PAGES PROLETARIENNES

vendredi 20 décembre 2019

POURQUOI J'ETAIS ET JE SUIS CONTRE CETTE GREVE ?


une lutte de vieux chats déjà en retraite?
"Quelle est l'espérance de vie des ouvriers?
- 65 ans.
- qu'on leur mette la retraite à 65 ans".
Bismarck

"Je ne connais personne en France qui fasse grève pour les autres, ils font tous grève pour leur gueule et nous le privé on est toujours baisé".
Un pote artisan jardinier


«Le problème financier n’existe pas. Il y a des réserves»
Mélenchon
« On est très, très loin d’un accord avec le gouvernement » Berger (bonze syndical)


Alors que les journées d'action à répétition de cortèges d'hommes-sandwich des étiquettes syndicales ont déjà épuisé une partie des grévistes, le malaise que chacun ressent face à l'allongement de ce conflit social préfabriqué a reposé sur un deal pervers : un gouvernement capitaliste qui pose au « révolutionnaire » macronesque en faveur d'une retraite « universelle » et des appareils syndicaux qui jouent aux interlocuteurs radicaux tout en défendant des privilèges il faut bien le dire corporatifs et tournés vers le passé et le passif stalinien1. Malaise aussi face à l'étonnant discours très social du bébé Juppé. Jamais on ne vit un simple commis de la bourgeoisie française tant se soucier soudain de la « pénibilité du travail », faire autant de ronds de jambe pour s'engager à garantir que les éclopés des boulots les plus pénibles, malgré une vie raccourcie, se verraient désormais accorder un strapontin de deux ans de suppression de la torture
Vu le 3 janvier sur Causeur, bravo Finki!
travail, avec des « bons points » comme à l'école primaire. Au malaise s'est ajouté le dégoût quand on apprit que c'était pourri de chez pourri, Jean-Paul Delevoyou, grand ordonnateur de la « révolution macronesque », qui s'engraissait par un cumul de revenus non déclarés. Certes il eût fallu un abbé Pierre pour, imaginons-le, que touche au cœur des prolétaires la leçon de morale pour « sauver les finances publiques » ou garantir le nirvana gériatrique. Pas de pot, tous irrémédiablement corrompus, y compris le successeur de Delevoyou et au surplus ses commanditaires qui se veulent plus compétents qu'honnêtes.
A la mi-décembre les dés apparaissent clairement pipés pourtant. Ne sommes-nous pas devenus spectateurs de la bagarre de deux clans qui nous sont étrangers. Elite gouvernementale et élite syndicale débattent en spécialistes et nous on n'y pige plus que pouic. Ils ne cessent de se féliciter mutuellement. Contrairement aux affres de 1995 (années thatchériennes), il n'est nullement question d'opérer non plus à une casse de la gestion paritaire (syndicats-patronat) du système de sécurité sociale pour la confier aux seuls barbouzes élitaires de l'Etat. Certes la CFDT a remplacé FO comme chouchou gouvernemental quand la CGT n'a plus que la troisième place jusqu'aubouiste de figuration d'une radicalité sans lenedemain.
 

Le déroulement de ce blocage généralisé par les employés des « services publics », qui pénalise si bien le secteur privé, empêche de fait toute extension au privé où la grève est quasi impossible, et quasi impossible faute de solidarité réelle du secteur public « quand c'est le moment » (lorsque les annuités du privé sont passées en 1993 de 37,5 à 40, personne n'a bougé dans le secteur public).

Il n'existe pas de lutte des classes pure. Tout le scénario imposé de fait par gouvernement et syndicat a d'abord été une réponse à de nombreuses grèves non contrôlées (cheminots de Châtillon) ou de luttes anciennes (hôpitaux) exprimant une colère non limitée, et même non enfermée sur le seul objectif de la défense d'une retraite décente. La plupart des diverses luttes du prolétariat échappent à une classification rigide, et les leçons des grèves du temps de Rosa Luxemburg seraient bonnes pour une manifestation dans une cour de maternelle. Les bonzes syndicaux peuvent sembler répondre à une juste colère en prenant les devants pour chapeauter la colère (une colère « organisée » ai-je précisé dans mon article précédent), avec l'intention de les contrôler sous couvert d'unité « intersyndicale » et de plus en plus avec des AG « inter-catégories » dont ils tirent les ficelles (avec leur personnel gauchiste)2 ; et enfin, dès que les promenades syndicales, les débats de spécialistes et l'apparition de divergences entre généraux syndicaux ont démoralisé les prolétaires, de sonner l'heure de la retraite, pardon leur savoir-faire pour terminer une grève. Cela ne veut pas dire qu'ils peuvent avoir un total contrôle sur le déroulement de la lutte lorsque celle-ci est devenue massive. Une fois en lutte, même hyper encadrés par les professionnels du léninisme syndical, les prolétaires se rendent compte combien ils existent comme classe et à quel point ils angoissent la bourgeoisie régnante. Dans la période actuelle, pourtant si nihiliste, et malgré le beau rôle dévolu aux généraux syndicaux, la méfiance face aux pratiques syndicales reste majoritaire, c'est pourquoi les gauchistes et autres sudistes tiennent un langage très critique envers les appareils ; mais sommet de leur perversité, s'ils supputent une possible trahison des chefs, ils n'en cessent pas pour autant de racoler derrière les états-majors syndicaux de l'Etat3.
Mais le mouvement actuel a tout d'un remake sinistre de 1995. Bébé Juppé radote la même chose que son paternel Juppé premier qui prétendait engager la réforme que ses prédécesseurs n'avaient pas osé mener "depuis 30 ans"4. Et au niveau de la classe ouvrière, je doute que ici et là on y retrouve cette vraie solidarité inter-catégorie que l'on avait vécu en 1995. La volonté de lutte indépendante (et avec des objectifs clairs et vraiment unitaires) n'est qu'embryonnaire ou aléatoire et sans conviction.

Une grève tournée vers le passé

Le gouvernement fait déjà des concessions encore une fois aux corporations qui ont le plus grand pouvoir de nuisance, c'est à dire de prise d'otage des travailleurs du privé qui ne peuvent ni faire grève ni s'absenter de leur boulot. Cette grève minoritaire en réalité, pour les pourcentages plus ou
le journal d'une légende suiviste
moins fictifs ou trafiqués, n'est absolument pas collective mais une somme de corporatismes ; bien que restant étroitement contrôlée et planifiée par les appareils syndicaux d'Etat, elle suscite encore la sympathie de la part de larges couches de la population et même des derniers petits canards en gilets jaunes. Il est à craindre que non seulement elle éteigne tout autre mouvement social d'envergure pour des décennies (ce qu'avait impliqué la « victoire syndicale »5 de 1995) mais entraîne effectivement des années de démoralisation, ce dont on n'a pas besoin vu l'urgence qu'il y aura à réagir politiquement aux coups de boutoir de la paupérisation « libérale », à la culture de l'impunité par les juges gauchistes et au soutien à l'islamisation de la société par le stalinien Mélenchon et ses amis trotskiens.

Il existe certainement des ouvriers du secteur public qui pensent lutter pour tous et pas pour les avantages de leur seule corporation, mais c'est une fable, en 1995 comme en 2019. Il y a quarante ans la revendication de la retraite à 60 ans était unitaire, même sans casser des briques (le capitalisme n'a jamais eu et n'aura jamais l'intention de garantir une fin de vie heureuse à ceux qu'il exploite sans pitié)6. Actuellement, d'autant plus avec l'argument « humanitaire » de la pénibilité, syndicats et gouvernement souscrivent à une retraite différenciée ou à la carte, ce qu'elle est déjà... Beaucoup de bruit pour que rien ne bouge. Comme en 95, c'est encore une série de conflits sectoriels, qui permet et permettra au tandem syndicalo-gouvernemental de renouer avec la tradition du cas par cas, en privilégiant tel secteur et en laissant les moins menaçant en rade, par exemple les flics et les enseignants7. Pour la journée d'aujourd'hui on assiste déjà aux manœuvres de la clause du père Noël, des garanties données aux seuls paralyseurs professionnels de la Retape et de la SNCF ! Fini déjà le pâle « tous ensemble » ?
L'aspect sectoriel était déjà patent en 1995, bien orchestré par la syndicratie, et c'est pourquoi par contre, aujourd'hui, ils prétendent tous, gouvernement et syndicats, parler pour tout le monde, et que je te parle du sort des chômeurs de plus de 50 ans, et que je te parle des femmes lésées, et que je te parle des étudiants. Même Juan de la fraction externalisée du CCI est tombé dans le gauchisme syndical, croyant à une lutte en passe de devenir globalisante, où il glorifie « le sel de la terre » ces braves cheminots et les sous-marins de la Retape, exemplaires d'une résurgence de la lutte de classe et qu'il ne faudrait pas laisser seuls « à la pointe du combat »... pour la défense de leur statut. Et de s'emballer en voyant dans ce mouvement plutôt bordélique et frustrant une sorte de réponse révolutionnaire en devenir après tant d'années de capitalisme thatchérien et ubérisant, alors que la série de journée d'action renouvelables et renouvelées jusqu'à plus soif aura servi encore et toujours à nous bercer avec les mêmes chansons creuses, « grève générale » et « justice sociale ». La grève de « masse syndicale » (je préfère les termes de conflit social car « grève en masse » est trop honorable, et cette grève ne fut jamais « massive » en réalité) n'est même pas offensive, elle est défensive et pour les catégories les plus privilégiées, sans se soucier de la situation d'otages de ceux du privé8. De plus elle tourne le dos à l'avenir. Pas de retraite pépère avec le prochain krach ! L'Etat va continuer à s'endetter et à s'endetter toujours plus en achetant des crédits. Tous les syndicalistes ont le culot de crier que « l'argent il y en a », mais c'est prendre les prolétaires pour des imbéciles en leur faisant croire que la crise du capitalisme n'est qu'une histoire de pognon mal réparti par les méchants riches.
La gauche bourgeoise (Mélenchon et Cie) ment et ment résolument. Les déficits sont le produit d'une crise plus large du système, et qui ne concerne pas que les retraites. Les taux de croissance ont sensiblement baissé par rapport aux années 50, 60, et début 70, cela signifie que les revenus du gouvernement n'augmentent pas assez vite pour subvenir à toutes les dépenses, même si celles-ci croissent moins vite que par le passé. En fait, ces revenus peuvent même baisser dans la mesure où le gouvernement baisse les taxes sur les profits pour compenser le déclin des taux de profit du grand Capital sur le long terme, et réduit les impôts sur les plus hauts revenus.

VOILER LA CRISE CAPITALISTE VOLENS NOLENS

Le Capital est en crise, non seulement par manque de liquidités mais parce qu'il est proche de sa culbute avec la baisse de cette bonne vieille tendance du taux de profit. La longue récession de la première moitié des années 90 a partout contribué d'une part à augmenter la pression sur les gouvernements et le patronat pour qu'ils attaquent des acquis de la reconstruction d'après guerre que les travailleurs du public tenaient pour définitifs, et d'autre part ce qui aboutit volens nolens à déstabiliser la majeure partie des dites « couches moyennes », toujours aliénées par les idéologies modernistes de la gauche caviar pro-américaine : antiracisme, antifascisme en carton pâte, messe écologique et lamentations féministes, islamogauchisme, etc. Carcans idéologiques qui les maintiennent hors du prolétariat sans remettre en cause leur pose moraliste à l'encontre du prolétariat « populiste ».

VERS UNE NOUVELLE FARCE DEMORALISANTE

« Ce matin se confirme la prise en main politique de la grève par les réseaux locaux de la CGT et du PCF. Nous sommes en effet partis en cortège assister à un meeting politique organisé dans une mairie voisine. Certes Marc Blondel ne fait plus du retrait du plan Juppé un préalable, selon le titre du Monde de ce soir, certes Louis Viannet accepte de rencontrer le gouvernement, qui, de son côté, sans avoir encore prononcé le mot de «négociation», a cependant employé hier celui de « concertation » et semble opérer une certaine ouverture en direction des syndicats, mais, sur le site, tout indique que la grève est entrée dans une nouvelle phase de mobilisation. Celle-ci a pour objectif la manifestation de mardi 12, et trouve à s'alimenter dans les chiffres records des manifestations de province, où, ces derniers jours, les défilés étaient plus imposants encore qu'en mai 68 ».
A quelques mots près et en remplaçant les noms des anciens chefs syndicaux par les actuels on pourrait déjà anticiper la fin du scénario. Il fallait bien s'attendre à une « prochaine fois » après 1995, même s'il y eu 2003 et 2010 mais pas de longue durée, et sans surprise. Pourquoi ? Parce que contrairement au gouvernement Juppé, celui de bébé Juppé s'est bien préparé et a tiré des leçons de sa panade face aux gilets lors de décembre 2018. Il est préparé depuis de longue date à diviser pour mieux régner. Les syndicats sont des flics sociaux autrement efficaces que les petits rigolos Drouet et Cie.
Malheureusement dans les restants isolés du milieu révolutionnaire restreint, on en reste à un mode de pensée de trois décennies en arrière sans être capable d'intégrer les nouvelles données qui compliquent la lutte des classes et rendent caduques les anciens mots d'ordre, et qui oublient de dénoncer leur récupération ou plutôt liquéfaction par les forces d'extrême gauche de la bourgeoisie. On mesure la perte de contact également avec la réalité d'un petit noyau, voire un individu qui se pare d'un titre ronflant : Groupe International de la Gauche Communiste (Révolution ou Guerre) ! La totale quoi!Le nombril de la subversion marxiste embaumée ! Et qui se rejoue 1995 mais à la façon des syndicats, et avec une tonalité macho-léniniste, appelant à la généralisation des luttes en plus reflux du mouvement :
« Entraîner, encourager, aider, les travailleurs du privé à s’engager dans la lutte et la grève est la priorité de l’heure si on veut faire reculer le gouvernement ! Le blocage des transports n’y suffira pas. La grève par procuration qui fait reposer tout le poids du combat en grande partie sur les seuls cheminots et les travailleurs de la RATP ne peut mener qu’à l’impasse et à l’épuisement des grévistes. La fenêtre de tir, l’opportunité, l’occasion, d’entraîner et d’étendre la grève aux prolétaires du privé est encore là. Au moins d’ici au prochain mardi 17 et aux manifestations de ce jour. Après, il est fort possible que la grève, réduite aux seuls cheminots et travailleurs de la RATP pour l’essentiel, se réduise à une lutte "bras-de-fer" sans autre but que durer le plus longtemps. À ce jeu, la bourgeoisie et tout l’appareil d’État seront les plus forts. Ils contrôleront, ne serait-ce qu’au moyen des syndicats, la situation et pourront attendre que la lutte s’épuise d’elle-même. Comme pour les cheminots en 2018 ».
Le rédacteur de cet appel à suivre l'impasse du bourbier syndical, certes sincère, qui est pourtant doté d'une intelligence de classe rare, s'est non seulement mis à la remorque des recruteurs gauchistes mais par naïveté a cru que le thème de la retraite pouvait être une question uniificatrice, alors que c'est plutôt, hélas trois fois hélas, un thème très interclassiste !9 Il reproche par contre a tort à son ancien groupe, le CCI, d'appeler à « des AG qui mettent en avant des revendications nous concernant tous : la lutte contre la précarité, contre la baisse des effectifs, contre la hausse des cadences, contre la paupérisation », alors que c'était exactement comme cela qu'il fallait contrer l'impasse de la lutte syndicale pour le mirage d'une retraite convenable pour tous. Il confirme son aveuglement et son suivisme de la «généralisation syndicale » foireuse et mensongère10.



CONCLUSION

Je ne suis plus en situation pour faire grève, cela ne m'a pas empêché d'aller à des manifestations mais surtout pas derrière les menteurs syndicaux et gauchistes. J'ai d'ailleurs pu noter qu'il y avait bien plus d'inorganisés de différents secteurs en avant des défilés et que les quarterons syndicaux restaient meublés par les militants professionnels ou affidés des confréries claniques et régionales. Le piège tendu par les appareils gouvernementaux, comme cela a été souvent le cas dans des luttes sociales du passé, et pour laisser échapper un peu de vapeur, ne signifie pas que les grévistes auraient eu tort de manifester leur colère. Ce qui est certain est que le deal gangstériste autour « des retraites » et non pas de la retraite ne pouvait être un mot d'ordre unificateur. Et qu'il ne fallait surtout pas qu'il le soit pour ne pas gêner les appareils syndicaux du gouvernement lorsqu'ils jugeront qu'il n'y a plus aucun risque, et il n'y en a pas vraiment depuis le début du charivari, au moment où se dessinent déjà
L'inculte Eric Drouet veut donc concurrencer Martinez?
les premières concessions de carnaval. La période ne s'y prête pas encore. Ne sommes-nous pas les retraités les mieux dotés d'Europe ? A les entendre tous... Ce charivari est resté dominé en outre par l'apolitisme syndical sans ébranler le gouvernement bourgeois.
Des décennies de reflux, de grèves échouées, de bourrage de crâne sur les joies du libéralisme sans frein, n'ont pas dissout la lutte des classes. Au contraire, même si c'est derrière les calicots et radotages syndicaux, la colère et la frustration sont porteuses de lendemains plus déterminés politiquement pour une classe ouvrière revigorée qui riposte quand même dans les brancards, et qui pourra peut-être dans un temps pas si lointain les faire voler en éclats. Parce que la classe dominante n'a plus les moyens de lâcher des réformes sérieuses ni de leurrer les masses avec ses promesses électorales et syndicales. Il faudra bien comprendre que les syndicats lorsqu'ils "organisent" les grèves ne le font aucunement pour aider la classe ouvrière à s'homogéniser et à reprendre son combat historique, et qu'il faudra bien au contraire vérifier la force d'une lutte de masse à condition de les expulser de la direction du mouvement. 




NOTES


1On ne peut pas nous refaire le coup de la mue au cours de la lutte assez bien résumée par ce cheminot en 1996 : « « Beaucoup nous posent cette question. Mais nous ne nous battons plus pour nous, nous faisons grève pour tous les salariés. Au début je faisais la grève comme agent de conduite, ensuite comme cheminot, puis comme fonctionnaire, et maintenant c'est comme salarié que je fais grève. Alors je n'arrêterai la grève que lorsque le plan Juppé aura été retiré. » (un cheminot en 1996). Le conflit de la « colère organisée » est si bien corseté en deal gouvernemental avec des critères catégoriels égrenés par bébé Juppé que dans les faits, même s'ils nous disent lutter pour tous, ils luttent pour leur pomme et surtout pour que tout continue comme avant... quand bébé Juppé veut aggraver la paupérisation... mieux qu'avant.
2L'adaptation du syndicalisme déliquescent est comme les globules blancs, une défense immunitaire spontanée de l'idéologie bourgeoise. Ainsi face à la farouche volonté d'indépendance de classe et à la désyndicalisation, SUD est créé au lendemain du mouvement de 1995. SUD n'a jamais pu devenir une véritable camarilla équivalente au barnum CGT, il s'est surtout spécialisé dans un rôle de rabatteur et de sergent recruteur, fonction à laquelle sont formés les gauchistes dès leur plus jeune âge.
3On oublie toujours de rappeler que les principaux gangs syndicaux ne vivent pas des cotisations mais des subventions de l'Etat, on ne va donc pas mordre la main de celui qui vous nourrit. Très subversif la question que je pose : qui paye moustache de la CGT et crâne rasé de FO, sans oublier le faux cul de la CFDT. Pour Martinez c'ets ici : https://www.capital.fr/economie-politique/le-salaire-de-philippe-martinez-alimente-par-le-loyer-dune-maternite-a-la-derive-1332357. Cherchez vous-mêmes pour les autres bonzes. Je vous rappelle aussi pour la gloire que Marchais était rétribué par la caisse des concierges, Ha Ha Ha !
4Les événements se répètent toujours deux fois disait en riant notre ami Marx. La même valse hésitation du gouvernement de bébé Juppé. Paul Baretz le rappelle avec ses interviews de cheminots : « Quant aux retraites, même s'ils disent « ne pas trop y penser vu leur âge», ils ne peuvent pas s'empêcher de plaisanter sur la volte-face du gouvernement, qui, en l'espace d'une nuit, a eu le temps d'annoncer le maintien du régime spécial des cheminots... et son contraire ! Alors que, hier, Jacques Barrot, le ministre du Travail et des Affaires sociales, et Anne-Marie Iclrac, la secrétaire d'État aux Transports, ont assuré les syndicats « du maintien de la spécificité du régime spécial des cheminots», le porte- parole du gouvernement, Alain Lamassoure, a en effet expliqué ce matin sur France Inter que la commission Levert, chargée d'étudier le cas des régimes spéciaux, ne pourrait les maintenir en l'état... Si certains cheminots interprètent ces contradictions comme une manœuvre du gouvernement pour semer le trouble dans l'esprit des cheminots, mes deux compagnons veulent plutôt y voir un signe comique que les ministres « perdent les pédales » .
5Le mouvement « unitaire »de 1995 est généralement porté au pinacle alors qu'il était en recul par rapport à la grève de 1986 concernant l'autonomie de classe, je préfère dire indépendance de classe. «Unitaire», la grève le fut enfin en ce sens que les cheminots s'y sont réconciliés avec leurs syndicats. Alors qu'en 1986 la grève avait commencé contre les organisations syndicales, elle fut cette fois-ci menée du début à la fin par elles ». Paul Baretz. Quand un mouvement du passé est systématiquement présenté comme victorieux, il faut alors se demander à qui il a vraiment profité. La grève de 1986 avait été très populaire avec l'apparition des coordinations mais celles-ci furent plutôt corporatives !
6Il faut voir la réalité et celle-ci est cruelle et sans appel comme le montre l'excellent « Gloria Mundi » de Robert Guédiguian. Bébé Juppé premier commis d'Etat nous a fait beaucoup rire avec sa compassion pour les métiers pénibles comme si tous les métiers n'étaient pas pénibles en général dans la compétition hiérarchique et salariale !
7Les enseignants sont très bons donneurs de leçon mais très corporatifs et syndicalisés ; la promesse gouvernementale de les augmenter massivement a eu l'effet recherché, la division et un regain d'hostilité concernant leurs avantages ; j'ai eu en main un tract d'enseignants qui avait le culot d'écrire « chaque catégorie a ses avantages » ! Allez parler d'avantages aux ouvriers du privé, aux nettoyeurs de la Retape ou de la SNCF !
8La pratique syndicale du blocage des transports en commun est dégueulasse, jamais tel n'a été le cas en Russie en 1917. La grève générale totale a toujours été impossible et une lubie, c'est la forme des grèves obtuses auxquelles les bonzes interdisent de toucher. ET leurs rabatteurs gauchistes aussi. Il faut lire les arguments fallacieux et légalistes de la scission machin du NPA qui explique longuement que les travailleurs du public prendraient de gros risques en faisant rouler les trains et les métros, succomberaient à une répression judiciaire... Franchement non ! Dans un réel rapport de force, massif, les travailleurs n'ont rien à craindre en pratiquant des actions illégales pacifistes et tout à y gagner en termes de solidarité. Naguère j'ai participé à des coupures de courant à EDF, c'était bien plus efficace que des manifs flonflons ou des blablas sans fin avec les patrons. Les blocages actuels sont une nécessité pour saboter le mouvement de révolte et d'inquiétude pour les retraites, c'est pourquoi les bandits syndicaux sont fermes sur le sujet, en disant que c'est uniquement la faute au gouvernement, et quand cela lui est fort utile comme on le verra au bout du compte.
Eléments du langage comique et inclusif de la Tendance NPA/ARC qui se propose de « déborder les directions syndicales et de battre Macron » : « Enfin, la grève ne permet pas seulement de bloquer l’économie capitaliste, elle permet aussi d’avoir du temps pour débattre collectivement, décider au quotidien des suites de la mobilisation bref, de s’auto-organiser. L’argument n’est pas des moindres pour nous qui portons le projet d’une société émancipée où les travailleurs/ses décident elleux-mêmes de leur sort au quotidien.Luttons pour que la bataille qui s’engage contre le projet de réforme des retraites ne permette pas seulement d’imposer le retrait mais qu’elle permette aussi de consolider l’auto-organisation des travailleurs/ses et ainsi de poser les jalons d’une société autre. Société où enfin ne décident pas celleux qui possèdent les moyens de production mais celleux qui les font fonctionner ». Avec la même merde idéologique que la maison mère : « Nous devons articuler les luttes des travailleurs/ses à l’ensemble des combats des opprimé.e.s : pour les droits des femmes et personnes LGBTQI et contre toute forme de violence sexiste, pour l’accueil des migrant.e.s, la liberté de circulation des êtres humains, l’antiracisme et l’anti-impérialisme, contre les violences policières qui touchent particulièrement les jeunes des quartiers populaires, autant de questions qui ne sont pas des surplus à l’analyse en termes de « classe » mais sont des combats à la fois complémentaires et nécessaires pour envisager l’affrontement et l’émancipation de tous et toutes. »
9Contrairement à 1995, le successeur du FN approuve la grève ainsi qu'une partie de la petite bourgeoisie , et donc de la petite bourgeoisie des « services publics » où nombre de fonctionnaires ne se considèrent nullement comme partie de la classe ouvrière, sans oublier les mafias CGT et autres qui cogèrent ou gèrent tant d'organismes qui autorisent les népotismes; il est des amis dont on se passerait volontiers !
10En commentant ainsi sa critique du CCI : « c’est-à-dire des revendications sans lien direct avec la mobilisation, donc abstraite et sans utilité pour la généralisation réelle de celle-ci ». Sa perte de vue de la situation bien encadrée par les appareils de l'Etat le conduit à se figurer une nouvelle prise du Palais d'hiver : « (les grévistes) ils ne peuvent faire l’économie de disputer aux syndicats la direction du combat, des décisions d’action et des revendications, et même des tâches de négociations avec le gouvernement si elles doivent avoir lieu ». Sur ce plan imaginaire et utopique il est d'ailleurs rejoint par le CCI qui titre sobrement : « Seul le développement de cette lutte pourra ouvrir le chemin au combat fondamental et historique de la classe ouvrière pour l’abolition de l’exploitation et du capitalisme ». Courant Communiste International
(1er décembre 2019). Avec le même disque rayé depuis 50 ans : « 
Seule la lutte massive et unie de tous les secteurs de la classe exploitée peut freiner et repousser les attaques présentes de la bourgeoisie ». C'est le mot d'ordre du CCI soir et matin pendant toute la décadence du capitalisme. Ce qui est gonflé, décalé et contradictoire avec le contenu de leurs articles plus dubitatifs sur l'état du rapport des forces. De peur de se voir accablé d'indignité politique par les plus bornés des embrigadés ? Dont je n'ai que foutre.

lundi 9 décembre 2019

UN MOUVEMENT DE MECONTENTEMENT DE VIEUX SANS AVENIR


« Le management tue. La précarité tue. La pauvreté tue. Un étudiant, une lycéenne s'immole : être jeune n'épargne plus du désespoir d'être sans avenir  (…) On mesure mal aussi, dans la jeunesse surtout, la part de plus en plus sensible des trajectoires déviées, des refus de se conformer, des retours à la terre, des quêtes d'autres manières de vivre. La crise sans fin du capitalisme néo-libéral n'est pas seulement économique, elle est existentielle ». Laurent Jeanpierre (l'OBS)

« Il n'y a plus de vision politique, au plein sens du terme, capable de tracer une perspective d'avenir claire. D'où les réactions de colère, comme celle qui s'est exprimée l'hiver dernier avec les gilets jaunes, qui sont en train de se propager partout. Parce que la dimension psychologique signe l'échec de la politique à cerner les problèmes de la société et à proposer la manière d'y remédier. L'absence de perspective d'ensemble est saisissante ». Marcel Gauchet


Il me souvient qu'au début de l'année 1968, s'étaient déroulées des manifestations pour la défense de la retraite qui n'avaient passionné personne et qu'on avait vite oubliées avec l'explosion du mois de mai posant brutalement un problème d'alternative au capitalisme et pas une histoire d'agenda pour chacun et chacune en fin de carrière professionnelle ni de répartition des avantages corporatifs du système des retraites hiérarchisées capitalistes... Il me souvient qu'au début de tous les grands mouvements de révolte « révolutionnaire » et pas sans lendemain triste de paisible retraité, comme en 68, c'est la jeunesse qui portait le flambeau. Nos jeunes d'aujourd'hui ne se soucient plus de politique mais veulent un logement et un salaire pour réussir leurs études...
Cette focalisation soudaine et si bien organisée sur la retraite est aussi une dépolitisation de la lutte contre l'exploitation, comme l'explique si bien une spécialiste, Danièle Linhart1.
Avec nos deux « grèves générales» fictives – la grève générale a toujours été un mythe anarcho-syndicaliste et de plus quasi impossible en temps réel dans le monde moderne – ce sont des vieux syndicalistes, de vieux gauchistes blanchis sous le harnais qui mènent la danse. Quand on est jeune on se fiche de la retraite, on veut combattre pour la vie et surtout pour voir plus loin que la limite individuelle et sociale de la retraite. Que les vieux prolétaires, usés par le travail, la désirent, tant mieux, mais qu'ils se laissent berner par les spécialistes de l'encadrement politique « moral »2 et les bateleurs de foire syndicale qu'elle peut leur apporter bonheur et « bon niveau de vie », on a le droit de s'en moquer. Loin d'être un tremplin pour un mouvement collectif de classe, cette « colère organisée » surfe sur l'individualisme de la société de loisir et des besoins artificiels créés par le capitalisme décadent ; il faut lire là-dessus l'excellent Marcel Gauchet dans le dernier numéro de l'OBS3. La création des 35 heures a généré le besoin de plus de loisirs, comme pour les retraites longues, un moindre intérêt pour le travail tout en accroissant la souffrance sociale par une pression accrue pour la rentabilité des multiples tâches requises ». C'est Mitterrand comme je le redis plus loin qui a ouvert la boite de Pandore des déficits colossaux. L'âge pivot à 64 ans proposé par les sous-fifres macroniens n'est qu'un retour lent aux fatidiques 65 ans voir plus si affinités avec la longévité. Pratiquement aucune minorité politique ni aucun groupe n'a compris la manœuvre en cours, sauf Matière et Révolution4.

UNE COLERE « organisée »5

Le gouvernement a programmé en toute connaissance de cause cette « colère organisée ». À aucun moment il n'a cherché à désamorcer ce mouvement syndical de protestation corporative. Il joue l'opinion depuis la veille de la programmation syndicale, et il n'a rien à craindre ni des résidus gilets jaunes ni de la « colère syndicale » feinte. Il compte bien tirer avantage d'un « conflit dur », envisagé et souhaité dans les couloirs ministériels, où, quoiqu'il arrive il posera au « réformateur courageux » ; avec une relative sérénité compte tenu de ce que les appareils syndicaux ne risquent pas, dans ce cadre pipé, d'être débordés par « leur base » (les couillons comme l'instillent les médias). Il a fait montre d'un culot provocateur en faisant déclencher sur commande syndicale un bordel gréviste reposant sur les privilégiés des transports publics, surtout sur décision et contrôle des généraux syndicaux, sans que son projet soit officiellement présenté, les sous-fifres ministres se permettant de narguer le public en considérant avec morgue « que les gens se mobilisent contre une réforme qu'ils ne connaissent pas ; le commis d'Etat à barbe dépeinte viendra siffler la fin de la récré mercredi.
Le « mouvement social » de rejet du « plan Macron » fabriqué de toute pièce, programmé et millimétré par les syndicats gouvernementaux est une vaste fumisterie qui vise à entraîner dans le mur de larges couches angoissées de la société plus que simplement mécontentes. Le petit rouquin bras droit de Mélenchon, ces amis des décoloniaux racistes, qui a décrété que la retraite était « la mère des batailles » se fout du monde comme de la réelle lutte des classes : le but de la lutte de classe n'est pas la retraite aménagée ou garantie mais la mise à bas du capitalisme. L'arbre de Noël de la « revanche des syndicats » sur les gilets jaunes (dixit les médias serviles) sent l'imbroglio fabriqué par ces domestiques de l'Etat bourgeois en complicité avec ses édiles du sommet. En général je me fie aussi en politique à mes sentiments, j'ai été enthousiaste au début de Mai 68, aussi au début du mouvement des gilets jaunes. Là ça pue, ça met mal à l'aise, ça sent le débat obscur de spécialistes. Il est fait référence à 1995, 2003, 2010 où à chaque fois les gouvernements auraient reculé face aux manifestations syndicales. Or on s'aperçoit que tel est pris qui croyait prendre. Les gouvernements successifs font passer petit à petit la pilule amère ; la plupart des lois sociales délétères pour encadrer plus le travail sont passées par morceaux. Les secteurs dits « privilégiésé ont tous été passés à la moulinette, EDF a été démantelé sans que les syndicrates mettent le feu à la plaine. Au printemps 2018, le statut de la SNCF a été cassé par l’Assemblée nationale. La SNCF sera éclatée en 2020 en plusieurs sociétés anonymes, le réseau ferroviaire ouvert à la concurrence avec la prévision de la suppression de milliers de kilomètres de lignes. Le statut des cheminots datant de plus d’un siècle sera supprimé pour les nouveaux embauchés au 1er janvier 2020. Plus grave que le projet en pointillé de retraite par points, la réforme de l'assurance chômage qui humilie un peu plus les chômeurs est passée à l'as il y a deux mois avec l'accord des collabos syndicaux, et les petites querelles autour des interrogations sur la retraite par points évitent soigneusement de traiter de la retraite amoindrie des chômeurs et chômeuses à partir de cinquante ans. Il est vrai que le cas des chômeurs mobilise peu la population salariée en confortable CDI attachée à ses prérogatives de corporation !6

Certes le grand responsable du chaos sur ce plan reste Mitterrand qui, en faisant passer la retraite de 65 à 60 ans, a certes ravi plusieurs générations de plusieurs classes – pour faire croire que la gauche était une amie sincère de la classe ouvrière contrairement à la droite au moins sur un point – et avec quelques nationalisations pour l'honneur, mais en négligeant l'inflation faramineuse et prévisible du nombre de retraités par rapport aux actifs pour les années à venir... eux par contre en diminution constante.

Certes les couches moyennes (la petite bourgeoisie salariée, les cadres supérieurs, médecins, avocats, etc.) est touchée et elles le font savoir sans pour autant s'associer à l'effort gréviste surtout concentré et limité au secteur public, et où les salariés du privé sont encore les dindons de la farce, coincés dans la paralysie des transports par une pseudo « grève générale » et exclus des avantages en faveur des « agents de l'Etat ». Avec l'enfoncement dans la crise mondiale (qui n'est pas une simple question de déficits) l'Etat bourgeois est certes amené à scier sur la branche sur laquelle il était assis depuis au moins cinquante ans, à mécontenter ces couches moyennes qui le soutenaient et tirent la langue désormais sans pour autant manifester la moindre solidarité avec les classes inférieures. C'est pourquoi le « tous ensemble contre une même attaque » est une esbrouffe ridicule des syndicalistes gauchistes et même de nos minorités dites anciennement « ultra-gauches »7. Les couches moyennes ne sont pas encore prêtes à « tomber dans le prolétariat » ni à renoncer à leurs privilèges et retraites supérieures ; leur programme restera pour longtemps la nunucherie écologique, une écologie qui n'est pas pour tout le monde mais pour ceux qui en ont les moyens.

La révolution c'est pas pour maintenant et ce ne sera pas une soirée de gala !

Naguère notre vieil ami et camarade Marc Chirik ne cessait de nous dire que le problème pour la bourgeoisie ce n'était pas la dureté du pouvoir ou de savoir si tel président se prenait pour Napoléon ou De Gaulle, mais de disposer d'une opposition forte avec un projet un tant soit peu crédible. C'est bien là tout le problème des gouvernants actuels, et pas seulement en France. Comme on a pitié de voir les Corbyn, Mélenchon et autres Salvini, qui ne sont aucunement des recours crédibles ni sérieux à la crise politique grandissante de la fable démocratique bourgeoise. La soit disante lutte pour des retraites décentes vise en fin de compte à faire croire que dans le capitalisme une masse de privilégiés (encore au boulot) pourrait échapper à la misère qui se généralise. Il faut par contre dire la vérité aux prolétaires, comme le disait le jeune fondateur du CCI en Europe à a fin des années 1970, Raoul Victor : « le passage à une autre société supposera des sacrifices et la fin des besoins inutiles créés par le capitalisme, mais il n'y a pas d'autre chemin ». Les vrais révolutionnaires ne sont pas des vendeurs de rêves syndicrates, des gauchistes aux utopies plouques. Ils ont pour tâche de dénoncer les menteurs professionnels et d'affirmer qu'une autre société est possible sans concessions à l'écologie punitive des bobos ni aux moralistes d'un capitalisme propre.




NOTES


1« Même si de fortes mobilisations apparaissent chez les travailleurs de la santé (sans doute parce qu'ils savent que leur travail concerne tout un chacun) force est de constater que le travail s'estompe progressivement comme enjeu politique. La question de son organisation et de sa gestion n'est pas au centre des révoltes, ni des luttes. C'est que le patronat a réussi à le « dépolitiser » (…) le patronat à créé les conditions d'une insensibilisation du travail comme enjeu de société et enjeu politique laissant l'emploi et le salaire comme seules questions apparentes ». Danièle Linhart (Repolitiser le travail)
2Selon l'excellent Marcel Gauchet, l'extrême gauche : « … elle, en revanche, est en train de muter sous l'influence de la nébuleuse néoféministe, décoloniale, indigéniste, « minoritariste ». Elle n'est plus révolutionnaire au sens classique, mais morale. Cette nouvelle extrême gauche se complaît dans la dénonciation de tous ceux qui n'adhèrent pas à sa vision des choses, les renvoyant dans la catégorie des « ennemis du genre humain » ou des « salauds ». Et elle ne se contente pas de les poursuivre de sa vindicte, elle entend les empêcher de s'exprimer ».
3« Au fond, la retraite d'aujourd'hui réalise le rêve du socialisme utopique du XIXe siècle : un revenu et des loisirs ! Mais les actifs d'aujourd'hui craignent que cet état de grâce – qui ne concerne pas tous les retraités ! - ne se reproduise pas pour les nouvelles générations. C'est une dimension nouvelle qui n'était pas aussi présente en 1995, car, depuis, le sentiment de déclassement du pays, pour ne pas parler de déclin, s'est grandement accentué. On touche donc là à quelque chose de très lourd qui révèle la crise de l'identité française, au sens historique du terme ». Qui touche surtout à une politique de l'autruche où la retraite serait une sorte de club méditerranée permettant de remiser la société socialiste ou communiste future au rang de la hache et du rouet.

4Mention spéciale pour la lucidité de MATIERE ET REVOLUTION : « ...ils vont mettre en scène une mobilisation syndicale et un faux recul gouvernemental avec un Grenelle et une nouvelle réforme des retraites acceptée par certains syndicats. Tous crieront à la victoire partielle et en même temps toutes les autres attaques passeront en douce comme la privatisation du rail, la destruction de l’hôpital public, la guerre tous azimuts, les attaques des chômeurs et de la sécu, etc...En fait, les appareils syndicaux veulent seulement diriger le mouvement pour le limiter, pour le contrôler, pour éviter que la classe ouvrière ne s’auto-organise et pour ensuite la trahir en la vendant au pouvoir et au grand capital…En effet, secteur par secteur, ce n’est que les travailleurs que les syndicats organisent pour préparer la journée du 5 décembre et les suivantes, non, c’est les négociations avec le pouvoir qu’elles mettent en place ! Et on le voit dans tous les secteurs, dans toutes les catégories, pour tous les syndicats. Tous sont reçus. Tous négocient dans le dos des travailleurs. Tous trahissent dès maintenant ! https://www.matierevolution.fr/spip.php?breve1036

5Je n'invente rien, c'est la consternante secte NPA, association de sergents recruteurs des syndicats gouvernementaux et sponsors des fachos décoloniaux qui rend compte des préparatifs de tous ces faux amis des ouvriers et des retraités : « L’organisation de la mobilisation des cheminots
Dès septembre, 5 syndicats de la RATP (FO, UNSA, CGC, SUD et Solidaires)  lançaient un appel à la grève reconductible à partir du 5 décembre. Désireux de ne pas subir une défaite de plus et tirant les leçons de l’échec de 2018, dès septembre 2019, SUD Rail et UNSA ferroviaire lançaient, eux aussi, un appel à la grève reconductible à partir du 5 décembre contre le projet Delevoye, suivi par FO et la CGT » (lu sur le site du NPA avec les mêmes lamentations pitoyables sur la « grève générale » qui va mettre à bas le capitalisme... en dansant derrière les syndicats gouvernementaux. Les chiffres sur le taux de grévistes chez les cheminots sont trafiqués, la grève n'y est pas suivie majoritairement, le taux élevé des conducteurs de train oublie de mentionner que c'est une minorité de l'effectif des cheminots. Le caméléonnisme bien connu de ce courant trotskien, qui se couche devant toutes les modes, adopte aussi la couleur jaune, l'éclectisme et l'interclassisme de nos pauvres gilets jaunes est ainsi exalté et intégré au « mouvement social » exemplaire ! Parmi ces caméléons islamophiles de tous les communautarismes un certain Léon Crémieux (chef d'une certaine 4e internationale, vous connaissez cette secte vous?) conclut une longue explication servile de la fabrique « colère syndicale », confondant la retraite avec l'avenir d'une société débarrassée du capitalisme, ce qui est le comble du réformisme radical: « Le mouvement pour les retraites pose directement la question de la société dans laquelle nous voulons vivre, débarrassée de l’exploitation et des oppressions, organisée démocratiquement pour la satisfaction des besoins sociaux. Faire avancer cette perspective dépendra dans les jours qui viennent de la force du mouvement social ». La messe est dite par ce vieux rigolo des « sphères dirigeantes » du trotskisme embaumé.
La secte ouvriériste LO est moins éclectique, plus critique vis à vis des « directions syndicales » mais tout aussi rabatteuse : «en 1995 Juppé s’était montré aussi arrogant que Macron l’est aujourd'hui, et il avait dû manger son chapeau face à la détermination des grévistes. Aujourd'hui, nous pouvons en faire autant, si nous reprenons confiance dans notre force collective.Beaucoup d’entre nous se méfient des confédérations syndicales et de leurs calculs d’appareils qui les ont régulièrement conduits à sacrifier les intérêts des travailleurs.Eh bien, il faut se battre avec la conviction que nous pouvons nous organiser pour contrôler et diriger notre mouvement de façon démocratique. Avec la conviction que nous pouvons décider et agir sans attendre les consignes des confédérations ».
6Secteur privé : 19 millions de salarié, secteur public : 4 millions ! (84 % des actifs). Je n'ai aucune admiration pour les corporations ni pour les ouvriers « corporatistes » idiots au souvenir des tristes mineurs roumains amis de Ceausescu, ni pour les exactions naguère de grévistes staliniens, ni pour ces grévistes suivistes des ordres syndicaux, minoritaires, pas très courageux et planqués au fond des hangars sans nulle considération pour la masse de prolétaires obligés de subir leur blocage égoïste et sans communication publique pour justifier de rester minoritaire sans souci de partager une expérience de lutte réelle. Le CCI résume bien l'aliénation de la notion de classe  : « « La bourgeoisie est parvenue à leur faire croire que la classe ouvrière n’existait plus, qu’ils n’étaient pas des ouvriers mais des cheminots, des urgentistes, des électriciens, des enseignants, des pilotes, des laborantins. Mieux encore, aux yeux de la classe dominante : des “citoyens”.
)
7Il est symptomatique que le courant de la « gauche communiste » (italienne et allemande) qui voit confirmé massivement ce qu'il avait justement dénoncé pendant un demi-siècle – l'implosion du système des partis politiques et des syndicats (sans voir l'implosion de leurs propres partis fictifs néo-léninistes) – soit incapable de s'orienter face à cette nouvelle donne politique et donc d'orienter autrement que par d'antédiluviens clichés : « tous ensemble pour faire reculer le gouvernement », ou « une même attaque contre les travailleurs ». Ce qui revient à encourager une collection de corporatismes et de privilèges de « grosses boites », en oubliant que des revendications unitaires ne sont pas une série de privilèges corporatifs, en oubliant aussi que toutes les révolutions ont été menées par la petite bourgeoisie (Robespierre et Lénine étaient avocats) et que les basses classes y ont toujours servi de masses de manœuvre, et que demain encore la petite bourgeoisie voudra mener en tête la lutte contre l'Etat mais en maintenant ses prérogatives de classe... arriviste.

vendredi 6 décembre 2019

La grève du père Noël


A grands sons de trompette nous fut annoncée la bataille générale pour défendre « la retraite » le 5 décembre. On allait voir ce qu'on allait voir. Gaffe Macron, tu nous accuses de faire une « grève corporative », il t'en cuira ! Nous sommes tous concernés avec ta magouille pour fabriquer la retraite à la carte, pardon à points ! Tu veux nous rouler dans la farine d'une « retraite plus juste » face aux « privilégiés » des régimes spéciaux ! Nous ne sommes pas dupes, tu veux déshabiller Paul pour habiller Pierre, et piquer à Pierre aussi pour Raymond ! La CGT et les gauchistes se sont proclamés généraux d'un mouvement « comparable à 1995 ».
Il est vrai qu'il y a un réel déséquilibre des retraites, des gouffres abyssaux pour certaines caisses, des inégalités criantes entre régimes, une ribambelle de corporatismes pour qui ne se contente d'en appeler au « père Noël social » en régime capitaliste ; mais les forts en gueule apparatchiks syndicaux et gauchistes se fichent de poser le problème autrement qu'en hurlant « A bas Macron ». Car poser le fond du problème serait le relier à la crise capitaliste, à un « Etat social » » en déliquescence, incapable de réguler ses divers systèmes d'assurance et de protection sociale, dans le maelstrom de la crise économique mondiale. Poser le problème serait être capable même pour les minorités révolutionnaires hors des mafias syndicales de ne pas se contenter d'en appeler à la « généralisation de la lutte », mais de préciser ce que doit devenir cette lutte « généralisée » ou « généralisable », et surtout de dire quelle perspective sociale et historique est envisageable. On fait tomber le gouvernement ? Oui mais on le remplace par quoi et par qui ?
Vous croyez à une autre société mes cocos ? Mais laquelle ? Revenir aux nationalisations de papa, à papy Brejnev, à la Corée du Nord, à la mode Cuba ? Et la retraite, une fin en soi? Cette mort sociale haussée au rang de Valhalla syndicrate, quelle dérision de la part de ces professionnels du radotage de la mythique et ringarde "grève généraaale"!

Relisez le texte de Rosa ci-dessous et surtout ses dernières lignes, il y avait pour l'aile révolutionnaire de la vaillante et pas encore traître social-démocratie, un projet de changement de société qui motivait les masses ouvrières, le socialisme, un socialisme pas encore défiguré par les socialistes de gouvernement, le stalinisme et les tiersmondistes gauchistes. Appeler à la généralisation des grèves dans la période actuelle en espérant qu'elles accoucheront automatiquement d'un bébé révolutionnaire est comme attendre que le fer rouillé se transforme en lingot d'or.
Oui cette grève « pour la retraite », soigneusement programmée par les arcanes du pouvoir au jour dit avec la complicité des technocrates syndicaux en pleine période où le consommateur est roi et où les enfants croient encore au père Noël est une grève faussement collective (comme le fallacieux "tous ensemble" de 1995, une grève où les poires n'ont rien à voir avec les pommes et où les bananes sont étrangères aux oranges : quoi de commun entre prolétaires en général et avocats, dentistes et artisans ? Et même entre ouvriers du public et du privé où chaque corporation défend bec et ongles ses petits avantages, qui sont parfois des privilèges (allons bande d'excités, c'est pas un privilège pour certains de partir à la retraite à 55 piges?).
Outre que c'est duraille de perdre une ou deux journées de travail par les temps qui courent avec des salaires de merde, le comble est de les perdre pour le grand cirque syndical d'une voire deux journées sans lendemain, hors du contrôle des masses avec les sifflets des petits perroquets trotskiens des syndicats, quelle vacuité ! Sachant que par exemple comme le raconte l'Obs, la dite réforme peut être repoussée à 2035 et que les enseignants peuvent être épargnés dans l'immédiat... Une partie des généraux syndicaux appelleront à cesser la bataille, laissant les agents de la RATP continuer à foutre la pagaille pour renverser en faveur du gouvernement « compréhensif » une opinion excédée...
Le père Noël est une ordure.

QUAND LES BONZES SYNDICAUX SE LA JOUENT MODESTES (ou comment apprendre à réfléchir avec Rosa)
(le titre est de moi, le texte extrait de « grève de masse, partis et syndicats » de notre chère Rosa Luxemburg)

Dans cette perspective le problème de l'organisation dans ses rapports avec le problème de la grève de masse en Allemagne prend un tout autre aspect. La position adoptée par de nombreux dirigeants syndicaux sur ce problème se borne la plupart du temps à l'affirmation suivante :
« Nous ne sommes pas encore assez puissants pour risquer une épreuve de force aussi téméraire que la grève de masse ». Or ce point de vue est indéfendable : c'est en effet un problème insoluble que de vouloir apprécier à froid, par un calcul arithmétique, à quel moment le prolétariat serait « assez puissant » pour entreprendre la lutte quelle qu'elle soit. Il y a trente ans les syndicats allemands comptaient 50 000 membres : chiffre qui, manifestement, d'après les critères établis plus haut, ne permettait même pas de songer à une grève de masse. Quinze ans plus tard les syndicats étaient huit fois plus puissants, comptant 237 000 membres. Si cependant on avait à cette époque, demandé aux dirigeants actuels si l'organisation du prolétariat avait la maturité nécessaire pour entreprendre une grève de masse, ils auraient sûrement répondu qu'elle en était loin, que l'organisation syndicale devrait d'abord regrouper des millions d'adhérents. Aujourd'hui on compte plus d'un million d'ouvriers syndiqués, mais l'opinion des dirigeants est toujours la même - cela peut durer ainsi indéfiniment. Cette attitude se fonde sur le postulat implicite que la classe ouvrière allemande tout entière jusqu'au dernier homme, à la dernière femme, doit entrer dans l'organisation avant que l'on soit « assez puissant » pour risquer une action de masses; il est alors probable que, selon la vieille formule, celle-ci se révélerait superflue. Mais cette théorie est parfaitement utopique pour la simple raison qu'elle souffre d'une contradiction interne, qu'elle se meut dans un cercle vicieux. Avant d'entreprendre une action directe de masse quelconque, les ouvriers doivent être organisés dans leur totalité. Mais les conditions, les circonstances de l'évolution capitaliste et de l'Etat bourgeois font que dans une situation « normale » sans de violentes luttes de classes certaines catégories - et en fait il s'agit précisément du gros de la troupe, les catégories les plus importantes, les plus misérables, les plus écrasées par l'Etat et par le capital ne peuvent absolument pas être organisées. Ainsi nous constatons que, même en Angleterre, un siècle entier de travail syndical infatigable sans tous ces « troubles » - excepté au début la période du chartisme - sans toutes les déviations et les tentations du « romantisme révolutionnaire » n'a réussi qu'à organiser une minorité parmi les catégories privilégiées du prolétariat.
Mais par ailleurs les syndicats, pas plus que les autres organisations de combat du prolétariat, ne peuvent à la longue se maintenir que par la lutte, et une lutte qui n'est pas seulement une petite guerre de grenouilles et de rats dans les eaux stagnantes du parlementarisme bourgeois, mais une période révolutionnaire de luttes violentes de masses. La conception rigide et mécanique de la bureaucratie n'admet la lutte que comme résultat de l'organisation parvenue à un certain degré de sa force. L'évolution dialectique vivante, au contraire, fait naître l'organisation comme un produit de la lutte. Nous avons déjà vu un magnifique exemple de ce phénomène en Russie où un prolétariat quasi inorganisé a commencé à créer en un an et demi de luttes révolutionnaires tumultueuses un vaste réseau d'organisations. Un autre exemple de cet ordre nous est fourni par la propre histoire des syndicats allemands. En 1878 les syndicats comptaient 50 000 membres. Selon la théorie des dirigeants syndicaux actuels, nous l'avons vu, cette organisation n'était pas « assez puissante », et de loin, pour s'engager dans une lutte politique violente. Mais les syndicats allemands, quelque faibles qu'ils fussent à l'époque, se sont pourtant engagés dans la lutte - il s'agit de la lutte contre la loi d'exception - et se sont révélés non seulement « assez puissants » pour en sortir vainqueurs, mais encore ils ont multiplié leur puissance par cinq. Après la suppression de la loi en 1891 ils comptaient 227 659 adhérents. A vrai dire, la méthode grâce à laquelle les syndicats ont remporté la victoire dans la lutte contre la loi d'exception, ne correspond en rien à l'idéal d'un travail paisible et patient de fourmi; ils commencèrent par tous sombrer dans la bataille pour remonter et renaître ensuite avec la prochaine vague. Or, c'est là précisément la méthode spécifique de croissance des organisations prolétariennes celles-ci font l'épreuve de leurs forces dans la bataille et en sortent renouvelées. En examinant de plus près les conditions allemandes et la situation des diverses catégories d'ouvriers, on voit clairement que la prochaine période de luttes politiques de masses violentes entraînerait pour les syndicats non pas la menace du désastre que l'on craint, mais au contraire la perspective nouvelle et insoupçonnée d'une extension par bonds rapides de sa sphère d'influence. Mais ce problème a encore un autre aspect. Le plan qui consisterait à entreprendre une grève de masse à titre d'action politique de classe importante avec l'aide des seuls ouvriers organisés est absolument illusoire. Pour que la grève, ou plutôt les grèves de masse, pour que la lutte soit couronnée de succès, elles doivent devenir un véritable mouvement populaire, c'est-à-dire entraîner dans la bataille les couches les plus larges du prolétariat. Même sur le plan parlementaire, la puissance de la lutte des classes prolétariennes ne s'appuie pas sur un petit noyau organisé, mais sur la vaste périphérie du prolétariat animé de sympathies révolutionnaires. Si la social-démocratie voulait mener la bataille électorale avec le seul appui des quelques centaines de milliers d'organisés, elle se condamnerait elle-même au néant. Bien que la social-démocratie souhaite faire entrer dans ses organisations presque tout le contingent de ses électeurs, l'expérience de trente années montre que l'électorat socialiste n'augmente pas en fonction de la croissance du Parti, mais à l'inverse que les couches ouvrières nouvellement conquises au cours de la bataille électorale constituent le terrain qui sera ensuite fécondé par l'organisation. Ici encore, Ce n'est pas l'organisation seule qui fournit les troupes combattantes, mais la bataille qui fournit dans une bien plus large mesure les recrues pour l'organisation. Ceci est évidemment beaucoup plus valable encore pour l'action politique de masse directe que pour la lutte parlementaire. Bien que la social-démocratie, noyau organisé de la classe ouvrière, soit à l'avant-garde de toute la masse des travailleurs, et bien que le mouvement ouvrier tire sa force, son unité, sa conscience politique de cette même organisation, cependant le mouvement prolétarien ne doit jamais être conçu comme le mouvement d'une minorité organisée. Toute véritable grande lutte de classe doit se fonder sur l'appui et sur la collaboration des couches les plus larges; une stratégie de la lutte de classe qui ne tiendrait pas compte de cette collaboration, mais qui n'envisagerait que les déifiés bien ordonnés de la petite partie du prolétariat enrégimentée dans ses rangs, serait condamnée à un échec lamentable. En Allemagne les grèves et les actions politiques de masse ne peuvent absolument pas être menées par les seuls militants organisés ni « commandées » par un état-major émanant d'un organisme central du Parti. Comme en Russie, ce dont on a besoin dans un tel cas, c'est moins de « discipline », d' « éducation politique », d'une évaluation aussi précise que possible des frais et des subsides que d'une action de classe résolue et véritablement révolutionnaire, capable de toucher et d'entraîner les couches les plus étendues des masses prolétaires inorganisées, mais révolutionnaires par leur sympathie et leur condition. La surestimation ou la fausse appréciation du rôle de l'organisation dans la lutte de classe du prolétariat est liée généralement à une sous-estimation de la masse des prolétaires inorganisés et de leur maturité politique. C'est seulement dans une période révolutionnaire, dans le bouillonnement des grandes luttes orageuses de classe que se manifeste le rôle éducateur de l'évolution rapide du capitalisme et de l'influence socialiste sur les larges couches populaires; en temps normal les statistiques des organisations ou même les statistiques électorales ne donnent qu'une très faible idée de cette influence.
Nous avons vu qu'en Russie, depuis à peu près deux ans, le moindre conflit limité des ouvriers avec le patronat, la moindre brutalité de la part des autorités gouvernementales locales, peuvent engendrer immédiatement une action générale du prolétariat. Tout le monde s'en rend compte et trouve cela naturel parce qu'en Russie précisément il y a « la révolution », mais qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que le sentiment, l'instinct de classe est tellement vif dans le prolétariat russe que toute affaire partielle intéressant un groupe restreint d'ouvriers le concerne directement comme une affaire générale, comme une affaire de classe, et qu'il réagit immédiatement dans son ensemble. Tandis qu'en Allemagne, en France, en Italie, en Hollande, les conflits syndicaux les plus violents ne donnent lieu à aucune action générale du prolétariat - ni même de son noyau organisé - en Russie, le moindre incident déchaîne une tempête violente. Mais ceci ne signifie qu'une chose, aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'instinct de classe dans le prolétariat russe tout jeune, inéduqué, peu éclairé et encore moins organisé, est infiniment plus vigoureux que dans la classe ouvrière organisée, éduquée, et éclairée d'Allemagne ou de tout autre pays d'Europe Occidentale. Ceci n'est pas à mettre au compte d'une quelconque vertu de « l'Orient jeune et vierge » par opposition avec « l'Occident pourri »; mais c'est tout simplement le résultat de l'action révolutionnaire directe de la masse. Chez l'ouvrier allemand éclairé, la conscience de classe inculquée par la social-démocratie est une conscience théorique latente : dans la période de la domination du parlementarisme bourgeois, elle n'a en général pas l'occasion de se manifester par une action de masse directe; elle est la somme idéale des quatre cents actions parallèles des circonscriptions pendant la lutte électorale, des nombreux conflits économiques partiels, etc. Dans la révolution où la masse elle-même paraît sur la scène politique, la conscience de classe devient concrète et active. Aussi une année de révolution a-t-elle donné au prolétariat russe cette « éducation » que trente ans de luttes parlementaires et syndicales ne peuvent donner artificiellement au prolétariat allemand. Certes, cet instinct vivant et actif de classe qui anime le prolétariat diminuera sensiblement même en Russie une fois close la période révolutionnaire et une fois institué le régime parlementaire bourgeois légal, ou du moins il se transformera en une conscience cachée et latente. Mais inversement il est non moins certain qu'en Allemagne, dans une période d'actions politiques énergiques, un instinct de classe vivant révolutionnaire, avide d'agir, s'emparera des couches les plus larges et les plus profondes du prolétariat; cela se fera d'autant plus rapidement et avec d'autant plus de force que l'influence éducatrice de la social-démocratie aura été plus puissante. Cette oeuvre éducatrice ainsi que l'action stimulante révolutionnaire de la politique allemande actuelle, se manifesteront en ceci : dans une période révolutionnaire authentique, la masse de tous ceux qui actuellement se trouvent dans un état d'apathie politique apparente et sont insensibles à tous les efforts des syndicats et du Parti pour les organiser s'enrôlera derrière la bannière de la social-démocratie. Six mois de révolution feront davantage pour l'éducation de ces masses actuellement inorganisées que dix ans de réunions publiques et de distributions de tracts. Et lorsque la situation en Allemagne aura atteint le degré de maturité nécessaire à une telle période, les catégories aujourd'hui les plus arriérées et inorganisées constitueront tout naturellement dans la lutte l'élément le plus radical, le plus fougueux, et non le plus passif. Si des grèves de masse se produisent en Allemagne ce ne seront sûrement pas les travailleurs les mieux organisés - certainement pas les travailleurs de l'imprimerie - mais les ouvriers les moins bien organisés ou même inorganisés - tels que les mineurs, les ouvriers du textile, ou même les ouvriers agricoles - qui déploieront la plus grande capacité d'action.
Ainsi nous parvenons pour l'Allemagne aux mêmes conclusions en ce qui concerne le rôle propre de la « direction » de la social-démocratie par rapport aux grèves de masse que dans l'analyse des événements de Russie. En effet, laissons de côté la théorie pédante d'une grève de démonstration mise en scène artificiellement par le Parti et les syndicats et exécutée par une minorité organisée, et considérons le vivant tableau d'un véritable mouvement populaire issu de l'exaspération des conflits de classe et de la situation politique, explosant avec la violence d'une force élémentaire en conflits aussi bien économiques que politiques et en grèves de masse alors la tâche de la social-démocratie consistera non pas dans la préparation ou la direction technique de la grève, mais dans la direction politique de l'ensemble du mouvement.
La social-démocratie est l'avant-garde la plus éclairée et la plus consciente du prolétariat. Elle ne peut ni ne doit attendre avec fatalisme, les bras croisés, que se produise une « situation révolutionnaire » ni que le mouvement populaire spontané tombe du ciel. Au contraire, elle a le devoir comme toujours de devancer le cours des choses, de chercher à le précipiter. Elle n'y parviendra pas en donnant au hasard à n'importe quel moment, opportun ou non, le mot d'ordre de grève, mais bien plutôt en faisant comprendre aux couches les plus larges du prolétariat que la venue d'une telle période est inévitable, en leur expliquant les conditions sociales internes qui y mènent ainsi que ses conséquences politiques. Pour entraîner les couches les plus larges du prolétariat dans une action politique de la social-démocratie, et inversement pour que la social-démocratie puisse prendre et garder la direction véritable d'un mouvement de masse, et être à la tête de tout le mouvement au sens politique du terme, il faut qu'elle sache en toute clarté et avec résolution, fournir au prolétariat allemand pour la période des luttes à venir, une tactique et des objectifs.