PAGES PROLETARIENNES

mercredi 10 avril 2019

L'ARISTOCRATIE « MOYENNE »


Highgate cemetery London 1985
ARISTOCRATIE ET COUCHES MOYENNES : un peu d'histoire et des histoires



UNE LUTTE « MOYENNE » SANS L'ARISTOCRATIE OUVRIERE...

Les cols blancs ont fait couler beaucoup d'encre depuis plus d'un siècle et sont responsables de milliards d'heures de repassage de millions de femmes de ménage, ou de leurs épouses. Leur apparition dans le monde du travail à la fin du XIX e siècle n'a pas supprimé la blouse qui reste un vêtement de travail même pour les professions sophistiquées, mais n'est pas séparable du costard-cravate, comme ils ne sont pas séparables des deux principales classes modernes bourgeoisie et prolétariat, dans une sorte de triolisme pervers. Ce mot valise fût naguère un des qualificatifs préférés des sociologues caractérisant la petite bourgeoisie au travail, dans le travail de masse où les cols blancs ont depuis longtemps dépassé, en maint endroits, les cols bleus. Ces « couches moyennes », difficilement définissables et délimitables, constituent plus qu'on ne l'imagine un enjeu considérable pour les pouvoirs successifs de la classe bourgeoise, et une sérieuse épine pour les théories socialistes depuis au moins monsieur Karl Marx. Historiquement elles sont un casse-tête pour ne pas dire trouble-fête.
Le mouvement des gilets jaunes en France restera pour longtemps la référence à une révolte sociale de type petit-bourgeois qui, malgré la passivité des deux grandes classes, a sérieusement ébranlé l'Etat, mais qui s'est déroulé significativement et avec un culot indéniable en refusant toute immixtion des appareils syndicaux de la vieille aristocratie ouvrière (dite du service public). Division réussie du pouvoir bourgeois dirait le théoricien bête de l'avatar « aristocratie ouvrière », Raoul Victor (on se penchera sur cette incroyable négation historique plus loin) ? Ou confirmation qu'on ne peut sérieusement ébranler l'Etat que dans la rue hors des circuits négociés avec les policiers, hors des encadrements corporatifs et syndicaux ?
L'Etat, lui, presque six mois plus tard, malgré le cirque vaniteux d'une grande exhibition nationale du patelin Macron, ne sait comment répondre, tergiverse comme pour le Brexit, fait traîner en longueur... au moins jusqu'aux vacances qui permettent de faire passer les lois les plus sauvages pendant que les « couches moyennes » se baignent et que les consommateurs consomment. Qu'importe, la grande synthèse a accouché du principal souci qui serait celui des couches moyennes : le pouvoir d'achat. Raide et simpliste. Vous nous rajouterez bien un peu de sucre ?
Bis repetita, on repart au point mort ; début décembre 2018, on pouvait lire ceci : « Au lendemain de l’acte 2 de la mobilisation des Gilets jaunes, le gouvernement maintient son cap. Mais Emmanuel Macron a assuré vouloir apporter des réponses aux "classes moyennes et laborieuses". Celles-ci prendraient la forme d’un "pacte social" d’accompagnement dont certaines mesures devaient être détaillées ce lundi en Conseil des ministres. Le président en expliquera ensuite le contenu mardi ». C'est la même promesse qui est faire aux « classes moyennes et laborieuses » qui est faite six moins plus tard. Disque rayé ou impuissance ? Il est certain que la crise a dévoilé l'imprévoyance gouvernementale fondée sur le mépris de cette bourgeoisie urbaine antiraciste et communautariste qui prenaient pour portion congrue à la fois les couches moyennes provinciales et les « classes laborieuses » (Macron a dû se précipiter pour repêcher le terme chez Engels et éviter de se resservir
de cet horrible terme « ouvrier »). La terreur qui a saisi l'Etat, qui n'avait jamais autant été malmené a justifié qu'ils utilisent cyniquement une arme destinée à crever les yeux des manifestants comme pour mieux les empêcher de continuer à voir l'envers du décor de la flagornerie démocratique du pouvoir bourgeois. Mais surtout les terroriser en même temps que les criminaliser en laissant faire à deux reprises des destructions émeutières sur la présumée plus belle avenue du monde1.

Ce trouble de l'Etat ne s'explique que si l'on a conscience que depuis au moins un siècle, tous les Etats modernes ont besoin de s'appuyer sur ces « couches moyennes » au risque de se retrouver nus face au prolétariat et de sombrer dans la confrontation violente : LA PETITE BOURGEOISIE N'EST PAS SEULEMENT INTERMEDIAIRE MAIS BOUCLIER ! Sans s'en rendre compte le gouvernement néophyte, certes poussé au cul par la crise, sciait la principale branche sur laquelle il assoit son pouvoir de berner, d'exploiter, de spolier, etc.

Cette partie rurale des classes moyennes en révolte (mêlant souvent plus d'ouvriers que d'artisans ou de chauffeurs routiers) n'a pas eu de chance. Elle est apparue sur une scène politiquement vide. Tant bien que mal Macron avait réussi à prospérer sur l'effondrement des partis de la gauche et de la droite bourgeoise, montant de bric et de broc un vague parti de résidus bonapartistes. Pas de séduction fasciste à l'horizon ni de robuste parti communiste de masse. Plus vide que le vide il y eût le vide des revendications. « Macron dégage », pas mal mais remplacé par qui et par quoi ? Justice fiscale... dans un capitalisme juste ? Et le chiméric boudin suisse qui n'est qu'un remake fasciste même si les journaleux de Libération ont tenté de contre-argumenter : le régime nazi n'a pas commencé par là mais a bien fonctionné par ce type de référendum2.
Les figures de premier plan des gilets jaunes se sont tous pris la grosse tête mais en se mettant au service soit de Dupont-Aignan soit, plus banalement, au service des résidus syndicalistes, Priscillia appelant avec eux à pétitionner pour un Front populaire à la noix, et Drouet faisant équipée avec des amis du PS décati pour garder « les richesses à la France » en venant au Sénat pour implorer la non privatisation des aéroports de Paris. Triste épilogue pour ces petits personnages qui tinrent la vedette durant de nombreuses semaines avec la particularité de n'avoir été élus par personne ; ce qui fît d'ailleurs leur popularité puisque les « élus » classiques sont tous pourris et incontrôlables ! Autre raison du succès des manifs si on compare au mouvement bobo des « nuit debout », en général les ouvriers n'aiment pas la parlote, n'osent pas prendre la parole en public ni assister à de longues joutes oratoires entre beaux parleurs – ce qui explique en général la popularité de la manifestation dans les révoltes sociales. Qui peut prétendre sérieusement qu'il faudrait se contenter des manifestations et laisser de côté comme inutiles assemblées et commissions élues (et révocables) pour donner une colonne vertébrale à un mouvement social ? A ce point de vue le mouvement des gilets jaunes est resté ruer dans les brancards et surtout sans projet social et politique crédible. La protestation c'est bien mais la formulation c'est mieux.

POURQUOI LA « CLASSE LABORIEUSE » n'a pas réussi à prendre la tête des gilets jaunes ?

Normalement elle a disparu des radars si l'on en croit Terra Nova (cercle maçonnique PS), Ottorino Perrone3 et Bitot. Certes, la composition de la société, en France, a beaucoup changé depuis le début ou même le milieu du XXe siècle, et avec elle la stratification des statuts : la paysannerie a pratiquement disparu et le salariat industriel, victime de la redistribution mondiale du travail, suit la même voie. Le développement des services et la féminisation du travail ont partiellement compensé la désindustrialisation de l’activité, entraînant l’augmentation du nombre de « travailleurs pauvres » et « précaires » dont le destin (gagner moins qu’il n’est nécessaire pour vivre et élever dignement ses enfants) est tout à fait comparable à celui du prolétariat d’autrefois. Or le prolétariat moderne - incluant la classe ouvrière selon moi (et terme moins restrictif même si on peut les confondre sans gêne) – est constamment nié, matraqué au propre comme au figuré ; ses luttes ne sont plus que catégorielles ou « ethniques » (voir plus loin). Il n'y a même plus de petit parti audible ou présentable pour confirmer la théorie de l'intérieur ou de l'extérieur. Les Drouet et Fly rider n'ont lu que des bandes dessinées ; Priscillia n'a fait que des études de comptabilité.

La classe ouvrière a disparu aussi comme thème central des librairies, sans parler des supermarchés qui n'écoulent que des livres de jardinages ou de porno pipole. Les deux principales librairies parisiennes où l'on pouvait trouver de la littérature prolétarienne et marxiste vont disparaître. Sur les étals des librairies gauchistes ou zadistes plus de politique mais la messe écolo et les disputes sur la morale antifasciste et les frasques musulmanes. Mais cette disparition « intellectuelle » programmée remonte à loin, et au niveau du langage, ce qui fait qu'on ne peut pas trop reprocher en soi leur ignorance à nos jeunes gilets jaunes. Un auteur a fait œuvre de lexicologie sociale pour démontrer la préparation du décor sociologique bluffant :

« Depuis les années 1980, l’École de Chicago inspire des politiques économiques qui ont discrédité la sociologie des classes sociales et des luttes de classes au profit de la collaboration entre catégories et groupes définis par le niveau de revenu. Le syntagme « classe ouvrière » a été remplacé par « classes moyennes » dans le discours des médias. Parallèlement, l’assimilation de la classe ouvrière à ce qui n’est pas « les classes moyennes blanches » ainsi que le rejet des immigrés et des enfants d’immigrés ont déplacé les luttes sociales vers les conflits ethniques (émeutes en banlieues, vocations djihadistes). Cette étude critique de lexicologie sociale montre comment les médias français, propriétés de grands groupes financiers, présentent une vision erronée des réalités sociales et contribuent à dépolitiser l’opinion publique sans égard pour l’éthique qui devrait fonder la vie démocratique du pays »4.

Marc Arabyan périodise cette aliénation historique organisée par les médias bien avant internet :
« Le phénomène date d’une quarantaine d’années. Il est contemporain du renoncement à la lutte des classes par le XXIIIe congrès du Parti communiste français (09-13 mai 1979), de l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher au Royaume-Uni (04 mai 1979), suivie de celles de Ronald Reagan aux États-Unis (20 janvier 1981) et de François Mitterrand en France (21 mai 1981). Ces événements marquent le triomphe de l’École de Chicago et le retour du libéralisme comme principe politique, accompagné d’une sociologie désormais dominante qui analyse les classes en termes de revenus et non plus de positions sociales conflictuelles (Jacoby, 2014).(...) Mon hypothèse est qu’il ne s’agit pas d’une coïncidence. Cette absorption a pour effet de faire disparaître la classe ouvrière des sciences sociales d’abord et du langage ensuite, troublant la compréhension des rapports sociaux ».

Dès 1968, H. Lefebvre parlait des classes moyennes comme d’une mystification terminologique et citait la presse en mettant valeurs, culture et supérieures entre guillemets :
« Une nouvelle mystification monte : les classes moyennes n’auront qu’une ombre de pouvoir, que des miettes de richesse, mais c’est autour d’elles que s’organise le scénario. Leurs valeurs, leur culture l’emportent ou semblent l’emporter parce que supérieures à celles de la classe ouvrière »5.

Nous allons voir maintenant comment la « classe ouvrière » entre guillemets (c’est-à-dire la chose) est toujours là, et comment classe ouvrière en italique (c’est-à-dire le mot) a disparu, l’absence du mot permettant de ne plus parler de la chose par un effet de censure invisible. Les exemples qui suivent montrent que la confusion entre les classes moyennes et la population en général pénètre le corps social et l’« opinion publique » avec toute la puissance du fait accompli ou des choses comme elles sont. Pour ce qu’il est désormais convenu d’appeler une « sociologie de presse » (Chauvel, 2014), il n’existe plus de lutte des classes puisqu’il n’existe plus de classes, mais uniquement des situations sociales individuelles ou catégorielles mal définies, déconstruites, et finalement anomiques. Cette situation pose au linguiste deux questions liées : 1) la première est de comprendre comment s’est produite cette absorption improbable, sachant que dans le système terminologique remis en cause, les notions de « classe ouvrière » et de « classe moyenne » se définissaient par leur incompatibilité ; 2) la seconde est de comprendre comment les mots peuvent à ce point non pas valoir pour les choses, mais tromper à leur sujet ». Il cite J.Lojkine (2012) qui illustre déjà le clash des gilets jaunes :

« La classe moyenne, c’est l’anticlasse, la classe qui ne s’oppose à aucune autre parce qu’elle est censée les absorber toutes. […] En période de crise, la classe moyenne devient synonyme de société des “inclus” opposés aux “exclus”, substitut du clivage de classe : la classe moyenne devient alors le porte-drapeau des salariés à statut enfermés dans leurs ghettos de “riches”, entourés par la masse anonyme des “sans” : sans-papiers, sans-travail, sans-domicile, sans-patrie. »
Et plus loin :
« La crise […] a fait éclater ce faux concept en révélant les formes nouvelles des rapports de classes. La “classe moyenne” cache en réalité un conflit majeur entre des fractions prolétarisées du salariat intellectuel et une fraction ultraminoritaire des cadres dirigeants […]. Chômage, précarisation, paupérisation […] dessinent des formes nouvelles de prolétarisation [qui] pour autant [ne s’identifient pas] au prolétariat ouvrier ». 

« Désormais chargée de désigner la quasi-totalité de la société française, l’expression classes moyennes fonctionne comme un équivalent de population. Pas plus que classe ouvrière (pour le singulier) ou classes laborieuses, classes populaires (pour le pluriel), la sociologie de presse n’emploie classes pauvres ou classes riches. Le mot moyen lui-même, qui signifie en principe « entre deux choses », « intermédiaire » (Grand Robert, entrée moyen) n’a plus cette valeur dans ce contexte. Le morphème inférieur étant évincé des discours « politiquement corrects » (de même que la Charente inférieure, en 1941, la Seine inférieure, en 1955, la Loire inférieure, en 1957, et les Basses Pyrénées, en 1969, sont devenues maritimes et atlantiques) un grand nombre de termes nouveaux comme SDF (sans domicile fixe), RMI (revenu minimum d’insertion), RSA, quart monde, temps partiels, demandeurs d’emploi, chômeurs en fin de droits, travailleurs précaires, travailleurs intérimaires, CDD (contrats à durée déterminée) sont apparus pour les désigner'.

« Si la notion de « prolétariat » (littéralement, « la classe qui n’a pas d’autre richesse que les enfants »), qui renvoie à la grande misère de la classe ouvrière du xixe siècle, peut être considérée comme obsolète en France, la « misère du monde », comme disait P. Bourdieu, est toujours là. Le fait que la classe ouvrière et les catégories assimilées soient désormais recouvertes par les classes moyennes et autres catégories intermédiaires placées entre les « laissés pour compte » et les « maîtres du monde » constitue une tromperie délibérée, même si la division majeure semble aujourd’hui davantage d’ordre culturel et social qu’économique, car tous trois vont de pair et se surdéterminent mutuellement ».
Le rapport de Terra Nova a fait plus de mal historiquement à la classe ouvrière que toutes les grèves sabotées par les syndicats, en s'appuyant sur le « rétrécissement démographique de la classe ouvrière » (pourtant pas mal rétrécie en 1917 en Russie!)
«  Comment la classe ouvrière a-t-elle pu disparaître depuis les années Mitterrand ? » se demandait Terra Nova. La question présuppose cette disparition, et l’explication qu’ils en donnent est d’ordre culturel : la génération de 1968 a entraîné la gauche vers les questions de société, la
liberté sexuelle, la contraception, l’avortement, l’émancipation des femmes, la tolérance, l’ouverture aux différences, une attitude favorable aux immigrés, à l’islam, à l’homosexualité, la solidarité avec les démunis. Les ouvriers ont fait le chemin inverse en adhérant aux valeurs traditionnelles « petite-bourgeoises ». La rupture aurait été accentuée par la « tertiarisation » de l’économie qui a entraîné le déclin de la classe ouvrière de pair avec la précarisation du travail, la perte de l’identité collective, de la solidarité et de la fierté de classe, la relégation dans les quartiers, créant des réactions contre les immigrés, les assistés, la perte des valeurs morales et les désordres de la société contemporaine : « Les déterminants économiques perdent de leur prégnance et ce sont les déterminants culturels, renforcés par la crise économique, “hystérisés” par l’extrême droite, qui […] expliquent le basculement vers le Front national et la droite ».

Le rapport ne conclut pourtant pas à l’intérêt pour le Parti socialiste de s’adresser aux « classes moyennes », jugées instables et peu fiables, ni de négliger les « classes populaires », qui représentent encore « 23 % d’ouvriers et 30 % d’employés – plus de la moitié de l’électorat ». Mais il accorde la priorité à quatre segments de la société qui, sans fonctionner en termes de « classes », ont des « valeurs culturelles progressistes » à défendre : 1) les diplômés ; 2) les jeunes ; 3) les minorités des quartiers populaires ; 4) les femmes. Ces catégories « veulent le changement, sont tolérantes, ouvertes, solidaires, optimistes, offensives, en lutte pour l’emploi contre les catégories installées, conservatrices et défensives » qui de leur côté relèvent des classes moyennes et moyennes supérieures « traditionnelles ».
Cependant les auteurs ne retiennent pas l’hypothèse selon laquelle les classes populaires ont été abandonnées à elles-mêmes par la gauche pendant ces 30 dernières années, et que l’effet de cet abandon ne peut pas sans abus en devenir la cause. Ils ne repèrent pas non plus qu’en France comme dans le reste des pays les plus avancés, les classes moyennes sont en train de s’appauvrir sous l’effet de causes multiples et combinées (Chauvel, 2014) : 1) causes institutionnelles, en raison du « moins d’État », avec l’affaiblissement des syndicats, le démantèlement du revenu minimum, la flexibilisation de l’emploi, la réduction de la redistribution fiscale ; 2) causes démographiques, avec le babyboom, l’immigration, le travail des femmes, l’« homogamie des plus qualifiés » ; 3) causes économiques et technologiques enfin, avec le ralentissement de la croissance, la délocalisation ou la robotisation de la production industrielle, la hausse du contenu abstrait du travail, la « winner-takes-all society », les effets différentiels de la précarisation.
Ils n’ont pas vu que de nouveaux conflits sociaux sont en train d’émerger entre les salariés travailleurs intellectuels diplômés, voire très diplômés (de bac + 2 à bac + 7, voire plus) en situation de cadres et cependant surexploités, et les managers dont les positions et les rémunérations très supérieures (dans un rapport allant jusque de 1 à 20) sont indexées sur la seule profitabilité financière, managers aux yeux desquels « une société moyenne construite autour d’un État social fort est généralement vue comme non pertinente » (Chauvel, 2014).

J. Mischi (2014), au lieu d’une disparition de la classe ouvrière, note son évolution, les ouvriers des mines et de la métallurgie réunis sur leur lieu de travail et à forte tradition prolétarienne ayant été remplacés depuis la fin des Trente Glorieuses (à partir de 1973-1981 donc) en nombre à peu près égal par des caristes et des camionneurs isolés dans leur emploi, individualistes ou du moins beaucoup moins pourvus de « conscience de classe ». Quant à l’expression classes populaires, elle se maintient selon lui dans la mesure où elle permet de continuer à rapprocher les ouvriers et les employés, tant en termes de revenus qu’en ce qui concerne le statut social, le chômage, l’insécurité et la précarité de l’emploi (CDD et contrats d’intérim représentant désormais 90 % des nouveaux contrats de travail, voir Le Figaro du 25/07/14). Il note aussi que la « classe ouvrière » de référence était plutôt constituée de professionnels qualifiés que d’ouvriers spécialisés immigrés.


Comment des mots peuvent-ils tromper sur le réel ? Comme l’écrit H. Weinrich (2014) poursuivant la réflexion de V. Klemperer,
« il n’y a pas de doute que les mots avec lesquels on a beaucoup menti sont devenus eux-mêmes peu fiables. Que l’on essaie seulement de prononcer des mots comme […] Lebensraum (espace vital) ou Endlösung (solution finale), la bouche elle-même s’y refuse […]. Celui qui malgré tout s’en sert est soit un menteur soit une victime du mensonge. Les mensonges pervertissent le langage. Et il n’existe aucune thérapie pour les mots corrompus ; on est obligé de les expulser du langage. Plus c’est rapidement et radicalement fait, mieux ça vaut ».(...) Dans les années qui ont suivi, notamment à partir des années 2000, le thème de la classe moyenne blanche, a pris le relais, thème qui recycle la
racialisation des rapports de classe amorcée par la substitution de travailleurs par immigrés. C’est pratiquement dans le même mouvement néologique qui voit classes moyennes absorber classe ouvrière et où la classe ouvrière elle-même « disparaît » (les guillemets sont importants) que les mouvements sociaux les plus durs ont acquis en France des bases ethniques en substitution des bases de classe. (…) on ne peut qu’être frappé par l’aspect unanime des glissements sémantiques opérés par le discours des médias. Comme si les journalistes s’étaient « donné le mot ». Ou comme si la contrefaçon terminologique avait envahi le marché linguistique au point de remplacer les mots justes par des copies, par des mots faux.(...). Dans cette conjoncture, la réalité s’appuie idéologiquement sur le langage pour, sans considération de moralité, ni d’immoralité non plus, faire évoluer les choses dans le sens des intérêts dominants. Comme l’a dit Warren Buffett, « il y a une lutte des classes, c’est sûr, et c’est ma classe, la classe des riches, qui fait cette guerre, et c’est nous qui sommes en train de la gagner ».

CE VIEIL AVEUGLEMENT RETIF A LA CONSIDERATION DES COUCHES MOYENNES...

Parmi les fleurs de rhétorique de la bêtise classique relevons la réaction primaire des bordiguistes :
« « Les agitations des classes moyennes et les mouvements organisés ou dirigés par des éléments de la petite bourgeoisie se manifestent d’un bout à l’autre de la planète depuis quelques années. Dans les médias l’attention se porte sur les problèmes, les difficultés et les réactions des classes moyennes; elles sont tantôt présentées comme le nouvel acteur menaçant de troubler l’ordre politique et social à la place du prolétariat, tantôt comme un précieux facteur de la stabilité de ce même ordre, et il conviendrait donc de les choyer et de les soutenir ».

Et le CCI, cette aristocratie de la pensée binaire et bipolaire, de surenchérir : « La révolte populaire des “gilets jaunes” n’appartient pas au combat de la classe ouvrière. Au contraire, ce mouvement interclassiste, n’a pu surgir et occuper tout le terrain social, pendant plusieurs semaines, que sur le vide laissé par les difficultés du prolétariat à engager massivement la lutte, sur son propre terrain de classe, avec ses propres méthodes de lutte, face aux attaques économiques du gouvernement et du patronat »6.

Comme on va le voir cette carence à saisir ce qui était en train de se passer, plus important que mai 68 parce que remettant en cause les billevesées de 68 sur la révolution de la vie quotidienne, cela manifeste une carence théorique et historique de ces sectes. Depuis un siècle c'était une lapalissade du marxisme orthodoxe (même s'il y en a plusieurs en concurrence) que la petite bourgeoisie des « nouvelles couches moyennes » (cols blancs dans l'industrie au début du XX ème), et au départ de la polémique Kautsky/Bernstein, il était commun de refuser de les compter dans les rangs du prolétariat ; puis Kautsky pensa que le développement de la culture et de la technique finirait par « prolétariser » ces nouvelles couches. Pannekoek pensait de même, avec cette précision, ces couches se feraient plutôt les porte-paroles d'un socialisme réformiste, modéré et civilisé (c'est à dire de bons électeurs des partis socialistes bourgeois...). Hilferding lieu-même pensait qu'après un long processus ces « prolétaires en faux-col » s'intégreraient dans le prolétariat, et que la masse des employés mal payés viendrait renforcer la lutte contre l'exploitation. Le dictionnaire de Compère-Morel résume assez bien la pensée générale à l'époque du mouvement socialiste à l'égard de ces « faux-cols » : « Classe composée de citoyens qui ne sont pas encore tombés dans le prolétariat, possédant encore quelques moyens d'existence et appartenant très souvent dans les villes, au monde du commerce, des artisans ou exercent dans les professions libérales et, dans les campagnes, à la catégorie des paysans aisés. Ils sentent moins directement que le prolétariat la puissance du capital ».
Dans le mouvement socialiste du début du siècle dernier puis avec staliniens et gauchistes, l'interprétation dominante du fascisme fût qu'il était un produit de la petite bourgeoisie, ce qui est faux. Comment la petite bourgeoisie aurait-elle pu accorder un appui à un mouvement (étatique et totalitaire) qui ne représentait pas ses intérêts ? Selon certains auteurs pensaient même que en révolte toujours contre « l'injustice fiscale », les couches petites bourgeoises se seraient consolées en rejoignant le fascisme ; ce qui est une impossibilité pour expliquer les grandes masses mobilisées qui contenaient certainement plus d'employés, d'ouvriers que de petits commerçants. Nous pensons encore comme Marc Chirik que le fascisme a été une arme contre-révolutionnaire de la haute bourgeoisie et qui (ajoutait-il), en elle-même, n'aurait pas été suffisante pour éteindre la vague révolutionnaire en Europe sans l'aide du stalinisme, puis des théories antifascistes et gauchistes de « défense de l'Etat ouvrier dégénéré ». Si le courant de Bordiga n'a porté aucune attention particulière aux couches moyennes à l'époque du fascisme, Gramsci vitupérait ce « peuple des singes » révélant définitivement sa nature de valet du capitalisme ; il produisit ensuite une curieuse analyse de la capacité du fascisme à encadrer pour le première fois de l'histoire cette classe fluctuante, induisant une fausse problématique reprise par le fourrier stalinien Togliatti qui déplora que le mouvement communiste n'ait pas fait d'effort pour protéger la petite bourgeoisie du fascisme ; ce qui était toujours ne pas comprendre qu'il s'agissait d'une contre révolution bourgeoise contre le prolétariat et que, celui-ci vaincu (avec ou sans la participation de la petite bourgeoisie) la bourgeoisie avec sa représentation fasciste pouvait redémarrer la guerre mondiale. L'analyse de Tasca était plus intéressante et proche de la vérité. Il expliquait que c'était surtout les classes moyennes urbaines qui avaient adhéré au fascisme, alors que dans les campagnes, dans la vallée du Pô, les fascistes n'avaient pas réussi à convaincre les propriétaires terriens. Pour Tasca, face à l'ampleur de la crise économique et le degré de misère les « nouvelles couches moyennes » n'avaient même pas pu se prolétariser, ou avoir le choix de le faire : « … ni ascension dans la bourgeoisie, ni chute dans le prolétariat ». C'est cette situation sans issue qui les avait poussé vers le fascisme : « Cette classe moyenne incluait également différentes sortes de déclassés (déclassés d'un jour ou de toute la vie, du demi-solde au lumpenproletarier, du briseur de grève à l'intellectuel désoeuvré), ainsi que « des ouvriers qui se sentaient plus 'anciens combattants' ou plus chômeurs qu'ouvriers, et qui se séparent psychologiquement de leur classe pour passer dans les rangs de ses ennemis ».
On ne peut pas oublier d'ajouter que les erreurs et faillites du mouvement révolutionnaire prolétarien n'ait pas favorisé aussi cette illusion que le fascisme serait le nouveau sauveur pour ces couches désespérées. La logorrhée « dictature du prolétariat » n'apportant rien de concret et de plus le parti socialiste italien par exemple avait méprisé le mouvement des terres en 1919-1920, ne réagissant et encore avec suspicion que tardivement comme nos maximalistes français bordiguisant et maximisant RI que pour cracher sur l'ensemble du mouvement des gilets jaunes.
Contre cet indifférentisme, je suis en accord avec l'idée qu'il ne faut pas rester insouciant face aux mouvements de protestations des couches moyennes : « En réalité, les partis socialistes, à quelques exceptions près, furent incapables d'élaborer une politique cohérente vis à vis de la petite bourgeoisie, tant indépendante que salariée. Leur culture politique les poussait à considérer avec une certaine méfiance , sinon avec une hostilité ouverte, ces couches sociales intermédiaires et leurs aspirations spécifiques ». C'est dans l'Allemagne de Weimar pourtant qu7e le syndicalisme commence à prendre au sérieux la question d'organiser ensemble ouvriers et employés, quand bien même (jusqu'à nous jours...) les employés sont toujours effrayés à l'idée de devenir prolétaires, alors qu'ils le sont déjà.

UN REJET MECANIQUE ET IDEALISTE DU CONSTAT DE
L'ARISTOCRATIE 'OUVRIERE'


La croyance que la classe ouvrière n'existe plus possède son côté pile, celui du CCI qui peut varier, mais a commis un contre-sens ridicule concernant cette notion. Dans mon livre, rédigé en 2010 - « L'aristocratie syndicale » - je faisais les remarques suivantes :

«« La notion d’aristocratie fait désordre pour tous ceux qui ignorent l’histoire du mouvement ouvrier et les débats dans la IIème Internationale socialiste. La notion relèverait du domaine d’un passé qu’on se flatte d’ignorer, mais qui persiste encore dans des comportements. L’imagerie est redondante et ridicule mais va si bien à tous ceux qui refusent de « se salir les mains » sauf pour signer avec un porte-plume d’Etat. Le terme a pour synonyme élite, et vice versa. Chacun peut s’en servir dans les polémiques diverses. On a oublié qu’à l’origine l’anoblissement était obtenu comme récompense de services éminents rendus à l’Etat. Les premiers nobles étaient des soldats au service de leur duc ou roi, ou de leur pays. Cette noblesse n’hésitait jamais à comploter de temps en temps. Alexis de Tocqueville va nous éclairer sur la relation entre maîtres et valets.
La légion d’honneur créée en 1802 par Napoléon a pour but de récompenser une manière de servir l’Etat. Jusqu’ici les bonzes syndicalistes ont refusé cette distinction trop aristocratique et ridicule, comme Edmond Maire, retraité CFDT, qui a bénéficié à l’égal de ses pairs de récompenses moins voyantes. Pourtant, historiquement, le syndicalisme a bien des traits communs avec le corps des anciens vassaux des rois ». (…) « Derrière le concept d’« aristocratie ouvrière » c’est bien les syndicats que visaient les Bernstein, Kautsky, Lénine, Rosa Luxemburg et Pannekoek, sauf qu’au XXème siècle les « unions pour le marché du travail » ont perdu l’adjectif « ouvrier » même si beaucoup d’ouvriers en sont encore adhérents, comme ils sont cotisants à la sécurité sociale et à la retraite aux flambeaux. La société capitaliste, avait souligné Rosa, n'allait pas « vers une époque caractérisée par le développement victorieux des syndicats, mais plutôt vers des temps plus durs pour eux. » Ainsi, peu importait les gains temporaires qu'ils réussiraient à obtenir, les syndicats étaient condamnés au « travail de Sisyphe» tant que leur travail resterait enraciné dans les limites définies par le système capitaliste. Les dirigeants syndicaux n'ont jamais pardonné à Luxembourg l'usage de cette métaphore éclairée, qui ne mettait pourtant pas encore en évidence leur collaboration totale à l’Etat bourgeois ». 

A la suite d'Engels, Lénine donne une définition, voire des définitions qui peuvent prêter à caution ou pas : «  L'impérialisme moderne(du XXe siècle)a créé pour quelques pays avancés une situation monopoliste privilégiée et c'est sur ce terrain qu'on a vu partout dans la IIe Internationale apparaître un type de chefs-traîtres, opportunistes, social-chauvins, défendant les intérêts de leur corporation, de leur mince couche sociale: l'aristocratie ouvrière. Les partis opportunistes se sont coupés des« masses», c'est-à-dire des plus larges couches de travailleurs, de la majorité d'entre eux, des ouvriers les plus mal payés ».Il est question on le voit d'abord de chefs traîtres, puis représentants d'une « mince couche sociale » et « d'intérêts étroitement corporatifs »8.
Le mot chefs utilisé par Lénine vise les appareils syndicaux, et personne ne peut nier au vu de l'histoire passée leurs multiples trahisons dans la guerre d'abord par une corruption permanente ensuite, qui permet de les caractériser comme de véritables valets du capital, qui ont « mobilisé pour la patrie » aussi bien en milieu ouvrier que par l'implantation qui va être la leur progressivement déjà dans les années 1920 parmi les couches moyennes en France et en Allemagne, mais surtout après 1945 avec la cogestion de ma mafia PCGT. Que cela soit qualifié d'aristocratie ouvrière n'a rien de choquant, de même qu'on peut avoir un ouvrier bourgeois ou embourgeoisé. Le terme aristocratie est bien choisi par Lénine et les socialistes de son époque pour caractériser le parasitisme des fonctionnaires syndicaux mais aussi par extension les cadres de l'époque, le personnel de commandement qui gouverne les ouvriers. On aurait pu aussi bien dire une aristocratie des ouvriers ou une aristocratie en milieu ouvrier, mais la polémique ne s'embarrasse pas de subtilités grammaticales. Il est assez simple de comprendre que la bourgeoisie ait besoin de corrompre une partie des ouvriers et qu'elle ne compte jamais sur un bénévolat de la trahison.
Tout le monde semblait l'avoir compris sauf notre ancien groupe maximaliste parisien : c'est une division de la classe ouvrière cette notion ! Une fois ils republient un texte de Mitchell de la revue Bilan des années 1930, lequel savait l'importance de la corruption et division entre secteurs avantagés ou pas. Mitchell fait référence à la notion d'aristocratie ouvrière caractérisée par des : « opérations de brigandage colonial des réserves de plus-values où elle peut puiser à pleines mains et corrompre les couches privilégiées de la classe ouvrière ». Nos cespédistes de RI protestent dans une note que ce n'est pas leur conception, qu'il n'y a pas d'aristocrates ouvriers mais des chefs syndicaux pourris.
Mitchell – qui mourra en déportation - donne un autre nom aux couches moyennes, « couches privilégiées » et reprend l'idée de Lénine que ces couches sont payées par le brigandage colonial (je ne pense pas que ce fût le cas pour EDF ou les PTT). Le principal manitou de la secte reproduit ses mêmes textes depuis 30 ou 40 ans en les actualisant et en augmentant leur volume. Il reprend en 2006 sa copie de juillet 1984 :

« De plus au travers du chômage, les cou­ches moyennes sont déchirées, et rejoignent les rangs de la classe ouvrière dans ce que sa con­dition a de plus misérable. Ce n'est pas là une simple projection que nous faisons, mais la description d'un processus qui se déroule concrètement, sous nos yeux, processus qui non seulement met face à face les classes so­ciales, mais distingue nettement leurs intérêts irréductibles. Cette réalité balaie radicalement l'écran de fumée constitué par la formation de couches moyennes particulièrement gonflée dans l'é­poque "keynésienne" ainsi que toutes les théories sur l'aristocratie ouvrière ».

Il faut le faire et le dire. C'est décrété l'auteur a constaté dès 1984, ce qui ne s'était pratiquement jamais vérifié depuis les années 1930, que ces fieffées « couches moyennes » tombaient enfin dans le prolétariat », ce qui leur est pourtant reproché d'éviter, de plonger, lorsqu'elles se vêtent du gilet jaune.
Pourtant le 10 mars 2019, revirement, on semble prendre en compte la notion d'aristocratie ouvrière : « Il y a, inévitablement, au sein de ces mouvements “populaires”, des fractions du prolétariat, qui ne sont pas toutes liées à l’aristocratie ouvrière, poussées par les événements à participer à ces manifestations. La question des taxes sur les carburants, du coût des déplacements, sont des questions sociales qui se posent de manière transversale. Le poids politique du prolétariat dans ces mouvements est cependant dérisoire. (...)La défense du programme communiste se manifeste également dans le fait de refuser tout localisme, tout protectionnisme archaïque, de céder aux requêtes des classes moyennes et de l’aristocratie ouvrière qui, au nom de la défense des droits des travailleurs, face à la menace de la misère représentée par les travailleurs immigrés, demandent de manière plus ou moins voilée de nouvelles barrières »9.


L'HOMME QUI PORTE UN CHAPEAU DANS LA RUE EST UN ENNEMI DES CHAPEAUX

Si les vieux machins du CCI se sont réappropriés la notion d'aristocratie ouvrière tant mieux, mais ce qui a dominé depuis au moins quarante années c'est une conception idéaliste qui se voulait antiléniniste, pour mieux faire conseilliste avec parti soft ? La contribution de Raoul republiée en 2005 (alors qu'il avait été éjecté de l'organisation) depuis belle blanchette : « L'aristocratie ouvrière : une théorie sociologique pour diviser la classe ouvrière » servit longtemps de référence dans le groupe au point que toutes les autres sections étrangères le citaient ou le traduisaient. Moi, depuis, je l'aurais ôté du site internet. Je vais tenter un résumé mais vous pouvez lire l'intégral sur le site du CCI.

« Il y aurait un antagonisme de classe au sein de la classe ouvrière elle-même, un antagonisme entre les couches "les plus exploitées" et les couches "privilégiées".  Il y aurait une "aristocratie ouvrière jouissant des plus hauts salaires, des meilleures conditions de travail, une fraction ouvrière qui partagerait avec "son impérialisme" les miettes des sur profits tirés de l'exploitation coloniale.  Il y aurait donc une frange de la classe ouvrière qui en fait n'appartiendrait pas à la classe ouvrière, mais à la bourgeoisie, une couche d"'ouvriers-bourgeois".Voila les grandes lignes communes à toutes les théorisations sur l'existence d'une "aristocratie ouvrière".  C'est un instrument théorique dont la principale utilité est de permettre d'estomper dans un flou plus ou moins étendu, suivant les besoins, les frontières qui opposent la classe ouvrière au capital mondial. Cette théorisation "permet" de taxer des parties entières de la classe ouvrière (les ouvriers des pays les plus industrialisés par exemple) de "bourgeois", et de qualifier des organes bourgeois (les partis de "gauche", les syndicats, par exemple) d"'ouvriers".Cette théorie trouve son origine dans les formulations de Lénine pendant la 1ère Guerre Mondiale, formulations reprises par la 3ème Internationale.  Certains courants politiques prolétariens, ceux qui tiennent à se désigner par l'étrange qualificatif de "léninistes", traînent encore aujourd'hui avec eux cet avatar théorique dont ils ne savent pas toujours que faire, si ce n'est de maintenir un flou sur des questions de première importance dans la lutte de classe.  La contre-révolution stalinienne, elle, s'est depuis des décennies servi de cette théorie à tout propos pour tenter de recouvrir ses politiques du prestige de Lénine »10.

Les commentaires qui suivent sont encore plus consternants, et confirment une pensée mécanique, binaire, inapte à réellement analyser les rapports entre les classes, un œcuménisme en noir et blanc, tout bon tout mauvais. Il faudra que Raoul m'explique un jour comment « un genre de conception » peut diviser la classe ouvrière, ou comment la conduite automobile peut diviser la classe ouvrière. L'aristocratie ouvrière est un fait pas un plan machiavélique nouveau ni en soi une opération de division de la classe ouvrière, voire une volonté « d'isoler les travailleurs les plus exploités ». Raoul n'a pas compris que Lénine parlait des appareils syndicaux, du personnel syndical et plus tard du personnel par exemple des entreprises nationalisées. Depuis presque soixante ans j'ai toujours vu de ouvriers ou pas du privé éclater de rire quand on disait par exemple qu'à EDF on n'était pas privilégié, idem à la SNCF ; valait-il mieux travail à Citroën ou à Renault, nombreux connaissent la réponse mieux que Raoul. La formulation suppose comme je l'ai dit « aristocratie parmi les ouvriers » et pas ce concept trotskien de syndicat tout de même « ouvrier ».
Raoul a de ces formulations plus ambiguës que celles de Lénine : « Marx, Engels, Lénine sic) (…) n'ont jamais soutenu une théorie de la nécessité de DIVISER LES OUVRIERS ». Mais avec le concept d'aristocratie ouvrière ce n'est pas la question qui est posée, c'est de corruption qu'il est fait état et de corruption financière ! Corruption pour permettre de faire le sale boulot : freiner et diviser les prolétaires !
Même mieux, là où Lénine ne voyait encore qu'une mince couche, c'est une couche pléthorique qui s'est étendue aux milliers de fonctionnaires syndicaux autant du prolétariat en général qu'en plus des nombreux syndicats et assocs des couches moyennes ! C'est pourquoi j'imagine mal Marc Chirik avoir conseillé Raoul sur le sujet ; je n'ai d'ailleurs jamais entendu pareille dérive de sa part ni trouvé dans ses nombreux écrits ou exposés que j'ai compilé11. Je pourrais déshabiller un à un les arguments invraisemblables du Raoul mais à chaque fois il surprend parce qu'il raisonne en étudiant hors de la réalité, en vieil étudiant pardon. Il croit que l'ensemble des masses sont parties naïvement d'elles-mêmes la fleur au fusil, que la défense nationale a coulé dans leur veine sans qu'on les baratine, sans que les guides de la lutte quotidienne ne conseillent dans le sens du gouvernement, donc que le gouvernement Viviani a compté sur la spontanéité généreuse et écervelée des masses pour aller au casse-pipe. Même si Raoul avoue ne pas comprendre ce qu'est l'opportunisme laissons-le commenter  :
« "L'opportunisme (c'est le nom que donne Lénine aux tendances réformistes qui dominaient les organisations ouvrières et qui ont participé à la 1ère guerre mondiale) a été engendré, tout au long de décennies par les particularités d'un certain développement du capitalisme, dans lequel une couche d'ouvriers privilégiés, qui avaient une existence relativement tranquille et civile, avait été "embourgeoisée", recevait quelques miettes du profit de leur propre capital national et parvenait ainsi à être dégagée de la misère, de la souffrance et de l'état d'esprit révolutionnaire de masses misérables et ruinées." (... ) "La base économique du chauvinisme et de l'opportunisme dans le mouvement ouvrier est le même ; l'alliance des couches supérieures, peu nombreuses, du prolétariat et de la petite bourgeoisie, qui reçoivent les miettes des privilèges de "leur" capital national contre les masses ouvrières et contre les masses travailleuses opprimées en général »12.

Le CCI des années 1980, supposées années de la révolution (grillée par la chute de la maison stalinienne), ne fait pas dans la finesse et ses militants, même dits fondateurs auraient mieux fait d'aller étudier d'un peu plus près la théorie et le passé du mouvement ouvrier. Il n'y a jamais cette simple opposition bourgeoisie/prolétariat. Pendant la Première Guerre mondiale, il y a un brassage du prolétariat où souvent les contours sont voilés ; les discussions sur les couches moyennes sont interminables et confuses. Pendant la guerre il y a eu un grand brassage des classes. L'aristocratie ouvrière en uniforme, mais à l'arrière, crée un Comité d'action de la CGT avec le parti socialiste et les coopératives de consommation qui est chargé par l'Etat de réfléchir à un programme de réorganisation économique. , « la CGT préconisant le retour à la nation des richesses nationales », une « socialisation des services publics ». Au congrès de la fédération de l'éclairage, le bonze chef réclame la nationalisation du gaz et de l'électricité, déclare, bien éloigné de la théorie des producteurs « eux-mêmes » : « Nous ne sommes pas de ceux qui prétendent que la classe ouvrière peut tout faire à elle seule, qu'elle a chez elle tous les éléments de direction nécessaires... nous nous rendons fort bien compte que pour mettre debout, pour gérer une affaire, qu'il s'agisse d'une compagnie de chemin de fer, de forces hydro-électriques, de l'installation d'une station thermique , etc... il faut des compétences ». Le secrétaire de la fédération des sous-sols va dans le même sens : « Si le mineur, même lorsqu'il est élevé aux plus hautes fonctions de sa fédération reste toujours un travailleur infatigable, il n'a pas pour cela la prétention d'être un puits de science... C'est pourquoi les membres des la fédération du sous-sol ont recherché la collaboration d'hommes possédant les qualités qui leur manquaient. Cette collaboration, ils l'ont trouvée chez des techniciens, des ingénieurs de toutes les branches se rapportant à l'industrie minière (…) Pour réaliser la nationalisation , « le contrôle des producteurs oblige à comprendre des manuels et des intellectuels (techniciens ». Cette arrangement avec la hiérarchie capitaliste existante est aussi la base commune de l'aristocratie ouvrière qui aboutira par exemple après 1945 à ce que l'on dise d'EDF « une boite gouvernée par les ingénieurs et la CGT » !
Au début des années 1930, la CGT syndiquait un assez grand nombre d'agents de maîtrise, commis principaux, rédacteurs, agents techniques, conducteurs de travaux, sous-ingénieurs. L'encadrement moyen. En 1936, les agents des services publics restèrent très calmes face à une majorité gouvernementale qu'ils avaient largement contribué à faire élire et les mouvements de grève dans le public furent peu nombreux. Des garanties statutaires de plus en plus précises étaient accordées aux gaziers et électriciens (en particulier dans la région parisienne) et les compagnies de chemin de fer étaient nationalisées dans une société d'économie mixte. Toutes ces garanties n'ont pas été un obstacle au retour de la guerre mondiale.
L'ouvrier de l'industrie privée, modèle du prolétaire exploité, était loin d'être dominant. La culture du service public coupait totalement les nouvelles classes moyennes et du prolétariat du privé et des classes moyennes traditionnelles. La crise économique n'a pas affecté directement les agents publics ; les mesures de déflation ont toujours été prises en retard par rapport au coût de la vie et les rémunérations des fonctionnaires et agents publics n'ont jamais été aussi élevées que dans les années 193013.

Quand on revisite donc la manière de gouverner de la bourgeoisie à une époque qu'on aurait cru moins sophistiquée que la nôtre, peut-on penser comme les gauchistes excités et le CCI entubé que la bourgeoisie va continuer à scier la branche couches moyennes n'importe comment, en lui faisant payer par exemple des impôts supplémentaires pour la « classe laborieuse » ? Précariser à tout va. Pour ouvrir la voie à dix, quinze nouvelles insurrections en gilets jaunes ?

DEPUIS 1968 UN MOUVEMENT REVOLUTIONNAIRE resté petit bourgeois

Si depuis le prolétariat n'est pas son tombé sur la tête ni sur un nouveau parti crédible c'est bien parce que la bourgeoisie a encore une grande maîtrise du monde qu'elle gouverne tout en nous accusant d'en être les principaux pollueurs. Le fait que le prolétariat ne soit pas réapparu de façon importante sur la scène de l'histoire est bien sûr la principale explication de groupes politiques disparus ou du maintien à l'état de sectes ou d'individu isolé pour d'autres. Dans l'isolement et sans plus ni participation politique à la vie sociale que monsieur toulemonde derrière son clavier, sans grèves héroïques à se mettre sous la dent, ils ronronnent ou s'autodétruisent.

Marc Chirik ne s'énervait jamais. Je l'ai vu deux fois s'énerver par écrit et verbalement et cela concernant la petite bourgeoisie. Il savait de toute façon que nous n'étions encore qu'une organisation petite bourgeoise, majoritairement composée d'ailleurs des enfants des « couches moyennes », cadres eux-mêmes...
Une fois à l'époque des attentats de Baader, qui n'avait rien à voir avec le monstre Daesh, un article avait été publié, rédigé par Chardin, assez lâche et renvoyant dos à dos l'Etat allemand et Baader. La colère froide avait d'abord été celle de notre fondateur le plus orthodoxe, Camoin. Puis avait suivie celle de Marc, plus percutante encore :
« Dans cet amalgame social bigarré que constitue la petite bourgeoisie, la plus hétérogène des classes sociales, la couche intellectuelle, l'intelligentsia se trouve être la plus sensible à sa misère. C'est la couche dont l'existence économique se trouve être à bien des égards la plus proche du prolétariat ne serait-ce que du fait qu'elle ne possède pas de moyens de production comme c'est le cas des artisans ou des paysans, son existence elle la doit au fait de vendre au Capital ses services, sa force intellectuelle ; sa profession est de vendre sa capacité, son aptitude à « penser », en ce sens socio-économique elle est similaire à la classe ouvrière avec qui elle partage l'insécurité et l'état de dépendance économique totale au Capital. Mais sur le plan de sa formation idéologico-économique pour sa fonction de « penser » et de répandre la pensée, il est exigé d'elle une adhésion aux idées et idéaux du Capital. Pour pouvoir servir son maître, le Capital, elle doit non seulement donner sa force physique, mais son âme, montrer son aptitude à la servilité, à la «fidélité », c'est un long et dur apprentissage ; avant d'être admis et intégrés, à leur fonction, ses membres sont soumis à de sévères
examens de « souplesse d'échine » de « bien-pensants ? Peu réussissent à passer les épreuves et sont sélectionnés, les autres sont rejetés comme inutilisables. C'est a couche probablement la plus crucifiée, la plus frustrée dans ses aspirations, la moins satisfaite, la plus sujette à l'amertume et au désespoir. Rien d'étonnant à ce qu'elle ait donné naissance au nihilisme (…)
ne pas opérer avec un schéma simpliste à deux dimensions. Ce schéma ne reconnaît dans la société que deux classes, le Capital et le Prolétariat. Tout ce qui n'est pas prolétarien est d'office mis dans le Capital. Un tel schéma ignore même ce qui est secondaire, de la petite bourgeoisie et de ses expressions et réactions. C'est pourquoi les signataires de la lettre préfèrent à l'analyse basée sur leurs classifications, de A B C, où la classe petite bourgeoise a complètement disparu et où la photographie de la société – photographie statique par excellence – ne connaît que deux couleurs : le blanc et le noir.
Avec une telle optique, non seulement s'évanouissent les notions de manipulation, de récupération mais aussi celle de « victimes du capital », l'assassinat des prisonniers14 devient un simple règlement de comptes entre deux gangs et la vaste campagne orchestrée par les Etats est encore rendue complètement incompréhensible et est estompée sa profonde signification de renforcement de l'appareil répressif face à toute velléité de lutte contre l'ordre et l'Etat capitaliste.

Une autre fois, il n'est qu'à quelques semaines de sa mort, il s'énerve encore par écrit pour secouer un CCI qui « ronronnent » : « Une vieille et malheureuse habitude du CCI consiste à se focaliser longtemps dans des discussions interminables sur des positions depuis longtemps résolues et déjà adoptées... C'est en ceci que nous pouvons constater l'énorme retard que le CCI prend par rapport aux événements, et cela à tous les niveaux, depuis les réunions de sections locales, territoriales, les organes centraux comme avec leurs Comités de rédaction, jusqu'au secrétariat international lui-même ». Voulait-il par bravade faire sentir le grand vide qu'il allait bientôt laisser ? Montrer en définitive son importance au seuil du tombeau ? Ou avait-il senti que cela allait bientôt dégénérer, comme tout le laisse accroire avec le dernier paragraphe, ses derniers mots couchés sur le papier sur cette terre ingrate.

« Nous avons (lui) toujours insisté sur le fait que l'organisation secrétée péniblement par la classe
ne porte aucune garantie assurant et justifiant son existence, et cela non seulement par un processus de dégénérescence politique, mais sa perte peut aussi se produire par des incompréhensions et le fait de ne pas être à la hauteur de l'évolution des événements et des situations. Dans ce cas, la classe se trouvera obligée de secréter et de constituer une nouvelle organisation, ce qui demande beaucoup de temps et d'efforts. L'objectif de mon article est de pousser le CCI tant qu'il est encore temps à prendre conscience de ce risque et à réagir fermement ».

Paris le 9 novembre 1990


NOTES

1J'ai encore eu des reproches d'un ex-militante du CCI qui m'a reproché de m'être aligné sur les positions du CCI. Non. Voici la différence entre le CCI et moi : le CCI a considéré dès le départ avec mépris la révolte provinciale car la vie serait comme lorsque vous allez au cinéma. Il n'est pas sûr que vous allez voir un bon film mais il est sûr qu'il y aura une fin. Avec son langage bipolaire, le CCI a décrété que la fin du film serait mauvaise donc que le début l'était aussi. Ce faisant il n'a rien compris à la révolte, qui était en même temps, mais secondairement, une lutte des ouvriers du privé (généralement oublié par les aristocraties du secteur public depuis des décennies...). Pour ce qui me concerne, j'ai soutenu et même participé à la mesure de mes moyens, malgré une très rapide désillusion, mon souci était que la fin du film soit meilleure. Ce n'est pas vraiment le cas mais le scénario pose encore des problèmes que le gouvernement sait insolubles pour l'heure et sur lesquels nos sectes isolées devraient plutôt réfléchir.
2Après le décès du président Hindenburg le 2 août 1934, Hitler demande en effet au peuple de plébisciter la loi relative au chef de l’Etat du Reich allemand, qui lui permet de réunir les rôles de président et de chancelier. Selon la base de données du Centre de recherches sur la démocratie directe d’Aarau, Hitler obtient 89,93% de oui. Hitler bénéficiait alors du soutien d’une partie du patronat, du parti national du peuple allemand (DNVP) et de l’ancien chancelier du Zentrum catholique Franz von Papen, qui espérait faire de lui une marionnette. Son parti, le NSDAP était par ailleurs ressorti en tête des législatives de novembre. Hitler a ensuite bien fait appel à plusieurs reprises au peuple, mais ajoute le journaleux «il faut bien distinguer le référendum, comme on l’entend, du plébiscite», précise Johann Chapoutot, historien spécialiste du nazisme : «Les plébiscites de 1934 comme ceux de 1935 ou 1938 organisés par Hitler le sont dans le seul but de consolider le pouvoir. Ils sont totalement truqués ». Avec les limites de la comparaison Macron a eu encore plus de soutiens de la part du patronat et de la finance que Hitler, et sous son égide vous croyez que référendum ou plébiscite ne seraient pas truqués ?
3Perrone dit Vercesi était l'animateur de la revue Bilan et l'alter ego de Bordiga dans le courant communiste italien avant guerre. En 1945, déçu que la révolution n'ait pas une nouvelle fois lieu, il théorise la disparition du prolétariat, et c'est Marc Chirik qui répond et détruit non seulement cette insanité (voir mon tome I des écrits de « Marc Laverne ») mais aussi est le premier à démonter la caducité du bordiguisme après guerre dont la plupart des hérauts finissent par conclure eux aussi que la classe ouvrière n'existe plus, normal selon leur conception car il n'y a que le parti qui compte. Le parti est tout, la classe ouvrière n'est rien. C'est aussi la conclusion depuis un moment de Claude Bitot dont je me suis moqué dans mon récent article sur son projet ne nouveau Manifeste communiste.
4Marc Arabyan : From “Working Class” to “Middle Classes”, a Lexical Turn in the Social Field in France. Il nous rappelle la fameuse sentence de l'abruti PDG de TF1, Patrick Le Lay: « il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective “business”, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit […]. Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible […]. Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. C’est là que se trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l’information s’accélère, se multiplie et se banalise » (« Le Lay (TF1) vend “du temps de cerveau humain disponible” »

5Michel Verret était plus sarcastique : « Classes moyennes. Français moyen. Rien de commun que le mot. Si les français de classe moyenne existent, le français moyen n'existe pas ». (Les classes moyennes, l'Etat, le socialisme. Quelques réflexions théoriques).
6 cf. mon article  du 3 janvier 19, Quand les gauches communistes se précipitent pour enterrer les gilets jaunes.
7Toutes les informations contenues dans cette partie de mon article je les dois à l'excellente étude de l'historien Bruno Groppo, que j'ai eu l'occasion de rencontrer lors d'un colloque il y a une quinzaine d'années à la maison de l'Italie dans le part de la cité U (un compte rendu avait été fait dans les premiers numéros papier de PU) : « Le problème des rapports entre fascisme et classes moyennes dans la réflexion socialiste de l'entre-deux-guerres
8Sur la question Lénine n'est pas toujours clair, et c'est à l'époque où il est désormais chef d'Etat et opportuniste qu'il écrit : « « Mais nous luttons contre l'« aristocratie ouvrière » au nom de la masse ouvrière et pour la gagner à nous ; nous combattons les chefs opportunistes et social-chauvins pour gagner à nous la classe ouvrière. Oublier cette vérité des plus élémentaires et des plus évidentes serait stupide. Or, c'est précisément la stupidité que commettent les communistes allemands « de gauche » qui, en raison de l'esprit réactionnaire et contre-révolutionnaire des milieux dirigeants syndicaux, concluent... qu'il faut sortir des syndicats !! qu'il faut refuser d'y travailler !! qu'il faut créer de nouvelles formes, inventées, d'organisation ouvrière !! Stupidité impardonnable qui équivaut pour les communistes à rendre un immense service à la bourgeoisie ». OU il s'exprime mal ou il y a maldonne : l'aristocratie ouvrière n'est pas que les chefs syndicaux et elle n'est pas non plus la totalité de la classe ouvrière mais une «mince couche comme il nous l'avait dit plus haut » ?
9C'est plus confus chez les anciens militants. Ainsi lors du débat sur face book, confus et imprécis, je pose la question à Juliette elle me répond sur le plan des « producteurs » à l'aide d'une exhibition de schémas de Marx, pour faire marxiste cultivée : « Maintenant j'ai bien pris note de ton questionnement. Expliciter 1) le concept d'aristocratie ouvrière, 2) celui de classe moyenne salariée consommatrice de plus value. Je dirais d'abord que ce sont deux classes ou sous- classes bien distinctes, dans leur position dans les rapports de production et ensuite que , en effet, l'une comme l'autre ont en commun d'avoir le moins possible de raison de vouloir en finir avec le capitalisme, tant que celui ci les nourrit bien. Si bien que ce sont des populations qui, même lorsqu'elle se mettent en mouvement, le font derrière les syndicats réformistes, car elles ne désirent rien d'autre que de conserver leur position avantageuse. Pour les classes moyennes salariées certaines sont très précaires et spontanément se sentent prolétaires (c'est le cas des caissières et caissiers de supermarché, qui passent leur journée de travail à se faire des tendinites en faisant passer du M sur le tapis roulant et des angoisses de se faire retenir sur le salaire si la client n'a pas échangé ce M contre le bon A. Mais eux, n'ont aucune illusion que c'est grâce à leur travail que magiquement A devient A', contrairement aux cadres commerciaux ou employé du marketing ou de la banque. Pour les caissier(e)s, le fait qu'ils ne produisent pas de plus value est confirmé par le fait que les hypermarchés préfèrent les remplacer par des robots en self service, et que si ceux ci ne les ont pas encore généralisés c'est que la technique n'est pas complètement au point. Quant à nous, les prolétaires communistes, nous les remplaceront par rien du tout, vu que notre projet et d'abolir tant l'argent que la marchandise. Et, pour revenir à l'aristocratie ouvrière, une idée importante la concernant, est qu'il s'agit à la fois du prolétariat le mieux payé et en même temps le plus exploité, car si son salaire est élevé et si il dispose de nombreux privilèges sécurisant, son niveau de productivité (donc de productivité de plus value) l'est bien plus encore, si bien que le rapport d'exploitation pl/V est le plus élevé. Ils sont donc aussi les plus exploités , ceux qui fournissent le plus du surtravail dans leur journée de travail. Ce n'est pas pour rien qu'ils sont privilégiés et que les institutions syndicales les encadrent de près et veillent à la conservation de leurs privilèges tant que c'est possible... ». Ce découpage entre producteurs de plus-value dans le prolétariat est arbitraire et faux, à tout prendre je préfère l'analyse de Raoul d'une plus-value générée par l'ensemble de l'activité de classe ouvrière, mais encore plus faux en nous faisant passer l'aristocratie ouvrière (les ouvriers du public pas les parasites syndicaux) pour les plus exploités et alourdi de « surtravail ». J'ai rigolé, vous avez déjà vu les agents EDF en surtravail et les employés du secteur nationalisé avec d'horribles tendinites ? Je me méfie particulièrement des gens qui jonglent avec les histoires de travailleurs productifs et improductifs, au risque d'enculer les mouches. Je rappelle que la CGT réformiste en 1918 reprit la problématique du « producteur »qui permettait d'élargir la syndicalisation bien au delà du salariat d'exécution. « Producteurs sauvons-nous nous-mêmes » qui vous rappelle un chansonnier que je respecte mais qui vivait à l'époque d'une classe ouvrière assezlibertaire.
11Que je relis parfois avec sidération pour leur profondeur. Quand Juliette me lance qu'il ne reste aucun texte intéressant du CCI, je suis sur le cul, je balbutie : comment... mais si, de Marc, de Ward, de Raoul... Il est désolant qu'un homme comme Marc Chirik, peu enclin à s'exhiber, sans doute pas une plume comme Castoriadis ou Morin n'ait pas eu sa place dans une édition officielle. C'est un de nos plus grands penseurs prolétariens de la fin du XX e siècle, et je pèse mes mots. Le CCI n'en parle jamais. En 1995, quelques mois après ma démission je suis allé à l'une de leur réunions publiques à Paris pour leur porter un carton des premiers tomes, ils l'ont mis à la poubelle. C'était une époque, comme m'en ont témoigné d'autres has been, où le couple dément sélectionnait les lectures obligatoires ou interdites pour les membres. On va voir qu'en effet il vaut mieux que les moutons ne relisent pas Chirik.
12"La faillite de la II" Internationale.

13Source : Jeanne Siwek-Pouydesseau : « L'alliance des classes populaires et moyennes dans le secteur public en France entre les deux guerres.
14L'assassinat de Baader et de ses compagnons en prison par la police d'Etat.

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