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dimanche 24 mai 2020

Bill Haywood, un communiste


Interview par Max Eastman, publié dans The Liberator, Avril 1921

(traduction: Jonathan)



Le titre de cet article annonce des nouvelles intéressantes pour ceux qui ont toujours aimé les I.W.W., et ressentent qu'ils sont la seule véritable contribution que l'Amérique a apporté à l'histoire politique depuis 1789. Nous avons été quelque peu attristés de voir les I.W.W. présenter la rigidité et la léthargie de l'âge avancé ces dernières années. On dirait bien que toutes les organisations qui n’atteignent pas le but pour lequel elles furent créées en dix ou quinze ans commencent à devenir de plus en plus intéressées par elles même plutôt qu'en leur propre but. Cette loyauté instinctive et grégaire qui a permis leur existence au commencement les rend rigides, satisfaites d'elles mêmes, et finalement inutiles. Scissionner et former une nouvelle organisation toutes les dix ans pourrait très bien être une règle universelle – un vingt deuxième point – afin de guider les mouvements révolutionnaires. Et il semblait bien que les I.W.W. n'allaient pas échapper à cette règle.

Mais quelque chose est en train de se passer. Le bras long des ingénieurs de Moscou est à la main d'œuvre à Chicago. Les éditeurs et les organisateurs épuisés, découragés, qui portent les sévices de la prison et du travail, discutent d'un nouveau sujet avec un enthousiasme renouvelé – un enthousiasme que Bill Haywood décrit comme 'tranquille et chaleureux'. Le sujet dont ils parlent est une approbation du Conseil International des Syndicats de Professionnels et Industriels, d'une appartenance à celui-ci, et de la réalisation décidée de ses buts dans ce pays.

« J'aimerais voir un vote unanime pour l'appartenance de la part des I.W.W. », m'a dit Bill
Haywood. « Je ne souhaite que de vivre pour voir le rêve de l'Internationale Rouge du Travail devenir réalité. C'est tout ce que je veux. C'est ça les I.W.W. »

Il avait un tract dans sa poche écrit par un délégué anglais au conseil J.T. Murphy. Dans ce tract il y avait une note en bas de page qui disait que les délégués avaient voté pour qu'une requête soit faite envers les I.W.W., ainsi qu'aux autres organisations de tendance syndicalistes-révolutionnaires qui n'avaient pas encore postulé pour l'appartenance.

« Ça m'a donné à réfléchir, » m'a t-il dit. « que les travailleurs de plusieurs nations, en particulier d'une de cent quatre-vingt mille habitants, ont fait qu'une ébauche de requête soit faite aux I.W.W. ! Ça nous montre bien comment le monde a changé. Je n'ai pas à attendre leur requête. J'ai lu leurs plans et leurs consignes, et je sais que c'est enfin quelque chose dont on peut se servir. Ils portent les buts et les projets d'origine des I.W.W., et tu peux dire de moi que je pense que tous les véritables syndicats des États-Unis doivent adhérer au Conseil International des Syndicats Professionnels et Industriels avec son bureau central à Moscou. »

Je lui ai demandé s'il pensait que les I.W.W. y adhéreraient lors de leur convention en Mai, et il m'a répondu qu'il, « n'avait pas entendu un mot de l'opposition. »

Bill Haywood n'est pas les I.W.W., bien sur, et il n'est pas à présent en position de pouvoir parler de leur politique exécutive. Mais il représente, plus que n'importe quel autre homme, leur histoire et leur élan. Il fut le président de la première conférence qui a constitué leur formation, et le président de la première convention lorsqu'ils furent annoncés. Il ne fut jamais absent de ses réunions sauf lorsqu'il était en prison. Et même lorsque les responsabilités exécutives étaient entre d'autre mains, il était toujours reconnu comme le chef des I.W.W. au sein de la l'arène publique. Dans cette arène, il sortait du lot avec la grandeur impassible d'un véritable monument. Se mouvant lentement, mais puissamment maître de soi-même et intelligent, Bill Haywood occupe une position de véritable influence en Amérique parmi ceux qui ne sont pas assez naïfs pour croire aux journaux. Et j'imagine que ce présent changement, ou développement, de son discernement à propos des tactiques de la révolution, est une indication, que non seulement que les I.W.W. vont retrouver leur place en avant premières lignes, mais que les syndicalistes industriels américains en général vont accepter la philosophie politique plus large du communisme.
Bill Haywood n'est pas plus enclin à l'idée des campagnes politiques, ou de ce qui est appelé 'l'action parlementaire', qu'il ne l'était auparavant – loin de là. Mais il accepte complètement la nécessité qu'un parti véritablement révolutionnaire forme l'avant-garde du mouvement révolutionnaire.

« Je sens comme si j'étais là depuis toujours, » m'a t-il dit. « Vous vous rappelez la fois où je t'avais dit que tout ce dont on avait besoin était de cinquante mille vrais I.W.W., et d'un million de membres environ pour leur servir de renforts ? Et bien, est-ce que ce n'est pas un peu pareil ? Au moins j'ai toujours compris que l'essentiel était d'avoir une organisation de ceux qui savent. On n'a pas à les appeler les chefs. Moi je les appelle les ingénieurs. »

Je me suis en effet rappelé la remarque que Bill Haywood m'avait faite à propos des cinquante mille I.W.W. Je me souviens à quel point cette idée me semblait folle à l'époque. Mais je me suis aussi rappelé qu'à cette époque ses cinquante mille ingénieurs devaient être des syndicalistes industriels purs, et qu'il semblait concevoir le mouvement dans son ensemble comme d'un combat pour les magasins à cette époque. Je lui ai demandé qu'est-ce qui avait provoqué ce changement.

« C'est tout bonnement parce qu'ils ont fait des choses merveilleuses là-bas que l'on rêvait de faire ici, » répondit-il. « C'est ce fait, cet exemple, qui est la cause de tout changement de ma personne qui peut sembler contradictoire. Et même aujourd'hui j'hésiterais à approuver un tel mouvement si tout ce qui n'émanait pas de Moscou ne montrait pas qu'ils veulent mettre les ouvriers au pouvoir, et finalement éliminer l’État. »

Ici Bill Haywood a fait un court éloge de la Révolution Bolchevique, et ce qu'il a dit étonnerait énormément de gens qui ne le connaissent qu'en tant que grand méchant de l'Amérique qui n'a qu'un œil et un grand chapeau noir.

« Max, » dit-il, en serrant l'une de ses mains extrêmement petites en un geste ferme mais pas très agressif, « Sans parler de l'expropriation des industries, la question la plus importante de toutes, ils ont déjà accompli trois choses là-bas, dont n'importe laquelle justifierait une révolution là-bas, ici, ou ailleurs à elle toute seule. Veux tu que je te dise lesquelles ? »

« La première chose est l'éducation des enfants. En Russie tous les enfants reçoivent de la nourriture, des vêtements, des livres, des jeux et une véritable éducation. Et, bon Dieu, pour seulement ça, j'aimerais une révolution dans ce pays ! »

« Et la deuxième chose, c'est la pension qui a été accordée aux femmes en maternité. Dans ce pays, elle n'existe que pour les chevaux pur-sang et pour le bétail de race. En Russie chaque femme est soutenue pendant 8 semaines après son retrait. C'est l’œuvre d'Alexandra Kollontaï – une bonne amie à moi – et encore une fois est assez bonne en elle même pour justifier une révolution.

« La troisième chose est le passage des terres aux paysans. Les paysans ont le contrôle des terres, et c'est bien sûr quelque chose de fondamental. »

Je lui ai demandé la raison pour laquelle les ouvriers américains étaient autant derrière les mouvements ouvriers européens lorsqu'il s'agissait de suivre les russes, et il m'a répondu, « La raison principale, c'est l'A.F.L.. »

« Crois tu qu'il est possible que les révolutionnaires capturent l'A.F.L. ? » Lui ai-je demandé.

« Certaines parties, » M'a t-il répondu. « Même si je ne parlerai pas de les capturer, mais plutôt de les éduquer. »

Je lui ai demandé quelles étaient ces parties, et il me répondit après un instant d'hésitation :

« Les Ouvriers des Mines Unis. C'est déjà un syndicat industriel, et c'est le corps de A.F.L., les syndicats professionnels sont ses bras et ses tentacules. Les syndicats professionnels sont ce qui permettent à l'A.F.L. d'étrangler la moindre amibe de vie ou d'inspiration qui peut naître au sein des travailleurs américains.

« On pense en général que c'est la bureaucratie officielle qui est responsable de tout ça. C'est pas vrai. Ce sont les syndicats professionnels avec leurs taux d'admission élevés, et leur politiques d'exclusion vis-à-vis des travailleurs non-qualifiés, voir même d'exclusion des travailleurs qualifiés qui n'ont pas effectué un long compagnonnage en bonne et due forme. Une autre chose que les tiers ne savent pas à propos de ces syndicats, c'est qu'ils sont totalement contrôlés par les loges - les Maçons, les Moose, les Chevalier de Colomb et j'en passe – travaillent en leur sein à travers de groupes organisés. C'est ces loges qui élisent leurs responsables et dirigent leurs politiques, et c'est à cause de ces groupes en leur sein plutôt qu'aux syndicats eux-même que les ouvriers reçoivent les bénéfices qu'il reçoivent.

« Mais si tu dis que les Ouvriers des Mines Unis sont le corps de l'A.F.L., » lui dis-je, « Et qu'il est possible de les amener à une attitude révolutionnaire, est-ce que ce n'est pas presque dire que les révolutionnaires peuvent capturer l'A.F.L. »

La réponse de Bill Haywood à cette question fut immédiate et brève. « Si les Ouvriers des Mines Unis fassent quoi que ce soit, » dit-il, « alors l'A.F.L. n'existera plus. »

« Tu veux dire, » lui demandais-je, « que l'organisation se transformerait en quelque chose d'entièrement nouveau, ou que les Travailleurs des Mines Unis se retireraient et ne laisseraient rien ? »

Le mot transformation le fit sourire. « Je ne sais pas avec quel genre d'insecte on se retrouvera. C'est certainement pas un papillon qui sortirait d'une telle chrysalide. »

« Non, » continua-t-il, « Tu ne comprends pas ce qu'est l'A.F.L. L'A.F.L. n'est rien d'autre qu'un comité de direction, qui perçoit une petite cotisation individuelle de chacun de ses nombreux membres – une cotisation suffisantes pour entretenir leur bureau, et payer leurs salaires, et entretenir un lobby à Washington – un comité de direction qui dans ses trente neuf ans d'existence n'a jamais fait quoi que ce soit pour la classe ouvrière américaine.

« Voilà ce qu'est l'A.F.L. Et si les syndicats qui forment le corps de ses cotisants acquièrent une compréhension révolutionnaire, l'A.F.L. n'existera plus. C'est la seule réponse à cette question. »

« Crois tu, » lui demandais-je, « que dans une pareille situation les Travailleurs des Mines Unis s’associeraient aux I.W.W. ? »

« Peut-être pas, » dit-il. « Si les Travailleurs des Mines Unis devenaient révolutionnaires et ne voulaient pas faire partie des I.W.W., alors les I.W.W. peuvent en faire partie, ou de quelque autre organisation qu'ils peuvent créer. »

C'était cette déclaration -qui comme presque toutes les déclarations dans cette interview est citée telle quelle – qui m'a fait ressentir le plus vivement l'aspect généreux du communisme mûr dans l'attitude de Bill Haywood.

« Les I.W.W. ont tendu la main et attrapé une arme » a t-il dit. « Ils ont essayé d'attraper le monde entier, mais une partie du monde a sauté en avant ».


https://www.marxists.org/archive/eastman/index.htm
Max Eastman

https://fr.wikipedia.org/wiki/Industrial_Workers_of_the_World






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