dans la lettre du camarade Lastérade, à laquelle, semble-t-il, il est fait également allusion dans la lettre. Les camarades de la FF tiennent à insister auprès du CC sur les difficultés que lui suscitent une attitude aussi peu scrupuleuse de sa part.

2°) Ils relèvent une contradiction dans le fait d’affirmer d’une part « qu’il faut reconnaître qu’il n’existe pas d’unité de vue au sein du Parti sur une série de questions programmatiques ou d’appréciation de l’actuelle période historique  (rôle du parti dans la dictature-société bureaucratique)  et qu’il n’existe pas à ce sujet une littérature politique suffisante et de conclure, d’autre part, que le parti répondra aux camarades qui quitteraient la FF par « les idées et les programmes qu’ils présentent à tous (les autres regroupements) ».

3°) Ils considèrent que la seule base délimitative d’une organisation réside dans ses positions politiques et que l’exigence d’unité concerne ces positions politiques seules, sans qu’on puisse l’appliquer aux interprétations théoriques ni aux perspectives programmatiques qui correspondent à chaque nouvelle phase de la société capitaliste et de la lutte de classe et dont la discussion constitue le contenu de l’activité de la Fraction.

4°) En conséquence, ils entendent tenter un dernier effort pour éviter une scission, qui, réalisée dans la confusion, ne peut que retarder la clarification des positions doctrinales du groupe « Socialisme ou Barbarie » à laquelle le mouvement ne peut avoir qu’intérêt et que ruiner toute possibilité de vie politique et d’expression de la Fraction en la privant de ses éléments les plus actifs.

Sur la base des considérations du point 3, la FF a donc décidé d’envoyer au groupe Chaulieu la lettre que vous trouverez ici jointe et sur laquelle nous vous demandons une réponse immédiate.

La Fraction insiste sur la nécessité qu’un délégué du Parti vienne à Paris soutenir, en cas d’accord, cette lettre au nom du BI de la GCI, auprès des camarades qui veulent entrer dans le groupe Chaulieu, afin que puisse être prise une décision unanime des camarades de la FF, sans laquelle la scission la scission a toutes les chances de se produire. Nous rappelons à ce sujet qu’une normale réunion de groupe – c’est-à-dire avec les huit camarades « entristes » a été prévue pour le vendredi  31 mars. La FF demande au Parti d’envoyer son délégué à Paris pour cette date, ou à défaut, de nous prévenir à temps pour que nous puissions en convoquer une pour le dimanche 1 er avril.

5°) En ce qui concerne la lettre même, la Fraction rappelle au Parti qu’elle se justifie par l’inexistence des conditions d’une délimitation politique d’avec le groupe « Socialisme ou Barbarie ». Par ailleurs, la crise de la Fraction et le manque de littérature de la Gauche en général sur les problèmes d’interprétation de la phase capitaliste d’Etat de l’économie, sur la contre révolution russe et même sur le programme de la dictature du prolétariat en face à cette phase totalitaire (y compris le rôle du partilui-même) ne nous permet nullement de poursuivre isolément la clarification des thèses du groupe Chaulieu sur ces points.

La Fraction attire toute l’attention du Parti sur le caractère nouveau du problème politique et d’organisation posé par la proposition de travail commun du groupe « Socialisme ou Barbarie » en raison du caractère politique de ce groupe et des thèses qu’il présente sur les problèmes que nous sentons un malaise à avoir insuffisamment abordés, thèses que la Gauche n’a pas encor eu à affronter de la part d’aucun groupement  (ci-joint un document de la discussion entre les deux groupes, qui avec ceux qui vous ont déjà été envoyés, constitue tout ce que nous pouvons vous faire savoir de ce groupe.

Les camarades de la FF se réunissent à nouveau en réunion extraordinaire le dimanche 26 mars. Ils vous prient de répondre par retour et par exprès pour leur communiquer votre position sur le projet de lettre ci-joint et leur faire savoir s’ils peuvent compter sur un délégué.



Salutations fraternelles, pour la FF.



Dimanche 26 mars 1950



Chers amis,



Submergés que nous sommes par les textes, les polémiques et surtout par la rapidité des prises de position face à la crise de la FF, je n’ai guère eu le temps de répondre à la lettre du 23 février ; D’autre part, je crois que tu as reçu l’essentiel, sinon la totalité des textes, résolutions, lettres, etc. en présence puisque ta dernière lettre au groupe nous a été lue ce matin par Mothé qui fait état de ces documents. Dans ces conditions, tu es tenu au courant des mouvements d’opinion ! Je vais cependant essayer de te mettre sur ce papier quelques conclusions.

Tu auras vu qu’un groupe de camarades parmi lesquels Alberto (Vega), Camille, Gaspard, partisans de l’entrée dans le groupe Chaulieu, ceci sans demander auparavant à ce groupe un accord sur les positions historiques de la Gauche, avaient parallèlement conclu à la mort politique de la FF. En dehors de critiques parfaitement justifiées à l’adresse du Parti italien (conservatisme des positions face à l’IC, trop souvent même refus d’accorder une importance aux problèmes actuels du capitalisme d’Etat), ces camarades, obnubilés par l’adresse de Chaulieu, son audace théorique, sa facilité d’expression, sa nouveauté même, en sont venus à considérer comme nuls les principes d’action de la GCI comme sa filiation historique de luttes de l’expériences. En résumé, ces camarades en sont arrivés à confondre les positions politiques issues de l’expérience de la lutte des classes et de la tradition de lutte de la Gauche italienne, même si celles-ci présentent aujourd’hui des insuffisances, des lacunes et même des erreurs d’appréciation, avec des études théoriques, sorte de contribution purement intellectuelle à l’étude des phénomènes d’évolution de la société capitaliste, laquelle loin de pouvoir constituer une plateforme politique pour un groupe peut parfaitement se concevoir à l’intérieur des cadres d’une organisation existante, pourvu que celle-ci soit politiquement révolutionnaire et dispose d’une plateforme politique précise. Les dits camarades, out en se retranchant derrière les traits négatifs de la Gauche italienne, s’avèrent incapables de dresser eux-mêmes une critique de ces positions, aussi bien d’ailleurs que le groupe Chaulieu.

Alors quoi ? Où cela mène—il de scissionner, si le minimum pour une scission n’est pas donné, c’est-à-dire le désaccord politique sur une série de question principielles. Ce n’est pas le cas. Pour notre part (Mothé, Suzanne et les Italiens) nous reconnaissons l’impossibilité pratique de mener un quelconque travail d’avant-garde à Paris avec nos seules forces. D’autre part, nous ne voyons, dans la confusion actuelle des idéologies successives de Chaulieu, qu’une solution : admettre le groupe Chaulieu dans la GCI, sous réserve de l’accord de celui-ci sur les bases de la Plateforme politique du Parti italien, publiée en 19.

A l’intérieur d’une même organisation, il sera possible de déterminer si le groupe « S. ou B. » est constitué par des fumistes, des « académistes » ou des camarades de bonne volonté, égarés sur des routes de la recherche scientifique (hypothèse la moins redoutable). Il est bien entendu que notre position nous est dictée par deux données de fait.

La situation extrêmement confuse dans laquelle nous nous trouvons par la faute des « entristes » dans le groupe Chaulieu et aussi par le fait que nous avons été incapables, les uns et les autres, de clarifier les positions principales de la Gauche et de les développer (…).



DOCUMENTS POUR LA DISCUSSION (de S ou B)


Extraits de deux « textes d’orientation » suivants, du ponte Chaulieu/Castoriadis qui sont reproduits intégralement dans mon bouquin « La critique de « socialisme ou barbarie » par Lucien Laugier (2002, édition du pavé, à 50 exemplaires). J’ai été en remettre un exemplaire à Jacques Signorelli, ancien de S ou B, qui était un de mes voisins à Fontenay aux Roses (il vivait sans se connaître dans la même cité que notre regretté Jacquy Mamane) ; il avait apprécié les analyses critiques de Laugier, mais pas les miennes trop cciennes.*


LA NOTION DE CLASSE ET DU PARTI


1.La discussion  sur la notion de la classe et du parti, et sur les rapports respectifs de ces deux facteurs n’a pratiquement jamais été menée dans le mouvement marxiste d’une manière approfondie et correspondant au niveau scientifique général du marxisme (hi hi). Il est décevant de voir que les principales « positions » classiques présentées sur ce problème ont été défendues uniquement par des affirmations gratuites – « la classe d’elle-même ne peut arriver qu’au trade-unionisme, la conscience socialiste est inculquée de l’extérieur au prolétariat par l’intelligentsia petite bourgeoise » - ou bien la spontanéité de la classe la conduit à la révolution -, sans aucune tentative d’analyse sérieuse de la formation de la conscience de classe ; il est étonnant de constater que les « positions » qui ont été défendues par les groupes de gauche depuis 1923 ne sont qu’une resucée appauvrie de ces affirmations gratuites.

Ile serait aujourd’hui complètement inutile et insipide de reprendre cette discussion sur les bases traditionnelles, pour affirmer ou pour nier, sans preuves et en se servant uniquement « d’exemples » historiques convenablement choisis et préparés pour les besoins de la cause, la « limitation » ou la « spontanéité » de la classe. Ce qui est actuellement nécessaire, c’est d’appliquer pour la première fois la méthode marxiste – l’histoire du mouvement ouvrier lui-même et à la question de la formation de la conscience de classe du prolétariat. Cet exemple est aujourd’hui rendu possible par l’existence d’une expérience historique du mouvement ouvrier couvrant un siècle et demi, il est d’autre part indispensable, parce qu’il donne seul les moyens de répondre aux idéologues réactionnaires (bourgeois et bureaucrates) qui contestent la capacité révolutionnaire du prolétariat, de résoudre le problème posé par la dégénérescence successive de toutes les organisations se réclamant de la classe ouvrière et de poser sur une base correcte la question des rapports entre la classe et le parti.

L’importance de ces questions est telle, qu’il faut purement et simplement refuser le droit à l’existence politique aux courants et aux groupes qui, sur ces problèmes, restent muets, ou se bornent à perpétuer un empirisme depuis longtemps périmé…

2. Depuis la fondation de la III ème Internationale, la stratégie révolutionnaire d’ensemble a été posée sur une base fausse, qui continue à prévaloir parmi tous les courants issus du léninisme jusqu’aujourd’hui et fût (et reste) une des raisons de la carence de ces courants (qu’il s’agisse du bordighisme ou du trotskysme). Le développement du capitalisme et de la classe ouvrière et partant des conditions subjectives et objectives de la révolution) était considéré comme étant parvenu à son terme, au-delà duquel la décadence et le pourrissement tendent à s’emparer de toute la société (y compris le prolétariat) : la tâche considérable qui se posait était de construire les partis dans ces conditions qui ne pourraient jamais plus devenir favorables.

Cette conception déjà discutable en 1919 est aujourd’hui insoutenable théoriquement et défaitiste politiquement. Insoutenable car aucune base objective n’est offerte pour garantir cette construction indispensable du parti. Défaitiste, parce que si toutes les conditions de la révolution sont données, à l’exception du parti, et puisque ce parti n’a pas pu se construire pendant 30 années, on ne voit pas pourquoi il pourra le faire à l’avenir.

A cette conception en fin de compte superficielle il faut opposer une stratégie basée sur l’idée du développement des conditions objectives et subjectives de la révolution. Nous partons quant à nous de l’idée que les forces productives de l’humanité continuent à se développer, c’est-à-dire qu’à la fois la production des biens continue à croître et que les potentialités productives (technique) croissent encore plus ; (voir l’article sur « la consolidation temporaire du capitalisme mondial », n°3 de S ou B; où cette affirmation est prouvée statistiquement). Nous partons ensuite de l’idée que le prolétariat continue à croître en nombre et en importance (son nombre absolu, son poids relatif et son poids spécifique continuent à augmenter). Nous partons enfin et surtout de l’idée que les capacités subjectives se développent toujours. C’est de cette dernière idée, qui est le fond de la discussion actuelle et qui touche le plus directement l’élaboration d’une nouvelle stratégie prolétarienne. Lorsqu’on parle du développement de la capacité historique du prolétariat, il ne faut pas entendre ce développement comme une progression constante, uniforme et sans opposition, mais comme comportant des ruptures, des reculs apparents et surtout des contradictions très profondes. Ces contradictions se résument en celle-ci, qu’en même temps qu’il développe la conscience du prolétariat, le capitalisme développe à un degré inouï l’exploitation et partant l’aliénation de cette classe au sens le plus large du terme. Mais nous laisserons de côté dans ce texte les aspects négatifs du processus sur lequel il ne pourrait pas y avoir en gros de divergences.

3. Le développement de la capacité historique du prolétariat se traduit par le développement de sa culture, de son expérience, et de sa conscience.

Malgré et contre l’approfondissement de l’exploitation et de l’aliénation, le prolétariat participe au développement général de la culture au moins dans une proportion plus considérable que les autres classes de la société. L’abîme qui existait dans les formes précédentes de la société entre la culture de la classe exploiteuse et la non-culture des exploités a été supprimé ; d’autre part, et surtout, le développement de la technique et de l’économie du capitalisme moderne a comme condition indispensable le développement de la culture industrielle des producteurs. A la base du développement de la culture du prolétariat, aussi bien de la culture générale que de la culture industrielle, se trouve la nécessité pour la classe dominante de développer la production, qui implique fatalement le développement des aptitudes productives du prolétariat.

Tout aussi important que la culture industrielle est la culture sociale générale que s’approprie avidement le prolétariat. Il ne s’agit pas ici non plus d’une progression culturelle graduée et insensible, mais du fait que les grandes masses sont jetées brutalement dans la vie moderne, qui leur impose des conditions impliquant l’appropriation latente de toutes les formes de culture héritées ou en train de se créer et le rejet des autres qui sont en train d’être dépassées.

Si nous parlons de cultures du prolétariat, entendant par là la participation du prolétariat au développement de la conscience humaine en général, nous devons entendre par expérience du prolétariat la formation qui lui est propre en tant que classe exploitée de la société moderne, c’est-à-dire les éléments concernant sa situation de classe, sa lutte, ses buts et les moyens de celle-ci.

Cette expérience a comme origine précisément l’action propre du prolétariat dans deux sens : d’abord ce n’est que dans la mesure où le prolétariat envisage la société et sa propre situation comme une réalité à transformer qu’une expérience de classe peut être formée. Ensuite l’expérience du prolétariat se forme en tant qu’expérience non pas d’un individu ou d’un groupe, mais surtout (quoique non exclusivement), en tant qu’expérience objective ; c’est-à-dire à chaque étape importante la classe réalise, incarne le but et les moyens de sa lutte dans une forme donnée, qui prend par la même une réalité sociale… ».



o O o



Il y a ainsi des pages et des pages de ce jargon sociologique que Monsieur Castoriadis a jugé bon de reproduire dans ses œuvres complètes de fumiste psychanalyste, oui vrai fumiste comme l’ont compris à l’époque Mothé et les autres. On se demande comment la poignée de militants bordiguistes français a pu se laisser séduire par un langage aussi ampoulé et étranger au langage marxiste. L'arrogance de Castoriadis/Chaulieu justifie l'appel au secours au PC Int. du 22 mars (envoyez-nous un délégué!). Le radicalisme verbal de Chaulieu, qui étale son arrogance de « découvreur » (je vous ai souligné en gras sa prétention au début du texte) est pourtant puéril alors qu’il ne fait que recopier en seconde main le meilleur de Lénine et de Rosa, et qu’il a piqué le « conseillisme » à un Pannekoek encore vivant, sans respect pour lui.




LES PERSPECTIVES ET LES TACHES

(second texte de SB soumis à la discussion)


« Avoir une perspective pour un marxiste c’est avoir une orientation d’action (fortiche !). Dans cette mesure on peut dire qu’il existe un rapport étroit entre le programme révolutionnaire et la perspective révolutionnaire (quel oxymore !). Or ce qui caractérise essentiellement la situation de l’avant-garde à notre époque c’est qu’est remise en cause pour elle à la fois le programme et la perspective.

En effet le véritable point de départ d’une nouvelle prise de conscience par l’avant-garde de ses tâches réside dans la reconnaissance du caractère historiquement dépassé du programme socialiste défini comme suppression des rapports de propriété prévalant dans la société capitaliste classique et comme la nationalisation des moyens de production… ».



                                                                        


Tout est ainsi survolé superficiellement. Le capital s’est élevé au-dessus du simple monopole. Les bolcheviques avaient sous-estimé la tendance à la concentration du capital. Le capitalisme d’Etat russe n’aura été qu’une manifestation de cette tendance à la concentration accrue. Une troisième guerre mondiale vers l’extension de la domination « bureaucratique » russe. Il espère enfin qu’une avant-garde, de type léniniste pourtant, pourra apparaître avant cette troisième guerre mondiale.



On sait comment a fini Castoriadis, en particulier comme fervent défenseur du bloc US. L’intérêt de ce survol rapide, et de cette découverte de nouvelles correspondances entre minorités révolutionnaires tourne sur la fascination pour l’ancien et l’attirance pour le nouveau. La tradition de la Gauche italienne reste une référence indomptable dans la durée. Il existe encore dans le monde des militants qui défendent mordicus la théorie bordiguiste de prise du pouvoir par le parti, et qui font partie des générations renouvelées qui font toujours confiance à la capacité historique de la classe ouvrière. Du courant S ou B, il ne reste plus rien, sinon une référence pour la sociologie distinguée, quand Casto a compilé ses textes pour les accoler à son œuvre philosophique. Pourtant issu du trotskisme ce courant a produit des hommes de valeur, les Lyotard, Souyri, et même Henri Simon, mais, exceptée la courte existence de Pouvoir ouvrier et la Gauche Marxiste, rien de rien depuis le début des années 1970. Ce bâtard de l’opportunisme d’avant-guerre, devenu frère du stalinisme rangé des goulags, le trotskisme lui a survécu avec les mêmes tares politiques que S ou B avait bien su dénoncer, tantôt sous forme populiste syndicaliste, tantôt sous l’anarchisme de toutes les couleurs du NPA.

Il faut reconnaître que S ou B avait constitué un effort politique louable dans l’immédiat après-guerre et le profond désarroi que la guerre n’ait pas facilité une nouvelle révolution. La « nouveauté », ou la prétention à tout revoir en plus fort que la génération précédente, s’accompagne souvent d’un « élu de la providence », d’un chefaillon qui se gonfle les chevilles, dans à peu près tous les groupes. Castoriadis n’aura été que le Dr Raoult de l’époque de pandémie stalinienne, avec discours scientiste et mépris pour l’ancien « mouvement ».



Je souscris au propos de Mothé lorsqu’il dit que c’est S ou B qui aurait dû, dans l’absolu (et en se débarrassant de son guru) se fondre dans le PC Int. Les huit « déserteurs » du bordiguisme n’avaient accompli qu’une moitié du chemin (dépasser la conception du parti-Etat) et se sont fourvoyés dans l’impasse d’un groupe bâtard d’un courant de l’extrême gauche néo-stalinienne sans principes.

L’ancien mouvement partidaire portait pourtant l’avenir. Même le PC int. avec ses conceptions voisines du stalinisme sur le parti, gardait des principes marxistes qui lui ont permis de durer jusqu’à nos jours. Et puis, on n’avait pas attendu un nouveau guru issu du trotskisme dégénéré, il suffisait de connaître Pannekoek et de lire Rosa Luxemburg… On ne prêtait aucune importance à la GCF (Gauche Communiste de France avec son journal à prétention éphémère "L'étincelle" pâle copie franchouillarde de… L'iskra) qui avait été plus loin, bien avant les approches de Chaulieu/Castoriadis. Les huit « entristes » qui se sont égarés dans S ou B, se sont perdus ensuite dans la nature (sauf Chazé), et surtout n’ont rien apporté théoriquement ni de nouveau ni d’ancien.

Par contre, ceux qui sont restés fidèles à la continuité organisationnelle, les Marc Chirik et Lucien Laugier, ils nous ont transmis les principes et les leçons de cette époque. Chirik par un travail théorique au long terme via Ri et le CCI. Laugier, dans la solitude du mémorialiste, est arrivé aux mêmes conclusions, plus brillamment sur le plan littéraire mais avec moins d’impact que Chirik. Ces deux hommes ont montré que l’ancien peut ne pas être un frein au moderne s’il sait voir dans le moderne ce qui vérifie l’ancien et dans le moderne ce qui ne peut se séparer de l'ancien.


Le clinquant de l’historicisme universitaire qui fait croire à la brillance de S ou B face au « vieux monde bordiguiste » vous cachera pour l’éternité l’influence inévitable d’une petite fraction. La terreur de la fraction bordiguiste, Suzanne (Bordiga lui dit un jour d’aller se faire soigner et préférait correspondre avec Laugier) mais robuste combattante du prolétariat, inverse les clichés dans un courrier :

« …il n’était pas dit du tout que nous n’ayons été pour rien dans l’évolution du groupe Chaulieu ; je trouve au contraire des choses qui me semblent venir directement de nous et qui en tout cas diffèrent sensiblement des déclarations révisionnistes orales, dans l’affirmation : « qu’il faut reposer les problèmes à partir du point où Marx et ses successeurs l’ont fait et se placer dans une tradition, ne pas toucher aux positions marxistes avant que les événements sociaux ne les aient rendus clairement caduques » (*)


(*) p. 86 de mon livre, grâce soit rendu à François Langlais d’avoir sauvegardé et compilé ces textes, parce que les sectes n’ont pas d’archives ou les détruisent ; je ne comprends toujours pas qui a donné l’ordre de détruire les archives de RI il y a trente ans à Montrouge, et pourquoi ? même si j’ai réussi à en sauvegarder une grande partie ! On disposait d'archives rares sur tout le mouvement révolutionnaire prolétarien de l'avant-guerre, classées et annotées par Max.

Ces lettres retrouvées auraient pu être insérées dans mon édition de 2002 dédiée à Laugier, publié faute de moyens à 50 exemplaires, et il mériterait de trouver un éditeur vu la qualité des textes de Laugier et son décryptage du révisionnisme de S ou B.
Sur Laugier et les grands noms du mouvement révolutionnaire moderne occultés par la bien-pensance historique dominée par l'extrême gauche bourgeoise et leurs pères staliniens, lire "Notices biographiques 1915-2015", l'extraordinaire travail d'exhumation et de transmission de la mémoire de ces flambeaux marxistes de la perspective révolutionnaire plus loin que nos vies, par Philippe Bourrinet (je peux faire suivre sur demande le fichier, qui demande sans cesse à être renouvelé ou corrigé, un travail de Titan.




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