PAGES PROLETARIENNES

lundi 29 juillet 2019

LA VIEILLE LEGENDE DE L'INTERNATIONALISME



« Le propre de l'homme est d'aimer même ceux qui l'offensent et le moyen d'y parvenir est de te représenter qu'ils sont tes parents ». Marc-Aurèle (Pensées pour moi-même)
« L’homme n’habite que le côté désolé de la terre ». Nietzsche
« Grande honte à qui châtie autrui et soi-même à châtier oublie ». Proverbe médiéval
« Un traité de philosophie est pour une part un roman policier ». Gilles Deleuze


"Une embarcation en bois transportant environ 250 migrants clandestins, dont des femmes et des enfants, (...) a fait naufrage à moins de 5 milles marins de la côte selon les témoignages de migrants rescapés", a précisé le général Kacem dans un communiqué parvenu à l'AFP. Avant le naufrage annoncé jeudi, le HCR et l'OIM avaient fait état d'au moins 426 personnes mortes en tentant de traverser la Méditerranée depuis le début de l'année. Malgré une insécurité persistante, la Libye reste un important point de transit pour les migrants fuyant les conflits et l'instabilité dans d'autres régions d'Afrique et du Moyen-Orient et qui cherchent à travailler en Libye ou à rejoindre l'Europe à la recherche d'un avenir meilleur.
Les migrants sont «des personnes humaines», «le symbole de tous les exclus de la société globalisée», avait plaidé lundi 8 juillet le pape catholico-gauchiste François, qui présidait une messe en la Basilique Saint-Pierre marquant le sixième anniversaire de sa visite sur l'île de Lampedusa. « Ce sont les derniers abusés et abandonnés qui meurent dans le désert; ce sont les derniers torturés, maltraités et violentés dans les camps de détention ; ce sont les derniers qui défient les flots d'une mer impétueuse; ce sont les derniers abandonnés dans des camps pour un accueil trop long pour être appelé provisoire», a psalmodié le souverain pontife. On peut seulement regretter qu'un nouveau Libertad avec béquilles virvoltantes n'ait pas fait irruption dans la Basilique pour invectiver et se moquer des jérémiades du pape.
Le 8 juillet 2013, quatre mois après son élection mais avant les vagues d'arrivées massives et les grands naufrages des années 2013-2017, le pape François s'était déplacé sur le petite île italienne (située entre la Libye et la Sicile) pour dénoncer «la mondialisation de l'indifférence» envers les migrants, comme le faisait déjà n'importe quel militant bordiguien en 2003. Depuis lors, le pape n'a eu de cesse de multiplier les appels en faveur des migrants fuyant guerres et misère économique, semonçant souvent durement la vieille Europe tout en admettant que les Etats doivent aussi tenir compte de leur capacité d'accueil et d'intégration des étrangers.
«Malheureusement, les périphéries existentielles de nos villes sont peuplées de personnes exclues, marginalisées, opprimées, discriminées, abusées, exploitées, abandonnées, pauvres et souffrantes», a par après encore déploré le saint père François. Surtout qu'il y a beaucoup de chrétiens parmi ses migrants d'Afrique ! Et pas mal d'arrivistes sans foi ni loi et de réfugiés politiques anciens tortionnaires au Biafra ou ailleurs. Si au lieu de culpabiliser les populations et les prolétaires d'Europe qui ne sont absolument pas responsables des guerres au Moyen Orient, il utilisait les fonds du Vatican pour créer des missions de développement sur place, des dispensaires, des hôpitaux, il pourrait lancer des campagnes de souscription humanitaire. Là il n'est pas plus crédible qu'un chanteur gauchiste intermittent. S'il brisait aussi le tabou de "croissez et multipliez" en disant qu'au contraire la morale prescrit qu'on ne met pas un enfant au monde si on est incapable d'assurer sa subsistance et son éducation, et donc que oui, la contraception devrait être universelle... La religion catholique reste la référence de la bourgeoisie en matière sexuelle. La sexualité des pauvres est une hérésie. La sexualité hédoniste du Nord n'imagine qu'une sexualité procréatrice et limitée par le sida au sud selon la bourgeoisie et l'islam. Il n'y a que les films pornos sur internet pour laisser entrevoir que le Sud recherche aussi l'hédonisme en se fichant de dieu et de ses flics. De même qu'on a tu la sexualité des immigrés dans le mouvement ouvrier jusqu'au regroupement familial ; de même que les migrants ne sont que des violeurs sauf ceux qui viennent avec femmes en enfants.

L'AUTOFABULATION DANS LE PASSE...

2e Congrès de l'IC, juillet 1920, on lit ce qui va suivre dans les tâches principales que se fixe ce congrès, concernant l'immigration à l'époque, au chapitre des tâches du parti communiste et du parlementarisme, plus précisément au chapitre VII « les tâches du prolétariat des pays du pacifique » :

« La tâche des partis communistes coloniaux et semi-coloniaux des pays riverains de l’Océan Pacifique consiste à mener une propagande énergique ayant pour but d’expliquer aux masses le danger qui les attend et de les appeler à une lutte active pour l’affranchissement national et à insister pour qu’elles s’orientent vers la Russie des Soviets, soutien de tous les opprimés et de tous les exploités. Les partis communistes des pays impérialistes tels que l’Amérique, le Japon, l’Angleterre, l’Australie et le Canada ont le devoir, vu le danger imminent, de ne pas se borner à une propagande contre la guerre, mais de s’efforcer par tous les moyens d’écarter les facteurs capables de désorganiser le mouvement ouvrier de ces pays et de faciliter l’utilisation par les capitalistes des antagonismes de nationalités et de races.
Ces facteurs sont : la question de l’émigration et celle du bon marché de la main-d’œuvre de couleur.
Le système des contrats reste jusqu’à présent le principal moyen de recrutement des ouvriers de couleur pour les plantations sucrières des pays du sud du Pacifique où les ouvriers sont importés de Chine et des Indes. Ce fait a déterminé les ouvriers des pays impérialistes à exiger la mise en vigueur de lois prohibant l’immigration et l’emploi de la main-d’œuvre de couleur, aussi bien en Amérique qu’en Australie. Ces lois prohibitives accusent l’antagonisme qui existe entre les ouvriers blancs et les ouvriers de couleur, divisent et affaiblissent l’unité du mouvement ouvrier.
Les partis communistes des Etats-Unis, du Canada et d’Australie doivent entreprendre une campagne énergique contre les lois prohibitives et montrer aux masses prolétariennes de ces pays que des lois de ce genre, excitant les inimitiés de races, se retournent en fin de compte contre les travailleurs des pays prohibitionnistes. D’un autre côté, les capitalistes suspendent les lois prohibitives pour faciliter l’immigration de la main-d’œuvre de couleur, qui travaille à meilleur marché, et pour diminuer ainsi le salaire des ouvriers blancs. Cette intention manifestée par les capitalistes de passer à l’offensive peut être déjouée efficacement si les ouvriers immigrés entrent dans les syndicats où sont organisés les ouvriers blancs. Simultanément, doit être revendiquée une augmentation des salaires de la main-d’œuvre de couleur, de façon à les rendre égaux à ceux des ouvriers blancs. Une telle mesure prise par les partis communistes démasquera les intentions capitalistes et en même temps montrera avec évidence aux ouvriers de couleur que le prolétariat international est étranger aux préjugés de race.
Pour réaliser les mesures ci-dessus indiquées, les représentants du prolétariat révolutionnaire des pays du Pacifique doivent convoquer une conférence des pays du Pacifique qui élaborera la tactique à suivre et trouvera les formes d’organisation pour l’unification effective du prolétariat de toutes les races des pays du Pacifique »1.
Tout cela était très beau sur le papier mais resta non seulement utopique sur le terrain mais contre indiqué avec la théorie de « l'affranchissement national », l'encouragement donc aux « libérations nationales », qui ne libéreront rien du tout mais de surcroît augmenteront les divisions entre ouvriers européens et colonisés. Le paragraphe suivant met même en cause les ouvriers blancs « aristocrates » du colonialisme, qui, il est vrai, étaient complices de leurs patrons impérialistes et se sucraient aussi2 : « Les impérialismes anglais et américain continuent, comme par le passé, à diviser le mouvement ouvrier en attirant à leurs côtés l’aristocratie ouvrière par la promesse de lui octroyer une partie de la plus-value provenant de l’exploitation coloniale. Chacun des partis communistes des pays possédant un domaine colonial doit se charger d’organiser systématiquement une aide matérielle et morale au mouvement révolutionnaire ouvrier des colonies. Il faut, à tout prix, combattre opiniâtrement et sans merci les tendances colonisatrices de certaines catégories d’ouvriers européens bien payés, travaillant dans les colonies. Les ouvriers communistes européens des colonies doivent s’efforcer de rallier les prolétaires indigènes en gagnant leur confiance par des revendications économiques concrètes (hausse des salaires indigènes jusqu’au niveau des salaires des ouvriers européens, protection du travail, etc.) ».
L'appel à réaliser l'unité ouvrière interraciale à l'intérieur des syndicats était déjà une lubie bolchevique à l'époque, les syndicats devant rester désormais des annexes des Etats pour garantir partout paix sociale et absence de révolution ; et surtout pour entretenir comme on le verra partout par la suite les divisions nationales et raciales en milieu ouvrier. L'analyse est pourtant conforme à celle que produisait concernant la division semblable des ouvriers irlandais et anglais dans un courrier privé en 1870 Marx :
« Ce qui est primordial, c'est que chaque centre industriel et commercial d'Angleterre possède maintenant une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles : les prolétaires anglais et les prolétaires irlandais. L'ouvrier anglais moyen déteste l'ouvrier irlandais en qui il voit un concurrent qui dégrade son niveau de vie. Par rapport à l'ouvrier irlandais, il se sent membre de la nation dominante et devient ainsi un instrument que les aristocrates et capitalistes de son pays utilisent contre l'Irlande. Ce faisant, il renforce leur domination sur lui-même. Il se berce de préjugés religieux, sociaux et nationaux contre les travailleurs irlandais. Il se comporte à peu près comme les blancs pauvres vis-à-vis des nègres dans les anciens États esclavagistes des États-Unis. L'Irlandais lui rend avec intérêt la monnaie de sa pièce. Il voit dans l'ouvrier anglais à la fois un complice et un instrument stupide de la domination anglaise en Irlande. Cet antagonisme est artificiellement entretenu et développé par la presse, le clergé et les revues satiriques, bref par tous les moyens dont disposent les classes dominantes. Cet antagonisme est le secret de l'impuissance de la classe ouvrière anglaise, malgré son organisation. C'est le secret du maintien au pouvoir de la classe capitaliste, et celle-ci en est parfaitement consciente ».
Qu'il me soit permis ici de mettre en doute ce simplisme inhabituel chez Marx avec cet emballement à nous assurer que le « dévoilement des mécanismes cachés de la domination » (Au 19 ème comme au 21 ème siècles) serait ou était l'antagonisme entre ouvriers anglais et irlandais, comme des suiveurs de nos jours (plutôt maoïstes et bordiguistes) nous chantent que le maintien au pouvoir de la bourgeoisie est dû à l'antagonisme entre ouvriers blancs et migrants !3 Les mécanismes de la domination politique capitaliste sont bien plus subtils et divers que ne le suppose cette affirmation impulsive et erratique4. La migration de nos jours n'est plus l'immigration économique du dix neuvième. La bourgeoisie ne maîtrise nullement le flot des migrations, même si son aile industrieuse, mais plus industrielle, n'a plus besoin d'emplois industriels mais d'emplois des services à côté d'un lumpenprolétariat de la technologie et de la finance. Son utilisation idéologique, on peut même dire son détournement, est patent par les forces obscures des impérialismes ; daech annonça en décembre 2015 que pour « punir l'Europe de sa participation à la guerre en Irak », on allait « noyer l'Europe sous un flot de migrants » !
A l'unisson d'Angélique Merkel et du pape on trouve la secte CCI, qui dénonce certes l'hypocrisie immigrationniste doublée par la maraude policière, mais nous assure que la classe ouvrière a la solution : « Il est important de comprendre que le prolétariat est seul à pouvoir développer une véritable solidarité avec ceux qui sont en réalité ses frères de classe et non des “ennemis” ou des “menaces”. Ce ne sont pas les migrants qui portent les attaques contre nos conditions de vie, mais bien le capital. Les “droits de l’homme” et le “droit d’asile” ne sont que des mensonges éhontés provenant de la bouche de ceux qui sont responsables de ces mouvements migratoires massifs. Les prolétaires n’ont pas de patrie, ceux exploités dans les pays développés comme ceux fuyant les horreurs du capitalisme. C’est une seule et même classe qui doit combattre ce système en pleine putréfaction »5.
Voilà il suffit de fondre les migrants dans l'entité classe ouvrière et le tour est joué.C'est ce qu'on appelle l'utopie réactionnaire, sans solution tangible, sans argumentation que morale, hors des réalités sociales, économiques et impérialistes. On fait la leçon comme le pape et on imagine une solidarité évidemment « internationaliste » qui n'a pratiquement jamais existé et qui n'est pas prête d'exister comme on le démontrera plus loin.
Revenons pour l'instant à nos amis bordiguistes qui croyaient bien faire – dans leur fieffée et inusable litanie invariante – en citant Lénine encore en 2003, et surtout tablant sur une démonstration où Lénine prétendait y démontrer un aspect révolutionnaire de l'immigration :
« « Le capitalisme a créé une sorte particulière de transmigration des peuples. Les pays dont l’industrie se développe rapidement, utilisant davantage de machines et évinçant les pays arriérés du marché mondial, relèvent chez eux les salaires au-dessus de la moyenne et attirent les ouvriers salariés des pays arriérés.
Des centaines de milliers d’ouvriers sont ainsi transplantés à des centaines et des milliers de verstes. Le capitalisme avancé les fait entrer de force dans son tourbillon, les arrache à leurs contrées retardataires, les fait participer à un mouvement historique mondial et les met face à face avec la classe internationale puissante et unie des industriels.
Nul doute que seule une extrême misère force les gens à quitter leur patrie, que les capitalistes exploitent de la façon la plus éhontée les ouvriers émigrés. Mais seuls les réactionnaires peuvent se boucher les yeux devant la signification progressive de cette moderne migration des peuples. Il n’y a pas et il ne peut y avoir de délivrance du joug du capital sans développement continu du capitalisme, sans lutte des classes sur son terrain. Or, c’est précisément à cette lutte que le capitalisme amène les masses laborieuses du monde entier, en brisant la routine rancie de l’existence locale, en détruisant les barrières et les préjugés nationaux, en rassemblant des ouvriers de tous les pays dans les plus grandes fabriques et mines d’Amérique, d’Allemagne, etc… » (...). « La bourgeoisie cherche à diviser en excitant les ouvriers d’une nation contre ceux d’une autre. Les ouvriers conscients, comprenant qu’il est inévitable et progressif que le capitalisme brise toutes les cloisons nationales, s’efforcent d’aider à éclairer et à organiser leurs camarades des pays arriérés».
La citation était extraite du tome 19 des OC de Lénine, on ne saura donc pas si c'est quand il était chef d'Etat ou leader d'opposition qu'il imaginait cette idéale internationalisation fraternelle des prolétaires de tous les pays, mais je n'ai jamais noté que lors de son court règne ni sous celui de son successeur Staline, il y ait eu de grands appels aux migrants de tous les pays pour rejoindre (et éventuellement trouver du travail) dans le bastion russe. A la décharge de Lénine, les milliers de migrants de nos jours ne sont pas particulièrement motivés par la perspective de se retrouver regroupés et solidaires dans « les plus grandes fabriques et mines », mais tout simplement fuient la guerre et la terreur, comme d'autres fuirent le nazisme naguère et pas pour aller « grossir les rangs du prolétariat révolutionnaire ». Pour sauver leur peau, et dans les deux cas, hier comme aujourd'hui, on les comprend. Mais le comprendre ne veut pas dire en faire des héros de la classe ouvrière.
Certes le capitalisme brise toutes les cloisons nationales, en laissant des milliers se noyer, mais en maintenant plus encore ces cloisons nationales par son double langage sur l'immigration. C'est bien de double langage qu'il s'agit dont l'un consiste à faire la morale contre une prétendue indifférence (alors qu'elle est impuissance) et l'autre à affirmer la fatuité d'un intérêt national commun aux classes. 

UNE TRILOGIE ANTI-RELIGIEUSE : MARX, FREUD ET NIETZSCHE…

Certainement les trois missiles les plus géniaux lancés contre les trois ordres immanents de la féodalité au capitalisme que Duby a si bien démontés6. Les philosophes modernistes Foucauld (1964) et Deleuze (1965) voient une relation entre Marx et Nietzsche. La problématique posée par Deleuze nous intéresse plus que la polémique des années 50 entre le philistin Sartre et le structuraliste stalinien Althusser naguère autour de la sclérose d'un marxisme anti-humaniste, donc stalinien7. Contrairement à Foucault, Deleuze articule Nietzsche et Marx autour de l’idée que l’histoire n'est pas linéaire mais pose la nécessité d'un avenir et reste dépendante de l'événement. Deleuze se démarque de Foucauld pour sa passion pour l'histoire universelle dont Foucauld se fichait. Il a des lueurs de génie. Tout groupe politique est aussi « une personne », un « moi », une volonté divine, guère plus qu'une boursouflure messianique8.
Avec l'effondrement de la plupart des croyances politiques, les errements du monde actuel au prix de tant de pertes humaines défient la raison et même le meilleur soliloque marxiste. Des ressemblances avec les foules abruties du nazisme, du sport et des concerts de rock avec les manifestations religieuses musulmanes, indouistes, etc. confirment la pérennité des masses d'esclaves, de foules idiotes que crucifiait Nietzsche. C'est dans l'entre-deux guerres, avec l'échec de la révolution russe et le reflux du mouvement ouvrier mondial que l'on s'est focalisé autant et pour la première fois sur l'oeuvre de Nietzsche. Cet auteur n'est nullement réductible au nazisme pas plus que Marx au stalinisme. On l'a caricaturé comme théoricien du fort contre les faibles, mais il n'identifiait pas le surhomme aux puissants, mais à celui qui ne craint jamais de se démarquer de la foule lâche et obéissante. Plus que le philosophe de l'élite il est celui du soupçon, comme Marx est celui du doute. Il est le premier lanceur d'alerte de la décadence. Il est plus intraitable sur la religion que Marx qui pouvait se permettre de rester tolérant à son époque9.
Dans les pires années de la contre-révolution, il n'est pas étonnant que les petits cercles révolutionnaires s'appuient finalement plus, même inconsciemment, sur Nietzsche mais moins sur Freud que sur Marx.
Face aux foules vociférantes de la contre-révolution dans leurs meetings staliniens ou fascistes, ils posent à l'élite persécutée, se font doctrinaires. Il faut même s'armer d'un certain cynisme pour se démarquer d'un courant impétueux qui emporte tout sur son passage. Marx a dénoncé avant tous l'aliénation sociale, la religion comme opium du peuple. Pour Nietzsche « dieu est mort » mais les hommes se prennent pour des dieux et se mentent à eux-mêmes. Freud a démonté la morale sexuelle répressive du christianisme, cette religion de la résignation et de la soumission. Louise Michel associait parait-il la figure du surhomme aux idées de justice sociale et de révolution, pas au niveau sexuel ; d'ailleurs les « surhommes » minoritaires des minorités communistes des années terribles sont plutôt chastes comme la « vierge rouge » 10. A relire leurs publications c'est toujours « parle à ma tête, j'ai mal à mon cul ». Tout est dominé par le nihilisme régnant, le désarroi, le doute.
Nietzsche est alors pleinement d'actualité pour les plus cultivés ; l’épuisement politique est le symptôme d’une volonté devenue inapte à vouloir, une résignation au néant, « grande lassitude », au stade du nihilisme passif, qui en conduit certains à prendre des risques inconsidérés ou même à se suicider comme des migrants et des flics de nos jours. Le marxisme n'est-il pas un nihilisme avant l'heure ? Qui recèle ou nécessite une bonne dose de cynisme pour s'élever aux concepts politiques de classe et abandonner les jérémiades sentimentales des esclaves des religions, de tous ces plaignants qui ont pitié d'un monde sans pitié, de Merkel au CCI11. La dialectique marxiste n'est pas en vérité très humaniste, disons humanitaire, lorsqu'elle pose la nécessité de la violence. Parce que les mièvreries humanitaires, qui servent encore d'arguments fallacieux à la gauche bourgeoise et à ses succédanés gauchistes, ne risquent pas plus de changer le monde ou de conscientiser les masses de prolétaires que le culte de la non-violence ; il y a une proximité et une même superficialité chrétienne entre la pose de l'idéologue bourgeois et la vertu humaniste prônée par la militance « insoumise », et surtout la même morale chrétienne immigrationniste, car charité bien ordonnée commence par soi-même. Le labyrinthique Deleuze avait entrevu certaines affinités du marxisme avec la figure nietzschéenne de l’homme supérieur. Car l’homme supérieur – le Prolétaire, le Camarade ou l’Homme de l’avenir – projette l’image idéalisée de l’homme lui-même, figure de sa réalisation totale où l’homme récupère les attributs de Dieu et prend sa place :

« On sait que, chez Nietzsche, la théorie de l’homme supérieur est une critique qui se propose de dénoncer la mystification la plus profonde ou la plus dangereuse de l’humanisme. L’homme supérieur prétend porter l’humanité jusqu’à la perfection, jusqu’à l’achèvement. Il prétend récupérer toutes les propriétés de l’homme, surmonter les aliénations, réaliser l’homme total, mettre l’homme à la place de Dieu, faire de l’homme une puissance qui affirme et qui s’affirme.12 Mais en vérité l’homme, fût-il supérieur, ne sait pas du tout ce que signifie affirmer ».
J'ai connu des militants des années 1970 qui se vivaient comme des héros du prolétariat et révéraient les ancêtres de la « Gauche communiste » comme des saints (sains...) antistaliniens et antifascistes !

L'ECHEC DU CAPITALISME ANTIRACISTE ET DU COMMUNISME UTOPICO-STALINIEN

Je me permets de recopier l'article quelque peu chiadé d'intello bardé de diplômes de Igor Krtolica, avec ce désagréable côté savant et dandy, dans Actuel Marx n°52 de 201213.
«(...) Le tableau du prolétaire au XIXe siècle se présente ainsi : l’avènement de l’homme communiste ou la société des camarades, le futur Soviet, puisque sans propriété, sans famille et sans nation il n’a pas d’autre détermination que d’être homme, Homo tantum. Mais c’est aussi le tableau de l’Américain, avec d’autres moyens, et les traits de l’un et de l’autre se mélangent ou se superposent souvent. L’Amérique pensait faire une révolution dont la force serait l’immigration universelle, les émigrés de tous les pays, autant que la Russie bolchevique pensera en faire une, dont la force serait l’universelle prolétarisation, “Prolétaires de tous les pays”… : deux formes de la lutte de classe. Si bien que le messianisme du XIXe siècle a deux têtes, et ne s’exprime pas moins dans le pragmatisme américain que dans le socialisme finalement russe.
C’est aussi l’échec historique des deux révolutions, l’américaine puis la soviétique, immédiatement trahies. « On ne peut pas séparer la faillite des deux révolutions, l’américaine et la soviétique, la pragmatique et la dialectique. L’émigration universelle ne réussit pas mieux que l’universelle prolétarisation.
À l’instar de Nietzsche, de nombreux écrivains américains (Melville, D. H. Lawrence ou encore Whitman) dénoncent la confusion de la société de frères avec l’amour chrétien et marquent « l’opposition radicale de la fraternité avec la ‘charité’ chrétienne ou la ‘philanthropie’ paternelle » . Le sens moderne de l’amitié, de la fraternité ou de la camaraderie, ne réduit pas la différence à l’identité, générique ou universelle, mais en fait un principe de mise en relation. La communauté est une connexion de fragments sans totalisation, patchwork, archipel ou mur de pierres sèches, « où chaque élément vaut pour lui-même et pourtant par rapport aux autres ».
La nouvelle politique exige donc de faire de la différence un rapport, « rapport sans rapport ou sans rapport autre que l’incommensurable » . Le rapport ne s’instaure ni avec le semblable ni avec le prochain, mais avec le lointain, qui est sans commune mesure, différence non soumise à l’identité. Double exigence en réalité, celle d’instaurer des connexions pour lutter contre le particularisme (méfiance), et celle de maintenir l’incommensurabilité des termes connectés pour conjurer la fusion dans le Tout ou l’Universel (amour, charité). Tel est pour Deleuze le sens du pragmatisme américain, philosophique et littéraire. La question de « la communauté de ceux qui n’ont pas de communauté », comme disait Bataille, la communauté de l’homme sans terre, sans peuple, le Prolétaire ou le Frère, doit donc se poser sous « ce double principe d’archipel et d’espérance » : d’archipel, car ce sont des singularités qui entrent en rapport ; d’espérance, car elles entrent bien en rapport, à la mesure de la confiance qu’elles se portent mutuellement. « Si les parties sont des fragments qui ne peuvent pas être totalisés, on peut du moins inventer entre elles des relations non préexistantes »]. « Le problème collectif alors, c’est d’instaurer, trouver ou retrouver le maximum de connexions (…) dont une société est capable, les flux qu’elle supporte, invente, laisse ou fait passer ».
La nouvelle croyance, la croyance pragmatiste qui expulse la foi messianique, théo-anthropologique, suppose une « conversion de la croyance »], où la croyance ne s’adresse plus à un autre monde ou à un monde transformé (foi chrétienne ou révolutionnaire). Elle porte sur ce monde-ci, mais pas tel qu’il est ou tel qu’il peut être. Elle s’adresse à quelque chose qui n’est pas donné, même sous la forme d’un possible à réaliser : croyance à la possibilité de créer de nouvelles connexions, de nouvelles manières de sentir et de penser, de nouvelles possibilités de vie qui nous relient au monde ». 

L'AUTONOMIE OUVRIERE ET SES ALEAS

« Il n'y a pas de phénomènes moraux, rien qu'une interprétation morale des phénomènes ». Nietzsche (Par-delà le bien et le mal)

Qu'on continue à vouloir faire entrer de force les migrants en général dans la catégorie classe ouvrière ne gêne personne et ne trouble surtout pas le pouvoir, mais cela relève de la fable, et surtout de la délimitation imposée par les Marx et Proudhon, où cette classe finit par être théorisée comme élitaire et « sélectionnée », voire l'aristocratie de l'avenir. Marx a d'ailleurs repris la notion de « séparatisme ouvrier » de Proudhon. Le mouvement ouvrier doit se « séparer » du reste de la société. Ce que Proudhon explique ainsi : « La séparation que je recommande est la condition même de la vie. Se distinguer, se définir, c’est être ; de même que se confondre et s’absorber, c’est se perdre. Faire scission, une scission légitime, est le seul moyen que nous ayons d’affirmer notre droit (...). Que la classe ouvrière, si elle se prend au sérieux, si elle poursuit autre chose qu’une fantaisie, se le tienne pour dit : il faut avant tout qu’elle sorte de tutelle, et (...) qu’elle agisse désormais et exclusivement par elle-même et pour elle-même ».
Marx n'en resta pas à cette vision corporative de la classe ouvrière. La dialectique est mouvement et pas cette vision étriquée individualiste que reprendra le mouvement syndical anarchiste de « l'ouvrier maître de ses actes et arbitre de ses destinées » (cf. Victor Griffuelhes), avec cette prétention du syndicalisme révolutionnaire à se suffire à lui-même. Proudhon, en bon artisan parlait des classes ouvrières alors que chez Marx elle est unicité, ce que rejette le bobo universitaire Daniel Colson, qui a raison pourtant de rapprocher Nietzsche de la pensée anarchiste traditionnelle plutôt no future, même si Nietzsche attaquait violemment l'anarchisme comme simple variante du socialisme ; son raidissement anti-social garde tout de même un aspect féodal14. Il faut distinguer avec Marx le mouvement de la classe ouvrière, ses actions, grèves et manifestations, de la classe elle-même qui ne garantit rien puisqu'elle est composée aussi bien d'athées, de chrétiens, de musulmans, d'anarchistes, de syndicalistes réformistes, de marxistes, de pâtissiers, d'espagnols, etc. La classe ouvrière est appelée à se renouveler constamment dans sa dimension internationale, dimension que ne pouvait percevoir le petit bourgeois Proudhon à l'époque des nations triomphantes.
Comment se fait-il que même pour la classe ouvrière comme mouvement l'internationalisme, le souci des migrants à chaque époque soit resté anecdotique ? Parce que cette classe aurait eu finalement cette morale d'esclaves que dénonçait Nietzsche ? Quand les élites parasites, curés, idéologues et doctrinaires des « éthiques médiatiques » se tuaient en vain à la culpabiliser et lui donner mauvaise conscience anti-chrétienne ou fasciste pour leur hostilité (incompréhensible pour des idéalistes bourgeois) face à « l'invasion étrangère » ?
Le pouvoir doit toujours diffuser une morale « accueillante » (dont se foutent les exclus), les morales antifascistes et antiracistes, puis féminiphiles se sont substituées à la domination exclusive du christianisme au temps jadis. Comme idéaux de référence et de révérence. Quels que soient les groupes économiques et politiques, la domination s'exerce par le biais d'un Idéal. Celui que Nietzsche appelle le « chrétien, le faible, l'anarchiste, le socialiste » obéit parce que l'Idéal lui en démontre la nécessité ; c'est celui qui a intériorisé la nécessité d'obéir et de reconnaître la supériorité idéale, purement idéale, du « fort », disons du « conscient » ou qui croit l'être. Or l'idéal n'est pas du tout LA réalité. L'intégration ne marche plus, l'intégration progressive de jadis n’était pas sans révéler : « … les limites d’un internationalisme ouvrier hautement revendiqué dans les discours des dirigeants mais régulièrement remis en cause sur les lieux de travail ou par les appels au protectionnisme lors des congrès. Les travaux consacrés à l’immigration italienne, juive ou polonaise ont montré la régularité de réactions xénophobes qui se sont exprimées avec une violence particulière au moment des crises économiques pour perdre temporairement de leur intensité ensuite. Les tensions entre intégration et exclusion ont traversé non seulement les appareils syndicaux français mais aussi les pratiques organisationnelles des migrants qui pouvaient être conduits à développer leurs propres structures pour socialiser les nouveaux arrivants, les protéger du racisme des ouvriers français et avancer des revendications spécifiques propres aux enjeux politiques de leur pays d’origine »15.

LE TRANSNATIONALISME QUI SE MOQUE DE L'INTERNATIONALISME

Le cosmopolitisme capitaliste ridiculise encore et toujours l'internationalisme, rêvé par la gauche marxiste et l'ultra-gauche anarchiste, avec ce double langage qui exalte l'accueil à tous crins mais bride et laisse dans la merde la majorité des migrants. Les réactions d'hostilités, souvent fondées – invasion musulmaniaque et augmentation des faits divers – sont traitées avec ce mépris de curés et de parasites politiques. Imaginez l'inverse, si des blancs européens allaient chercher du travail dans ces pays largués par le capital, mais par miracle, retrouvant telle la Chine plein emploi et taux de croissance... ils subiraient le même sort. Des entrepreneurs blancs en Afrique sont régulièrement assassinés. Ne tentez point de monter une boite à Madagascar sans monnayer avec la mafia locale sinon vous serez rapidement occis. C'est une banalité de l'histoire de l'humanité que les hommes en général comme les premières tribus ne se sont pas laissés envahir sans réaction face aux vikings comme face au sarrasins. Ajouter de la misère à la misère a d'ailleurs été toujours une politique perpétuelle des classes dominantes, et l'alliance des miséreux un idéal pratiquement jamais réalisé ni réaliste.
Le transnationalisme n'est qu'une variante du cosmopolitisme industriel et touristique bourgeois. Sur le web on y trouve une définition nuancée :
« Depuis plusieurs années, le lien entre migrations, espace transnational et diaspora est exploré aussi bien dans le domaine des recherches empiriques que dans celui de la réflexion théorique, sans pour autant que se dégage un consensus sur la pertinence de ce lien ni sur le caractère véritablement novateur de sa prise en compte dans le champ des travaux sur les migrations internationales. Il apparaît aussi que les pratiques transnationales nouvelles ne constituent pas tout le réel des migrations contemporaines. Les pratiques « classiques » restent prépondérantes comme en témoigne l’ampleur soutenue des transferts de fonds. Si les diasporas prolifèrent dans le monde virtuel, souvent sous la forme de projets politiques, elles s’inscrivent plus rarement dans la réalité sociétale. On voit la nécessité de distinguer la diaspora noire en tant que projet politique porté par certaines élites afro-antillaise et la réalité sociale multiple et hétérogène vécue par les migrants et leurs descendants. La dimension diasporique s’affirme dans l’espace virtuel d’Internet où se multiplient les sites dédiés aux diasporas africaines ou à diverses visions de la diaspora noire, mais s’exprime peu dans la réalité des pratiques observées chez les migrants. Les constructions identitaires disposent d’une très grande marge de choix dans laquelle les influences du milieu de résidence, de la culture qui y est dominante et d’offres idéologiques et politiques qui s’y trouvent conservent une part prépondérante »16.
L'expansion de ce transnationalisme ne corrobore donc nullement une extension de l'internationalisme ni une homogénéisation du prolétariat. C'est d'effritement des nations et des classes qu'il faudrait enfin constater pour nos idiots utiles d'un marxisme ossifié :
« Le paradoxe est que les nations retrouvent d’autant plus de force identitaire que l’État-nation, sans aller jusqu’à abandonner une souveraineté inscrite dans ses frontières territoriales, perd de sa légitimité et cesse d’être une ressource d’identité. L’expérience migratoire et la situation d’entre deux des « communautés diasporiques » encouragent, selon A. Appadurai, la dissémination d’identités locales/nationales à l’échelle mondiale et créent les conditions de l’émergence de « transnations » indigènes : « Pour chaque État-nation ayant exporté une part significative de sa population aux États-Unis à titre de réfugiés, de touristes ou d’étudiants, il existe à présent une transnation délocalisée conservant un lien idéologique particulier avec un lieu putatif d’origine, tout en étant par ailleurs une collectivité totalement diasporique. Aucune conception existante de l’américanité ne peut rendre compte de cette vaste gamme de transnations »17.
« Sur le plan idéologique, le transnationalisme est clairement étranger au cosmopolitisme libéral qui cultive la multiplication et la cohabitation des différences, ou au pluralisme religieux encourageant les « bricolages individuels » et la consommation esthétique des formes cultuelles. Arrimé à des « communautés transnationales » multipolaires, le transnationalisme ne s’inscrit pas dans une « culture globale » de sujets délocalisés et déterritorialisés, inscrits dans des réseaux interindividuels et des logiques d’entreprises mondiales. La transnationalisation comme processus social et culturel et le transnationalisme comme idéologie reposent sur un jeu d’aller-retour entre un centre localisé, historique ou imaginaire, concentrant toutes les ressources, et des communautés diasporiques. Les trans-migrants restent attachés par un lien ombilical à des lieux, sorte de « village global », et des personnages fondateurs, l’autorité restant liée à la filiation. La transnationalisation comme procès d’émergence de transnations, issues des interactions coloniales et des contextes migratoires, interroge les formes de la globalisation autant que la formation même de l’idée de nation »18.
Comment ne pas penser aux émigrés français qui demeuraient entre eux après avoir fui la Révolution française :
« Dans les rangs disloqués de l'Emigration, bien des frivolités, des médiocrités, des perversités, peu de lâchetés et de brutalités, beaucoup de désinvolture et d'illusion caractérisent un monde qui entendait se survivre à lui-même, et qui ne comprenait qu'à demi la leçon de la Destinée »19. Mais j'arrête là car on va croire que j'adhère à la théorie de l'éternel retour de Deleuze.

LEGITIMITE DU REJET CONTRE FLAGORNERIE MEDIATIQUE

En 2018, Michel Rogalski, directeur de la revue Recherches internationales fait preuve d'une rare lucidité, que l'on eût aimé retrouver chez nos marxistes rancis : « La montée de leur rejet dans les pays occidentaux témoigne d’un profond malaise. On pourra multiplier à l’envi les études sur les avantages socio-économiques de ces mouvements de population, sans faire bouger les lignes. C’est ne pas comprendre que si les hommes sont égaux cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont interchangeables. Ce serait les réduire à leur seule composante économique de producteur/consommateur sans considération pour les autres aspects de leur personnalité qui ne peuvent entrer dans aucune comptabilité. Ils ont une histoire singulière, un enracinement, une langue, des croyances, des habitudes vestimentaires ou culinaires, bref des coutumes et des cultures qui diffèrent de celles de leur pays d’accueil. On pourra toujours alléguer que les chiffres de flux sont faibles par rapport à la population totale, mais ce serait oublier qu’il s’agit de moyenne statistique et que la répartition n’est pas harmonieuse et se polarise. Ce serait oublier que ces faibles flux viennent renforcer une installation déjà importante dont tout le monde s’accorde à reconnaître l’échec de l’intégration, notamment des dernières générations. Plutôt que se disputer sur les chiffres des migrants, il conviendrait d’observer un recensement auquel se livre l’Insee année après année, à savoir celui des prénoms des enfants nés en France, et notamment du taux d’octroi des prénoms musulmans. Sur les vingt dernières années ce taux est passé de 6 à 20 %. Il atteint 29 % en Île de France et 51 % en Seine-Saint-Denis. On comprend mieux comment cela a pu déstabiliser les populations déjà résidentes et contribuer au rejet des flux migratoires supplémentaires. À part une frange indéniablement xénophobe et raciste la majorité de ceux qui se retrouvent dans le mot d’ordre « on est chez nous ! » témoigne plutôt d’un sentiment d’abandon, de relégation, de perte de repères et exprime un besoin d’aide et d’assistance de la part de l’État révélant tout à la fois une situation de déclassement social, de perte de leur univers culturel habituel et d’un sentiment d’insécurité. Ils forment les gros bataillons du « virage à droite » de la société et on se tromperait à les ignorer. On a assisté en France à un silence de plus en plus prononcé de la gauche autour des valeurs de patrie, de nation, de souveraineté et d’identité. Les forces de droite se sont engouffrées dans ce boulevard offert. La gauche, laminée en 20 ans, même unie demain, serait dans l’incapacité de pouvoir revenir au pouvoir sans renouer avec ces valeurs20.
Le caractère tout à la fois inévitable et impossible de la multiplication des flux migratoires conduit à la crise grave que l’on connaît. Réduire l’aspect inévitable suppose de réguler les arrivées, et s’attaquer à l’impossibilité suppose de prendre à bras le corps la question de l’intégration, sans perdre de vue que la première tâche de l’internationalisme consiste à aider ces migrants à vivre chez eux et à renverser leurs régimes politiques détestables. À défaut d’y réussir, les bâtiments de guerre remplaceront bien vite les bateaux humanitaires en Méditerranée »21.


LE MYTHE ECULé DE LA SOLIDARITé OUVRIERS FRANçAIS ET IMMIGRéS
L'immigration date de la révolution industrielle, et les bagarres avec les ouvriers étrangers à cette époque n'obéissent pas à un quelconque racisme comme l'invente le plaisantin Noiriel, mais à la concurrence. Jusqu'au milieu du XX ème siècle, l'immigration à dominante européenne montre une réelle unification dans la grève des ouvriers européens. La Première Guerre mondiale a opéré à une accélération de l'immigration pour remplacer les millions de cadavres autochtones. L'immigration n'est pas en soi subversive. Lors de la crise de 1929, les Etats renvoient les immigrés chez eux pour éviter la guerre civile interne avec un chômage galopant.
Après guerre on peut vérifier la réussite scolaire et sociale de nombreux enfants d'immigrés, ce qui est la preuve qu'ils ne se voyaient pas éternellement composants immobiles de la classe ouvrière, ou hérauts éternels d'une classe ouvrière « internationaliste ». Dans les années terribles de la Deuxième Guerre mondiale, la plupart des immigrés ne se comportent pas en bolcheviques mais se mettent au service des résistances patriotiques ! En mai 68 des milliers d'ouvriers portugais et espagnols retournent dans leur pays par peur de la guerre civile. C'est dans les années 1990 que la migration intempestive devient un problème sociétal et politique qui s'aggravera dans les années 2000 avec les fuites massives des guerres.
Au moment de la guerre d'Algérie, ou de l'autre côté de la guerre de « libération de l'Algérie », on ne peut vraiment pas parler d'internationalisme entre des ouvriers français appelés à tuer pour le pouvoir colon et des ouvriers algériens enrôlés dans un nationalisme néo-musulman. La paralysie
générale de mai 68 montre bien ces nombreux ouvriers maghrébins en grève avec leurs collègues français mais c'était comme un métro aux heures de pointe, un embouteillage involontaire et parfaitement ordonné par la CGT. Lors des années suivantes, en tout cas en France, les grèves sont toutes cloisonnées, une grève du nettoyage n'est jamais mêlée à une grève des services publics. Dans les grèves des grandes usines la solidarité entre français et immigrés et même immigrés est une blague comme on va le voir. Mobilité et précarité sont la loi d'airain réservée plus encore aux nouveau migrants du Sud, qui ridiculise la notion de « régularisation des sans-papiers » agitée par les bobos gauchistes, plus marchands d'illusions que défenseurs des prolétaires immigrés ; leur agitation comme celle des clowns intermittents est en général éphémère, le temps des spotlights et de l'éthique médiatique, et après les pauvres immigrés se retrouvent à nouveau isolés et dans la merde, comme je l'ai vérifié souvent dans les 70 et les 8022. Jean-Philippe De dieu a mené une enquête approfondie qui met à nu la fable de l'internationalisme en milieu ouvrier, avec une mention spéciale pour le travail tordu des syndicats qui non seulement empêche une véritable solidarité internationale (mais pas toujours, les arriérations tribales ou religieuses sont parfois combattues en vain par des syndicalistes encore naïfs et honnêtes).


« La marginalisation des travailleurs subsahariens dans les syndicats français reflète la convergence qui s’établit entre les pratiques sociales des migrants africains, les stratégies patronales à l’encontre des mobilisations ouvrières et la politique menée par les organisations syndicales françaises à l’égard de ces courants migratoires.
L'engagement syndical était souvent perçu par les ouvriers subsahariens comme une affiliation d’ordre politique susceptible de nuire à leur maintien même dans l’entreprise et à la pérennisation d’un revenu salarial. Cette attitude distanciée peut découler non seulement du développement tardif du syndicalisme mais aussi du détournement des libertés syndicales par les appareils partisans en Afrique. La réactivation de certaines représentations attribuées aux organisations syndicales qui avaient été acquises dans les pays d’origine se trouva renforcée dans le contexte politique de la France des années 1960 et 1970 où, parallèlement à un durcissement de la lutte contre l’émigration illégale, le ministère de l’Intérieur tentait de prévenir les atteintes à un « ordre public » par une action répressive concernant autant les militants français que les militants étrangers. Les positions de la CFDT et plus encore celles de la CGT, qui n’apportèrent guère de soutien aux revendications portées par les travailleurs étrangers en situation irrégulière ou de réponses spécifiques à la crise du logement, notamment dans les municipalités gérées par le parti communiste, entraînèrent une défiance marquée des migrants envers les organisations ouvrières. Celle-ci s’exprima avec une intensité particulière via l’émergence d’actions collectives autogestionnaires comme la grève des foyers Sonacotra23 à partir du milieu des années 1970 et l’autonomisation progressive du champ
militant dans les années 1980.

Cette réticence à s’investir dans le militantisme syndical, qui n’est pas propre aux travailleurs subsahariens trouve également son origine dans le caractère supposément temporaire de leur séjour en France. Jusqu’à ce que la suspension des flux migratoires mette fin en 1974 à la possibilité de migrations pendulaires autorégulées, la durée d’emploi dans un même établissement était généralement réduite afin d’assurer une plus grande périodicité des retours au pays. Affinant la théorie du split labor market, Edna Bonacich a fait remarquer que l’organisation ethnique des marchés du travail ne découlait pas seulement des classifications raciales à l’œuvre dans les sociétés d’immigration mais aussi de la signification donnée par les migrants à leur séjour. En prévoyant pour ce dernier une durée circonscrite, les saisonniers cherchaient plus à maximiser leur épargne en un laps de temps très court qu’à s’insérer sur le marché de l’emploi. Cette vision « instrumentale » de leur activité professionnelle a pu les conduire, selon Michael Piore et Charles Sabel, à négliger la valeur sociale accordée au travail dans le pays d’immigration au profit du statut social que leur épargne leur permettait d’acquérir dans leur pays d’origine. La recherche de l’optimisation du revenu salarial motivait des changements fréquents d’emploi qui, couplés aux pratiques de gestion patronale ainsi qu’à l’embauche dans des petites et moyennes entreprises ne disposant pas nécessairement de traditions de lutte ouvrière ont ajourné l’engagement syndical. Diverses enquêtes soulignent ce turn over particulièrement élevé.

Une deuxième étude effectuée au début des années 1970 dans quinze entreprises industrielles de l’Ouest parisien révélait que le taux de rotation des travailleurs africains était de trois mois. Selon le rédacteur de l’enquête, cette brièveté était également encouragée par les chefs d’entreprise qui jouaient sur la mobilité et l’absence de qualification de la main-d’œuvre africaine pour accroître, par la précarité des contrats, la flexibilité de ses modes de production. À la Régie Renault, le taux estimé de renouvellement était ainsi de 5 à 10 % par an ; 27 % des travailleurs demeuraient dans l’entreprise moins d’un an, 85 % moins de trois ans et seulement 6 % plus de cinq ans. Une troisième enquête réalisée auprès de cinquante travailleurs sénégalais et mauritaniens dans un foyer de la région parisienne à Clichy mettait elle aussi en valeur cette mobilité des travailleurs subsahariens, conséquence de la faiblesse de leurs revenus et de la dureté de leurs conditions de travail. Parmi les travailleurs interrogés, principalement des manœuvres, 60 % affirmaient avoir régulièrement changé d’emploi depuis leur arrivée, 80 % à plus d’une reprise et 48 % à plus de deux reprises, principalement pour des raisons de rémunération [
Les « réunions des nationalités africaines » ou les « groupes de langues » respectivement mis en place par la CFDT et la CGT ont contribué à une mise en altérité de l’immigration. Ces entités collectives appliquées aux migrations subsahariennes par les centrales françaises ne tiraient leur dénomination flottante que du renvoi routinier à d’autres courants migratoires dont l’importance numérique et l’histoire linguistique permettaient de fonder l’exercice de catégorisation sur le critère d’une nationalité commune et d’une langue partagée. Le principe d’unification tendant à regrouper par défaut les migrations subsahariennes en un seul et même agrégat montre ses limites opératoires. L’identité « réelle » est loin de correspondre à l’identité « attribuée ». La réunion des « nationalités africaines » organisée en mai 1971 par la CFDT à Rouen en présence d’un responsable de la CNTS témoigne des obstacles rencontrés par les ouvriers subsahariens pour construire une identité collective ouvrière en France.

La pluralité des appartenances politiques des migrants a également contrarié l’agencement d’un consensus sur les modes d’action et de protestation. À la Régie Renault, dont la population étrangère en 1973 était constituée par près de 13,3 % de travailleurs subsahariens (2 845 personnes) contre 30 % de Marocains (6 416) et 22,6 % d’Algériens (4 836). Les « groupes de nationalités » mis en place par la section syndicale de la CGT de Boulogne-Billancourt ont été minés par d’importantes dissensions partisanes. Les expériences d’alphabétisation menées dans le secteur métallurgique par la CGT semblent avoir été perturbées par la politisation de certains travailleurs africains qui convertissaient ces sessions pédagogiques en arènes politiques.
Apparemment, la CFDT ne comptait pas de militants africains dans ses instances représentatives. L’analyse des pratiques syndicales à l’échelle locale permet de mieux affiner les modes opératoires de cette relégation. Lors de la réunion des « nationalités africaines » de mai 1971, les ouvriers subsahariens dénoncèrent les dérives électoralistes de délégués qui « profit [ai] ent de l’ignorance de certains immigrés pour les inscrire sur leurs listes afin que ces derniers leur apportent des voix lors des élections en sachant pertinemment qu’ils ne passer [aient] pas ». L’un de ces ouvriers a souligné : « Malgré l’aide incessante que nous attendons de nos camarades français, ceux-ci semblent ne pas [nous] entendre. Certains d’entre eux négligent totalement leurs collègues immigrés. Pourtant, à chaque fois qu’on est amené à faire une action, on souhaite et on réclame leur présence (…). On ne doit pas seulement penser aux immigrés au moment des élections professionnelles, mais ceux-ci doivent être considérés comme des hommes à part entière dans la vie, en particulier dans la vie syndicale et à tous les échelons »]. Des critiques similaires furent émises lors d’une session consacrée aux responsables immigrés, organisée en janvier 1984 : « C’est pas la responsabilité qui manque, notait un participant, c’est la prise en compte qui manque ». Les responsables CFDT qui avaient organisé la réunion ne semblent avoir partagé que partiellement ces critiques : « Les communautés africaines comme les maghrébines et les turques, notait l’un des animateurs, participent très activement à la vie syndicale dans les entreprises sans que pour cela le type de fonctionnement de la vie syndicale en France soit toujours adapté aux formes de luttes que doivent mener ces travailleurs. Les différentes luttes menées, soit dans le métro, soit celle des éboueurs de la Ville de Paris l’ont largement démontré. C’est probablement dans cette communauté que la relation avec les associations françaises est la plus claire. Ils considèrent ces associations comme des associations de service, point ».
Cette constatation peut en partie s’expliquer par le fragile engagement des migrants subsahariens dans les organisations ouvrières. Elle mérite également d’être évaluée à la lumière des nouvelles identités syndicales et professionnelles générées par les mutations du travail. Serge Paugam a ainsi remarqué que « l’adhésion syndicale dépend aussi fortement du secteur d’activité et plus précisément de l’entreprise. Les responsables syndicaux le savent. Cela tient à la fois à la tradition, à l’ardeur revendicative des salariés (...)
Après la décolonisation, la répartition internationale du travail syndical opérée par les centrales africaines et françaises sur la question de l’immigration résulte, d’une part, de l’instrumentalisation des centrales africaines par les partis uniques pour lesquels la formation politique de la population migrante devait s’ajuster aux mobilisations partisanes de leur pays d’origine, d’autre part, de la position des centrales françaises qui ont privilégié les relations de coopération avec leurs homologues africaines ou de médiation avec les pouvoirs publics français plutôt que des actions collectives en faveur des libertés syndicales en Afrique ou en direction des travailleurs africains en France. Cette répartition du travail manifeste les tensions entre « pratiques de mobilisation » et « pratiques de relation institutionnelle » qui traversent le mouvement syndical de manière récurrente et qui ont pour conséquence la marginalisation des travailleurs africains au sein d’organisations se réclamant pourtant encore de l’internationalisme. Elle témoigne plus largement de la bureaucratisation d’un mouvement ouvrier déconnecté des luttes sociales de l’immigration, bureaucratisation qui n’est pas étrangère à l’autonomisation du champ militant et à la crise de la représentation syndicale en France .
Les tensions xénophobes qui ont miné depuis ses origines l’internationalisme ouvrier se sont exprimées avec une acuité particulière par l’essor ces dernières décennies d’une racialisation des rapports sociaux dans le monde du travail. Cette tendance traduit la déstructuration d’un groupe ouvrier que les syndicats étaient parvenus jusqu’alors à plus ou moins unifier et qui est aujourd’hui traversé par de profonds clivages entre des ouvriers français « blancs », déclassés ou menacés de déclassement, et des ouvriers étrangers ou « “visibilisés” comme étrangers » . Les recherches ethnographiques et historiques conduites sur des entreprises telles que Peugeot ou Renault ont permis de saisir les enjeux de ces clivages pour les travailleurs issus du Maghreb. Elles sont en revanche pour le moins parcellaires, voire inexistantes pour les ouvriers originaires de l’Afrique subsaharienne qui ont été ou sont encore employés en grand nombre dans des secteurs comme l’industrie automobile ou les services de nettoiement. Cette profonde asymétrie prive les chercheurs de la possibilité de saisir les variations dans le temps des typifications et des discriminations raciales à l’œuvre en milieu ouvrier et des réponses syndicales qui ont pu leur être apportées. Elle condamne ainsi la population noire à une « invisibilité » aussi bien sociologique que politique  ? »24.
Au début des années 1970, je crois bien être le seul à avoir souvent questionné de ci de là : « pourquoi n'embauche-t-on pas des ouvriers immigrés dans les services publics ». Un délégué CGT avait dû me répondre sans doute laconiquement :
- parce qu'ils ne sont pas français.

NOTES
1Repiqué sur le site « Matière et Révolution » de Robert Paris.
2On n'a jamais oublié la réputation par exemple des « pieds noirs » en France, dont certains retrouvèrent la même position de « garde-chiourmes » (celui qui gardait les esclaves dans l'Antiquité) comme contremaîtres et flics au retour dans l'hexagone.
3L'idéologie religieuse du 19e siècle a été largement supplantée parle consumérisme et le portable, et l'imprégnation est physique : « les capacités d’innovation des individus vont plutôt dans le sens de la soumission à la logique des structures que dans le sens de la résistance et de la subversion, comme on peut le vérifier en examinant les stratégies de la plupart des individus de la plupart des groupes sociaux, y compris chez les très distingués professionnels de l’innovation créatrice, libre et jaillissante que seraient les cadres ou les artistes ou les intellectuels, dont les poussées d’anti-conformisme et les révolutions de palais sont généralement parfaitement contenues et gérées par l’ordre établi. Le système capitaliste se fout éperdument des « transgressions symboliques ». Mieux même, il les organise et les cultive. Non, on n’insistera jamais assez sur le fait que l’ordre établi est aussi installé dans les têtes et dans les tripes et que ce qui fait sa force, du moins chez nous, ce ne sont pas ses sbires, mais c’est, comme le soulignait déjà Spinoza, cette « volonté qu’il installe en nous de nous plier à son usage », notre « sens pratique, socialement constitué » dirait Bourdieu » (Alain Accardo).
4En 2003, les bordiguistes faisaient eux aussi du copier-coller : « De même aujourd’hui la classe capitaliste est parfaitement consciente que la division entre prolétaires immigrés et français est un facteur clé de la paralysie de la classe ouvrière et elle entretient par tous les moyens cette division, cette hostilité, ce racisme, ce sentiment de supériorité nationale; cela se traduit dans les syndicats et jusque dans beaucoup d’organisations qui se disent «ouvrières» ou «révolutionnaires» par une indifférence foncière envers le sort de cette fraction importante du prolétariat ».Sur la question de l'immigration (cf.les foyers Sonacotra) les bordiguistes ont fait preuve du pire opportunisme en se mettant à la queue des petits chefs immigrés maoïstes ou simplement beaux parleurs. Cette pitié du petit bourgeois pour l'ex-colonisé peut même expliquer leurs éternelles contorsions pour le terrorisme sous-développé et religieux, pour certains par exemple le djihad ne serait que l'effet boomerang de la violence coloniale subie par les ancêtres des actuels radicalisés et divers imbéciles décoloniaux.

5Le “droit d’asile”: une arme pour dresser des murs contre les immigrés , Révolution Internationale, 18 juillet 2019

6Cf. Les trois ordres de l'imaginaire du féodalisme de Georges Duby, ouvrage sur lequel je reviendrai ultérieurement puisqu'il nous sert encore à déshabiller le mode de domination de « l'élite » bourgeoise et ses comportements excluants et destructeurs, de la motte castrale aux buildings newyorkais... Paris, Dauville, Le Touquet, ces ghettos à bourgeois, mottes castrales des couples bobos qui vous marchent dessus, même au restaurant. Paris ville intégralement bourgeoise : « Ouvriers et employés ont totalement disparu du marché immobilier parisien », titre un journal du matin ! La révolution devra à nouveau partir des campagnes...

8Lors de ma démission du CCI en 1996, sans avoir lu Deleuze, je fustigeais un « moi groupal » peu différent de l'esprit stalinien inquisiteur et policier.
9C’est ce que confirme Paul Ricœur, dans son ouvrage, dialogue avec Jean-Pierre Changeux « La nature et la règle » où il écrit : « S’il y a une catégorie à abandonner, c’est bien celle de la toute-puissance (de Dieu) dans la mesure où elle n’est pas une catégorie purement religieuse, mais théologico-politique. On l’a calquée sur le modèle des pouvoirs politiques absolus […] et en retour on s’est servi de cette image d’une divinité toute-puissante pour justifier le pouvoir politique ».
10La sexualité des prisonniers et des persécutés n'est jamais traitée en général dans la littérature et chez les historiens. Pourtant en période de guerre ou de révolution elle est peut-être plus intense (cf. les deux tomes du livre de Besson). On a dit que Bordiga à Moscou était un sacré queutard... A la fin de la guerre d'Espagne, quand on comprit que c'était cuit, ça baisait à tire larigot. Sur la période de la résistance française, mon père me raconta que certains étaient prêts à tout pour baiser, même à trahir leurs camarades.
11L'admirable polémiste anarchiste infirme Libertad, premier dénonciateur de l'individu libre et souverain, décèle bien le dessous de cet humanisme de façade chez le pape anarchiste non violent Hans Ryner : « Ryner reste muet et s’évade derrière « sa conscience » d’une façon si vague, qu’on le sent ébranlé. Mais les raisons donnés au commencement le retiennent. Ryner est un homme que l’inactivité professionnelle a amené à la maladie dangereuse du moi, non du moi fat et orgueilleux qui s’émousse à se clamer à tous, mais d’un moi silencieux, constant objet d’une adoration muette. Dans l’époque actuelle de faiblesse et de lâcheté, où tant de gens veulent couvrir leur veulerie et leur inaction d’un système, d’un manteau quelconque, des livrets du genre de celui-ci sont à détruire comme l’absinthe et la morphine. Les hommes ne sont pas assez forts pour s’évader des poisons et de leurs effets ».
12https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2012-2-page-62.htm :« En faisant de la production sociale une institution du désir et en mettant le désir dans l’infrastructure, Deleuze et Guattari professent un marxisme hétérodoxe autant qu’un freudisme déviant, dont on sait qu’il est directement inspiré de Spinoza. Mais, en vérité, c’est aussi une position strictement nietzschéenne, suivant la coextension de la volonté de puissance et des complexes de pouvoir. Dans le Traité politique, Spinoza évacue les résidus…. De ce point de vue, c’est donc Nietzsche pas moins que Spinoza qui permet à L’Anti-Œdipe de « dépasser le parallélisme stérile entre Freud et Marx » 

13 Deleuze, entre Nietzsche et Marx : l'histoire universelle, le fait moderne et le devenir-révolutionnaire .
14 « Il ne peut naître de culture supérieure que là où il existe deux castes tranchées de la société; celle des travailleurs et celle des oisifs, aptes au vrai loisir ; ou en termes plus forts : la caste du travail forcé et la caste du travail libre. Le partage du bonheur n’est pas un point de vue essentiel, quand il s’agit de la création d’une culture supérieure ». (Culture et caste)
15L'internationalisme ouvrier à l'épreuve des migrations africaines en France de Jean-Philippe Dedieu : https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2011-1-page-145.htm16https://journals.openedition.org/remi/5714
19« Le mouvement des idées dans l'Emigration française (1789-1815) de Fernand Baldensperger (fin du tome second, Plon, Paris 1921).
20Cette remarque n'engage que cet universitaire, moi mes valeurs restent la prise du pouvoir par le prolétariat et la fin des frontières mais pas dans la décomposition actuelle où on n'appelle plus un chat un chat et où il serait honteux de se dire français et internationaliste parce qu'on est né dans un ancien pays colonisateur ! De même je ne pense pas que la solution à la crise migratoire soit d'accueillir tous les malheureux de la terre mais d'en finir au plus vite avec le capitalisme, en laissant les gens là où ils sont nés avec de réels moyens pour vivre heureux, voyager, échanger ; et cela ne sera réalisable que dans un monde ayant banni esprit de lucre, de compétition et de concurrence acharnée pour écraser l'autre.
21 Le journal du Monde,12 octobre 2018  par Michel Rogalski :Migrations : l’internationalisme entre inévitable et impossible.

22Cf. La lutte du foyer Jeanne d'ARC en 1972 où Foucauld et Geismat étaient venus parader avec la maoïste violée. Je retrouvai deux mois plus tard ces immigrés yougoslaves squattant un vieil immeuble au Petit Clamart, sans plus aucune banderole maoïste.
23Touché par les critiques de nos compères bordiguistes, j'avais réussi à pousser avec pugnacité le CCI a intervenir dans la foire aux Sonacotra, justifiée sur la question des loyers mais ubuesque politiquement. Finalement on n'avait pas perdu grand chose en y intervenant tardivement. Notre présence à Garches fût lamentable, les petits chefs du CCI Michel le corse et Lucky Luke Christian pissaient dans leur culotte et m'empêchèrent d'y intervenir en AG. Je me souviens avoir piqué une colère noire contre ces petits phraseurs des congrès picrocholins du CCI. Mon intervention n'aurait pourtant pas apporté la conscience ni de l'extérieur ni de l'intérieur, j'aurais phrasé moi aussi sur le nécessaire internationalisme et la fraternité de classe. La foire aux Sonacotra servit surtout aux étudiants noirs beaux parleur à libérer les belles maoïstes blanches, vu la répugnance qu'avaient les bourgeoises désoeuvrées d'alors pour les français petits de taille, chauves et court de zizi. (témoignages recueillis pour de vrai lors de mes multiples rencontres féminines sur les sites ad hoc).

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